M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le moins qu’on puisse dire est que le prochain Conseil européen ne dérogera pas à la tradition ! Les chefs d’État et de gouvernement n’auront que deux petites journées pour tenter d’abattre un ordre du jour toujours plus long et composite.

Quand on survole le programme d’ores et déjà annoncé, auquel s’ajouteront en urgence quelques sujets majeurs d’actualité, on peut se demander quels points seront sérieusement débattus et feront l’objet de véritables avancées.

Au regard de cet ordre du jour en forme de liste à la Prévert, comment peut-on espérer aboutir à des conclusions audibles et à un message politique suffisamment clair ?

Au cours de ces dernières années, l’Union européenne a pris la fâcheuse habitude d’ultra-sectoriser son travail, multipliant ainsi à outrance les chantiers de réforme. Elle arrive désormais à un point de rupture : le morcellement des dossiers a pris le pas sur la cohérence du projet européen. Cette absence de vision globale des enjeux empêche de traiter ceux-ci avec justesse. Car, aux divergences parfois fortes exprimées par les différents États membres, s’ajoutent de plus en plus des divergences de vue et d’approche assez singulières entre les nombreuses directions générales de la Commission européenne sur des questions pourtant fortement liées entre elles.

Une telle divergence d’orientation intracommunautaire s’illustre parfaitement dans deux domaines : celui de la politique européenne du numérique, qui est inscrite à l’ordre du jour du Conseil européen, et celui de la stratégie arctique de l’Union européenne, qui figurera à l’ordre du jour d’un sommet organisé à la fin de cette année.

Permettez-moi d’évoquer d’abord la politique européenne en matière de numérique.

Le 9 mai dernier, la Commission européenne a dévoilé sa stratégie pour mettre en place un marché unique du numérique en Europe, afin, notamment, d’harmoniser la réglementation, d’améliorer l’accès aux biens et services numériques ou encore de maximiser le potentiel de croissance de notre économie numérique. Au total, ce ne sont pas moins de seize textes législatifs qui devront être adoptés d’ici à la fin de l’année 2016, selon la Commission européenne. Même si l’on peut douter du calendrier, il s’agit indubitablement d’une avancée, car les textes actuels sont insuffisants ou obsolètes.

De plus, la Commission européenne commence à se préoccuper sérieusement de la fiscalité des grandes entreprises du numérique. Enfin ! Le chemin est encore long. Il s’agirait d’une fiscalité fondée sur des éléments rattachables à un territoire.

Il est louable de vouloir enfin freiner l’optimisation fiscale pratiquée en matière d’économie numérique, tout comme il est judicieux de vouloir harmoniser les règles applicables. Cependant, cela ne reviendrait-il pas, une fois encore, à considérer l’Union européenne uniquement sous le prisme d’un marché de consommation, et non pas comme un territoire de production, de création d’emplois et de croissance ?

Au cœur de cette stratégie numérique, il y a, en vérité, deux sujets urgents.

Le premier concerne les moyens à déployer pour établir une industrie numérique et européenne solide, qui est aujourd'hui encore naissante. Actuellement, les règles fixées en matière de concurrence empêchent toujours nos États de jouer un rôle incitatif dans ces filières. Comment promouvoir une industrie numérique si celle-ci n’est pas soutenue par les États membres ?

Penser l’Europe du numérique comme un simple débouché économique, et non pas comme un secteur d’activité d’avenir serait une erreur pour l’Union européenne. Le retard que nous avons à rattraper est grand, mais il n’est pas insurmontable, si l’on y consacre toute l’énergie et la cohérence nécessaires.

Alors que se négocient au même moment des accords commerciaux, la question sensible du numérique semble être éludée. Dans le cadre du Transatlantic Free Trade Area, le TAFTA, la Commission européenne déclare haut et fort que ce volet n’est pas inclus dans les négociations. Pourtant, cela ne rassure ni le Parlement européen ni le Conseil national du numérique.

Par ailleurs, des inquiétudes croissantes s’expriment à propos de l’accord sur le commerce des services, en cours de discussion entre vingt-trois membres de l’Organisation mondiale du commerce, dont l’Union européenne et les États-Unis. En effet, ces derniers souhaitent y intégrer le commerce électronique, ce qui constituerait en réalité une porte ouverte à l’introduction d’un volet numérique déséquilibré pour les Européens.

J’en viens maintenant à un autre sujet urgent : la sécurité informatique.

La cybersécurité est au cœur tant du contre-terrorisme que de l’élaboration d’une politique numérique ambitieuse et offensive. Il faut donc trouver une cohérence entre la sécurité intérieure et informatique et le souci de dynamiser le rôle de l’Union européenne dans le domaine du développement des données en nuage et des objets connectés. Or la multiplication récente des cyberattaques a montré la vulnérabilité de nos systèmes d’information et les limites de nos moyens en matière de protection.

Récemment, une étude présentée au Forum économique mondial de Davos montre que, si l’on ne s’arme pas suffisamment contre les cyberattaques, celles-ci pourraient entraîner une perte pouvant atteindre 2 700 milliards d’euros d’ici à 2020. Dès lors, il apparaît vital de développer une véritable culture de la cybersécurité. Ainsi, la déconnexion injustifiée entre les différentes dimensions du numérique au sein des politiques européennes et le goût perpétuel pour l’urgence renforcent l’incohérence et l’absence de vision globale des enjeux.

Toujours à propos de l’absence de cohérence des politiques développées par la Commission européenne, permettez-moi d’évoquer rapidement ici la politique arctique de l’Union européenne.

Comme vous le savez, l’Union européenne devra, à la fin de l’année et parallèlement à la COP 21, définir sa feuille de route pour cette région de plus en plus stratégique qu’est l’Arctique. En effet, si l’Union européenne conduit déjà une politique de voisinage à l’égard de ses confins orientaux et méridionaux et, d’une certaine manière, avec nos voisins nord-américains au travers de traités commerciaux en cours de négociation, elle pèche encore par un manque de véritable politique à l’endroit des pays situés au nord, même si elle compte en son sein trois des huit pays arctiques de la planète.

L’Arctique est une région où les enjeux climatiques et environnementaux, mais aussi géostratégiques sont considérables. Le lien à établir avec nos politiques en matière de climat et d’environnement, notamment dans la perspective de la COP 21, semble évident : le réchauffement climatique y est deux fois et demie plus rapide et plus élevé que sur le reste de la planète. C’est d’ailleurs le sens de la résolution adoptée au printemps dernier par le Parlement européen et des conclusions du Conseil européen, qui s’est tenu peu de temps après. Cette instance a chargé la Commission européenne et le service européen pour l’action extérieure de préparer la feuille de route européenne pour cette région.

Les positions contenues dans ces deux textes sont d’ailleurs de nature très raisonnable et équilibrée : tout en visant à préserver l’environnement arctique, elles ne nient pas les aspirations des populations arctiques à un renforcement de leur économie, en préconisant une approche liée au développement durable.

Toutefois, pour m’être fortement impliqué dans les travaux préparatoires conduits depuis la fin de l’année 2014 par la direction générale des affaires maritimes et de la pêche au sein de la Commission européenne, chargée de ce dossier, j’observe une dérive inquiétante des objectifs préalables vers une volonté de faire financer, surtout et d’abord, par l’Union européenne des projets dont les maîtres mots sont « croissance », « compétitivité », « infrastructures », « partenariat public-privé, » « effet de levier », le tout dans une région où les appétits spéculatifs pour les ressources fossiles sont déjà excessifs.

Bref, au lieu de tenter de rendre notre politique arctique cohérente avec nos objectifs climatiques et environnementaux, j’ai bien peur que la direction générale des affaires maritimes et de la pêche vise à ne faire de celle-ci qu’un succédané, ici totalement inapproprié, du plan Juncker.

Pour clore mon intervention, je voudrais savoir si, à l’instar de nombre de parlementaires nationaux et européens de tout bord politique, le Gouvernement a conscience de ces dérives et des incohérences politiques qui se multiplient au sein des instances européennes. Entend-il agir de concert avec nos autres partenaires pour y remédier ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, et du RDSE. – M. le président de la commission des affaires européennes et Mme Sylvie Goy-Chavent applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, on ne peut que se satisfaire que notre Haute Assemblée ait consacré en l’espace d’une semaine deux débats aux affaires européennes. C’est suffisamment rare pour être souligné. Aujourd’hui, nous débattons des points qui seront évoqués lors du prochain Conseil européen.

Compte tenu de l’actualité, on ne saurait faire abstraction – plusieurs de mes collègues l’ont évoqué – de la question des flux migratoires qui concernent l’Europe et, donc, notre pays. C’est un drame humain qui se déroule sous nos yeux ; la mer Méditerranée est transformée en un vaste cimetière. La décision de l’Union européenne de mettre fin au dispositif italien Mare Nostrum – les bateaux allaient jusqu’à l’approche des côtes africaines –, en activant deux simples dispositifs en matière de surveillance des côtes européennes – il s'agit de Triton en Italie et de Poséidon en Grèce, des opérations menées par l’agence FRONTEX – a donné l’illusion que le renforcement des mesures de sécurité était la solution. Or, en dix ans, plus de 22 000 personnes ont perdu la vie, noyées sur des bateaux de fortune.

L’Union européenne ne peut pas continuer d’ignorer ces enfants, ces hommes et ces femmes qui essaient de sauver leur vie, en échappant, pour certains, à la guerre, pour d’autres, aux persécutions, aux crises économiques ou encore aux conséquences du réchauffement climatique, leurs conditions de vie désastreuses étant souvent dues directement ou indirectement à des politiques dont l’Union européenne porte parfois la responsabilité.

La priorité des priorités de l’Europe doit d’abord être de sauver les vies. Il est indispensable de revaloriser les structures et les moyens de recherche, de sauvetage et d’accueil en Méditerranée. L’Union européenne doit aussi redéfinir sa politique des visas dans le respect des droits de l’homme, de la femme et de l’enfant. Elle doit être solidaire des pays méditerranéens de premier asile et garantir la juste répartition des charges en matière d’aide économique et d’accueil. C’est pourquoi nous préconisons pour notre part l’abrogation des règlements de Dublin.

Il faut garantir une entrée sécurisée et légale à tous les réfugiés et migrants, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui. Les conditions d’accueil des réfugiés sont véritablement indignes de l’Union européenne et de l’esprit qui sous-tend cette union.

La tragédie qui se déroule en Méditerranée est évidemment une tragédie internationale, qui nécessite une réelle mobilisation – pourquoi pas de l’ONU ? – et un véritable engagement des pays membres de l’Union européenne; cela passerait par un changement de politique envers les pays de la Méditerranée.

En 2015, il est plus que temps d’inventer une véritable politique de coopération et de développement. Les pays développés n’ont respecté aucun des engagements pris pour porter à 0,7 % du PIB la part de la coopération et de l’aide au développement. La part de la France est de 0,36 %, et l'on note un recul de 16 % pour l’ensemble des pays bailleurs de fonds !

L’ONU, en tant que cadre multilatéral de décision et d’action, doit être le cœur du processus de résolution de la catastrophe en cours. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit appuyer les actions du secrétaire général et de ses émissaires en vue de parvenir à un règlement pacifique des conflits actuels. Au sein de cet organe, il est impératif de poser clairement le débat quant aux mesures de solidarité réelles qui doivent être mises en place pour réduire les inégalités sociales et économiques, qui explosent. C’est un nouveau plan mondial, avec des objectifs précis, qui doit être mis en œuvre. Il faut des moyens nouveaux et substantiels.

Dans ce cadre, nous demandons que la France, par le biais de sa politique extérieure et européenne, joue un rôle d’impulsion et de conviction. Notre pays doit changer sa politique d’accueil des migrants. À l’instar des autres pays européens, il doit prendre sa part dans la prise en charge des migrants de manière digne et suivie, à l’inverse de ce qu’il fait actuellement à Calais ou, plus récemment, à Paris. La France n’est jamais si grande que lorsqu’elle promeut ses valeurs républicaines !

Nous avons déjà eu ici l’occasion de nous exprimer sur les choix économiques et financiers de l’Union européenne. Toutefois, même si le sujet de la COP 21 ne sera pas directement abordé lors de ce Conseil européen, permettez-moi de faire une digression, car les recommandations à adresser aux États membres pour mener leurs réformes structurelles y seront évoquées.

Je tiens à le faire remarquer, les enjeux environnementaux sont, malheureusement, largement contrariés par la politique d’austérité accrue et le véritable manque de moyens et d’ambitions. Certes, la déclaration finale du G7 traite bien des enjeux du climat dans la perspective de la conférence Paris Climat 2015, mais elle recèle bien peu d’engagements concrets. Les représentants du G7 pensent le monde, mais prennent en général peu d’engagements pour ce qui les concerne alors même qu’ils sont, pour l’essentiel, responsables des émissions de gaz à effet de serre.

S’engager à réduire, à l’horizon de 2050, de 40 % à 70 % les émissions par rapport à 2010, c’est le minimum évalué par le GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Dans ces conditions, le risque de dépasser les deux degrés est envisagé.

Une nouvelle fois, la promesse de doter le Fonds vert pour le climat à hauteur de 100 milliards de dollars est énoncée, mais le doute subsiste quant à la date à laquelle cette mesure prendra effet. Pourtant, l’échéance avait été fixée à 2020 lors du sommet de Copenhague.

Les dirigeants – et ce n’est pas étonnant ! – en appellent à la finance, au secteur privé et aux assurances, des secteurs qui acceptent de payer s’ils obtiennent un bon retour sur investissement. Nous sommes bien loin d’une vision solidaire du développement durable à l’échelle de la planète. Il n’est pas sûr que cette déclaration modifie le contenu et le rythme des négociations préparatoires à la COP 21. D’ailleurs, au terme d’une dizaine de jours de négociations à Bonn, les délégués européens expriment une certaine frustration face à la lenteur des progrès. Pour qu’il en soit autrement, il est impératif que les pays membres s’engagent concrètement, sans tarder et de manière exemplaire sur les deux volets de leur feuille de route.

Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous assurer que le gouvernement français s’engage à porter ses ambitions au sein de l’Union européenne et que cette dernière sera, elle aussi, porteuse de grandes ambitions dans ce domaine ?

Rappelons tout de même que, si la COP 21 était un débat citoyen, le climat serait en passe d’être sauvé ! C’est du moins ce que montrent les premiers résultats du débat citoyen planétaire sur le climat et l’énergie, qui s’est tenu le 6 juin dernier dans soixante-quinze pays.

L’intervention des peuples est décidément plus que nécessaire, afin d’infléchir les politiques nationales et internationales. Toutefois, nous constatons que la Commission européenne a parfois de grandes difficultés à accepter les choix démocratiques des peuples. C’est le cas en Grèce, où les citoyens ont confié au gouvernement de M. Tsipras le mandat de sortir le pays du cercle vicieux dans lequel il est depuis cinq ans.

Oui, le gouvernement grec a refusé la proposition d’accord formulée par ses créanciers ! Mais, il faut le rappeler, ce document, qui comptait à peine cinq pages, ne tenait absolument aucun compte de la proposition d’accord global formulée par Athènes, qui en comptait quarante-sept. Pourtant, cette proposition reprenait les termes issus de plusieurs mois de négociations et laissait place aux concessions fiscales et budgétaires qui ont été obtenues. Selon le chef du gouvernement grec, elle constituait d’ailleurs une « base réaliste » permettant de « parvenir à un accord » qui respectait « le mandat populaire du 25 janvier et les règles communes régissant l’Union monétaire ».

Le peuple grec a suffisamment souffert ! Il est normal que le gouvernement de ce pays refuse de nouvelles coupes budgétaires et toute diminution de salaires et de pensions. De telles mesures ne feraient qu’alimenter les inégalités sociales et conduiraient le pays à la récession. En outre, ce gouvernement conditionne tout accord avec ses créanciers à un programme d’investissements, ce qui apparaît indispensable pour permettre au pays de renouer avec la croissance.

Je souhaite le rappeler ici, la Grèce a tenu ses engagements ; elle a remboursé 17 milliards d’euros à ses créanciers depuis le mois de janvier. En revanche, ces derniers n’ont pas effectué les versements de 7,2 milliards d’euros prévus dans le cadre du deuxième plan d’aide, qui s’achève à la fin du mois de juin.

La Grèce ne demande pas un euro de plus. Elle veut simplement qu’on lui accorde les moyens de se sortir de cette crise et que l’Union européenne respecte le choix démocratique de son peuple. C’est la raison pour laquelle cet accord doit inclure une clause sur « la viabilité de la dette » grecque, afin de « donner une solution définitive face l’incertitude » et à la crise en Grèce et en Europe.

Pour terminer, je voudrais revenir sur la question des négociations du traité de libre-échange transatlantique, le TAFTA, dont nous débattions ici même la semaine dernière. Le dixième cycle de négociations sera très certainement l’occasion de revenir sur le chapitre « services » du traité. Quelle est la position actuelle de la France sur ce sujet ? En effet, l’offre sur les services comprend de très nombreux secteurs d’activités, comme ceux de la santé et de la protection sociale, qui, à nos yeux, doivent être exclus du champ des négociations. Or nous avons relevé que les dernières déclarations de la Commission européenne vont plutôt en sens inverse !

Quelles sont les demandes de la France concernant la nouvelle offre d’accès au marché, et plus particulièrement pour l’agriculture, secteur qui risque d’être fortement affecté ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 25 et 26 juin sera particulièrement important et délicat, compte tenu des questions qui y seront abordées.

En effet, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, réunis à cette occasion, devront reconsidérer la méthode à employer s’agissant des relations avec la Russie et de la situation en Ukraine notamment. Ils devront aussi examiner la mise en œuvre des orientations arrêtées face à la situation en mer Méditerranée et celle des mesures adoptées pour lutter contre le terrorisme.

Par ailleurs, les négociations avec la Grèce devraient de nouveau s’inscrire au cœur des discussions du prochain Conseil européen. Malgré la main tendue par les partenaires de la Grèce, le gouvernement de M. Tsipras peine à formuler les propositions nécessaires au rééquilibrage pérenne des comptes publics. Or cela conditionne la conclusion d’un accord avec la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international.

Différents facteurs laissent penser que le gouvernement grec espère obtenir une décision qui lui serait favorable lors du prochain Conseil européen, malgré la menace d’un Grexit et de toutes les conséquences qui en résulteraient. Nous constatons déjà les effets d’un tel scénario sur les taux d’intérêt de certains pays de la zone euro et sur les attentes des acteurs économiques. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais que vous nous exposiez les solutions envisagées par le Gouvernement pour parvenir à un accord avec la Grèce. Jusqu’à quel point les États européens, notamment la France, sont-ils prêts à aller pour éviter un Grexit ?

Forts de précédents historiques, certains commentateurs préconisent un effacement de la dette grecque. Toutefois, au-delà du fait que beaucoup d’efforts ont déjà été consentis pour alléger ce fardeau, on peut s’interroger sur la pertinence du signal qui serait envoyé à des États qui, comme l’Espagne ou le Portugal, ont réalisé d’importants efforts en contrepartie de l’assistance européenne. Si un compromis est souhaitable, il ne doit pas être obtenu à n’importe quel prix du point de vue budgétaire, mais surtout politique ! La cohérence et la cohésion de la zone euro pourraient souffrir du traitement de faveur excessif accordé à l’un de ses membres, qui n'est pourtant pas le plus coopératif !

La situation de la population grecque est, certes, dramatique, mais qui pourrait affirmer qu’elle le serait moins sans l’aide européenne ? Dans le cadre des négociations qui se déroulent actuellement, nous ne devons pas perdre de vue que le coût d’un Grexit serait important pour les États de la zone euro, notamment pour les plus fragiles d’entre eux, mais qu’il le serait sans doute encore plus pour la Grèce !

À supposer qu’un accord soit conclu avec la Grèce lors du prochain Conseil européen, il devra encore être accepté par plusieurs parlements nationaux, dont le parlement allemand. Or la Grèce doit encore rembourser 1,6 milliard d’euros au Fonds monétaire international avant le 30 juin, et sa trésorerie montre des signes d’essoufflement.

Qu’est-il prévu pour que l’aide européenne soit versée à la Grèce dans les délais requis en cas d’accord tardif ?

Quelle que soit l’issue des négociations avec la Grèce, celles-ci montrent l’urgence d’un renforcement de la gouvernance économique et budgétaire de la zone euro. Les participants au sommet de la zone euro le 24 octobre 2014 dernier avaient mandaté le président de la Commission européenne pour qu’il prépare, en étroite collaboration avec le président de la zone euro, ceux de l’Eurogroupe et de la Banque centrale européenne, auxquels s’est adjoint le président du Parlement européen, « de nouvelles initiatives visant à améliorer la gouvernance économique de la zone euro ». Le rapport qui a été préparé par les cinq présidents, mais qui n’a pas encore été publié à ce jour, devrait donc être présenté à l’occasion du prochain Conseil européen.

Peut-être pourriez-vous nous réserver la primeur de la présentation des principales orientations de ce rapport, monsieur le secrétaire d’État ? Pouvez-nous surtout nous faire connaître les mesures concrètes que le Gouvernement souhaite voir mises en place pour renforcer la gouvernance de la zone euro, qui, il est vrai, repose sur des schémas complexes, peu lisibles et à l’efficacité peu évidente ?

Pour conclure, je reviendrai brièvement sur les recommandations « politiques » relatives aux programmes nationaux de réforme et aux programmes de stabilité des États de l’Union européenne que devrait adopter le Conseil européen.

Au mois de mars dernier, le Conseil de l’Union européenne avait, certes, accordé à la France un report de deux ans, de 2015 à 2017, pour atteindre l’objectif d’une réduction de son déficit excessif. Toutefois, le Conseil a demandé à notre pays d’adopter des mesures d’ajustement complémentaires en 2015, mais aussi en 2016 et en 2017. C’est pourquoi le programme de stabilité transmis au mois d’avril par le Gouvernement précisait qu’un effort supplémentaire de 4 milliards d’euros devrait être engagé. Or le document qui a été envoyé à la Commission européenne le 10 juin dernier et qui détaille cet effort n’a pas été communiqué au Parlement à ce jour !

Pourriez-vous nous exposer le détail des mesures qui sont annoncées, monsieur le secrétaire d’État ? Que pouvez-vous nous dire à ce stade des efforts supplémentaires prévus pour l’année 2016 ? En effet, au mois de février dernier, la Commission européenne estimait que notre pays connaissait des déséquilibres macroéconomiques excessifs. La France risque peut-être de faire l’objet d’une procédure contraignante de correction de ces déséquilibres. Quelles mesures le Gouvernement a-t-il entreprises pour répondre aux observations formulées par la Commission européenne ?

Telles sont les nombreuses questions qui seront au cœur des discussions lors de cet important Conseil européen des 25 et 26 juin prochains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. François Marc applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie la conférence des présidents d’avoir accédé à la demande de la commission des affaires européennes et me félicite de la tenue de ce débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 juin prochains.

Les questions économiques et les défis en matière de sécurité figurant à l’ordre du jour de ce Conseil européen, il me paraissait primordial que le Sénat puisse en débattre avec le Gouvernement. Par conséquent, nous vous remercions de votre présence et de votre disponibilité, monsieur le secrétaire d’État.

Il est vrai – et c’est tant mieux ! – que la situation économique en Europe connaît une éclaircie, dont les causes résultent pour l’essentiel des effets de la réunion de facteurs conjoncturels, comme la baisse des taux d’intérêt, la diminution du prix du pétrole ou encore la politique d’assouplissement quantitatif menée par la Banque centrale européenne. Cependant, cela ne doit pas dispenser les États membres de l’Union européenne de conduire les efforts indispensables.

Tout d’abord, Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne, s’est clairement exprimé en indiquant que la BCE avait réalisé sa part du travail et qu’il revenait désormais aux États de remplir la leur en conduisant les réformes structurelles nécessaires. Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, nous a tenu les mêmes propos lorsque nous l’avons rencontré à Francfort ; vous étiez présent avec un certain nombre de députés, monsieur le secrétaire d’État.

Le commissaire européen Pierre Moscovici, que nous avons reçu au Sénat, a également insisté sur le risque qu’encourent les États qui n’engageraient pas les réformes nécessaires, sous prétexte qu’une reprise du cycle économique est envisageable. On ne peut que souscrire à la conclusion qu’il a formulée : les économies les plus fortes seront celles qui auront réalisé le plus de réformes ! À cet égard, la Commission européenne délivre un triple conseil aux États membres : favoriser l’investissement, mettre en œuvre des réformes structurelles et poursuivre une politique de responsabilité budgétaire.

Or, pour la France, les attentes de la Commission européenne et de nos partenaires sont récurrentes. Il nous est ainsi demandé de renforcer notre stratégie en matière budgétaire, de préciser la nature des mesures de réduction de dépenses prévues jusqu’en 2017 et d’intensifier nos efforts pour améliorer l’examen de nos dépenses. En outre, l’équilibre des régimes de retraite et la réforme du marché du travail sont également en cause, comme l’ont rappelé un certain nombre de nos collègues. Le Gouvernement entendra-t-il ce message ? Quelles réponses y apportera-t-il ?

Les discussions avec la Grèce demeurent complexes ; je dirais même chaotiques ! Les aides de l’Europe doivent aller de pair avec un véritable programme de réformes. Notre collègue Simon Sutour devrait prochainement rendre un rapport à la suite du voyage qu’il vient de réaliser dans ce pays.

Peut-on espérer une issue favorable à cette situation ? Je me doute que vous partagerez ma position, monsieur le secrétaire d’État : malgré ses bravades, son inconscience, voire ses provocations, la Grèce devra bien finir par comprendre que le remboursement de la dette qu’elle a contractée au travers de prêts à la Banque centrale européenne, au FMI et auprès d’un certain nombre d’États membres n’est pas négociable !

Souvenons-nous que la restructuration de la dette accumulée par la Grèce auprès des banques privées s’est soldée en 2012 par l’effacement de près de 35 milliards d’euros ! En l’espèce, il me semble que ce sera extrêmement difficile cette fois-ci.

En outre, la situation de la Grèce ne doit pas nous empêcher de nous montrer particulièrement inventifs, au travers notamment de certificats d’investissement, qui feront l’objet d’une proposition dans le prochain rapport de la commission.

Au-delà de la conjoncture grecque, c’est la compétitivité de nos économies que l’on doit renforcer. Le prochain Conseil européen se prononcera ainsi sur la stratégie numérique que la Commission européenne a présentée le 6 mai dernier.

Nous avons rencontré le vice-président de la Commission, Andrus Ansip, ainsi que le commissaire européen Günther Oettinger. Nous leur avons transmis les messages que le Sénat souhaitait délivrer sur un sujet auquel il a beaucoup contribué. En effet, nos collègues Catherine Morin-Desailly, Gaëtan Gorce, André Gattolin ou Colette Mélot ont tous examiné cette question. L’Europe doit devenir productrice, et non plus seulement consommatrice sur le marché unique du numérique. Elle doit adopter une stratégie efficace en faveur de la gouvernance d’internet, en entreprenant la régulation des plateformes.

Avec le développement du numérique, nous devons saisir l’occasion de mettre en avant le principe d’innovation qui contrebalancera utilement un principe de précaution qui s’est souvent imposé de façon excessive. J’adhère à l’expression qu’a employée tout à l’heure notre collègue Yves Pozzo di Borgo : l’économie du XXIe siècle sera totalement « uberisée ». En effet, notre société doit se préparer à une mutation importante.

Le renforcement de notre compétitivité résultera également du financement adéquat de notre économie. À ce sujet, l’idée d’une union des marchés de capitaux, sur laquelle travaillent nos collègues Jean-Paul Emorine et Richard Yung, nous paraît intéressante. Je salue en particulier le pragmatisme tout britannique du commissaire européen Jonathan Hill, dont l’intention est d’agir vite en la matière, aux différents niveaux de développement des entreprises, car c’est une économie en mouvement qu’il faut accompagner ! L’union des marchés de capitaux doit être entendue comme un complément utile au rôle des banques, qui enrichira les offres de financement existantes.

Vous me permettrez d’évoquer la particularité de certains établissements financiers français, fondés sur le principe mutualiste, à commencer par le Crédit agricole, qui représente 25 % du marché. Il faudra bien trouver une solution sur ce point, en dépit de l’approche que peuvent avoir différents membres du directoire de la Banque centrale européenne.

Par ailleurs, le Conseil européen examinera les défis en matière de sécurité.

Je rappelle que le Sénat a beaucoup travaillé sur la lutte contre le terrorisme, après les attentats de Paris et de Copenhague. En particulier, nous avons adopté une résolution européenne demandant que, à l’échelon de l’Union, la lutte contre le terrorisme soit plus déterminée. Le 30 mars dernier, nous avons aussi adopté, avec les parlements de plusieurs pays qui ont également subi la violence terroriste, et sous votre autorité, monsieur le président, la Déclaration de Paris, qui affirme une volonté commune pour une politique européenne répondant aux attentes légitimes de nos concitoyens en matière de sécurité.

Or nous déplorons la lenteur et le manque de réactivité qui se manifestent dans ce domaine et qu’atteste un récent rapport du coordinateur européen, M. Gilles de Kerchove, que nous avons rencontré à Bruxelles. Ainsi, le PNR – Passenger Name Record – européen attend toujours le feu vert du Parlement européen, malgré les demandes expresses que nous avons présentées à nos collègues députés européens membres de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures. Je me souviens d’ailleurs que, lorsque nous les avons vus à Bruxelles en mars dernier, les relations avaient été plutôt tendues...

Quant aux contrôles systématiques aux frontières extérieures de l’Union européenne sur le fondement d’une évaluation des risques, ils ne semblent toujours pas progresser ; il y a là une inertie insupportable au regard de la gravité des enjeux et des attentes, mêlées de crainte, de nos concitoyens.

Les drames qui se produisent quasi quotidiennement en Méditerranée nous interpellent. S’ils constituent d’abord une tragédie humaine, ils représentent aussi un défi pour le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, qui met en cause la crédibilité même de l’espace Schengen. Nos collègues André Reichardt et Jean-Yves Leconte nous ont présenté l’agenda de la Commission européenne pour les migrations. J’approuve la proposition – vous l’avez évoquée tout à l'heure, monsieur le secrétaire d’État – de créer dans les États membres situés en première ligne des « points d’accès ».

J’estime aussi qu’il convient avant tout d’éviter de créer des appels d’air, qui ne feraient qu’aggraver la situation. De fait, chaque fois que nous avons mené une politique quelque peu laxiste dans ce domaine, nous avons suscité une augmentation des flux de migrants !

Par ailleurs, on ne peut pas faire l’impasse sur le trop faible taux d’exécution des mesures d’éloignement. Songez, mes chers collègues, que, selon la Cour des comptes, 99 % des déboutés du droit d’asile se maintiennent sur le territoire national,…