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Dossier législatif : projet de loi de modernisation de notre système de santé
Discussion générale (suite)

Modernisation de notre système de santé

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de notre système de santé
Article 1er (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de modernisation de notre système de santé (projet n° 406, texte de la commission n° 654, rapport n° 653, tomes I et II, avis nos 627 et 628).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le président, permettez-moi de vous adresser un salut particulier en ce jour où vous fêtez votre anniversaire ! (Exclamations et applaudissements.)

M. le président. Je vous remercie, madame la ministre !

Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les rapporteurs et rapporteurs pour avis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le projet de loi dont nous débutons l’examen est un texte pour l’égalité ; un texte pour les Français, pour leur vie quotidienne et pour l’avenir de leurs enfants ; un texte contre le fatalisme, le contre le déclinisme qui voudrait que notre pays, dans la tourmente internationale et face à la crise économique, soit devenu incapable d’offrir à chacune et à chacun les mêmes droits et les mêmes chances, en tenant compte des évolutions des besoins, des attentes et des contraintes.

En matière de santé, parler d’égalité a longtemps sonné comme une évidence dans un système fondé sur les grandes valeurs de la solidarité et de l’universalité. Pourtant, des millions de nos concitoyens sont confrontés à l’érosion de cette promesse républicaine, parce qu’ils sont moins informés que les autres sur la manière de préserver leur santé, parce qu’ils sont parfois contraints de renoncer à se soigner pour des raisons financières, parce qu’ils ont du mal à s’orienter et à se défendre dans un système devenu complexe.

Je parle de tous ces Français qui vivront moins longtemps que les autres, du fait de leur situation sociale. Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un fait : d’un bout à l’autre de la ligne B du RER, en région parisienne, en quelques dizaines de minutes de trajet, on perd trois ans d’espérance de vie ! Un cadre vit, en moyenne, sept ans de plus qu’un ouvrier ; cette réalité-là, nous ne pouvons pas l’occulter !

Ces inégalités prennent racine dès le plus jeune âge et se transmettent parfois de génération en génération. Plus inquiétant encore : elles se sont aggravées dans les années 2000, en raison de l’explosion des maladies chroniques, du vieillissement de la population et des nouveaux risques que notre environnement fait peser sur notre santé.

Songez que les familles ouvrières, qui comptaient en 2002 quatre fois plus d’enfants obèses que les familles de cadres, en comptent aujourd’hui dix fois plus ! Comment imaginer, face à une telle situation, qu’il soit possible de rester immobile, ou qu’il suffise d’approfondir des politiques qui ont montré leurs limites ?

L’ambition qui m’anime depuis trois ans est assumée : innover, adapter et moderniser, partout où cela est nécessaire, pour réduire les inégalités d’accès aux soins.

Je pense d’abord aux inégalités dans l’accès aux droits au sein de nos territoires. Les réduire est l’objectif du pacte territoire-santé, grâce auquel notre pays va franchir cette année le cap des 800 maisons de santé et des 400 médecins accompagnés pour leur installation dans les zones sous-dotées. Au service du même objectif d’égalité territoriale, j’ai mis fin au « tout-T2A », qui pénalisait les hôpitaux locaux, auxquels des financements spécifiques sont désormais accordés.

Je pense ensuite aux inégalités d’accès aux droits de chacun liées à des raisons financières. L’encadrement des dépassements d’honoraires, le coup d’arrêt donné aux mesures de désengagement de l’assurance maladie et le relèvement des plafonds de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, et de l’aide à la complémentaire santé, l’ACS, sont autant de mesures destinées à les réduire.

Au cours de sa réunion de demain matin, la commission des comptes de la sécurité sociale confirmera une nouvelle fois que, après plus de dix années de hausse, le montant qui reste à la charge des Français en matière de santé diminue régulièrement depuis 2012 ; elle constatera que cette diminution s’est poursuivie l’année dernière.

Oui, en un peu plus de trois ans à peine, de premiers résultats ont été obtenus ! Mais cette nouvelle donne ne saurait être un prétexte à l’immobilisme, à l’inaction : elle nous invite, au contraire, à maintenir le cap, en poursuivant et en amplifiant la modernisation de notre système de santé. Parce que les avancées des trois dernières années montrent que l’action porte ses fruits, nous devons continuer d’agir, avec une volonté et une ténacité encore plus grandes, pour que de nouveaux résultats soient au rendez-vous.

L’enjeu qui est aujourd’hui devant nous, et qui est au cœur du présent projet de loi, est de continuer à innover.

Nous devons innover, d’abord, dans l’organisation des soins, en passant d’un système aujourd’hui cloisonné et trop centré sur l’hôpital à une médecine de parcours et de proximité, structurée autour du médecin traitant et fondée sur lui, ainsi que, bien sûr, sur les besoins du patient.

Nous devons innover, ensuite, en matière de prévention, pour permettre à nos concitoyens de mieux protéger leur santé.

Nous devons innover, enfin, en matière de démocratie sanitaire, pour permettre aux Français de mieux s’informer, de décider et de se défendre.

En matière de santé, comme d’ailleurs dans d’autres domaines, notre pays a trop souffert de déclarations de principe. Les défis qui sont devant nous nous invitent à l’action, assurément, mais aussi et surtout à l’innovation, à l’inventivité et à l’audace.

L’audace, mesdames, messieurs les sénateurs, consiste à accepter de faire bouger les lignes, à reconnaître que des mesures fortes, nouvelles, parfois radicales, sont nécessaires, à assumer la confrontation avec certains conservatismes, avec certains immobilismes, avec certaines inquiétudes aussi, et avec des acteurs qui instrumentalisent trop facilement l’économie pour balayer les enjeux de santé publique.

Tels sont les fondements du projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter au nom du Gouvernement, et qui vise trois grands objectifs : mieux prévenir, mieux soigner dans la proximité et renforcer les droits.

S’agissant d’abord de la prévention, elle doit devenir le socle de notre système de santé. Il y a là, mesdames, messieurs les sénateurs, un tournant majeur. La prévention, tout le monde en parle, mais la vérité oblige à reconnaître qu’elle n’occupe pas aujourd’hui, dans notre système de santé, la place qui devrait être la sienne. De fait, nombre de maladies pourraient être évitées si nos concitoyens étaient aidés à mieux se protéger en adoptant de meilleures habitudes et de meilleurs comportements.

Il faut agir dès le plus jeune âge, car c’est le moment où les inégalités de santé, directement liées aux inégalités sociales, s’installent et se creusent. Mise en place d’un parcours éducatif en santé depuis la maternelle jusqu’au lycée, instauration du paquet de cigarettes neutre, interdiction de fumer en voiture en présence d’un mineur, création d’un délit d’incitation à la consommation excessive d’alcool, amélioration du dépistage des infections sexuellement transmissibles, mise en place d’un étiquetage nutritionnel clair et lisible des aliments, expérimentation de salles de consommation à moindre risque pour accompagner les toxicomanes les plus marginalisés vers le sevrage, protection des riverains, amélioration des dépistages et renforcement de la prévention des risques, y compris en prison : toutes ces mesures donneront corps à une véritable stratégie de prévention, une stratégie cohérente, innovante et efficace, qui marquera une étape historique pour la santé des Français.

En ce qui concerne le développement d’une médecine de proximité articulée autour du médecin traitant, deuxième volet du projet de loi, nous entendons faire tomber les barrières qui limitent l’accès aux soins, qu’elles soient géographiques, financières ou administratives. La généralisation du tiers payant, la création d’une lettre de liaison transmise par l’hôpital au médecin traitant dont le patient sort d’un établissement, l’instauration d’un numéro d’appel national unique pour joindre un médecin de garde en dehors des heures d’ouverture des cabinets médicaux, la mise en place des communautés territoriales professionnelles de santé, qui rendront possibles des parcours de soins coordonnés, le rétablissement du service public hospitalier et la création des groupements hospitaliers de territoire sont autant d’avancées déterminantes.

Ce projet de loi marque le passage d’une organisation « hospitalo-centrée » à un système qui fait du médecin généraliste le centre de gravité de la prise en charge du patient. Nous sommes loin, mesdames, messieurs les sénateurs, très loin d’une supposée étatisation de la médecine en France, épouvantail agité depuis des mois, quand la philosophie et la substance du projet de loi se situent à l’opposé. En vérité, mesdames, messieurs les sénateurs, nulle part dans ce texte vous ne trouverez trace d’une soumission de la médecine libérale à une quelconque organisation étatique !

Le renforcement des droits des patients et le développement de la transparence forment le troisième volet du projet de loi. Dans ce domaine, nous vous proposons d’ouvrir une nouvelle étape en reconnaissant au patient de nouveaux droits individuels et collectifs : renforcement du rôle des associations d’usagers, qui seront désormais présentes dans toutes les agences sanitaires nationales ; création de l’action de groupe en santé, qui, si l’on songe à certains scandales récents, aurait permis aux victimes de mieux se défendre ; droit à l’oubli pour d’anciens malades du cancer et, à terme, d’autres pathologies ; mise à disposition des données de l’assurance maladie, évidemment anonymisées, aux chercheurs, aux start-up et aux lanceurs d’alerte.

S’agissant de la transparence des relations entre les professionnels de santé et les acteurs industriels, toutes les conventions d’expertise et les avantages en nature, ainsi que les montants de ceux-ci, seront rendus publics, et chaque agence sanitaire sera désormais dotée d’un déontologue dont le rapport, public, fera état de l’ensemble des liens d’intérêts. Il faut mesurer, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il y a là un progrès majeur, car l’état actuel du droit, contrairement à ce que certains imaginent, ne permet pas de rendre obligatoire la déclaration des conventions d’expertise unissant des industriels et des professionnels de santé ; le présent projet de loi prévoit cette obligation.

Ce projet de loi, je l’ai élaboré dans l’échange et dans la concertation. Il a évolué au cours de cette concertation, et il continuera assurément d’évoluer ; telle est évidemment la raison d’être du travail parlementaire. Je n’en défendrai pas moins jusqu’au bout ses principes, sa cohérence et ses mesures structurelles et innovantes.

Plusieurs d’entre vous ont participé à l’un des 200 débats régionaux qui se sont tenus sur le territoire pour construire ce projet de loi, contribuant ainsi à la dynamique participative dont il est le fruit.

La concertation, le partage et la confrontation des points de vue, j’ai tenu à les poursuivre au Parlement. C’est ainsi que, à l’Assemblée nationale, les débats en première lecture ont conduit à des avancées dans deux directions.

D’une part, pour répondre aux inquiétudes des médecins libéraux, des précisions et des garanties nouvelles ont été introduites dans la lettre même du projet de loi, notamment en ce qui concerne l’organisation des parcours, structurée de façon explicite autour du médecin généraliste, et la généralisation du tiers payant, qui sera mise en œuvre de manière simple – c’est un engagement – et progressive d’ici à 2017, et associée à une garantie de rapidité de paiement inscrite dans la loi.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Mais les médecins n’ont pas été rassurés pour autant !

Mme Marisol Touraine, ministre. D’autre part, le travail avec les députés a permis d’aller plus loin, d’ouvrir des champs nouveaux. Ainsi, dans le domaine de la santé environnementale, l’information du public sera améliorée en matière de pollution de l’air. Par ailleurs, le concept d’exposome a été inscrit dans le projet de loi, et le bisphénol A interdit dans les jouets pour enfants. De même, en ce qui concerne les droits des femmes, l’accès à l’IVG a été renforcé au-delà de ce que le Gouvernement avait proposé, et le délai de réflexion a été supprimé.

C’est avec cette même volonté d’avancer et d’enrichir le texte que je viens devant vous, aujourd’hui, dans un contexte évidemment particulier.

En effet, la commission des affaires sociales du Sénat a supprimé ou significativement altéré plusieurs des mesures essentielles que défend le Gouvernement : la généralisation du tiers payant, la mise en place du paquet neutre, la suppression du délai de réflexion pour l’interruption volontaire de grossesse, le consentement présumé au don d’organes – qui existe pourtant depuis la loi Caillavet –, le rétablissement du service public hospitalier, l’action de groupe en santé ou l’ouverture de l’accès aux données en santé… La liste n’est pas exhaustive, mais elle est déjà impressionnante !

Au fond, c’est la colonne vertébrale même de la loi qui a été supprimée. Or, lorsque le corps n’a plus de colonne vertébrale, en règle générale, il a du mal à se tenir droit ! Le « corps » de la loi s’est donc amolli, affaissé et n’a plus qu’un lointain rapport avec l’engagement du Gouvernement en faveur de la réduction des inégalités, du renforcement de la proximité du système de santé et des droits de nos concitoyens.

Parce que je crois profondément, avec le Gouvernement, à la cohérence de ce texte, parce que j’ai à cœur de répondre aux attentes de nos concitoyens, qui veulent que nous allions de l’avant, je vous proposerai des amendements visant à réintroduire les mesures structurelles qui ont été supprimées par la commission. À l’évidence, défendre un tel texte devant vous, y compris après le travail réalisé en commission, est un enjeu démocratique pour le Gouvernement, tout comme l’est celui de porter ses engagements et ses convictions devant les Français. Il s’agit donc, pour le Gouvernement comme pour moi, d’un enjeu de cohérence et de crédibilité.

S’agissant des mesures supprimées en commission par la majorité sénatoriale, j’ai conscience que la probabilité que les amendements déposés par le Gouvernement soient adoptés est… relativement faible. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.) J’ai pourtant fait le choix de les présenter à nouveau, parce que je suis attachée au débat et parce que je respecte le rôle que joue le Sénat dans le travail parlementaire. En effet, il me semble à la fois respectueux et nécessaire que nous puissions débattre de ces mesures fondamentales devant les Français qui regardent nos discussions, et pas uniquement en commission. Mais je défendrai aussi ces amendements avec la conviction que la navette parlementaire redonnera au texte sa force et ses ambitions d’origine.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, porter une loi, c’est faire des choix, c’est défendre une vision de la société ! Ce projet de loi améliorera le quotidien des Français. Il y aura donc un avant et un après ce projet de loi.

J’ai pris l’engagement devant les Français de mieux les protéger, de faire progresser notre système de santé, afin qu’il reste l’un des meilleurs au monde – et alors même que les défis sont multiples –, en un mot, de faire vivre notre République sociale. Aussi, vous pouvez compter sur ma détermination pour le tenir.

Je resterai à l’écoute de toutes les suggestions que vous formulerez, de sorte que nous puissions aller dans le bon sens et contribuer à améliorer davantage la santé de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, corapporteur.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, corapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, annoncé de longue date, ce projet de loi « de santé » arrive devant le Sénat après une longue phase de préparation. Le Gouvernement a apporté des modifications substantielles à son propre texte et de très nombreuses dispositions supplémentaires – plus de 150 articles – ont été introduites lors de la première lecture à l’Assemblée nationale.

Ce texte juxtapose des dispositions d’importance extrêmement variable et portant sur un très grand nombre de sujets. De ce fait, il se révèle difficile à appréhender et se prête mal aux appréciations globales.

Si la commission des affaires sociales a profondément modifié beaucoup d’articles – elle en a aussi supprimé –, en raison d’oppositions de fond ou dans le souci de résister à la tentation de l’inflation législative, elle a également adopté sans modification, ou moyennant de simples corrections rédactionnelles, environ la moitié des 209 articles du texte transmis par l’Assemblée nationale.

Ce projet de loi représente le premier grand texte sur la santé depuis le vote en 2009 de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST ».

Cette loi a fait profondément évoluer l’organisation territoriale de notre système de santé. Ainsi, plus personne ne conteste, aujourd’hui, l’existence des agences régionales de santé, les ARS. J’observe d’ailleurs une tendance générale à vouloir confier à ces agences la mission de rechercher des solutions à tous les problèmes de soins ! Peut-être devrons-nous songer à recentrer les responsabilités des ARS sur quelques sujets essentiels, une fois que celles-ci auront réussi à s’adapter à la nouvelle organisation régionale.

Madame la ministre, votre texte ne remet pas fondamentalement en cause la loi HPST, même s’il y apporte des modifications. Certaines d’entre elles peuvent d’autant plus recueillir notre accord que, à l’époque, au Sénat, nous avions soutenu des positions dont on ne retrouvait plus trace dans le texte finalement adopté ; je pense notamment à la place des médecins au sein de l’hôpital.

En revanche, d’autres aspects de votre texte ont suscité de très sérieuses réserves de notre part, voire une franche opposition. Pour m’en tenir aux dispositions relatives à l’organisation des soins et aux établissements de santé, le texte issu des débats à l’Assemblée nationale comporte certaines évolutions plutôt positives par rapport au projet de loi d’origine. Toutefois, c’est en réaction à vos propositions initiales, à la suite de négociations in extremis, et alors que le texte allait être examiné en commission à l’Assemblée nationale, que de nouvelles orientations ont été adoptées.

Madame la ministre, vous nous avez dit avoir mené de larges concertations préalablement au dépôt du texte. (M. Jean-Baptiste Lemoyne s’exclame.) Cependant, pour qu’une véritable concertation ait lieu, il ne suffit pas de réunir les acteurs concernés. Encore faut-il entendre ce qu’ils ont à dire ! Les professionnels de santé l’ont tous fortement souligné : ce n’est qu’au dernier moment que leur avis a été pris en compte, et cela partiellement.

En instituant, à l’article 12, un service territorial de santé au public, le STSP, vous faisiez de ce projet de loi un texte d’hyper-administration, qui plaçait l’essentiel du pouvoir de décision entre les mains des directeurs généraux des ARS, et qui instaurait une forme de planification ambulatoire, inacceptable pour les praticiens libéraux. L’Assemblée nationale a remanié le texte en substituant au STSP une autre formule, celle de la communauté professionnelle territoriale de santé ou CPTS.

Néanmoins, la commission des affaires sociales a jugé indispensable de prendre davantage en compte les initiatives des professionnels de santé de terrain, sans lesquels rien ne peut se faire. Elle a donc remplacé les CPTS par les pôles de santé renforcés. En effet, il ne semble pas opportun de remettre en cause, lors de l’examen de chaque nouvelle loi de santé, des dispositifs qu’on a à peine eu le temps de faire fonctionner, a fortiori s’ils fonctionnent bien !

Les groupements hospitaliers de territoire prévus par l’article 27 – les fameux GHT – nous paraissent susceptibles d’offrir aux hôpitaux publics le moyen de s’adapter plus aisément aux besoins des territoires et de favoriser l’accès de tous et en toute sécurité à des soins de qualité. Cependant, compte tenu des remontées de terrain, la commission a jugé nécessaire de s’assurer que les équipes soignantes seraient à l’origine du projet médical des GHT et que ces derniers ne dépendraient pas d’une décision unilatérale des ARS. Nous estimons également important que les élus ne soient pas de simples spectateurs du fonctionnement des GHT et qu’ils puissent participer activement à la définition de leur stratégie.

D’autres modifications substantielles ont été introduites. Je pense notamment à celle apportée à l’article 26 avec le maintien des missions de service public pour les établissements de santé privés à but lucratif. Nous ne sommes certes pas opposés au rétablissement d’une étiquette « service public » pour les établissements publics ou non lucratifs, mais nous ne voyons aucune raison de pénaliser les établissements privés qui s’engagent à mener des missions de service public à tarif opposable.

J’en viens désormais à une mesure qui, pour nous, n’a pas sa place dans ce texte et qui cristallise les oppositions : il s’agit de la mise en place du tiers payant obligatoire et généralisé. La commission des affaires sociales estime que cette disposition, dont la mise en œuvre est complexe et qui rompt avec les modalités d’exercice de la médecine libérale, n’est pas véritablement nécessaire dès lors qu’elle s’applique déjà aux publics les plus fragiles et qu’elle a été largement adoptée par les médecins pour les patients atteints d’affections de longue durée.

S’agissant de l’accès aux soins, je signale d’ailleurs que la commission des affaires sociales a adopté deux amendements identiques de nos collègues Mmes Aline Archimbaud et Laurence Cohen, qui rendent automatique le renouvellement de l’aide à la complémentaire santé pour les bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés et de l’allocation de solidarité aux personnes âgées.

Alors qu’elle n’apporte rien en termes d’accès aux soins des plus démunis, la généralisation du tiers payant suscite une crispation inutile, obérant tout progrès dans les discussions conventionnelles sur des sujets autrement plus urgents et importants pour notre système de santé. Pour l’ensemble de ces raisons, mais aussi pour des raisons que nous exposerons ultérieurement lors de l’examen des articles, nous avons donc supprimé l’article 18 du projet de loi.

Plus fondamentalement, on ne peut aujourd’hui discuter d’une loi de santé publique sans engager parallèlement une réforme permettant de financer durablement l’accès aux soins de tous. La réflexion ne devra pas seulement porter sur les sources de financement des dépenses sociales, mais aussi sur l’architecture même de la sécurité sociale. Cette dernière doit être pilotée par la seule autorité légitime pour définir la politique de santé dans notre pays, à savoir la ou le ministre.

À titre personnel, je suis également convaincu qu’il est possible de garantir la prise en charge intégrale des dépenses de santé par l’assurance maladie en procédant à une simplification drastique des structures de remboursement. De fait, dans la mesure où il n’aborde pas la question du financement pérenne des soins, ce texte demeure nécessairement incomplet.

Le présent projet de loi n’en demeure pas moins foisonnant, et je n’ai abordé que quelques-uns de ses nombreux aspects. Aussi, Mmes Catherine Deroche et Élisabeth Doineau, également corapporteurs de la commission des affaires sociales sur ce texte, interviendront au cours de la discussion générale pour évoquer successivement les autres chapitres de ce texte, en particulier celui de la prévention.

Ainsi que l’exposera Mme Doineau, notre commission a pris le parti de ne pas se payer de mots et de supprimer les dispositions déclaratoires, redondantes ou relevant d’autres textes. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est cette même ligne que nous avons suivie – durement, je dois l’avouer – lors de l’examen entamé cet après-midi en commission des amendements soumis à notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, corapporteur.

Mme Catherine Deroche, corapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en matière de prévention – ce vaste sujet qui constitue la première partie de ce texte –, la commission des affaires sociales a adopté nombre des dispositions du projet de loi transmis par l’Assemblée nationale.

L’assouplissement des conditions d’accès à la contraception d’urgence des élèves du second degré, le renforcement de la lutte contre la consommation excessive d’alcool, en particulier chez les plus jeunes, l’information des jeunes adultes sur l’examen de santé gratuit, la signalétique nutritionnelle facultative complémentaire sur les emballages alimentaires ou encore l’encadrement de l’usage des appareils de bronzage artificiel sont autant de mesures qui nous paraissent aller dans le bon sens.

La commission a souhaité préciser l’article 5 quinquies B, relatif à l’information sur les photographies retouchées, afin d’en garantir la clarté et la constitutionnalité.

Elle a en revanche supprimé la création d’un délit pénal d’incitation à la maigreur excessive. Ainsi que l’avait montré dans son rapport notre collègue Patricia Schillinger en 2008, l’anorexie est une pathologie qui ne résulte pas d’une simple incitation, et cet article aboutirait à pénaliser, de manière contreproductive, un symptôme de la maladie.

Plusieurs autres dispositions de ce chapitre nous paraissaient ne pas devoir être maintenues, car elles prétendent, comme l’a souligné le président Milon, faire évoluer les pratiques de manière déclaratoire, sans prévoir de moyens correspondants ni de réelles modifications du droit en vigueur. Dans un souci de bonne législation, la commission a préféré les supprimer, même si les intentions étaient louables.

Le projet de loi comporte 20 articles consacrés à la lutte contre le tabagisme. La commission des affaires sociales en partage très clairement les objectifs. Près de quarante ans après la loi Veil et la création des zones non-fumeurs, la lutte antitabac reste en effet d’actualité.

Je ne reviens pas sur les ravages sanitaires que vous connaissez tous, mais cette question de santé publique tend à se doubler d’une question sociale : alors que le tabagisme recule chez les plus favorisés, il est très élevé chez les personnes à faibles revenus.

Face à ce constat, que faisons-nous ? Il est un levier dont nous connaissons l’efficacité : l’augmentation brutale de la fiscalité, donc des prix. Je rappelle que, en 2003, dans le cadre du premier plan cancer, une augmentation de 40 % des prix du tabac a permis une chute de 32 % de la consommation. Depuis lors, aucun ministre de la santé n’a eu le pouvoir de répéter cette opération. Rappelons-le, au 1er janvier 2015 aucune augmentation n’est intervenue.

C’est pourquoi nous soutenons la disposition, adoptée par l’Assemblée nationale, de cosignature par le ministre de la santé de l’homologation des prix du tabac, tout en étant vigilants sur le marché parallèle.

D’après la dernière étude réalisée pour le compte des industriels, nous savons tous qu’un quart des achats de tabac s’effectue hors du réseau des buralistes. L’administration des douanes confirme cet ordre de grandeur, tout en estimant à 20 %, et non à 5 %, la part des achats transfrontaliers légaux, ce qui change assez fortement la donne sur les priorités. Notre premier combat est donc de parvenir à une harmonisation fiscale au niveau européen, alors même que nos voisins mènent clairement une politique non coopérative.

En ce qui concerne les buralistes, nous devons être clairs sur les principes : nous ne pouvons pas soutenir les buralistes en difficulté en encourageant la consommation de tabac. En revanche, nous devons accompagner résolument l’évolution de cette profession vers la commercialisation d’autres biens et services, en repensant, de façon volontariste, leur place dans les services au public, notamment en zone rurale, où ils souffrent particulièrement.

Nous avons ainsi abordé les articles relatifs au tabac avec détermination, à travers l’interdiction de la publicité résiduelle, du mécénat, des arômes et additifs, de la vente aux mineurs et du tabagisme en voiture, mais aussi avec réalisme, en ce qui concerne les sanctions pénales, la taxation du chiffre d’affaires et l’harmonisation européenne, enfin avec pragmatisme, en ce qui concerne notamment la suppression des wagons vapoteurs dans le RER ou la distance entre les débits de tabac.

De même, un très large consensus s’est établi au sein de notre commission quant à la nécessité d’une harmonisation européenne des avertissements sanitaires présents sur les paquets de cigarettes. Nous pensons qu’elle constitue une étape importante, dans la mesure où certains de nos voisins n’apposent encore aucun avertissement sanitaire.

Cette harmonisation n’exclut pas que notre pays rallie un jour ses partenaires à l’idée du paquet neutre, mais dans le cadre d’une révision de la directive applicable à tous les États membres. Il nous a semblé qu’un engagement isolé de la France en Europe continentale sur ce point était prématuré pour un bénéfice incertain et, de toute façon, difficilement quantifiable pour cette seule mesure.

Le texte comporte par ailleurs d’importantes dispositions relatives, d’une part, à l’action de groupe en matière de santé, et, d’autre part, au régime de l’ouverture des données de santé. Il nous a semblé que la rédaction proposée était parvenue à un équilibre satisfaisant, permettant de garantir un juste milieu entre l’ouverture raisonnée des données de santé, qui était attendue depuis longtemps, et la protection des informations à caractère personnel.

Sur ces deux sujets, nous avons adopté plusieurs amendements d’ordre principalement technique, notamment sur l’initiative de notre collègue André Reichardt, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois, permettant de clarifier, de préciser ou de renforcer les garanties figurant dans le texte. En outre, les dispositions relatives à la démocratie sanitaire ont fait l’objet d’un large accord.

En ce qui concerne le droit à l’oubli, le texte que nous allons examiner impose aux associations de malades, aux représentants des assureurs et aux pouvoirs publics de s’entendre pour permettre aux anciens malades du cancer ou de certaines affections chroniques d’accéder à une assurance-crédit dans les mêmes conditions que les personnes n’ayant pas d’antécédents.

La convention AERAS, c'est-à-dire « S’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé », a ainsi été modifiée le 2 septembre dernier, afin de mettre en œuvre ce dispositif. En juillet dernier, la commission a choisi de s’en tenir au texte qui avait été proposé par le Gouvernement à l’Assemblée nationale, privilégiant ainsi la démarche partenariale. Toutefois, on peut regretter que l’accord trouvé n’aille pas assez loin, et cela fera l’objet de débats en séance.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, telles sont les principales observations de la commission des affaires sociales concernant le volet prévention de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)