Sommaire

Présidence de Mme Isabelle Debré

Secrétaires :

Mme Frédérique Espagnac, M. François Fortassin.

1. Procès-verbal

2. Organisme extraparlementaire

3. Dépôt de rapports

4. Communication du Conseil constitutionnel

5. Questions orales

prix des dispositifs médicaux correcteurs de la vision

Question n° 1087 de Mme Karine Claireaux. – Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes ; Mme Karine Claireaux.

engagements du gouvernement pour entrer dans le capital d'alstom et en devenir le principal actionnaire

Question n° 1092 de M. Jean-François Longeot. – Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes ; M. Jean-François Longeot.

statut des communes labellisées

Question n° 1083 de M. Rémy Pointereau. – Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes ; M. Rémy Pointereau.

mise en place du compte pénibilité dans le secteur du bâtiment et des travaux publics

Question n° 1104 de M. Olivier Cigolotti. – Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes ; M. Olivier Cigolotti.

Suspension et reprise de la séance

dispositions relatives à l'inscription sur les listes électorales spéciales en nouvelle-calédonie

Question n° 1114 de M. Pierre Médevielle. – Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer ; M. Pierre Médevielle.

sécurité routière en seine-maritime

Question n° 1080 de Mme Agnès Canayer. – Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer ; Mme Agnès Canayer.

effectifs de la police nationale dans la drôme

Question n° 1089 de M. Gilbert Bouchet. – Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer ; M. Gilbert Bouchet.

diminution des moyens financiers des comités sportifs

Question n° 1085 de Mme Élisabeth Doineau. – Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer ; Mme Élisabeth Doineau.

travaux de prolongement du tramway t4

Question n° 1098 de M. Gilbert Roger. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; M. Gilbert Roger.

application de la loi visant à répartir les responsabilités et charges concernant les ouvrages de rétablissement des voies

Question n° 1116 de Mme Évelyne Didier. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Mme Évelyne Didier.

avenir des trains intercités

Question n° 1113 de Mme Laurence Cohen. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Mme Laurence Cohen.

permis de recherches de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux

Question n° 1079 de Mme Sylvie Goy-Chavent. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Mme Sylvie Goy-Chavent.

missions exercées par les centres de gestion

Question n° 1094 de Mme Catherine Troendlé. – M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale ; Mme Catherine Troendlé.

parc immobilier et avenir de la maison d'arrêt de lure

Question n° 1096 de M. Michel Raison. – M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale ; M. Michel Raison.

contribution équitable à l'entretien et à l'éducation des enfants dans les situations de résidence alternée

Question n° 1115 de M. Dominique Bailly. – M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale ; M. Dominique Bailly.

révision des valeurs locatives des locaux professionnels

Question n° 1086 de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. – M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale ; Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Suspension et reprise de la séance

devenir du dispositif malraux et rénovation urbaine

Question n° 1103 de M. François Commeinhes. – Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication ; M. François Commeinhes.

réponses du gouvernement à la crise du logement social étudiant

Question n° 1110 de M. Patrick Abate. – Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication ; M. Patrick Abate.

modalités d'élaboration de la carte scolaire pour le premier degré en milieu rural

Question n° 1101 de M. Claude Bérit-Débat. – Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication ; M. Claude Bérit-Débat.

situation des centres d’information et d’orientation du morbihan

Question n° 1088 de M. Michel Le Scouarnec. – Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication ; M. Michel Le Scouarnec.

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Gérard Larcher

6. Saisine du Conseil économique, social et environnemental

7. Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié et d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission

Explications de vote sur l’ensemble

Mme Cécile Cukierman

M. Jacques Mézard

M. Robert Navarro

M. François Zocchetto

M. Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Pierre Sueur

Mme Esther Benbassa

Ouverture du scrutin public sur le projet de loi

Suspension et reprise de la séance

Proclamation du résultat du scrutin public sur le projet de loi

Adoption, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié

Scrutin public sur la proposition de loi organique

Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi organique dans le texte de la commission

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

8. Candidatures à une commission mixte paritaire

9. Débat sur le thème : « les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte »

M. Hervé Maurey, rapporteur de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation

M. Yvon Collin

M. Stéphane Ravier

Mme Françoise Gatel

M. François Grosdidier

M. René Vandierendonck

Mme Esther Benbassa

M. André Reichardt

M. Michel Le Scouarnec

Mme Dominique Estrosi Sassone

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

10. Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

11. Débat sur le thème : « l'avenir de l'industrie ferroviaire »

M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable

M. David Rachline

M. Jean-François Longeot

M. François Aubey

M. Joël Labbé

Mme Évelyne Didier

M. Gilbert Barbier

M. Jean Bizet

M. Michel Raison

M. Martial Bourquin

Mme Nicole Duranton

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche

12. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

13. Débat sur le thème : « l’avenir des trains intercités »

Mme Évelyne Didier, au nom du groupe CRC

Mme Annick Billon

M. Louis Nègre

M. Jean-Jacques Filleul

M. Jean-Vincent Placé

Mme Marie-France Beaufils

M. Jean-Claude Requier

M. Philippe Adnot

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx

M. Daniel Percheron

M. François Commeinhes

M. Cyril Pellevat

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche

14. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Frédérique Espagnac,

M. François Fortassin.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 4 juin 2015 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Organisme extraparlementaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.

Conformément à l’article 9 du règlement, la commission des finances a été invitée à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

3

Dépôt de rapports

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :

- le rapport sur la mise en application de la loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale ;

- le rapport sur la mise en application de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Le premier a été transmis à la commission des affaires économiques ainsi qu’à la commission des affaires étrangères, et le second, à la commission des lois ainsi qu’à la commission des affaires sociales.

4

Communication du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 5 juin 2015, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État lui a adressé deux décisions de renvoi de questions prioritaires de constitutionnalité, portant, d’une part, sur les articles L. 246-1 à L. 246-5 du code de la sécurité intérieure (accès administratif aux données de connexion) (2015-478 QPC) et, d’autre part, sur les dispositions de l’article 1724 quater du code général des impôts et des deux premiers alinéas de l’article L. 8222-2 du code du travail (solidarité financière du donneur d’ordre à l’égard des impositions dues par l’auteur d’un travail dissimulé avec lequel il a contracté) (2015-479 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

5

Questions orales

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

prix des dispositifs médicaux correcteurs de la vision

Mme la présidente. La parole est à Mme Karine Claireaux, auteur de la question n° 1087, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Karine Claireaux. Madame la secrétaire d'État, à l’heure actuelle, plus de la moitié des Français sont concernés par le port de dispositifs correcteurs de la vision de façon permanente. Sans ces dispositifs, ces citoyens ne pourraient vivre normalement.

Le décret n° 2014-1374 du 18 novembre 2014 relatif au contenu des contrats d’assurance maladie complémentaire bénéficiant d’aides fiscales et sociales, en son article 2, limite les remboursements des frais d’équipement en optique par les mutuelles dans le cadre des contrats solidaires et responsables, dans le but avoué de faire baisser le prix des lunettes, afin que le reste à charge pour les ménages soit le moins élevé possible.

Actuellement, une maladie de la vision n’est pas considérée comme un handicap et, en conséquence, le dispositif médical correcteur de la vision est soumis à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 20 %. L’opération de chirurgie réfractive, quant à elle, n’est pas remboursée par la sécurité sociale. Elle est donc également soumise à un taux de TVA de 20 %.

Dans le but de faire baisser le reste à charge des Français, afin d’aboutir à une meilleure égalité face à l’accès aux soins, il ne paraît pas possible de faire peser tout le poids du prix des prothèses oculaires sur les mutuelles et les ménages.

Ne serait-il pas envisageable d’instaurer, pour les dispositifs correcteurs – lentilles et verres correcteurs –, une TVA au taux réduit de 5,5 %, telle qu’elle est appliquée sur les autres prothèses médicales, comme les audioprothèses, les attelles, les corsets orthopédiques ou encore les implants mammaires ?

Enfin, l’opération de chirurgie réfractive ne pourrait-elle pas être prise en charge, au moins partiellement, par la sécurité sociale, ce qui permettrait de la sortir du champ d’application de la TVA et en ferait grandement diminuer le coût pour les patients ?

Je souhaite savoir si de telles mesures sont envisagées par le Gouvernement afin de faciliter l’accès des Français à la santé visuelle et de diminuer le coût des dispositifs correcteurs de la vision et donc leur reste à charge.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Madame Claireaux, l’accès de l’ensemble de la population aux soins optiques est une préoccupation que partage le Gouvernement.

Comme vous le rappelez, la réforme des « contrats solidaires et responsables » engagée actuellement a pour objectif de modérer le prix des lunettes. Les prix pratiqués en matière d’optique sont de plus en plus élevés : on constate que, plus les complémentaires remboursent, plus les prix augmentent et que, plus les prix augmentent, plus le coût de la couverture complémentaire croît. (Mme Karine Claireaux acquiesce.)

Le Gouvernement entend casser cette spirale inflationniste en prévoyant que seuls les contrats limitant les niveaux de prise en charge peuvent bénéficier de la fiscalité réduite associée aux contrats responsables. C’est le sens du décret pris par Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et publié au Journal officiel le 19 novembre dernier.

Concernant la possibilité d’appliquer le taux réduit de TVA aux dispositifs médicaux correcteurs de la vision, la directive européenne de 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée fixe, en son annexe III, la liste limitative des biens et services pouvant bénéficier d’un taux réduit de TVA. Or seuls « les équipements médicaux […] destinés à soulager ou traiter des handicaps, à l’usage personnel et exclusif des handicapés » y sont mentionnés. Par conséquent, à moins d’une évolution des règles communautaires relatives à la TVA, la France ne peut soumettre à un taux réduit de TVA les équipements optiques.

Vos interrogations portent également sur la possibilité de prise en charge par l’assurance maladie obligatoire des opérations de chirurgie réfractive, afin de limiter le reste à charge pour les patients.

Il faut rappeler que cette opération chirurgicale n’est pas adaptée à l’ensemble de la population : les personnes dont la situation oculaire n’est pas stabilisée ou qui ont des antécédents ne peuvent être opérées. Cette opération ne peut donc être envisagée comme une alternative systématique au port de dispositifs correcteurs tels que les lentilles et les lunettes. Cependant, comme c’est le cas pour celles-ci, un certain nombre d’organismes complémentaires la prennent d’ores et déjà en charge.

Par ailleurs, le projet de loi de modernisation de notre système de santé, adopté par l’Assemblée nationale le 14 avril dernier, contient une disposition visant à instaurer un tarif social en matière optique, audioprothétique et dentaire pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé. Cela permettra à plus de un million de foyers de bénéficier de ce dispositif.

Enfin, la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes a confié en début d’année une mission à l’Inspection générale des affaires sociales pour améliorer l’accès aux soins visuels. Cette mission se concentrera sur la réduction des délais d’attente. À l’issue de ses travaux, un plan d’action pour renforcer l’accès aux soins visuels sera présenté.

Mme la présidente. La parole est à Mme Karine Claireaux.

Mme Karine Claireaux. Bruxelles devrait réaliser qu’une diminution de la vision constitue déjà un handicap et montrer un peu plus de souplesse sur le sujet.

L’acquisition de dispositifs correcteurs grève en effet considérablement le budget des ménages, surtout lorsque plusieurs membres d’une même famille sont touchés. En effet, le reste à charge est vraiment trop important. Il faut donc agir aussi au niveau européen.

engagements du gouvernement pour entrer dans le capital d'alstom et en devenir le principal actionnaire

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, auteur de la question n° 1092, adressée à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

M. Jean-François Longeot. Madame la secrétaire d'État, en juin 2014, à l’occasion de la cession à l’américain General Electric de l’essentiel de la branche énergie d’Alstom, le Gouvernement – plus particulièrement son ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg – a pris la décision d’entrer à hauteur de 20 % du capital d’Alstom et d’en devenir le principal actionnaire, en rachetant les deux tiers de la participation de Bouygues. Son appartenance au conseil d’administration du groupe lui permettra d’exercer « sa vigilance patriotique », selon les propos tenus par le ministre d’alors.

Afin de démontrer son engagement auprès d’Alstom, le Gouvernement avait conditionné son feu vert au rapprochement avec General Electric à plusieurs impératifs : celui de nommer un représentant au conseil d’administration du groupe et celui de prendre une participation de 20 % dans son capital. Où en est-on dans la réalisation de ces conditions ?

Quels sont aujourd’hui les éléments qui peuvent rassurer les salariés et les pouvoirs publics sur le caractère pérenne de l’activité du nouveau groupe Alstom, mais, surtout, sur sa capacité à se développer face au rapprochement des deux leaders chinois, CNR et CSR, qui représenteraient un chiffre d’affaires de 18 à 20 milliards d’euros annuels, alors qu’Alstom ne pèse que 6 milliards d’euros ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le sénateur, vous avez souhaité des précisions sur l’entrée au capital de l’État dans Alstom ainsi que sur les perspectives de développement d’Alstom Transport.

En premier lieu, je souhaite vous rappeler que l’accord conclu avec Bouygues le 22 juin 2014 prévoit que ce groupe soutiendra la nomination de deux administrateurs choisis par l’État. Ces nominations interviendront une fois que l’assemblée générale d’Alstom aura approuvé les modalités de l’offre publique de rachat d’actions qui suivra la finalisation de l’opération avec General Electric, ce qui devrait se faire au dernier trimestre de l’année 2015. C’est donc dès la finalisation de l’opération avec General Electric que l’État siégera au conseil d’administration d’Alstom, avant même qu’il en ait acquis des titres.

En outre, le même accord permettra à l’État de bénéficier de 20 % des droits de vote et de la faculté d’acquérir auprès de Bouygues jusqu’à 20 % du capital.

S’agissant des conditions dans lesquelles l’autorisation d’investissement a été délivrée à General Electric au titre du décret n° 2014-479 du 14 mai 2014, je souhaite préciser qu’elles n’incluent pas l’entrée préalable de l’État au conseil d’administration et au capital d’Alstom. En effet, une telle condition ne saurait être fixée en conformité avec ce décret. En tout état de cause, elle ne relève pas de General Electric.

Enfin, s’agissant des perspectives d’avenir de l’activité d’Alstom en matière de transports, vous soulignez à juste titre que ce secteur d’activité connaît une recomposition significative, notamment eu égard au développement de la concurrence des acteurs chinois. Je puis vous assurer que le Gouvernement est très attentif à l’insertion d’Alstom dans cet environnement en mutation, au même titre que les dirigeants et les organes de gouvernance de la société.

À cet égard, l’enjeu clef réside dans la capacité du groupe à saisir les opportunités stratégiques qui pourront se présenter, au-delà de la croissance intrinsèque de son activité et de sa performance industrielle et commerciale. Il est fondamental qu’Alstom soit en situation d’endettement nul au sortir de l’opération avec General Electric, comme le Gouvernement l’a indiqué aux dirigeants du groupe, et dispose ainsi des capacités de son développement pour effectuer avec succès son recentrage sur l’activité de transport.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.

M. Jean-François Longeot. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse, mais il me semble que l’entrée au capital d’Alstom devient désormais tout à fait urgente.

Dans ce dossier, il faut aussi considérer et défendre notre technicité, qui est extraordinaire et reconnue dans le monde entier. J’aurai d’ailleurs l’occasion de le répéter ce soir, à l’occasion du débat relatif à l’avenir de l’industrie ferroviaire française qui se tiendra dans l’hémicycle.

La France doit faire confiance au groupe Alstom et affirmer son attachement à l’industrialisation et à la technicité. C’est la moindre des choses si l’on veut exporter !

statut des communes labellisées

Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau, auteur de la question n° 1083, adressée à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Rémy Pointereau. Ma question porte sur les communes reconnues « plus beaux villages de France ».

Ces communes adhèrent à une association nationale, qui a reconnu les qualités de leur patrimoine immobilier et touristique et les a autorisées à utiliser un logo et à se prévaloir d’une appellation, qui, certes, ne constitue pas un label officiel, mais donne à ces communes une reconnaissance nationale sur les plans touristique et patrimonial.

Actuellement, 157 communes adhèrent à l’association et bénéficient d’un programme de communication touristique. Il en va ainsi d’Apremont-sur-Allier, dans le Cher.

Ces communes participent à l’activité touristique en France, en accueillant un grand nombre de touristes français et étrangers, et contribuent ainsi au développement économique de notre pays et à la valorisation de son patrimoine.

Cependant, leur participation à l’activité économique n’est pas reconnue suffisamment, même si le président de l’association est membre de droit du Conseil national du tourisme. Il me semble donc que les communes concernées pourraient bénéficier, au moins partiellement, des mesures fiscales attribuées aux communes reconnues touristiques.

Ce ne serait que reconnaître le rôle joué par ces communes qui animent les territoires ruraux et créent des points de développement permettant d’y maintenir une population et une vie locales.

Aussi, je souhaite savoir si des évolutions législatives sont envisageables pour donner à ces communes, qui font la richesse de la France, un statut leur attribuant un certain nombre d’avantages, de dotations pouvant compenser les obligations liées à leur patrimoine, à l’entretien de ce dernier et à la communication nécessaire pour se faire connaître.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le sénateur Pointereau, vous interrogez le Gouvernement sur les modalités selon lesquelles les communes classées parmi les plus beaux villages de France pourraient bénéficier d’un statut, d’avantages et de dotations budgétaires supplémentaires.

Je tiens tout d’abord à rappeler que des dispositions législatives et réglementaires existent déjà en faveur des communes ayant la qualité de communes touristiques. Ces dernières peuvent tout d’abord se prévaloir d’un statut spécifique, gage de qualité offert aux touristes, et les distinguant des autres communes.

Elles bénéficient également, en application de l’article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales, d’un concours particulier au sein de la dotation globale de fonctionnement, la DGF.

Enfin, l’article L. 2333-26 du même code leur donne la possibilité d’instituer une taxe de séjour qui leur apporte une ressource supplémentaire, en lien avec l’activité touristique développée sur leur territoire.

Ces communes touristiques peuvent également accéder au label d’excellence de station classée de tourisme et bénéficier alors du surclassement démographique, de la majoration de l’indemnité des élus et, sous certaines conditions, de la perception d’une taxe additionnelle aux droits de mutation.

L’ensemble de ces dispositions législatives et réglementaires répond à des critères objectifs, sélectifs et exigeants.

Il n’est évidemment pas possible de conférer à des collectivités territoriales des avantages financiers, en particulier des dotations budgétaires, en fonction d’un classement résultant de la seule appréciation d’une association de collectivités territoriales, quand bien même tout le monde peut aujourd’hui reconnaître le sérieux du travail et du classement opéré par l’association des plus beaux villages de France.

En outre, toute dotation supplémentaire devrait être prélevée sur l’enveloppe globale des concours financiers de l’État aux collectivités territoriales. Or il est préférable, pour la répartition de ces concours, de privilégier des critères objectifs de richesse et de charge.

Enfin, il ne fait nul doute que la notoriété du label « Plus beaux villages de France » permet d’ores et déjà aux communes qui en bénéficient de profiter d’un statut reconnu qui leur confère des avantages touristiques importants.

Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau.

M. Rémy Pointereau. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse qui ne m’apporte toutefois pas entière satisfaction.

Le statut que vous évoquez ne s’accompagne d’aucun moyen supplémentaire. Par ailleurs, nombre des « Plus beaux villages de France » ne disposent pas d’établissements hôteliers, mais seulement de quelques commerces, et ne peuvent donc bénéficier de la taxe de séjour.

Si le contexte de disette budgétaire et de très importante baisse des dotations pénalise toutes les communes rurales, l’octroi du label « Plus beaux villages de France » entraîne de nouvelles charges en termes d’équipement sans recettes supplémentaires. Ainsi, le maire du village d’Apremont, village situé dans mon département, a de plus en plus de mal à boucler son budget en raison de cet accroissement de charges, notamment pour l’aménagement des parkings.

Il serait bon que la reconnaissance de la nation s’accompagne aussi d’une reconnaissance financière.

mise en place du compte pénibilité dans le secteur du bâtiment et des travaux publics

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti, auteur de la question n° 1104, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Olivier Cigolotti. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et porte sur les préoccupations des artisans du bâtiment quant à la prise en compte de la pénibilité du travail de leurs salariés.

Depuis le vote de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites et de celle du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système des retraites, la pénibilité des carrières est prise en compte dans l’ouverture de nouveaux droits à la retraite.

Reconnaître la pénibilité au travail est une réelle avancée sociale. L’application du dispositif posait de nombreux problèmes aux artisans du secteur, raison pour laquelle je me réjouis que le Premier ministre ait annoncé, le 26 mai dernier, une simplification du dispositif et un différé de six mois de sa mise en application.

Les entreprises n’ont plus à remplir la fameuse fiche individuelle, mais juste à déclarer à la caisse de retraite les salariés exposés, en appliquant un « référentiel » fixé par la branche. Pour autant, les entreprises n’auront pas l’obligation d’appliquer ce référentiel définissant les postes, métiers ou encore les situations de travail pouvant être jugés pénibles.

Définir un référentiel par branche, c’est réussir à trouver un point d’équilibre quant à la déclaration de postes de travail « pénibles » au sein d’une même équipe de salariés, ce qui demande du temps.

La Fédération française du bâtiment avait recommandé de mettre en place une commission composée de plusieurs médecins pour pouvoir évaluer, au fil de la carrière, l’exposition des salariés aux principaux facteurs de pénibilité. Un tel dispositif, tout en assurant la prise en compte réelle des situations de pénibilité, libérerait les entreprises d’une charge supplémentaire.

La première difficulté réside dans l’élaboration des référentiels permettant de forfaitiser les points de pénibilité.

La seconde difficulté a trait à l’échéance du 1er juillet 2016. Un report au 1er janvier 2017 aurait été plus sage, afin de permettre aux entreprises du secteur du BTP d’appliquer le compte pénibilité sans contraintes majeures.

En effet, même si les entreprises n’auront plus à remplir la fiche individuelle, elles devront, dans le cadre de la déclaration automatisée des données sociales, ou DADS, faire une déclaration annuelle via le logiciel de paie. Or, à ce jour, ce logiciel n’existe pas ! Il devra donc être mis en place, ce qui exige du temps et entraîne un coût non négligeable pour les entreprises, plus particulièrement les PME-TPE.

Enfin, un autre point, récemment évoqué, est à aborder. Vous prévoyez, madame la secrétaire d’État, de mettre à la charge de la caisse de retraite, et non plus à celle de l’entreprise, le fait d’informer le salarié sur son degré d’exposition et sur les points qu’il aura accumulés.

N’a-t-on pas évoqué les délais trop longs et les retards de traitement des dossiers des nouveaux retraités de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV ? Le président du conseil d’administration de la Caisse a lui-même reconnu une « défaillance du service public », due notamment à la complexité de traitement des dossiers nécessitant de collaborer avec d’autre régime de retraite – RSI, MSA, régimes spéciaux...

Aussi, madame la secrétaire d’État, ne craignez-vous pas d’augmenter, par ce transfert de charges des entreprises vers la CNAV, la charge de travail de cette caisse de retraite déjà bien en difficulté ?

Pouvez-vous me préciser les éventuelles mesures que compte prendre le Gouvernement pour accompagner au mieux les entreprises du bâtiment et des travaux publics face à l’ensemble des points que je viens d’évoquer ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le sénateur Cigolotti, François Rebsamen m’a chargée de vous demander de bien vouloir excuser son absence ce matin, au Sénat. Il participe actuellement à un conseil restreint pour la croissance et l’emploi dans les TPE et PME aux côtés du Président de la République et du Premier ministre.

C’est pour combattre l’injustice devant l’espérance de vie que le compte personnel de prévention de la pénibilité a été créé par la loi du 20 janvier 2014.

Des craintes se sont exprimées ces derniers mois à propos de la complexité du dispositif, notamment dans les entreprises du bâtiment et des travaux publics que vous évoquez.

Certaines de ces craintes s’expliquent par le besoin – nécessaire – de s’approprier un nouveau dispositif. D’autres étaient dues – il faut accepter de le dire – à des sources de complexité dans sa mise en œuvre.

Or un droit effectif pour les salariés est un droit simple dans sa mise en œuvre. Tout l’enjeu est d’instaurer un dispositif dont le principe et la mise en œuvre font consensus.

Pour ce faire, et afin de veiller à l’appropriation de ce dispositif nouveau, le Premier ministre a chargé M. Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire, M. Gérard Huot, chef d’entreprise, ainsi que M. Michel de Virville de formuler des propositions au Gouvernement.

Ces propositions ont été remises au Premier ministre le 26 mai dernier et transposées aussitôt par voie d’amendements gouvernementaux dans le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, adopté par l’Assemblée nationale le 2 juin.

Le Sénat aura à se prononcer sur ce texte à la fin du mois.

L’approche proposée dans le rapport Sirugue-Huot-Virville, reprise par le Gouvernement, se traduit par quatre mesures principales.

Premièrement, une simplification majeure du dispositif : la transmission de la fiche individuelle ne reposera plus sur l’employeur. C’est la caisse de retraite qui informera les salariés à la fois de leur exposition et des points dont ils bénéficient, leur permettant de disposer d’une information complète sur tous les éléments les concernant.

Deuxièmement, une sécurisation des déclarations des employeurs : l’évaluation des six nouveaux facteurs pourra être déterminée par des référentiels établis au niveau des branches professionnelles. Ils permettront de définir quels postes ou situations de travail sont exposés aux facteurs de pénibilité. Pour ces facteurs, les employeurs n’auront plus de mesures individuelles à accomplir.

Troisièmement, un décalage au 1er juillet 2016 des six derniers facteurs afin de laisser aux branches le temps de réaliser les référentiels. Les salariés ne seront pas pénalisés : ils bénéficieront, pour le second semestre 2016, des points correspondant à une année entière.

Quatrièmement, un renforcement de la prévention de la pénibilité qui sera au cœur du troisième plan Santé au travail.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, ce gouvernement est tout particulièrement attaché à la mise en place effective des droits nouveaux accordés aux salariés de notre pays.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti.

M. Olivier Cigolotti. Je vous remercie de cette réponse, madame la secrétaire d’État.

Je souhaitais évoquer de nouveau la situation des entreprises du bâtiment, lesquelles, dans un contexte économique difficile – quelles que soient les régions –, sont en droit de s’inquiéter de ces nouvelles mesures.

Elles sont en attente de réponses claires sur l’application du compte personnel de prévention de la pénibilité. Ce dispositif constitue, vous l’avez souligné, une mesure de justice.

Mme la présidente. Mes chers collègues, dans l’attente de l’arrivée de Mme la ministre des outre-mer, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à neuf heures cinquante-cinq, est reprise à dix heures cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

dispositions relatives à l'inscription sur les listes électorales spéciales en nouvelle-calédonie

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle, auteur de la question n° 1114, adressée à Mme la ministre des outre-mer.

M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite – peut-être convient-il de dire « je souhaitais » – attirer votre attention sur les dispositions relatives à l’inscription sur les listes électorales spéciales en Nouvelle-Calédonie.

Le Conseil constitutionnel a établi, en 1999, la possibilité de voter aux élections provinciales pour les individus domiciliés en Nouvelle-Calédonie depuis au moins dix ans, et ce indépendamment de la date d’installation sur le territoire calédonien. Par la suite, la révision constitutionnelle de 2007 a introduit une disposition cumulative à la condition de dix ans de résidence, qui limite l’inscription sur ces listes spéciales aux personnes arrivées avant le 8 novembre 1998.

La Cour de cassation a toutefois, par l’arrêt n° 13-16798 du 3 octobre 2013, imposé une condition restrictive, dans la mesure où elle définit l’inscription sur la liste électorale générale de février 1998 comme condition nécessaire à l’inscription sur les listes électorales spéciales. Cette disposition va entraîner de manière rétroactive de nombreuses radiations, qui concerneront environ 5 000 citoyens. Une telle accumulation de restrictions de liberté de vote semble contraire aux principes démocratiques.

En effet, si la Cour européenne des droits de l’homme a jugé acceptable que la condition de dix ans de résidence soit retenue comme restriction de vote en raison de la phase transitoire dans laquelle se trouve actuellement la Nouvelle-Calédonie, il paraît néanmoins peu probable qu’elle puisse se prononcer favorablement sur les restrictions apportées par les dispositions cumulatives établies par les jurisprudences successives.

Aussi, je souhaite connaître les mesures que peut prendre le Gouvernement afin d’éclaircir la législation en vigueur.

Certains événements sont intervenus depuis la rédaction de ma question. Lors du Comité des signataires qui s’est tenu vendredi 5 juin dernier, les deux camps, loyalistes et indépendantistes, ont accepté des avancées importantes. Reste en suspens le sort des populations arrivées avant 1998 et non inscrites avant cette date sur les listes électorales générales.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Monsieur Médevielle, vous posez une question importante. Nous avons en effet, depuis les événements de 1988 et les accords de Nouméa de 1998, à déterminer quels électeurs seront habilités à participer aux différentes consultations, notamment dans le cadre des élections provinciales, mais aussi pour la consultation engageant l’avenir de la Nouvelle-Calédonie à la sortie des accords de Nouméa.

Comme vous l’indiquez, le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision du 15 mars 1999, que devaient participer à l’élection des assemblées de province et du congrès les personnes qui, à la date de l’élection, figurent au tableau annexe incluant les électeurs non admis à participer à ces élections et domiciliés depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie.

En revanche, si le constituant a effectivement, en 2007, introduit une disposition cumulative à la condition de dix ans de résidence, celle-ci limitait l’inscription sur les listes électorales spéciales non pas aux personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie avant le 8 novembre 1998, mais à celles inscrites au tableau annexe établi en 1998.

C’est le sens de la précision désormais apportée au dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution, lequel prévoit que, pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l’accord de Nouméa et les articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999 est le tableau dressé à l’occasion de la consultation relative à l’accord de Nouméa organisée en 1998 et comprenant des personnes non admises à y participer.

À ce titre, on ne peut considérer que la Cour de cassation aurait imposé une condition restrictive, alors qu’elle s’est bornée à faire une stricte application des dispositions organiques et constitutionnelles en vigueur.

Certes, tant que la jurisprudence de la Cour de cassation n’était pas totalement fixée, on pouvait encore discuter en la matière. Dorénavant, la Cour de cassation ayant réitéré sa position à diverses reprises, nous devons impérativement en tenir compte.

Tout électeur inscrit sur la liste électorale générale est automatiquement inscrit au tableau annexe, sauf s’il remplit les conditions pour être inscrit sur la liste électorale spéciale et en fait la demande.

Dès lors, la Cour de cassation juge à bon droit que, à défaut de tableau annexe, l’inscription sur la liste électorale générale établie en 1998 suffit à attester du respect de la condition prévue au b) du I de l’article 188 de la loi organique.

La Cour de cassation a en outre précisé que, si un électeur ne remplit pas par ailleurs la condition prévue par le a) du I du même article, il ne peut être maintenu sur la liste électorale spéciale.

Le Comité des signataires a pris en compte ce litige entre les indépendantistes et les non-indépendantistes concernant la composition des listes et les décisions de la Cour de cassation. Il a décidé qu’il fallait d’abord savoir de quoi on parlait. Quelle est l’importance du litige ? Qui est en cause ? Il y a des distinctions à faire entre ceux qui sont arrivés après 1998 et les autres.

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre. Par conséquent, décision a été prise de faire l’inventaire, avec des experts compétents, des différents éléments du problème en question, pour savoir de quoi on parle et qui est concerné. À partir de là, les parties se reverront pour décider quoi faire pour ces électeurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Madame la ministre, je vous remercie des éclaircissements contenus dans votre réponse.

M. le Premier ministre s’est engagé – vous aussi, me semble-t-il – à suivre ce dossier de très près, ce dont tout le monde se félicite. C’est vrai, le sort de ces populations est en suspens : elles sont souvent arrivées bien avant 1998, mais n’étaient pas inscrites sur les listes spéciales pour les élections provinciales.

La révision des listes aurait pour effet, me semble-t-il, de déséquilibrer le corps électoral et de faire basculer brutalement la majorité.

S’agissant de la méthodologie, je ne comprends pas la logique de cet arrêté, qui a ravivé de vives tensions en Nouvelle-Calédonie, malgré les engagements pris à l’époque par M. Ayrault. J’espère que le sort de ces populations sera examiné de très près. En effet, certaines personnes sont depuis plus de vingt-cinq ans en Nouvelle-Calédonie. Elles ne comprendraient pas d’être radiées des listes.

Je comprends la volonté du Gouvernement – je pense à vous-même et au Premier ministre – de ne pas voir apparaître un trop grand nombre d’amendements parlementaires sur ce sujet. Devant la fragilité des accords, vous avez besoin, me semble-t-il, de sérénité pour continuer à travailler. J’espère que, à l’automne, nous trouverons un consensus permettant de satisfaire tout le monde.

sécurité routière en seine-maritime

Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer, auteur de la question n° 1080, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

Mme Agnès Canayer. Madame la ministre, selon le dernier bilan de la sécurité routière, qui date de quelques jours, 3 388 personnes sont décédées en 2014 sur les routes de France, soit 120 de plus que l’année précédente.

Ces résultats sont décevants. Cette hausse de la mortalité touche particulièrement les usagers vulnérables : les piétons, les cyclistes, les cyclomotoristes et, dans une moindre mesure, les automobilistes.

Dernièrement, le Gouvernement a présenté devant le Conseil national de la sécurité routière une série de mesures, qui, pour beaucoup, restent au stade de l’expérimentation.

Parmi celles-ci, on relève la réduction de la vitesse à 80 kilomètres-heure sur les routes nationales au lieu de 90 kilomètres-heure, ou encore l’organisation de tests salivaires pour détecter l’usage de stupéfiants.

En Seine-Maritime, 94 personnes ont été tuées en 2014 dans un accident de la route, soit 6 personnes de plus qu’en 2013. Pour le premier trimestre de l’année 2015, on dénombre déjà 12 victimes. Les accidents sont essentiellement dus à l’usage de substances psychoactives et à l’alcool. Les jeunes et les conducteurs de deux-roues sont les premiers touchés.

Depuis le mois d’août dernier, la détection par test salivaire de l’usage de stupéfiants est régulièrement présentée comme une mesure phare. Disposez-vous, madame la ministre, des premiers retours d’expérience ? Quand pourrez-vous généraliser ces tests sur l’ensemble du territoire? Quel est le coût estimé de la mesure, dont le besoin est prégnant en Seine-Maritime ?

Politique transversale par nature, la sécurité routière requiert la mobilisation de nombreux acteurs – associations, collectivités territoriales et institutions –, pour être plus efficace.

Dans mon département de la Seine-Maritime, la politique engagée est innovante. Ainsi, je soulignerai l’action de la municipalité d’Arques-la-Bataille, qui a reçu en 2013 une « écharpe d’or » récompensant ses nombreuses actions de prévention en matière de sécurité routière. La municipalité a ciblé deux publics plus vulnérables, les seniors et les jeunes, et a mis en place une action adaptée pour chacun.

Conjugués avec des aménagements de voirie, les progrès sont aujourd’hui notables, notamment dans le comportement des enfants, des piétons et des conducteurs de voiture. Le changement a également été constaté du côté des parents, notamment lorsqu’ils conduisent leurs enfants à l’école.

L’initiative des communes et des départements dans ce domaine est à soutenir. Quelle concertation avec les élus, les associations et les professionnels entendez-vous mettre en place ? Quelles actions concrètes, pertinentes et spécifiques menez-vous pour les encourager ?

En outre, dans les mesures présentées dernièrement, je regrette que rien ne concerne spécifiquement les seniors. Sans vouloir stigmatiser nos aînés, je suis persuadée qu’une action de prévention est indispensable.

Pour conclure sur cette question, je soulèverai l’importance des contrôles de gendarmerie et de police, qui confèrent aux mesures évoquées toute leur efficacité. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail des fonctionnaires concernés. Je souhaite donc connaître, madame la ministre, les intentions du Gouvernement en matière de contrôle pour cet été, notamment sur le territoire de la Seine-Maritime.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur.

En janvier dernier, M. Bernard Cazeneuve a présenté vingt-six mesures visant à mieux protéger l’ensemble des usagers de la route, les plus vulnérables – les piétons, les cyclistes et usagers de deux-roues motorisés – comme les automobilistes. Ce plan concerne par ailleurs tous les facteurs comportementaux générateurs d’accidents : vitesse, alcool, drogue, usage du téléphone, etc. C’est ainsi que nous garantirons durablement la sécurité des Français sur la route.

Parmi ces mesures, je veux d’abord citer l’abaissement du taux légal d’alcoolémie de 0,5 gramme à 0,2 gramme par litre de sang pour tous les conducteurs novices.

Je veux ensuite mentionner la lutte contre la vitesse excessive au volant. Nous allons poursuivre la modernisation des 4 200 radars installés sur les routes de France, aussi bien les radars « double face » que les radars mobiles de nouvelle génération et les radars chantiers, utilisés pour la sécurité des personnels qui interviennent chaque jour sur les routes.

Je veux enfin parler de la lutte contre les comportements à risque qui nuisent d’une manière générale à la vigilance au volant. Je pense aux téléphones portables et aux oreillettes. Sur la recommandation du Conseil national de la sécurité routière, nous avons décidé, sur le modèle de l’interdiction du téléphone tenu en main, de prohiber l’usage au volant de tous les systèmes nécessitant des écouteurs, des oreillettes ou des casques.

Concernant plus spécifiquement la politique de sécurité routière en Seine-Maritime, je veux rappeler que, même si le bilan de l’année 2014 fait état d’une légère augmentation de l’accidentalité, le nombre de morts sur les routes de votre département connaît une tendance à la baisse depuis 2010 : 67 personnes ont été tuées sur les routes de Seine-Maritime en 2010, 52 en 2011, 57 en 2012, 51 en 2013 et 54 en 2014.

Le nombre de personnes tuées sur les routes est certes lié aux actions de sécurité routière et à leur impact sur les comportements individuels, mais il fluctue également d’une année sur l’autre en raison d’aléas climatiques ou de circonstances individuelles des accidents. Ainsi, il est prématuré de tirer des éléments de compréhension de cette hausse. Une analyse sur plusieurs années est pour cela nécessaire.

Concernant le taux d’accidents dus à l’alcool en Seine-Maritime, l’Observatoire national interministériel de sécurité routière relève qu’en moyenne, sur trois ans, la part dans la mortalité du nombre de personnes tuées dans un accident impliquant un conducteur avec alcool en Seine-Maritime était de 27 %, contre 30 % pour la France métropolitaine. Ainsi, le taux de 40 % affiché pour la seule année 2013 dans le bilan départemental de la Seine-Maritime est fortement affecté par l’effectif relativement faible de cas considérés ; il est donc préférable de constater la présence du facteur alcool à l’échelle départementale sur trois ans.

Pour conclure, je voudrais insister sur un élément important : la sécurité routière est l’affaire de tous. Les partenariats entre les différents acteurs concernés – pouvoirs publics, services de police, unités de gendarmerie, Conseil national de la sécurité routière, associations – sont donc absolument nécessaires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer.

Mme Agnès Canayer. La lutte contre ce fléau requiert l’implication de tous, nous en sommes bien d’accord.

Néanmoins, force est de constater qu’une des causes principales à l’origine de l’augmentation des accidents de la route, et notamment des accidents mortels, est l’usage de drogues et de substances psychoactives.

Le rapport publié aujourd’hui le prouve, l’augmentation très forte du nombre de tués constatée ces dernières années requiert des moyens importants, comme la généralisation du recours aux tests salivaires, qui permettront de détecter et de sanctionner les comportements dangereux.

effectifs de la police nationale dans la drôme

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Bouchet, auteur de la question n° 1089, adressée à M. le ministre de l’intérieur.

M. Gilbert Bouchet. Je regrette que M. le ministre de l’intérieur ne puisse répondre en personne à cette question, relative au manque de personnel de police nationale affecté dans mon département, la Drôme, et plus particulièrement dans la région de Valence. Cette question concerne surtout deux communes, d’ailleurs, Portes-lès-Valence et Valence, qui appartiennent à la même circonscription.

Portes-lès-Valence est une cité de 10 000 habitants ; depuis son passage en zone de police, elle a perdu des effectifs. Auparavant, elle avait en effet à sa disposition 17 gendarmes, dont 13 officiers de police judiciaire. L’État s’était engagé à installer un poste de police à effectifs identiques, mais rien n’a été fait.

Or, face à la recrudescence de la délinquance, notamment celle des mineurs, le maire de cette commune se trouve confronté à un cruel manque de moyens humains et matériels.

Il y a tout d’abord une situation de sous-effectif en hommes, puisque seuls deux équivalents temps plein travaillent dans un commissariat annexe. Ces personnes sont régulièrement appelées en renfort à l’extérieur, ce qui oblige à la fermeture du poste de police. Il se révèle alors impossible d’avoir recours à la police nationale, même par téléphone, puisque aucun renvoi d’appel vers le commissariat de Valence n’est mis en place.

Ce manque de fonctionnaires de police a des conséquences sur le traitement des plaintes. Nombre de nos concitoyens déplorent de se voir opposer un refus à l’enregistrement d’un dépôt de plainte ou de voir leur demande classée en simple dégradation.

L’affectation d’au moins trois policiers supplémentaires, nécessaires pour pouvoir accueillir à heures fixes le public et enregistrer toutes les plaintes, serait un réel progrès pour cette commune. La présence d’un officier de police judiciaire serait également bienvenue pour coordonner et pour assurer le traitement du dépôt de plainte.

La ville de Portes-lès-Valence est également confrontée à un manque de moyens matériels, aggravé par une constante augmentation des dégradations des équipements publics, dont le coût pour le budget communal s’est élevé en 2014 à plus de 150 000 euros. Le commissariat annexe se retrouve donc sans moyens ni horaires d’ouverture fixe.

J’insiste sur le fait qu’il n’existe aucun relai, même téléphonique, avec le commissariat de Valence. Il serait donc judicieux de mettre en place un moyen efficace de liaisons afin que les Portois n’aient pas le sentiment d’être complètement abandonnés.

La municipalité, de son côté, mobilise tous les moyens qu’elle possède, humains comme matériels, pour faire face à ce regain de violence : trois postes de policiers municipaux ont été créés et un système de vidéoprotection a été installé. Mais elle ne peut se substituer aux moyens dont disposent les forces publiques de l’État.

En ce qui concerne la ville de Valence, le problème du nombre de fonctionnaires affectés à la sécurité va se poser de façon cruciale, ce qui risque d’aggraver la situation de la ville de Portes-lès-Valence. En effet, à l’automne prochain va s’ouvrir à Valence un nouveau centre pénitentiaire de 456 places, sans commune mesure, donc, avec l’actuelle maison d’arrêt, qui compte 137 places de détention.

Lors d’un comité de pilotage préfectoral sur l’ouverture de cet établissement, le représentant du directeur départemental de la sécurité publique de la Drôme avait estimé à 25 le nombre de fonctionnaires de police supplémentaires nécessaires pour absorber la charge de service afférente au centre pénitentiaire, ainsi qu’un volant de fonctionnaires affectés au traitement du contentieux carcéral.

Aussi, le maire de cette commune s’inquiète de voir les forces de police monopolisées par cette activité au détriment de leur présence sur la voie publique, sachant que le territoire de la commune de Valence supporte deux zones de sécurité prioritaires, ou ZSP.

Mme la présidente. Posez votre question, mon cher collègue !

M. Gilbert Bouchet. En conséquence, les deux édiles souhaiteraient que des effectifs supplémentaires de police nationale soient rapidement affectés.

Dès lors, madame la ministre, peut-on espérer que les villes de Porte-lès-Valence et de Valence bénéficient dans un avenir proche de nouvelles affectations de policiers et retrouvent ainsi des effectifs complets, à même d’exercer leur mission de maintien de l’ordre et de la sécurité publics dans cette partie de la Drôme ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur, retenu par d’autres obligations. Naturellement, les termes de la question lui ont été transmis.

L’importance que le Gouvernement attache aux enjeux de sécurité, et notamment à la question des moyens, que vous avez soulevée, se traduit par la création chaque année au budget de l’État de 500 postes de policiers et de gendarmes supplémentaires, chiffre à comparer aux suppressions de 13 700 postes durant la mandature précédente.

La circonscription de sécurité publique de Valence, dans la Drôme, comptait 262 agents à la fin du mois de mars 2015, contre 252 fin 2012. Ces effectifs assurent leurs missions dans les trois communes que couvre cette circonscription, à savoir Valence, Bourg-lès-Valence et Portes-lès-Valence, cette dernière commune étant d’ailleurs dotée d’un commissariat de secteur. Ces effectifs peuvent en outre recevoir l’appui de services départementaux : brigade motocycliste urbaine, unité canine départementale, sûreté départementale, notamment.

Comme vous l’avez souligné, cette circonscription bénéficie aussi d’une zone de sécurité prioritaire à Valence-le-Haut, mise en place au début de l’année 2013 et étendue au début de l’année 2014, ce qui prouve l’engagement de l’État pour la sécurité des Valentinois.

Je souligne à cet égard la qualité de la collaboration qu’entretiennent l’ensemble des acteurs – commune, police municipale, police nationale, partenaires sociaux – dans le cadre du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, le CLSPD.

Les effectifs ont donc augmenté ces dernières années dans cette circonscription. Toutefois, les difficultés ne doivent pas être dissimulées ; il est vrai que cette circonscription de police comptait fin mars 179 gradés et gardiens de la paix, soit un chiffre légèrement inférieur à l’effectif de référence pour cette circonscription. Je peux vous assurer que le ministère de l’intérieur portera toute son attention à cette question, pour qu’elle dispose des moyens nécessaires dans ce domaine.

S’agissant de la création d’un centre pénitentiaire à Valence, qui conduira effectivement à des charges accrues pour la sécurité publique, elle est naturellement prise en compte dans la détermination du volume d’effectifs pour cette circonscription de police. L’effectif départemental de fonctionnement annuel sera ajusté en conséquence sur la base d’une évaluation du volume de la charge d’activité supplémentaire par comparaison avec des sites équivalents, puis adapté au fil des ans en fonction des charges effectivement constatées.

La détermination de cet effectif pour la Drôme sera donc augmentée pour tenir compte des conséquences, tant sur les unités de voie publique que sur les unités d’investigation, de la création de ce nouvel établissement.

Le préfet de la Drôme réunit régulièrement les acteurs concernés pour appréhender au mieux les problématiques inhérentes à cette ouverture.

Soyez assuré, monsieur le sénateur, de l’entière mobilisation de forces de police pour garantir la sécurité dans les communes de la circonscription de sécurité publique de Valence.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Bouchet.

M. Gilbert Bouchet. Ces informations ne correspondent pas tout à fait à ma question, relative à l’affectation d’effectifs de police nationale. Je n’ai pas eu de réponse concrète ; j’espère en avoir bientôt.

diminution des moyens financiers des comités sportifs

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, auteur de la question n° 1085, adressée à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

Mme Élisabeth Doineau. J’appelle votre attention, madame la ministre, sur les projets de répartition des subventions du Centre national pour le développement du sport, le CNDS.

Avec 169 licences délivrées pour 1 000 habitants, la Mayenne, dont je suis l’élue, est le premier département sportif français pour les trois gammes réunies : les sports de proximité, intermédiaires et spécialisés.

Nous comptons 86 000 licenciés, se concentrant essentiellement dans les gammes de proximité et intermédiaires. Notre département jouit d’un niveau d’équipements fort – 5,6 pour 1 000 habitants – et de nombreux clubs – 1,8 pour 1 000 habitants –, chiffres beaucoup plus élevés que les moyennes régionales et nationales.

Cependant, l’aide accordée à la Mayenne pourrait connaître une baisse très importante de 14,35 %, à laquelle il convient d’ajouter les réductions antérieures. Le CNDS devrait voir ses moyens d’intervention diminuer de plus de 33 millions d’euros pour les années 2016 et 2017.

La Mayenne ainsi que l’ensemble des départements de France risquent d’être fortement pénalisés par cette décision, si celle-ci venait à être appliquée.

Cette sentence aurait deux effets. D’une part, elle ferait courir le risque à certains clubs de devoir licencier, voire mettre fin à leurs activités. D’autre part, elle aurait des conséquences non négligeables pour les collectivités territoriales et l’ensemble des Mayennais. Les efforts en matière de santé, d’emploi et en faveur des résultats sportifs risquent d’être anéantis. En effet, les comités sportifs sont des acteurs incontournables des politiques publiques en matière de santé, de renforcement du lien social, d’éducation, notamment dans le cadre des temps d’activités périscolaires.

Cette réduction de subvention pourrait être perçue par les élus locaux comme un nouveau désengagement de l’État, impliquant une nouvelle charge budgétaire pour les communes, qui seraient sollicitées par les associations. Cette réduction de l’aide financière du CNDS est d’autant plus mal ressentie, voire mal vécue, qu’aucune explication, semble-t-il, n’a été présentée aux responsables du comité départemental des clubs omnisports de la Mayenne, le CDCO 53.

Ne pénalisons pas les bons élèves. La Mayenne est un exemple à suivre dans la pratique du sport en France ; ne nivelons pas vers le bas.

Dans une perspective de vieillissement de la population, il me semble essentiel de promouvoir les activités sportives. Le budget de la sécurité sociale ne s’en portera que mieux. Aussi, je remercierais le Gouvernement de bien vouloir réexaminer ce dossier dans l’intérêt du monde sportif français, et de tous les Mayennais en particulier.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. La situation financière extrêmement difficile du CNDS a nécessité de la part du Gouvernement la mise en place d’un plan de redressement financier sur la période 2013-2016. Comme vous le savez, madame la sénatrice, l’activité du CNDS était menacée par des engagements trop importants pris dans le passé par l’ancienne majorité.

Une large concertation avec le mouvement sportif et les collectivités locales a défini les priorités : concentrer les interventions du CNDS sur les publics les plus éloignés de la pratique sportive et vers les territoires les plus carencés. M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, et M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports, assument pleinement cette orientation, qui permettra d’apporter un soutien plus transparent et plus efficace aux associations sportives.

Ainsi, 128 millions d’euros d’aides sont destinés à ces associations, des fonds qui sont stables au niveau national. Les aides sont réparties en fonction des situations particulières des régions. Les préfets de région doivent ensuite les répartir sur leur territoire, selon les critères adoptés à l’unanimité lors du conseil d’administration du 19 novembre 2013.

L’accompagnement ne vise pas à soutenir le fonctionnement des structures. L’objectif des nouveaux critères est qu’un appui renforcé soit apporté là où les freins sont les plus forts, afin de réduire les inégalités d’accès à la pratique sportive. Priorité est notamment donnée aux projets de développement du sport comme facteur de santé publique ainsi qu’au développement de l’emploi et de l’apprentissage dans les métiers du sport, en agissant pour la professionnalisation du mouvement sportif.

En conséquence, il appartient au délégué territorial, le préfet des Pays de la Loire, de répartir la dotation allouée entre les différentes associations du territoire régional. Ces crédits, hors emplois sportifs qualifiés, s’élèvent en 2015 à 5 990 662 euros. Pour cela, le préfet a été incité à s’appuyer notamment sur les têtes de réseau régionales, qui ont pour mission de définir des plans de développement territorialisés, associant les comités départementaux et les clubs, sur la durée d’une olympiade. Ces projets de discipline favoriseront la lisibilité de la déclinaison territoriale du projet fédéral.

Le Gouvernement a pris ses responsabilités ; il a géré le passé et se tourne désormais vers l’avenir du CNDS, en faveur du sport pour tous.

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.

Mme Élisabeth Doineau. J’entends bien vos explications, madame la ministre, et je prends bonne note des orientations du Gouvernement. Pour autant, la sobriété budgétaire, qui semble inéluctable, peut pénaliser à terme l’ensemble du monde sportif, notamment dans mon département. Je pense que l’exercice du sport nécessite des équipements et un encadrement. La baisse des moyens démobilisera et découragera l’ensemble du monde sportif.

Je prendrai contact avec le préfet de région, afin de savoir ce qu’il peut faire pour la Mayenne.

travaux de prolongement du tramway t4

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Roger, auteur de la question n° 1098, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Gilbert Roger. Je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur le prolongement de la ligne de tramway T4, qui doit à terme relier Aulnay-sous-Bois/Bondy au plateau de Clichy-sous-Bois/Montfermeil. Cette ligne desservira notamment l’hôpital intercommunal dans le centre-ville de Montfermeil et sera en connexion avec les RER B et E et le projet de « TZen » sur la RN3, permettant ainsi des correspondances, des trajets rapides et aisés, notamment pour les populations de Clichy-sous-Bois ou de Montfermeil, vers Paris.

Le projet est ardemment défendu depuis de très nombreuses années, voire de trop nombreuses années, par les maires de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil et a été obtenu peu de temps après les émeutes urbaines de 2005. Il doit permettre de désenclaver ces deux communes, qui restent aujourd’hui inaccessibles par des transports en commun alors qu’elles ne se situent qu’à quinze kilomètres de Paris.

Cependant, le projet de prolongement du T4 continue de rencontrer les oppositions des maires des communes voisines des Pavillons-sous-Bois, de Livry-Gargan et du Raincy, qui ont usé de nombreux recours pour l’empêcher volontairement de voir le jour. Aujourd’hui, c’est le maire de Livry-Gargan, dont la commune doit être traversée par le nouveau tronçon, qui use d’un nouvel artifice en refusant de signer les arrêtés autorisant le début des travaux de dévoiement, qui auraient dû commencer le 23 mars dans les rues de sa commune, alors que le projet a été déclaré d’utilité publique depuis le mois de septembre 2013.

Lors de l’hommage qu’il a rendu le 7 mars 2015 à notre collègue disparu Claude Dilain, M. le Président de la République a exprimé son soutien à l’arrivée du tramway T4 à Clichy-sous-Bois, dont il a rappelé que sa mise en œuvre était prévue pour 2018. Il a même déclaré : « Nous devons aux Clichois et à Claude Dilain la mise en service rapide du T4. »

Il n’est pas acceptable que des élus locaux freinent au nom d’intérêts clientélistes un projet qui peut changer le quotidien des Clichois et des Montfermeillois, en facilitant les liaisons de ces deux communes vers les centres d’activité économique et de formation, dont les universités, du département et de la région. Aussi, je souhaite savoir les mesures que le Gouvernement entend prendre et les instructions qu’il compte donner pour que les travaux de ce projet reconnu d’utilité publique puissent démarrer sans délai.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Comme vous, monsieur le sénateur, je suis convaincu de l’importance du prolongement du T4 vers Clichy-sous-Bois et Montfermeil. Cette ligne offrira aux habitants de ces communes un accès rapide aux RER B et E ainsi qu’aux lignes de bus présentes sur la RN3 vers le cœur du département. Elle leur offrira également, ainsi qu’aux habitants de Livry-Gargan et des Pavillons-sous-Bois, un accès à la future ligne 16 du Grand Paris Express.

Mais, au-delà de son intérêt en termes de transports pour les communes que cette ligne traversera, ce projet est un élément majeur en vue de la requalification urbaine du plateau de Clichy-Montfermeil. À ce titre, l’État et la région d’Île-de-France se sont fortement engagés en sa faveur et le financent dans le cadre du contrat de plan État-région. Grâce à ce soutien et au travail du syndicat des transports d’Île-de-France – le STIF –, de SNCF Mobilités et de SNCF Réseau, le projet entre à présent dans sa phase opérationnelle.

Il convient que cette phase de réalisation se déroule dans les meilleures conditions possibles. Comme tout projet de cette dimension, un certain nombre de réseaux doivent être déplacés préalablement à son implantation. C’est le cas du réseau d’eau qui appartient à la commune de Livry-Gargan. Cette dernière a fait part de difficultés financières pour mener à bien les travaux.

Pour gérer au mieux les problèmes qui pourraient survenir, notamment sur ces questions de réseau, et éviter de mettre en péril le calendrier du projet, le Premier ministre a chargé le préfet de Seine-Saint-Denis de réunir au sein d’un comité de pilotage tous les partenaires du projet. Dans ce cadre, les difficultés mises en avant par la ville de Livry-Gargan ont pu être examinées afin de mettre en place un plan de financement adapté. La Caisse des dépôts et consignations accordera des prêts bonifiés, et les discussions se poursuivent en lien avec l’agence de l’eau Seine-Normandie pour les financements complémentaires à apporter.

La question des autorisations de voirie nécessaires à l’exécution des travaux de dévoiement des réseaux sur le territoire de Livry-Gargan, comme vous le soulignez, se pose également. Parallèlement aux travaux du comité de pilotage et pour les alimenter, des réunions techniques sont organisées régulièrement entre les services de l’État et la ville. Dans ce cadre, la délivrance de ces autorisations a été abordée. À la suite de ces échanges, une première série d’arrêtés ont été signés par le maire de Livry-Gargan. Les travaux préparatoires ont d’ailleurs commencé dans les communes des Pavillon-sous-Bois et de Livry-Gargan.

Vous le voyez, l’État s’implique fortement dans la réalisation du T4. Le Président de la République a insisté à plusieurs reprises sur l’importance qu’il attachait à ce projet et au respect du calendrier. C’est une question de respect et d’équité sociale pour un territoire qui vit durement les effets de l’enclavement et d’une certaine relégation.

Je veillerai, aux côtés de la région et du STIF, à faire en sorte que les engagements soient tenus.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Roger.

M. Gilbert Roger. « Enfin », serais-je tenté de dire !

J’espère voir l’inauguration de cet équipement avant la retraite, comme je le disais souvent lorsque j’étais maire. En tout cas, j’ai confiance dans la bienveillance de l’État et dans ses capacités d’organisation pour faire en sorte que des maires ne puissent plus retarder, voire empêcher la mise en service d’un mode de transport moderne et efficace.

application de la loi visant à répartir les responsabilités et charges concernant les ouvrages de rétablissement des voies

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, auteur de la question n° 1116, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

Mme Évelyne Didier. Ma question porte sur l’application de la loi n° 2014-774 du 7 juillet 2014 visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d’art de rétablissement des voies.

Cette loi modifie le code général de la propriété des personnes publiques, en insérant une nouvelle section relative à la réglementation du rétablissement des voies de communication rendu nécessaire par la réalisation d’une infrastructure de transport. L’article L. 2123-12 de ce code dispose désormais qu’un décret en Conseil d’État en précise les modalités d’application. Près d’un an après la promulgation de la loi, ce décret n’a pas encore été publié.

Par ailleurs, l’article L. 2123-11 du code général de la propriété des personnes publiques prévoit que le ministre chargé des transports fait procéder à un recensement des ouvrages d’art de rétablissement des voies qui relèvent ou franchissent les réseaux routiers, ferroviaires et fluviaux de l’État et de ses établissements publics et pour lesquels il n’existe aucune convention en vigueur. Ainsi, le ministère doit identifier ceux des ouvrages dont les caractéristiques, notamment techniques et de sécurité, justifient l’établissement d’une convention nouvelle. Là encore, nous ne disposons pas d’éléments précis sur l’état d’avancement de ce travail.

À ce propos, dans mon département, un président de communauté de communes m’a fait connaître le courrier qui lui a été adressé en mars dernier par le préfet de département. Il est demandé aux élus locaux de renseigner les services de la préfecture sur les caractéristiques techniques des ouvrages de rétablissement des voies situés sur leur territoire, sur l’état de ces ouvrages, sur les modalités de leur prise en charge, sur l’existence de conventions et, éventuellement, de contentieux. En clair, on demande aux élus locaux, plus particulièrement aux présidents d’intercommunalité, de participer au recensement. Pourquoi pas ? Mais, la plupart du temps, ils n’ont pas de réponse à ces questions. En effet, les collectivités ne s’occupaient pas de ces ouvrages. Elles ne les ont pas construits et n’en ont pas assuré le suivi. Ne risque-t-on pas, en procédant ainsi, d’avoir un recensement pour le moins imprécis ?

Aussi, face aux inquiétudes de nombreux élus qui nous ont sollicités pour connaître la législation applicable et les délais de son entrée en vigueur effective, nous vous avions interrogé dès le mois de septembre sur ces différents points, monsieur le secrétaire d’État. En réponse à notre sollicitation, vous avez bien voulu nous indiquer que, préalablement à la publication du décret d’application, le secrétariat général du Gouvernement et le Conseil national d’évaluation des normes devaient être saisis afin de conduire un travail d’évaluation des impacts financiers de la nouvelle législation sur les collectivités territoriales, l’État et ses établissements publics. Or le conseil national a reporté l’examen du projet de décret, retardant ainsi son adoption.

Le Conseil d’État devait également être saisi avant la fin de l’année 2014. L’a-t-il été effectivement ? Si oui, quel est le sens de son avis ? Autant de questions auxquelles nous aimerions pouvoir avoir des réponses.

Enfin, vous aviez précisé que le recensement des ouvrages d’art et de rétablissement des voies était en préparation et qu’un courrier serait adressé, en début d’année, aux gestionnaires des réseaux routiers, ferroviaires et fluviaux, afin qu’ils aient un outil commun. Là encore, nous aimerions savoir si cet outil est en fonction, sachant que le recensement devrait être établi selon les termes de la loi avant le 1er juin 2018.

Pouvez-vous nous donner des précisions sur l’état d’avancement de ce dossier ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Je tiens tout d’abord à rappeler et à saluer l’esprit de co-construction qui avait présidé aux débats parlementaires et qui avait permis d’aboutir à l’adoption de la loi du 7 juillet 2014 visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d’art de rétablissement des voies, dont vous avez été l’initiatrice, madame la sénatrice.

Le projet de décret d’application, sur lequel vous avez été consultée comme nous nous y étions engagés, a été soumis aux consultations d’usage. Ainsi, après une première présentation au Conseil national d’évaluation des normes le 5 mars dernier, il a nécessité de nouvelles discussions avec les associations d’élus, à la demande du conseil national, notamment avec l’Assemblée des départements de France, l’ADF. La première version avait en effet reçu l’assentiment de l’Association des maires de France, l’AMF, mais l’ADF souhaitait poursuivre les discussions avant que le Conseil national d’évaluation des normes ne se prononce. Une nouvelle version a donc été élaborée par mes services et fait actuellement l’objet d’un nouvel examen par l’ADF et l’AMF.

Comme vous, je souhaite une entrée en vigueur de ce texte dans les meilleurs délais. Mais le sujet sensiblement technique et le caractère novateur du dispositif envisagé par la loi rendent l’exercice complexe, notamment s’agissant d’en évaluer l’impact financier.

Vous l’avez compris, le retard que vous constatez sur le calendrier initial de publication du décret est lié à la recherche d’un texte qui convienne. Si l’Assemblée des départements de France valide la dernière proposition du Gouvernement, le dépôt du projet de décret au Conseil national d’évaluation des normes et la saisine du Conseil d’État interviendront au tout début du mois de juillet.

S’agissant de la procédure de recensement des ouvrages d’art existants, mes services ont sollicité les préfets de département en février dernier pour que ceux-ci organisent la remontée d’informations des communes et des départements quant aux caractéristiques et à l’état de leurs ouvrages, afin de permettre aux services chargés du recensement de disposer de toutes les informations utiles. Les taux de retour constatés à ce jour sont très encourageants, et les services de l’État délivrent toute l’assistance nécessaire aux collectivités qui en émettent la demande. En parallèle, les services de mon ministère travaillent avec ceux de SNCF Réseau et de Voies navigables de France pour établir un outil commun de méthodologie du recensement, afin de garantir un traitement équivalent des ouvrages d’art à recenser, quel que soit le gestionnaire de l’infrastructure de transport surplombé par l’ouvrage en question.

Je puis ainsi vous assurer de l’attention qui est portée à la bonne mise en œuvre de la loi que vous avez portée pendant plusieurs années et qui a reçu, lors de son vote, le soutien unanime des parlementaires de toute sensibilité ainsi que celui du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'État, car la parole du Gouvernement en séance vaut plus que celle d’un parlementaire que l’on questionne. À force de répondre aux élus de mon département que le décret allait être publié, ils finissent par ne plus me croire. Les précisions que vous venez de nous apporter sont donc utiles.

Par ailleurs, comme je l’ai souligné dans mon intervention, j’espère qu’il y a d’autres moyens d’obtenir des renseignements – mais il me semble que vous venez de nous en donner la confirmation – que de demander à certains élus de participer au recensement alors qu’ils ne connaissent pas le sujet.

avenir des trains intercités

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteur de la question n° 1113, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

Mme Laurence Cohen. Ma question porte sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire, les TET, dits « intercités » à la suite du rapport remis, il y a quelques jours, par le député Philippe Duron. Si certains jugent que les recommandations figurant dans ce rapport sont moins dramatiques que ce qui avait circulé dans la presse, je pense pour ma part que le fond du problème reste entier et qu’on prend la difficulté à l’envers – si vous me permettez l’expression.

Les trente-quatre lignes de trains intercités transportent quotidiennement environ 100 000 voyageurs, partout en France, et desservent 335 villes, assurant des liaisons essentielles aux déplacements des Françaises et des Français. Leur vocation est de relier entre elles les grandes villes de notre pays, à une vitesse se situant entre le TGV et le train express régional, le TER.

Le rapport fait le constat, que nous partageons, de vieillissement du réseau et du matériel roulant, de durées de parcours parfois très longues en ces temps modernes et, en conséquence, d’une offre au final peu attractive. Autant de défauts qui font que ces lignes sont aujourd’hui qualifiées de « parents pauvres » de la SNCF.

Face à ce manque d’investissements, qui perdure depuis des années, la réponse apportée est la suppression de ces lignes jugées non rentables et des trains de nuit... Toujours la même logique : on laisse les choses se dégrader pour les juger uniquement sous l’angle de la compétitivité au lieu de prendre en compte le principe d’accessibilité et le droit à la mobilité pour toutes et tous, autant de préceptes qui devraient prévaloir quand on parle de service public !

Ces lignes dans le collimateur – j’en cite quelques-unes : Quimper-Nantes, Bordeaux-Toulouse, Marseille-Nice – sont pourtant essentielles pour nombre d’habitantes et d’habitants, notamment pour des trajets domicile-travail. Elles participent du désenclavement territorial. Les supprimer, c’est abandonner les populations qui en ont besoin.

Si le Gouvernement choisissait de suivre les préconisations du rapport Duron, on assisterait à des déserts ferroviaires. À cela s’ajouteraient des fermetures de gares, de boutiques SNCF, des suppressions d’emplois. Sans vouloir être alarmiste, même si ce sont uniquement cinq tronçons et des trains de nuit qui sont concernés dans ce rapport, on sait qu’une fois la tendance engagée dans cette direction, d’autres suppressions seront certainement programmées à l’avenir.

Mon inquiétude est, hélas ! confortée et renforcée par des dispositions présentes dans le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dit « projet de loi Macron ». C’est pourquoi je souhaiterais savoir comment le Gouvernement entend renforcer le service public ferroviaire alors qu’il souhaite parallèlement libéraliser les transports par la création de dessertes par cars privés. Nous sommes là face à une véritable contradiction. Le risque est fort de sacrifier le rail au profit de la route. Mettre des cars low cost sur la route plutôt que de moderniser les trains me paraît être une aberration écologique, notamment quelques mois avant la COP 21.

En conclusion, monsieur le secrétaire d'État, je souhaiterais vous entendre sur la nécessité pour la France d’avoir un grand service public ferroviaire renforcé et modernisé répondant aux besoins des territoires et des populations.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, vous appelez mon attention sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire. Ces trains constituent un élément essentiel de la politique de l’État en matière de transport et d’aménagement du territoire. Trop longtemps délaissés par nos prédécesseurs, le Gouvernement souhaite leur redonner des perspectives, car ils répondent à un service qui est essentiel.

Or le constat que nous faisons aujourd’hui est que ces trains n’atteignent pas l’ensemble de leurs objectifs pour plusieurs raisons : la grande hétérogénéité des dessertes prive l’offre de TET d’une véritable cohérence et ne garantit pas au voyageur la meilleure qualité de service ; la forte imbrication existant entre certains services de TET et des dessertes de TER constitue également une source d’inefficacité ; le modèle économique des TET est aujourd’hui fortement fragilisé par la baisse de fréquentation que connaissent certaines lignes du fait de l’essor de nouveaux modes de mobilité.

Telles sont les raisons pour lesquelles j’ai confié en novembre dernier à une commission composée de parlementaires, d’élus régionaux et de personnalités qualifiées et présidée par Philippe Duron le soin de mener une réflexion d’ensemble sur les TET. J’ai demandé à cette commission de réinterroger le modèle actuel des TET et de réfléchir à des améliorations aux dispositions existantes pour moderniser le service et mieux l’adapter aux besoins des Français.

Le rapport de la commission Duron m’a été remis le 26 mai dernier, et j’ai souhaité que le débat sur ses conclusions ait lieu en toute transparence avant toute décision du Gouvernement. Les propositions de ce rapport, qui, je le rappelle, n’engagent pas le Gouvernement, ont donc été présentées aux commissions compétentes du Parlement – le 28 mai dernier pour ce qui concerne la commission du développement durable du Sénat. Un débat sur ce sujet aura également lieu cet après-midi, dans cet hémicycle, à la demande de votre groupe parlementaire. Je souhaite en outre que, avant toute décision relative à l’évolution de l’offre, une concertation avec les acteurs locaux soit menée.

Le Gouvernement présentera à la fin du mois de juin une feuille de route, en plusieurs étapes, comprenant notamment une concertation que j’estime incontournable avec les régions sur la clarification entre les TET et les TER. Je m’attacherai à ce que cette feuille de route prenne en compte les objectifs de financement des TET, de maintien du droit à la mobilité et d’aménagement du territoire.

Faire évoluer l’offre des TET permettra de redonner de l’attractivité à ces trains afin de moderniser et de pérenniser cette offre indispensable à de nombreux territoires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le secrétaire d’État, vous m’avez répondu qu’une concertation était en cours et que, pour l’instant, le Gouvernement n’avait pas encore pris de décision. C’est effectivement sage. Je me réjouis que nous puissions pousser plus loin la discussion cet après-midi puisque, à la demande du groupe CRC, aura lieu un débat sur l’avenir des trains intercités. À cette occasion, ma collègue Évelyne Didier défendra notre position.

Les élus communistes, il y a un peu plus d’un mois, ont tenu une conférence de presse sur les menaces pesant sur les TET. Nous sommes en effet très inquiets. Certes, nous avons besoin de modernisation, mais celle-ci ne se fera pas en supprimant des lignes correspondant aux besoins de la population.

Par ailleurs, le Gouvernement ne peut ignorer l’écologie, qui est à l’heure actuelle un élément clé. Je suis notamment inquiète des mesures votées lors de l’examen du projet de loi Macron, qui prévoient de remplacer le transport par rail par des lignes d’autocar. À mes yeux, ce n’est pas la meilleure solution pour l’avenir de la planète. On ne peut organiser la COP 21 et voter des mesures allant à l’encontre de ce que l’on défend !

J’ai cru comprendre aujourd'hui, mais je suis d’un naturel optimiste, que les décisions n’en étaient pas à un stade si avancé et que vous prendrez le temps de la discussion. Nous nous inscrirons dans ce temps du débat et de la concertation.

permis de recherches de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent, auteur de la question n° 1079, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a récemment pris la décision de ne pas renouveler le permis de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux, dit permis « des Moussières ». Le périmètre de ce permis couvre les départements de l’Ain, des deux Savoie et du Jura.

Dans ces quatre départements, comme dans beaucoup d’autres, les aquifères de type karstique représentent la principale ressource en eau potable. Selon la communauté scientifique, la vulnérabilité aux pollutions de ces aquifères karstiques est particulièrement élevée. Aux États-Unis, notamment, plusieurs accidents de forage ont entraîné l’infiltration immédiate et irréversible des polluants dans les réserves naturelles d’eau potable, avec une hausse spectaculaire des affections cancéreuses.

Sous l’effet des migrations de fluides générées lors de la recherche ou de l’exploitation des hydrocarbures, les fractures géologiques constituent des drains qui permettent aux polluants de contaminer les réserves souterraines d’eau potable. D’autres types de fuites sont également possibles par déficience de la protection du forage. Si le défaut de protection est situé dans la partie superficielle du forage, cela entraîne une pollution immédiate et irréversible du réseau d’eau potable.

En d’autres termes, l’exploration et l’exploitation des réserves d’hydrocarbures dans les zones karstiques françaises provoqueraient de véritables catastrophes en termes d’approvisionnement en eau potable et de santé publique, sans parler des effets à long terme sur la faune et sur la flore. Selon plusieurs experts de l’administration américaine, la déstabilisation des couches profondes du sous-sol peut également entraîner des microséismes.

Je rappelle que certains projets de forage concernent le secteur de la centrale nucléaire du Bugey. L’inquiétude demeure donc dans l’Ain et dans de nombreux autres départements français. C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, je vous demande s’il est possible d’interdire tous les projets de forage d’hydrocarbures en milieu karstique et à proximité des ouvrages sensibles, et ce sur l’ensemble du territoire national.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, vous avez interrogé Mme Ségolène Royal, actuellement en déplacement aux États-Unis. Ne pouvant être présente, et je vous prie de bien vouloir l’excuser, elle m’a chargé de vous répondre.

Votre question porte sur le sujet des permis de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux et sur la possibilité d’interdire tous les forages d’hydrocarbures en milieu karstique sur le territoire national. Vous évoquez la région du Jura où les aquifères karstiques occupent de grandes surfaces et sont en effet vulnérables. De ce fait, ils nécessitent une vigilance particulière.

Vous vous êtes référée plusieurs fois à des exemples américains sur les accidents et les dommages environnementaux que peuvent causer l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures. Je tenais à vous informer qu’en France le code minier réglemente l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures liquides ou gazeux. Il précise, avec les décrets pris pour son application, non seulement les conditions dans lesquelles une exploration et une exploitation peuvent être réalisées, mais aussi les dispositions relatives aux travaux de forage. La réglementation prévoit ainsi la mise en place de cuvelages et de cimentations associées pour assurer l’étanchéité des différentes couches géologiques traversées susceptibles de contenir, par exemple, des ressources en eau.

Les travaux de forage ne peuvent être engagés qu’après autorisation accordée par le préfet à partir de l’instruction menée par les DREAL, les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement, sur la base d’un titre minier accordé par la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et par le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Toute demande de travaux de forage pour la recherche d’hydrocarbures est accompagnée d’une étude d’impact et de dangers définis par le code de l’environnement.

Les risques hydrogéologiques sont traités de façon encore plus détaillée dans les régions karstiques. Des prescriptions relatives à la protection des aquifères peuvent être prises dans les arrêtés préfectoraux autorisant l’ouverture des travaux. Elles peuvent porter sur les techniques de forage mises en œuvre ou sur des limitations particulières imposées pour tenir compte de l’hydrogéologie de la zone concernée.

Je tiens également à rappeler que le public est en outre largement associé à la prise de décision et est en mesure de faire état des interrogations ou inquiétudes dont vous faites part, notamment au cours de l’enquête publique. Il est très important que la décision d’attribuer un permis minier dans des zones considérées comme sensibles ne conduise pas à des situations de blocage préjudiciable à l’intérêt de tous.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'État, mais vous nous avez exposé la procédure pour déposer et obtenir un permis de forage en milieu karstique ou autres pour des hydrocarbures liquides ou gazeux. J’aurais préféré une réponse un peu plus précise concernant notamment le permis dit « des Moussières » et de nature à rassurer les élus et les populations de nos territoires.

Mme Royal, dans un article paru dans Le Figaro, ainsi que sur son compte twitter, a indiqué : « les gaz de schiste ne sont plus d’actualité » ou encore : « je refuse toutes demandes d’autorisation de forages pour gaz de schiste malgré la pression de lobbies ». Je me demande si les lobbies n’ont pas eu un peu raison de sa détermination, ce qui serait regrettable.

Je le répète, j’aurais préféré une réponse plus claire. Sachez en tout cas que le combat continuera sur le terrain : les élus des territoires ruraux sont aux côtés des populations afin de faire en sorte que ce projet dangereux pour les générations futures ne voie pas le jour.

missions exercées par les centres de gestion

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé, auteur de la question n° 1094, adressée à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Catherine Troendlé. L’article 25 de la loi du 26 janvier 1984 prévoit que les centres de gestion de la fonction publique territoriale peuvent assurer toute tâche administrative concernant les agents des collectivités et établissements.

Les centres de gestion peuvent répondre à des demandes de mise à disposition d’agents émanant des collectivités qui les sollicitent, et ce en vue d’assurer le remplacement d’agents momentanément indisponibles, d’assurer des missions temporaires ou encore en cas de vacance d’un emploi qui ne peut être immédiatement pourvu. Tel est le cas notamment des archivistes.

Ainsi, si je prends l’exemple du centre de gestion du Haut-Rhin, des archivistes sont mis à disposition des collectivités qui en font la demande. Or la Cour des comptes, dans son rapport de février 2015, relève une concurrence déloyale faite aux cabinets privés tout comme au personnel issu des archives départementales. En effet, elle semble adopter une conception très étroite et erronée du principe de spécialité, qui consisterait à permettre aux centres de gestion de n’intervenir que dans des matières expressément énumérées.

Si la conception de la chambre régionale des comptes devait prévaloir, l’article 25, qui ne définit pas explicitement les missions des collectivités territoriales pour lesquelles une mise à disposition d’agents est possible, n’aurait aucune portée.

La mise à disposition des archivistes pour suppléer à l’absence de service d’archives dans les collectivités renforce plus encore le rôle mutualisateur des centres de gestion, qui proposent des services accessibles à toutes les collectivités, notamment les plus contraintes.

Aussi, je souhaiterais connaître la position du Gouvernement concernant la mise à disposition du personnel d’archives aux collectivités territoriales par les centres de gestion de la fonction publique territoriale et, d’une façon plus large, sur les missions exercées par les centres de gestion.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Madame la sénatrice, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Mme Lebranchu, qui m’a chargé de vous transmettre sa réponse.

Les centres de gestion, vous l’avez rappelé, sont des établissements publics locaux à caractère administratif assurant une mission générale d’information sur l’emploi territorial définie aux articles 23 et suivants de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. Outre cette mission générale d’information sur l’emploi public, l’article 25 de cette même loi prévoit que « les centres de gestion peuvent assurer toute tâche administrative concernant les agents des collectivités et établissements, à la demande de ces collectivités et établissements. Ils peuvent mettre des agents à disposition des collectivités et établissements qui le demandent en vue d’assurer le remplacement d’agents momentanément indisponibles ou d’assurer des missions temporaires ou en cas de vacance d’un emploi qui ne peut être immédiatement pourvu. Ils peuvent également mettre des fonctionnaires à disposition des collectivités et établissements en vue de les affecter à des missions permanentes à temps complet ou non complet ».

Au regard des dispositions de l’article 25, l’archivage ne fait donc pas partie à ce jour des compétences optionnelles qui peuvent ainsi être mises en œuvre par les centres de gestion à la demande des collectivités territoriales.

Le décret du 26 juin 1985 relatif aux centres de gestion ne prévoit pas de compétences obligatoires ou optionnelles pour les centres de gestion relevant de l’archivage. Tout centre de gestion qui exercerait des missions d’assistance récurrentes dans d’autres domaines que l’assistance juridique statutaire excéderait donc les compétences que lui reconnaît la loi.

Cette analyse est directement issue du principe de spécialité, qui a fait l’objet d’un avis du Conseil d’État rendu le 7 juillet 1994. Les établissements publics, qui sont régis par le principe de spécialité, ne peuvent exercer des activités étrangères à leur mission statutaire, sauf si ces activités constituent le complément normal de leur mission et sont directement utiles pour l’amélioration des conditions d’exercice de celle-ci.

La chambre régionale des comptes d’Alsace a donc raison de dénoncer la mise à disposition des collectivités locales de personnels d’archives par les centres de gestion. Elle peut d’ailleurs pour cela s’appuyer sur la jurisprudence, qui est restée constante sur ce point depuis l’avis du Conseil d’État que je vous ai indiqué.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé.

Mme Catherine Troendlé. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le secrétaire d’État, qui ont le mérite de clarifier une situation qui semblait ambiguë, notamment dans la mise en œuvre de la mise à disposition des archivistes dans notre département.

Vous le comprendrez aisément, je ne puis que regretter ce positionnement, dans la mesure où cette mise à disposition va dans le sens de la mutualisation, qui est la mission première des centres de gestion, et que ce service était apprécié par les communes, tout particulièrement dans un cadre financier contraint. Vous n’ignorez pas que le recours à des organismes privés représente un coût important.

Je ne pense pas qu’une évolution soit prévue dans le cadre d’un nouveau décret en vue d’ouvrir plus largement la mise à disposition à d’autres missions comme celle des archivistes, mais je garde espoir.

parc immobilier et avenir de la maison d'arrêt de lure

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, auteur de la question n° 1096, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Michel Raison. Je souhaite appeler l’attention de Mme la garde des sceaux sur le parc immobilier de l’administration pénitentiaire.

Le 3 avril 2015, Mme la ministre, à l’occasion d’un déplacement dans le département de la Haute-Saône, a réaffirmé combien la maison d’arrêt de Lure, en excellent état et parfaitement aux normes, était en totale adéquation avec l’esprit de la politique pénale qu’elle souhaitait mettre en œuvre, de par son implantation au cœur de la ville et du fait qu’elle soit à taille humaine. Malgré cela, elle a confirmé la fermeture de l’établissement, pour des raisons de sécurité qui interdiraient toute exploitation du site, motif que je continue de contester. La haute administration pénitentiaire, qui souhaite depuis longtemps fermer cet établissement, a trouvé un bon motif !

Mme la ministre a également précisé avoir obtenu, dans le cadre du budget triennal 2015-2017, le lancement d’un nouveau programme pénitentiaire permettant de créer plus de 3 200 places nettes. Comme indiqué dans une réponse à une question écrite, les livraisons interviendraient entre 2019 et 2024.

Mme la ministre avait évoqué la reconstruction d’un autre établissement, peut-être dans les environs de Lure, mais sans autre précision. Je souhaite savoir si ce projet sera bien intégré au plan de financement 2015-2017 et si le choix du lieu d’implantation pourra privilégier le secteur de Lure, qui est très affecté par la fermeture de cet établissement pénitentiaire. Je voudrais également savoir quelle sera la taille de ce nouvel établissement. C’est un élément important, qui peut entraîner d’autres fermetures, en particulier celle de la maison d’arrêt de Vesoul.

Par ailleurs, quel sera l’avenir du bâtiment aujourd’hui désaffecté, qui reste propriété de l’État et qui ne peut pas être laissé à l’abandon en raison de sa situation en cœur de ville ? Je rappelle que sa prétendue dangerosité est l’unique argument avancé par le Gouvernement pour justifier sa fermeture.

Je demande donc au Gouvernement de me communiquer les mesures qu’il entend prendre pour valoriser ce site, étant entendu qu’une cession à la ville de Lure – Mme la ministre a annoncé très généreusement que la ville pourrait être prioritaire pour l’achat de ce bâtiment, ce qui nous fait une belle jambe ! - pourrait apparaître au mieux comme une plaisanterie, au pire comme une provocation au vu de son état.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Monsieur le Sénateur, je vous prie d’excuser Mme Taubira, retenue par ailleurs.

Vous avez eu raison d’entamer votre interpellation du Gouvernement en mentionnant que la ministre de la justice, à l’occasion de ses déplacements à Lure, a signalé combien elle regrettait la fermeture de cet établissement pénitentiaire, tant pour l’impact sur la ville de Lure et ses environs que pour les personnels pénitentiaires et les personnes détenues. Mme la ministre considère en effet que ce type de structure, à taille humaine et intégrée dans le tissu urbain, est conforme aux critères qualitatifs que nous devons nous assigner pour les établissements à venir.

Elle s’est rendue sur place, vous l’avez dit, et a pu évoquer à plusieurs reprises les raisons de la fermeture, qui tiennent uniquement à la sécurité : le péril imminent sur le bâtiment est établi par trois expertises successives, et aucun des quatre scénarios dont elle a demandé l’évaluation pour répondre à vos légitimes interrogations n’a permis d’aboutir à d’autre conclusion que la décision de fermeture définitive. Il s’agit d’une décision prise en responsabilité, pour la sécurité des personnels et des détenus. Mme la ministre a souhaité que les situations des personnels soient prises en compte prioritairement par l’administration pénitentiaire.

Quant aux conséquences pour la ville de Lure et sa région de cette décision, les services de l’administration pénitentiaire y travaillent avec le cabinet de Mme la ministre, en lien avec les autres ministères en charge du dossier, à la fois pour venir soutenir la commune amputée d’une part de son budget via une mobilisation de la réserve ministérielle, mais également pour envisager selon quelles modalités, pour quels besoins et à quelles conditions pourrait être envisagée la construction d’un établissement dans la future région Bourgogne-Franche-Comté. Les éléments précis relatifs à ces besoins sont sur le point de vous être communiqués. En tout état de cause, et comme vous le savez en tant que parlementaire, une telle décision pourra être examinée dans le cadre du prochain budget triennal 2017-2020, le budget triennal en cours portant sur la période 2015-2017.

Le devenir du site est un sujet de préoccupation pour le ministère de la justice, comme Mme la garde des sceaux l’a exprimé à plusieurs reprises et au début du mois d’avril dernier encore. Selon une procédure établie, le ministère rend les sites à France Domaine lorsqu’ils ne sont plus affectés à un service public. La ministre n’a pas encore appliqué cette procédure, car elle a demandé que ses services examinent de près les utilisations possibles de l’ancienne maison d’arrêt. Dans tous les cas de figure, un rapprochement sera opéré avec la commune pour décider ensemble de ce qu’il doit advenir de ce site. S’il faut le céder, il y aura un appui fort de l’application du droit de préemption pour que la commune puisse exercer celui-ci dans les meilleures conditions financières et dans des délais qui lui permettent d’étudier un projet urbain cohérent avec l’emplacement de la maison d’arrêt au cœur de la ville.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. Monsieur le secrétaire d’État, je reste évidemment un peu sur ma faim, puisque vous confirmez ce que Mme la ministre avait déjà affirmé, à savoir que la prison lui plaisait bien mais qu’il fallait la fermer. Or, si j’admets la fermeture provisoire, je ne me résous toujours pas à la fermeture définitive : on ne me fera pas avaler que les professionnels d’aujourd'hui ne sauraient pas renforcer ce que nos ancêtres ont réussi à construire au milieu du XIXsiècle !

Concernant l’avancement du dossier sur un nouveau site, je comprends que vous ne puissiez pas me fournir une réponse précise aujourd’hui, mais nous sommes toujours dans l’incertitude, d’autant plus qu’il était question à l’époque du secteur de Belfort-Lure et que l’on évoque à présent la région Bourgogne-Franche-Comté. Si l’établissement est déplacé à Dijon, cela posera bien plus de problèmes tant pour les détenus et leurs familles que pour le jugement des détenus au tribunal de Vesoul.

Pour le site de Lure, je prends note que vous allez vous rapprocher de la commune. J’ai cependant vécu une expérience similaire en tant que maire de Luxeuil-les-Bains au sujet d’un quartier militaire, qui appartenait donc à l’État : il m’a fallu un mandat complet pour résoudre le problème, en faisant beaucoup de forcing ! Je compte donc beaucoup sur le Gouvernement, par respect pour les gens de Lure, pour que ce dossier ne traîne pas trop en longueur.

Je ne vois pas très bien comment utiliser la maison d’arrêt qui est, nous dit-on, trop dangereuse. Il n’y a donc d’autre solution que de la démolir et de trouver un projet intéressant à mettre à la place. Bref, il y a un peu de boulot !

contribution équitable à l'entretien et à l'éducation des enfants dans les situations de résidence alternée

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Bailly, auteur de la question n° 1115, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Bailly. Je souhaite appeler l’attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants dans les situations de résidence alternée.

La résidence alternée comme solution de garde en cas de divorce ou de séparation des parents est de plus en plus envisagée ; c’est un marqueur fort de l’évolution de notre société et de l’implication des pères dans l’éducation de leurs enfants. Il s’agit d’ailleurs d’un mode de garde reconnu par la loi du 4 mars 2002 – qui a marqué l’entrée de la résidence alternée dans notre législation – et confirmé par le Sénat, qui a voté le 17 septembre 2013 un amendement visant à privilégier la résidence alternée et à instaurer un délit d’entrave à l’exercice de l’autorité parentale.

Néanmoins, le partage des frais inhérents à ce mode de garde est parfois peu équitable. La contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, communément appelée pension alimentaire, est fixée selon un barème précis en fonction des critères de revenus et du nombre d’enfants. Même si l’enfant réside chez ses deux parents et que ces derniers participent à la même hauteur aux charges qui lui sont relatives, le parent ayant le revenu le plus élevé verse une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants au second parent. Cette contribution s’ajoute à d’éventuels salaires et à des prestations sociales ou familiales, celles-ci ne pouvant être, selon la loi, versées qu’à un seul des deux parents et non réparties équitablement entre les deux foyers.

Or, dans de nombreux cas, le parent versant ladite contribution voit ses revenus diminuer fortement, jusqu’à atteindre parfois un niveau inférieur à ceux du parent aidé par la pension alimentaire. Les niveaux de revenus s’inversent alors, et c’est finalement le parent qui avait les revenus les plus élevés qui se retrouve dans une situation de précarité financière, affectant à terme principalement les enfants.

Aussi, je m’interroge sur les mesures qui pourraient être envisagées pour mieux prendre en compte la situation financière des deux parents dans les cas de résidence alternée, afin, tout simplement, d’améliorer l’équité entre ces derniers quant à la prise en charge de leurs enfants.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Monsieur le sénateur, vous avez souhaité appeler l’attention de la ministre de la justice sur l’équité financière entre les parents dont l’enfant réside en alternance chez chacun d’eux.

Le code civil, comme vous l’avez dit, prévoit que « chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant », cette contribution prenant généralement, en cas de séparation des parents, la forme d’une pension alimentaire.

La résidence alternée, organisation choisie aujourd'hui par les parents séparés dans 19 % des cas, conduit majoritairement à un partage relativement égalitaire des frais liés à l’enfant et à l’absence de versement d’une pension alimentaire. Par ailleurs, en cas de versement d’une contribution, il est noté que celle-ci prend de plus en plus souvent la forme d’une prise en charge directe des frais par l’un des parents. Cette forme de contribution serait aujourd’hui, en cas de résidence alternée, choisie par les parents trois fois plus souvent qu’en 2003.

Néanmoins, plusieurs situations peuvent justifier le versement d’une pension. Il en est ainsi lorsque, malgré la résidence en alternance, un seul des parents assume principalement la charge financière de certaines dépenses – la cantine ou les activités extrascolaires, par exemple – ou lorsque l’un des parents est dans l’incapacité d’assumer financièrement les frais liés à cette organisation. Toutefois, la résidence alternée résultant le plus souvent d’un accord entre les parents, ces derniers s’entendent en général sur le montant de la pension alimentaire.

Ce n’est que dans les autres cas que le juge aux affaires familiales fixe lui-même le montant de la pension. Dans cette tâche, il peut s’aider d’une table de référence à valeur indicative, publiée par le ministère de la justice depuis 2010 et qui est le fruit du travail d’économistes, de juristes et de magistrats s’étant appuyés tant sur des travaux universitaires que sur la pratique judiciaire. Il est exact que cette dernière a été établie en veillant à ce qu’il ne soit pas donné à l’obligation alimentaire un objectif de redistribution des ressources. Toutefois, faisant suite à un certain nombre de critiques portant sur l’impact du système socio-fiscal sur les séparations de couples, la Chancellerie a engagé un travail de réflexion visant à ce que la table de référence prenne mieux en compte la situation de la résidence alternée et, plus généralement, à ce que, dans les modes de calcul, la table puisse mieux prendre en considération la réalité économique vécue par les couples qui se séparent. Ces travaux en cours devraient permettre d’aboutir à la détermination d’un taux d’effort plus équitable pour le débiteur de la pension, notamment dans le cas de la résidence alternée.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Bailly.

M. Dominique Bailly. Il est effectivement nécessaire de faire évoluer cette fameuse table de référence. Je remercie d’ailleurs le Gouvernement de se pencher sur le sujet.

Les parents qui recourent à la résidence alternée sont encore minoritaires, mais leur nombre a tendance à augmenter. C’est pourquoi les exemples que j’ai cités, tirés de la « vraie vie », méritent une attention particulière.

révision des valeurs locatives des locaux professionnels

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, auteur de la question n° 1086, adressée à M. le secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je veux appeler l’attention de M. le secrétaire d’État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget sur la généralisation à l’ensemble du territoire de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels, initiée au début de l’année 2013.

Pour rappel, cette étape fait suite à une expérimentation menée en 2011 dans certains départements. Elle prévoit, selon l’article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, l’instauration d’une révision des valeurs locatives des locaux professionnels en fonction d’un tarif déterminé à l’avance, qui prend en compte le secteur locatif et la surface du bien. Ainsi, dans chaque département, une commission mixte composée de représentants d’élus et de contribuables a été mise en place. Elle a été tenue d’examiner les paramètres du projet de grille tarifaire fournie par l’administration fiscale.

Si le bien-fondé de cette révision des valeurs locatives, qui reposaient auparavant sur des règles complexes et peu intelligibles, semble relever du bon sens, il est en revanche possible d’émettre de sérieux doutes quant à la qualité des moyens mis en œuvre pour solliciter l’avis des commissions intercommunales des impôts directs. En effet, lors du processus de validation des paramètres de la grille tarifaire, ces commissions ont émis dans la plupart des départements, dont celui de la Gironde, comme j’ai pu moi-même le constater, des avis largement défavorables.

Il faut dire que le délai de trente jours octroyé aux commissions intercommunales des impôts directs pour émettre un avis a été jugé beaucoup trop court et n’a pas permis un travail approfondi ni apaisé. Cette révision n’a pas manqué non plus de susciter les plus vives inquiétudes des élus locaux, dont je veux me faire le porte-parole. En effet, les fiches d’impact fournies aux commissions intercommunales des impôts directs se sont souvent révélées parcellaires et même, quelquefois, totalement inexploitables. Plus préoccupant encore, ces fiches d’impact laissent entrevoir de fortes disparités, puisqu’elles ne prennent pas en compte la réalité du marché, à savoir la règle selon laquelle plus un local est grand, plus son loyer par mètre carré diminue. Cela se traduit, dans les communes, par de fortes variations des cotisations entre les différents acteurs professionnels. Par exemple, les grandes surfaces situées en périphérie sont avantagées et cotisent moins que les petits commerçants situés en centre-ville.

J’appelle l’attention sur la difficulté pour les élus de prendre une décision motivée et en connaissance de cause, ainsi que sur la menace qui pèse désormais sur la fiscalité de nos entreprises. Je souhaite donc savoir s’il est envisagé de fournir aux communes des études d’impact plus détaillées et si le Gouvernement accepte une remise à plat du processus de cette réforme, puisque le report du calendrier le permet maintenant.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. C’est sur l’initiative du Parlement, notamment de la commission des finances du Sénat, que le processus de révision des valeurs locatives des locaux professionnels, puis, dans un second temps, des locaux d’habitation, a été engagé par le Gouvernement. Ce processus résulte, pour ce qui concerne les locaux professionnels, de l’adoption d’un amendement à la loi de finances rectificative du 29 décembre 2013. Cette réforme fait partie, comme vous l’avez dit, madame la sénatrice, de revendications anciennes des diverses associations d’élus locaux, régulièrement rappelées au Gouvernement.

La principale justification de cette réforme, attendue depuis longtemps, est le constat de l’injustice fiscale résultant du mode de calcul actuel des valeurs locatives, qui remonte à quarante ans. Chaque année, les valeurs locatives sont éventuellement revalorisées mais toujours de manière uniforme, sans tenir compte des évolutions relatives des prix de l’immobilier et des valeurs foncières entre différents quartiers d’une même commune ou entre deux collectivités distinctes. C’est à cette situation que nous souhaitons remédier, en évitant les écueils des précédentes réformes, qui ont toutes échoué. C’est pour cette raison que le Gouvernement, par la voix de Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget, a annoncé qu’il solliciterait du Parlement un report de l’entrée en vigueur de cette révision.

J’entends ce que vous avez dit à propos des fiches d’impact qui ont été fournies aux commissions intercommunales des impôts directs examinant les effets de la réforme. Toutefois, à l’heure actuelle, il n’est pas possible d’avoir une vision fiable et globale des effets de la réforme sur certaines catégories de contribuables. Les inquiétudes qui s’élèvent sont donc infondées ou pour le moins prématurées.

Nous faisons face en effet à un processus délicat : en l’absence de délibération des commissions intercommunales des impôts directs, l’administration est dans l’incapacité de produire des simulations de la réforme qui soient fiables. Toutefois, comme vous le signalez, certaines commissions peuvent craindre de ne pas disposer de l’ensemble des informations nécessaires à leurs délibérations.

La seule manière d’avancer est donc la suivante : prioritairement, mener à son terme le travail des commissions intercommunales des impôts directs, qui seul permettra d’évaluer les conséquences de la révision ; ensuite, pour répondre à votre préoccupation, ne pas mettre en œuvre cette réforme dès 2016, afin d’éviter les éventuels effets pervers qu’on n’aurait pas pu prévoir. En effet, reporter la réforme permettra à la fois aux commissions, et donc aux élus locaux et nationaux, d’avoir une vision claire de ses conséquences. Nous disposerons alors d’une année supplémentaire pour envisager, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, les évolutions qui pourraient être nécessaires afin de rendre la réforme soutenable pour l’ensemble des contribuables.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Soyons clairs, nous ne sommes pas opposés à la révision des valeurs locatives cadastrales. Seulement, cette question est extrêmement sensible, car les conséquences d’une telle révision peuvent être très lourdes pour nos entreprises. Aussi, il me semble qu’il convient d’engager une vraie concertation avec les élus locaux, au cas par cas. Il ne faut pas en rester au formalisme de ces commissions, parce que, comme vous venez de le reconnaître vous-même, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement ne peut pas leur fournir la totalité des éléments qu’elles réclament.

Remettez-vous-en à la sagesse des élus locaux, à leurs connaissances du territoire. Voilà pourquoi il faut absolument que le Gouvernement engage cette concertation. Cela me paraît d’autant plus essentiel que d’autres réformes doivent suivre celle-ci. Si on « loupe », si j’ose dire, la révision des valeurs locatives des locaux professionnels qu’en sera-t-il de celle des valeurs locatives des locaux d’habitation ? Il faut donc que cette réforme soit exemplaire.

Mme la présidente. Mes chers collègues, dans l’attente de l’arrivée de Mme la ministre de la culture, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures vingt-cinq, est reprise à onze heures trente-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

devenir du dispositif malraux et rénovation urbaine

Mme la présidente. La parole est à M. François Commeinhes, auteur de la question n° 1103, adressée à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

M. François Commeinhes. Ma question porte sur la limitation dans le temps du dispositif fiscal dit « Malraux », codifiée à l’article 199 ter du code général des impôts, applicable au programme national de requalification des quartiers anciens dégradés, le PNRQAD. Ce dispositif fiscal serait en effet remis en cause dès la fin de l’année en cours, selon l’interprétation des services de l’État reçue par plusieurs collectivités concernées, alors qu’il doit absolument être calé sur la durée réelle et opérationnelle de ce programme.

Le PNRQAD, proposé par le Gouvernement, vise à aider les villes à développer dans leurs quartiers anciens une politique sociale, économique et urbaine permettant tout à la fois de lutter contre l’habitat indigne, de réhabiliter le parc privé existant dans une logique de développement durable et de revaloriser fortement un patrimoine remarquable. Il concerne plus de vingt villes porteuses d’un secteur protégé sur la période 2010-2017, notamment Montauban, Nice, Calais ou Sète.

L’absence de clarification rend contraignante la poursuite, pour les collectivités pilotes, du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés, malgré l’engagement de l’État sur la période 2010-2017.

L’État et ses opérateurs, l’Agence nationale de l’habitat et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, mobilisent dans ce cadre jusqu’à 380 millions d’euros d’ici à 2017, entraînant un effet de levier estimé à 1,5 milliard d’euros sur la période, sans parler des emplois induits pour le secteur du bâtiment et des travaux publics. Dans ce dispositif, l’aide fiscale « Malraux », qui permet une réduction d’impôt pouvant atteindre 40 % du coût des travaux de réhabilitation, tient une place essentielle pour mobiliser les investissements privés. Il serait donc très hasardeux de remettre en cause la sécurité juridique et fiscale des investisseurs désireux de bénéficier de cette réduction d’impôt.

Pour ma seule ville de Sète, il existe actuellement quatre immeubles entiers, acquis et vacants, pour lesquels, le permis de construire ayant été accordé et la déclaration d’utilité publique prononcée, nous recherchons des opérateurs « Malraux », tandis que deux logements sont en voie d’acquisition et deux autres ont été repérés. Limiter le régime fiscal favorable au 31 décembre de cette année aurait non seulement pour effet d’annuler toutes les ventes actuellement envisageables, mais aussi de produire une baisse considérable des objectifs de restauration au niveau national, sauf à solliciter d’avantage des finances communales déjà extrêmement mises à mal.

La question qui se pose est donc de savoir si les immeubles vendus jusqu’au 31 décembre 2015 pourront bénéficier du régime fiscal favorable durant les trois prochaines années ou si l’avantage sera stoppé net dès la fin de cette année. Est-il possible de proroger le dispositif Malraux du PNRQAD en cohérence avec les calendriers opérationnels contractualisés dans le cadre des conventions pluriannuelles, prorogation indispensable à la mise en œuvre des projets voulus par l’État et les collectivités ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle 2 », a institué une date couperet pour la transformation des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, les ZPPAUP, en aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, ou AVAP. Les ZPPAUP doivent être transformées en AVAP, au plus tard, dans un délai de cinq ans. La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové a prolongé ce délai d’un an, soit au 14 juillet 2016.

Seules 60 ZPPAUP ont été transformées en AVAP à ce jour sur les 685 qui ont été créées depuis plus de trente ans. À ce rythme, il faudrait plus d’un demi-siècle pour transformer toutes les ZPPAUP. Plus de 600 d’entre elles risquent donc de disparaître au 14 juillet 2016.

Le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine a notamment pour objectif de préserver les bénéfices de cette politique en assurant une meilleure protection et une mise en valeur plus grande du patrimoine urbain et paysager. Cet objectif sera rempli par l’institution des cités historiques. Ainsi, les ZPPAUP et AVAP existantes intégreront automatiquement les cités historiques et leurs règlements continueront de s’appliquer jusqu’à leur intégration dans un plan de sauvegarde et de mise en valeur ou dans un plan local d’urbanisme dit « patrimonial ». Les AVAP en cours d’instruction à l’entrée en vigueur de la loi pourront également poursuivre leur procédure de création jusqu’à leur terme selon les dispositions antérieures, dans un délai de trois ans. Une fois instituées, ces AVAP seront ensuite transformées automatiquement en cités historiques.

Soyez assuré, monsieur le sénateur, que je veillerai à ce que les dispositions prévues par le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine soient adoptées avant la date butoir du 14 juillet 2016.

S’agissant du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés, il concerne les quartiers présentant soit une concentration élevée d’habitat indigne et une situation économique et sociale des habitants particulièrement difficile, soit une part élevée d’habitat dégradé vacant et un déséquilibre important entre l’offre et la demande de logements. Ce programme ambitieux de reconquête des centres-villes en déclin permet de lutter contre le desserrement urbain et de réhabiliter le « vivre en ville » par la création de logements plus adaptés aux demandes actuelles et la restauration de l’attractivité urbaine de ces quartiers. À ce jour, 40 projets ont été retenus et environ 50 000 logements bénéficient chaque année d’une subvention de l’État. Ces quartiers ont également la possibilité, jusqu’au 31 décembre 2015, de bénéficier du dispositif fiscal « Malraux » dès lors que la restauration a été déclarée d’utilité publique. Le taux de réduction d’impôt en quartier ancien dégradé s’élève à 30 % des travaux de restauration dans la limite annuelle de 100 000 euros comme pour les secteurs sauvegardés.

Mme la présidente. La parole est à M. François Commeinhes.

M. François Commeinhes. Si j’ai bien compris, madame la ministre, les PNRQAD dont la mise en œuvre a déjà été engagée pourront bénéficier de la défiscalisation dite « Malraux » jusqu’à la fin de la réalisation des travaux. Si tel est le cas, ma demande est entièrement satisfaite. Sinon, je déposerai un amendement lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative en vue de permettre la prorogation de ces financements après le 31 décembre 2015.

réponses du gouvernement à la crise du logement social étudiant

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate, auteur de la question n° 1110, adressée à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. Patrick Abate. Le nombre d’étudiants ne cesse de croître – 2,3 millions aujourd’hui, dont 12 % d’étudiants étrangers –, tandis que la construction et la rénovation des logements sociaux dédiés ne suivent pas cette dynamique. Le constat est alarmant : seuls 7 % des étudiants, au niveau national, ont accès à un logement social géré par un CROUS, un centre régional des œuvres universitaires et scolaires, ou un organisme conventionné. Le dernier rapport de la Cour des comptes faisait ainsi état de 162 457 chambres dans le pays, bien trop peu pour répondre aux besoins. À ce chiffre, il faut ajouter l’inégalité territoriale, particulièrement flagrante dans les grandes villes universitaires.

Le plan « Anciaux » et le plan « 40 000 », lancés respectivement en 2004 et 2012, n’ont pas amélioré de façon significative la situation. Le premier n’a rempli que 53 % de son objectif : 26 400 logements sur les 50 000 initialement prévus. Le second, démarré certes il y a peu, suscite déjà un certain nombre d’inquiétudes. En effet, l’engagement de 8 000 nouvelles places annuelles n’est pour l’heure pas tenu. Dans le même temps, et c’est tout aussi inquiétant, la loi de finances pour 2015 a amputé les crédits des contrats de plan État-région de 14 millions d’euros, soit un tiers de ce qui était prévu à l’origine.

Résultat : les étudiants voient leur choix d’université bloqué, faute d’une possibilité de mobilité ; en outre, la précarité financière s’accroît, ainsi que le salariat étudiant, avec tous les risques que cela comporte en matière de réussite. En effet, parler du logement étudiant, c’est parler du premier poste de dépenses de ces jeunes. Combien d’étudiants n’ont pas réellement pu choisir leur lieu d’études, voire leur orientation ? Ce sont là autant de vocations et de motivations gâchées. Combien d’étudiants ont dû prendre un emploi pour financer leurs études ? Aujourd’hui, près de la moitié des étudiants se salarient toute l’année, et même près des trois quarts si l’on tient compte des étudiants en vacation.

Cet état de fait a des conséquences en matière de réussite. L’INSEE souligne que les étudiants salariés réussissent globalement moins bien que les autres : leur taux d’échec est de 66 %, contre 49,3 % pour ceux qui ont la chance de ne pas travailler parallèlement à leurs études.

Certes, ces difficultés ne datent pas d’hier, de même que celles auxquelles se heurtent les CROUS et leurs salariés. Ces services doivent recourir à des vacataires. Certains d’entre eux sont si surchargés de demandes qu’ils en sont réduits à limiter la possibilité même de déposer un dossier, en instituant une politique de seuils. En tout état de cause, une relance de la construction du logement étudiant ne pourra pas faire l’impasse de moyens de travail et donc d’effectifs supplémentaires, à destination des CROUS.

Comment le Gouvernement entend-il améliorer, de manière significative, la situation du logement social étudiant ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, vous le savez, le Président de la République a fait de la jeunesse l’une des priorités de son quinquennat. Cet engagement se traduit notamment par l’attention portée aux étudiants de notre pays. À cet égard, nous sommes, comme vous, conscients que la qualité des conditions de vie joue un rôle déterminant pour la réussite des étudiants. Nous sommes donc déterminés à offrir à notre jeunesse le cadre idoine lui permettant d’étudier sereinement. En particulier, je tiens à vous rappeler l’action volontariste que mène le Gouvernement en matière de logement.

En premier lieu, j’insiste sur la construction de logements. Le plan « 40 000 », annoncé par le Président de République en mai 2013, vise à créer 40 000 logements étudiants d’ici à la fin de l’année 2017. À ce jour, plus de 25 % des objectifs ont déjà été atteints, avec, très précisément, la construction de 11 912 logements étudiants, soit 511 de plus que prévu dans la programmation initiale.

Par ailleurs, selon les projections, près de 50 % des objectifs auront été atteints d’ici à la fin de cette année, avec une production totale de 20 722 nouveaux logements étudiants. En tout, 42 445 logements de ce type devraient être construits avant la fin du quinquennat.

Notre volonté de faire réussir le plan « 40 000 » s’est traduite par l’envoi, début 2015, d’une circulaire de mobilisation aux recteurs et aux préfets ainsi que par un travail interministériel destiné à simplifier et à favoriser la construction de logements sociaux étudiants.

En second lieu, le Gouvernement agit par des dispositifs permettant de faciliter l’accès au logement des étudiants. À cet égard, la caution locative étudiante a été généralisée à la rentrée de 2014. Ce dispositif permet aux étudiants dépourvus de garants personnels de bénéficier de cette garantie de l’État pour une année universitaire. Il peut être demandé pour tout type de logement, quels que soient les bailleurs ou le mode d’occupation. Il complète l’effort de construction de logements, en agissant directement sur les conditions d’accès au parc locatif privé.

Vous le constatez, notre action tend à améliorer les conditions de vie étudiante et, ainsi, à favoriser la réussite de tous et à réduire les inégalités sociales dans l’accès aux études supérieures.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Madame la ministre, je vous remercie de ces précisions, qui me semblent utiles, notamment au sujet du plan « 40 000 ». Si les chiffres que vous annoncez sont le véritable bilan d’étape – je ne les remets pas en cause –, il n’y a pas lieu de penser que nous n’atteindrons pas cet objectif à la fin du quinquennat. Bien entendu, si ce résultat se confirme, nous nous en féliciterons. Néanmoins, même si le plan « 40 000 » connaît une issue favorable, de nombreuses autres préoccupations demeureront pour les étudiants.

Vous avez également évoqué la caution locative étudiante. Cette solution permettra effectivement de pallier un certain nombre de difficultés. Même si l’accès au logement ne résout pas tous les problèmes, il constitue un important facteur de réussite pour nos jeunes.

Vous l’avez rappelé, le Président de la République s’est engagé à faire de la jeunesse sa priorité. Une politique très ambitieuse en matière de logement social étudiant serait un bon gage de la volonté du Gouvernement de s’engager en faveur de la jeunesse. La priorité affichée doit aboutir à des concrétisations. Nous resterons donc très attentifs à la manière dont cette politique sera mise en œuvre.

modalités d'élaboration de la carte scolaire pour le premier degré en milieu rural

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, auteur de la question n° 1101, adressée à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. Claude Bérit-Débat. Depuis trois ans, le Gouvernement refonde l’école de la République. Il lui redonne progressivement les moyens qui doivent être les siens, qu’il s’agisse des recrutements, de la formation des maîtres, de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ou de la réforme en cours des collèges.

Je tiens à saluer ces efforts et à féliciter le Gouvernement, en particulier Mme la ministre de l’éducation nationale : demain, partout sur notre territoire, tous les élèves pourront avoir les mêmes chances et bénéficier d’un même enseignement de qualité. Toutefois, malgré tous ces efforts, les territoires ruraux, notamment dans le département dont je suis l’élu, la Dordogne, ont le sentiment d’être exclus de ce mouvement, du fait même des critères trop stricts d’élaboration des cartes scolaires et des suppressions de postes que leur application engendre chaque année. Aussi, il me semble urgent de repenser ces critères.

Je sais que le Gouvernement lui-même avance sur cette question. Il a annoncé l’application, pour les prochaines années, de nouveaux critères comme le niveau de vie des ménages, le caractère rural des communes, la mise en place de protocoles dans les départements ruraux volontaires ou encore la prise en compte des inscriptions au mois de juin et non plus au mois d’avril. Ces mesures vont incontestablement dans le bon sens. Néanmoins, à mes yeux, certains points méritent encore d’être précisés et affinés. Par exemple, pour les regroupements, surtout pour les regroupements périscolaires, le critère géographique pourrait inclure le temps de trajet des élèves. Le critère du nombre d’enfants par classe pourrait, lui aussi, être assoupli, de sorte que plus aucune classe, en milieu rural, ne soit fermée parce qu’il lui manque un ou deux élèves.

En outre, il me semble important que la concertation avec les élus, en particulier avec les maires, soit renforcée et repensée. Il faut associer davantage ces acteurs à l’élaboration des protocoles départementaux : ils le demandent tous. Surtout, il faut déterminer la carte scolaire sur une base pluriannuelle et, ce faisant, permettre aux élus de disposer d’une meilleure lisibilité quant aux investissements à engager dans le domaine scolaire.

Chacun l’aura compris, si je soutiens l’action du Gouvernement en matière scolaire, j’attends qu’il trouve une solution efficace pour résoudre les difficultés auxquelles sont confrontés, dans ce domaine, les départements ruraux. Aussi ma question est-elle la suivante : sur la base de ces éléments, comment le Gouvernement entend-il avancer, encore davantage, sur la question de la carte scolaire et de ses effets sur les départements ruraux ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Le ministère de l’éducation nationale s’est donné pour mission de mieux répartir les moyens alloués aux académies, afin que soient mieux prises en compte les différences entre les territoires. Vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, le nouveau mode de répartition intègre, en plus du critère démographique, un élément social. Au total, c’est donc une pluralité de données territoriales, sociales, pédagogiques et fonctionnelles qui sont désormais prises en compte, comme, par exemple, les déplacements des élèves, la présence d’élèves à besoins éducatifs particuliers ou encore le rattachement à un réseau d’éducation prioritaire.

Dans le cas précis du département de la Dordogne, la baisse d’effectifs de plus de 450 élèves sur les deux dernières années s’est traduite par le retrait de sept postes pour la rentrée de 2015. Toutefois, la ruralité du territoire reste pleinement accompagnée avec le ratio d’encadrement le plus élevé de l’académie – celui-ci est de l’ordre de 5,39. Il n’est reste pas moins que la Dordogne compte encore 445 écoles de taille souvent limitée, alors même que la baisse du nombre d’élèves se poursuit depuis sept ans.

La conséquence de ce double constat est la fragilité de certaines écoles. Un travail est en cours pour rationaliser la carte scolaire en Dordogne et l’inscrire, ainsi, dans une construction durable.

Dans ce cadre, deux courriers cosignés par le préfet de la Dordogne et l’inspectrice d’académie ont été adressés aux maires et aux présidents d’EPCI, en juin et en novembre 2014, afin non seulement de rappeler ce contexte, mais aussi de lancer et d’accompagner une réflexion. À cet égard, un premier comité départemental de pilotage sur le tissu scolaire s’est tenu le 21 janvier dernier. En outre, une feuille de route départementale est en cours d’élaboration avec l’Union des maires.

Vous le constatez, la perspective n’est pas un modèle unique d’organisation de l’école, quels que soient les territoires. Il s’agit bel et bien de pouvoir adapter les différents établissements à leur contexte, notamment dans les secteurs ruraux, et, ainsi, de favoriser les conditions de réussite des élèves.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

M. Claude Bérit-Débat. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui va dans le bon sens. Néanmoins, permettez-moi d’insister sur l’inquiétude qu’éprouvent les maires ruraux de mon département.

Ces élus ne s’opposent pas aux fermetures d’écoles en tant que telles, dans la mesure où elles répondent aux évolutions de la démographie scolaire. Le contexte local peut rendre de telles mesures nécessaires. Cependant, ils souhaitent disposer d’une visibilité à moyen et long terme. À cet égard, la situation la plus dramatique, c’est celle de communes qui, un an après avoir investi dans des bâtiments scolaires, après s’être donné les moyens d’améliorer l’accueil des élèves, se trouvent contraintes de fermer leur école. À mon sens, une véritable concertation doit s’engager avec les élus de terrain, par exemple au niveau des intercommunalités : ces territoires sont, à présent, assez homogènes. Je le répète, tous les élus locaux demandent à être associés.

De surcroît, il faut se garder d’appliquer des critères numériques stricts. En milieu rural, lorsqu’un regroupement est effectué, d’autres facteurs doivent être pris en compte – par exemple, le fait que certains élèves devront faire un trajet de trois quarts d’heure en car scolaire pour rejoindre leur école… Ces éléments sont importants pour décider, dans le cadre d’une concertation, quelle classe sera supprimée.

Je suis parfaitement informé de la démarche engagée dans le département de la Dordogne et des efforts accomplis par M. le préfet et par Mme l’inspectrice d’académie. Toutefois, de leur côté, les élus persistent à demander une concertation bien en amont. Ils veulent disposer d’une véritable lisibilité quant au devenir de leur école et des investissements qu’ils doivent engager. C’est un enjeu pour les finances publiques et vis-à-vis de leurs concitoyens, auxquels ils doivent rendre des comptes.

situation des centres d’information et d’orientation du morbihan

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, auteur de la question n° 1088, adressée à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. Michel Le Scouarnec. Les centres d’information et d’orientation, les CIO, sont des outils majeurs de la politique d’orientation et de formation. Ils constituent une ressource quotidienne indispensable pour les conseillers et, surtout, offrent un lieu unique d’accueil et de conseil aux élèves et à leurs parents. On en compte actuellement vingt-deux sur le territoire des quatre départements bretons, dont cinq dans le Morbihan. Véritable service public de proximité, ils contribuent efficacement à l’accès à l’information et à l’ambition scolaire. Je rappelle que le Gouvernement a fait de l’école une priorité.

Pourtant, les CIO ont été les grands absents du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et ont disparu du projet de loi relatif à la décentralisation. Dans le même temps, les régions ont renoncé à leurs projets d’investissement dans ce domaine, notamment parce que l’État ne s’est pas engagé à financer le transfert des locaux et des charges. Ce retrait ne ménage plus aucun financement pour les CIO, alors que les départements poursuivent leur désengagement et que l’État réduit leur nombre d’année en année.

Dans le Morbihan, cette situation s’est traduite par une refonte de la carte des CIO en fonction des bassins de population, c’est-à-dire sur la base d’un découpage à la fois théorique et subjectif. La région ne rassemble en outre que douze de ces bassins, soit dix de moins que le nombre de CIO. Il est aisé d’imaginer les conséquences d’une réflexion appuyée sur un tel fondement. Elle conduirait indubitablement à la disparition d’une moitié des CIO en région Bretagne. Pourtant, plus de 30 000 collégiens et lycéens sont scolarisés dans l’enseignement public pour le seul département du Morbihan.

Ainsi, le rectorat vient de décider de fermer quatre centres, ceux d’Auray, de Quimperlé, de Loudéac et de Landerneau. Cela va poser de très nombreuses difficultés aux familles morbihannaises qui ne disposeront plus d’un service public de proximité pour bénéficier de conseils en matière d’orientation, lesquels sont précieux, en particulier, pour les familles les plus modestes.

Les agents des CIO s’inquiètent légitimement de la continuité de leurs missions et de leurs conditions de travail, alors même qu’ils sont des éléments clés de la réussite scolaire pour tous et partout. Séparer orientation scolaire et orientation professionnelle va à l’encontre d’une approche globale de cette question, pourtant plus que jamais nécessaire dans un monde où les individus sont amenés à s’orienter et à se former tout au long de leur vie.

Que l’on supprime les CIO ou que l’on se contente de les affaiblir, les jeunes et les familles n’y gagneront rien, mais y perdront beaucoup. L’orientation est un sujet important pour notre jeunesse comme pour notre pays, et il faut que tous les partenaires soient associés à la réflexion sur l’avenir de notre offre de formation et d’orientation. C’est pourquoi j’aimerais savoir quelles mesures seront mises en œuvre dans le Morbihan et sur l’ensemble de notre territoire, afin d’offrir aux élèves une information suffisante et de créer les meilleures conditions de réussite pour tous.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Le Gouvernement a fait de la lutte contre le décrochage scolaire une priorité. Dans ce cadre, un grand plan de lutte contre le décrochage a été annoncé, dans lequel l’orientation des élèves occupe une place très importante.

Les évolutions législatives récentes, notamment la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, ainsi que l’arrêt du soutien financier des conseils départementaux appellent à repréciser la place de l’orientation au sein de l’école et tout au long de la vie, en préservant la qualité du service rendu par les CIO. Ainsi, à la demande de la ministre de l’éducation nationale, tous les recteurs ont engagé en 2014 une réflexion visant à restructurer les cartes académiques des CIO.

S’agissant de l’académie de Rennes, la révision a fait l’objet d’une concertation étroite et active entre les services, les membres du personnel et les organisations syndicales, ainsi que d’un dialogue intensifié avec les collectivités territoriales. Les choix d’implantation s’appuient sur la carte actuelle des bassins de formation, qui constituent les territoires pertinents pour penser l’orientation tout au long de la vie. En outre, il est tenu compte des spécificités des territoires en termes de taille, de ruralité et de contexte démographique, économique et social. L’objectif est de tisser un maillage territorial cohérent et qualitatif. Le rectorat a ainsi proposé en décembre 2014 un projet de carte d’implantation fixée à dix-sept CIO, soit cinq de plus qu’actuellement.

L’enjeu, comme vous le savez, monsieur le sénateur, est également financier, et les collectivités territoriales seront éventuellement sollicitées. Plusieurs solutions sont encore à l’étude, notamment celles d’une implantation dans des lycées ou d’une permanence dans un lieu susceptible d’accueillir un conseiller d’orientation psychologue quelques heures par semaine. Ainsi, dans le département du Morbihan, ce choix devrait être conforté en septembre prochain par une permanence de plusieurs demi-journées à Auray, conformément à la demande des élus locaux.

Vous le voyez, c’est avec le souci constant d’offrir aux élèves un service public d’orientation continue et de qualité que nous menons notre action.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Je vous remercie, madame la ministre, de la réponse que vous nous avez communiquée.

Je sais qu’à Auray quelques permanences seront organisées par des conseillers. Leur temps de présence va cependant se réduire, entraînant un recul en termes d’identification sur le territoire par la population, en particulier par les élèves.

La formation, en général, est importante pour permettre la réussite de tous les élèves. Face à la situation d’échec scolaire massif, nous ne comprenons donc pas cette réforme des CIO. Certes, une concertation est en cours, mais le nombre de CIO va diminuer, provoquant l’incompréhension du personnel et des familles. J’espère que cette concertation conduira à faire toute sa place à l’information et à l’orientation. C’est absolument nécessaire si l’on souhaite que la jeunesse réussisse. C’est notre intérêt à tous !

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. François Fortassin,

M. Serge Larcher,

Mme Colette Mélot.

M. le président. La séance est reprise.

6

Saisine du Conseil économique, social et environnemental

M. le président. En application de l’article 70 de la Constitution et en liaison avec MM. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, et Jean-Noël Cardoux, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, j’ai saisi le Conseil économique, social et environnemental d’une demande d’avis sur les pistes d’amélioration du service rendu aux cotisants du régime social des indépendants. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mes chers collègues, je vais vous donner lecture de la lettre que j’ai adressée au président du Conseil économique, social et environnemental, M. Jean-Paul Delevoye, le 22 mai 2015 :

« Cher monsieur le Président,

« Le régime social des indépendants, le RSI, connaît, depuis sa création, des difficultés graves de fonctionnement qui ont des conséquences directes sur les entrepreneurs concernés.

« Ceux-ci dénoncent notamment des erreurs de calcul des cotisations, des retards de versement des retraites, un non-suivi des dossiers, voire des harcèlements administratifs.

« Dans le cadre de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECS, la commission des affaires sociales du Sénat a consacré un rapport d’information au RSI en juin 2014, afin de faire le point sur le fonctionnement du régime, en distinguant bien la question de son organisation et de ses dysfonctionnements, de celle du niveau des prélèvements sociaux pesant sur les travailleurs indépendants qui ne dépend évidemment pas de lui.

« Le débat est actuellement ouvert sur une éventuelle réforme du RSI et les modalités de la protection sociale des indépendants, sans que les termes de celui-ci n’aient été véritablement approfondis par les représentants des intéressés.

« L’article 70 de la Constitution prévoit que ″le Conseil économique, social et environnemental peut être consulté par le Gouvernement et le Parlement sur tout problème de caractère économique, social ou environnemental″.

« L’avis du Conseil économique, social et environnemental, qui est le représentant des activités économique et sociales, serait ainsi de nature à éclairer ces questions et définir les pistes d’amélioration du service rendu aux cotisants du RSI.

« J’attacherai du prix à ce que cet avis puisse être rendu dans les meilleurs délais qu’il vous sera possible, compte tenu des difficultés rencontrées par les travailleurs indépendants.

« Je vous prie d’agréer, monsieur le Président, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

« Signé : Gérard Larcher »

7

Article additionnel après l’article 16 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif au renseignement
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement

Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié et d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et les votes par scrutins publics sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au renseignement (texte n° 424, texte de la commission n° 461, rapport n° 460, avis n° 445), et sur la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (texte n° 430, texte de la commission n° 462, rapport n° 460).

Avant de passer aux votes, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

Je vous inviterai ensuite, mes chers collègues, à vous rendre en salle des Conférences pour voter sur le projet de loi relatif au renseignement et je suspendrai la séance pendant la durée du scrutin, prévue pour une demi-heure.

Je proclamerai le résultat de ce scrutin à l’issue du dépouillement, à quinze heures quarante-cinq, puis il sera procédé au vote par scrutin public ordinaire, en salle des séances, sur la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

Enfin, je donnerai la parole au Gouvernement.

Explications de vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif au renseignement
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe CRC. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme je l’ai évoqué en introduction de nos discussions, le sujet en cause aurait largement justifié que la navette parlementaire laisse aux deux assemblées le temps nécessaire pour parvenir à un équilibre, certes délicat à trouver, entre sécurité et liberté. La complexité de cette question et la nature même des activités de renseignement méritent un débat de fond à la hauteur de l’enjeu que la procédure accélérée ne permet pas.

Sur la forme, nous regrettons que le débat que nous avons eu ait été morcelé entre différentes séances, ce qui nous a obligés à jongler d’un article à l’autre – voire d’un alinéa à l’autre au sein d’un même article – et qu’il ait été intercalé, la semaine passée, entre la discussion d’autres textes.

Sur le fond, malgré toute la détermination du Gouvernement à nous démontrer le bien-fondé des dispositions qu’il souhaite mettre en place, nous ne sommes pas convaincus.

Les modifications que la commission des lois a apportées au projet de loi n’en modifient pas l’état d’esprit. En intégrant techniques de profilage et algorithmes de prédiction, le paradigme est inversé en matière de surveillance : au lieu de partir de la cible pour trouver les données, on part des données pour trouver la cible.

Le présent projet relatif au renseignement est essentiellement légitimé par sa référence au terrorisme, mais il a un contenu beaucoup plus large, puisqu’il permet une surveillance dans de multiples champs : les intérêts économiques et scientifiques français, ceux de la politique étrangère, la criminalité et la délinquance organisée, les fameuses violences collectives.

Dans sa rédaction actuelle, le texte ouvre la voie à de potentielles dérives de surveillance de groupes ou d’individus entendant contester les politiques publiques ; on peut penser, dès lors, aux organisations syndicales, mais pas seulement.

En dénonçant certaines pratiques illégales ou amorales d’entreprises nationales touchant à des questions environnementales ou de santé publique, par exemple, ainsi qu’à tout ce qui a trait à l’énergie, à la distribution de l’eau, aux nouvelles technologies ou à l’armement, les groupes de consommateurs et les lanceurs d’alerte sont également dans le collimateur, car susceptibles, de fait, de nuire aux « intérêts économiques […] de la France ».

À l’inverse, « la prévention de l’espionnage économique, industriel et scientifique dans le respect du droit de l’information » que nous vous proposions d’introduire par voie d’amendement comme raison justifiant l’usage de techniques de surveillance intrusives était un motif précis et légitime, qui aurait permis de prévenir largement les risques de dérives vers la surveillance politique illégitime des citoyens. Hélas, cet amendement, comme tous les autres du groupe CRC, n’a pas trouvé d’écho, ou alors a reçu un écho très faible, dans cet hémicycle.

M. Hubert Falco. La proposition n’était pas bonne !

Mme Cécile Cukierman. Parallèlement à l’invocation de motifs justifiant le recours aux services de renseignement, la France se dote d’un arsenal de techniques intrusives.

Les boîtes noires surveilleront les comportements suspects via la surveillance de toutes les données, y compris celles qui sont relatives à des personnes considérées comme non suspectes, donc tout le monde. Les algorithmes permettront de pratiquer cette surveillance en repérant les personnes qui sont en contact avec d’autres elles-mêmes en lien avec d’autres personnes qui sont en contact avec une personne potentiellement louche...

M. Hubert Falco. On peut avoir des avis contraires aux vôtres !

Mme Cécile Cukierman. « Le système de contrôle permanent des individus est une épreuve permanente, sans point final », « une enquête, mais avant tout délit, en dehors de tout crime ». « C’est une enquête de suspicion générale et a priori de l’individu qui permet un contrôle et une pression de tous les instants, de suivre l’individu dans chacune de ses démarches, de voir s’il est régulier ou irrégulier, rangé ou dissipé, normal ou anormal ». Il semblerait que l’on tende vers cette « société punitive » que décrivait Michel Foucault dans son cours au Collège de France de 1972 et 1973.

Pilier de l’ère de la suspicion, ce texte représente une grande menace pour la sauvegarde de nos libertés individuelles, et une grande menace, aussi, pour plusieurs professions, notamment pour le journalisme.

De fait, ces pratiques de surveillance indifférenciée vont tarir les sources, car l’anonymat de celles-ci ne pourra désormais plus être garanti. En effet, comment un IMSI catcher reconnaîtra-t-il si un individu s’apparente, ou non, à un journaliste avant d’intercepter ses communications électroniques ?

M. Loïc Hervé. Bonne question !

Mme Cécile Cukierman. Je vous le rappelle, mes chers collègues, la Cour européenne des droits de l’homme avait précisé, dès l’affaire Klass de 1978, que les États « ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre […] le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée » risquant « de saper, voire de détruire la démocratie au motif de la défendre ».

Au moment où le Congrès américain adopte un texte qui, pour la première fois, écorne le Patriot Act, force est de constater que, sans jouer dans la même catégorie, les services de renseignement français et américains convergent. D’ailleurs, dans une tribune envoyée à quelques médias, dont Libération, Edward Snowden nous met en garde :...

M. Bruno Sido. C’est vrai qu’il est à Moscou...

Mme Cécile Cukierman. « En dehors des États-Unis, les chefs des services secrets en Australie, au Canada et en France ont exploité des tragédies récentes afin d’essayer d’obtenir de nouveaux pouvoirs intrusifs, malgré des preuves éclatantes que ceux-ci n’auraient pas permis d’empêcher ces attaques. »

Car, évidemment, au-delà du champ d’application de la surveillance et du recul de nos libertés individuelles, auxquelles certains, n’ayant rien à cacher, se disent prêts à renoncer, se pose la question de l’efficacité d’un tel arsenal.

Lors de l’examen du texte, le rapporteur, M. Bas, nous a parlé d’une « botte de foin aimantée » : la formule est révélatrice de la grande confusion qui règne autour de l’efficacité des dispositifs proposés. Et pour cause, tous les professionnels du secteur s’accordent à dire que ceux-ci ne permettront de déjouer aucun attentat. Des informations relevant de la menace seront captées, certes, puisque toute information électronique peut désormais l’être. Mais comment s’effectuera le tri ?

Le projet de loi relatif au renseignement, c’est donc l’illusion du risque zéro...

Nous avons tendance à penser, quant à nous, que nos concitoyens ne sont pas dupes, comme en témoignent les 138 000 signatures recueillies en faveur de la pétition contre ce texte. Ces signataires posent en effet une question très pertinente : qui nous protégera contre ceux qui nous protègent ? Ils expriment aussi, via cette pétition, l’inquiétude de nombre de nos compatriotes.

Ultime crainte que soulève ce projet de loi... Car c’est en répondant à cette simple question – qui surveille les surveillants ? – que la loi devrait s’assurer de l’équilibre entre surveillance massive et protection des libertés individuelles. Or il n’en est rien, encore une fois malgré les tentatives de la commission des lois de conférer davantage de pouvoir et de légitimité à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, qui demeure une commission consultative sans réel pouvoir de contrôle.

Pour ce qui concerne les dispositions de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, nous pensons qu’il s’agit là de la moindre des choses. Nous sommes cependant opposés aux conditions draconiennes imposées par la révision constitutionnelle de 2008 quant au contrôle effectif des nominations réservé au Parlement. C’est pourquoi nous nous abstiendrons lors du vote de ce texte.

Enfin, vous l’aurez compris, mes chers collègues, tous les membres du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre le projet de loi relatif au renseignement. Nous continuerons à nous mobiliser contre ce texte avec l’ensemble des acteurs et des citoyens, et lors de la commission mixte paritaire, et suivrons très attentivement les recours présidentiel et parlementaire devant le Conseil constitutionnel.

À cet égard, je vous informe que les sénateurs du groupe CRC s’adresseront également de manière officielle au Conseil constitutionnel dans une lettre publique, notamment pour s’enquérir du bien-fondé du déploiement des techniques de surveillance de masse. Car dans les faits, c’est vers cela que nous allons ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat et Mme Sylvie Goy-Chavent applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les débats sur le présent projet de loi ont été riches et intenses, nous permettant de mettre en exergue les aspérités de l’élaboration d’une politique publique du renseignement qui perturbe notre démocratie entre des impératifs contradictoires, mais qu’il faut pourtant réconcilier. Ce fut tout l’enjeu de nos échanges : trouver le bon équilibre entre la nécessaire sécurité de tous et l’indispensable liberté de chacun.

Avons-nous atteint la vertu qu’Aristote, dans l’Éthique à Nicomaque,...

M. Loïc Hervé. Belle référence !

M. Jacques Mézard. ... définit comme l’« ouvrage convenablement exécuté », c’est-à-dire dont « on ne peut rien lui enlever, ni rien lui ajouter, toute addition et toute suppression ne pouvant que lui enlever de sa perfection et cet équilibre parfait la conservant » ?

Peut-être pouvons-nous considérer que tel est le cas dans le contexte troublé actuel, lequel a vu se produire les événements de début janvier et s’accroître encore, comme nous l’ont rappelé à maintes reprises les ministres MM. Le Drian et Cazeneuve, les risques d’attentats terroristes dans notre pays. Mais nous aurons, j’en suis persuadé, à y revenir dans les prochaines années, à la lueur de la connaissance empirique qui aura été la nôtre.

Rappelons qu’il s’agit non pas d’un texte sur le terrorisme – c’est déjà fait –, mais d’un texte relatif au renseignement dans tous ses aspects : criminalité, terrorisme, économie, défense... S’il était en réalité en préparation avant les attentats qui se sont produits au mois de janvier, il faut quand même convenir que l’approche et l’acceptation dudit texte se font en partie au regard de l’émotion qu’ont suscitée ces événements dramatiques.

Le projet de loi crée un cadre législatif à la politique publique du renseignement pour mettre notre pays en conformité avec les standards démocratiques, comme l’ont fait auparavant l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Nous n’étions pas en avance sur notre temps, c’est pourquoi nous devons saluer une décision visant à encadrer des pratiques totalement occultes en les exposant à la lumière. Ne serait-ce que pour cette raison, un texte était nécessaire.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Jacques Mézard. Le renseignement engage, inévitablement, une discussion sur les fins et les moyens, sur les parts d’ombre de la vie de la cité qui échappent en partie au dialogue démocratique. Ce projet de loi-cadre, qui définit à la fois les principes et les finalités de la politique publique du renseignement et l’utilisation des techniques de recueil doit être le signe de la maturité de notre démocratie. Car s’il ne saurait exister de démocratie sans renseignement, le renseignement peut se passer de démocratie. La question de fond est alors de savoir comment assurer un contrôle efficace de l’utilisation des nouvelles techniques, en particulier numériques, profondément intrusives de la vie privée.

La Haute Assemblée a apporté sa contribution en renforçant les garanties introduites en matière de mise en œuvre des techniques de renseignement, notamment en limitant les finalités permettant le recours à la procédure d’urgence absolue ou en accroissant les pouvoirs de contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Nous saluons, en particulier, la consécration d’un recours juridictionnel à la suite d’un avis défavorable de la CNCTR portant sur une intrusion dans un lieu à usage d’habitation. Le Conseil d’État devra alors statuer en vingt-quatre heures et, fait notable, le recours sera suspensif de l’autorisation du Premier ministre.

Si nous ne nous opposons pas par principe aux techniques nouvelles de renseignement de masse, parmi lesquelles les IMSI catchers ou les algorithmes, nous nous interrogeons sur leur efficacité. Comme j’ai eu l’occasion de le mentionner, la probabilité d’identifier correctement un terroriste est infinitésimale. La solution dernièrement choisie par les États-Unis nous paraît plus conforme au respect des libertés. En effet, le Freedom Act a prévu un encadrement plus strict de la collecte des métadonnées par la NSA ; celles-ci seront désormais stockées par les opérateurs des télécommunications, et les services de renseignement devront motiver leurs requêtes pour y accéder au cas par cas.

Par ailleurs, le Conseil d’État vient de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité relative à des articles du code de la sécurité intérieure créés par la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale. À l’instar des dispositions qui ont été adoptées dans le présent projet de loi, ces articles prévoient la possibilité pour l’administration de recueillir des informations et des documents auprès des intermédiaires techniques de l’internet, principalement à des fins de sécurité nationale, dans les conditions et limites qu’ils fixent. À ce titre, des « données de connexion » peuvent notamment être recueillies.

Mes chers collègues, la solution d’équilibre en matière de renseignement pénitentiaire a également répondu à nos inquiétudes sur la mise en œuvre des techniques de renseignement par l’administration pénitentiaire, et je salue l’initiative de M. le rapporteur et président de la commission des lois.

En revanche, nous regrettons de nouveau que ce soit le juge administratif qui ait été chargé de la protection des libertés individuelles, devenant ainsi le juge de droit commun en matière de voies de fait.

Nous regrettons aussi – cela ne surprendra personne – que les débats n’aient pas permis de parvenir à des avancées suffisantes en matière de protection des parlementaires et des professions protégées, dont les avocats et les magistrats. Mme la garde des sceaux a avancé des propositions en ce sens, en nous indiquant que des réflexions étaient en cours sur l’habilitation au secret défense d’un bâtonnier honoraire. Nous espérons que ces réflexions aboutiront dans les prochains mois.

Les auteurs d’un essai récemment publié et intitulé Renseigner les démocraties, renseigner en démocratie, M. Cousseran, ancien directeur général de la sécurité extérieure, et M. Hayez, ancien directeur adjoint du renseignement de la DGSE – la Direction générale de la sécurité extérieure – soulignent que l’hyperpolitisation du renseignement est un risque permanent et important. « Partout et toujours, la tentation existe » d’utiliser les services pour espionner des opposants.

C’est la raison pour laquelle il est essentiel de prévoir des garde-fous suffisamment puissants : un contrôle juridictionnel, bien sûr, mais aussi une commission de contrôle, dont l’avis pèse sur la décision du pouvoir exécutif.

Dans l’avenir, nous disent les deux auteurs précités, « le renseignement devra prendre garde à continuer à détecter les "menées" contre un ordre social et international sans participer à la fabrication de cet ennemi ».

Au cours de nos débats, nous avons écouté ceux qui ont l’expérience des responsabilités de l’État, M. Raffarin, ancien Premier ministre, et M. le ministre de l’intérieur ; nous avons aussi pris en compte les inquiétudes exprimées par chacun des six groupes parlementaires du Sénat : c’est révélateur d’un débat de fond qui ne saurait être occulté.

Aussi, en cette matière, comme dans toutes celles qui comptent pour la société, pouvons-nous dire avec Aristote : « l’excès est une faute et le manque provoque le blâme ».

Monsieur le secrétaire d’État, la confiance que nous avons en la personne de M. le ministre de l’intérieur est intacte, de même que notre attachement viscéral aux principes défendus depuis toujours au sein de la Haute Assemblée par notre groupe. Pour toutes ces raisons, parce que nous recherchons précisément et en permanence le juste équilibre entre les droits et les devoirs, les membres du RDSE exprimeront un vote diversifié, mais, dans leur majorité, s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Robert Navarro, pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Robert Navarro. Le présent projet de loi fait couler beaucoup d’encre, et nous avons tous reçu, mes chers collègues, des dizaines de courriers électroniques envoyés par des citoyens préoccupés. Mettra-t-il en place une surveillance de masse, jettera-t-il la France dans les bras d’un nouveau Big Brother ? Selon moi, la réponse est clairement « non ». Ce texte n’est pas l’équivalent de la loi liberticide votée aux États-Unis après le 11 septembre 2001, le fameux Patriot Act. En effet, il ne comporte ni transfert de pouvoirs massifs vers le Président de la République, ni création de commissions militaires pour juger les terroristes, ni même autorisation de l’usage de la torture. L’arsenal prévu n’est donc pas un droit d’exception. C’est pourquoi je soutiens ce texte et je voterai en sa faveur.

Ce projet de loi me fait penser aux radars : personne au sein de cette Haute Assemblée ne conteste leur utilité et leur rôle. Les moyens technologiques mis en place afin de lutter contre le terrorisme reviennent exactement au même, et ne portent pas atteinte à la vie privée. Il est d’ailleurs amusant que parmi les personnes qui contestent ce texte, bon nombre d’entre elles communiquent, sans sourciller, des informations sur Facebook et autres géants du web que même la Stasi n’aurait pas osé collecter ! (Exclamations.)

M. Bruno Sido. Trop, c’est trop !

Mme Cécile Cukierman. C’est du débat !

M. Robert Navarro. Bien sûr, ce projet de loi prévoit le recours aux nouvelles technologies ; c’est ce qui fait peur. Sur ce point, je partage l’une des inquiétudes exprimées : le quantitatif nuit au qualitatif. Si l’accès aux flux de données des terroristes est indispensable, il doit être un outil au service du renseignement, et non au cœur de la lutte, sous peine de décevoir.

Enfin, ce texte, qui, s’il est adopté, va fluidifier l’action indispensable des pouvoirs publics en matière de lutte contre le terrorisme, ne doit pas nous faire passer à côté de la réflexion de fond que nous devons mener : les attentats du 11 septembre d’abord et la montée en puissance de l’État islamique quatorze ans après. La guerre, la paix, le crime sont des mots qui changent de sens au XXIe siècle.

Avec qui conclurons-nous un traité de paix ? Personne, malheureusement ! Il est clair que, à côté de la mondialisation économique, se développe une forme de guerre civile mondiale permanente.

Face à cette menace émergente, la seule réponse est une solidarité mondiale : elle émerge, timidement, autour de phénomènes globaux, comme le changement climatique, les drames des migrations... Plus récemment, la mobilisation mondiale, après l’attaque odieuse contre Charlie Hebdo, montre que, face à la haine, l’humanité est capable de se défendre : de la Syrie au Japon, des États-Unis à la Tunisie, des millions d’hommes et de femmes se sont levés contre la barbarie.

La démocratie ne pourra vaincre que sur la base de ces valeurs. Surtout, nous ne devons ni promettre un risque zéro ni en rêver. Comme le disait, non sans humour, le philosophe Emmanuel Kant, « la seule paix durable est celle des cimetières ».

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’exercice est difficile pour le législateur aujourd’hui. En effet, comment concilier le respect des libertés publiques, fondement de nos démocraties, et l’efficacité en matière de lutte contre les déviances des terrorismes ?

Je salue nos deux rapporteurs, M. Bas et M. Raffarin, pour qui l’exercice était tout aussi difficile : grâce à leur travail, nous pouvons considérer sérieusement le présent projet de loi.

Le précédent texte portant sur le même sujet datant de 1991, à une époque où la téléphonie mobile était balbutiante et où internet n’existait pas, ce projet de loi était nécessaire. Nous avions besoin d’une loi pour sécuriser les actions des agents du renseignement souvent à l’origine de procédures judiciaires délicates, pour apporter des garde-fous supplémentaires en termes de protection des libertés publiques, pour garantir un contrôle indépendant, de façon que le pouvoir exécutif, en particulier les services du Premier ministre, ne puisse pas disposer d’une liberté totale en matière de renseignement, pour permettre aussi le recours au juge, qu’il soit administratif ou judiciaire, à tous les niveaux de procédure.

Je comprends les craintes exprimées par toutes celles et ceux d’entre nous qui ont émis des critiques et les réitèrent aujourd’hui. En effet, au-delà du texte qui nous est présenté, nous sommes confrontés à un double problème : d’une part, l’évolution des techniques qui n’est pas nouvelle, mais s’accélère et, d’autre part, le développement du terrorisme. C’est bien cette double confrontation que nous avons du mal à assumer les uns et les autres.

Les objectifs sont louables : encadrer la procédure d’urgence absolue, raccourcir les délais de conservation des informations, et veiller à ce que les algorithmes et les IMSI catchers soient utilisés de la façon la plus restreinte possible. Les propositions présentées vont, me semble-t-il, dans le sens d’une réduction des risques.

Toutefois, nous devons rester extrêmement vigilants. Indépendamment de l’examen et de l’adoption, ou non, de ce projet de loi, nous devons conserver un contrôle permanent sur les procédures. À chaque instant, nous devrons, avec les acteurs eux-mêmes, nous interroger sur la responsabilité pénale des agents du renseignement, sur la manière d’assurer un contrôle parlementaire efficace et sur la façon d’encadrer les services de l’exécutif, notamment du Premier ministre, comme je l’ai déjà souligné précédemment.

Chaque famille politique est confrontée à des divergences sensibles. Pourtant, gardons-nous de creuser entre nous des fossés d’incompréhension : il n’y a pas d’un côté ceux qui luttent contre le terrorisme et, de l’autre, ceux qui défendent les grands principes de la démocratie. Comme vous le savez, mes chers collègues, les choses sont bien plus complexes. Ce projet de loi n’est pas, comme cela a déjà été indiqué, un texte de circonstance, même si nous l’étudions dans un contexte particulier et douloureux.

De telles divergences existent aussi au sein du groupe UDI-UC, dont un certain nombre de membres ne voteront pas en faveur de ce texte, pour les raisons que j’ai évoquées.

Cela étant, notre devoir de législateur sera de rester extrêmement attentif à l’application des dispositions que comporte le projet de loi. Une clause de revoyure est prévue dans cinq ans. Même si celle-ci est un peu lointaine – mieux vaut cependant une telle clause que pas du tout –, elle nous permettra de déterminer si nous devons revenir ou non sur certaines mesures que nous prenons aujourd’hui la responsabilité d’autoriser. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour le groupe Les Républicains. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, face au développement de la menace terroriste qui – hélas ! – est une réalité inquiétante, rien ne serait pire que de ne pas respecter l’État de droit et les libertés publiques. Il faut non seulement affirmer la nécessité de la prévention de tous les crimes et délits qui pourraient détruire notre État et notre société, soutenir l’action des services qui en sont chargés, mais aussi veiller en permanence à la légalité de l’action de ces derniers. C’est l’objet du projet de loi que vient d’examiner le Sénat.

Si la loi de 1991 a constitué une véritable révolution en ce qui concerne les interceptions de sécurité, l’évolution des techniques en matière de télécommunications et d’internet justifiait un examen d’ensemble du dispositif. Il fallait donc élaborer un texte ayant pour fil rouge le respect du principe de proportionnalité, le contrôle effectif des différents moyens de renseignement utilisés. En effet, on ne saurait admettre que, au nom de l’efficacité, réelle ou supposée, l’on abuse, tout au moins mésuse, de ce que permet aujourd’hui la technique.

Les débats qui ont eu lieu dans cet hémicycle ont fait suite à une importante résolution votée voilà quelques semaines sur proposition de la commission des affaires européennes. Il s’agissait de prendre en compte ces préoccupations, tout en insistant sur la responsabilité des acteurs privés de l’internet et en souhaitant voir ces derniers mieux impliqués dans la lutte contre le terrorisme.

Il faut rappeler l’apport du Sénat, notamment grâce au rapporteur de la commission des lois, Philippe Bas, mais aussi à celui de la commission des affaires étrangères saisie pour avis, Jean-Pierre Raffarin. Il est vrai que lorsque l’on a, comme celui-ci, occupé les responsabilités de Premier ministre, on sait mieux que d’autres de quoi il retourne.

M. Hubert Falco. Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest. Il faut souligner combien il était important de définir les principes de la politique publique du renseignement – légalité des autorisations de mise en œuvre des techniques de renseignement, précision des finalités, clarification des responsabilités respectives des services pénitentiaires et des services de renseignement. Cela a constitué un point important de nos débats. Il convient de rappeler que la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées – parfois liées au terrorisme – est le principal motif des demandes de renseignements : plus de 60 %.

Cela étant, l’application du principe de proportionnalité a conduit la Haute Assemblée à strictement encadrer la procédure d’urgence absolue, à clarifier la procédure d’urgence et le régime applicable aux professions protégées, à définir les délais de conservation des données collectées par référence à la date du recueil de celles-ci, et non à celle de leur première exploitation. À titre personnel, je considère que le raccourcissement de certains délais aurait constitué une meilleure garantie. En effet, à quoi servent des données qui ne seraient pas rapidement exploitées ?

Le Sénat a surtout considérablement renforcé les pouvoirs de la CNCTR, dont le président sera nommé, aux termes de la proposition de loi organique, après avis des deux assemblées. Il a insisté sur l’accès direct, permanent et complet aux renseignements et registres dont cette commission devra disposer – elle devra veiller à ce que toutes ces données lui soient fournies et à tout moment –, sur sa capacité à apprécier la nécessité et la proportionnalité des mesures. Si l’on ajoute l’amélioration de la procédure de saisine du Conseil d’État, le contrôle devrait être efficace, à condition que la formation de la commission soit resserrée.

Cela a été rappelé, en matière de délais et d’utilisation des procédures d’urgence, le Sénat a également insisté sur la proportionnalité, les mesures les plus intrusives étant réservées à la prévention des actes terroristes ou d’atteinte à l’indépendance et à la défense nationale.

Si le recueil des données de connexion fait l’objet d’un encadrement strict, comme la géolocalisation, les fameux IMSI catchers, la sonorisation des locaux ou la captation d’images – il y en aura assez peu, en fait –, il faut revenir sur la question des algorithmes, dont la définition a été bien précisée. Ainsi, elle est orientée sur la détection des connexions, c’est-à-dire des contenants, et non des contenus, et très encadrée : absence d’urgence, autorisation limitée...

Si la crainte – légitime – exprimée par certains d’un risque de surveillance généralisée ne paraît pas très pertinente (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains), elle devrait être levée par ce texte. Il était également nécessaire de préciser la notion de captation informatique, notamment l’accès à des données stockées dans un système informatique.

Si l’on ajoute à ce panorama trop cursif le renforcement des mesures de surveillance internationale, le volet relatif aux agents des services, lequel vise à les garantir dans leur action, mais aussi à les responsabiliser, ce texte, tel qu’il est issu des travaux du Sénat, permet un équilibre entre exigence de sécurité et protection des libertés fondamentales.

Ah, mes chers collègues, si ce projet de loi avait été présenté dans un autre contexte politique, nul doute que le débat n’aurait pas été aussi apaisé ! (Exclamations ironiques et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Gournac. Oh la la !

M. Jean-Claude Carle. Que n’aurait-on entendu !

M. Jean-Jacques Hyest. Le Sénat, toujours attaché à la défense des libertés publiques, a amélioré le projet de loi initial dans ce sens. C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera dans sa grande majorité le texte issu de nos travaux, tout en insistant sur la nécessité d’une évaluation exhaustive dans un délai raisonnable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Hubert Falco. Voilà une bonne décision !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, face à l’horreur du terrorisme et à la menace terroriste qui s’accroît, nous avons le devoir de défendre notre pays et nos compatriotes et de lutter contre ces malheurs qui nous guettent à tout moment.

À cet égard, le rôle des services de renseignement est essentiel. Or, mes chers collègues, vous le savez tous : en France, jusqu’à aujourd’hui, aucune loi n’encadrait l’action des services de renseignement. Ce texte était donc nécessaire : c’est une sécurité juridique.

Par ailleurs, je le souligne devant le rapporteur et le rapporteur pour avis, après avoir lu attentivement la version issue des travaux du Sénat, nul ne peut soutenir que ce texte ne comprend pas des avancées importantes sur deux points, y compris par rapport à celui qui émanait de l’Assemblée nationale : d’une part, la protection des libertés, d’autre part, l’accroissement des moyens de contrôle de la CNCTR, créée par ce projet de loi.

Il faut donc le dire sans ambages : la Haute Assemblée a bien travaillé. Elle a été fidèle à ce qui constitue sa vocation, à savoir la défense des libertés et l’accroissement des contrôles.

Mes chers collègues, plusieurs points ont retenu notre attention.

Je pense d’abord aux algorithmes. Certains termes font peur et celui-là en fait partie, à l’instar de ceux de « boîte noire ». En cette matière, le texte est extrêmement précis et, pour en apporter la preuve, je raisonnerai a contrario.

Que ceux qui refusent tout algorithme dévoilent les conséquences qu’une telle décision entraînerait. Si l’on interdit la surveillance d’un certain nombre de connexions, les services de renseignement ne peuvent pas savoir qui se connecte sur des sites faisant l’apologie du terrorisme et encourageant un certain nombre de nos compatriotes, jeunes ou moins jeunes, à se lancer dans l’action terroriste. Est-il légitime ou non de lutter contre cette menace ? Pour notre part, nous pensons que oui.

Il faut donc pouvoir procéder aux investigations nécessaires, mais à condition que celles-ci soient ciblées, précisées, que les intentions soient affirmées et définies. C’est bien tout le contraire de la surveillance de masse qui a existé ailleurs et qui a consisté à capter toutes les données, c'est-à-dire des milliards de connexions. Cela n’a rien à voir !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Exactement !

M. Jean-Pierre Sueur. Les travaux du Sénat ont permis un autre apport considérable. À l’issue d’un long débat, il a été décidé que le ministère de la justice n’avait pas vocation à figurer parmi les acteurs habilités à mettre en œuvre des techniques de renseignement. Une rédaction a été trouvée, afin que les services pénitentiaires soient en mesure de signaler certains faits ; il incombera aux services de renseignement d’enclencher les techniques adéquates. Cela suppose communication, dialogue, échanges d’informations, mais dans des conditions très précises, fixées par la loi.

Grâce à l’adoption d’un amendement déposé par le groupe socialiste, la notion de vie privée a été définie du point de vue des données personnelles, du secret des correspondances, de l’inviolabilité du domicile.

Grâce également à l’adoption d’un autre amendement socialiste, alors même que certains avaient crié à la dispersion des données, il est précisé qu’il reviendra aux services de renseignement et au pouvoir exécutif de faire en sorte que l’accès de la CNCTR aux données soit direct, complet, permanent. Cela ne laisse pas de faille. La CNCTR disposera donc d’un pouvoir considérable.

De ce point de vue, je me réjouis que M. le ministre de la défense et M. le ministre de l’intérieur aient confirmé dans cette enceinte même, jeudi dernier, que la CNCTR pourrait avoir accès aux données décryptées produites par la plateforme nationale de cryptanalyse et de déchiffrement. Il s’agit d’une avancée que l’on doit au Sénat et qui montre l’étendue des pouvoirs d’investigation et de contrôle de la CNCTR.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur. Il n’en demeure pas moins que quelques regrets subsistent, qui seront peut-être effacés lors de la réunion de la commission mixte paritaire.

Monsieur le rapporteur pour avis, nous regrettons que le Sénat n’ait pas maintenu l’expression « intérêts économiques essentiels ». Selon nous, il faut distinguer entre les divers types d’intérêts économiques.

Nous regrettons également que les termes « paix publique » aient été préférés à ceux de « sécurité nationale », ce qui, s’agissant des manifestations, ne peut que susciter craintes et incompréhensions.

Enfin, pour ce qui concerne le fichier des personnes ayant été condamnées pour terrorisme, nous préférons la rédaction de l’Assemblée nationale qui donne un pouvoir de décision aux autorités judiciaires en la matière.

Mes chers collègues, nous devons dire la vérité : il n’y avait pas de texte sur le sujet, il y en a désormais un. Ce texte est nécessaire pour notre sécurité. Tel qu’il est rédigé, il protège nos libertés – il nous faudra cependant rester vigilants – et accroît le contrôle. Par conséquent, le groupe socialiste le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe écologiste.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent projet de loi nous oblige à faire un choix de société. (Brouhaha.) On se croirait dans une cour de récréation !

M. Bruno Sido. Plutôt dans un amphithéâtre !

M. le président. Poursuivez, ma chère collègue, vous seule avez la parole.

Mme Esther Benbassa. Or nous ne devons pas laisser les terroristes, contre lesquels ce texte a été élaboré, nous dicter ce choix, sauf à accepter à l’avance de perdre le combat.

Ces terroristes, du moins ceux qui ont agi sur notre sol, notre société a contribué, hélas !, à les fabriquer ! Nous devons donc nous demander pourquoi et comment. Je ne me hasarderai pas à suggérer des réponses, lesquelles sont forcément très complexes. Je crains de toute façon que l’exécutif ne veuille pas les entendre, car il juge que la répression est la seule véritable réponse.

Je le répète, rien ne justifie l’horreur des actes terroristes dont nous sommes les témoins, car je sais que ne pas le dire, c’est s’exposer à l’accusation, indigne, de complaisance. Or vouloir comprendre le phénomène, ce n’est pas le justifier. En revanche, produire des lois répressives sans vouloir comprendre est une faute éthique et un manquement grave à l’art de gouverner.

Les membres de mon groupe ne sont pas les seuls à faire part de leurs appréhensions face à ce projet de loi. Même si, grâce au travail de la commission des lois et de son rapporteur, ce texte a été amélioré dans le sens d’une plus grande protection de nos libertés, il reste largement intrusif et inquiétant pour les défenseurs des droits humains. La Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale des magistrats, les associations de défense des libertés individuelles et publiques, sans compter les hébergeurs et les acteurs de la filière numérique : la liste est longue de ceux qui nous mettent en garde.

Dès 2014, la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen avait souligné, dans une enquête, que « les programmes de surveillance constituent une nouvelle étape vers la mise en place d’un État ultra-préventif s’éloignant du modèle du droit pénal en vigueur dans les sociétés démocratiques ». Ce projet de loi est un nouveau pas en ce sens. L’extension des techniques couplée à celle des motifs de surveillance pourrait aboutir à des dérives incontrôlables.

Le présent texte permettra aux services de renseignement d’accéder à plus de données encore, sachant que ceux-ci ne parviennent pas à analyser les données, pourtant bien moins volumineuses, déjà en leur possession ni à arrêter les terroristes avant qu’ils ne commettent leurs crimes. Soyons sérieux : aurons-nous jamais en nombre suffisant la main-d’œuvre hautement qualifiée d’ingénieurs et de linguistes indispensable pour effectuer ce travail d’analyse ?

Ironie de l’histoire, nous allons voter notre petit Patriot Act à nous quand Barack Obama signe, outre-Atlantique, son Freedom Act. Nous ne voulons donc rien apprendre des erreurs de ceux qui nous ont précédés ? Freedom aux États-Unis, liberté ici : ces mots ont le même sens, monsieur le secrétaire d’État.

Les deux premiers articles de ce projet de loi dessinent les contours d’une nouvelle utopie orwellienne. Je vous le demande, mes chers collègues : lequel d’entre nous a déjà vu des IMSI catchers, des boîtes noires ? Qui sait ce qu’est un algorithme ? Alors qu’un certain nombre d’entre nous utilisent encore des téléphones d’un autre âge, allons-nous, ignorants du raffinement des technologies modernes, adopter un texte susceptible de se transformer en arme redoutable entre les mains d’hommes, de femmes ou de régimes moins scrupuleux ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et de l'UDI-UC.)

J’admire votre légèreté et songe avec effroi aux lois votées dans des passés troubles par des parlementaires peut-être, hélas !, aussi légers que nous. Je ne doute pas de la sincérité de M. le ministre de l’intérieur, mais je pense qu’il faut prévoir le pire pour tenter de l’éviter à temps.

Imaginons un instant un exécutif de droite (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) ou plutôt d’extrême droite tentant de faire adopter un tel texte.

M. François Grosdidier. N’y a-t-il pas de totalitaires à gauche ?

Mme Esther Benbassa. La moitié de la France, alertée par une gauche réveillée, serait descendue dans la rue ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Les écologistes ne sont pas meilleurs que les autres (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains), mais ils ont une tradition : ils défendent les libertés de manière intransigeante.

M. Philippe Bas, rapporteur. Comme le Sénat !

Mme Esther Benbassa. Ce principe guide aussi mon action.

Mes chers collègues, si vous aviez vécu dans des pays moins démocratiques que le nôtre, vous seriez certainement plus prudents !

Je rends une fois de plus grâce à la commission d’avoir posé quelques verrous pour stopper des dérives imminentes.

Je suis heureuse que, en ayant souscrit à l’amendement de Mme la garde des sceaux, nous ayons évité de jeter les bases de la prison de l’avenir, celle du panoptique de Bentham, décrit par Michel Foucault à la page 234 de son ouvrage Surveiller et Punir : « L’effet du panoptique est d’induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. » Je vous invite d’ailleurs à relire ce très intéressant ouvrage, mes chers collègues.

Quitte à rester minoritaires, ce qui peut être un honneur, les écologistes ont rejoint des sénateurs comme Mme Cukierman, M. Malhuret, M. Mézard, Mme Morin-Desailly, notamment, avec qui nous avons passé des nuits (Exclamations goguenardes sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.), dans la défense assumée des libertés de nos concitoyens, résistant aux effets secondaires de l’émotion suscitée par l’horreur terroriste. L’émotion passe, les lois restent.

Mme Françoise Laborde. C’est vrai !

Mme Esther Benbassa. Si les minoritaires, mes chers collègues, ne peuvent faire entendre qu’un mince filet de voix, ils ont le devoir de le faire. Moins éblouis par la pompe faussement rassurante des victoires majoritaires, peut-être voient-ils plus loin, tout simplement…

Le groupe écologiste, comme quelques autres dans cet hémicycle, votera contre ce texte, parce qu’il faut avant tout raison garder et rester fidèle à l’essentiel : à l’humanisme et à la liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)

Ouverture du scrutin public sur le projet de loi

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il va être procédé dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi relatif au renseignement.

Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants.

Je vous rappelle qu’il aura lieu en salle des Conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 bis de l’instruction générale du bureau.

Une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Mmes et MM. les secrétaires du Sénat superviseront les opérations de vote.

Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je vais suspendre la séance jusqu’à quinze heures quarante-cinq, heure à laquelle je proclamerai le résultat.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures cinquante.)

Proclamation du résultat du scrutin public sur le projet de loi

M. le président. Je tiens tout d’abord à remercier Mme Colette Mélot, M. François Fortassin et M. Serge Larcher, secrétaires du Sénat, qui ont assuré le dépouillement du scrutin. (Applaudissements.)

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 200 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 319
Pour l’adoption 251
Contre 68

Le Sénat a adopté le projet de loi relatif au renseignement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE, du groupe UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Avant de donner la parole à M. le secrétaire d’État, je remercie le rapporteur, M. Philippe Bas, et le rapporteur pour avis, M. Jean-Pierre Raffarin, du travail qu’ils ont effectué en commun et je félicite Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois, qui a été très présente au banc des commissions.

Scrutin public sur la proposition de loi organique

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'ensemble de la proposition de loi organique.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 201 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 325
Pour l’adoption 325

Le Sénat a adopté la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. (Applaudissements.)

La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Au nom de Bernard Cazeneuve, Jean-Yves Le Drian et Christiane Taubira, qui ne peuvent être présents cet après-midi au Sénat, je souhaite saluer le travail collectif qui a été réalisé et rendre hommage aux deux rapporteurs, Jean-Pierre Raffarin et Philippe Bas, ainsi qu’à tous les sénateurs et toutes les sénatrices qui sont intervenus, sur toutes les travées, durant le débat. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez permis d’enrichir et d’améliorer le projet de loi du Gouvernement et nous avons avancé ensemble sur un grand nombre de questions.

Ainsi, des compromis ont pu être trouvés sur plusieurs sujets sensibles, notamment les finalités du renseignement, la durée de conservation et les modalités de centralisation des données collectées, afin de favoriser leur contrôle, ou encore la protection de certaines professions.

Le Gouvernement se réjouit donc de constater l’état d’esprit constructif qui a animé la Haute Assemblée sur ce sujet majeur pour la sécurité de nos concitoyens que nous nous devons d’assurer ensemble dans le respect des libertés et des droits fondamentaux. Ce sera le cas grâce à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)

PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Frédérique Espagnac,

M. François Fortassin.

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au renseignement
 

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Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission des finances a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer.

Cette liste a été publiée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

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Débat sur le thème : « les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte »

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte », organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation (rapport d’information n° 345).

La parole est à M. le rapporteur.

M. Hervé Maurey, rapporteur de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans quelques mois, nous célébrerons les cent dix ans de la loi concernant la séparation des Églises et de l’État. Près de cent dix ans après son élaboration, cette loi est-elle toujours adaptée à notre société ? C’est la question à laquelle a voulu répondre la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, alors présidée par Jacqueline Gourault, en me confiant la rédaction du rapport, que j’ai l’honneur de présenter aujourd’hui.

Depuis 1905, en effet, la société a beaucoup changé. La pratique de la religion dominante de l’époque, la religion catholique, a connu une baisse, et de nouvelles religions sont apparues – je pense à l’islam, bien entendu, mais aussi à d’autres religions comme le mouvement évangélique.

Pour mener à bien ces travaux, j’ai souhaité rencontrer l’ensemble des acteurs concernés : représentants des services de l’État, associations d’élus, membres des juridictions administratives, personnalités universitaires et du monde associatif, responsables des cultes. Aucune religion n’a été oubliée.

Ce travail, j’ai également souhaité l’enrichir d’une double dimension : internationale, par une analyse de législation comparée avec l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni, mais surtout locale, en associant à cette réflexion les élus de terrain et en lançant une consultation adressée à 10 000 maires, à laquelle 3 000 d’entre eux ont répondu. Ces réponses ont été complétées par des entretiens directs et individualisés avec un certain nombre d’élus.

Il ressort de ces travaux que les élus locaux sont, dans ce domaine comme dans bien d’autres, en première ligne face aux demandes croissantes de financement.

Je rappelle que nos communes abritent en effet plus de 45 000 églises catholiques, 4 000 lieux de culte protestant, 420 synagogues, 150 églises orthodoxes, 2 450 mosquées et 380 lieux de culte bouddhistes.

Les communes ont directement la charge de l’entretien des églises qui pèse de manière importante dans leurs budgets, surtout à une époque où les dotations octroyées aux collectivités territoriales sont en forte baisse.

Il faut toutefois reconnaître que les travaux relatifs aux églises font le plus souvent consensus, l’église constituant souvent le seul élément patrimonial des communes, notamment des plus petites d’entre elles.

Pour les autres cultes, la question qui se pose est davantage celle de la construction de nouveaux édifices.

Quel est le cadre juridique posé par la loi de 1905 ? Il est simple : les collectivités territoriales ont l’interdiction de financer la construction, l’acquisition ou le fonctionnement courant d’édifices cultuels.

Cette règle comporte toutefois des exceptions : tout d’abord, la législation adoptée en 1907 et 1908 a transféré la propriété des églises catholiques aux communes, l’Église catholique ayant refusé de se constituer en association cultuelle comme le prévoyait la loi de 1905. Dès lors que ces églises appartiennent aux communes, elles sont entretenues, comme l’ensemble des biens communaux, par ces dernières.

Un régime dérogatoire est aussi en vigueur en Alsace et en Moselle, territoires qui ne faisaient pas partie à l’époque de la République et qui relèvent du régime du concordat.

Certaines exceptions sont également prévues dans les territoires d’outre-mer.

Enfin, des dérogations ont été instaurées plus récemment dans la loi : je pense à la possibilité de garantir les emprunts qui sont souscrits par les associations cultuelles pour l’édification de lieux de culte dans les agglomérations en développement, mais aussi au recours à un bail emphytéotique.

À ces exceptions s’ajoute une interprétation jurisprudentielle de la loi de 1905 très favorable au financement – je dis souvent que cette loi ne ressemble plus à ce qu’elle était en 1905. Les juges ont notamment reconnu la possibilité de mettre à disposition des locaux communaux pour les activités cultuelles, dès lors que cette mise à disposition s’effectue de manière provisoire et non exclusive.

Surtout, la jurisprudence a introduit une distinction entre le « cultuel » et le « culturel ». Aujourd’hui, lorsqu’on construit un bâtiment dédié à un culte, s’il se divise entre une partie cultuelle et une partie culturelle – c’est actuellement le cas à Paris d’un certain nombre de projets, notamment érigés pour les religions islamique ou juive –, cette dernière peut être subventionnée par la collectivité.

À l’issue de nos auditions, nous sommes parvenus à la conclusion que nous ne pouvions pas modifier la loi de 1905, car ce texte incarne à lui seul la laïcité française et constitue un fondement essentiel de la République, de notre vivre ensemble.

Tout en préservant cette loi, nous avons toutefois tenu à proposer des améliorations pour faciliter la vie des élus et des collectivités.

Nos recommandations, adoptées à l’unanimité de la délégation, sont conformes à la tradition sénatoriale. Elles sont pragmatiques, raisonnables, mais aussi, me semble-t-il, nécessaires et efficaces. Elles s’articulent autour de trois axes : améliorer l’information des élus, faciliter le dialogue entre les religions et les collectivités territoriales, renforcer le contrôle sur le financement des lieux de culte.

Premier axe, nous avons estimé nécessaire l’amélioration de l’information des élus. En effet, la jurisprudence a considérablement fait évoluer la loi de 1905, mais elle n’est pas toujours très bien connue des élus.

Nous nous sommes interrogés sur la nécessité de codifier cette jurisprudence, mais n’avons pas retenu cette option, car le caractère jurisprudentiel de ce droit autorise davantage de souplesse.

Nous pensons toutefois que le ministre chargé de ce dossier doit prendre un certain nombre de circulaires, qui viseront notamment à clarifier la possibilité pour les communes de financer la réparation d’édifices cultuels appartenant à des associations et de mettre à disposition des locaux au bénéfice d’associations cultuelles.

Toutefois, dans un souci de sécurité juridique, nous souhaitons, madame la ministre, que le Gouvernement informe de façon plus systématique les élus sur le droit positif, notamment grâce à des circulaires du ministre de l’intérieur chargé des cultes relayées par les préfets dans les territoires. Les maires reçoivent très souvent des demandes de mises à disposition de lieux par les associations cultuelles et ils ne savent pas quelle attitude ils doivent adopter.

Deuxième axe, nous avons voulu faciliter les rapports entre les communautés religieuses et les pouvoirs publics.

La garantie d’emprunt est possible pour la construction d’édifices cultuels, mais seulement dans les communes en voie de développement. Cette notion nous semble aujourd’hui dépassée et la garantie d’emprunt devrait, selon nous, être accordée dans tous les cas.

Nous proposons également que les baux emphytéotiques, qui peuvent parfois se transformer en véritables bombes à retardement, puissent contenir une clause de rachat au terme du bail. Ainsi, d’ici à 2020-2030, la ville de Paris va récupérer une trentaine d’églises, dont l’entretien représentera un coût de plusieurs millions d’euros. Cette situation pourra, à l’avenir, concerner des villes telles que Marseille ou Montreuil, où des baux emphytéotiques ont été accordés pour construire des mosquées.

Nous proposons également la possibilité pour les maires de déterminer dans les plans locaux d’urbanisme les secteurs dans lesquels peuvent être construits des lieux de culte. En effet, les maires n’ont aujourd’hui aucune marge de manœuvre pour déterminer les parties du territoire de leur commune où des lieux de culte peuvent être édifiés.

Troisième axe, nous avons souhaité renforcer la transparence sur le financement des lieux de culte. Nous pensons d'abord qu’il faudrait qu’un décret en Conseil d’État – en l’espèce, nous recommandons le recours au décret – précise ce qui relève du cultuel et ce qui relève du culturel. Très souvent, la situation est assez floue, ce qui est source de confusion, pour ne pas dire d’hypocrisie.

Enfin, il nous semble nécessaire d’assurer un certain contrôle du financement des lieux de culte au niveau local. Aujourd'hui, lorsqu’un lieu de culte est construit, on ne sait absolument pas comment le projet est financé. C’est si vrai que TRACFIN a dû, dans certains cas, s’interroger sur certaines sources de financement, s'agissant notamment de la construction de mosquées. Nous recommandons donc que, dans le cadre de la construction d’un édifice cultuel, les maîtres d’ouvrage présentent un plan de financement certifié par un commissaire aux comptes.

Voilà, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la contribution de notre délégation. Sur ce sujet, l’actualité de l’année 2015 renforce malheureusement l’acuité de nos travaux et de nos propositions, qui, je vous le rappelle, ont été approuvées à l’unanimité. Cette unanimité témoigne du sens des responsabilités de notre assemblée.

Dans son rapport sur la Nation française, remis au Président de la République le 15 avril dernier, Gérard Larcher relève avec justesse que les religions constituent « un fait social » et demeurent « une donnée vivante de notre société », qu’il faut aborder « sans rejet » et « sans crainte ». C’est dans cet esprit que s’inscrit ce débat. Dans cet esprit également, je déposerai une proposition de loi à l’issue de nos travaux, travaux que, bien entendu, je prendrai en compte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE. - M. René Vandierendonck applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cent dix ans après la promulgation de la loi de séparation des Églises et de l’État – un tournant historique dans lequel les radicaux, dont notre groupe, ici même, n’ont pas joué un mince rôle –, force est de constater que notre société a profondément changé, en particulier dans sa sociologie et dans sa composition religieuses.

S’il ne nous appartient pas de juger de l’émergence de certaines croyances ni d’un certain renouveau de la pratique et du sentiment religieux, qui relèvent de la sphère privée, il est en revanche de notre responsabilité, en tant que représentants des territoires, et plus encore de la Nation, d’être plus que jamais vigilants face aux dérives de toutes sortes qui peuvent accompagner ces phénomènes.

Dans ce contexte, la loi de 1905 définit un cadre, qui a fait ses preuves depuis plus d’un siècle et qu’il faut préserver. Disons-le très clairement, pour nous, il n’est pas question de toucher à cette loi fondatrice. Aussi partageons-nous pleinement, sur ce point, les recommandations du rapport d’information. Le respect strict du principe de laïcité dans la sphère publique est notre meilleure assurance contre toutes les dérives religieuses ou sectaires.

M. Yvon Collin. La loi de séparation des Églises et de l’État traduit ce principe par le refus du subventionnement des cultes.

C’est pourquoi nous ne pouvons que déplorer le relâchement de la vigilance de la part des autorités ou des élus, voire parfois la complaisance à l’égard de certaines revendications identitaires, que nous observons depuis des années. Ceux qui poursuivent des intérêts électoraux au détriment de l’intérêt général n’aboutiront qu’à miner la cohésion nationale et l’ordre républicain, à renforcer le communautarisme et donc à aggraver les tensions entre les membres de la communauté nationale.

Bien évidemment, nous soutenons fermement la volonté exprimée par la délégation sénatoriale d’apporter davantage de transparence au financement des lieux de culte. Il faut définir explicitement, par la voie d’un décret en Conseil d’État, les types de dépenses qui relèvent du culturel et celles qui relèvent du cultuel. Probablement faut-il rendre obligatoire la certification, par un commissaire aux comptes, des plans de financement de la construction d’édifices cultuels.

Plus certainement, il faut une meilleure information des élus, car, trop souvent, les maires n’ont pas une parfaite connaissance des règles en vigueur en matière de dépenses et d’aides autorisées.

Clarifier, c’est le maître mot. Il n’est pas acceptable, dans une République laïque, de maintenir une quelconque ambiguïté sur les pratiques de financement des lieux de culte.

Le rapport aborde les enjeux spécifiques de la religion musulmane. En l’espèce, notre groupe adopte une position résolument laïque : nous ne distinguons aucune religion. Par conséquent, l’acquisition de terrains, la mise à disposition de locaux ou la construction de mosquées dans les communes concernées doivent respecter les règles énoncées par la loi de 1905, et il ne saurait y avoir ni contournement ni régime dérogatoire. Sans cela, on risque d’ouvrir la boîte de Pandore.

Outre que rien ne le justifie en principe, accorder des financements au culte musulman en raison de ses difficultés financières exposerait la puissance publique aux revendications d’autres cultes, qui se sentiraient fondés à réclamer, eux aussi, des moyens. En effet, pourquoi refuser à l’un ce que l’on accorde à l’autre ? Mes chers collègues, c’est une pente dangereuse que nous devons nous garder de suivre. C’est pourquoi il nous faut un principe simple et une règle claire qui soient les mêmes pour tous.

Par ailleurs, même si le rapport montre que le financement des lieux de culte musulmans par des États étrangers est minoritaire, ce qui est de nature à nous rassurer, nous devons rester vigilants afin d’empêcher, sur le territoire national, la promotion de conceptions rigoristes des religions par des acteurs étrangers. Il n’est pas sain de laisser un État ou une organisation intervenir dans le financement de lieux de culte, où que ce soit sur le territoire national.

Comme cela a été mis en évidence par les équipes de TRACFIN, il s’agit d’un enjeu de souveraineté et de cohésion nationales. Pourquoi ne pas être ferme jusqu’au bout, en interdisant purement et simplement les financements étrangers, à l’instar de ce qui se fait déjà chez certains de nos voisins européens ?

Nous exprimons des réserves sur d’autres points du rapport.

Nous sommes opposés à certaines propositions qui risquent de permettre des subventionnements déguisés, contraires à l’esprit mais aussi à la lettre de la loi de 1905. Il en va ainsi de la proposition de création d’une option d’achat au profit d’associations religieuses dans le cadre des baux emphytéotiques qu’elles auraient conclus avec les communes. De même, les projets de financement partiel fondés sur la distinction, très discutable, entre activités cultuelles et activités culturelles, ne nous semblent pas acceptables.

Rappelons-le, la laïcité est tout sauf une atteinte envers les citoyens. C’est au contraire un synonyme de liberté et un indispensable outil du vivre ensemble dans une société multiconfessionnelle, en deux mots un bien commun qu’il nous faut à tout prix préserver et promouvoir.

C’est pourquoi notre groupe reste fermement attaché à la loi de 1905 et à la séparation du politique et du religieux. Notre position sur les propositions d’Hervé Maurey découle de ce principe simple, mais ô combien républicain : la loi de 1905, toute la loi de 1905, rien que la loi de 1905 ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je vous félicite, mon cher collègue, d’avoir strictement respecté votre temps de parole.

La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que bien des collectivités territoriales se plaignent de la baisse de leurs dotations, certaines continuent à utiliser des ressources publiques, pourtant devenues rares, pour financer des lieux de culte au mépris de la loi.

Sur ce sujet complexe, ne nous trompons pas de débat et sachons hiérarchiser les enjeux : s'agissant du financement des lieux de culte par les collectivités locales, la question principale est la pression communautariste exercée aujourd’hui sur nombre d’élus et la complaisance électoraliste de certains d’entre eux, qui leur fait utiliser jusqu’aux limites de la légalité les nombreuses possibilités offertes par la loi française.

Je pense notamment au subventionnement de projets dits « mixtes », à la fois cultuels et culturels, qui font tout pour promouvoir des identités étrangères, empêchant par là même l’accès à notre modèle républicain d’assimilation et même d’intégration. (M. François Grosdidier proteste.) Voulons-nous que l’argent du contribuable français serve à financer des lieux culturo-cultuels qui sont parfois des sites de radicalisation pouvant mener jusqu’au djihadisme, et bien souvent des vecteurs d’influence étrangère ? Votre rapport lui-même reconnaît « la fragmentation communautaire due aux liens persistants avec les pays d’origine ».

Je pourrais vous parler longtemps du triste et ô combien emblématique feuilleton de la « grande mosquée » avortée de Marseille, avortée, car elle n’était qu’un vaste champ de batailles d’influence entre pays étrangers, batailles relayées et menées par des acteurs locaux dont l’une était conseillère régionale, socialiste de surcroît. Le projet était pourtant voulu, soutenu et défendu par le premier magistrat de la ville, qui le présentait comme une vitrine de l’«’islam de France ».

D’autant que construire n’est pas tout : il faut ensuite entretenir. Dans un article en ligne du 6 avril dernier sur l « islam en France », RTL prenait l’exemple de Marseille, où, selon M. Abderrahmane Ghoul, vice-président du conseil du culte musulman de Provence-Alpes-Côte d’Azur, « sur les soixante salles qui existent, seules trois sont aux normes…

M. François Grosdidier. Sans argent, c’est difficile d’être aux normes !

M. Stéphane Ravier. … et certaines sont même frappées par des ordres de fermeture. Dieu merci,… » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. Alain Néri. Et la laïcité ?

M. Jean-Pierre Bosino. Eh oui : et la laïcité ?

M. Stéphane Ravier. … – ce n’est que la suite de la citation, chers collègues – «… la municipalité et les autorités ferment un peu les yeux, mais ça ne peut pas durer ». Je continue ma lecture : « Le financement des mosquées pose lui aussi problème. " Il y a des ressources", avance M. Ghoul. " La viande halal, par exemple. Les grandes boucheries paient une taxe. Avec elle, on peut avancer de grands projets". »

C’est donc une autre grande question qui est posée, celle du financement involontaire, c’est-à-dire non souhaité, des mosquées. En effet, l’étiquetage halal n’étant pas généralisé, la plupart d’entre nous achètent de la viande halal sans le savoir,…

Mme Esther Benbassa. Vous vous êtes empoisonné ?

M. Stéphane Ravier. … et financent donc potentiellement la construction de mosquées, sans le savoir et sans forcément le vouloir. Là encore, Marine Le Pen est la seule à avoir eu le courage de mettre les pieds dans le plat, il y a déjà plusieurs années. (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. Martial Bourquin. Vous n’avez pas honte de dire des sottises pareilles ?...

M. Stéphane Ravier. J’aborderai un dernier point : le financement étranger des lieux de culte. Votre rapport minimise le phénomène, en se focalisant sur le financement officiel par des États, qu’il nous faut absolument interdire. Il y a aussi une zone grise, dont on devine l’ampleur quand on lit que « les maires réclament un meilleur contrôle des flux financiers participant à la construction d’ouvrages cultuels »…

Mme la présidente. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.

M. Stéphane Ravier. … car – et je conclus, madame la présidente –, « sur le terrain, il est souvent très difficile d’identifier précisément l’origine des fonds des porteurs de projets […], notamment lorsqu’il s’agit d’espèces ».

M. François Grosdidier. Vous voulez interdire la quête dans les églises ?

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Ravier !

M. Stéphane Ravier. On connaît l’importance des fortunes étrangères privées qui peuvent parvenir jusqu’en France par divers canaux, notamment pseudo-caritatifs. L’enjeu d’aujourd'hui n’est donc pas seulement la laïcité, mais aussi la souveraineté de notre pays. On ne pourra défendre l’une qu’en défendant l’autre ! (M. David Rachline applaudit.)

Mme Esther Benbassa. Pathétique !

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel.

Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la loi de 1905 instituant la séparation des Églises et de l’État a instauré une laïcité à la française dont les contours, variables faute de véritable définition constitutionnelle, ont fortement évolué. Elle repose sur une dualité antagoniste entre la sphère privée, où la liberté de chacun prévaut, et la sphère publique, où c’est la neutralité religieuse qui prévaut. Ainsi, l’État et les collectivités locales ne doivent ni intervenir dans les affaires religieuses ni financer des besoins liés aux religions.

Cependant, la situation n’est pas toujours aussi simple. Les maires sont confrontés à des problématiques complexes. Je tiens à souligner l’intérêt du rapport remarquable rédigé par Hervé Maurey : notre collègue a réalisé un travail approfondi et nuancé sur cette question du financement des lieux de culte, qui préoccupe les élus, travail initié sous la présidence de Jacqueline Gourault.

Mes chers collègues, vous le savez, le principe est l’interdiction de toute aide directe ou indirecte au culte. Les subventions des collectivités locales aux associations cultuelles ou destinées aux lieux de culte sont donc prohibées. Néanmoins, nos communes, le plus souvent propriétaires des lieux de culte construits avant 1905, peuvent les entretenir et les réparer, sans pour autant pouvoir faire les dépenses qu’elles souhaiteraient, sauf si un intérêt public local est reconnu, dans le respect de certaines conditions.

Le Conseil d’État estime que, si l’initiative locale répond à un besoin de la population, la dépense est alors légale. La commune devra toutefois veiller à la mixité des bénéficiaires de l’équipement financé, selon un principe d’intérêt général. Faire la part des choses est donc loin d’être toujours aisé !

À cette difficulté vient s’ajouter la question du financement. Comme cela a été rappelé, ce patrimoine communal, qui doit être entretenu, pèse très lourd dans les budgets des communes. Dès lors, comment aider les maires à trouver des financements ?

En premier lieu – cela a été souligné –, une meilleure information des élus sur les dispositifs existants s’impose.

La problématique diffère selon que l’église est classée ou non. Si les églises classées sont éligibles aux aides des directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, ce n’est pas le cas des églises non classées, et elles sont largement majoritaires. Les communes se trouvent alors dans l’impossibilité d’entretenir un patrimoine reçu en héritage.

Dans mon département, l’Ille-et-Vilaine, où plusieurs communes sont confrontées à de réelles difficultés, nous avons pu affecter une partie de la dotation d’équipement des territoires ruraux à des travaux de mise en sécurité de ces édifices, et seulement à ces travaux. N’est-ce pas là une idée à reprendre au niveau national ?

Si l’entretien des églises pose un certain nombre de problèmes, que dire de la construction de nouveaux lieux de culte, dont les demandes prospèrent ? En effet, le paysage religieux français a beaucoup évolué depuis plusieurs décennies, confrontant de plus en plus les maires à ce type de demandes. Les élus se retrouvent souvent très seuls sur un sujet parfois mal perçu par la population.

Face à cette situation complexe, les maires sont souvent contraints, dans un souci de pragmatisme, d’user d’outils fournis par l’évolution de la jurisprudence.

Ainsi, le bail emphytéotique représente un dispositif efficace pour construire un édifice cultuel. Toutefois, le régime de l’option d’achat de l’édifice à l’issue de l’échéance par les associations cultuelles doit être précisé pour apporter les garanties juridiques nécessaires aux communes : comment s’assurer, à la signature d’un tel bail, que le bien sera racheté à son échéance, et par qui ? Qu’arrive-t-il si le bâtiment est abandonné pendant la durée du bail ? Comment éviter que le bâtiment ne revienne à la charge de la commune ?

Par ailleurs, certaines communes peuvent accorder une garantie d’emprunt aux groupements cultuels afin de faciliter l’obtention d’un prêt bancaire. Dans son rapport, notre éminent collègue Hervé Maurey propose un élargissement de cette possibilité à l’ensemble du territoire. Si cette idée est excellente, ce dispositif peut néanmoins présenter des risques financiers non négligeables pour les communes, qu’il convient donc de sécuriser.

Enfin, le droit de l’urbanisme peut aussi constituer un outil extrêmement pertinent pour réserver un emplacement ou protéger dans le plan local d’urbanisme un édifice cultuel pouvant avoir également une vocation culturelle. À cet égard, la recommandation du rapporteur visant à mieux maîtriser les lieux d’implantation en précisant clairement les emplacements de ces édifices dans le PLU permettrait à la fois de sécuriser les maires et, surtout, de provoquer un débat très en amont, donc plus apaisé avec les administrés.

La tendance à adosser un projet cultuel à un projet culturel est évidemment ambivalente et sujette à interprétation. Les distinctions jurisprudentielles sont d’ailleurs parfois équivoques. Cette zone un peu trouble permet aux maires ou, parfois, à l’État de déroger à la loi de 1905 en participant au financement de lieux de culte. Aussi, une distinction très officielle entre ce qui peut relever du culturel et ce qui peut relever du cultuel semble indispensable non seulement pour conforter et sécuriser les élus, mais également pour éviter les dérives.

Un autre sujet important a aussi été évoqué, je veux parler de l’opacité qui règne autour du financement de certains lieux de culte. Nous savons tous que des mosquées, notamment, sont construites grâce au concours financier de pays étrangers, ces apports pouvant représenter jusqu’à 50 % du financement. Ce constat interroge l’État républicain et pose la question de la souveraineté et de l’influence de la situation géopolitique internationale sur le fait religieux. Monsieur le rapporteur, les élus réclament effectivement un meilleur contrôle des flux financiers et de l’origine de ces fonds.

Comme on le voit, les élus locaux sont sans cesse sur le fil du rasoir, jouant un numéro d’équilibriste sans filet de sécurité.

La jurisprudence a évolué et assoupli la loi de 1905 en apportant des réponses nouvelles conciliant laïcité et réalité du terrain. Pour autant, il paraît incontournable de clarifier certains outils afin de sécuriser les maires juridiquement et financièrement, et de leur permettre d’affronter plus sereinement cette problématique.

Notre groupe, l UDI-UC, très attaché à l’esprit de la loi de 1905, soutiendra les propositions du rapporteur de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du RDSE. – M. Alain Gournac applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Grosdidier.

M. François Grosdidier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre excellent rapporteur, Hervé Maurey, a décrit de façon juste les conditions de l’exercice des cultes en France, et le rôle que jouent les communes dans ce domaine.

Je partage pleinement ses analyses et quasiment toutes ses conclusions, mais je serais allé plus loin,…

M. François Grosdidier. … au risque de briser un tabou au moment le plus défavorable, alors qu’une part grandissante de l’opinion ne raisonne plus, mais réagit de façon épidermique sur la question.

À mon sens, il faut changer les modalités pratiques de la loi de 1905 pour rester conformes à ses principes, auxquels je suis aussi attaché qu’Yvon Collin. En effet, ils sont plus actuels et pertinents que jamais ; ils sont, pour moi, intangibles dans notre République. Néanmoins, certaines des modalités de cette loi sont datées, obsolètes.

Que dit la loi de 1905 ? Pas d’argent public pour les cultes, sauf pour l’entretien des lieux de culte construits avant 1905, soit l’immense majorité des églises catholiques, une part des temples protestants et des synagogues, mais pas d’église évangélique et encore moins de mosquée.

Dans sa grande sagesse - mais la sagesse n’est pas la divination -, le législateur ne pouvait pas anticiper l’émergence des églises évangéliques, et encore moins celle de l’islam, devenu deuxième religion de France.

Il en résulte une inégalité de fait, une inégalité criante, d’autant que la société française a concentré les musulmans dans certains quartiers ou certaines villes. Dans la mienne, ils représentent la moitié de la population.

Lorsque j’ai été élu maire, en 2001, mes administrés musulmans exerçaient leur culte dans une salle trop petite, un ancien commerce racheté par souscription. Ils y priaient, serrés comme des sardines, quand ils n’étaient pas obligés de prier dans la rue. C’était indigne pour eux et insupportable pour les riverains.

Que peut faire un maire devant une telle situation ? Ou il laisse faire, en acceptant, à l’intérieur, la violation de la réglementation sur les établissements recevant du public, et, à l’extérieur, les entraves à la circulation et les troubles à l’ordre public ; ou bien il interdit l’exercice du culte, violant ainsi une liberté fondamentale à valeur constitutionnelle, ou bien encore il offre un local communal et contrevient à la loi de 1905.

J’ai choisi la troisième option, qui me paraissait la seule à être juste. Je crois même que je suis l’unique maire de France à avoir construit une mosquée sur fonds publics, mais je n’ai pu le faire légalement que parce que je suis élu en Moselle, département concordataire. (Mmes Esther Benbassa et Sylvie Goy-Chavent s’exclament.)

Je suis un militant des valeurs portées par la loi de 1905, un militant de la laïcité, et je refuse tout dogmatisme. Je suis farouchement en faveur de la liberté absolue de conscience, de l’égalité et de la fraternité, qui transcende les croyances et les appartenances. Mais, je suis désolée, comment expliquer à nos concitoyens musulmans que, parce qu’ils n’étaient pas là avant la loi de 1905, ils n’auront jamais les mêmes droits que les pratiquants des autres religions dans notre République ? J’entends dire que le financement du culte est une affaire privée et que les pratiquants n’ont qu’à financer leurs lieux de culte. C’est une tartufferie !

La générosité des pratiquants musulmans, comme celle de tous les pratiquants, est réelle, mais, comme ils n’appartiennent pas aux catégories socioprofessionnelles les plus aisées, ils n’auront jamais les moyens de financer des ERP conformes à la réglementation et d’une capacité suffisante.

Le financement privé par les pratiquants en France n’est pas réaliste. Le seul financement privé possible ne peut donc venir que de l’étranger.

Aussi, la République est schizophrène lorsqu’elle demande, à juste titre, à ses citoyens musulmans d’édifier un islam de France, et non un islam en France, mais que, dans le même temps, elles les invitent à chercher le financement des mosquées dans les pays du Golfe et le financement des imams dans ceux du Maghreb.

Mme Nathalie Goulet. Très juste !

M. François Grosdidier. Surtout que la fondation censée recueillir, contrôler et distribuer des dons venus de l’étranger n’a donné aucun résultat, dix ans après sa création, de l’aveu même du ministre de l’intérieur.

La vérité, c’est que beaucoup de maires sont contraints de contourner la loi en mettant à disposition des pratiquants des édifices officiellement culturels et officieusement cultuels. Ces élus sont donc obligés de s’affranchir de la lettre de la loi pour rester conformes à son esprit.

L’État ferme les yeux, sauf quand le juge administratif est saisi.

L’État a eu lui-même recours à cet artifice pour financer la cathédrale d’Évry, bien après 1905.

La laïcité, c’est la neutralité de l’État à l’égard des religions. C’est l’égalité de tous devant la loi, de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. C’est aussi la liberté de culte.

Aujourd’hui, certains, à l’extrême droite, mais aussi, ce que je regrette, dans le camp des républicains, de droite comme de gauche, suggèrent d’interdire à la fois le financement public et le financement étranger, ce qui reviendrait à interdire, de fait, l’exercice du culte musulman en France. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)

Je n’ignore pas que nous sommes dans une époque dominée par la peur et la confusion, marquée par un rejet de l’islam nourri par l’actualité internationale. La haine de l’autre est aussi renforcée par la crise économique ou sociale, mais les acteurs du débat public confondent à tort, surtout lorsqu’il s’agit des musulmans, communautarisme et simple pratique du culte ou expression de la foi religieuse.

Il n’en demeure pas moins que certains musulmans, pas nécessairement terroristes, doivent parfois être rappelés à l’ordre républicain. La République est, certes, en droit d’exiger d’eux un effort d’intégration, mais elle n’est pas crédible quand elle pose des règles nouvelles en donnant le sentiment du « deux poids, deux mesures ». Elle n’est pas non plus crédible lorsque, exigeant le respect des mêmes devoirs, elle refuse les mêmes droits.

On ne peut pas, au nom de l’Histoire, justifier pour l’éternité une inégalité de traitement dans l’exercice d’un droit fondamental. La République doit traiter tous ses citoyens de la même façon, et elle n’en sera que mieux fondée à imposer à tous les mêmes obligations.

Il faudrait avoir cette audace !

L’islam de France vit dans une grande misère immobilière et intellectuelle, faute d’une formation des imams.

Sur la question immobilière, il faudrait objectivement doubler le nombre de mosquées, même si nous n’allons certainement pas rattraper un retard de soixante-dix ans en deux ans. On ne peut pas non plus demander à l’État d’y contribuer, en pleine crise des finances publiques. Si l’État pouvait continuer à soutenir les communes pour l’entretien des églises et du patrimoine existant, ce serait déjà bien.

Laissons simplement aux maires la liberté de financer des lieux de culte dès lors qu’il y carence de l’offre privée et qu’ils répondent ce faisant aux besoins d’une partie substantielle de la population. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)

Songez, mes chers collègues, qu’aujourd’hui un maire peut ouvrir un débit de boissons s’il y a carence de l’offre privée, mais qu’il ne peut pas légalement financer un lieu de culte ! (M. Stéphane Ravier s’esclaffe.)

Il s’agirait non pas de créer une obligation pour la commune, mais de lui laisser la liberté de le faire, parce que la commune est la cellule de base de la République et qu’elle constitue le régulateur social par excellence, même si elle est malmenée dans tous les textes législatifs que le Gouvernement nous présente.

Mme la présidente. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.

M. François Grosdidier. Sur ces questions, qui hystérisent notre société, la commune représente le cadre de la connaissance mutuelle, de la place faite à chacun, du respect des règles communes.

Quand la société devient celle de tous les excès, la commune reste le lieu des équilibres.

La société exacerbe les antagonismes, quand la commune rapproche les individus, qui sont de toute façon condamnés à vivre ensemble.

La République doit davantage s’appuyer sur les communes pour faire vivre et partager ses valeurs au quotidien. Je le crois profondément, le Sénat devrait demander à la République d’avoir l’audace de faire confiance aux maires. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Exclamations ironiques de MM. Stéphane Ravier et David Rachline.)

Mme la présidente. La parole est à M. René Vandierendonck.

M. René Vandierendonck. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 19 décembre 2002, toutes les formations politiques qui composent le conseil municipal de Roubaix, à l’exception notable du Front national, ont approuvé un schéma directeur d’intervention de la Ville sur les lieux de culte.

Cette délibération-cadre a été l’aboutissement d’un dialogue nourri entre les pouvoirs publics et les associations, cultuelles ou non. En effet, il était important, dans le respect de la laïcité, de prendre acte de la présence de nouvelles religions dans une ville de tissage et de métissage.

Partant de ce constat, il était essentiel que chaque Roubaisien puisse pratiquer le culte qu’il souhaite, et ce dans de bonnes et dignes conditions. C’est l’un des principes forts du vivre ensemble ! (Exclamations de MM. Stéphane Ravier et David Rachline.)

Il importe de dire qu’en tout point ce schéma, qui est toujours en vigueur, s’inscrivait strictement dans le cadre républicain délimité par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, ainsi que par son interprétation par le Conseil d’État, qui a rendu, depuis, cinq importantes décisions d’assemblée le 19 juillet 2011.

Monsieur le rapporteur, cher Hervé Maurey, le groupe socialiste se réjouit, d’une part, que vous ne remettiez pas en cause, dans votre rapport, les équilibres de la loi du 9 décembre 1905, et, d’autre part, que vous soyez resté prudent sur les régimes d’exception d’Alsace-Moselle et d’outre-mer.

Vous proposez un certain nombre d’avancées, en sept recommandations articulées autour de trois axes. Parcourons-les ensemble, si vous le voulez bien.

Les deux premières recommandations concernent l’information des maires. Il s’agirait de les informer, par voie de circulaire du ministère de l’intérieur, dans un souci de sécurité juridique accrue, d’une part, sur les types de dépenses pouvant être engagées au titre de la conservation et de l’entretien des édifices propriétés de la commune, et, d’autre part, sur les possibilités d’aides financières des communes pour des réparations d’édifices cultuels appartenant aux associations cultuelles, ainsi que sur les conditions de mise à disposition de locaux au bénéfice de ces dernières.

Sur ces deux sujets, il faut rappeler que la circulaire du ministre de l’intérieur du 29 juillet 2011, intitulée Édifices du culte : propriété, construction, réparation et entretien, règles d'urbanisme, fiscalité, fait un point relativement précis sur le champ des possibles.

Aller au-delà pose donc nécessairement le problème de la nature de la norme employée. Je préfère une circulaire interprétative, qui conserve la souplesse de l’interprétation de la jurisprudence, à un texte qui viendrait la figer.

Concernant l’amélioration du dialogue entre les collectivités et les associations cultuelles pour permettre l’implantation de nouveaux lieux de culte, le rapport contient trois autres recommandations.

La première recommandation vise à étendre le dispositif des garanties d’emprunt pour la construction d’édifices cultuels à l’ensemble du territoire. Cette proposition impliquerait de modifier la loi, notamment les articles L. 2252-4 et 3231-5 du code général des collectivités territoriales. Cela étant, cette question mérite d’être posée et de faire l’objet d’une investigation complémentaire.

Permettez-moi de vous rappeler la philosophie des décisions d’assemblée rendues par le Conseil d’État en juillet 2011 : soucieux d’éviter le risque de subventions déguisées, le Conseil d’État demandait que la garantie d’emprunt fût effectuée dans l’intérêt général. Je me demande s’il ne faut pas creuser cette piste.

La deuxième recommandation concerne les baux emphytéotiques administratifs.

Je comprends le cheminement de pensée qui vous a conduit à formuler cette proposition, monsieur le rapporteur. Il s’agirait d’autoriser les collectivités territoriales et les associations cultuelles à conclure un bail emphytéotique prévoyant, à l’issue de l’échéance, une option d’achat pour ces associations, afin d’éviter que les communes ne deviennent propriétaires au terme du bail. Vous avez considéré que le fait d’offrir une option d’achat à une association cultuelle à la fin du bail manifestait une volonté de pérenniser l’affectation religieuse du lieu.

Je voudrais, pour ma part, faire valoir un autre argument : la jurisprudence actuelle du Conseil d’État permet que ces baux emphytéotiques soient passés sur des durées non seulement longues mais éventuellement reconductibles, et, de surcroît, à des conditions assez modiques de prix. Le Conseil d’État estime en effet que la contrepartie est précisément le retour dans le patrimoine de la collectivité publique au terme du bail. Cette analyse mérite elle aussi d’être approfondie pour se prémunir contre le risque de subventionnement déguisé.

Je suis donc prudent sur la possibilité de rompre l’équilibre entre la modicité de la redevance et la contrepartie – l’incorporation du bien dans le patrimoine de la collectivité –, même si je conviens que la question mérite d’être posée, monsieur le rapporteur.

J’en viens à la troisième recommandation, sur laquelle vous me pardonnerez de ne pas être en accord avec vous. Vous proposez en effet de permettre, dans le cadre des PLU, de repérer les zones susceptibles d’accueillir l’implantation potentielle d’édifices cultuels.

Dans le Nord - Pas-de-Calais, cette proposition est loin de faire l’unanimité parmi les représentants des cultes quand je les consulte. Je fais observer également que le maire qui ne voudrait pas d’un lieu de culte sur sa commune aurait la possibilité d’exclure d’emblée de son PLU tout zonage de ce type.

Pour ma part, ce que je vois au quotidien, toujours dans ma région du Nord-Pas-de-Calais, ce sont des maires qui exercent leur droit de préemption en vue d’acquérir des biens, et ce précisément pour éviter des implantations de lieux de culte !

Je voudrais attirer votre attention sur un rapport d’information relatif aux discriminations produit par Mme Benbassa et M. Lecerf, dans lequel nos deux collègues se demandaient comment sanctionner le maire qui exerce illégalement son droit de préemption pour empêcher une liberté publique de s’exercer. Cette question, nous aurions intérêt à nous la poser à nouveau aujourd’hui.

La dernière série de recommandations de votre rapport, monsieur Maurey, concerne le contrôle et le renforcement de la transparence.

Vous préconisez tout d’abord un décret en Conseil d’État pour solenniser en quelque sorte « la ligne de partage des eaux » entre le culturel et le cultuel. Je salue votre souci de clarté, mais je pense que cela desservirait la cause que vous entendez défendre. Mieux vaut laisser la souplesse à la jurisprudence sur ces questions.

Votre septième recommandation a trait à la traçabilité des financements. À Roubaix, j’ai essayé d’inciter des associations cultuelles – je les ai même accompagnées sur cette voie - à choisir, dans la loi de 1905, la formule de grande capacité juridique, celle qui donne droit à exonération fiscale et assure la traçabilité des sources de financement. Résultat ? Pas une association, pas une, mes chers collègues - pas d’association cultuelle catholique, pas la moindre pagode, aucun temple protestant, aucune mosquée - n’a accepté la formule en question !

M. Maurey pense régler le problème en prévoyant un contrôle de l’origine des fonds par un commissaire aux comptes. Je crains que ce contrôle, dont je vois bien la finalité, ne soit pas possible dans l’état actuel de la jurisprudence du Conseil d’État s’agissant de l’exercice de la liberté de culte. (M. le rapporteur s’exclame.)

Mais je conclus, mes chers collègues.

Le ministre de l’intérieur a condamné hier avec une extrême fermeté l’agression commise à Carpentras contre une mosquée en construction sur laquelle un coup de feu a été tiré voilà quarante-huit heures. Son communiqué rappelle que la laïcité consiste à assurer la liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire et à garantir aux croyants la liberté d’exercer leur culte dans des conditions dignes et paisibles.

Ces paroles font écho à celles de Jaurès, qui demandait d’apaiser la question religieuse pour poser la question sociale.

Je vous donne acte, monsieur le rapporteur, de votre refus d’instrumentaliser la question religieuse à des fins électorales.

M. Martial Bourquin. Il a bien fait !

M. René Vandierendonck. Il y a, hélas ! dans ce registre, des précédents célèbres qui donneraient presque le tournis !

Je vous donne également acte du fait que vous avez construit votre intervention dans le strict respect de la loi de 1905. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport d’information de notre collègue Hervé Maurey Les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte, thème dont nous débattons aujourd’hui, avait été précédé d’une étude de législation comparée sur la question, laquelle incite à repenser le problème.

La réflexion s’impose d’autant plus que le paysage religieux de la France a largement évolué depuis la fameuse loi de séparation des Églises et de l’État. Il a été modifié, d’une part, avec les progrès d’une sécularisation toujours plus affirmée, d’autre part, avec l’émergence et/ou la visibilité croissante de nouvelles religions, lesquelles n’avaient, de surcroît, pas été intégrées au Concordat.

Nos élus sont régulièrement confrontés dans leurs territoires au problème de la gestion des cultes, y compris à la question, délicate, de leur financement, celui de l’islam, notamment, dont la pratique a pris, dans certaines localités, une ampleur considérable et qui se heurte au manque de lieux de culte.

Dans son rapport, notre collègue Hervé Maurey examine la situation des collectivités territoriales au regard de leur implication dans le financement des lieux de culte et avance des propositions concrètes, sans remettre fondamentalement en question le cadre précis qu’offre la loi de 1905 en la matière pour faciliter les relations entre les pouvoirs publics locaux et les cultes, tout en suggérant d’améliorer les dispositifs existants.

La France est, rappelons-le, le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre de musulmans, de juifs et de bouddhistes. D’après un sondage TNS-SOFRES de janvier 2015 sur le financement des lieux de culte, la construction de nouveaux lieux de culte est un enjeu qui concerne non pas toutes les religions, mais aujourd’hui essentiellement le culte musulman. La question émerge dans les communes de plus de 5 000 habitants et elle est le plus souvent posée par la communauté musulmane elle-même.

Face à cette demande, les élus choisissent ou de retarder la prise de décision ou de repousser ces demandes, par crainte des réactions de leurs administrés qui exprimeraient un sentiment de perte d’identité, ou bien encore de recourir à des pratiques cachées ou non officielles qu’il convient assurément, un jour, de normaliser.

Ce rapport dessine des pistes à ne pas négliger. Elles nous intéressent particulièrement après les tragédies de janvier, à un moment où la question de la réorganisation de l’islam a de nouveau été posée. Quid du financement par des pays étrangers de la construction de mosquées en France ? Quid de la nomination à leur tête d’un personnel du culte non formé selon les exigences d’une République à la fois laïque et respectueuse de la pratique des cultes ? Quid des moyens à mettre en œuvre pour tenter d’endiguer les orientations radicales de certaines d’entre elles ?

Selon le sondage TNS-SOFRES déjà cité, 59 % des élus seraient défavorables au financement public des nouveaux lieux de culte au nom du respect de la loi actuelle, du devoir de neutralité, de la défense de l’intérêt général, de l’état des finances publiques locales et de l’existence de mesures et d’aides alternatives, comme le bail emphytéotique, la location de salle, le prêt temporaire de salle ou de terrain.

L’étude comparée de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie, du Royaume-Uni et de la Turquie, qui a précédé ce rapport, fait apparaître, à côté de l’affirmation du principe général de liberté religieuse, une modulation intéressante des types d’intervention publique dans les questions relatives aux lieux de culte, une modulation qui pourrait utilement alimenter et orienter notre réflexion.

Par ailleurs, la France compte actuellement 2 450 mosquées, contre seulement 1 600 en 2004. Cette évolution est sensible, surtout dans les grands bassins de population et en majorité dans la région parisienne : 64 % de ces mosquées auraient une surface inférieure à 150 mètres carrés. Dans l’écrasante majorité des cas, il ne s’agit nullement de mosquées-cathédrales visibles, mais plutôt de lieux de culte de proximité, et j’insiste sur ce point.

Contrairement à ce qui est souvent répété et diffusé pour faire peur, si on lit ce sondage, on voit que ce sont bien les dons des fidèles et non des pays musulmans qui subventionnent le plus grand nombre de mosquées. L’argument contraire n’est donc pas fondé et relève du pur préjugé.

Il n’en est pas moins urgent, ne serait-ce que pour accueillir tous ces jeunes Français retournant à l’islam, de voir le nombre de ces mosquées augmenter et les imams être formés à la théologie, aux valeurs de la République et au prêche en français, capables de concurrencer efficacement, si possible, les soi-disant « prédicateurs » radicaux et les sites internet.

Une vraie réorganisation de l’islam français ne fera pas l’économie de la construction de mosquées. En effet, la mosquée n’est pas seulement un lieu de culte, elle est bien un lieu de socialisation indispensable à l’édification, pour tous ces jeunes, d’un avenir religieux pleinement compatible avec leur citoyenneté française ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Mme la présidente. En accord avec M. Le Scouarnec, la parole à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, tout d’abord, de remercier M. Le Scouarnec d’avoir bien voulu accepter que je m’exprime avant lui. Il me rend service, car je suis attendu pour une série d’auditions décalées.

Je voudrais adresser un autre remerciement à l’intention de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, notamment à son rapporteur, M. Hervé Maurey. La première a initié ce rapport d’information sur les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte, le second l’a rédigé. Ce rapport est très important. Outre sa pertinence, je tiens, comme les intervenants précédents, à en souligner la qualité, cher Hervé Maurey.

Beaucoup de choses ont été dites dans ce débat et je ne souhaite pas les répéter. Je veux simplement insister sur certains aspects qui ont particulièrement retenu mon attention, d’une part, en qualité de parlementaire alsacien attaché, comme il se doit, à la pérennité du droit local alsacien-mosellan et, d’autre part, en qualité d’ancien coprésident, avec ma collègue Nathalie Goulet, de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.

En qualité de parlementaire alsacien, permettez-moi tout d’abord de saluer la précision des connaissances du rapporteur sur la législation particulière en vigueur dans les territoires d’Alsace-Moselle en matière de droit des cultes. Il n’est pas si fréquent, mes chers collègues, qu’un parlementaire non originaire de ces territoires s’approprie à ce point la connaissance du droit local !

Vous ne vous êtes pas limité, monsieur le rapporteur, à relever que le droit local des cultes en Alsace-Moselle autorise le financement des cultes par les collectivités territoriales, puisque la loi de 1905 ne s’y applique pas. Vous avez également souligné que « la législation particulière en vigueur dans les territoires d’Alsace-Moselle permet la prise en compte équitable des communautés religieuses », qu’il s’agisse des cultes dits « statutaires » ou « reconnus » – catholique, réformé, luthérien et juif – ou des cultes non statutaires – évangélique, musulman, bouddhiste.

Dernière observation, remarquable au sens étymologique du mot, vous avez mentionné que la délégation avait pu constater « une absence de remise en cause du statut local des cultes en Alsace-Moselle ». Vous dites même que « cette spécificité du droit local en matière de financement des lieux de culte apparaît en effet aujourd’hui comme une condition essentielle du vivre ensemble dans ces territoires ». De fait, mes chers collègues, telle est bien la réalité sur le terrain !

Je me permets tout au plus de préciser que ce n’est pas tant la spécificité du financement des lieux de culte qui constitue, chez nous, cette condition du vivre ensemble, mais bien la législation cultuelle dans sa globalité, incluant notamment le statut scolaire global. En effet, comme vous le savez, des cours d’enseignement religieux sont obligatoirement proposés dans les écoles, les collèges et les lycées publics de nos trois départements. Même si les possibilités de dispense sont largement utilisées, comme le souligne le rapport, il n’en demeure pas moins que cet enseignement contribue à l’enracinement des valeurs de tolérance et de respect d’autrui que l’on trouve en Alsace et en Moselle.

Au moment où, après les événements tragiques de ce début d’année, les tensions communautaires traversent la société française, je voudrais redire ici qu’il est indispensable que la spécificité de la vie religieuse en Alsace-Moselle soit scrupuleusement respectée et maintenue. C’est pourquoi je n’hésite pas à dire haut et fort mon hostilité personnelle, que partage, j’en suis persuadé, une grande majorité d’Alsaciens, au récent avis formulé par l’Observatoire de la laïcité sur le régime des cultes en Alsace-Moselle.

Selon cet avis, la participation aux cours de religion ne devrait être qu’une simple démarche, réservée à ceux qui en auraient envie.

Mme Jacqueline Gourault. Comme pour le latin et le grec !

M. André Reichardt. À l’instar des plus hautes autorités des cultes statutaires, je voudrais affirmer ici qu’il n’est pire danger, dans le contexte actuel, que l’inculture religieuse et la relégation de la religion dans la sphère privée.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. André Reichardt. L’enseignement religieux joue un rôle très important dans l’apprentissage et la compréhension du monde. J’en veux pour preuve le constat dressé par la commission d’enquête sur les réseaux djihadistes s’agissant d’un lycée situé dans un quartier sensible de la banlieue de Strasbourg : après les événements du 7 janvier, il n’y a eu aucune difficulté à faire respecter la minute de silence par les 1 400 élèves concernés, parce que, selon le proviseur de ce lycée, ceux-ci ont le loisir d’échanger sur le fait religieux dans les cours qui lui sont consacrés tout au long de l’année.

Ce rappel me permet une transition avec les observations que je souhaitais exprimer en qualité de coprésident de la commission d’enquête. Je tiens à affirmer mon plein accord avec le constat fait de l’opacité qui prévaut concernant la provenance des fonds destinés à la construction d’édifices cultuels, principalement des mosquées. Je suis aussi en accord, monsieur le rapporteur, avec la recommandation visant à obliger tout maître d’ouvrage à présenter un plan de financement certifié lors de la construction d’un édifice cultuel.

Pour ma part, j’irais encore plus loin en me référant à la contribution que le groupe Les Républicains avait produite avec l’UDI en annexe du rapport de la commission d’enquête : nous demandions que les financements des États étrangers transitent effectivement et obligatoirement par la Fondation des œuvres de l’islam de France, créée en 2005 comme un outil pour la construction des lieux de culte musulman.

Mme la présidente. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.

M. André Reichardt. On nous dit que le fonctionnement de cette fondation est entravé par des dysfonctionnements, mais la responsabilité en incombe, en fait, à la multiplicité des courants qui traversent la communauté musulmane française. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en mars dernier, le Sénat a publié un rapport de sa délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et une étude de législation comparée consacrés au financement des lieux de culte, notamment par les collectivités locales. Dans ces documents, sont analysées à juste titre les conséquences pratiques qui résultent du principe général d’interdiction du financement public des lieux de culte, conformément à la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.

Selon différents sondages, 60 % des élus seraient favorables au financement public des lieux de cultes existants, même si 49° % d’entre eux jugent que les dépenses représenteraient une lourde charge pour les communes. Aussi notre débat d’aujourd’hui doit-il s’articuler autour du respect de chacune et de chacun et de ses croyances, afin de répondre au mieux aux difficultés rencontrées par les collectivités territoriales et par nos collègues maires dans leur commune.

En effet, les célébrations du centenaire de la loi de 1905 avaient témoigné de l’attachement de nos concitoyens aux enjeux de la laïcité pour toutes et tous, quelles que soient leur origine ou leurs croyances. Notre modèle de laïcité garantit la liberté des cultes, et surtout le droit de croire ou de ne pas croire. Toutefois, comme on le souligne dans les documents que j’ai cités, il est nécessaire de répondre aujourd’hui aux nouveaux enjeux de notre société et d’accompagner le mieux possible ces changements. Ainsi, certains aménagements pourraient être apportés au corpus des textes – loi de 1905, dispositions du code général des collectivités territoriales, du code de l’urbanisme ou du code général des impôts – qui régissent l’exercice des cultes et leurs relations avec les pouvoirs publics.

Ces recommandations sont, pour la plupart, reprises par la délégation. Citons, par exemple, la nécessité de préciser, par une circulaire du ministère de l’intérieur, les dépenses pouvant être engagées par les communes, ainsi que les aides dont elles peuvent disposer pour conserver le patrimoine religieux, afin d’apporter une meilleure information aux élus sur ce sujet. Il conviendrait également de permettre aux maires d’accueillir sereinement l’implantation des édifices cultuels dans le cadre du plan local d’urbanisme, grâce à un zonage adapté. Enfin, le dernier exemple que je pourrais citer concerne la reconversion des lieux de culte, sur laquelle le rapport contient d’intéressantes propositions.

Dans un tel contexte de flou juridique, nous devons rechercher une meilleure adaptation du droit des cultes à l’évolution de notre société, de manière à donner tout son sens et sa portée à la liberté de religion. En effet, notre droit donne plusieurs définitions pour réaffirmer la laïcité.

Notre Constitution, tout d’abord, dispose, dans son article premier, que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », tout en ajoutant : « Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

Ensuite, le Conseil d’État souligne dans ses différents rapports que la laïcité doit, à tout le moins, se décliner en trois principes : la neutralité de l’État, la liberté religieuse et le respect du pluralisme.

Avec ce débat, notre volonté ne doit pas être d’ajouter une énième définition ou une nouvelle interprétation des grands principes. La loi de séparation qui est appliquée de nos jours ne s’apparente plus à celle qui a été publiée au Journal officiel en 1905. En effet, notre vision de la pratique du fait religieux n’est plus la même.

Envisager l’actualisation de cette loi ne paraît donc pas illégitime, si celle-ci s’effectue sans choix partisan et dans le respect de chacun. L’envisager apparaît d’autant plus opportun que la diversification du paysage religieux hexagonal pose, en termes renouvelés, la question de l’égalité du traitement entre les cultes. Que penser du principe selon lequel la République « respecte toutes les croyances », dès lors que certains fidèles rencontrent de réelles difficultés pour pratiquer leur culte ?

Ce constat nous amène à nous poser cinq questions essentielles en la matière : la question immobilière, au cœur des préoccupations des représentants de tous les cultes et des maires ; la question de la sauvegarde de notre patrimoine religieux, bien souvent à la charge des communes, dont les budgets sont exsangues ; la question législative, puisque, malgré l’interdiction du financement public des cultes, les collectivités territoriales peuvent contribuer à aider les religions en matière de construction et d’entretiens d’édifices culturels ; la question du statut des associations cultuelles, issues de la loi du 9 décembre 1905 qui, sans être le seul support juridique, constitue à bien des égards le droit commun pour la plupart d’entre elles ; enfin, la question du pluralisme des situations selon les territoires – je pense notamment à nos amis de l’Est, de l’Alsace et de la Moselle, pour lesquels les enjeux sont tout autres, car liés à leur statut concordataire.

Plus concrètement, dans ces trois départements, la gestion par les collectivités locales des édifices et des personnels religieux est prégnante. Les lieux de culte – catholiques, protestants ou juifs – appartiennent soit aux collectivités territoriales, soit aux congrégations religieuses. Toutefois, les premières doivent se substituer obligatoirement aux secondes en cas de défaillance financière. On pourrait aussi évoquer la situation de nos amis ultramarins, en particulier celle de la Guyane.

Cela dit, à l’instar des élus communistes et républicains de la Moselle, nous pensons que des évolutions sont souhaitables en la matière. Je rappelle ici, par exemple, la proposition de loi de Patrick Abate et des élus de mon groupe tendant à l’abolition du délit de blasphème, encore en vigueur dans ce département.

Je rappelle, comme mes collègues et amis de Moselle, que la liberté de conscience n’est pas forcément liée aux financements des églises. Au contraire, la République qui finance, c’est aussi la République qui contrôle. En même temps, l’attachement au principe de laïcité n’exclut pas la préoccupation d’une plus grande équité dans le traitement de tous les cultes.

Quoi qu’il en soit, nous ne sommes plus au XIXe siècle, quand la politique concernant le fait religieux participait de la politique concernant l’ordre et la tranquillité publics.

Nous sommes plutôt favorables au renforcement des possibilités d’intervention des collectivités territoriales qui souhaitent développer une politique de proximité avec l’ensemble de leur population. Par ailleurs, nous pourrions améliorer la sécurité juridique des maires, bien souvent sous-informés sur ces questions.

Tous les termes de notre débat de ce jour doivent viser un seul objectif : la réaffirmation de nos principes républicains et de notre devise, qui implique le respect des croyances de chacun. Dans le cas contraire, le risque serait grand de voir des valeurs faisant l’objet d’un certain consensus perdre de leur force et de leur rayonnement, faute d’une adaptation à notre monde contemporain des règles qui les entourent.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les communes, comme le rappelle notre collègue Hervé Maurey dans son rapport d’information, sont les premières interlocutrices des religions dans notre pays.

Le travail juridique très précis du rapporteur nous permet de mieux appréhender la diversité des situations en France. En effet, depuis la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, la société française, tout comme le paysage religieux, a fortement évolué.

Les maires se heurtent aujourd’hui à de nombreuses difficultés pour appréhender les contours de la laïcité et en assurer le respect au quotidien, notamment pour ce qui relève du financement des cultes. L’entretien des nombreux bâtiments religieux mis à la charge des collectivités territoriales ou les réponses à donner aux projets de construction de nouveaux lieux de culte sont des sujets régulièrement abordés par les élus de nos territoires.

Si le principe est l’interdiction du financement public, la loi et la jurisprudence autorisent les collectivités à apporter aux associations cultuelles différentes aides telles que le bail emphytéotique administratif, la garantie d’emprunt ou la mise à disposition de locaux. Quelle que soit la nature de ces aides, il est impératif de garantir la transparence du financement des lieux de culte. Actuellement, beaucoup de fantasmes et quelques réalités ennuyeuses imposent aux pouvoirs publics, aux élus et aux organismes représentatifs des différents cultes, dans leur diversité, de travailler ensemble pour avancer sur la voie de cette transparence.

Dans ce contexte, les élus de mon département, les Alpes-Maritimes, font preuve de volontarisme. Ils sont à l’écoute des besoins cultuels des différentes communautés religieuses, mais ils demeurent confrontés à au moins quatre problèmes récurrents.

Premièrement, le lien ténu existant entre associations culturelles et associations cultuelles nécessite une clarification de la structure qui porte le projet – relève-t-elle de la loi de 1901 ou de la loi de 1905 ?

Deuxièmement, les maires s’interrogent sur l’origine du financement d’une construction. Ainsi, à Nice, nous avons été amenés à solliciter officiellement le Premier ministre pour connaître l’origine d’un financement mal identifié provenant de l’étranger, celui du centre En-Nour, situé dans le quartier de Nice-La Plaine, dans le canton où j’ai été élue pour siéger au conseil départemental, dont je suis aussi vice-présidente. Ainsi, la mairie de Nice a adressé un courrier au Premier ministre, afin que ses services enquêtent sur l’origine du financement, non contrôlé et non identifié.

Troisièmement, les élus ont des difficultés à disposer d’interlocuteurs reconnus par les pouvoirs publics afin de pouvoir mener à bien des discussions constructives et conduire un projet cohérent sur un territoire donné. C’est notamment tout le débat sur la représentation de l’islam de France.

Quatrièmement, enfin, les élus sont confrontés à la création de lieux de culte dans des locaux détournés de leur vocation. Je pense plus particulièrement aux caves, aux parkings, à certains commerces ou même à des salles communales réservées par des associations culturelles qui s’orientent davantage vers des activités cultuelles.

En tant que présidente de Côte d’Azur Habitat, premier bailleur social des Alpes-Maritimes et cinquième bailleur de France, je rencontre quotidiennement des situations de transgression de la loi. Nous avons connaissance d’au moins deux lieux de culte improvisés dans le périmètre de notre patrimoine, sans compter ceux qui échappent à tout contrôle…

Ces lieux de culte improvisés entraînent, pour les collectivités, des problèmes de sécurité, de droit, de voisinage ou encore de radicalisation. En outre, ils ne sont pas prévus pour accueillir des personnes et ne répondent donc pas aux normes des établissements recevant du public prévues par le code de l’urbanisme. La sécurité des personnes qui se réunissent et des biens est donc directement engagée.

Sur le problème spécifique du financement, l’État doit garantir la plus grande transparence possible, tout en respectant le principe de loi de 1905.

À ce propos, je partage les propositions de notre collègue François Baroin, président de l’Association des maires de France, l’AMF, qui s’est dit opposé au financement de la construction des lieux de culte par les mairies et les associations, mais qui souhaite la surveillance du financement de ces constructions.

D'ailleurs, je serai très attentive aux conclusions du groupe de travail que l’AMF a constitué sur les questions relatives à la laïcité dans l’objectif d’arrêter un document de référence sur lequel les maires et les présidents d’intercommunalité pourraient s’appuyer pour mieux faire face aux réalités.

Je ne saurais terminer sur le sujet des lieux de culte sans évoquer la situation désastreuse des chrétiens d’Orient, qui assistent à la destruction de leurs édifices religieux, mais qui sont surtout persécutés, et dans des conditions effroyables.

La France doit les soutenir, en les accueillant sur son territoire, dans nos communes, pour les protéger, mais aussi et surtout en leur permettant de rester libres en Orient, où il nous faut défendre la diversité religieuse et cultuelle : c’est notre histoire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, avant d’entrer dans le vif du sujet et de réagir aux différents propos qui ont été tenus, de vous remercier pour l’organisation de ce débat, respectueux et presque consensuel, et, bien sûr, de saluer M. Maurey pour la qualité du rapport qu’il a produit. Cette qualité explique sans doute celle de notre débat d’aujourd'hui : c’est souvent le document initial qui donne le ton !

Il est important que les membres du Gouvernement et les élus de la Nation puissent échanger de manière apaisée et constructive sur un sujet aussi essentiel que le financement des lieux de culte par les collectivités territoriales de France.

Il est important que, sur de telles questions, qui touchent à l’un des principes fondateurs de notre République, la laïcité, nous puissions débattre du fond, en évitant les polémiques.

Il est important que nous puissions coopérer, pour dessiner, ensemble, des solutions aux enjeux posés à nos élus locaux.

Il est important que nous puissions réfléchir, sans controverses inutiles, à la façon dont nous pouvons, dans le respect de ce grand principe qu’est la laïcité, garantir à nos concitoyens pratiquants de pouvoir exercer leur culte dans de bonnes conditions.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’avez rappelé, la laïcité est l’une des spécificités du vivre ensemble dans notre pays. Elle constitue, depuis plus d’un siècle, un principe de concorde non négligeable, qui a pour objectif d’unir les citoyens, par-delà leurs différences et autour des valeurs républicaines : la liberté, qui vise à protéger la liberté de conscience de chacun ; l’égalité, qui garantit à tous, indépendamment des croyances, des non-croyances ou de la religion de chacun, de pouvoir bénéficier des mêmes droits et des mêmes services publics ; la fraternité, qui permet à toutes les religions de coexister et à tous les citoyens de cohabiter dans la tolérance et le respect mutuel. Les différents intervenants l’ont rappelé, sur la base d’exemples tirés de leurs expériences locales.

Dans une société fracturée, où le lien social se distend, où l’intolérance grandit, la laïcité est un principe dont il nous faut réaffirmer le sens et la portée. En effet, c’est le meilleur moyen de lutter contre ceux qui, aujourd’hui, l’instrumentalisent à des fins de stigmatisation. C’est aussi le meilleur moyen - vous l’avez presque tous dit - de lutter contre ceux qui utilisent la religion et parfois la laïcité elle-même, comme autant de prétextes au rejet de l’autre.

La laïcité, c’est d’abord la neutralité de l’État à l’égard de tous les cultes.

L’État ne reconnaît et ne soutient aucun culte, ni financièrement ni symboliquement. Il se doit d’offrir à toutes les personnes, sur l’ensemble de notre territoire, un service public impartial, indépendant de toute institution religieuse – c’est clair ! – et d’assurer l’égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction, quelle que soit leur religion.

La laïcité, c’est aussi l’obligation pour l’État de garantir la liberté de culte - c’est, au fond, le cœur de votre sujet - et de s’assurer que nul ne peut être inquiété pour sa croyance ou pour son incroyance. L’État se doit de sanctionner toute discrimination intervenue à raison d’une opinion religieuse.

Mais, je le répète, l’État se doit également de permettre à chacun de pratiquer son culte dans des conditions décentes, comme vous l’avez presque tous rappelé. Et, sur ce point, qui concerne très directement nos collectivités territoriales, des progrès sont nécessaires.

Concernant les lieux de culte, la loi du 9 décembre 1905 dispose que la République ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Naturellement, je n’oublie pas que l’une de nos régions de France a, de ce point de vue, un statut particulier.

Pour les lieux de culte dont les collectivités publiques ont été reconnues propriétaires en 1905, les associations cultuelles bénéficient d’une mise à disposition. Elles sont responsables de toutes les charges, à l’exception des « dépenses nécessaires » à l’entretien et à la conservation, auxquelles les collectivités sont autorisées à participer – ce n’est pas un détail.

Ces dépenses nécessaires sont strictement définies. Ainsi, ne sont pas considérés comme des « dépenses nécessaires » les travaux d’embellissement et d’agrandissement ou l’achat de meubles. En revanche, la réfection partielle d’un édifice cultuel est considérée comme une dépense d’entretien et les collectivités territoriales peuvent participer à la construction d’un nouveau lieu de culte si celle-ci est moins coûteuse que la restauration d’un édifice.

Depuis la loi de 1905, et face aux évolutions de notre société, quelques tempéraments ont été apportés à la règle de non-subventionnement, au travers de plusieurs décisions d’assemblée du Conseil d’État - certains ont cité ces décisions fondatrices -, afin de permettre la construction de nouveaux édifices cultuels. Ainsi, un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet d’un bail emphytéotique en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice de culte ouvert au public et une commune peut garantir un emprunt contracté par une association cultuelle pour la construction d’un édifice du culte. Nous reviendrons sur cette notion de garantie.

Cependant, du fait de notre histoire et de nos dynamiques territoriales, dont vous avez fait, monsieur Maurey, une très juste analyse, les lieux de culte sont aujourd’hui inégalement répartis sur notre territoire, ne permettant pas toujours de répondre aux besoins de toutes les religions, en particulier aux besoins nouveaux apparus dans les communes comportant des populations de confessions diverses et qu’ont très bien décrits certains d’entre vous – dans la région Nord - Pas-de-Calais ou dans le département des Alpes-Maritimes, pour ne citer que ces exemples.

Interroger ces besoins nouveaux, qui ne trouvent pas toujours de réponse claire dans la loi ou dans la jurisprudence, et réfléchir aux réponses que les communes peuvent y apporter, c’est le nœud du problème que nous devons résoudre aujourd'hui. C’est ce qui a justifié la rédaction du rapport de M. Maurey et c’est également l’une des préoccupations majeures du Gouvernement.

Monsieur Maurey, nous partageons votre questionnement. Reste à partager les réponses…

C’est parce que ces questions nouvelles sont une préoccupation majeure du Gouvernement qu’un groupe de travail, composé de responsables religieux, de représentants de l’Association des maires de France et des services concernés au sein du ministère de l’intérieur et des ministères chargés du logement et de la jeunesse, va être mis en place pour formuler des propositions sur le sujet du financement des lieux de culte par les collectivités territoriales. Pour les membres de ce groupe de travail, le rapport de M. Maurey et le compte rendu du débat d’aujourd'hui constitueront sans doute des documents de travail de première importance. Les sujets seront sériés et les frontières, étanches.

Le groupe de travail aura vocation, monsieur Maurey, à répondre à l’une des difficultés que vous avez identifiées dans votre rapport, celle du déficit d’information, en proposant les voies et les moyens de répondre à ce besoin d’information légitimement exprimé par les élus.

Ainsi, conformément à l’esprit de vos deux premières recommandations, il réfléchira à un outil permettant de donner à tous les maires de France les clefs pour appliquer la circulaire du 29 juillet 2011, laquelle détaille les possibilités de dépenses de conservation et d’entretien des édifices de culte, sur le fondement des dernières jurisprudences.

Les autres recommandations formulées dans le rapport m’inspirent trois remarques, que certains d’entre vous ont d'ailleurs déjà formulées.

Les recommandations nos 6 et 7 ne sont pas envisageables : il est des portes qu’il ne faut pas ouvrir. Peut-être en serez-vous chagriné, monsieur le rapporteur, mais je pense que vous comprendrez largement nos motivations.

Ainsi, la recommandation n° 7, qui préconise, notamment, un contrôle de l’origine des fonds par un commissaire aux comptes, et que certains ont reprise aujourd'hui, n’est pas constitutionnelle. J’aurais voulu pouvoir y souscrire, mais elle n’est pas conciliable avec le principe de liberté pour les cultes de construire les édifices dont ils ont besoin, sans que cela concerne nécessairement la puissance publique.

Néanmoins, sur cette question intéressante, rien n’empêche de réfléchir à une évolution vers plus de transparence, en évitant cependant toute stigmatisation. J’ai relevé des propos qui n’ont pas lieu d’être dans un débat comme le nôtre, notamment s’agissant de tel pourcentage sur l’origine de tels fonds. Il est dangereux d’avancer des choses que l’on ne peut pas prouver ! Ce n’est pas l’objet de mon intervention, mais je pourrais vous montrer à quel point ces propos sont dénués de fondement scientifique, à supposer même qu’ils reposent sur une quelconque observation empirique…

Je rappelle ici que tous les fonds versés en liquide donnent lieu à vérification, de manière à éviter toute transaction directe de la part des entreprises, ce qui, en droit, constitue un délit. Il est possible de vérifier l’origine des fonds qui, via telle ou telle fondation, participent à la construction d’un édifice religieux, quel qu’il soit d'ailleurs – cela concerne toutes les religions. En tout état de cause, il ne faudrait pas qu’un tel dispositif conduise à des stigmatisations.

La sixième proposition ne semble pas – il y aura sans doute débat – réellement de nature à simplifier les choses. Vous questionnez la distinction entre cultuel et culturel. Parfois très difficile à établir, cette distinction s’accommode mal d’une interprétation figée.

Il est donc préférable, nous semble-t-il, de privilégier, comme aujourd’hui, le cas par cas sur la base de la circulaire du 29 juillet 2011. C’est plus simple et, à mon avis, plus efficace.

Deux de vos propositions – les troisième et quatrième – ouvrent des pistes intéressantes. Cependant, le Gouvernement, avant d’envisager de telles mesures, souhaite réfléchir à des solutions dans le cadre de la législation existante. Des réflexions seront engagées sur ce sujet. Il s’agit de questions justes auxquelles nous allons essayer de répondre sans ouvrir la porte de la loi.

La cinquième proposition, relative à l’intégration, au sein des PLU, de zones susceptibles d’accueillir des édifices cultuels, semble, elle, de nature à favoriser l’implantation d’édifices cultuels là où ils sont nécessaires. Le Gouvernement va y travailler.

J’ai entendu les remarques des uns et des autres sur les effets négatifs que pourrait induire l’adoption d’une telle proposition, notamment celles de M. Vandierendonck. Nous allons regarder comment cela pourrait se faire, quels seraient les modalités de mise en œuvre, les avantages comme les inconvénients, avant de trancher. Je pense que c’est la sagesse.

Une réunion, présidée par le Premier ministre, devrait se tenir le plus vite possible pour aborder l’ensemble de ces questions en considération du travail que vous avez réalisé. Des mesures plus précises seront documentées, pesées au trébuchet de la loi et de notre volonté de rechercher une société apaisée.

À n’en pas douter, les échanges riches que nous avons eus aujourd’hui viendront alimenter la réflexion. Donnez-nous un peu de temps pour examiner chacune de vos interventions.

Nous devons également réfléchir à d’autres sujets, lesquels, je le sais, vous intéressent. Je pense, par exemple, à la récurrente question funéraire. J’ai la conviction que nous n’avons pas la réponse parfaite. Aujourd’hui, nous essayons de trouver des solutions très empiriques, alors que d’autres pistes de réflexion existent. C'est la raison pour laquelle il me semble important de mettre ces questions à l’ordre du jour de nos travaux.

À la suite de la réunion dont j’ai parlé, j’espère que nous pourrons continuer à travailler ensemble sur cette question des financements des lieux de culte en dépassant toutes les postures et en gardant à l’esprit la raison d’être du principe de laïcité.

Ce que nous offre ce principe, peu de pays l’ont. Il peut éviter bien des déséquilibres à une société qui se fracture. Il s’agit d’un point d’équilibre fort, d’un élément fédérateur de tous les citoyens. Le principe de laïcité – et le principe de concorde qui l’accompagne – est sans doute ce qui fait que nos sociétés tiennent mieux que d’autres.

De telles questions réclament que nous avancions de manière prudente et constructive, sans stigmatiser personne. Je ne peux, à cet égard, que déplorer certaines citations qui, parfois, servent à montrer du doigt les uns pour conforter les autres, alors que nous devrions apprendre aux uns, notamment aux plus jeunes, à respecter les autres.

Mais nous avons un autre ennemi, je veux parler des réseaux sociaux, grande source d’échanges, mais aussi facteur de fractures bien plus graves.

Les élus de la Nation doivent faire de la laïcité un ciment commun, un vecteur d’éducation - au sens vrai du terme – en même temps qu’un vecteur de culture.

C’est de cette manière que nous pourrons avancer avec nos voisins européens, dont peu, très peu disposent d’une constitution laïque. C’est aussi de cette manière que nous pourrons tendre la main à nos amis d’outre-Méditerranée, notamment. Car, oui, la laïcité peut devenir l’élément majeur des modèles de société du XXIsiècle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir initié ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte ».

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Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

Mme la présidente. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer.

La liste des candidats établie par la commission des finances a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.

Je n’ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : Mme Michèle André, M. Éric Doligé, M. Francis Delattre, M. Philippe Dominati, M. Vincent Delahaye, M. Georges Patient, M. Éric Bocquet ;

Suppléants : M. Michel Canevet, M. Philippe Dallier, M. Jacques Genest, M. Roger Karoutchi, M. Jean-Claude Requier, M. Maurice Vincent, M. Richard Yung.

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Débat sur le thème : « l'avenir de l'industrie ferroviaire »

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « L’avenir de l’industrie ferroviaire française », organisé à la demande de la commission du développement durable.

La parole est à M. Louis Nègre.

M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, mes chers collègues, pourquoi la commission du développement durable a-t-elle souhaité l’organisation d’un débat sur l’avenir de l’industrie ferroviaire française ? Parce que les nouvelles sur l’avenir de cette filière industrielle d’excellence sont des plus alarmantes et que nous ne voyons pas, pour le moment, le Gouvernement prendre les mesures d’urgence qui nous paraissent nécessaires.

Notre industrie ferroviaire est à la fois, pour notre pays, un atout et un objet de fierté. Grâce à nos entreprises, cette filière industrielle se situe au troisième rang mondial, au premier rang européen en ce qui concerne l’ingénierie et au deuxième rang pour ce qui est strictement de l’industrie.

Notre excellence est largement reconnue à l’étranger, où notre industrie ferroviaire a remporté de nombreux appels d’offres. Parallèlement, la demande intérieure est restée soutenue pendant la dizaine d’années qui vient de s’écouler.

Ces succès ont pu donner l’impression qu’il n’était pas nécessaire de se préoccuper de cette filière industrielle, qu’elle « roulait toute seule », pour ainsi dire. Mais les temps ont changé ! À l’échelle mondiale, nous assistons à un mouvement de concentration sans précédent, en particulier avec la fusion des deux plus importants acteurs chinois : CNR et CSR. Le nouveau géant – 24 milliards d’euros de chiffre d’affaires – qui en est issu atteint presque cinq fois la dimension d’Alstom Transport !

La concurrence est plus vive que jamais et la disproportion de taille entre les uns et les autres, sans compter le poids du soutien des États, ne peut que nourrir nos inquiétudes quant à l’avenir de l’industrie ferroviaire française.

Sur le marché intérieur, les perspectives sont des plus préoccupantes pour le segment du matériel roulant, hors métros et tramways.

Les régions manquent de ressources pour financer le transport ferroviaire. Sur les 1 000 trains prévus par le contrat-cadre signé en 2009 avec Alstom, seuls 218 ont été effectivement commandés à ce jour. De même, sur les 860 trains du contrat signé avec Bombardier, seuls 159 ont été achetés.

Quant à l’État, il lui faut désormais trouver une alternative à l’écotaxe pour financer l’entretien du réseau ferroviaire ou le renouvellement des trains d’équilibre du territoire. Et il faut espérer, monsieur le secrétaire d’État, que votre collègue de Bercy ne placera pas la barre en dessous des 1,2 milliard d’euros que nous étions en droit d’attendre ! Malheureusement, les dernières nouvelles dont je dispose à cet égard sont particulièrement affligeantes…

Ces incertitudes financières ayant des répercussions directes sur le secteur ferroviaire, les résultats du troisième appel à projets pour les transports collectifs en site propre, ou TCSP, qui devaient être annoncés à la fin de l’année 2013, ont été reportés à décembre 2014, c’est-à-dire d’une année !

La conséquence de cette situation est extrêmement préoccupante : les plans de charge de l’industrie ferroviaire de matériel roulant en France vont chuter de moitié à partir de 2017. Compte tenu des délais de livraison des trains, cette diminution drastique va commencer à se répercuter, dès cette année – en fait dans les tout prochains mois ! – sur certains secteurs d’activité tels que l’ingénierie, qui commande l’ensemble de la chaîne de production, ainsi que sur les fournisseurs et sous-traitants de la filière.

En ce qui concerne les trains express régionaux – TER – ou les trains d’équilibre du territoire – TET –, l’activité deviendra quasi inexistante après 2017. À cette date, c’est la construction des trains à grande vitesse qui commencera à décroître, pour atteindre un niveau quasi nul en 2019. Encore ne vous ai-je pas parlé des locomotives, secteur où la France n’a plus aucune activité depuis 2013, faute d’un fret ferroviaire dynamique !

Cette forte et brutale contraction de la demande, pourtant prévisible depuis 2011, aura des conséquences irréversibles sur notre industrie. À court terme, ce sont entre 10 000 et 15 000 emplois directs et indirects qui sont menacés, concentrés sur quatre ou cinq grands bassins industriels. Ce sont là des chiffres énormes !

Et ce n’est pas tout : avec ces emplois, nous allons aussi perdre les compétences et les savoir-faire qui ont hissé notre industrie à un rang mondial.

Face à des perspectives aussi dramatiques, nos ingénieurs, dont la compétence est unanimement reconnue, vont se tourner vers des secteurs plus porteurs. La filière industrielle ferroviaire française risque ainsi d’assister à une hémorragie de ses cadres, de nature à condamner à terme notre avance technologique.

L’avenir de plusieurs sites industriels, disséminés dans tout le pays, est en jeu : en Alsace, dans le Nord-Pas-de-Calais, en Poitou-Charentes et en Franche-Comté. Une fois ces sites fermés, on ne pourra les rouvrir facilement, car il s’agit d’une industrie lourde.

Monsieur le secrétaire d’État, nos collègues élus d’Alsace – Fabienne Keller, Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, et André Reichardt – sont particulièrement inquiets. Ils viennent de me demander de vous alerter aujourd’hui, de façon solennelle, sur le risque de fermeture du site de Reichshoffen.

Cela fait plusieurs années que les acteurs du secteur tirent la sonnette d’alarme, qu’il s’agisse de la Fédération des industries ferroviaires, que j’ai l’honneur de présider, de l’organisme Fer de France ou encore du Comité stratégique de la filière ferroviaire, créé en 2010 par le ministre de l’industrie, Christian Estrosi, et relancé en janvier 2013 par Arnaud Montebourg. Les Assises du ferroviaire ont aussi été l’occasion de mettre en avant les difficultés de la filière.

Si ces alertes régulières ont rencontré beaucoup d’écho dans les médias, elles n’ont pas pour autant débouché sur des décisions publiques concrètes. Nous nous retrouvons donc désormais dans une situation critique, face à laquelle il est urgent de réagir.

Le gouvernement actuel a martelé sa volonté d’un retour de l’État stratège lors du débat qui a abouti au vote de la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire. Dans les faits, nous avons cependant grand peine à voir émerger cet État stratège que nous soutenons, et qui nous semble indispensable dans le contexte que je viens de décrire.

Pourtant, et c’est là le paradoxe, les opportunités ne manquent pas pour redonner vigueur à notre industrie ferroviaire : l’engagement de la France dans la transition énergétique, la COP 21, le chantier du Grand Paris, le grand plan de modernisation du réseau « historique » – GPMR – ou encore le remplacement des matériels des trains d’équilibre du territoire ou du réseau parisien sont autant de chances majeures à saisir pour promouvoir notre filière industrielle.

A contrario, comment pourrions-nous préserver notre vitrine technologique et exporter nos matériels si notre marché intérieur devait s’écrouler dans les années à venir ?

Je salue bien entendu l’engagement du Gouvernement dans le projet de « TGV du futur », dont l’ambition est de répondre aux besoins à venir du réseau français comme du marché international de la grande vitesse.

En mettant l’accent sur l’optimisation des coûts, l’interopérabilité et la capacité, plus que sur la seule performance technique, ce projet rendra nos matériels plus facilement « exportables » à l’étranger. Il ne sert à rien, en effet, de fabriquer de beaux bijoux si l’on ne peut pas les vendre parce qu’ils sont trop chers ou, tout simplement, parce qu’ils ne répondent pas aux besoins de nos clients potentiels.

Ce beau projet, à forte visibilité, mais concernant moins de 10 % du marché, ne sera pas suffisant pour sauver l’ensemble de notre industrie.

Pour compléter cette analyse, j’ajoute que l’État doit encourager et accompagner les entreprises à l’export, en veillant tout particulièrement à ce qu’il y ait une réciprocité dans l’ouverture à la concurrence, car, même en Europe, monsieur le secrétaire d’État, la Fédération des industries ferroviaires constate des comportements regrettables, qui portent atteinte à l’équité des appels d’offres.

Sur le marché national, comme je le disais tout à l’heure, des opportunités existent. J’espère bien que notre industrie pourra en bénéficier ! Mais, là encore, nous avons d’abord besoin d’une vision et d’une stratégie claires. L’État, désormais stratège, doit s’engager dans un travail de planification à long terme, en concertation avec tous les acteurs, permettant à nos entreprises de gérer au mieux leur plan de charge et de lisser leur production dans le temps. Il n’y a rien de pire, pour une industrie lourde, qu’une politique de stop and go.

Une réflexion critique doit aussi être menée sur les spécifications excessives exigées par les acheteurs. Par exemple, pour le renouvellement du parc des trains d’équilibre du territoire, faut-il absolument s’engager dans la conception d’un nouveau train, qui demandera plusieurs années de travail ? Ne pourrait-on pas activer les contrats-cadres existants, tout en répondant aux besoins ? (M. le secrétaire d'État acquiesce.)

Merci, monsieur le secrétaire d’État, d’entendre ce message.

Vous l’aurez compris, des solutions existent. Il vous revient désormais d’apporter la preuve de ce retour de l’État stratège, en mettant en œuvre sans attendre les mesures adéquates, car la survie de notre industrie ferroviaire est devenue une affaire de mois. Il ne faut plus tarder ! Sans ambition ferroviaire pour notre pays, contrairement à ce qu’il en est en Allemagne, au Japon ou en Chine, il ne saurait y avoir d’avenir pour notre filière industrielle. Si je sonne le tocsin aujourd’hui, c’est pour ne pas sonner le glas demain. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Madame le président,…

Mme la présidente. « Madame la présidente », s’il vous plaît !

M. David Rachline. Oui, madame la présidente, puisqu’on dit comme ça maintenant, (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Filleul. C’est normal, non ?

M. David Rachline. …, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nul doute que l’industrie ferroviaire fait aujourd’hui la fierté de la France. Notre vaste et complexe réseau est envié dans le monde entier.

Pourtant, il s’agit de regarder la réalité en face et de bien amorcer le virage que nous abordons. Notre réseau a vieilli, ses infrastructures deviennent obsolètes, et donc dangereuses. Une grande partie de nos trains, après des décennies d’utilisation, commence à ne plus correspondre aux attentes de notre temps.

L’industrie ferroviaire est en danger. Avec une production de TGV et de trains régionaux qui fléchit, le chiffre d’affaires pour le matériel roulant « passerait de 1,4 milliard d’euros en 2014 à 300 millions en 2018 », selon la Fédération des industries ferroviaires.

Si nous ne voulons pas que s’écroule tout un pan de notre industrie, l’État doit réagir et retrouver le rôle qui était le sien voilà trente ans : celui d’un État stratège.

Rappelons que c’est grâce à l’impulsion et au soutien de Georges Pompidou que l’aventure du TGV a commencé et connu sa folle épopée. Pendant des décennies, l’État a eu une vision globale du développement du ferroviaire. « État stratège » était une expression qui avait un sens et une réalité. L’État a su mettre à profit la croissance des Trente Glorieuses pour penser la stratégie du ferroviaire et sa cartographie dans son ensemble.

Aujourd’hui, cette vision a totalement disparu, ce qui risque de mettre en péril l’ensemble d’une filière, laquelle se trouve à la croisée des chemins.

En effet, c’est toute une politique du déplacement qu’il nous faut repenser. Les technologies ont changé, les exigences ne sont plus les mêmes. Le train du futur doit être plus économe en énergie, moins polluant, il doit développer sa capacité de transport et répondre aux nouveaux besoins de mobilité, dans un avenir où la voiture verra son importance diminuer.

Si nous voulons garder notre place et ne pas nous laisser distancer dans la concurrence internationale, nous devons démontrer que nous sommes capables d’amorcer ces évolutions d’abord chez nous. La qualité de notre réseau et de notre industrie ferroviaire est la condition d’une bonne exportation. Notre capacité à exporter dépend de ce que nous sommes capables de faire en France. Le chiffre d’affaires du ferroviaire mondial augmentera de 2,7 % par an pendant les cinq prochaines années : à nous de ne pas laisser passer cette opportunité !

Pour cela, l’appui de l’État est selon nous indispensable, pour fédérer et investir.

D’abord, il convient de fédérer tous les acteurs de la filière, de penser le ferroviaire de demain et d’orienter une véritable stratégie en faveur d’une cartographie réfléchie et d’un réseau véritablement pensé, et non pas de procéder par annonces, au gré des campagnes électorales, comme vous en avez pris l’habitude.

Prenons l’exemple du fret. Pourquoi a-t-il chuté de 31 % de 2003 à 2013, alors que, dans le même temps, il augmentait de 15 % chez nos voisins allemands ? Pourtant, c’est un mode de transport incontournable pour l’avenir.

Ensuite, il s’agit d’investir et de permettre à la filière de le faire, notamment avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations, à défaut de celui, direct, de l’État, puisque Bruxelles et votre fameuse Union européenne nous l’interdisent. Il faut mettre un terme aux dépenses sans lendemain, dues à une gestion irréfléchie, et les remplacer par des investissements d’avenir : ne pas forcément dépenser plus, mais dépenser mieux, pour ceux qui nous succéderont.

Il faut être cohérent. Aujourd’hui, le Gouvernement relance le programme du TGV du futur, alors qu’hier il annonçait la fermeture possible de certaines lignes Intercités. Dans quel but ? Dans quelle optique ? Dans quelle stratégie globale cela s’inscrit-il ? Nous n’en savons rien !

Si nous ne retrouvons pas un véritable État stratège, qui oriente et conduit notre politique industrielle, si nous ne mettons pas en place une stratégie globale en faveur du développement du ferroviaire, il sera impossible de sortir de la léthargie dans laquelle nous sommes malheureusement plongés.

Merci, madame le président.

Mme la présidente. J’insiste : « madame la présidente » !

La parole est à M. Jean-François Longeot.

M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le cadre de la commission sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire, présidée par le député Philippe Duron, un rapport a dernièrement été remis au Gouvernement.

Je souhaite, comme l’a fait notre collègue Louis Nègre, attirer votre attention sur l’avenir de l’industrie ferroviaire française, et plus particulièrement réagir après la publication de ce rapport, qui a marqué les esprits en posant la question de l’avenir des trains d’équilibre du territoire.

En effet, dans ses conclusions, rendues publiques le 26 mai dernier, ce rapport préconise l’abandon par l’État de nombreuses lignes nationales.

Tout d’abord, il est à noter qu’il s’inscrit dans la volonté du Gouvernement de réduire la participation financière de l’État pour ce qui concerne les volets ferroviaires des contrats de projet État-région.

Soulignons également la libéralisation des liaisons en autocars entre les grandes villes, rendues possibles par la loi Macron, qui offre une justification idéale à l’abandon du rail.

L’alternative routière pour le transport des voyageurs, préconisée dans ce rapport, n’est pas la réponse aux besoins.

Comment peut-on, dans le projet de loi relatif à la transition énergétique voté voilà quelques jours en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, indiquer, au paragraphe 4 de l’article 9 B, que, « pour le transport des personnes, l’État encourage le report modal du transport routier par véhicule individuel vers le transport ferroviaire » et, dans le même temps, remettre en cause d’une façon aussi radicale l’avenir des TET ?

L’autocar n’offrira jamais le même service et, comme le soulignait notre collègue Annick Billon, « la solution de l’autocar peut être pertinente dans certaines situations, mais sa généralisation me semble peu cohérente avec les préoccupations de transition énergétique et de bilan carbone ». À cet égard, le transport ferroviaire a aujourd’hui davantage sa place parmi les modes de transport.

Nous assistons, à l’heure actuelle, à une remise en cause profonde du rôle du ferroviaire dans notre pays, ce qui risque d’avoir des conséquences néfastes sur l’aménagement du territoire. Une fois encore, ce sont les territoires les plus ruraux qui seront les plus touchés, les plus abandonnés, les plus oubliés au titre des politiques de déplacement.

Comme le disait notre collègue Rémy Pointereau, il est facile, de tuer les lignes des TET : il suffit, pour en détourner les voyageurs, d’y mettre le plus mauvais matériel, d’instaurer de faibles cadencements et de définir des horaires inadaptés.

Par ailleurs, il est urgent de se pencher sur le financement du rail. L’État français n’y participe qu’à hauteur de 32 %, contre 90 % en Suède et 50 % en Allemagne. Dans ces conditions, n’est-il pas temps de réfléchir à la possibilité, pour l’État, de reprendre à son compte les 36,78 milliards d’euros de la dette SNCF Réseau, ex-RFF ?

Si ce choix budgétaire n’est pas engagé, le risque est grand d’inquiéter une nouvelle fois les élus locaux, qui verront dans le rapport Duron la mort programmée des lignes des TET, c'est-à-dire les trains Intercités.

J’en viens aux conséquences sur le territoire des préconisations de ce rapport. Si tout le monde s’accorde à faire le constat d’un réseau délaissé depuis des années, sur lequel roulent des trains en fin de vie, c’est une désertification du territoire entier qui se prépare aujourd'hui.

Or, parmi les lignes menacées, même les moins fréquentées ont leur utilité. Elles permettent aux villes moyennes de bénéficier d’une desserte. Avec ce rapport, c’est la mission de service public assurée par la SNCF grâce aux trains Intercités, qui desservent chaque jour 355 villes dans 21 régions, qui est remise en cause.

Il est certes nécessaire de réorganiser ces liaisons, mais le risque est d’abandonner celles qui sont le moins fréquentées, alors qu’elles représentent un moyen de lutte efficace contre la désertification de nombreuses villes.

Dans un contexte de restrictions budgétaires, alors que les entreprises telles qu’Alstom disposent de contrats de commandes grâce aux contrats-cadres conclus avec les régions pour les TER, seule une petite partie d’entre eux s’est traduite en commandes effectives. Selon les propos de la direction générale d’Alstom Transport, « seules 218 commandes de trains ont été passées pour les TER sur les 1 000 que prévoit le contrat-cadre. »

Dans les prochaines semaines, des décisions capitales doivent intervenir, qui auront notamment des répercussions en termes d’emploi.

En effet, comme l’a rappelé Louis Nègre, sur les 21 000 emplois de la filière, 10 000 à 15 000 emplois directs et indirects sont menacés dans quatre grands bassins d’emplois industriels : l’Alsace, le Nord-Pas-de-Calais, la région Poitou-Charentes et la Franche-Comté.

L’absence de plan de charge provoquerait la disparition des compétences au sein des entreprises, fragiliserait la filière et les territoires, et causerait le déclin d’une filière industrielle mondialement reconnue pour son savoir-faire puisqu’elle se place au troisième rang mondial.

Au-delà du démantèlement du service public, c’est toute l’industrie ferroviaire française qui serait touchée : le site de La Rochelle, pour le train à très grande vitesse et le tramway, celui de Belfort, pour les locomotives, et celui de Reichshoffen, pour les trains régionaux et Intercités.

D’ailleurs, comme l’indiquent mes collègues du Bas-Rhin, il est important d’attirer l’attention sur le site de l’entreprise Alstom Transport à Reichshoffen. Celui-ci a fait l’objet d’investissements importants ces dernières années, afin notamment de pouvoir répondre dans d’excellentes conditions aux commandes de rames Régiolis par les régions de France. Or la réalité des marchés va provoquer un creux important dans le plan de charge du site Alsthom-Reichshoffen et, plus globalement, pour Alsthom Transport, à partir de la fin de l’année 2017, ce qui risque de fragiliser tout un secteur industriel dans son activité en direction du marché intérieur.

J’évoquerai également le site de Valenciennes, pour le métro, le RER et le tram-train. Étant donné, la brièveté du temps de parole imparti à notre groupe dans ce débat, ma collègue Valérie Létard m’a chargé de vous questionner, monsieur le secrétaire d’État, sur deux problématiques, qui impactent particulièrement les acteurs de l’industrie ferroviaire, tout spécialement dans le Valenciennois.

La première est celle de la démarche de la Nouvelle France industrielle, qui fait suite à celle des Usines du futur. Le 16 mars dernier, lors de son audition devant la commission des finances du Sénat, M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, a déclaré : « Une autre bataille industrielle s’ouvre : le 4.0, ou comment inventer l’usine du futur. »

L’organisation de l’outil productif change puisque la production industrielle est désormais mariée avec le numérique et les services qui y sont liés. Les produits que l’on vend ne sont plus seulement matériels : s’y ajoutent de l’intelligence embarquée et des services.

Il faut donc que ces usines redeviennent des sites pilotes performants et privilégient des nouveaux process de conception et d’assemblage des trains.

Comment les industriels peuvent-ils s’inscrire dans les actions du « plan pour l’industrie du futur », annoncé par le Gouvernement le 18 mai dernier ?

J’ai souvent entendu, dans cet hémicycle, des voix s’interroger sur le déclin industriel français. Si aucune décision positive n’est prise dans les plus brefs délais, c’est tout un pan de notre fleuron industriel qui va s’écrouler.

C’est pourquoi je souhaite savoir s’il est dans l’intention du Gouvernement de mener enfin une politique active de soutien à l’industrie ferroviaire de notre pays, eu égard non seulement à la sauvegarde et à l’aménagement de notre territoire, mais aussi à la survie de nos entreprises. (Mme Annick Billon et M. Joël Labbé applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Aubey.

M. François Aubey. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, historiquement, les acteurs français du ferroviaire, qu’ils soient publics ou privés, ont toujours été en pointe pour le développement de ce mode de transport, qu’il s’agisse des aspects techniques et technologiques ou de l’organisation du système. De la conception des voies à la mise au point des matériels roulants, de la gestion des infrastructures à l’organisation des services, les compétences et le savoir-faire français font référence, et les réussites enregistrées sur le marché national ont contribué aux succès remportés sur les marchés internationaux.

Il est important de rappeler, par exemple, que nous sommes pionniers sur des technologies d’avenir reconnues au niveau mondial, telles que le tramway sans caténaire avec alimentation par le sol ou encore le métro automatique. Il est également important de souligner que notre industrie ferroviaire, qui compte de nombreux leaders mondiaux, peut s’appuyer sur des ingénieurs de très haut niveau, issus de la SNCF, de la RATP ou de diverses autres filières.

L’industrie ferroviaire française se classe aujourd’hui au troisième rang mondial, derrière l’Allemagne et la Chine, pour le chiffre d’affaires, même si ce dernier a légèrement baissé entre 2012 et 2013, passant 4,2 milliards à 4,1 milliards d’euros.

On soulignera que cette industrie connaît un développement important à l’international, son chiffre d’affaires à l’export ayant augmenté de plus de 60 %. En revanche, sur le marché national, la baisse est de 16 %, avec un revenu total de 2,6 milliards d’euros. Seule l’activité « infrastructure », qui ne représente que 13 % de l’activité globale, augmente de 14,7 %.

Ne nous y trompons pas, bien que l’industrie ferroviaire française soit mondialement reconnue, elle présente un certain nombre de faiblesses : en particulier, une insuffisante structuration de son offre et des coopérations encore à améliorer, notamment sous l’impulsion de l’organisme Fer de France.

Par ailleurs, les menaces sont réelles.

Certes, le marché ferroviaire est en pleine croissance, porté par le renouvellement des parcs de trains des principaux transporteurs européens et par la demande des pays émergents. Toutefois, si le marché du matériel roulant est fortement concentré entre les trois principaux constructeurs-ensembliers mondiaux – Bombardier, Siemens et Alstom –, son essor profite à de nouveaux équipementiers de dimension internationale. En somme, la concurrence s’organise.

On relèvera ainsi la récente fusion des deux constructeurs chinois, CNR et CSR, à présent leader ferroviaire mondial. La naissance de ce mastodonte de l’industrie ferroviaire ne peut nous laisser indifférents. Les constructeurs chinois ont des coûts de production de 20 % à 30 % moins élevés que leurs principaux concurrents. La toute nouvelle entité issue de la fusion bénéficiera, en outre, du soutien politique et économique de l’État chinois et, en particulier, de conditions de financement sans équivalent.

Et que dire du rachat d’Ansaldo – le champion ferroviaire italien – par Hitachi, qui permet à ce concurrent nippon de disposer en Europe d’une véritable tête de pont, tant sur le marché du matériel roulant que sur celui de la signalisation ? Le savoir-faire français de l’ancienne Compagnie des Signaux, rachetée il y a plus de quinze ans par Ansaldo, et qui équipe toutes les grandes lignes du réseau ferré national, vient de « filer » ainsi en Asie, sans garanties sur la protection des droits industriels.

L’émergence de cette nouvelle concurrence, le protectionnisme de nombreux marchés porteurs ainsi que la contraction des finances publiques dans l’ensemble des pays européens sont bel et bien des menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’industrie ferroviaire française.

Ce contexte global inquiète légitimement nos entreprises. Et il pourrait avoir des conséquences terribles sur l’emploi. Rappelons que le ferroviaire totalise 21 000 emplois directs et 84 000 emplois induits sur le territoire national. Près de 15 000 emplois directs et indirects seraient menacés d’ici à 2018 – c’est-à-dire demain –, principalement dans les quatre grands bassins d’emplois industriels que sont l’Alsace, le Nord-Pas-de-Calais, le Poitou-Charentes et la Franche-Comté. Ces craintes sur l’emploi sont d’autant plus fortes que le secteur ferroviaire connaît, comme d’autres secteurs industriels, une accentuation des mouvements de délocalisation.

À la lumière de cette série de constats, certains projets paraissent aujourd’hui vitaux pour l’ensemble de la filière.

S’agissant du TGV du futur, le dernier TGV commandé sortira d’usine en 2019. La SNCF soulève à juste titre des questions sur la rentabilité de son modèle de lignes à grande vitesse. Tout l’enjeu va être de proposer rapidement un matériel capable de proposer davantage de sièges et d’engendrer plus d’économies d’énergie, au moment de remplacer les matériels vieillissants, tout en offrant un plus grand confort aux passagers et une meilleure rentabilité à l’exploitant.

En visite chez Alstom et General Electric, à Belfort, à la fin mai, le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique a annoncé le lancement par la SNCF d’un appel d’offres pour le TGV du futur avant fin juin. Il a largement insisté sur le rôle de l’État envers Alstom et la filière ferroviaire, ce dont nous nous réjouissons tous.

Concernant le RER de nouvelle génération, pour la SNCF, deux appels d’offres ont été successivement lancés puis annulés depuis 2012. Le troisième appel d’offres vient d’être lancé. Il faut espérer que ce projet, vital pour la filière française, puisqu’il représentera jusqu’à 5 milliards d’euros d’activité sur quinze ans, pourra rapidement se concrétiser.

S’agissant du renouvellement des trains Corail, les fameux trains d’équilibre du territoire, la commission présidée par Philippe Duron vient de rendre son rapport, qui contient notamment des préconisations relatives au matériel roulant. Il est noté que « l’effort réalisé en faveur du renouvellement du matériel roulant doit être poursuivi […] puisque, d’ici à dix ans, toutes les voitures seront arrivées à obsolescence ».

La commission Duron indique également qu’une « forte anticipation de l’État sera nécessaire pour préparer au mieux les appels d’offres, qui devront être lancés dès que possible afin de permettre des livraisons au plus tard à horizon 2022-2025 en fonction des lignes ». Il s’agit enfin de « donner de la visibilité aux différents acteurs des filières industrielles ».

Soulignons que les comparaisons européennes réalisées par la commission Duron l’ont convaincue de recommander l’expérimentation, à l’occasion du renouvellement du matériel roulant, du recours à une maintenance exercée par le constructeur. Ce sont de nouveaux marchés en perspective, et donc de bonnes nouvelles.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’industrie ferroviaire est l’un de nos fleurons. Elle est importante pour l’économie nationale, pour les territoires, pour l’emploi ; elle est même stratégique, comme on peut le voir avec Alstom. On ne répétera jamais assez que l’État doit jouer un rôle de pilote et de stratège, et associer l’ensemble des acteurs du secteur.

Pour notre pays, dans les années à venir, les défis ne manquent pas. Il nous faudra notamment tenter de définir, à l’échelon européen, une filière ferroviaire capable, comme dans le secteur de l’aéronautique, de concurrencer les grands constructeurs étrangers : il s’agit de bâtir une sorte d’Airbus du transport ferroviaire.

La force d’une filière industrielle est indissociable d’un marché intérieur dynamique. Mais, avec un marché domestique pour l’heure en repli, il nous faudra trouver de nouveaux relais de croissance à l’international, autrement dit continuer à exporter et, plus que tout, à innover.

En effet, la recherche et développement devra être au cœur de nos priorités. Dans un marché international ouvert et compétitif, la position concurrentielle de nos entreprises ne pourra s’affirmer que par l’innovation. De même, nous le savons, il n’y aura pas de mobilité durable et performante sans innovation.

Le coût des énergies et, plus globalement, les enjeux environnementaux doivent donc être des aiguillons nous encourageant à inventer, pour nous et pour les autres, le ferroviaire de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Henri de Raincourt applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord, au nom du groupe écologiste, à remercier la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, dont je salue le président, ainsi que celui qui s’est exprimé au nom de cette commission, d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat sur un sujet qui est à la croisée d’enjeux majeurs, aussi bien économiques, écologiques que d’aménagement du territoire.

Commençons par un constat : notre pays dispose d’une filière complète dans le domaine de l’industrie ferroviaire.

Ce tissu industriel est une richesse, et ce à plusieurs titres. En effet, l’industrie ferroviaire est probablement, de toutes les industries, la plus structurante pour la société. Il s’agit d’une activité productive à haut niveau de compétences, pourvoyeuse d’emplois qualifiés, comprenant une grande diversité de métiers. Le secteur est constitué d’un large réseau d’entreprises de taille et de métiers très divers, allant des leaders mondiaux jusqu’aux PME.

C’est aussi un vecteur d’aménagement du territoire. Or nous savons, tout particulièrement au Sénat, que des politiques de mobilité réussies contribuent au dynamisme des territoires et réduisent cette fracture territoriale et sociale dont on parle tant.

Le ferroviaire, c’est également un moyen de transport décarboné. Quand on a à l’esprit qu’un quart des émissions de gaz à effet de serre est dû aux transports, et que le transport routier est à lui seul responsable de 92 % d’entre elles, la nécessité de développer les alternatives à la route, notamment le transport ferroviaire de voyageurs et de marchandises, apparaît comme une urgence écologique et de santé publique.

Au regard de l’importance de ces enjeux, ce serait une grave erreur que de laisser l’industrie ferroviaire se déliter. C’est pourtant ce qu’il est en train de se passer.

En effet, des menaces pèsent sur ce secteur, qui devient très concurrentiel, faisant perdre des parts de marché aux entreprises de notre pays. Entre 2002 et 2013, les trois constructeurs historiques que sont Alstom, Bombardier et Siemens ont vu leurs parts de marché mondial passer de 53 % à 24 %, tandis que celles des deux constructeurs chinois, désormais réunis, qui étaient globalement de 6 % en 2002, atteignaient 32 % en 2013.

Nous ne pouvons que nous réjouir que ce moyen de transport et cette industrie se développent partout à travers le monde. Notre industrie, pour survivre, doit s’adapter à cette évolution de la concurrence, tant dans le secteur de la construction que dans celui de l’exploitation.

L’industrie française doit-elle, de plus, s’adapter aux besoins des autres marchés pour s’y développer ? Bien entendu ! À cet égard, il faudrait davantage de coopérations industrielles à l’échelle européenne. Ces coopérations devraient d’ailleurs se déployer sur l’ensemble de la filière, des rails aux trains, puisque, pour s’exporter, surtout dans les pays où le réseau est en cours de développement, le matériel roulant doit évidemment être accordé à l’infrastructure.

Cela étant, le développement à l’international ne peut être la panacée. Nous devons nous intéresser en priorité au marché intérieur, qui a vocation à soutenir le développement de nos constructeurs.

J’ajoute que notre modèle de TGV est fondé sur du matériel roulant conçu pour fonctionner trente ans, là où, par exemple, le TGV japonais est prévu pour être renouvelé au bout de quinze ans. Nous, les écologistes, soutenons davantage la logique industrielle française, préférant du matériel robuste, d’une longue durée de vie. Par définition, cette industrie a un caractère cyclique. Si Alstom a bénéficié en 2013 d’une commande de TGV émanant de la SCNF pour un montant de 1,2 milliard d’euros, ses carnets de commandes sont désormais bien moins remplis.

Dès lors, l’externalisation de la maintenance de la SNCF, qui commence à être évoquée, est-elle une solution pour maintenir le niveau d’activité de l’industrie ? Selon nous, c’est une fausse bonne idée.

En réalité, ce qui menace surtout l’industrie ferroviaire, c’est le manque de vision, le défaut dramatique de pilotage du système, et donc de maîtrise des coûts, aboutissant à des analyses et à des décisions purement comptables, qui alimentent une spirale du déclin.

Au regard des enjeux économiques, écologiques et d’aménagement du territoire que j’ai signalés, les autorités organisatrices, dont l’État, doivent jouer pleinement leur rôle : par l’investissement, elles doivent soutenir cette industrie, extrêmement dépendante de la commande publique.

Toutefois, pour tracer des perspectives pour le secteur ferroviaire, encore faudrait-il établir des priorités claires, une véritable stratégie s’agissant des politiques de mobilité.

Or, alors qu’on a construit 110 000 kilomètres de routes en France entre 1995 et 2013, ce qui correspond à une extension de 11,4 % du réseau routier en moins de vingt ans, que, dans le même temps, le réseau ferré en service s’est contracté de 6 %, soit une perte de 2 000 kilomètres de lignes, et que le potentiel d’autres modes de transport, tels que le transport fluvial ou maritime, est clairement sous-exploité, force est de constater qu’il n’existe toujours pas de priorité claire accordée au rail, ou plus généralement aux modes de déplacement décarbonés.

Puisque la menace du changement climatique se fait de plus en plus précise, que la désindustrialisation est déjà une catastrophe pour l’emploi et une erreur stratégique pour le développement de notre pays, les écologistes demandent que les pouvoirs publics changent réellement les règles du jeu et favorisent le ferroviaire ainsi que les autres moyens de transport à faible empreinte carbone, aux dépens de la route.

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’industrie ferroviaire, l’un des fleurons de notre industrie nationale, est aujourd’hui confrontée à une situation préoccupante.

Ainsi, selon les professionnels, près de 10 000 emplois sur 30 000 seraient menacés d’ici à 2018. En effet, le niveau des commandes fermes à cet horizon est deux fois moindre qu’en 2014 ; il atteint péniblement 1 179 000 heures de production.

Si le secteur souffre, comme l’ensemble de l’industrie, de la crise économique et de la mondialisation, il est aujourd’hui doublement pénalisé par l’absence de politique publique ferroviaire ambitieuse.

En effet, la situation actuelle est la conséquence non seulement de la réduction de la commande publique, mais surtout d’un manque de stratégie visant à conserver une industrie forte en France.

Plus particulièrement, les politiques successives – car cette situation n’est pas nouvelle, cher collègue Louis Nègre ! – ont conduit à l’affaiblissement du système ferroviaire national, provoquant une contraction de l’offre ferroviaire, préjudiciable à l’emploi comme au service aux usagers.

Aujourd’hui, les entreprises attendent beaucoup du Grand Paris, qui peine d’ailleurs à se mettre en place, nous le voyons bien. Quoi qu'il en soit, quand bien même elles gagneraient tous les appels d’offres liés à ce projet, elles devraient tout de même supprimer des emplois et des sites de production ; c’est la triste réalité !

Il faut le redire, le poids de la dette ferroviaire plombe les capacités d’investissement du système ferroviaire, pénalisant donc directement l’industrie ferroviaire nationale, privée de l’offre intérieure. Cela est d’ailleurs confirmé par le Gouvernement, qui, interpellé sur cette question, ne fixe comme horizon pour l’industrie ferroviaire que l’exportation…

Toutes les branches d’activité sont aujourd’hui touchées par ce désengagement industriel.

C’est le cas des TER. La diminution des moyens des régions et l’augmentation de leurs compétences entament leur capacité d’investissement. Ainsi, le chiffre d’affaires sur ce segment d’activité devrait tomber, selon les prévisions, de 1,4 milliard d’euros en 2014 à 300 millions d’euros en 2018. Sur 1 860 commandes de train, seules 315 ont été confirmées. Toutefois, il faut saluer ici l’engagement des régions, qui ont assumé leurs responsabilités dans ce domaine. Je suis certaine qu’elles seraient prêtes à continuer si on leur en donnait les moyens.

C’est aussi le cas du TGV. Le rapport remis par la Cour des comptes a semblé sonner le glas de celui-ci, limitant les perspectives industrielles dès 2019. À ce sujet, nous attendons que les annonces du ministre de l’économie concernant un appel d’offres pour le TGV du futur soient suivies d’effets. Nous aimerions obtenir des précisions à ce sujet.

C’est encore le cas du fret. Jugé insuffisamment rentable, il est sacrifié depuis dix ans. Le projet d’autoroute ferroviaire a également été arrêté. L’entreprise Lohr Industrie devait fabriquer les wagons pour plus de 105 millions d’euros, ce qui représentait trois ans et demi de travail pour la société et ses sous-traitants.

C’est enfin le cas des trains d’équilibre du territoire. La volonté du Gouvernement de revenir à un équilibre financier pour ces lignes d’intérêt général conduit de fait à réduire l’offre de liaisons ferroviaires. À la fin 2013, l’État s’était engagé à renouveler intégralement un parc vieillissant. Seule la première tranche a été engagée, à hauteur de 500 millions d’euros. Qu’en sera-t-il demain ?

C’est, à l’évidence, une situation très difficile, voire dramatique.

Et que dire du changement de comportement de l’État, qui se désengage des entreprises publiques ?

La privatisation d’Alstom a modifié en profondeur le modèle de l’industrie ferroviaire. Jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, la SNCF régnait sur l’ingénierie ferroviaire, imprimant de fait une certaine organisation à cette industrie. L’abandon de ce rôle a conduit à l’éclatement de la filière. Bercy a clairement fait le choix de devenir un actionnaire comme les autres. C’est plus simple, et cela évite de mettre les mains dans le cambouis ! Auparavant, la fabrication du matériel s’effectuait par un travail en commun entre l’utilisateur et le constructeur. Une distance entre les deux ingénieries s’est installée, qui a conduit à une perte de savoir-faire au sein de l’opérateur public. C’est le contraire du système ferroviaire intégré que, vous le savez, nous défendons depuis toujours.

Malheureusement, l’État se comporte aujourd’hui en fonction d’intérêts de court terme et de la rentabilité financière.

Je conclurai en vous rappelant le travail réalisé par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale présidée par Alain Bocquet en 2011. Parmi ses vingt-cinq préconisations, quelques-unes pourraient aujourd’hui être très utilement mises en œuvre.

D’abord, et parce que les sous-traitants affrontent plus brutalement encore la crise, il convient de favoriser les coopérations pour que les sous-traitants d’aujourd’hui deviennent des cotraitants.

Ensuite, Alstom, Bombardier et Siemens sont aujourd’hui concurrents. Ne faut-il pas imaginer un Airbus du rail – un orateur précédent le suggérait également –, dans lequel ces trois groupes et d’autres constructeurs coopéreraient ?

En outre, nous souhaitons l’intégration dans les marchés publics de clauses en matière d’emploi, mais aussi d’environnement, afin de répondre aux enjeux de la transition énergétique. Il ne serait pas anormal non plus de favoriser les entreprises nationales.

Enfin, il faut réfléchir à la création d’un fonds d’investissement et de modernisation des équipements ferroviaires permettant un accès facilité aux aides à l’investissement dans la recherche et le développement. La condition, là aussi, est que la Caisse des dépôts et la Banque publique d’investissement ne raisonnent pas comme des actionnaires libéraux.

Surtout, il est urgent d’engager de nouveau une politique publique ferroviaire ambitieuse, portant le projet de renforcer la mobilité et l’aménagement du territoire, en vue de répondre aux enjeux environnementaux et de service public, mais aussi conserver les usines et les emplois en France.

J’évoquerai une dernière piste, étant particulièrement sensible aux enjeux de l’économie circulaire. Il semble nécessaire de créer une véritable filière industrielle nationale du démantèlement et du recyclage pour le matériel roulant.

Voilà les quelques pistes de réflexion qui mériteraient d’être sérieusement étudiées. Sans acte fort et déterminant du Gouvernement, il y a fort à parier que des sites industriels fermeront prochainement – le cas de Reichshoffen, qui me tient à cœur, même si je ne suis pas élue en Alsace, a été évoqué – et que la France perdra encore une industrie.

Ce n’est pas le cas de l’Allemagne, qui, grâce à des initiatives très fortes, est en train de reconquérir son marché intérieur. Certains érigent notre voisin d’outre-Rhin en modèle. Peut-être feraient-ils bien de s’inspirer aussi de son attachement à la défense de ses intérêts ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Joël Labbé, Martial Bourquin et Jean-Jacques Filleul applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lors d’un déplacement en Franche-Comté, le 28 mai dernier, à l’usine Alstom de Belfort, dont environ la moitié des emplois serait menacée, le ministre de l’économie a expliqué les pertes d’emplois industriels dans les secteurs du ferroviaire et du nucléaire essentiellement par la mauvaise organisation industrielle, ainsi que par la faible part de l’investissement privé. Il a ajouté : « Mais nous allons désormais écrire une nouvelle page de la France industrielle. »

Voilà une ambition que le RDSE partage totalement – et j’espère que c’est le cas du Sénat dans son ensemble –, tant une industrie forte est indispensable au développement économique et à l’emploi dans notre pays.

Mais, pour le moment, la réalité semble bien différente. Un certain nombre de questions se posent. Le présent débat, organisé sur l’initiative de la commission du développement durable, est l’occasion de les formuler.

Au troisième rang mondial après l’Allemagne et la Chine, la filière ferroviaire française souffre de la baisse des carnets de commandes pour les trois prochaines années, menaçant ainsi l’emploi, comme en témoigne l’alerte lancée par la Fédération des industries ferroviaires et évoquant 10 000 à 15 000 emplois concernés.

Pourtant, il s’agit incontestablement d’un secteur d’avenir dans les pays émergents, qui doivent répondre à la demande croissante de mobilité résultant de la forte urbanisation, mais aussi dans le monde, avec la nécessaire modernisation des infrastructures et du matériel roulant.

Or l’industrie ferroviaire française peut notamment compter sur son savoir-faire à l’exportation, avec une croissance de 60 % à 70 % en 2013 pour le matériel roulant et les signalisations. Ce secteur est également porteur en France puisque les infrastructures et le matériel roulant souffrent d’un sous-investissement chronique, qui perdure depuis trente ans.

S’il existe un marché considérable dans notre pays, avec le renouvellement des rames de la première génération de TGV, de l’ensemble des trains d’équilibre du territoire et des trains express régionaux, ainsi que l’acquisition des futurs métros du Grand Paris ou des tramways, force et de constater que l’industrie ferroviaire française est surtout pénalisée par une régression de la commande publique.

Cela met en difficulté les grands constructeurs, mais aussi les petits équipementiers qui en dépendent. Cette situation peut entraîner des retards de livraison, comme c’est le cas actuellement des trente-quatre trains Coradia Liner.

Cette industrie subit, de surcroît, la concurrence des autres modes de transport, l’aérien, notamment avec les compagnies aériennes low cost, et le routier, qui ont indirectement bénéficié du manque d’investissements de l’État en matière d’infrastructures ferroviaires. À cela s’ajouteront prochainement l’ouverture à la concurrence des liaisons par autocar prévue par le projet de loi Macron et les fermetures de lignes TET, qui semblent se profiler avec la publication le 25 mai dernier du rapport Duron, au risque de favoriser encore un peu plus le report du mode ferroviaire sur le mode routier, de manière peu cohérente avec la transition écologique.

Toutefois, ce qui pénalise réellement l’industrie ferroviaire, c’est bien l’absence de stratégie claire du Gouvernement ou de décisions fermes. Nous avons pu le constater avec l’abandon laborieux de l’écotaxe poids lourds, non compensé par des ressources pérennes, alors que le financement des transports ferroviaires est loin d’être assuré au moment où la dette du secteur atteint 40 milliards d’euros.

Cette politique des transports hésitante et confuse donne une mauvaise visibilité à nos grands constructeurs et aux milliers de petites et moyennes entreprises qui rencontreront des difficultés à se positionner sur le plan international. Il en résultera, comme pour le nucléaire, une perte d’expertise et de savoir-faire, donc des destructions d’emplois.

Au moment de la fusion des grands constructeurs chinois CNR et CSR, du rachat de l’italien Ansaldo STS par le japonais Hitachi, et avec un groupe Alstom fragilisé par la vente de sa branche « énergie », il y a urgence à agir.

Il convient de revoir le mode de financement des transports ferroviaires et leur modèle économique, à la veille de l’ouverture des lignes intérieures à la concurrence, prévue pour 2019, à laquelle la France n’est manifestement pas assez préparée.

En outre, le rapprochement avec les autres constructeurs européens est souhaitable, en vue d’assurer l’interopérabilité des réseaux européens et la standardisation du matériel.

Un appel d’offres devrait être lancé à la fin du mois de juin pour le TGV du futur. Pour autant, est-ce compatible avec la priorité que le Gouvernement prétend accorder aux trains du quotidien, à l’heure où la ressource publique se fait rare ?

L’ambition que le Gouvernement porte pour les grands projets est saine, à condition de prévoir les financements correspondants. Sinon, à quoi bon ?

Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, nous espérons que vous pourrez nous éclairer sur la stratégie du Gouvernement pour soutenir l’industrie ferroviaire française et l’aider à demeurer une filière d’excellence, avant qu’il ne soit trop tard.

De même, sur l’éventuelle prise de participations de l’État au sein d’Alstom, nous attendons vos éclaircissements, comme les salariés concernés, y compris ceux des nombreux sous-traitants. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier à mon tour la commission du développement durable d’avoir pris l’heureuse initiative de ce débat sur l’avenir de l’industrie ferroviaire française. L’actualité du thème est évidente sur le plan intérieur. J’ajoute qu’il s’agit d’un sujet brûlant pour l’Union européenne.

En effet, le conseil « transports » doit se prononcer après-demain sur le quatrième « paquet ferroviaire ». Cette expression désigne un ensemble de six textes ayant pour objectif commun d’accroître la part des chemins de fer dans les transports de passagers.

Le moment est donc particulièrement bien choisi pour examiner la contribution que le droit européen en cours d’élaboration apportera à l’avenir de l’industrie ferroviaire. Par nature, l’achèvement de la libéralisation augmentera la demande adressée à l’industrie. Il s’agit là d’une perspective à relativement long terme. Elle fait l’objet de ce que l’on dénomme le pilier politique du quatrième « paquet ferroviaire ». Lorsqu’il entrera en vigueur, ce pilier politique étendra la concurrence aux transports de passagers par train au sein de chaque État membre.

Actuellement, la concurrence ne peut s’exercer que pour les transports internationaux de passagers, ainsi que pour l’ensemble du fret ferroviaire, qu’il soit international ou purement national. Cette libéralisation a-t-elle tenu ses promesses ? Pas autant que nous l’aurions souhaité au sein de cette assemblée : les conditions techniques de certification et de signalisation ferroviaire induisent des frais qui empêchent les opérateurs de proposer des tarifs plus attractifs aux passagers.

Ce double constat justifie que l’on accorde la plus grande importance au pilier technique. Celui-ci comporte, notamment, un projet de règlement tendant à généraliser les spécifications techniques d’interopérabilité valables pour l’ensemble de l’Union européenne.

Ce processus permettra d’éliminer progressivement les 11 000 règles nationales encore en vigueur aujourd’hui, soit plus de 400 par État membre en moyenne. Ce même projet de règlement conférera un rôle spectaculairement accru à l’Agence ferroviaire européenne.

Aujourd’hui, l’utilisation du matériel ferroviaire sur le réseau d’un État membre suppose que l’autorité ferroviaire nationale ait autorisé celle-ci. Chaque organisme utilise ses propres normes, avec des procédures spécifiques. La Commission européenne a observé que le coût d’une procédure d’autorisation dans un seul État membre peut atteindre 10 % du prix de revient industriel. Un fabricant de locomotives souhaitant proposer sa dernière motrice à un opérateur dont l’activité couvrirait la Pologne, l’Allemagne et la France devra suivre trois procédures distinctes et élaborer trois dossiers tout à fait dissemblables. Le coût total des certifications n’atteindra peut-être pas 30 % du prix de revient industriel, mais la combinaison des délais et les vérifications diverses demandées par chacun des trois États membres accroissent fatalement le prix de vente. Il est donc extrêmement souhaitable que l’Agence ferroviaire européenne délivre la certification unique permettant d’utiliser le matériel concerné dans chaque État membre.

L’unification de la signalisation est le deuxième aspect du pilier technique. L’enjeu est la généralisation du dispositif paneuropéen de signalisation, couramment dénommé ERTMS. L’Europe comporte aujourd’hui plus de vingt systèmes différents de signalisation et de contrôle de vitesse des trains. Chaque système impose que les cabines des locomotives soient équipées en conséquence. Reliant Paris à Bruxelles, le Thalys utilise successivement sept dispositifs embarqués : sept systèmes pour seulement deux États membres ! La généralisation de l’ERTMS sera donc source d’économies pour les opérateurs.

Jusqu’à présent, la libéralisation des transports ferroviaires s’est effectuée dans des conditions provoquant une hausse des prix pour les opérateurs. En conséquence, les clients ne voient pas baisser les prix des trajets. Je profite donc de ce débat, monsieur le secrétaire d'État, pour demander que la France obtienne jeudi du conseil « transports » qu’il adopte sans plus tarder le pilier technique du quatrième « paquet ferroviaire ».

Ainsi, les délais légitimement exigés par l’organisation d’une concurrence loyale ne retarderont pas l’entrée en vigueur des dispositions prétendument techniques. Il s’agit, en réalité, des préalables à la libéralisation réussie que je ne suis pas seul à appeler de mes vœux. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat est de la plus haute importance : il s’agit de 280 entreprises et de plus de 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 1,5 milliard d’euros à l’exportation. Le secteur de l’industrie ferroviaire est une source d’emplois importante, puisqu’il représente 21 000 salariés. C’est également un secteur d’excellence qui fait la fierté de notre pays, au côté de l’aéronautique, du tourisme et de l’agriculture.

Si le chiffre d’affaires des entreprises ferroviaires est en augmentation de 60 % à l’export, il est en revanche en recul de 16 % au plan national. Les responsables de l’entreprise bien franc-comtoise Alstom, qui emploie 550 personnes à Belfort, m’a indiqué tout à l’heure mon collègue Cédric Perrin, m’ont dit pâtir avant tout d’un manque de visibilité.

En 2006, la SNCF a créé la marque Intercités. En 2010, le gouvernement de l’époque a pris l’heureuse initiative de mettre en place les TET. En 2015, monsieur le secrétaire d'État, votre décision de demander un rapport à M. Duron fut également bienvenue, car nous étions dans une sorte de flou artistique. Nous avions donc besoin d’y voir plus clair dans l’organisation générale des transports ferroviaires et routiers.

Après avoir pris connaissance de ce rapport, il me semble que nous devons faire attention à ne pas avoir un raisonnement trop rigide. En effet, lorsqu’une ligne n’est pas rentable, la supprimer purement et simplement n’est pas la seule option envisageable : on ne ferme pas systématiquement toutes les entreprises qui souffrent et ont connu deux années de déficit ! On peut aussi agir sur des leviers pour améliorer leur fonctionnement.

En l’occurrence, le premier levier est d’augmenter la productivité de la SNCF. Cette entreprise, l’une des plus belles en Europe, souffre curieusement d’un manque de productivité. Je rejoins Jean Bizet à ce propos : un peu de concurrence est nécessaire. Lors de l’examen du projet de loi Macron, le Sénat a d’ailleurs adopté le principe d’une mise en concurrence en 2017, sur lequel l’Assemblée nationale souhaite revenir, semble-t-il.

La dégradation de la qualité des infrastructures et du matériel est un autre problème, qui explique que le service rendu, en termes de régularité des horaires et de temps de parcours, ne soit pas ce qu’il devrait être. Pour gagner du temps, certains préconisent de supprimer des arrêts. Pourquoi ne pas plutôt actionner, là aussi, d’autres leviers ? L’amélioration des infrastructures, du matériel roulant peut permettre d’améliorer grandement la rentabilité des lignes et leur fréquentation. Les usagers des transports ferroviaires sont en réalité des clients, qu’il s’agit de satisfaire ! À cet égard, le confort joue également un rôle important.

En ce qui concerne l’achat de matériels pour les TET grandes lignes, le Coradia Liner V 200 d’Alstom – je n’oublie pas que deux autres entreprises, dont Bombardier Transport, produisent en partie en France –, surnommé le « petit frère du TGV » et roulant à 200 kilomètres à l’heure, constitue une option extrêmement intéressante pour les lignes électrifiées. C’est tout de même mieux que l’autocar !

D’autres lignes ne sont pas électrifiées, telle la ligne 4, autrefois appelée « Paris-Bâle ». Lorsque j’étais enfant, j’adorais prendre le train à vapeur l’Arbalète pour aller voir ma grand-mère à Paris. (Sourires.) Le rapport préconise le maintien de la ligne Paris-Belfort, mais il va falloir la moderniser. Je puis vous garantir que si nous l’équipons, par exemple, de Coradia Liner V 160, le succès sera au rendez-vous. Lorsque mon collègue Alain Joyandet a posé une question orale sur ce sujet, M. Jean-Marie Le Guen, qui vous remplaçait au banc du Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, a répondu que la ligne serait équipée de rames Régiolis, pouvant rouler entre 100 et 120 kilomètres à l’heure. Le matériel roulant sur cette ligne sera-t-il bien renouvelé, et si oui à quelle échéance ? S’agira-t-il de Coradia Liner V 160, qui offrent un tout autre niveau de confort que les Régiolis et présentent en outre l’avantage de rouler plus vite ?

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Michel Raison. En tout état de cause, l’infrastructure devra également être refaite, car tout est lié.

Notre pays dépense plus de 4 milliards d’euros par an au titre des aides à l’emploi. Or tous les rapports concluent à l’inefficacité de cette dépense. Un certain nombre d’emplois aidés doivent être maintenus, mais consacrer quelques milliards de plus à l’équipement ferroviaire engendrerait des effets positifs, en matière tant d’aménagement du territoire que de protection de l’environnement ou d’emploi. En faisant cela, nous aurions tout juste ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet. Ce serait mieux, en effet !

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin.

M. Martial Bourquin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les orateurs précédents l’ont tous souligné, notre industrie ferroviaire, qui occupe le troisième rang mondial, est l’un de nos fleurons. Cette filière intégrée est cependant en proie à de vives incertitudes, assorties parfois de menaces directes quant à la pérennité de certains sites : je pense à celui de Belfort et, bien sûr, au cluster du Nord.

Les difficultés du secteur ne datent pas d’hier, mais la conjonction de circonstances nouvelles – l’ouverture à la concurrence intérieure en 2019, la concurrence intermodale et la désaffection du public pour certains modes de déplacement jugés peu confortables ou peu fiables – réclame une attention soutenue de notre part.

La filière ferroviaire a besoin aujourd’hui d’un choc d’investissement multisectoriel : pour le TGV, bien évidemment, dans les régions et pour le fret. L’enjeu est d’assurer une visibilité et une cohérence à moyen terme à l’ensemble des acteurs de la filière.

À ce titre, monsieur le secrétaire d'État, un haut niveau de commandes publiques est nécessaire. Le ministre de l’économie, en déplacement il y a quelques jours sur le site d’Alstom de Belfort, a fort justement souligné que « nous avons une responsabilité car vous dépendez des commandes publiques ».

Première étape : le TGV. Voilà quelques jours, Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, a annoncé qu’un appel d’offres pour le TGV du futur serait lancé à la fin du mois de juin. J’en suis très heureux, car la survie du site de Belfort en dépendait. Tous les acteurs de la filière se réjouissent de cette bouffée d’oxygène, d’une importance majeure. Bien sûr, cela ne suffira pas, mais une telle mesure a cependant le mérite d’être concrète.

Deuxième étape, et non la moindre : la remise du rapport Duron-Filleul réactive des perspectives d’investissement pour les TER. Il était temps ! Le maintien de l’attractivité des structures ferroviaires de l’ensemble du territoire exige la mise en œuvre d’un plan d’investissements qui permettra tout à la fois d’étaler la dépense publique, d’en répartir la charge sur les acteurs présents et futurs, tout en donnant des perspectives. Je crois nécessaire que le comité stratégique de filière puisse se réunir pour débattre de ce thème.

Les besoins sont là. Le rapport de la Cour des comptes de février 2015 pointait un sous-investissement ancien, structurel, dans le réseau régional. Le rapport Duron-Filleul, qui fera l’objet d’un débat ce soir et dont je tiens dès à présent à louer la richesse et la grande rigueur intellectuelle, met très clairement en lumière la qualité extrêmement médiocre du matériel roulant des TER.

En Franche-Comté, la mise en service de rames nouvelles a entraîné une augmentation immédiate de 20 % à 40 % de la fréquentation des lignes. Il convient donc que l’État joue pleinement son rôle pour engager et coordonner une stratégie industrielle offensive dans les territoires.

Les contrats-cadres TER de 2010 prévoyaient un millier de commandes. Je suis un parlementaire chanceux, car un premier train Régiolis arrivera bientôt en Franche-Comté. C’est une merveille technologique. Nous sommes peu nombreux dans ce cas : 218 rames seulement ont été effectivement commandées sur les 1 000 prévues en 2010. Il me paraît urgent d’honorer ces commandes et, pour ce faire, de ne pas repasser une nouvelle fois par des procédures d’appel d’offres trop longues, ce qui serait mortifère. Le savoir-faire est là, des livraisons rapides sont possibles.

Le rapport Duron-Filleul suggère par ailleurs des modifications institutionnelles pour que l’État prenne toute sa place en tant qu’autorité organisatrice des transports. Il propose que des délégations de service public exigeantes permettent d’assurer le niveau d’investissement nécessaire à la filière, y compris dans un environnement concurrentiel.

En tant que rapporteur de la mission commune d’information sur la commande publique, je suis évidemment favorable à ce que l’État mette en place des délégations de service public nouvelles plus précises, plus efficaces, à condition qu’elles prennent réellement en compte des stratégies industrielles et commerciales, au service de l’ensemble de la filière, sous-traitants et start-ups compris, en appui à des stratégies territoriales, à condition surtout que les investissements nécessaires soient bien planifiés et financés sur le long terme par tous les acteurs.

Je terminerai en évoquant le fret, qui est le parent pauvre de la filière.

Les chiffres sont éloquents : le fret ferroviaire a baissé de 31 % de 2003 à 2013. Parallèlement, le fret ferroviaire diminuait de 6,4 % en Italie, mais il augmentait de 15 % au Royaume-Uni et de 40 % en Allemagne. Autrement dit, quand la volonté politique d’investir dans les infrastructures existe, les succès suivent.

Nous avons une responsabilité particulière, puisque la France accueillera la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Paris dans quelques semaines. Au-delà des déclarations, il faut des actes. En agissant pour le report modal au profit du fret ferroviaire, nous agissons à la fois pour l’environnement, pour le développement d’une filière industrielle, pour l’emploi et pour une croissance durable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans une société toujours plus soucieuse de son empreinte écologique, la mobilité est au cœur des réflexions visant à la réduction de cette dernière et à la mise en place de modes de vie plus respectueux de l’environnement. C’est pourquoi je salue l’initiative de la commission du développement durable, et notamment de mon collègue du département de l’Eure, Hervé Maurey, qui, je le sais, élèvera et valorisera de la meilleure des façons notre débat d’aujourd’hui.

À l’international, le temps est au beau fixe pour l’industrie ferroviaire française : son chiffre d’affaires à l’export a augmenté de 60 % à 75 % en 2014, selon les métiers. Sur le plan national, les chiffres ne sont pas si optimistes et il y a de quoi être inquiets.

Les responsables de l’industrie ferroviaire française ont tiré la sonnette d’alarme lors de leur comité stratégique, à la fin de l’année 2014. Ils ont en effet averti l’État que les plans de charge actuels, faute de nouvelles commandes, pourraient aboutir à la suppression de 10 000 emplois d’ici à 2018, sur les 30 000 que compte le secteur. Il est urgent non pas de ne rien faire, monsieur le secrétaire d’État, mais d’agir ! En l’absence d’action rapide et efficace, les craintes des responsables de l’industrie ferroviaire française ne vont pas aider à obtenir l’inversion de la courbe du chômage, véritable arlésienne gouvernementale !

Il est vrai que nous pourrions nous contenter de saluer le savoir-faire unique de l’industrie ferroviaire française et son succès à l’export, qui est une réalité, mais l’angélisme fait rarement avancer. M. Rebsamen avait osé indiquer, lors d’une séance de questions au Gouvernement à l’Assemblée nationale, que ce chiffre de 10 000 emplois supprimés ne prenait pas en compte les commandes potentielles et que le Gouvernement veillait à ce que des appels d’offre importants soient lancés par la RATP ou la Société du Grand Paris… Autrement dit, c’est le retour de Paris et le désert français. L’angélisme de M. Rebsamen ne nous fait pas avancer ; pis, il nous fait reculer.

Les perspectives d’activité, pour le matériel roulant, sont aussi particulièrement alarmantes. La production de TGV va, selon les responsables de l’industrie ferroviaire française, fléchir à partir de 2017, pour devenir nulle en 2019, ce qui signifie, en réalité, un arrêt de l’activité de l’ingénierie à partir de cette année.

Je profite de ce débat pour interroger M. le secrétaire d’État sur la situation de la « Nouvelle France industrielle » lancée en 2013 par M. Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif. En effet, l’un des trente-quatre plans avait pour objectif de développer le TGV du futur, projet déclaré « au point mort » par la Fédération des industries ferroviaires. Dans un communiqué commun avec le ministre de l’économie diffusé en mars, deux ans après le lancement de la Nouvelle France industrielle, vous avez précisé que l’ambition est de faire évoluer le modèle de la grande vitesse en l’axant moins sur la performance technique, et davantage sur l’optimisation des coûts. En clair, le nouveau train ne doit plus forcément être une vitrine de la technologie made in France, mais surtout coûter moins cher à produire et à exploiter.

Plusieurs questions me viennent à l’esprit.

D’une part, la consommation d’énergie du nouveau train devra être réduite de moitié. Pour atteindre cet objectif, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, a été priée par l’État d’investir aux côtés d’Alstom Transport pour contribuer à l’effort de recherche-développement. Qu’en est-il de la création de cette co-entreprise ? Les discussions devaient être conclues à la fin du mois d’avril : quelles sont les premières mesures prises ? Quel est le plan d’action ?

D’autre part, la SNCF a annoncé de son côté qu’un appel d’offres européen devrait être lancé d’ici à l’été pour construire un partenariat d’innovation destiné à concevoir ce nouveau train. Le passage par un appel d’offres implique une mise en concurrence qui ne garantit nullement que le marché aille à Alstom. Auriez-vous abandonné votre priorité au made in France ? Le savoir-faire unique de l’industrie ferroviaire française risque de ne pas être valorisé.

Enfin, dans le cas où la proposition du constructeur national et de ses partenaires serait retenue, vous avez indiqué, en mars dernier, que les premières livraisons du TGV du futur interviendraient à l’horizon de 2019. J’imagine que le calendrier initial a été définitivement enterré : il prévoyait effectivement une première mise en circulation en 2018, avec un prototype dès 2017. Encore des mots, des promesses, un engagement qui ne sera pas tenu…

Reste une question de fond que je souhaite aborder : le TGV du futur doit conquérir des marchés à l’export, mais le marché de la très grande vitesse dans le monde a subi un sérieux coup d’arrêt ces dernières années, et il relève autant de critères géopolitiques, eu égard notamment à la concurrence chinoise, que de critères techniques. Le marché national reste, en tout état de cause, primordial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie la commission du développement durable d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce débat d’importance pour la croissance de la France, pour son image internationale et, surtout, pour l’emploi.

L’industrie ferroviaire française représente environ 21 000 emplois dans notre pays. Sa compétence est largement reconnue, puisqu’elle se classe aujourd’hui au troisième rang mondial, avec plus de 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, dont un quart réalisé à l’export. Elle apporte une contribution très positive à notre balance commerciale : nous exportons, en ce qui concerne le ferroviaire, nettement plus que nous n’importons.

L’industrie ferroviaire française a fortement bénéficié, depuis de nombreuses années, du renouveau du ferroviaire en France, sur lequel elle a pu s’appuyer pour partir à la conquête des marchés extérieurs. Ces commandes importantes en France, dont on connaît le caractère cyclique, ont permis à la filière de commencer à se structurer pour être en mesure de répondre aux besoins d’autres marchés à l’international, en vue de se préparer à des périodes de moindre intensité de la demande en France.

En 2011, le rapport de la commission d’enquête sur la situation de l’industrie ferroviaire française portant sur la production de matériels roulants, présidée par le député Alain Bocquet, a permis de dresser un constat clair et de préconiser des mesures auxquelles le Gouvernement a été particulièrement attentif.

L’une des mesures les plus emblématiques consistait à encourager les coopérations dans le secteur, car elles sont créatrices de valeur. C’est la raison pour laquelle, à la fin de l’année 2012, le Gouvernement a créé l’organisme Fer de France, qui fédère l’ensemble des acteurs du rail.

Cet organisme, dont l’État est partie prenante, a pour ambition de donner une meilleure visibilité sur les perspectives de plans de charge en France, afin de mieux les affronter, mais aussi d’accroître la performance de cette filière à l’exportation.

S’agissant des perspectives en matière de plans de charge en France, beaucoup d’orateurs se sont interrogés. Pour calmer l’ardeur de la critique, je rappellerai simplement que, entre la commande et la livraison d’un modèle nouveau, il se passe cinq ans ; chacun a donc sa part de responsabilité…

L’État agit par des mesures de soutien aux commandes publiques. Avec le Grand Paris, ce sont près de 32,5 milliards d’euros qui sont investis par l’État et les collectivités. Il s’agit, d’une part, de construire les nouvelles lignes du Grand Paris Express, et, d’autre part, de moderniser et de prolonger les réseaux existants en Île-de-France, qu’il s’agisse du tramway, du métro ou du RER. Ces perspectives d’investissements sont autant d’opportunités pour la filière ferroviaire française.

Ainsi, plusieurs appels d’offres très importants sont en cours ou en passe d’être lancés par la Société du Grand Paris, la RATP ou la SNCF. Le Gouvernement veille à ce que les marchés soient lancés au plus vite. C’est ainsi qu’un marché de 2 milliards d’euros a été récemment attribué à Alstom, portant sur la livraison de rames de métros sur pneus pour le réseau du Grand Paris. Il permet de pérenniser 2 000 emplois au sein du groupe Alstom ; il apporte immédiatement une charge d’étude importante pour le site de Valenciennes et une charge de production à partir de 2019.

S’agissant des trains d’équilibre du territoire, les TET, dont nous parlerons plus en détail lors du débat suivant, la commission présidée par le député Philippe Duron souligne, dans son rapport, les besoins en termes de renouvellement de matériels roulants. D’ores et déjà, l’État a décidé l’acquisition de trente-quatre rames de Régiolis à Alstom, pour un montant d’investissement de 510 millions d’euros. L’objectif initial était une livraison des premières rames à la fin de l’année 2015. Pour des raisons strictement industrielles, l’entreprise a dû reporter cette échéance à la fin de l’année 2016. Qu’un retard d’un an pour une commande de cette nature soit uniquement imputable à une question de production n’est pas le moindre des paradoxes.

En ce qui concerne les lignes de TET, se pose la question du renouvellement des matériels. L’âge moyen des matériels actuels dépasse trente-cinq ans, soulignent certains intervenants et les auteurs du rapport. Cet âge moyen s’élevait donc déjà à trente-deux ans voilà trois ans : je ne crois pas que des initiatives aient été prises à l’époque pour remédier à la situation… Là encore, les responsabilités sont partagées !

M. Martial Bourquin. Très bien ! Il fallait le dire !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. J’ai demandé à mes services d’établir très précisément les modalités de renouvellement du parc de matériels roulants des TET. Nul ne conteste qu’il n’existe pas de solution sans le renouvellement de ces matériels. Je communiquerai donc prochainement un calendrier de renouvellement compatible avec les capacités financières de l’État.

Je partage l’approche de Louis Nègre et d’un certain nombre d’autres orateurs visant à privilégier l’achat « sur étagère », c'est-à-dire sur le fondement de contrats-cadres existants.

M. Martial Bourquin. Très bien !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je souhaite rappeler que, au terme du troisième appel à projets de transports collectifs, quatre-vingt-dix-neuf propositions ont été retenues, correspondant à 450 millions d’euros de subventions, qui soutiendront 5,2 milliards d’euros d’investissements. Sur ce montant, 2,6 milliards d’euros concernent directement l’industrie ferroviaire et viennent s’ajouter à tous les projets dont j’ai déjà parlé.

Je souhaite également souligner les besoins très importants de rénovation du réseau ferré existant. Pour faire face à ce défi, SNCF Réseau doit s’engager résolument dans une démarche de partenariats de long terme avec les industriels sur l’ensemble des systèmes à rénover. Cela permettra notamment d’insuffler une réelle dynamique d’innovation, dans les outils comme dans les méthodes, afin de réaliser davantage de travaux de manière plus efficace.

Le Gouvernement s’engage aussi en soutenant l’innovation, qui constitue l’un des atouts de cette filière. L’État accompagne ainsi l’institut de recherche Railenium à concurrence de 80 millions d’euros. La création de l’entreprise commune européenne Shift2Rail, que la France a largement soutenue au Conseil européen, complétera et amplifiera le dispositif en faveur de la recherche et du développement ferroviaires. J’ai d’ailleurs sensibilisé la Commission européenne à la nécessité que ce projet se concrétise dans les délais prévus. Compte tenu de l’urgence, mon homologue allemand, Alexander Dobrindt, et moi-même avons demandé expressément que l’examen de ce dossier soit inscrit à l’ordre du jour du conseil « transports » qui se déroulera après-demain à Luxembourg.

Au cours de l’année 2015 sera par ailleurs lancé le plan industriel « TGV du futur », qui fait partie du programme d'investissements d'avenir arrêté en 2014 par le Gouvernement. Il s'agit de développer une nouvelle génération de trains à grande vitesse destinée à la fois à répondre aux besoins français et à conquérir de nouveaux marchés à l'export. Nous souhaitons ainsi faire évoluer le modèle de la grande vitesse, en l’axant moins sur la performance technique et davantage sur l'optimisation des coûts, l'interopérabilité et la capacité.

Ce plan mobilise la société Alstom, qui rassemble autour d’elle un ensemble de PME et d'entreprises de taille intermédiaire, ou ETI. Le Gouvernement a rendu un avis favorable à une participation de l’État, jusqu’à hauteur de 127,5 millions d’euros, à une entreprise commune avec Alstom destinée à conduire les efforts de recherche et développement nécessaires à la concrétisation de ce projet de TGV du futur. L'État accompagnera également les sous-traitants du programme « TGV du futur » au travers d’un appel à projets ferroviaire que l’ADEME lancera dans les semaines à venir.

Quant aux PME, l'État a déjà lancé un premier appel à projets ferroviaire « Initiative PME 2015 », qui a permis de retenir dans un premier temps sept projets subventionnés jusqu'à concurrence de 200 000 euros. Cela concerne des projets innovants, comme celui de la société Ixtrem, qui développe un système de détection des défauts susceptible d’améliorer considérablement la maintenance des matériels, ou celui de la société Lucéor, qui conçoit des solutions de communication informatique intégrées à l'intention des exploitants ferroviaires. Un nouvel appel à projets destiné aux PME sera lancé d'ici à la fin de l'année.

Enfin, l'accroissement de la performance de nos industriels à l’exportation est un enjeu vital pour la filière. À cet égard, les importants investissements déjà réalisés constituent une véritable vitrine. En effet, un matériel français vendu à l'étranger représente une promotion non seulement de la conception et de l’ingénierie françaises, mais également des composants fabriqués en France. Dans ce domaine, nos entreprises détiennent un savoir-faire unique qu'il faut encore valoriser.

Le Gouvernement s'emploie à favoriser le déploiement des acteurs de la filière sur les marchés d'exportation. Au cours des deux dernières années, le secteur ferroviaire a représenté à lui seul le tiers des dossiers soutenus au titre de la réserve des pays émergents, gérée par le ministère de l’économie, ce qui représente au total 1,5 milliard d'euros de prêts accordés. Ainsi, la vente au Maroc de quatorze rames à grande vitesse, soutenue par l'État au travers d’un prêt de 350 millions d’euros, a engendré 120 000 heures de travail pour le site de Belfort d’Alstom.

Se développer hors de nos frontières est indispensable, mais cela est parfois difficile, notamment pour les centaines de PME, de PMI et d’ETI. Je me félicite donc de la création, avec un soutien important de la Banque publique d'investissement, de Rail Export, qui apporte des solutions pratiques et opérationnelles adaptées à ces entreprises pour leur développement international. Elle doit d'ailleurs inciter la filière à renforcer les complémentarités entre sous-traitants et grands intégrateurs, ce qui permettrait à ceux-ci d'ouvrir la voie à la conquête de contrats profitant à l'ensemble de la filière.

En dernier lieu, le Gouvernement se mobilise pour que l’élaboration des textes relatifs au volet technique et industriel du quatrième « paquet ferroviaire » soit achevée au plus vite. Cela débouchera, pour notre industrie, sur l’ouverture de nouvelles opportunités au sein de l'Union européenne. À cet égard, je précise que, malheureusement, le conseil « transports » du 11 juin ne validera pas définitivement le volet technique du « paquet ferroviaire », la discussion entre le Parlement et la Commission n’ayant pas encore abouti. Une nouvelle réunion est prévue le 18 juin et la France, comme je l’ai déjà indiqué, demandera après-demain que le trilogue puisse déboucher. L’adoption du volet technique permettra de passer à la discussion du volet politique.

Notre industrie ferroviaire est la vitrine d'un savoir-faire d'excellence. Elle est individuellement ou collectivement engagée dans des démarches d'exportation, d'innovation et de coopération. Le soutien et l'accompagnement de nos entreprises dans cette direction constituent une priorité de l'action gouvernementale, parce que ces entreprises, ces compétences représentent des atouts incontestables qu'il faut valoriser, afin de construire avec elles le ferroviaire de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean Bizet applaudit également.)

M. Jacques Chiron. Très bien !

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « l’avenir de l’industrie ferroviaire française ».

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Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Andorre dans le domaine de l’enseignement, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 11 mars 2015.

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Débat sur le thème : « l’avenir des trains intercités »

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « l’avenir des trains intercités », organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier, au nom du groupe CRC. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe CRC a donc souhaité l’organisation d’un débat sur l'avenir des trains d'équilibre du territoire, les TET.

En effet, le rapport Duron a soulevé de nombreuses inquiétudes. Il mérite que les représentants de la nation que nous sommes s'expriment à son sujet et soient entendus avant que les décisions soient prises.

Pour bien comprendre les enjeux, il est nécessaire de faire un peu d’histoire.

Auparavant, la SNCF, société intégrée, assurait l'équilibre de ses comptes au travers de l'ensemble de ses activités. Ainsi, la rentabilité ligne par ligne n'était pas le seul critère de jugement. Aujourd'hui, on applique à la SNCF les mêmes recettes que dans le privé : segmentation, massification, externalisation et socialisation des pertes. L’objectif est bien sûr de transférer progressivement les activités rentables au secteur privé et de confier celles qui ne le sont pas aux collectivités, les partisans de ce système affirmant par ailleurs que ces dernières coûtent trop cher…

Depuis 2010, les lignes d'équilibre du territoire font l’objet d'une convention avec l'État, conformément au règlement européen du 23 octobre 2007 « Obligations de service public », dit « OSP », qui définit précisément les obligations de service public devant être assurées par l’opérateur historique, la SNCF, en échange d'une compensation financière de l'ordre de 340 millions d’euros. Sur toutes les travées de cet hémicycle, nous avons défendu nos trains !

Il faut savoir que ce conventionnement relevait essentiellement d'un jeu d'écritures, puisque la SNCF finance de fait ces lignes à concurrence de 96 %. C'est sans doute ce qui l'a poussée à proposer, dans un document sorti dans la presse, une solution radicale, qui fait paraître raisonnables les préconisations du rapport Duron…

SNCF Mobilités se comporte désormais comme une entreprise privée, qui se sépare de ce qui n'est pas financièrement rentable afin de jouer pleinement le jeu de la concurrence. Si cela continue, il faudra la rebaptiser « SIM » : Société internationale de mobilités, sans « N » ni « F » !

Nous partageons le constat sans appel sur la situation de ces trains dressé par le rapport rendu le 26 mai dernier : vétusté du matériel et des infrastructures, qui entraîne retards et inconfort.

En ce qui concerne les propositions, tout le monde considère comme une fatalité l’inconséquence historique de l'État. Lui demander de réparer ses manquements historiques ne semble donc pas être une option. Ce n’est pas l’orientation suivie par ce rapport, qui propose, selon une logique strictement comptable, d’agir à échelle variable, ligne par ligne, pour renforcer l'offre à certains endroits, la limiter à d'autres, transférer parfois des lignes aux régions, mettre en place des cars en remplacement, voire supprimer certaines liaisons.

Ces préconisations sont en contradiction totale avec l'objet même de la convention TET, qui constitue d’ailleurs, selon le Gouvernement et le site du ministère, « une réaffirmation par l'État de l'importance de maintenir le service public ferroviaire, dont les TET constituent l'essence même ». Il est expliqué ensuite que cette convention « s'inscrit dans une politique mettant en œuvre la transition écologique et participe à l'aménagement du territoire ». C'est d'ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, ce que vous avez dit ce matin en réponse à ma collègue Laurence Cohen.

En effet, le réseau ferroviaire a toute sa place dans l'offre de mobilité pour des raisons sociales, environnementales et aussi patrimoniales. Nous devrions dès lors parler non pas de concurrence et de rentabilité, mais d’aménagement du territoire. Dans les pays cités en exemple, des pans entiers du territoire ne sont plus desservis aujourd'hui par le rail.

À cet égard, les propositions du rapport ne sont pas acceptables. Les régions souffrant d'enclavement seront encore plus isolées. Cela est particulièrement frappant dans la région Auvergne, où cinq des six lignes TET existantes sont appelées à être supprimées. Dans ma région, la Lorraine, le seul TET existant est menacé, de même que le train de nuit reliant le Luxembourg à la Méditerranée. Je vous assure pourtant qu’il est très fréquenté !

Comment lutter demain contre la désertification des territoires si l’on supprime des dessertes ? À l'heure où notre pays doit accueillir la vingt-et-unième Conférence des parties de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, dite « COP 21 », comment comprendre que l'on privilégie la route aux dépens du rail ? Comment concilier les principes de la transition écologique avec le développement du transport par car ?

Rappelons encore et encore que les entreprises utilisent gratuitement le réseau routier, entretenu par les collectivités, alors qu'elles paient pour utiliser le réseau ferroviaire ! D'ailleurs, les sociétés d'autocars ont bien compris quelle place leur était réservée : elles sont toutes prêtes à faire concurrence aux TET et aux TER en invoquant la nécessité de répondre aux besoins de mobilité des personnes à faibles revenus. Là encore, nous affirmons que la réponse réside dans la hausse des salaires, et non dans le dumping social !

D'ailleurs, comment ne pas souligner les heureux hasards de calendrier conduisant à ce que ces remplacements de trains par des autocars soient envisagés au moment même où la libéralisation du transport par autocar est instaurée par la loi Macron ? Il s’agit d’un mouvement cohérent et global qui favorise la route au détriment du rail.

Le discours se veut rassurant. Pourtant, dans les faits, nous constatons la réduction importante des moyens publics. Il s’agit d’une gestion de court terme et, en fin de compte, de l'abandon de l'industrie ferroviaire. L’obsolescence du système ferroviaire a été organisée à force de libéralisation, de privatisation progressive et de désengagement de l'État.

Nous avons d'ailleurs évoqué ces questions lors du débat précédent sur l'avenir de l’industrie ferroviaire ; les politiques d'austérité conduites dans ce secteur ont entraîné une baisse de la production.

Notre modèle intégré bâti autour de l’opérateur public a été progressivement brisé au nom de la libre concurrence promue par Bruxelles. L’opérateur public a été morcelé, démantelé et, dans le même temps, lesté du poids d’une dette trop lourde, de 44 milliards d’euros, à côté de laquelle le déficit des TET n’est rien.

Par ailleurs, depuis 2004, le système a été progressivement régionalisé et une responsabilité de plus en plus importante a été confiée aux régions. Or, après avoir dû consentir un effort important pour remettre à niveau les TER, ces collectivités sont asphyxiées par la baisse des moyens et l’absence de ressources supplémentaires, puisque le Gouvernement a supprimé le versement transport interstitiel, le VTI, que le Sénat avait instauré. La création, demain, des grandes régions fera apparaître de profondes disparités territoriales, alors même que nous sommes attachés à la dimension nationale de ce service public, au regard de la nécessaire unité du réseau ferré et du caractère national du droit à la mobilité. La force de notre nation a été son maillage en réseau.

Les lois successives n’ont pas permis de trouver une solution au défaut de financement du système. Pis, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, a été privée de ressources par des décisions telles que la privatisation des autoroutes ou l’abandon de l’écotaxe.

Mme Fabienne Keller. Absolument !

Mme Évelyne Didier. Tout cela conduit aujourd’hui à abandonner une partie du réseau, dont la rénovation nécessiterait des efforts trop importants.

Certes, le rapport préconise des efforts en matière de renouvellement du matériel. Nous l’approuvons sur ce point, mais il ne répond pas à cette question plus globale : quelles ressources sont nécessaires pour garantir la continuité et la qualité du système ferroviaire, et qui doit payer ?

Il faut ici rappeler que l’État français se situe loin derrière ses partenaires européens en matière d’investissement public dans le ferroviaire. Il ne participe en effet qu’à hauteur de 32 %, contre 50 % en Allemagne, pays que l’on prend toujours en exemple, et bien plus encore dans d’autres pays, la part de l’investissement public pouvant atteindre 90 %.

Nous sommes extrêmement inquiets de constater que le rapport préconise, comme avenir inéluctable pour les TET, l’ouverture à la concurrence, alors même que le quatrième « paquet ferroviaire » n’est toujours pas adopté. Cette préconisation est en cohérence avec l’adoption ici même, à l’occasion de l’examen du projet de loi Macron, de l’ouverture à la concurrence des TER. Là encore, il s’agit bien d’une logique globale.

D’ailleurs, les entreprises ne s’y trompent pas, qui ont d’ores et déjà adressé aux parlementaires des argumentaires louant l’ouverture à la concurrence comme une réponse à l’abandon des lignes non rentables, tout en invoquant l’importance du service public. On marche sur la tête !

L’exemple du fret est parlant. L’ouverture entière à la concurrence, en 2006, de ce secteur d’intérêt général a justifié le désengagement de l’État et de la SNCF des infrastructures, des matériels et de l’activité d’opérateur. Ce secteur est aujourd’hui moribond. Est-ce cela que nous voulons pour les TET ?

Ce qui est visé, derrière tout cela, c’est le statut des cheminots. Nous vivons une époque de grande précarisation du salariat, marquée par la volonté de supprimer toutes les protections sociales, qui sont perçues comme des entraves au libre jeu du marché.

Nous considérons, pour notre part, que les TET, les TER et les TGV constituent des offres de mobilité distinctes et complémentaires. Les TET desservent mieux les territoires et sont moins chers que les TGV. Ils parcourent des trajets plus longs que les TER. Il n’est donc pas vrai que l’existence d’une offre permet d’en supprimer une autre. Cette fragmentation et cette limitation de l’offre risquent de créer des ruptures de lignes, et ainsi de mettre à mal la continuité du réseau ferroviaire.

Pour conclure sur le rapport Duron, il faut dire que son auteur est parti de la feuille de route qui lui a été donnée : limiter les dépenses. Il ne peut donc pas aboutir à une autre conclusion.

Ce rapport a le mérite de faire un diagnostic complet et partagé, et de préconiser des mesures bien plus équilibrées que celles que la SNCF voulait imposer. Mais ces propositions traduisent un manque d’ambition pour le ferroviaire.

Nous sommes au contraire convaincus qu’il importe non seulement de conserver l’ensemble des lignes TET, en améliorant le service rendu aux usagers, mais également de développer l’offre. Nous invitons donc le Gouvernement à financer le développement du ferroviaire en faisant reprendre tout ou partie de la dette par une structure de défaisance, ce qui permettrait de dégager plus de 1 milliard d’euros chaque année pour le chemin de fer.

Tel est l’enjeu de demain pour le rail : trouver de nouveaux financements pour développer l’offre afin de répondre efficacement aux enjeux de mobilité, aux enjeux environnementaux et aux enjeux d’aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat qui nous réunit est la suite indispensable à la mission de six mois confiée par le Premier ministre à six élus nationaux, à deux élus régionaux et à des personnalités qualifiées, en vue de travailler au sein de la commission sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire, présidée par Philippe Duron, député du Calvados.

Le rapport de cette commission, qui présente un diagnostic et formule des propositions d’évolution pour les quarante liaisons ferroviaires entre les grandes villes non desservies par TGV, vous a été remis, monsieur le secrétaire d’État, le 26 mai dernier. Il mérite que le Sénat s’approprie ses conclusions, pour prolonger le débat commencé en commission du développement durable le 28 mai dernier, à la suite de l’audition de M. Philippe Duron.

Le diagnostic et les besoins en termes de mobilité de nos territoires régionaux sont les axes principaux de ma réflexion.

Concernant le diagnostic, les choix budgétaires auxquels l’État et la SNCF sont confrontés ne peuvent être passés sous silence.

Les voyageurs sont unanimes : l’offre s’est dégradée, qu’il s’agisse de la fréquence, des temps de parcours, de la régularité ou des correspondances. Le défaut d’entretien des lignes et des matériels roulants est avéré. La politique « tout TGV » de la SNCF et sa pratique commerciale de désinformation sur les transversales ou les radiales concernées par une desserte à grande vitesse ont entraîné une dévitalisation de ces dernières.

Membre de cette mission, je me suis particulièrement investie dans les cinquante auditions, qui ont permis d’entendre pas moins de 155 personnes. J’ai aussi pris le temps de recevoir des représentants d’associations d’usagers. Avec une grande connaissance des dossiers, celles-ci ont démontré combien le défaut d’entretien tant des lignes que des matériels roulants, lié à des sous-investissements confirmés et associé à la suppression de trains et de correspondances, écarte une clientèle potentielle de plus en plus importante. (Mme Sylvie Goy-Chavent opine.)

Je constate avec vous que, dans ces circonstances, de nombreuses lignes ne peuvent plus donner toute la mesure de leur efficience économique. Pour le dire simplement, ça coûte de plus en plus cher, pour de moins en moins de clients.

Les besoins en termes de mobilité de nos territoires régionaux doivent être appréhendés au regard de l’évolution des comportements de nos concitoyens, dans les domaines du travail, des affaires ou des loisirs. Il convient de bien clarifier les liens des TET avec, notamment, les TER et les nouveaux modes de mobilité, comme le covoiturage ou le transport par autocars sur longues distances.

À rebours de ce qui est proposé, une interaction entre TET et TER permettrait de conforter la qualité de l’offre, voire de l’améliorer. C’est la raison pour laquelle je considère que le rapport est une base utile, que les usagers et les élus des régions traversées par les quarante lignes TET doivent s’approprier pour engager la concertation.

L’assouplissement de la législation du transport par autocar prévu dans le projet de loi Macron, dont l’examen arrive à son terme, ne doit pas être, de manière négative, une solution de substitution au ferroviaire. Il doit être au contraire une occasion d’ouvrir, de manière expérimentale et dans le cadre d’une délégation de service, les TET et les TER à une concurrence euro-compatible, c’est-à-dire une concurrence encadrée en vue d’assurer un meilleur service.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Elle a raison !

Mme Annick Billon. C’était l’objet de deux amendements que j’avais déposés lors de l’examen de ce projet de loi par notre assemblée.

En Allemagne, la Deutsche Bahn a su répondre à la concurrence occasionnée par la libéralisation du transport par autocar en multipliant les fréquences et en améliorant la qualité des services.

Le bilan carbone des transports par autocar devra également être pris en compte dans les décisions à venir : la transition énergétique nous y oblige !

Monsieur le secrétaire d’État, la convention prolongée qui lie l’État et la SNCF arrive à échéance le 31 décembre prochain. Dans la perspective de la présentation de votre feuille de route d’ici au 14 juillet, permettez-moi de vous poser les questions suivantes. Quelle est la politique du Gouvernement pour un transport ferroviaire moderne participant à la lutte contre la fracture territoriale, laquelle sévit déjà avec le numérique et les déserts médicaux ? Quel calendrier avez-vous prévu pour la concertation avec les nouvelles régions traversées, qui ne peut ignorer l’échéance électorale ? Le Gouvernement expérimentera-t-il l’ouverture à la concurrence pour une meilleure offre, au lieu d’attendre passivement le calendrier européen ? Sur les lignes les plus menacées, l’État, autorité organisatrice, lancera-t-il un appel à manifestation d’intérêt pour développer une offre que la SNCF veut abandonner ? Une première étape devrait concerner les trains de nuit.

Sur ce dernier point, c’est en évoquant la ligne Nantes-Bordeaux que je conclurai mon intervention ; en tant qu’élue du département de la Vendée, je ne saurais y manquer !

Tout d’abord, la suppression de l’arrêt à Luçon n’est pas acceptable. Pour nombre de trains, il faut une desserte conjointe optimisée entre TET et TER : les quatre allers et retours seraient maintenus, et la grille TER pourrait être étoffée en lien avec les régions Pays de la Loire et Poitou-Charentes. Si les déplacements sont en majorité à caractère privé ou de loisirs, c’est tout simplement parce que l’offre pour les voyages d’affaires et professionnels est devenue inexistante.

Monsieur le secrétaire d’État, le Sud-Vendée se voit infliger une double peine par le gouvernement auquel vous appartenez. Premièrement, l’appel d’offres à candidature concernant l’autoroute A 831, pourtant annoncé par le Premier ministre lui-même, n’est toujours pas lancé. Deuxièmement, la ligne Nantes-Bordeaux, menacée dans son efficacité économique, dessert encore le chef-lieu du département de la Vendée, La Roche-sur-Yon, ainsi que Luçon, seul arrêt permettant aux étudiants du Sud-Vendée de rejoindre Nantes. Mon collègue finistérien du groupe UDI-UC Michel Canevet éprouve les mêmes inquiétudes pour la ligne Quimper-Nantes.

Vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, les attentes sont fortes, en Vendée comme dans tous les territoires. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre.

M. Louis Nègre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe CRC d’avoir pris l’initiative d’inscrire ce débat à l’ordre du jour de la Haute Assemblée.

Mon groupe et moi-même sommes très concernés par l’avenir des trains d’équilibre du territoire. Nous avons donc examiné avec la plus grande attention le rapport de la commission sur l’avenir des TET, présidée par notre collègue député Philippe Duron, dont je salue l’intégrité intellectuelle, la compétence et la profonde implication dans le domaine de la mobilité.

Le diagnostic posé est de grande qualité. La commission a analysé la question sous les angles des besoins de mobilité et des réponses à ces besoins. Elle a comparé notre situation avec celle de pays voisins – Allemagne, Suisse et Grande-Bretagne – et examiné le rôle joué par les différents acteurs, notamment l’État, ainsi bien sûr que l’économie des services des TET. Elle a donc brossé un véritable panorama du secteur.

Personne ne peut contester que l’inadéquation de l’offre a conduit à subventionner de plus en plus celle-ci pour tenter de la maintenir à flot.

La commission reconnaît que l’offre des TET n’est plus adaptée aux besoins des usagers et des territoires. Elle recouvre des lignes très hétérogènes, dont l’entretien a été négligé depuis de nombreuses années. La qualité de service, la régularité et les temps de parcours se sont progressivement dégradés, du fait d’un manque d’investissement tant dans l’infrastructure que dans le matériel roulant, aujourd’hui obsolète. Comment être attractif dans ces conditions ?

Cette situation est encore aggravée par l’absence d’adaptation de l’offre, qui se traduit par un dérapage du niveau de subventionnement public par voyageur : le montant de la subvention, de 10,8 centimes d’euro par voyageur-kilomètre en 2014, est en augmentation de 28 % sur deux ans, soit 330 millions d’euros pour SNCF Mobilités et 450 millions d’euros pour SNCF Réseau. Une incompréhensible et excessive inflation ferroviaire a encore frappé ! Sans augmentation de la productivité et sans recherche tous azimuts d’économies, on court à la catastrophe !

Par ailleurs, la gouvernance de l’État a été largement défaillante. Elle n’a pas permis d’apporter les réponses nécessaires pour faire évoluer positivement l’offre des TET, et donc rétablir la qualité de service. Nous considérons que l’État n’a pas joué son rôle d’autorité organisatrice et qu’il n’appartient pas à l’opérateur, fût-il historique, de définir les besoins à satisfaire en termes d’aménagement du territoire.

Devant cette dégradation profonde de la situation des TET, confirmée par la commission Duron, la mesure qui nous paraît la plus efficace pour rétablir un meilleur service à moindre coût est l’ouverture maîtrisée et régulée à la concurrence.

Dès 2009, le premier amendement que je déposai à la Haute Assemblée était consacré à l’ouverture à la concurrence. Je crois profondément que cette évolution serait extrêmement bénéfique pour notre système ferroviaire et ses usagers. Je veux sauver le soldat SNCF !

En Allemagne, après l’ouverture à la concurrence en 1994, le trafic régional a progressé de 68 %, tous opérateurs confondus. Cela a également profité à la Deutsche Bahn, dont le trafic s’est accru de 46 % entre 1994 et 2012.

Mme Évelyne Didier. Avec des investissements de l’État ! Il faut comparer ce qui est comparable !

M. Louis Nègre. L’offre globale s’est également accrue au bénéfice des voyageurs, avec une augmentation de 28 % du nombre de trains par kilomètre entre 1994 et 2012. Le report modal au profit du rail a augmenté de 25 %.

Mme Évelyne Didier. Avec 50 % d’investissement de l’État !

M. Louis Nègre. Voilà un résultat concret, monsieur le secrétaire d’État, et non un simple discours sur la transition énergétique !

De plus, l’ouverture du marché à la concurrence et la régionalisation des transports publics régionaux ont permis la réouverture d’un nombre important de lignes, c'est-à-dire, là encore, une amélioration des services pour les usagers.

Nous ne pouvons donc pas nous satisfaire de la proposition symbolique d’une ouverture à la concurrence sur la base d’une simple expérimentation et uniquement pour certaines lignes de nuit. Cette proposition ne correspond pas à la gravité de la situation.

En proposant la suppression complète de certaines lignes, comme Bordeaux-Nice, nous donnons l’impression de nous replier sur nous-mêmes et d’être atteints du syndrome culturel de la ligne Maginot !

Pour notre part, nous ne nous inscrivons pas dans cette démarche. Nous préconisons au contraire l’offensive, à l’image du Royaume-Uni, qui développe les parts de marché du train en parallèle avec le recours à l’autocar, et, surtout, de l’Allemagne qui, confrontée à une situation semblable à celle que connaît la France, a choisi d’augmenter la densité des lignes et des services. Cherchez l’erreur !

Au-delà de ces problématiques, que notre groupe considère comme primordiales au regard de notre maillage territorial et de l’aménagement du territoire, je tiens à insister sur la question cruciale du renouvellement des matériels roulants, source essentielle d’attractivité.

Dans ce contexte, nous ne pouvons que nous satisfaire que le rapport ait conclu à l’urgence du remplacement de trains vétustes. Aujourd’hui, le principal concurrent de la SNCF, c’est le covoiturage.

Mme Évelyne Didier. N’importe quoi !

M. Louis Nègre. Demain, ce seront les cars. C’est une erreur de ne pas être plus ambitieux, de ne pas se projeter dans l’avenir et de donner l’impression de ne pas croire au développement du ferroviaire.

En conséquence, nous devons nous donner les moyens de réinvestir au profit du rail. Alors que nous nous préparons à accueillir la COP 21 à Paris, ce n’est pas un bon signal que nous envoyons à nos partenaires. Il nous incombe, à nous parlementaires, de rappeler à l’État ses responsabilités et de lui demander d’assumer tous ses devoirs.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.

M. Jean-Jacques Filleul. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la commission sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire, à laquelle j’ai eu le plaisir de participer, a été mise en place au mois de novembre dernier afin de clarifier l’offre des TET et de redresser le modèle économique de ce service ferroviaire, aujourd’hui maillon faible du réseau, entre TGV et TER. Je me félicite de la tenue de ce débat, qui intervient à point nommé, alors que le rapport a été fortement critiqué avant même de vous avoir été présenté, monsieur le secrétaire d’État, le 26 mai dernier.

La commission a travaillé dans la perspective du renouvellement de la convention d’exploitation des TET entre l’État, les régions et SNCF Mobilités, au tout début de l’année 2016. Elle a donc été chargée de formuler des recommandations en vue de remédier à la dérive financière des TET, de dessiner des perspectives de long terme afin de proposer au public et aux territoires des solutions de mobilité de notre temps, de faire percevoir demain les trains d’équilibre du territoire comme une solution d’excellence, un marqueur de modernité, au même titre que les TGV et les TER.

Le rapport est sans complaisance. Nous considérons en effet que, si rien n’est fait, les TET disparaîtront d’eux-mêmes au fil de l’eau. Il y a urgence à agir. Nous tenons dans ce rapport un discours de vérité, pour alerter les pouvoirs publics et permettre au Gouvernement de reprendre les mesures qu’il souhaitera développer.

Nous avons travaillé six mois et mené plus de cinquante auditions avec tous les acteurs du système ferroviaire. Nous voulions mieux appréhender les complexités, les difficultés, mais aussi les atouts des trains d’équilibre des territoires. Cela est fait au travers du rapport.

Nous nous sommes déplacés en France, en Autriche, en Allemagne et au Royaume-Uni, pour analyser les modèles de nos voisins, en prenant soin d’en adapter les enseignements aux particularités françaises.

Il est utile de préciser que l’appellation unique de TET recouvre en réalité trente lignes allant du grand bassin parisien – avec des trafics essentiellement pendulaires – aux radiales et transversales de longue distance, en passant par les dessertes interrégionales de plus courte distance, ainsi que huit lignes de nuit.

Aujourd’hui, l’offre des TET ne répond plus aux besoins de mobilité des voyageurs et des territoires. La régularité, la ponctualité des trains, jadis fiertés des cheminots, se sont dégradées de manière préoccupante pendant les deux dernières décennies. Le manque d’investissement, l’absence de décisions stratégiques en sont les causes essentielles. J’y ajoute la détérioration de l’infrastructure, insuffisamment entretenue, ainsi que le vieillissement du matériel roulant, dont l’âge moyen est supérieur à trente ans.

De plus, l’offre n’a pas été adaptée aux évolutions considérables intervenues en termes de mobilité de nos concitoyens.

Enfin, si les services rendus par les trains de nuit pour les différents territoires desservis sont incontestables, convenons que ces trains sont très faiblement fréquentés, en raison notamment de la réduction de l’offre.

Notre rapport constate l’inadéquation de l’offre des TET aux besoins de mobilité. Celle-ci se traduit par exemple par un niveau de subventionnement public par voyageur très élevé et en forte croissance. Ces subventions varient de 5 euros à plus de 275 euros par voyageur pour les seules lignes de jour. S’il est légitime que les contribuables participent au titre de l’aménagement du territoire et de la solidarité territoriale, ce rythme d’évolution n’est pas soutenable dans le temps. Il appelle un redimensionnement de l’offre et une meilleure répartition du financement en fonction des besoins des voyageurs.

Pour aller au cœur du sujet, la commission considère que bon nombre des difficultés constatées sont principalement imputables au partage confus des responsabilités entre l’État et SNCF Mobilités, qu’il s’agisse de l’élaboration du plan de transport ou de la concertation à mener avec les différentes parties prenantes. En fait, l’État ne s’est pas donné les moyens de jouer véritablement son rôle d’autorité organisatrice, ce qui a amené l’opérateur historique à exercer des responsabilités qui relèvent de l’État.

Enfin, et ce constat est très positif, la France bénéficie aujourd’hui d’une conjonction de facteurs favorables pour adapter le segment Intercités aux besoins des voyageurs et le moderniser.

Cela conforte notre volonté de faire en sorte que les TET retrouvent leur place, leur rôle majeur : relier les villes moyennes aux villes-centres. Il a donc fallu recenser l’offre des TET et examiner la gouvernance du système.

Pour renforcer le rôle de l’autorité organisatrice, nous proposons que cette mission soit confiée à une agence ad hoc, instaurée sous la forme d’un établissement public administratif de plein exercice.

Les études nous ont montré qu’il fallait revoir chaque ligne TET. Pour l’essentiel des lignes, la commission propose de renforcer l’offre, en particulier sur les tronçons à très fort potentiel, en vue de proposer un service cadencé à l’heure, fortement attractif. Par ailleurs, l’opérateur historique doit faire d’importants efforts de productivité.

La commission propose d’adapter l’offre à la demande sur la plupart des autres tronçons à plus faible trafic, en tenant évidemment compte de l’offre des TER existants. En revanche, pour cinq tronçons, la commission estime que la desserte par TET ne se justifie plus, soit parce que l’offre ferroviaire n’a qu’une faible compétitivité par rapport à la route, notamment, soit parce que l’offre de TET coexiste avec des offres de TER ou de TGV plus performantes.

Pour les lignes de nuit, le rapport préconise de conserver les liaisons indispensables pour les territoires et les populations et pour lesquelles il n’existe aucune offre alternative performante.

Toutes ces propositions, ligne par ligne, ont été inscrites en annexe du rapport, que chacun peut consulter sur le site internet du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Par ailleurs, il ne peut y avoir de TET d’avenir sans renouvellement du matériel roulant à l’horizon 2020-2025. Nous l’avons vu, le matériel actuel, qui compte des machines de quarante ans d’âge, doit être impérativement remplacé par du matériel neuf, ce qui permettra une amélioration des services, de la qualité et de la régularité. Pour aller vite, nous recommandons que les procédures soient lancées sans attendre, afin de donner un signal positif à l’ensemble des acteurs, en premier lieu aux constructeurs. De 1,5 milliard à 3 milliards d’euros devront ainsi être mobilisés d’ici à 2025 par l’État. Ces investissements sont indispensables ; s’ils ne sont pas réalisés, à l’échéance, les trains d’équilibre du territoire pourraient disparaître.

Il en va de même de la dérive financière. Nos propositions permettraient de rester, à l’horizon 2020-2025, au même niveau de déficit qu’aujourd’hui, soit environ 300 millions d’euros.

L’attachement au service public, lequel garantit à chacun de pouvoir se déplacer commodément sur l’ensemble du territoire, prédomine dans le travail que nous avons accompli. Pour nous, il ne pouvait y avoir de territoire laissé sans solution.

Pour conclure, nous proposons plusieurs orientations stratégiques importantes pour revoir durablement le modèle des TET.

Nous préconisons la mise à l’étude de la reprise par les régions de certaines dessertes du grand bassin parisien à fort trafic pendulaire, en contrepartie de compensations financières.

Nous recommandons le lancement d’une expérimentation d’ouverture à la concurrence de lignes TET, sous la forme de délégations de service public, en particulier sur certaines lignes de nuit, afin de préparer l’opérateur historique à l’arrivée de concurrents à partir de 2019. L’exemple du fret montre, s’il en était besoin, la nécessité d’anticiper l’ouverture très en amont.

Nous proposons l’introduction de nouvelles modalités d’acquisition et de portage du matériel roulant, celui-ci devant être mieux adapté aux besoins d’exploitation de chaque groupe de lignes.

Certains objecteront qu’il s’agit simplement d’un rapport de plus. Je leur répondrai qu’il propose avec force de relever le défi, afin que les TET retrouvent leur pertinence, entre TGV et TER. Pour sauver l’offre des TET, il faut agir vite et regarder loin. Il faut des mesures fortes qui s’inscrivent dans une vision renouvelée du système ferroviaire. Cette vision, cette stratégie, c’est l’État seul, en concertation avec tous les acteurs, qui peut la définir et la mettre en œuvre. Monsieur le secrétaire d’État, nous comptons sur vous pour remettre les TET sur de bons rails.

S’il fallait retenir une seule idée de ce rapport, c’est bien qu’il met l’usager au cœur de l’évolution des mobilités et de l’offre des trains d’équilibre du territoire. Les TET participent de la vie quotidienne d’une centaine de milliers de concitoyens. Notre devoir collectif est de leur redonner leur place, la meilleure, au sein de l’offre de transport ferroviaire. Le déclin des TET n’est pas une fatalité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.

M. Jean-Vincent Placé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le rail, vous le savez, tient une place toute particulière dans le cœur des écologistes. Aussi, je tiens à remercier nos collègues du groupe CRC d’avoir pris l’initiative de ce débat important.

La publication du rapport de la commission sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire, présidée par notre estimé collègue le député Philippe Duron, a suscité un légitime émoi dans nos territoires. En effet, dans notre pays, les lignes des trains dits « intercités » sont autant d’artères qui irriguent l’économie, bien sûr, mais aussi les loisirs, la vie de nos concitoyennes et concitoyens dans tous ses aspects.

Il est pourtant un constat qui, je l’espère, fera consensus ici : il était nécessaire de poser enfin ce débat sans détours. Tel est, je le crois, le premier mérite du travail effectué par la commission dont je fus membre, ainsi que Jean-Jacques Filleul et Annick Billon, avec qui j’ai pu travailler dans un excellent climat.

Au-delà du constat d’un réseau vieillissant et confronté à de nombreuses difficultés, le rapport contient des propositions parfois difficiles à entendre, mais a le mérite de proposer une vision prospective qui manquait cruellement depuis des années, même si d’autres pistes restent à explorer.

Le constat, cela a été dit sur toutes les travées, est donc sans appel. Le réseau étant vieillissant, des problèmes de régularité se posent. Nous sommes face à une situation critique, dont nous sommes tous comptables. Faute de décisions stratégiques courageuses pendant des décennies, notre réseau rapide a vu son armature se réduire comme peau de chagrin. Dès lors s’est enclenché le cercle vicieux de la baisse de la fréquentation et de l’investissement sur des lignes qui présentaient pourtant encore, en 2008, un équilibre économique très enviable, par comparaison avec leurs concurrents TER et TGV.

La modernisation de ce réseau, essentiel en termes d’aménagement du territoire, est la condition de sa survie. Encore faut-il étudier de près la réalité des lignes, les besoins véritables des usagers ou les offres de transport alternatives. Tel est le travail de dentelle qu’a effectué la commission sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire, sans dogmatisme.

La première chose que j’ai apprise lorsque je suis devenu vice-président chargé des transports de la région d’Île-de-France, voilà quelques années, c’est bien qu’il faut se méfier des évidences. Des élus locaux sincères, y compris écologistes, me réclamaient des tramways alors que, selon les projections effectuées, leur fréquentation aurait été insuffisante. Surtout, la création de lignes de tramways aurait pu entraîner une réduction du maillage de lignes de bus adapté à leur territoire.

Ce rapport a fait l’objet de bien des mauvais procès, pour ne pas avoir cédé à la facilité. Il propose de renforcer des lignes à fort potentiel et pose la question des « doublons ». La question des lignes d’autocars, abordée dans un texte que nous venons d’examiner, suscite un débat assez politique, mais il suffit de traiter la question de façon pragmatique, réaliste et concrète. L’importance accordée, sur toutes les travées, à la rénovation du matériel roulant relève du bon sens, et l’on ne peut qu’applaudir l’appel à un engagement fort de l’État, qui doit être aussi ferme que durable.

J’ai toujours été attaché à l’existence d’un opérateur national des transports, mais j’admets de façon réaliste qu’anticiper l’ouverture à la concurrence, c’est faire le choix de la responsabilité.

M. Louis Nègre. N’hésitez pas !

M. Jean-Vincent Placé. Anticiper l’ouverture à la concurrence, c’est non pas l’approuver, mais reconnaître qu’elle va se produire de toute façon et que, dès lors, il faut s’y préparer.

N’oublions pas qu’il s’agit bien d’un rapport. Le Gouvernement rendra sa feuille de route, à laquelle nous serons évidemment très attentifs, en particulier s’agissant de la méthode. Aucun plan, aucune mesure de fermeture, surtout, ne saurait être arrêté de manière brutale et sans concertation avec les acteurs locaux, sans proposer aucune alternative.

Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, de vous soumettre quelques pistes de réflexion complémentaires, tout d’abord sur l’augmentation des coûts de production. Nous écologistes pensons qu’il faudrait diligenter un audit indépendant sur la convention des TET afin d’identifier les raisons de cette augmentation, qui ne sera pas tenable dans la durée.

Par ailleurs, une politique commerciale plus offensive permettrait une hausse substantielle des recettes voyageurs.

Enfin, la question des moyens sera évidemment essentielle. Nous ne pouvons plus renvoyer aux calendes grecques les investissements dans les infrastructures ou dans le renouvellement du matériel roulant.

Cela peut impliquer de rediscuter de certains grands projets. Ainsi, est-il bien nécessaire que l’État engage des milliards d’euros afin de réduire de quelques minutes la durée du trajet entre Paris et Brest ou pour desservir l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, dont la construction reste aléatoire ?... Compte tenu de la situation budgétaire qui est la nôtre, nous devons viser à la plus grande efficacité en matière de dépense publique.

Mes collègues écologistes des actuelles régions Rhône-Alpes, Auvergne, Centre et Pays de la Loire défendent l’idée de la mise en place d’un « train à haut niveau de service », s’appuyant sur une rénovation de l’existant et la création d’une ligne Lozanne-Roanne afin de relier dans des temps optimaux Lyon à Paris, à Tours, à Nantes, à Clermont-Ferrand et à Bordeaux. Cette solution serait probablement plus pertinente que les projets, chers et difficiles à mettre en œuvre, de lignes à grande vitesse, qu’il s’agisse de la liaison Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon, dite « POCL », ou de la ligne Poitiers-Limoges.

Enfin, je veux me faire l’avocat des régions. Nous leur avons beaucoup demandé et elles ont largement pris leur part dans le développement local des mobilités. Certaines ne sont pas fermées aux transferts de lignes. Toutefois, nous ne pouvons leur confier ces lignes qu’avec les financements correspondants et un réseau au moins en partie rénové.

Mes chers collègues, dans l’intérêt de nos concitoyens, de la planète et de notre économie, nous devons pouvoir nous reposer sur un maillage Intercités solide et efficace, qui valorise le savoir-faire du monde ferroviaire français, à commencer par celui de ses cheminots. Le rapport Duron a jeté les premières bases de ce chantier aussi immense qu’urgent. Au nom du groupe écologiste, je salue l’énorme travail accompli. À présent, osons faire les choix qui s’imposent. L’efficacité ne s’oppose pas au service public, elle en fait partie. En l’occurrence, elle le protégera. (M. Jean-Jacques Filleul applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous partageons le constat de l’abandon du réseau depuis des années établi par le rapport Duron, nous jugeons ses préconisations inacceptables. Elles sont d’ailleurs rejetées par de très nombreux élus et citoyens.

Jusqu’en 1994, la péréquation était la règle. Les tarifs, calculés au kilomètre, permettaient de financer les lignes déficitaires grâce aux lignes excédentaires. C’est le principe même du service public, aujourd’hui largement bafoué, le souci de la rentabilité financière ayant supplanté les valeurs de solidarité depuis un certain nombre d’années. Ce choix libéral me semble être consacré par le rapport Duron.

À partir de 1994, il a été décidé de passer à un système de tarification proche de celui qui est utilisé par les compagnies aériennes. En fonction de multiples critères, tels que la date de réservation, le degré de remplissage du train ou la période, on établit des tarifs illisibles, incompréhensibles pour l’usager.

Ce système a mis en lumière l’existence de lignes dites rentables et d’autres non rentables. À partir de là, des lignes ont été fragilisées, ce qui a conduit à des fermetures, à la désertification de nombreux territoires.

À l’échelon européen, l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs envisagée au travers du quatrième « paquet ferroviaire » conduira à ne faire circuler des trains que sur des lignes où les profits seront au rendez-vous. Les cartes montrent un vide dans le centre de la France ; la création d’un désert est confirmée.

La mise en œuvre des préconisations du rapport Duron aurait des effets dévastateurs, nous semble-t-il, sur la vie de nos territoires. Le secteur rural serait le premier touché, mais les villes moyennes seraient également lourdement affectées. La suppression de certaines lignes ou de certains arrêts dans des villes et des villages de province jusqu’à présent connectés au réseau ferroviaire conduirait à isoler ceux-ci. C’est d’ailleurs la crainte dont m’a fait part une habitante d’un village d’Indre-et-Loire : « Nous avons appris que la ligne SNCF Intercités Caen-Le Mans-Tours pourrait être supprimée. Cette décision, si elle était prise, isolerait encore un peu plus notre commune. C’est un nouveau village qui va mourir. »

M. Jean-Jacques Filleul. Il y a des TER !

Mme Marie-France Beaufils. Nous en reparlerons à propos de la ligne Saint-Paterne-Racan, cher collègue !

Tous les textes relatifs à la réforme territoriale recèlent ce risque de marginalisation de certains territoires. Il y a d’ailleurs une cohérence entre ces textes et les préconisations du rapport concernant les trains Intercités. Elle est révélatrice d’une volonté de concentrer les pouvoirs, l’économie, la finance dans des pôles bien définis et bien desservis par des moyens de transport performants. La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République témoigne d’une désastreuse reconfiguration de nos territoires : en privilégiant les intercommunalités, et surtout les grandes métropoles, en transférant les compétences de façon massive, on fera disparaître de nombreuses communes ; en les étouffant financièrement, on accélérera cette disparition.

La réduction de la dépense publique se traduit par la suppression des services publics au profit du secteur privé. La recherche de l’« équilibre comptable », en fait de la rentabilité, devient la règle pour tout. Le rapport Duron en a fait sa doctrine : là où il n’y aura pas de rentabilité, ce sera le désert.

Travailler à l’amélioration de la vie de nos concitoyens en tout point du territoire ne semble plus être à l’ordre du jour en ces temps de libéralisme exacerbé. Cette idéologie imprègne tous les pans de notre société. Elle est présente dans toutes les lois qui renforcent les fractures sociales et territoriales.

D’un côté, on fait des cadeaux exceptionnels aux grandes entreprises, en particulier avec le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ; de l’autre, on met au régime sec les collectivités territoriales, dont les élus ne peuvent plus mettre en œuvre les programmes sur lesquels ils ont été élus. Le rapport Duron s’inscrit dans cette même ligne : ses auteurs préconisent de supprimer des lignes, des trains, des arrêts qui sont d’une grande utilité pour de nombreux habitants et de nombreux territoires, en espérant que les conseils régionaux prendront le relais. Mais avec quels moyens le pourraient-ils ?

La loi Macron facilitera la mise en œuvre des préconisations du rapport Duron : là où des lignes de chemin de fer seront supprimées, il sera dorénavant possible de faire circuler des cars. Quelle aubaine ! On a complètement oublié l’accident de Beaune de 1982…

Le système libéral n’a d’autre objectif que la disparition des services publics, le premier à disparaître devant être la SNCF. Quel acharnement !

Pis encore, les trains Intercités, dont la mission est de desservir les villes moyennes, sont le parent pauvre de l’offre ferroviaire, une situation que la FNAUT, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports, et ses associations dénoncent depuis longtemps. Avec la mise en œuvre des propositions du rapport Duron, c’est la fracture territoriale qui sera sanctuarisée. En revitalisant quelques lignes, on privilégiera certains territoires. En supprimant des trains, on appauvrira des régions entières. Les inégalités seront ainsi aggravées.

L’intérêt général commande de s’adresser à l’ensemble des citoyens et des territoires. Le rapport Duron constate le mauvais état de nombreuses lignes. Nous connaissons cette situation depuis longtemps. De nombreux rapports, comme celui de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, l’avaient déjà soulignée il y a de nombreuses années. Or rien n’a été fait depuis, ou si peu. Le service offert s’est donc dégradé, la réponse aux besoins des usagers n’est plus à la hauteur.

Des décisions, j’y insiste, auraient déjà dû être prises, mais il aurait peut-être fallu que l’État abandonne, par exemple, ses dividendes pour alimenter le fonds d’investissement de l’AFITF. Le président de la région Pays de la Loire l’affirme, les trains d’équilibre du territoire « sont financés à hauteur de 70 % par les usagers » et ils sont « vitaux pour l’aménagement du territoire et le service public de mobilité ». Tiendrez-vous compte, monsieur le secrétaire d’État, de la position du président de la région Basse-Normandie, qui déclare que « le retrait de l’État ou la suppression d’arrêts sur certaines lignes ferroviaires seraient un contresens à l’heure où la grande Normandie accueille la conférence des Nations unies sur les changements climatiques, s’investit pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre » ? Le président de la région Centre-Val de Loire a réagi face aux menaces qui pèsent sur la ligne Caen-Le Mans-Tours, qu’il ne veut pas voir disparaître. Dans l’Allier, dans le Cher, les menaces contre le train Intercités Montluçon-Paris mobilisent les parlementaires locaux, les maires des principales villes. La ligne Montluçon-Saint-Amand-Montrond-Vierzon-Paris est indispensable au développement économique de nos petites villes. L’hypothèse d’un désengagement de l’État de la ligne Bordeaux-Lyon via Montluçon est absolument inacceptable.

Je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme le font de nombreux élus, usagers, salariés et syndicalistes, de ne pas suivre les préconisations de ce rapport. La création d’une agence ad hoc, par exemple, n’ouvrirait-elle pas la voie à la privatisation des trains d’équilibre du territoire ?

À Guéret, les samedi 13 et dimanche 14 juin, de nombreux élus et citoyens vous rappelleront que, pour eux, les services publics peuvent être l’axe fort de politiques en faveur des territoires et des habitants. Je vous demande de les écouter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parent pauvre plutôt que maillon faible du système ferroviaire, les trains d’équilibre du territoire n’ont pas fait l’objet des investissements nécessaires à leur renouvellement, alors qu’ils assurent un maillage du territoire – ils desservent plus de 300 villes – et remplissent une véritable mission de service public.

Ils sont victimes du « court-termisme » : en effet, il a fallu attendre qu’on n’ait plus le choix pour remplacer rapidement les trente-quatre rames diesel en fin de vie, grâce à une première tranche d’investissements de 510 millions d’euros. Aucune indication n’a été donnée par l’État pour les prochaines tranches de renouvellement, alors que l’âge moyen de ces trains est de trente-trois ans et demi. Dans cinq ans, la totalité des locomotives diesel seront radiées ; 40 % des locomotives électriques et 60 % des voitures seront en fin de vie.

Pour ce qui concerne les trains d’équilibre du territoire, on a appliqué une politique de l’urgence dépourvue de vision globale, comme l’a, à juste titre, dénoncé la Cour des comptes dans son rapport publié en février 2015.

Le débat sur l’avenir de ce service public demandé par nos collègues du groupe CRC est donc pertinent à l’heure de la remise du rapport de la commission Duron le 26 mai dernier.

Ce rapport n’a particulièrement pas épargné la région Midi-Pyrénées et la quatrième ville de France, la ville rose : il prévoit de supprimer les liaisons Bordeaux-Nice, Quimper-Toulouse, Bordeaux-Toulouse, Toulouse-Cerbère et Toulouse- Hendaye. On a donc pris la Garonne comme cible ! Les trains de nuit Paris-Toulouse et Paris-Rodez sont, quant à eux, finalement sauvés, mais pour combien de temps et dans quelles conditions de confort ?

Comment expliquer à nos concitoyens, monsieur le secrétaire d’État, que les lignes qu’ils empruntent vont être fermées sous prétexte qu’elles sont déficitaires et que les coûts d’exploitation sont trop élevés, la hausse de ces coûts étant due au vieillissement du matériel roulant, conséquence de la priorité longtemps accordée aux TER et aux TGV ?

Quand prendra-t-on en compte l’utilité sociale, économique et environnementale d’une ligne d’aménagement du territoire ?

Au lieu de raisonner en termes de suppression de lignes afin de réduire le déficit d’exploitation, il serait préférable de réfléchir à la modernisation de l’offre de TET et à l’amélioration du service, afin de rendre ces trains attractifs auprès des clients, comme ce fut le cas avec les TER, car le matériel vétuste coûte cher et décourage ces clients. Les besoins sont réels, mais l’offre n’est pas adaptée à la demande. Il est encore possible d’agir sur les horaires et les fréquences, sur le confort, avec l’installation de prises ou encore la mise en place de véritables services de restauration – on n’ose plus penser à la restauration à bord du Capitole ! –, de diminuer les temps de trajet et d’améliorer la ponctualité en investissant sur les TET, mais aussi sur le réseau.

Au final, nous sommes nombreux à craindre un abandon du rail au profit des autres modes de transport. Ces suppressions signeraient l’acte de décès d’un certain nombre de liaisons essentielles pour la survie de nos territoires ruraux.

La Cour des comptes a rappelé que si la réduction du nombre de lignes déficitaires contribuerait à diminuer le montant de la subvention d’exploitation, actuellement de 330 millions d’euros, le déficit global des trains Intercités ne pourra pas être substantiellement abaissé sans une clarification des modalités de son financement.

Si le rapport Duron fait état d’un coût difficilement soutenable pour le contribuable, on oublie souvent de mentionner que la SNCF finance elle-même sa propre subvention d’équilibre, au travers de la contribution de solidarité territoriale et la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires. On oublie également que les trains Intercités, avec un déficit moyen de 25 %, sont moins subventionnés que les TER ou les Transiliens, qui accusent respectivement un déficit moyen de 65 % et 62 %.

En revanche, nous soutenons la préconisation qui encourage le renforcement de la péréquation entre les modes de transport en faisant contribuer le transport routier, autocars compris.

Une autre solution proposée consiste à transférer certaines liaisons aux TER. Si ce transfert pourrait se justifier, soyons vigilants à ce qu’il ne se traduise pas par un désengagement de l’État envers les régions ! Comme le rappelle l’Association des régions de France, les économies découlant de la fermeture des lignes risqueraient d’être fictives si les charges étaient reportées sur le TER.

Enfin, pour conclure, si une chose est incontestable, c’est la nécessité pour l’État de prendre ses responsabilités en tant qu’autorité organisatrice des transports. En effet, il est le seul à pouvoir garantir l’aménagement équilibré des territoires. J’espère, monsieur le secrétaire d’État, qu’il s’agit bien encore d’une des priorités du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je n’ai pas l’habitude d’intervenir dans ce genre de débats ; cependant, je le ferai aujourd’hui. Il se trouve que, comme tout le monde, je suis concerné par les trains Intercités.

Je ne viens pas à la tribune pour commenter le rapport qui vient d’être publié ; je suis là pour commenter une réalité. Je commencerai par ouvrir une parenthèse : la SNCF est en train d’abandonner tout ce qui concerne le fret et les petites lignes. Je ne sais pas, mes chers collègues, si vous êtes bien au courant de ce qui se prépare : nous allons remettre sur les routes des dizaines de milliers de camions parce que les silos des coopératives qui sont embranchés sur les petites lignes ne disposeront plus de trains ayant le droit de circuler. Alors que la France organise une conférence sur l’environnement, nous allons « déverser » sur les routes des dizaines de milliers de camions supplémentaires.

Certes, cette réflexion ne relève pas exactement de notre débat sur les trains Intercités, mais elle montre bien qu’il n’y a pas une véritable volonté politique pour maîtriser ces problèmes.

Nous vivons tous la réalité de la diminution du nombre et de la baisse de la qualité des trains Intercités. Nous savons tous que plus cette situation perdurera, plus on nous démontrera que le nombre des personnes qui empruntent ces trains diminue, puisque ce service ne correspond plus à ce qui leur est nécessaire.

M. Philippe Adnot. De la sorte, on peut démontrer tout ce que l’on veut !

Je n’ai pas besoin de vous parler des conséquences sur les territoires : ils vont en mourir ! Manifestement, certains se satisferaient d’une situation dans laquelle n’existeraient plus que les grandes zones urbaines et, à côté d’elles, des déserts ! C’est là une partie du problème.

Or ces lignes étaient rentables – on a dit à quel moment elles l’étaient – et elles ont alors servi à financer les TGV : en effet, à l’époque, on reportait le bénéfice des lignes rentables sur les lignes à créer. On a donc largement « pompé » l’argent de ces lignes : on n’a pas remplacé le matériel, ni entretenu les lignes et ensuite on a dit : « Ce n’est pas de chance, les lignes ne sont pas rentables ! Il faudrait investir. » Demandons donc le retour sur investissement de l’époque où ces lignes étaient rentables !

Quelle France voulons-nous ? Est-ce faire de la politique que de maintenir les services là où ils sont rentables et de les supprimer là où ils ne le sont pas ?

Mme Évelyne Didier. C’est ce que l’on fait pour tout !

M. Philippe Adnot. C’est ce que l’on fait pour la téléphonie mobile, pour internet… Est-ce ce que nous voulons ? Est-ce en cela que consiste la volonté politique ?

En ce qui nous concerne, là où nous avons un peu de pouvoir, dans le département, nous commençons par développer internet pour ceux qui n’ont rien, et non pour ceux qui ont déjà tout ou presque tout.

La volonté politique consiste à faire le contraire du flux naturel des choses. Sinon, il ne s’agit pas de politique ! Il n’y a plus besoin, alors, de gouvernement, de SNCF… Si vous voulez tout privatiser, supprimer les services publics, si c’est là votre objectif d’équipement de notre pays, je vous dirai ce que j’en pense : je n’en suis pas ! Les Français ne vous suivront pas non plus. Nous n’accepterons pas cet abandon ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur les travées du RDSE et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est difficile d’être à la fois élu local et élu national, comme je le dis depuis longtemps dans cet hémicycle.

Selon moi, le récent rapport de la commission sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire nous donne l’opportunité de débattre d’un sujet cher à beaucoup d’élus locaux et pourtant trop souvent passé sous silence au niveau national.

À cet égard, je dirai, comme M. Nègre, que la commission Duron était bienvenue, car elle a permis de poser un diagnostic auquel nous pouvons adhérer.

Je relèverai certains éléments de ce diagnostic.

Premièrement, les trains d’équilibre du territoire se révèlent – il faut regarder les choses en face – de plus en plus coûteux pour la puissance publique : le déficit d’exploitation est désormais supérieur à 300 millions d’euros par an.

Deuxièmement, la réflexion sur les dessertes n’a pas été engagée depuis plusieurs années ; ce point est également extrêmement important.

Troisièmement, la dégradation de l’offre et de la qualité de service est notable ; le matériel roulant est de plus en plus obsolète.

Quatrièmement, les trains d’équilibre sont concurrencés par le mode routier, comme mon collègue Louis Nègre, notamment, l’a très bien exposé : je pense au covoiturage, qui est aujourd’hui très important, et aux cars, qui seront demain beaucoup moins chers pour l’usager – c’est, en tout cas, ce qu’on nous annonce.

Enfin, pour terminer sur une note positive, le rapport montre bien que les trains d’équilibre, même non rentables, sont d’une absolue nécessité pour la desserte de certains territoires enclavés pour lesquels ni la route ni l’aérien ne sont des modes de transport appropriés.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Cette situation s’explique par deux raisons principales. La première est la politique du « tout TGV », qui nous a conduits à laisser de côté les investissements d’infrastructure sur le réseau secondaire. Je l’ai dénoncé depuis plusieurs exercices dans les rapports spéciaux que j’ai rédigés sur ce sujet. La seconde raison est que l’État n’a pas pris la mesure de sa responsabilité en tant qu’autorité organisatrice des transports.

Que faire désormais ? Philippe Duron a une formule très séduisante : « ne laisser aucun territoire sans une solution de mobilité ». Nous adhérons à cette idée, bien sûr. Mais, monsieur le secrétaire d’État, comment le Gouvernement compte-t-il passer de la parole aux actes ?

Pour ma part, j’estime que la réflexion sur le futur des TET doit prendre en compte, d’une part, les besoins du territoire et, d’autre part, le coût économique du mode ferroviaire, qui repose sur une estimation des prévisions de trafic, des investissements en matériel roulant et, enfin, des investissements en infrastructures nécessaires pour rétablir une qualité de service décente, notamment en comparaison avec le mode routier.

La création de treize grandes régions doit permettre de transférer une partie des lignes TET aux régions, qui me semblent être des autorités organisatrices plus dynamiques.

Il convient également d’éviter - cela n’a pas été beaucoup dit jusqu’à présent – les doublons entre TER et TET ou entre TGV et TET. Si je prends un exemple local, le trajet Bordeaux-Toulouse peut être effectué soit en TET, soit en TGV pour le même prix, voire même pour un prix inférieur en TGV.

Mme Françoise Laborde. Il n’existe pas de TGV Bordeaux-Toulouse !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Si ! Or la majeure partie des voyageurs empruntent le TGV, ce qui rend le TET d’autant moins rentable. Il est tout de même nécessaire de prendre en considération cette question.

Je note enfin que la commission rappelle que l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire se rapproche, tout en se prononçant pour une simple expérimentation sur certains tronçons.

M. Louis Nègre. C’est insuffisant !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. À n’en pas douter, monsieur le secrétaire d’État, les choix que vous arrêterez auront une traduction budgétaire sur le compte spécial « Services nationaux de transport conventionné de voyageurs », dont je suis le rapporteur spécial au nom de la commission des finances.

C’est la raison pour laquelle il faut, selon moi, approfondir cette question lors de l’examen du budget pour 2016, car, aujourd’hui, le débat ne fait que s’engager. Nous étudierons alors précisément quelle est la position du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Percheron.

M. Daniel Percheron. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, disposant de quatre minutes de temps de parole, je ne pourrai certes pas prononcer un discours digne de Cicéron, mais j’ai envie, brièvement et sincèrement, de m’exclamer : « Vive le rail ! »

Je ne me prends pas non plus pour Jean Gabin, mais un président de région est aussi, depuis plusieurs années, en quelque sorte un chef de gare ! Et si, aujourd’hui, les casquettes des chefs de gare régionaux sont uniformément roses, les choses évolueront, bien entendu (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.), sans rien retirer toutefois à l’expérience, à la lucidité et à l’efficacité de ces girondins qui ont fait le pari du rail.

Nous savons donc de quoi nous parlons. Dans le Nord-Pas-de-Calais en particulier, le train, c’est plus que le train ! Les TGV représentent la modernité – n’écoutez pas la Cour des comptes, elle se trompe, comme souvent ! –, les TER sont un succès indiscutable et les TET restent les TET : les trains Corail sont certes un peu vieillissants et surannés, mais ils peuvent s’améliorer.

Si je vous le dis, c’est parce que je viens de signer d’une main ferme, en toute confiance, une convention de dix ans avec la plus grande entreprise ferroviaire du monde, la SNCF ! La concurrence restera la concurrence – c’est la bible de l’Europe, et c’est peut-être aussi un peu ce qui explique que nous sortions de l’Histoire sur la pointe des pieds –, mais, dans une région qui concentre la moitié de l’industrie ferroviaire française, soit 10 000 emplois, et qui épouse sa géographie grâce au train et au hub ferroviaire, nous nous sentons capables de régler le problème des TET.

En investissant 250 millions d’euros, soit 0,2 % du PIB régional, nous ne faisons pas de folies avec le rail, surtout lorsqu’il s’agit de transporter 120 000 personnes par jour, de décloisonner les bassins de vie et d’unifier les bassins d’emplois. Rapportons maintenant ces quelque 300 millions d’euros au PIB national et demandons-nous exactement ce que nous voulons, et comment nous pouvons l’obtenir !

Mme Évelyne Didier. Très juste !

M. Daniel Percheron. J’évoquerai bien entendu principalement les TET qui me concernent, notamment la ligne Paris-Saint-Quentin-Maubeuge. À Maubeuge, où le taux de chômage est de 16 % – le plus élevé de France –, le train, c’est tout un symbole ! Et l’on voudrait abandonner les TET, la liaison, par certains aspects indispensable, de cette ville, de ce vieux bassin industriel avec Paris ? Ce n’est pas sérieux !

Quant à la ligne Paris-Amiens-Boulogne, la naissance de la grande région, avec la Picardie, va lui donner un nouvel élan.

Ce rapport, que nous attendions, est formidable ; il rassemble des faits, des analyses et des chiffres, qui ne nous surprennent pas. Nous finançons le TER à 80 %. Mais ces données doivent être rapprochées des 100 millions d’euros de subventions pour 1 million de spectateurs de l’Opéra de Paris : d’une certaine manière, c’est un peu l’opéra ferroviaire que nous venons les uns et les autres de constater, voire de dénoncer. (Sourires.)

Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, comment faire ? Très simplement, en décentralisant ! Je vous connais et, même si je vous trouve un peu plus prudent qu’hier, vous avez toujours des lunettes roses… (Nouveaux sourires.)

Le Gouvernement a voulu, de manière chaotique, sans concertation, créer la grande région Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Cette décision étant prise, nous sommes prêts désormais à assumer la charge des deux TET qui nous concernent, à condition que le précédent « Marini » s’applique. En effet, quand nous avons envisagé la construction du canal Seine-Nord, le maire de Compiègne a proposé qu’un centime d’euro supplémentaire de taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, vienne participer au financement des grandes infrastructures durables.

Dès la semaine prochaine, je proposerai que notre région prenne en charge les TET sur la base d’un centime d’euro de TIPP supplémentaire par ligne. Pour la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, cette mesure rapporterait 30 millions d’euros, voire même 32 millions d’euros en cas de forte circulation.

Mes chers collègues, comme l’a fait à l’époque le rapporteur général Philippe Marini, qui avait ce jour-là la pochette plus convaincante que d’habitude (Sourires.), vous pouvez décider de voter une telle disposition dans la prochaine loi de finances.

Je crois en la régionalisation – le TER est un formidable succès – et je crois au TGV – que serait la France sans ses TGV ? Au moment où l’on remontait la dernière gaillette de charbon, on faisait la jonction du tunnel sous la Manche et les TGV apportaient la modernité dans le Nord-Pas-de-Calais. Alors oui, les TGV, c’est la France !

M. Rémy Pointereau. Très bien !

M. Daniel Percheron. Et si vous le décidez, monsieur le secrétaire d’État, si le dialogue avec les régions est équilibré, les TET prendront le même chemin !

Je suis très heureux d’avoir pu vous poser toutes ces questions en quelques minutes, monsieur le secrétaire d’État. Je vous connais, je sais que vous allez dire « oui » ! (Sourires.) Un bon geste, répondez positivement, et nous resterons les meilleurs frères d’armes du monde… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Commeinhes.

M. François Commeinhes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer l’initiative du groupe CRC, qui a proposé d’organiser un débat sur ce sujet capital pour nos collectivités comme pour nos administrés que sont les trains d’équilibre du territoire, aujourd’hui lourdement remis en cause par la commission Duron.

La liaison Bordeaux-Nice est particulièrement visée, comme le rappelait notre collègue Jean-Claude Requier.

M. Louis Nègre. Absolument !

M. François Commeinhes. Dans le détail, les projets concernant la transversale Sud, le département de l’Hérault et la zone urbaine de Sète sont particulièrement inquiétants, puisque les arrêts à Sète et Arles seraient supprimés, de même que les trains Intercités entre Marseille et Nice, quand il ne s’agit pas de remplacer les trains par des cars entre Bayonne et Toulouse.

Pourtant, dans le projet de réduction des dessertes des trains interrégionaux, si les considérations économiques sont explicites, la dimension d’aménagement du territoire n’a-t-elle pas été oubliée ?

En matière d’aménagement des quartiers autour des gares – celles-ci peuvent être desservies ou non par les TET, mais elles sont de toute façon desservies par des rabattements de TER ou des « antennes TGV » –, il est nécessaire d’inverser la logique de rétention de l’État.

Comme au niveau institutionnel pour les villes moyennes, les TET représentent l’ossature et, donc, l’équilibre du territoire. « L’organisation » de la disparition des TET consacrerait une France à deux vitesses : celle des métropoles et des régions, celle de la grande vitesse ferroviaire et des TER.

Le retrait de la SNCF des transports régionaux a déjà été lourdement financé par les contribuables. Les Français et les élus des territoires ne veulent pas, de nouveau, être tributaires d’une politique hiératique entre « tout TGV » et liaisons grandes lignes peu soucieuses de l’équité régionale. Les politiques de transport sont plus que jamais des vecteurs d’aménagement, de solidarité et d’équité.

Dès lors, c’est bien la question du financement qui est posée et, sur ce point, le rapport Duron est vierge.

Les financements innovants, les recours aux délégations de service public ont, hier, permis le maintien de l’investissement des collectivités. Pourquoi se contraindre, demain, à renoncer à un outil efficace pour maintenir un maillage cohérent et placer les villes moyennes et le périurbain en dialogue avec le fait métropolitain ? Non seulement l’État encourage ou avalise les suppressions de trains Intercités proposées par la SNCF, mais il favorise la concurrence, plus récente, des services d’autocars à longue distance, comme si le car pouvait remplacer le train sur les distances concernées, s’agissant des problématiques tant de mobilité que d’équilibre des territoires.

L’objectif de libéralisation totale du transport par autocar, inclus dans le fameux projet de loi Macron, accompagne celui de réduire le service public de transport ferroviaire de voyageurs en supprimant des lignes et des dessertes au mépris de l’aménagement du territoire, ce qui aggrave la situation des petites villes, des villes moyennes et des départements déjà fortement pénalisés par la fuite en avant dans la mise en concurrence des territoires.

Si les conclusions du rapport Duron étaient suivies, et pour les raisons que je viens d’évoquer, on peut déjà s’imaginer l’impact que cette décision aurait sur la mobilité et les déplacements, l’aménagement et les solidarités territoriales.

Par conséquent, je demande à M. le secrétaire d’État de bien vouloir confirmer ces annonces et les intentions du Gouvernement en la matière. Si celles-ci étaient avérées, je lui demanderais de bien vouloir y surseoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le rapport rédigé par le député socialiste Philippe Duron ne laisse pas indifférents les sénateurs que nous sommes. Je tiens tout d’abord à remercier le groupe CRC d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour.

Monsieur le secrétaire d’État, l’objectif que vous aviez fixé à la commission sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire, présidée par M. Duron, était de clarifier l’offre faite aux usagers et de doter les trains d’équilibre du territoire d’une stratégie d’avenir.

La commission Duron, qui vient de rendre son rapport, a opté pour la rentabilité, au détriment de nos territoires. En effet, elle préconise l’abandon par l’État de nombreuses lignes, trains Intercités et trains de nuit.

Au cas par cas, la commission a choisi soit le renforcement de l’offre pour les liaisons les plus fréquentées, soit la suppression radicale de certaines lignes.

Deux solutions ont été envisagées pour maintenir les lignes supprimées.

Le rapport prévoit, en premier lieu, un transfert de la compétence aux régions, certaines lignes aujourd’hui sous l’autorité directe de l’État passant dans le giron des trains régionaux. Ce transfert est irréaliste, et nous le savons tous. L’offre actuelle des TER est déjà dégradée et les équipements sont vétustes. Chez moi, en Rhône-Alpes, jusqu’à un TER sur quatre accuse un retard sur certaines lignes. De plus, par manque de moyens et d’actions, les agressions et outrages ont été multipliés par trois en sept ans.

En second lieu, le rapport envisage de remplacer certains trains par des bus. Cette proposition est une aberration écologique qui va à l’encontre de nos engagements environnementaux,…

Mme Fabienne Keller. C’est bien vrai !

M. Cyril Pellevat. … sans oublier que les routes et autoroutes sont déjà aujourd’hui à saturation sur de nombreux tronçons. Je suis de ceux qui considèrent que le basculement du trafic ferroviaire sur les routes est un mauvais choix.

Permettez-moi, dans un second temps, monsieur le secrétaire d’État, d’aborder les mesures du rapport Duron qui concernent précisément ma région, la nouvelle région Rhône-Alpes-Auvergne.

La commission a opté pour la suppression de nombreuses liaisons Intercités, qu’il propose de transférer aux régions, notamment au départ de Clermont-Ferrand.

Elle préconise également la suppression de la ligne dite Paris-Savoie, reliant Paris à Saint-Gervais et à Bourg-Saint-Maurice. Il s’agit là de trains de nuit qui desservent les stations de ski. Certes, de jour, une offre alternative via le TGV existe. Mais la fermeture de ces trains de nuit est inquiétante. L’activité touristique est intense, surtout en hiver, dans les deux départements de Savoie et Haute-Savoie, et la suppression de cette ligne serait préjudiciable. Supprimer ces trains encombrerait énormément les dessertes de jour. Il conviendrait alors de véritablement renforcer l’offre de jour.

Je profite également de ce débat pour vous alerter sur l’insuffisance et le besoin de modernisation du transport ferroviaire en Pays de Savoie. Améliorer la desserte et moderniser le rail seraient fortement utile au tourisme, à l’industrie et, bien sûr, à la population savoyarde.

Certes, chaque région a les mêmes demandes ; aucun territoire ne souhaite être mal desservi. Toutefois, à mon sens, lorsqu’il s’agit de l’aménagement du territoire, l’État doit se donner les moyens d’agir.

Il n’est pas acceptable que nous ayons, en France, des territoires riches, bien desservis et, a contrario, des pays éloignés, isolés, avec une offre de service dégradée ayant un impact négatif en termes économique, touristique et démographique.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Cyril Pellevat. En tant que représentants des collectivités territoriales, nous ne pouvons accepter une telle fracture territoriale, que ce rapport aggrave profondément. En l’état, celui-ci n’engage certes pas le Gouvernement, qui entame désormais une concertation avec les régions. Mais nous tenions ici à vous alerter et à vous faire part de nos inquiétudes, monsieur le secrétaire d’État.

Pouvez-vous nous garantir que l’État va réinvestir dans le transport ferroviaire, tout en veillant au respect des territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le groupe CRC de l’inscription à l’ordre du jour de ce débat, qui fait suite aux auditions de M. Philippe Duron devant les commissions du développement durable des deux assemblées, et qui permet à chaque groupe parlementaire de s’exprimer en séance sur ce dossier d’importance.

Je tiens à rappeler le contexte dans lequel s’inscrit ce débat.

C’est en 2010 que l’État est devenu autorité organisatrice des trains d’équilibre du territoire. Une convention a alors été signée avec la SNCF pour organiser le service de ces trains.

Aujourd’hui, force est de constater que cette convention n’a pas apporté de réponse satisfaisante et durable. En effet, l’offre est très hétérogène, ce qui rend difficile la définition même des TET – j’observe d’ailleurs que personne parmi vous ne s’est vraiment aventuré à les définir. On y retrouve à la fois aujourd’hui des trains de nuit, des lignes de transport du quotidien – proches cousins des TER –, des lignes à fréquence hebdomadaire, et même une ligne qui est considérée comme TER la semaine et TET le samedi, avec un matériel roulant identique.

Cette hétérogénéité prive cette offre de cohérence, notamment commerciale. La qualité de service, et en particulier la ponctualité, n’est pas, pour être modéré, au niveau attendu par les voyageurs. Le matériel roulant utilisé approche de sa fin de vie et n’offre pas tous les services attendus, ce qui prive les TET d’une image attractive. Le parc, composé en très grande majorité de locomotives et de voitures Corail, a aujourd’hui un âge moyen de trente-cinq ans. Les locomotives thermiques, utilisées sur plusieurs lignes TET comportant des sections non électrifiées, ont, quant à elles, quarante-trois ans en moyenne.

Enfin, le modèle économique des TET est à reconstruire, dans un contexte de contraintes financières pour l’État. Il faut rappeler que l’exploitation des TET représente pour le budget de l’État une dépense annuelle de 800 millions d’euros, en augmentation significative. En 2014, 450 millions d'euros ont été affectés au financement de péages à SNCF Réseau pour l’activité TET, ce qui correspond à la redevance d’accès au réseau, et 330 millions d'euros ont été affectés au financement du déficit d’exploitation de SNCF Mobilités, ce qui inclut la révision et la rénovation du matériel roulant.

Comme cela est rappelé dans le rapport, le déficit d’exploitation de SNCF Mobilités pourrait, si nous ne faisons rien, atteindre 450 millions d'euros en 2016 et 500 millions d'euros en 2025. Je veux bien entendre toutes les positions, mais, franchement, je ne m’attendais pas à ce que certains voient du libéralisme exacerbé dans l’objectif de maîtrise de ce déficit, pour le ramener à 200 ou 300 millions d'euros. On peut être un défenseur du service public et vouloir maîtriser le déficit des finances publiques. (M. Jean-Jacques Filleul applaudit.)

Je rappelle que nous parlons de 340 trains et 100 000 voyageurs par jour, avec une mission d’aménagement du territoire, sur une activité ferroviaire totale de 13 500 trains et 5 millions de voyageurs – dont 3,5 millions en Île-de-France – quotidiens. Les TET posent un problème spécifique, que tous les gouvernements ont connu, mais il ne faut pas caricaturer la situation en prétendant qu’il n’y a pas de politique ferroviaire ou qu’il n’y a pas de trains ni de voyageurs.

Notre objectif est de faire évoluer la convention actuelle pour améliorer la qualité du service rendu aux usagers et assurer dans la durée les objectifs de maintien du droit à la mobilité et d’aménagement du territoire dans le contexte budgétaire que j’ai évoqué. J’ai donc décidé, en novembre dernier, de lancer le chantier de la clarification de l’avenir des TET. À cette fin, j’ai demandé à une commission présidée par Philippe Duron et composée de parlementaires de tous les groupes, d’élus régionaux et d’experts, de formuler des propositions sur la base d’un diagnostic complet.

La commission m’a remis ses conclusions le 26 mai dernier. Je tiens à remercier l’ensemble de ses membres, et notamment les trois représentants du Sénat – Annick Billon, Jean-Jacques Filleul et Jean-Vincent Placé – qui ont participé activement à ses travaux. La commission a eu à cœur de disposer de constats précis. Elle s’est déplacée dans plusieurs pays européens pour observer comment nos voisins gèrent cette question. Elle s’est appuyée sur une expertise technique très fine et a réalisé un travail de concertation très important, qui l’a amenée à auditionner de multiples acteurs représentatifs, et même, au-delà, à recueillir 6 000 contributions du grand public. Chacun doit prendre la mesure de la solidité et de la qualité de ce travail.

Le débat est désormais engagé. Je ne suis pas de ceux qui vont chercher la responsabilité de l’un ou l’autre dans le déficit actuel, mais je ne suis pas non plus de ceux qui s’abritent derrière des discours de posture.

J’ai entendu ce soir les différentes positions exprimées. Certains présentent l’ouverture à la concurrence comme une solution aux difficultés commerciales et économiques des TET.

M. Louis Nègre. Cela marche en Allemagne et en Grande-Bretagne !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je citerai Malraux : il faut transformer l’expérience en conscience. Au vu des conséquences de l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, vous pourriez être un peu moins certain des résultats d’une ouverture à la concurrence, surtout si elle n’est pas préparée. Cette solution est loin de résoudre toutes les difficultés.

M. Louis Nègre. Cela dépend des conditions de mise en œuvre !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Nous parlons de lignes pour lesquelles le déficit public est de 265 euros par voyageur et par voyage. Si vous payez les frais – moi, je ne le ferai pas ! –, je suis d'accord pour organiser un appel d’offres, mais je connais le résultat à l’avance : il ne se présentera pas beaucoup de candidats… Si l’ouverture à la concurrence consiste à n’introduire de la concurrence que sur les lignes TET rentables sans s’occuper des autres, elle ne peut être une réponse satisfaisante aux questions qui se posent en matière d’aménagement du territoire.

M. Louis Nègre. Il ne faut pas être caricatural !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. L’ouverture à la concurrence n’est pas un choix, puisqu’elle est déjà inscrite dans le calendrier européen ; c’est un horizon. Encore faut-il que, préalablement, les étapes prévues par la loi portant réforme ferroviaire, et notamment la négociation de la convention collective et du décret socle, soient respectées. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs : il s’agit en premier lieu de concrétiser les engagements de la loi susmentionnée.

Les conditions de mise en œuvre de la concurrence doivent être précisées dans le volet politique du quatrième paquet ferroviaire, car ce n’est pas la même chose d’ouvrir la concurrence avec un libre accès ou d’utiliser des appels d’offres dans le cadre de délégations de service public. J’appelle à la plus grande prudence ceux qui pensent que ce débat est déjà tranché dans les autres pays européens. Ce n’est pas vrai ! Le débat persiste non pas sur l’objectif, mais sur ses conditions de mise en œuvre.

Mme Évelyne Didier. Tout à fait !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Par ailleurs, comment justifier que l’État verse jusqu’à 265 euros de subvention pour certains voyages ? Est-ce que quelqu'un peut se satisfaire de cette situation ? Aucun Français, même attaché au service public, ne peut la considérer comme acceptable.

M. Rémy Pointereau. Caricature !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je retiens, dès à présent, plusieurs points du rapport sur lesquels le Gouvernement pourra s’appuyer pour prendre ses prochaines décisions.

Tout d’abord, je constate que les propositions s’inscrivent dans une logique de redynamisation de l’offre ferroviaire des TET, en la recentrant sur son champ de pertinence. Ces propositions visent une amélioration de la qualité du service proposé, afin de valoriser pleinement les avantages du ferroviaire.

Comme l’attestent les contributions du grand public auprès de la commission, la vitesse n’est plus la première priorité des voyageurs. La valorisation du temps de voyage est un atout important du mode ferroviaire, qu’il faut renforcer, par exemple en offrant aux voyageurs la possibilité de se connecter à internet.

Chacun doit en être conscient, l’atout majeur du ferroviaire reste que, contrairement à l’aérien et au routier – covoiturage ou bus –, il peut être pour le citoyen qui voyage un moment de vie pleinement occupé, à se reposer, à parler ou encore à travailler. Il s'agit d’un atout considérable. Quand on interroge les voyageurs sur les raisons de leur choix de mobilité, certains évoquent le temps de parcours – la vitesse est alors la réponse –, mais d’autres déclarent qu’ils souhaitent voyager dans les meilleures conditions : il faut que le ferroviaire puisse leur apporter une réponse.

Je ne veux pas passer sous silence la question du prix de la mobilité. La France l’a mise de côté lors du développement du low cost aérien. Le résultat, c’est que, sur les cinq millions de voyageurs supplémentaires, aucun n’utilise une compagnie française, car nous avons pensé que le low cost n’était pas digne de ce que nous faisions.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Il faut prendre en compte ceux pour qui le prix est par obligation la question essentielle. Aujourd'hui, beaucoup de jeunes se déplacent. L’évolution des bus dans d’autres pays – nous ne sommes pas forcément en avance sur ce point – montre certes qu’il y a là un champ de croissance, mais qu’il existe aussi une complémentarité avec le ferroviaire, qui garde naturellement toute sa pertinence. Je suis même de ceux qui pensent que si nous savons valoriser son avantage particulier, le ferroviaire correspondra de plus en plus aux attentes de nos concitoyens.

Je note que les propositions de la commission veillent à maintenir une offre de transport public dans tous les territoires concernés. Il s’agit non pas de concentrer l’offre de transport sur des liaisons rentables, mais de tenir compte des enjeux d’aménagement du territoire. Toutefois, le ferroviaire n’est pas pertinent partout, notamment pour des raisons de coût et de qualité du service. Il faut trouver les solutions les mieux adaptées aux besoins.

Les propositions permettent de déterminer les services de TET répondant à un besoin d’intérêt national clairement identifié, en les distinguant des services de TER répondant à des besoins régionaux. Une telle simplification pourrait permettre à une seule autorité organisatrice d’améliorer l’offre, et donc d’optimiser son coût, sur un axe où coexistent aujourd’hui des TER et des TET desservant les mêmes destinations.

J’ai bien noté aussi que les propositions consistaient à renforcer l’exercice par l’État de ses compétences, recentrées sur les services d’intérêt national. Le rapport souligne enfin la nécessité pour la SNCF de réaliser des efforts importants afin d’améliorer la qualité du service et de maîtriser ses coûts.

Le Gouvernement présentera à la fin du mois de juin sa feuille de route, en plusieurs étapes, pour préparer l’avenir des TET. Cette feuille de route répondra à l’objectif de mettre fin à la dérive des déficits des TET et s’inscrira dans le respect des principes du maintien du droit à la mobilité et de l’aménagement du territoire. Elle retiendra la démarche d’une concertation indispensable avec les régions et les futures grandes régions.

Pour ne pas assister impuissants à l’érosion des TET et à l’explosion de leurs déficits d’exploitation, qui les condamneraient définitivement à court terme, il faut remettre l’usager au cœur de leur offre de transport.

Mme Fabienne Keller. Bonne idée ! Il faut penser aux voyageurs !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Les trains TET méritent que leur avenir soit clarifié, pour apporter un service de qualité aux usagers. Je veillerai à maintenir une offre de transport public de qualité dans tous les territoires. C’est mon objectif et celui du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « L’avenir des trains Intercités ».

14

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 10 juin 2015 :

À quatorze heures trente : débat sur le thème : « L’avancée des négociations du traité transatlantique (TTIP) suite au 9ème cycle de négociations du 20 au 24 avril et en vue du 10ème cycle du 13 au 17 juillet ».

À seize heures : question orale avec débat n° 11 de Mme Élisabeth Lamure à M. le Premier ministre sur le bilan de la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation en ce qui concerne les entreprises.

À dix-sept heures quarante :

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant transformation de l’université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles, ratifiant diverses ordonnances relatives à l’enseignement supérieur et à la recherche et portant diverses dispositions relatives à l’enseignement supérieur (n° 463, 2014-2015) ;

Rapport de M. Jacques Grosperrin, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 477, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 478, 2014-2015).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quarante-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART