compte rendu intégral

Présidence de M. Hervé Marseille

vice-président

Secrétaires :

Mme Valérie Létard,

Mme Catherine Tasca.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 18 juin 2015 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi relatif au droit des étrangers en France, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 23 juillet 2014.

3

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe Les Républicains a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Jean-René Lecerf, démissionnaire de son mandat de sénateur.

Cette candidature a été publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

4

Renvoi pour avis unique

M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense (n° 494, 2014-2015), dont la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est saisie au fond, est envoyé pour avis, à sa demande, à la commission des finances.

5

 
Dossier législatif : projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi
Discussion générale (suite)

Dialogue social et emploi

Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au dialogue social et à l’emploi (projet n° 476, texte de la commission n° 502, rapport n° 501, avis nos 490 et 493).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi
Question préalable

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, madame la rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, il m’est agréable de me trouver devant vous pour vous présenter le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi. Ma collègue Marisol Touraine abordera, dans quelques instants, les dispositions de ce texte qui se rapportent à la création de la prime d’activité ; je traiterai donc de ses autres aspects.

Ce projet de loi répond à deux exigences : il vise, sur le plan de la démocratie, à développer notre démocratie sociale et, sur le plan de l’efficacité économique, à instaurer un cadre favorable à l’emploi. Il comporte à mon sens de vrais progrès sociaux, tant pour les salariés que pour les employeurs.

Le premier de ces progrès consiste en un dialogue social revivifié et plus vivant.

« Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. » Tel est le principe, énoncé dans le préambule de la Constitution de 1946, qui fonde notre démocratie sociale, c’est-à-dire la participation des salariés aux décisions touchant à leur emploi, à leurs conditions de travail et à leur formation.

S’il est source de justice sociale – de fait, les études prouvent qu’un dialogue social plus performant améliore considérablement la qualité de vie au travail pour les salariés –, ce principe est aussi un facteur d’efficacité économique : en effet, ce sont la coopération, l’engagement, le travail en équipe et l’amélioration des compétences qui fondent la compétitivité d’une entreprise.

C’est pourquoi j’ai proposé aux partenaires sociaux, au mois de juillet dernier, d’examiner la question de l’efficacité du dialogue social dans l’entreprise. Vous le savez, leurs discussions n’ont malheureusement pas abouti à la conclusion d’un accord. Reste que les parties ont toutes affirmé la nécessité de moderniser le dialogue social et que de nombreux sujets de consensus ont pu être dégagés au cours des négociations.

Le Gouvernement a donc légitimement repris la main, toujours avec le souci de trouver un point d’équilibre entre les positions des représentants des salariés et des chefs d’entreprise. Dans cette perspective, j’ai mené de nombreuses consultations avant de présenter le présent projet de loi, qui me paraît être un texte d’équilibre ; s’il n’est pas le fruit d’un accord des partenaires sociaux, il respecte les principaux acquis des négociations.

Pour renforcer le dialogue social, j’ai souhaité agir dans trois directions.

D’abord, j’ai entendu mettre en place une représentation universelle des salariés, adaptée, bien sûr, à la taille des entreprises.

De ce point de vue, j’ai dressé un constat simple : une grande partie des salariés des petites et moyennes entreprises sont aujourd’hui exclus du dialogue social. J’ai voulu remédier à cette situation en offrant une représentation de qualité aux 4,6 millions de salariés des très petites entreprises, les TPE. Cette grande avancée prendra la forme de commissions paritaires régionales, composées à la fois d’employés et d’employeurs issus des TPE. Ces instances ont été conçues comme des lieux de dialogue, de conseils et de médiation ; en permettant de vrais échanges, elles seront utiles aux TPE de notre pays. D’ailleurs, l’instauration de telles structures avait été proposée par les organisations patronales dans la dernière ligne droite des négociations, à la lumière des expériences menées avec succès depuis des années, notamment dans le secteur de l’artisanat.

J’ai également dressé le constat que les institutions représentatives du personnel devaient incontestablement être mieux adaptées aux spécificités des entreprises. C’est pourquoi je propose, outre la mise en place des commissions dont je viens de parler qui intéressent les TPE, une délégation unique du personnel élargie pour les entreprises comptant jusqu’à trois cents salariés. Quant aux entreprises de plus de trois cents salariés, elles pourront, par un accord majoritaire, c’est-à-dire signé par les syndicats totalisant au moins 50 % des voix aux élections professionnelles, regrouper les instances.

Ensuite, j’ai souhaité encourager l’engagement au cœur des entreprises.

Chacun, quelle que soit sa sensibilité, constate que, en France, trop peu de personnes font le choix de l’engagement syndical, qui est pourtant un formidable moyen de participer à la vie de son entreprise, d’exercer des responsabilités et de gagner en compétences. Pour susciter des vocations, j’entends reconnaître et valoriser l’engagement de ceux qui font vivre le dialogue social dans l’entreprise.

Ainsi, parce que l’engagement au service des autres salariés ne saurait être un frein à son propre parcours professionnel, le projet de loi prévoit, au bénéfice des salariés exerçant un mandat lourd, une garantie de maintien de salaire et un entretien de fin de mandat destiné à mieux anticiper la suite de la carrière, ainsi que, pour tous les titulaires de mandat, un système de valorisation des compétences acquises dans l’exercice de leurs fonctions syndicales. Nous espérons que ces mesures inciteront davantage de salariés, notamment de jeunes salariés, à choisir de s’engager au sein de leur entreprise.

Favoriser l’engagement au sein de l’entreprise, c’est aussi agir en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Or, texte de progrès social, ce projet de loi est également un texte de progrès pour les femmes.

Faire progresser l’égalité professionnelle au sein des entreprises est l’une des priorités du Gouvernement depuis 2012. Dans cet esprit, le projet de loi instaure une exigence de représentation équilibrée, voire de parité, dans les institutions représentatives du personnel et les conseils d’administration des entreprises. En particulier, il prévoit l’obligation d’une composition équilibrée des listes électorales lors des élections professionnelles et une représentation paritaire des salariés au sein des conseils d’administration et des commissions régionales paritaires. Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà de grandes avancées, concrètes, pour une meilleure reconnaissance de la place de la femme dans les entreprises !

Enfin, j’ai voulu rendre le dialogue social dans les entreprises plus vivant, plus performant et plus efficace.

Parmi les sujets sur lesquels j’ai indiqué que les négociations avaient fait émerger un consensus figure le constat que le formalisme des obligations de consulter et de négocier nuit, à n’en pas douter, au dialogue social. Il faut donc faire en sorte que le cadre de ces discussions soit propice à l’efficacité et qu’il permette aux salariés de peser réellement et de manière constructive sur les orientations stratégiques de l’entreprise.

Il convient ainsi de regrouper les obligations de consulter et de négocier. C’est pourquoi le projet de loi prévoit de remplacer les dix-sept obligations d’information et de consultation actuelles par trois consultations annuelles, et les douze obligations par trois blocs de négociation cohérents. Bien entendu, cette réforme s’accompagnera d’une plus grande latitude accordée aux partenaires sociaux pour organiser, dans l’entreprise, l’agenda social. De plus, le fonctionnement des réunions sera simplifié : les rôles respectifs des différences instances seront clarifiés et il sera possible de tenir des réunions communes à plusieurs instances, ainsi que de recourir, si nécessaire, à des moyens comme la visioconférence.

Donner plus de sens, recentrer les réunions sur les enjeux clés, mieux articuler les négociations : voilà de vraies innovations.

Le deuxième progrès social consiste à proposer une meilleure prise en compte des questions de santé.

À ce sujet, l’accord national interprofessionnel de 2013, dont je rappelle l’importance, identifie la qualité de vie au travail comme étant un facteur non seulement de meilleure santé des travailleurs, mais aussi, et cela va de pair, de performance des entreprises. Il faut restaurer des espaces de dialogue consacrés au travail et agir sur la santé au travail pour prévenir la désinsertion professionnelle.

Mon action est orientée vers la prévention, et je voudrais sur ce point saluer le formidable travail réalisé par les partenaires sociaux pour ce qui concerne la préparation du troisième plan Santé au travail. Je souligne d’ailleurs qu’il est rare d’arriver à un tel consensus pour mettre la prévention au cœur des orientations. Je souhaite que cet esprit prévale également au cours des débats dans les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, CHSCT, que ce projet de loi propose de généraliser dans les entreprises de plus de cinquante salariés.

La prise en compte de la pénibilité est justement un encouragement à favoriser la prévention et à réduire les expositions liées à l’exercice de certains métiers. De ce point de vue, le compte pénibilité constitue un nouveau droit pour les salariés ; il se traduit d’abord par un droit à la formation et une incitation à l’amélioration des processus de production pour résorber autant que faire se peut les causes de pénibilité. Le Gouvernement a souhaité en faciliter la mise en œuvre, et j’ai proposé en ce sens des amendements importants à l’Assemblée nationale. Je suis convaincu qu’un droit effectif pour les salariés est un droit simple et compréhensible dans sa mise en œuvre.

Le travail parlementaire a aussi permis d’avancer sur la question du burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel, fait de société que l’on ne peut masquer. À ce sujet, je souhaite saluer le travail de diffusion des bonnes pratiques de prévention, à travers un guide spécialement conçu à cet effet, qui a reçu un accueil favorable des partenaires sociaux. La prévention doit constituer notre priorité.

Enfin, à la suite à la mission que Mme Touraine et moi-même avons confiée au député M. Michel Issindou, plusieurs dispositions de ce projet de loi visent à redonner de la lisibilité et de l’efficacité à la médecine du travail.

Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, santé et travail sont pleinement au cœur du présent texte.

Le troisième progrès social consiste à proposer de nouvelles avancées pour la sécurisation des parcours professionnels et la création d’emplois.

De ce point de vue, l’instauration du compte personnel d’activité marque la volonté du Gouvernement de sécuriser les parcours des salariés. Depuis 2012, nous avons mis en place de nouveaux outils en ce sens : le compte personnel de formation, le compte personnel de prévention de la pénibilité, la généralisation à venir de la complémentaire santé et le portage de la prévoyance. Le nouveau défi est de protéger le salarié dans sa trajectoire, c’est-à-dire d’attacher les droits à la personne, et non plus seulement au contrat de travail, de faire en sorte qu’ils la suivent quels que soient les changements intervenant au cours de sa vie professionnelle.

Pour répondre à cet objectif ambitieux, le Président de la République a annoncé la création du compte personnel d’activité, qui sera en quelque sorte le capital des travailleurs. Ce compte concentrera tous les droits individuels des salariés, notamment les droits à la formation, le compte épargne-temps et le compte pénibilité, pour qu’ils soient ainsi réunis. Au-delà de l’accès aux droits, le compte personnel d’activité devra permettre de rendre les droits entièrement portables, quelle que soit l’évolution de la situation professionnelle de l’individu, comme le changement d’employeur ou le chômage.

Par ailleurs, est réaffirmé dans le projet de loi le rôle de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi. L’AFPA est, je le rappelle, un acteur majeur de la formation et de l’insertion professionnelle. Depuis la reconstruction de l’après-guerre qu’elle a accompagnée, elle fait partie du patrimoine économique et social de notre pays. Certes, elle est un organisme de formation dans le champ concurrentiel, mais elle est aussi un opérateur du service public de l’emploi.

Dans cet esprit, avec les partenaires sociaux, les régions et mes collègues chargés de l’économie et des finances, nous avons travaillé afin de dégager des solutions durables quant aux missions et au statut de l’AFPA. Ces solutions marquent l’engagement de l’État pour la pérennisation de cette association et la volonté de conforter les missions de service public de cette dernière qui sont précisées dans le cadre, bien sûr, des règles nationales et communautaires de la concurrence.

Enfin, le projet de loi est l’occasion de mettre en place plusieurs dispositifs favorisant la création d’emplois.

En effet, il comporte de nouveaux outils d’accompagnement des demandeurs d’emploi de longue durée. Ce dernier point correspond à l’un de mes combats au ministère, car nous savons bien que lorsque la conjoncture économique devient plus favorable, les personnes qui sont depuis longtemps au chômage ont plus de mal à retrouver un emploi.

En outre, je présenterai des amendements visant à concrétiser la volonté du Gouvernement de faciliter la création d’emplois dans les TPE. Nous le savons tous, les TPE et les PME de notre pays constituent un gisement d’emplois et de croissance. C’est pourquoi le Gouvernement a lancé le plan Tout pour l’emploi, dont deux des dix-huit mesures présentées par le Premier ministre dernièrement constituent l’objet d’amendements déposés au présent projet de loi.

La première mesure concerne l’apprentissage. Elle porte la durée de la période pendant laquelle le contrat peut être rompu unilatéralement à deux mois de présence effective de l’apprenti dans l’entreprise. Ce laps de temps est nécessaire pour qu’une relation de confiance réciproque puisse s’établir entre l’employeur et l’apprenti et permettra aux deux parties de s’assurer de la pertinence de leur engagement.

La seconde mesure concerne le renouvellement des contrats à durée déterminée, ou CDD, et des contrats d’intérim. En effet, dans un contexte de reprise économique, les entreprises peuvent éprouver le besoin de renouveler de tels contrats le temps que leur carnet de commande se consolide. Actuellement, ces contrats ne peuvent être renouvelés qu’une seule fois, y compris lorsque l’employeur et le salarié ne sont pas allés au bout de la durée maximale cumulée prévue par le code du travail. L’amendement qui vous sera présenté, mesdames, messieurs les sénateurs, vise donc à permettre à un travailleur en contrat de courte durée de travailler plus longtemps et par conséquent à autoriser deux fois le renouvellement des CDD ou des contrats d’intérim sans que la durée totale des trois contrats puisse dépasser dix-huit mois, comme la loi le prévoit aujourd’hui.

Toutes ces mesures complètent la mobilisation du Gouvernement en faveur de la création d’emplois.

Le quatrième et dernier progrès social consiste à conforter et à réaffirmer la spécificité du statut des intermittents du spectacle.

À chaque renégociation du régime d’assurance chômage, les annexes 8 et 10, spécifiques aux intermittents du spectacle, sont débattues et remises en cause. Il en résulte des crises successives, de l’inquiétude et de l’insécurité pour les professionnels concernés. Ces règles particulières visent pourtant à prendre en compte la discontinuité de carrière particulière aux artistes et aux professionnels de la création. C’est pourquoi le projet de loi prévoit d’inscrire dans le code du travail l’existence de ces règles spécifiques d’indemnisation. Cette inscription au plan législatif est un signal de confiance très attendu par les centaines de milliers de salariés du milieu du spectacle.

À travers ce projet de loi, il est aussi proposé d’améliorer la méthode de négociation, en permettant aux partenaires sociaux représentatifs du secteur du spectacle de négocier ces règles spécifiques, dans un cadre défini à l’échelon interprofessionnel. Ces avancées n’auraient pas été permises sans le travail, que je salue, accompli par Hortense Archambault, Jean-Denis Combrexelle et Jean-Patrick Gille dans le cadre de la mission qui leur a été confiée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sur l’ensemble de ces volets, les débats en commission ont fait évoluer le projet de loi. Je tiens à saluer le travail constructif qui a été mené et les membres de la commission qui se sont impliqués dans les discussions. Néanmoins, certains ajouts et certaines suppressions ont, à mon avis, considérablement transformé l’équilibre du texte.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Ça commence mal !

M. François Rebsamen, ministre. Or vous connaissez ma méthode : je suis attaché au respect des positions tant des représentants des salariés que des employeurs. Aussi, je présenterai des amendements visant à rétablir des points essentiels du projet de loi que j’ai proposé et à revenir à ce que je considère être l’équilibre de ce texte. J’ai défendu d’ailleurs la même position à l’Assemblée nationale. Ces amendements seront l’occasion de débats de fond, afin que l’examen de ce projet de loi par la Haute Assemblée soit le plus constructif possible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le président, madame la rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’aborder la prime d’activité, j’indiquerai en quoi ce dispositif s’inscrit dans l’action que le Gouvernement mène pour la rénovation de la protection sociale.

Le soixante-dixième anniversaire de la sécurité sociale – nous aurons l’occasion d’en reparler, même si celui-ci sera principalement célébré en dehors des hémicycles – sera l’occasion non seulement de rappeler l’attachement des Français à cet instrument de solidarité, mais aussi de montrer en quoi la sécurité sociale est non pas simplement une vieille dame alerte, mais profondément en phase avec les enjeux de la présente période.

La force de notre protection sociale est d’avoir toujours su s’adapter aux nouveaux défis auxquels doivent faire face nos concitoyens. En effet, protéger les Français eu égard aux risques auxquels ils sont exposés suppose de prendre en considération l’évolution de ceux-ci et de ne pas ignorer les changements de notre environnement. Cette nécessité est d’autant plus vraie compte tenu de la période actuelle, puisque la France de 2015 connaît encore les effets de la crise, même si les moteurs de son économie redémarrent.

La France, frappée en son cœur par le terrorisme, a refusé de céder aux sirènes de la division. Même si elle doute parfois, elle sait se rassembler pour aller de l’avant. Dans cette France qui se remet en mouvement, notre sécurité sociale est porteuse d’espoir, puisqu’elle est l’incarnation quotidienne des valeurs de la République.

Depuis maintenant trois ans, nous agissons pour adapter la sécurité sociale aux besoins de tous, et telle est bien la finalité de la mise en place de la prime d’activité, figurant au titre IV du présent projet de loi. Afin de mieux valoriser le travail, il faut proposer à nos concitoyens un dispositif qui réponde à leurs préoccupations.

Cependant, et je le dis d’emblée, il ne s’agit pas d’entrer dans un débat qui conduirait à opposer les Français les uns aux autres ou de « surfer » sur la rengaine de l’assistanat, que l’on entend trop souvent par les temps qui courent, car les Français veulent travailler, ils veulent que leur travail leur permette de vivre dignement.

Cela étant, reprendre un emploi, passer du temps partiel au temps plein permet, certes, d’avoir des revenus supplémentaires, objectif recherché et élément positif, mais cela peut aussi représenter des coûts supplémentaires, parfois importants, tels que les nouveaux frais de déplacement, d’équipement ou de garde d’enfant, ce au moment même où les aides sociales diminuent de manière logique, car elles doivent bénéficier à nos concitoyens les plus pauvres.

Lors de la reprise d’une activité, un certain nombre de Français ont parfois le sentiment que le travail ne rapporte pas ce qu’ils en espéraient en termes de valorisation et de revenus. C’est pourquoi nous avons l’ambition, avec la prime d’activité, de garantir que le travail soit toujours valorisé, en accompagnant en particulier ceux qui ne percevront plus le revenu de solidarité active, ou RSA, car ils reprennent un emploi ou en soutenant ceux qui, travaillant à temps partiel, augmentent la durée de leur travail parfois jusqu’à un temps plein.

Les dispositifs qui existent aujourd’hui à cet égard – le RSA activité et la prime pour l’emploi – fonctionnent mal. La prime pour l’emploi est perçue un an après par des salariés qui ne savent pas toujours pour quelle raison et qui ne l’ont pas forcément identifiée. Le décalage d’une année empêche d’ailleurs d’établir le lien entre l’activité à un moment donné et la perception de la prime. Quant au RSA activité, il n’est demandé que par moins d’un tiers de ceux qui pourraient y prétendre, et son appellation même entraîne une confusion entre soutien au travail et lutte contre la pauvreté.

Le présent texte prévoit donc de supprimer la prime pour l’emploi et le RSA activité, et les sommes qui étaient allouées à ces deux mécanismes seront dédiées au financement de la nouvelle prime d’activité.

Le dispositif proposé s’adresse à ceux qui ont parfois le sentiment de donner sans recevoir beaucoup, à ceux qui, comme nous l’entendons parfois exprimer, ont le sentiment de ne pas « cocher les bonnes cases » : d’un côté, leurs revenus étant trop élevés, ils ne peuvent prétendre aux aides sociales, logiquement et nécessairement ciblées en direction des ménages les plus pauvres ; de l’autre, ne gagnant pas assez pour être imposables, ils ne sont pas concernés par les allégements de l’impôt sur le revenu. Ce mécanisme a été pensé et organisé pour eux. Ce sont nos concitoyens qui perçoivent entre 900 euros et 1 300 euros par mois qui auront le gain de pouvoir d’achat le plus important par rapport à ce qui existe aujourd’hui.

J’y insiste, la prime d’activité n’est pas un dispositif de lutte contre la pauvreté. Des mesures ont déjà été prises à cette fin – d’autres seront envisagées –, qu’il s’agisse de la revalorisation exceptionnelle de 10 % du RSA socle en faveur de ceux qui n’ont aucune activité d’ici à la fin du quinquennat, de la revalorisation de 25 % à 50 % de certaines allocations familiales versées aux ménages pauvres, ou encore d’autres dispositifs qui concernent l’éducation, le logement ou le travail.

Cette prime vise en réalité à accompagner la reprise d’une activité ou l’augmentation du temps de travail du salarié. Par conséquent, cette prestation est principalement individuelle – j’y insiste également –, même si elle tient compte de la situation familiale de la personne concernée. Aujourd’hui, les parents dont l’activité est réduite ou qui perçoivent le RSA bénéficient d’une revalorisation de leur allocation. Refuser de considérer la situation familiale en l’espèce reviendrait à pénaliser les parents, en particulier les parents isolés. Concrètement, une mère seule ayant un enfant à charge touchera, si elle travaille à temps plein et perçoit le SMIC, 290 euros supplémentaires par mois, alors qu’une personne seule sans enfant mais percevant des revenus identiques verra sa prime d’activité avoisiner les 130 euros par mois.

Aider les familles monoparentales, notamment les mères seules, à reprendre le travail ou à augmenter leur temps d’activité et à concilier vie professionnelle et vie familiale fait aussi partie des engagements du Gouvernement.

La prime d’activité traduit enfin notre engagement en faveur de la jeunesse. Actuellement, seuls 5 000 jeunes bénéficient du RSA activité. Cette prime constitue donc un droit nouveau pour les jeunes actifs, puisqu’ils pourront y prétendre dans les mêmes conditions que tous les autres salariés actifs. L’âge ne sera plus un facteur discriminant : c’est le travail qui représentera la porte d’entrée à l’obtention de la prime d’activité, quel que soit l’âge du salarié de plus de dix-huit ans.

Environ un million de jeunes pourront demain être accompagnés par cette prime, y compris certains étudiants et apprentis dont le temps d’activité est suffisamment important pour qu’ils puissent être considérés plus comme des actifs étudiants que comme des étudiants ayant une activité.

Avec cette réforme, nous démontrons que la protection sociale contribue bien à reconnaître des droits au travail.

Certains estiment, je l’indiquais tout à l’heure, que la protection sociale « flirte » – pardonnez-moi cette expression – avec l’assistanat. Au contraire, il s’agit de renforcer les liens existants entre l’activité et la protection face aux risques de notre environnement.

Tel est aussi le sens d’autres mesures figurant dans le présent texte.

Je me contenterai maintenant pour ma part de souligner l’importance des dispositions prises afin de préciser les contours du compte pénibilité qui représente une avancée sociale majeure, en ce qu’il permet aux salariés exposés à des conditions de travail pénibles, dont l’espérance de vivre en bonne santé est plus courte que celle des autres, de partir à la retraite avant ces derniers. C’est ce que l’on appelle la justice : permettre à des hommes et à des femmes se trouvant dans des situations plus exposées de pouvoir bénéficier d’un départ à la retraite anticipé.

Je le rappelle, le dispositif est déjà entré en vigueur, contrairement à ce que certains croient parfois : dès cette année, 1 million de salariés seront couverts par le compte pénibilité ; l’an prochain ce nombre passera à 3 millions, lorsque les dix facteurs identifiés pourront être pris en considération.

Grâce aux mesures de simplification proposées dans ce projet de loi, la mise en œuvre du dispositif par les entreprises à l’égard de leurs salariés les plus exposés sera facilitée, et je m’en réjouis.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons besoin d’une protection sociale innovante, dynamique, modernisée, afin de répondre aux attentes de nos concitoyens.

La prime d’activité représente en ce sens une avancée majeure pour celles et ceux qui travaillent mais perçoivent des revenus modestes, situés entre 0,5 SMIC et 1,3 SMIC environ, c’est-à-dire entre à peu près 700 euros et 1 350 euros par mois ; elle sera particulièrement concentrée autour des revenus de l’ordre de 900 euros à 1 300 euros.

L’examen de ce texte par la commission des affaires sociales a montré que le dispositif lui-même rassemble très largement. C’est donc collectivement que nous pouvons nous adresser à nos concitoyens qui pourront en bénéficier. Nous leur garantissons qu’ils pourront eux aussi, quels que soient les secteurs dans lesquels ils travaillent, compter sur la solidarité collective. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)