Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.

M. Gilbert Barbier. Je comprends l’inquiétude de Mme David au sujet d’un problème qui est bien réel, comme l’a montré le rapport établi il y a quelques années par la mission d’information bicamérale sur les toxicomanies.

Seulement, ma chère collègue, il me semble que votre amendement pose un problème de rédaction. En effet, plutôt que de « prescripteurs de traitement aux opiacés », il conviendrait de parler de prescripteurs de traitement de substitution aux opiacés, car ce sont ces traitements qui posent problème, qu’il s’agisse de Subutex ou de méthadone.

Quant à votre idée de prévoir un agrément, il me semble qu’il y a déjà de nombreux niveaux de formation des médecins… Il n’est pas souhaitable d’instituer encore un échelon supplémentaire.

Toutefois, madame David, je le répète, je comprends votre inquiétude, d’autant plus justifiée que nous avons affaire à un trafic. De fait, madame la ministre, il faut bien voir que, indépendamment des prescriptions réglementaires assurées par les médecins, de nombreux malades sont victimes de ventes sauvages, notamment de Subutex, liées à un trafic international. Il y a là un véritable problème de société.

Mme la présidente. Madame David, l’amendement n° 713 est-il maintenu ?

Mme Annie David. Au sein de notre groupe, c’est Laurence Cohen qui connaît le mieux les problèmes d’addictologie ; elle a d’ailleurs été rapporteur de la commission sur ces questions. Notre collègue a été alertée, notamment à propos des dérives dont M. Barbier vient de parler, mais aussi au sujet des difficultés rencontrées par certains patients pour suivre correctement leur traitement, difficultés qui les contraignent, dans leur esprit, à pratiquer le nomadisme médical.

J’entends, madame la ministre, qu’un plan de contrôle est en train d’être mis en œuvre par l’assurance maladie ; peut-être le rapport dont M. Barbier a parlé a-t-il contribué à donner l’alerte et à inspirer certaines des mesures qui sont prises.

En l’absence de Laurence Cohen, qui n’a pu venir siéger ce matin, je retire notre amendement, non sans vous assurer, madame la ministre, que nous surveillerons de près les suites qui seront données à ce problème par l’assurance maladie.

Mme la présidente. L’amendement n° 713 est retiré.

L’amendement n° 1058, présenté par Mmes Archimbaud et Benbassa, M. Desessard et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 12

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Ne peut être poursuivie des chefs d’usage illicite et de détention illicite de stupéfiants, la personne qui détient pour son seul usage personnel et consomme des stupéfiants dans le cadre d’actions de réductions des risques, telles que définies par le présent article.

La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. L’article 8 du projet de loi donne une reconnaissance légale à la réduction des risques, ce qui marque une avancée importante. Dans le même esprit, les auteurs de cet amendement vous proposent de mettre fin aux poursuites qui visent les personnes détenant pour leur seul usage personnel et consommant des stupéfiants dans le cadre d’actions de réduction des risques – j’insiste sur cette dernière précision.

Cette évolution correspond aux pratiques qui ont cours dans les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues, les CAARUD, dont Mme la ministre a mentionné l’action, avec le concours d’acteurs bénévoles formés dont la présence favorise l’échange, le dialogue et l’efficacité du dispositif, notamment en ce qui concerne l’orientation dans le parcours de santé, la création d’un lien de confiance et l’appropriation par les personnes du parcours de santé.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, corapporteur. Les auteurs de cet amendement proposent que, dans le cadre d’actions de réduction des risques, la détention de produits stupéfiants ne puisse être réprimée lorsque l’usager les réserve à son seul usage personnel. Nous comprenons leur intention, mais nous nous interrogeons : peut-on énoncer ce principe sans définir précisément le lieu dans lequel cette dérogation s’appliquerait, ainsi qu’il est fait à l’article 9 ?

En effet, les actions de réduction des risques n’ont pas forcément lieu dans des locaux spécifiques : elles peuvent se dérouler en des lieux plus habituellement fréquentés par les usagers de drogues. Dans ces conditions, prévoir une dérogation aussi générale nous a laissés dubitatifs.

La commission a donc émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Madame la sénatrice, une nouvelle rédaction a été trouvée à l’Assemblée nationale, sur l’initiative notamment de députés du groupe écologiste : elle garantit les professionnels des politiques de réduction des risques, ainsi que l’ensemble des intervenants qui y concourent, contre les risques pénaux qu’ils pouvaient courir. Cette rédaction, qui garantit leur protection, correspond à un équilibre satisfaisant, qui rassure toutes les parties prenantes.

Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

Mme la présidente. Madame Archimbaud, l'amendement n° 1058 est-il maintenu ?

Mme Aline Archimbaud. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 1058 est retiré.

L'amendement n° 1185, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 13

Compléter cet alinéa par les mots :

selon des modalités adaptées au milieu carcéral

La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. La commission des affaires sociales du Sénat a retiré de l’article 8 du projet de loi la mention relative à l’adaptation de la politique de réduction des risques et des dommages aux spécificités du milieu carcéral, pour insister sur la nécessité d’assurer aux personnes détenues un accès au traitement équivalent à celui qui existe en milieu ordinaire.

Je signale que l’article 8 rappelle le principe en vigueur, énoncé par la loi du 18 janvier 1994 : l’égalité d’accès au traitement entre le milieu carcéral et le milieu ordinaire.

Dans la mesure où, aujourd’hui, les détenus ne bénéficient pas encore de l’ensemble des outils de prévention des risques, nous avons besoin de mettre en œuvre des politiques de prévention concrètes à leur intention, en adaptant les mesures au milieu carcéral. C’est pourquoi la ministre de la justice et moi-même avons souhaité la création d’un groupe de travail visant à expertiser les modalités de mise en place de programmes d’échanges de seringues en détention.

Pour la même raison, je souhaite le rétablissement de la mention supprimée par la commission.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, corapporteur. Cet amendement du Gouvernement vise à réintroduire à l’article 8 une mention supprimée par la commission des affaires sociales, qui prévoit l’adaptation de la politique de réduction des risques aux particularités du milieu carcéral.

La commission des affaires sociales entend garantir aux personnes détenues les mêmes droits qu’aux autres citoyens dans le domaine de la prévention et de la distribution de matériel destiné à la réduction des risques, notamment d’échanges de seringues.

La mention dont Mme la ministre souhaite le rétablissement a été supprimée par la commission des affaires sociales à la demande des médecins de prison, qui souhaitent pouvoir assurer le secret médical en ce qui concerne les détenus et, surtout, la sécurité des échanges de seringues qui ont lieu de toute façon, afin d’éviter la contamination. Nous estimons que notre position, qui répond à leur demande, assure la sécurité des détenus, dans le respect du secret médical.

La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Labazée, pour explication de vote.

M. Georges Labazée. À l’invitation du ministère de la justice et avec les associations d’aide aux personnes détenues, nous avons été amenés à visiter des établissements pénitentiaires au cours de ces dernières semaines, ce que j’ai fait dans mon département, à Pau et à Bayonne. Au-delà de la prise en considération des problèmes propres au milieu carcéral, nous avons discuté de cet aspect particulier du dossier et du problème de la prévention des risques.

En raison de mon expérience, je me trouve tout à fait en phase avec l’amendement défendu par le Gouvernement. Je suis certes avec attention les propositions des différents corapporteurs de la commission des affaires sociales, mais je crois véritablement, pour l’avoir vécu sur le terrain, dans le milieu carcéral, que l’amendement du Gouvernement doit être pris en compte sur l’ensemble de ces travées, au-delà de nos différences politiques.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Pour notre part, nous sommes quelque peu sceptiques par rapport à l’amendement du Gouvernement. En effet, l’article 8, en son alinéa 13, prévoit que « la politique de réduction des risques et des dommages s’applique également aux personnes détenues. » En précisant que l’application de cette politique se fera « selon des modalités adaptées au milieu carcéral », le texte de cet amendement fait donc quelque peu redondance avec la rédaction actuelle de l’article.

En outre, une telle précision risque d’empêcher l’application des mêmes droits entre détenus et personnes non détenues.

Par conséquent, cet amendement est soit inutile, parce qu’il est redondant, soit restrictif pour les personnes en détention. Dans le doute, le groupe CRC s’abstiendra.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Notre amendement vise bien à garantir l’effectivité du principe de l’égalité dans l’accès au droit.

La loi de 1994, dont j’ai d’ailleurs célébré l’anniversaire l’an dernier en me rendant au centre pénitentiaire du Mans, qui avait été portée par Mme Simone Veil, est une grande loi pour les détenus, puisqu’elle pose le principe de l’égalité dans l’accès au droit en matière de santé et d’accès aux politiques de réduction des risques.

Aussi, dès lors que ce droit est inscrit dans la loi, la question est plutôt de savoir si les détenus accèdent effectivement à ces politiques. Or la réponse est non. Les médecins eux-mêmes le disent : le fait d’être détenu crée des contraintes particulières.

Sans vouloir vous manquer de respect, monsieur Milon, je pense que vous avez anticipé sur un autre amendement et sur un autre article lorsque vous avez évoqué la position défendue par les médecins en prison.

M. Alain Milon, corapporteur. Pas complètement…

Mme Marisol Touraine, ministre. En proposant d’ajouter ces quelques mots, le Gouvernement défend l’idée qu’il faut se donner les moyens de mettre en place des stratégies spécifiques pour garantir l’effectivité de l’accès au droit en prison. Le fait est d'ailleurs que certains protocoles en milieu ouvert ne peuvent être déclinés en milieu fermé, comme l’échange de seringues par exemple.

L’échange de seringues, s’il est en théorie possible, ne peut en réalité avoir lieu dans les mêmes conditions selon que l’on est libre ou détenu. En effet, une personne en détention n’est pas libre d’aller et venir et ne peut pas procéder elle-même à un tel échange. Un cadre particulier est donc nécessaire.

Il faut réfléchir à des modalités d’accès au droit adaptées à la situation des détenus et nous donner les moyens de prendre en considération la réalité des conditions dans lesquelles ils vivent, si nous voulons faire progresser leurs droits.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Je suis assez d’accord avec les propos de notre collègue Annie David. En effet, les médecins que nous avons rencontrés confirment qu’il existe des échanges de seringues et considèrent que, là où l’on trouve de la drogue – comme en prison, dans les faits –, on devrait disposer des mêmes droits qu’à l’hôpital. Selon eux, il est très important que, en matière de santé, les détenus soient traités comme s’ils étaient à l’extérieur de la prison.

Madame la ministre, vous avez évoqué l’article du projet de loi qui établit l’absolue nécessité de respecter le secret professionnel. Cependant, il s’agit bien là d’un autre article que l’article 8, sur lequel je partage l’analyse de M. le corapporteur.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. Je suis prêt à soutenir l’amendement du Gouvernement, à la condition que vous vous engagiez, madame la ministre, à publier une circulaire relative à l’application de cet article.

En effet, comme l’ont dit certains de nos collègues, le texte risque d’aboutir à des interprétations différentes selon la situation interne propre à chaque établissement carcéral. Pour lever toute ambiguïté et éviter que l’on se retrouve dans la situation évoquée par Mme David, il faudrait s’assurer qu’une circulaire d’application soit adressée dans toutes les prisons.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon, corapporteur.

M. Alain Milon, corapporteur. Je vous rejoins sur ce sujet, madame David.

Si l’on insérait un amendement comme celui du Gouvernement dans un projet de loi sur la santé, le ministère de la santé perdrait la main au profit du ministère de la justice. En effet, ce dernier pourrait notamment considérer que les seringues qui sont échangées entre détenus sont des armes possibles. C’est là que réside la difficulté, même si les médecins nous ont indiqué qu’il existait déjà des seringues rétractables, qui ne peuvent pas être regardées comme des armes.

Il ne faut pas voter en faveur de cet amendement, car les politiques de santé en milieu carcéral risqueraient de ne plus dépendre de la responsabilité du ministère de la santé.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Je me réjouis que ce débat extrêmement important ait lieu. Les prises de position des uns et des autres, qui se déroulent dans le calme et la sérénité,…

M. Alain Milon, corapporteur. C’est grâce à vous, madame la ministre ! (Sourires.)

Mme Marisol Touraine, ministre. … montrent que, au fond, nous cherchons tous à trouver les conditions d’une meilleure prise en charge des personnes en détention.

La loi de 1994 a représenté une avancée majeure, notamment parce qu’elle a placé les politiques et les pratiques de santé en milieu carcéral sous l’autorité du ministère de la santé, alors que tout ce qui concernait la vie en prison – y compris la santé – dépendait jusqu’alors du ministère de la justice.

Évidemment, il est question de la prison. Toutefois, tout ce qui touche au domaine de la santé dans cet espace relève intégralement du ministère de la santé. Si mon ministère travaille avec celui de la justice pour faciliter l’intégration des politiques de santé dans l’environnement carcéral, il n’empêche que seuls les professionnels de santé et le ministère de la santé sont responsables en matière de pratiques de santé.

En ce qui concerne l’amendement du Gouvernement, monsieur Vasselle, il me semblait que son objet était suffisamment clair.

Cependant, comme je l’ai déjà dit, un groupe de travail commun entre le ministère de la santé et celui de la justice travaille actuellement sur ces sujets. Il me paraîtrait tout à fait positif et souhaitable que des circulaires interprétatives ou des recommandations soient adressées aux établissements carcéraux, afin qu’il soit bien clair que l’enjeu réside dans l’intérêt pour la santé des personnes détenues. (M. Alain Vasselle acquiesce.) En effet, c’est à cela que nous travaillons.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1185.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 8, modifié.

(L'article 8 est adopté.)

Article 8
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Articles additionnels après l'article 8 bis A

Article 8 bis A (nouveau)

I. – L’article L. 3421-1 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Toutefois, sous réserve des dispositions du troisième alinéa, la première infraction constatée est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la troisième classe. » ;

2° Au deuxième alinéa, les mots : « de ce délit » sont remplacés par les mots : « du délit prévu au premier alinéa ».

II. – Après l’article L. 3421-1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 3421-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3421-1-1. Dans le cas prévu à la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 3421-1, la contravention est accompagnée des coordonnées des centres spécialisés de soins aux toxicomanes les plus proches. »

III. – Au second alinéa de l’article L. 3421-2 du code de la santé publique, les mots : « lorsque le délit a été constaté » sont remplacés par les mots : « lorsque l’infraction a été constatée ».

IV. – Au début du premier alinéa de l’article L. 3421-4 du code de la santé publique, les mots : « La provocation au délit prévu » sont remplacés par les mots : « La provocation à l’infraction prévue ».

V. – Le conseil communal ou intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance est informé du nombre d’infractions constatées pour le premier usage de stupéfiants.

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 643 est présenté par le Gouvernement.

L'amendement n° 714 est présenté par Mmes Cohen et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 643.

Mme Marisol Touraine, ministre. La commission des affaires sociales a souhaité substituer à la sanction pénale s’appliquant actuellement à la première infraction d’usage de stupéfiants, à savoir le délit, une contravention de troisième classe. Le Gouvernement est défavorable à cette évolution, car il souhaite une approche équilibrée entre le maintien de l’interdit relatif à la consommation de stupéfiants et la mise en place de sanctions adaptées.

Une réflexion est en cours dans le cadre de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la MILDECA. Le cas échéant, elle devrait prochainement aboutir à des pistes d’amélioration concernant la norme pénale relative à l’usage de stupéfiants.

Cependant, à ce stade, comme cette réflexion n’est pas arrivée à son terme, il me semble que la contraventionnalisation du premier usage de stupéfiants serait un mauvais signal à adresser.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, pour présenter l'amendement n° 714.

M. Dominique Watrin. Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, la France se distingue nettement des autres pays d’Europe en matière de consommation de drogues. Ainsi, elle est le seul pays dont le taux de consommation chez les adolescents est largement supérieur à 15 %. Il y aurait également 1 million de consommateurs réguliers et quelque 500 000 usagers quotidiens de drogues parmi les adultes.

D’une part, il faut faire le constat que la consommation de drogue est repartie à la hausse chez les jeunes de 17 ans : selon les derniers chiffres à disposition, près de la moitié d’entre eux en a déjà fait l’expérience, et près d’un sur dix en fume régulièrement. La pénalisation de l’usage n’empêche donc pas la hausse de la consommation !

D’autre part, les filières d’approvisionnement sont en train de changer : l’autoculture progresse et les Cannabis social club – ces groupements de personnes qui mettent en commun leurs moyens pour leur consommation personnelle – se développent. Nous devons en tenir compte. Selon les estimations officielles, 100 000 à 200 000 Français se seraient lancés dans l’autoculture, ce qui représenterait plus de 11 % de la consommation de cannabis chaque année en France. Il faut ouvrir les yeux sur cette réalité !

Les produits présents sur le marché ont également tendance à contenir des taux de tétrahydrocannabinol, ou THC – le principe actif du cannabis – de plus en plus élevés, si bien que les professionnels de santé mettent en garde contre les effets dangereux qu’ils induisent. Ces substances auraient besoin d’être contrôlées.

Selon nous, la consommation du cannabis, produit illicite et pourtant parmi les plus consommés en France, ne doit plus être sanctionnée d’une peine d’emprisonnement et d’une amende. Les dispositions législatives actuelles ont déjà fait la preuve de leur inefficacité, tant sur l’évolution du nombre de consommateurs que sur l’encombrement inutile des tribunaux et des prisons qu’elles entraînent. Il conviendrait donc, tout simplement, de dépénaliser l’usage du cannabis.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, corapporteur. Ces amendements identiques visent à la suppression de l’article 8 bis A introduit par la commission des affaires sociales du Sénat.

Le dispositif que nous avons adopté part du constat que la législation relative aux infractions en matière de stupéfiants, qui date, ne l’oublions pas, des années 1970, n’a pas prouvé son efficacité. L’article 8 bis A est donc issu d’une proposition déposée par plusieurs sénateurs du groupe RDSE et adoptée par le Sénat le 7 décembre 2011.

Cet article vise à réprimer la première consommation de drogue illicite par une sanction proportionnée, facile à appliquer et effective, en appliquant l’amende prévue pour les contraventions de la troisième classe. L’objectif est bien entendu de décourager le premier contact, qui est généralement déterminant, avec le monde des stupéfiants.

La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.

M. Gilbert Barbier. Au travers de ces débats, nous voyons bien tous les problèmes qui sont posés par la consommation de cannabis. Nombreux sont ceux qui sont favorables à une dépénalisation de cette substance, comme nous venons de le voir avec l’amendement défendu par M. Watrin. Le Gouvernement nous dit qu’une étude est en cours. Cependant, cela fait des années que l’on parle de ce problème et nous ne voyons toujours rien revenir.

Nous parlons aujourd’hui du premier usage du cannabis, car d’après les études statistiques de l’Observatoire des drogues et des toxicomanies, comme l’a souligné M. Watrin, la consommation de cannabis est en constante augmentation : quelque 42 % des adultes et 48 % des jeunes en ont consommé au moins une fois ; parmi ces 48 % de jeunes, 9 % sont des fumeurs réguliers et 22 % en ont un usage considéré comme problématique. Nous sommes donc face à un véritable fléau social, et nous devons avancer sur ce sujet. C’est la raison pour laquelle il avait été proposé dès 2011, de manière assez consensuelle, d’intervenir dans ce domaine.

Je rappelle aussi que 18 000 consommateurs sont suivis par les CSAPA, les Centres de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie, et 38 000 par des professionnels, dont la moitié leur a été adressée par la justice à la suite d’une interpellation pour usage. Ainsi, en l’état actuel du droit, la justice renvoie la moitié des consommateurs vers les professionnels de santé.

Comme l’a souligné M. le corapporteur, la réponse pénale est lacunaire et pusillanime. D’une part, elle est inadaptée aux réalités quotidiennes de la consommation de cannabis, et, d’autre part, elle apparait pour le moins peu efficace au regard de la progression de la consommation.

Il est évident qu’il n’est pas durablement envisageable de faire encourir à de jeunes consommateurs de cannabis, nullement voués à l’addiction, une peine de prison d’un an, même si nous savons par avance, sans trop le dire, que la sanction ne sera pas appliquée.

Qu’en est-il alors de la valeur de l’interdit et du respect dû à la loi pour ces jeunes ? Est-il raisonnable de remettre à la discrétion du procureur de la République le choix de ne pas engager de poursuites pénales, sachant que l’hétérogénéité territoriale de la politique pénale pratiquée dans ce domaine est tout à fait étendue ?

Il faut répondre à la réalité du primo-usage par la création d’une amende contraventionnelle sanctionnant la première consommation, car cette catégorie spécifique appelle par là même une réponse spécifique. Que personne n’y voie une volonté d’aller vers la banalisation de la consommation de cannabis réclamée par certains.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Gilbert Barbier. J’espère que la proposition d’instaurer une contravention à la première consommation de cannabis sera retenue. La fixation du taux de l’amende, avec l’accord de la commission, à la troisième classe, est raisonnablement dissuasive et renforce l’efficacité de cette mesure.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. Dans l’objet de l’amendement du Gouvernement, Mme la ministre précise que la stratégie en matière de lutte contre les stupéfiants doit se faire « dans le cadre du maintien de l’interdit relatif à la consommation de stupéfiants et de la lutte contre les trafics ».

Or on ne peut maintenir le dispositif d’interdiction de lutte contre les trafics sans accompagner celui-ci de sanctions, qu’il s’agisse de celle qui a été proposée par notre collègue Gilbert Barbier ou de celles qui figurent dans le code pénal. La position de la commission défendue par Alain Milon me paraît donc tout à fait justifiée.

Le caractère dissuasif de la mesure me semble essentiel. Par ailleurs, je me réjouis que le dernier alinéa de l’article prévoie d’informer les conseils de lutte contre la délinquance, sur le plan territorial, ce qui permettra aux élus locaux d’être des acteurs, aux côtés des forces de police et des personnels de la justice, pour tenter de contenir la consommation de cannabis.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.

M. Yves Daudigny. Les membres du groupe socialiste partagent l’argumentation de Mme la ministre sur l’amendement n° 643 du Gouvernement, comme sur l’amendement précédent. Bien entendu nous voterons en faveur de cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Monsieur Vasselle, le groupe communiste ne défend pas la légalisation, mais la dépénalisation, ce qui n’est pas la même chose.

La dépénalisation maintient l’interdit, afin de pouvoir réprimer les revendeurs. En revanche, la dépénalisation de l’usage du cannabis permet de faire en sorte que les jeunes ne soient pas condamnés.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 643 et 714.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 8 bis A.

(L'article 8 bis A est adopté.)

Article 8 bis A (nouveau)
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Article 8 bis

Articles additionnels après l'article 8 bis A

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 715, présenté par Mmes Cohen et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 8 bis A

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l’article L. 3421-1 du code de la santé publique est complété par une phrase ainsi rédigée :

« L’usage du cannabis est exclu de ces dispositions. »

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.