PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées et visant à favoriser l'accès au service civique pour les jeunes en situation de handicap
Discussion générale (suite)

Accessibilité pour les personnes handicapées

Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées (projet n° 276, texte de la commission n° 456, rapport n° 455).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées et visant à favoriser l'accès au service civique pour les jeunes en situation de handicap
Article 1er

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 26 septembre 2014 que je vous présente a une importance toute particulière pour des millions de Français en situation de handicap. Il a en effet pour objet de changer le quotidien des personnes handicapées en leur permettant, à l’instar de n’importe quel citoyen, de faire leurs courses dans les commerces, de retrouver des proches au restaurant, ou encore de se rendre dans leur mairie pour y prendre des renseignements ou pour assister au conseil municipal.

De nombreuses personnes handicapées avec lesquelles je me suis entretenue, ainsi que les associations qui les représentent, s’accordent à dire que c’est à l’ensemble de la société que la mise en accessibilité du bâti profite. Je partage totalement cette analyse : ainsi, le présent texte s’adresse également aux femmes enceintes, aux personnes âgées, aux parents qui circulent avec une poussette, de même qu’à tous ceux qui se sont temporairement blessés, en effectuant un entraînement sportif ou en empruntant un escalier, au Sénat par exemple. (Sourires.)

M. Dominique Watrin. Cela peut arriver !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Ensuite, ce projet de loi entend traduire en actes des mesures inscrites dans la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dispositions qui fixaient respectivement au 1er janvier 2015 et au 13 février de la même année la date butoir pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, les ERP, et des transports collectifs. La Haute Assemblée, par le biais du rapport d’information sur l’application de la loi précitée de Claire-Lise Campion et Isabelle Debré, avait d’ailleurs donné l’alerte dès le mois de juillet 2012, en rendant compte de l’importance du retard pris en la matière et de la nécessité de trouver les moyens de le combler.

Enfin – c’est là toute la difficulté de l’exercice –, ce texte engage également les gestionnaires d’établissement recevant du public et les autorités organisatrices de transport. Sont notamment concernés des commerces de centre-bourg, des grandes surfaces, des communes de tailles très diverses, des grandes villes et des collectivités publiques, lesquels présentent des situations très contrastées.

Tenir les engagements pris par notre pays en matière de lutte contre les discriminations à l’égard des personnes en situation de handicap en mettant notre société sur le chemin de l’accessibilité, faire respecter la volonté du législateur de 2005 et poser des conditions fermes, mais raisonnables, à l’égard des gestionnaires concernés : tels sont les objectifs qui, en 2013, ont présidé à la décision du Gouvernement d’organiser une très large concertation pour sortir de l’impasse.

C’est à vous, madame Campion, aujourd'hui corapporteur de ce projet de loi, qu’a été confiée la mission de réunir autour de la même table les représentants des associations de personnes en situation de handicap, les membres de l’Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle, des représentants des commerçants, de l’hôtellerie-restauration, les responsables du transport, les représentants des associations d’élus des collectivités locales, les maîtres d’œuvre, les maîtres d’ouvrage, les techniciens et les experts. Votre mérite a été de parvenir à faire tomber d’accord toutes ces personnes sur le principe du dispositif des agendas d’accessibilité programmée, les Ad’AP.

Ce dispositif constitue l’essentiel de l’article 1er de ce projet de loi qui prévoit la ratification de l’ordonnance signée le 26 septembre 2014 par le Président de la République.

En plus d’être le fruit d’une concertation, les Ad’AP répondent à trois exigences.

Premièrement, il est nécessaire de fournir aux gestionnaires concernés le cadre juridique, calendaire et opérationnel qui, de toute évidence, faisait défaut dans la loi de 2005. Ainsi l’Ad’AP consiste-t-il en un document de programmation pluriannuelle, dont le dépôt s’effectue obligatoirement en mairie ou en préfecture avant le 27 septembre de cette année. Il engage son signataire à exécuter les travaux de mise en accessibilité requis dans un délai de un an à trois ans pour les ERP relevant du droit commun, c’est-à-dire appartenant à la cinquième catégorie, lesquels représentent environ 80 % des établissements concernés.

Si le dépôt de l’Ad’AP permet, pour un laps de temps limité correspondant à la durée de l’agenda, la suspension du risque pénal prévu par la loi du 11 février 2005 en cas de non-respect des obligations en matière de mise en accessibilité, il n’en demeure pas moins que le gestionnaire qui s’exonérerait de déposer son Ad’AP dans les délais impartis reste passible de sanctions.

Deuxièmement, il convient de simplifier la démarche. Sur la demande de la Haute Assemblée, le formulaire CERFA nécessaire a été allégé et mis en ligne sur le site du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Sur ce même site – j’en redonne l’adresse, pour ceux qui ne l’auraient pas encore consulté (Sourires) : www.accessibilite.gouv.fr – se trouve aussi un outil d’autodiagnostic d’accessibilité à destination des responsables d’établissement de cinquième catégorie et des petites mairies – je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, combien vous êtes sensibles aux difficultés de ces dernières – leur permettant de réaliser gratuitement et rapidement leur diagnostic d’accessibilité, ainsi que leur plan de travaux adapté.

Troisièmement, il faut prendre en compte la réalité des établissements recevant du public. C’est la raison pour laquelle des extensions de délai sont prévues pour les établissements de première à quatrième catégories, pour les patrimoines importants comprenant plusieurs établissements, ainsi que pour les structures recevant du public présentant des difficultés financières avérées.

Cela étant, l’ordonnance ne se limite pas au bâti.

Conformément à la lettre de la loi d’habilitation votée par le Parlement l’année dernière, l’ordonnance permet aux services de transports publics d’élaborer un schéma directeur qui pourra s’étendre sur trois ans, six ans et neuf ans respectivement pour les services de transport urbain, de transport interurbain et de transport ferroviaire. Elle précise aussi les conditions dans lesquelles les points d’arrêt et le matériel roulant sont rendus accessibles.

L’ordonnance crée également un fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle. Celui-ci sera mobilisable afin d’aider à effectuer les travaux adéquats les établissements qui n’en ont pas les moyens, mais dont l’accès revêt une grande importance pour les personnes handicapées. Il permettra par ailleurs de financer la recherche et le développement en matière d’accessibilité universelle.

L’ordonnance organise aussi l’extension de l’autorisation d’accès des chiens guides d’aveugle ou d’assistance dans les transports et les lieux publics à l’égard des détenteurs de la carte de priorité pour personne handicapée. Une circulaire en ce sens a d’ores et déjà été diffusée.

Enfin, l’acquisition de connaissances dans les domaines de l’accueil et de l’accompagnement des personnes handicapées est rendue obligatoire dans la formation des professionnels appelés à être en contact avec les usagers et les clients dans les établissements recevant du public. S’appuyer sur les personnels d’accueil constitue en effet le meilleur moyen de diffuser ce nouvel état d’esprit : une société plus inclusive.

Je tiens maintenant à mentionner l’article 2 du projet de loi qui modifie la date d’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance relatives aux travaux modificatifs effectués par l’acquéreur d’un ouvrage acquis en vente en état de futur achèvement, ou VEFA. Je précise que, avant d’être intégrée au texte, cette disposition a été soumise à des associations de personnes handicapées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il me reste à saluer le travail de la commission des affaires sociales, qui a d’ores et déjà permis de faire évoluer le projet de loi de façon positive.

Sur l’initiative des deux rapporteurs, la commission a ainsi proposé de mieux encadrer les procédures de dérogation relatives au dépôt de l’Ad’AP en assortissant le refus d’une assemblée générale de copropriétaires de mettre en accessibilité les parties communes de leur immeuble de l’obligation de motiver cette décision. Elle est également revenue à l’esprit de l’habilitation en ramenant les prorogations de délai de dépôt de l’Ad’AP à six mois en cas de rejet du premier agenda, à un an en cas de difficultés techniques et à trois ans en cas de difficultés financières.

La commission a par ailleurs proposé la remise d’un bilan du chantier de simplification normative engagé par le Gouvernement, ce qui semble tout à fait opportun et légitime.

Elle a également souhaité augmenter le nombre de sanctions financières dont le produit est versé au fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle.

Enfin, en adoptant un amendement qui visait à permettre à un jeune en situation de handicap de s’engager dans un service civique jusqu’à l’âge de trente ans, la commission a aussi introduit une mesure de nature à rendre notre société plus inclusive et plus accessible.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à attirer votre attention sur l’importance de respecter l’équilibre du présent projet de loi issu de la concertation. En effet, le remettre en cause pourrait soit désespérer les personnes handicapées qui n’aspirent qu’à aller et venir librement au sein d’une société s’ouvrant enfin à eux, soit placer les responsables d’établissement et des transports dans l’impossibilité de procéder aux travaux de mise en accessibilité pourtant profitables à un grand nombre de personnes.

C’est la raison pour laquelle, je vous en avertis dès à présent, je serai amenée à émettre des réserves ou encore à m’en remettre à la sagesse de la Haute Assemblée …

Mme Isabelle Debré. C’est mieux ! (Sourires.)

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. … sur un certain nombre des amendements déposés sur ce texte. Je sais combien la sagesse du Sénat est grande. Connaissant son esprit de responsabilité…

Mme Isabelle Debré. Tout à fait !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. … et toute l’attention qu’il porte à la notion de sécurité juridique, je sais qu’il sera convaincu de la nécessité de préserver l’équilibre d’une ordonnance entrée en application depuis plusieurs mois.

Enfin, la préservation des dispositifs de financement est essentielle.

Cela étant rappelé, je n’oublie pas qu’il est de mon devoir de veiller à ce que les intérêts des personnes handicapées soient respectés. C’est pourquoi le Gouvernement a assorti chacun des amendements identiques déposés par Mme Lienemann, par M. Mézard et par Mme Estrosi-Sassone d’un sous-amendement. Ces trois sous-amendements visent à étendre aux bailleurs sociaux les dispositions relatives aux normes d’accessibilité des logements vendus en l’état futur d’achèvement prévues à l’article 2 du projet de loi de ratification que j’évoquais tout à l’heure. Le Gouvernement entend ainsi que soient garantis dans la loi la prise en charge financière des travaux d’adaptation par le bailleur social, ainsi que le caractère raisonnable du délai des travaux de réalisation.

Animé par cet état d’esprit de responsabilité, ainsi que par la volonté de ne pas reporter plus longtemps la mise en accessibilité de notre société, le Gouvernement souhaite l’adoption la plus rapide possible du présent projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE. - M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, corapporteur.

Mme Claire-Lise Campion, corapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici parvenus à la dernière étape d’un processus entamé depuis plusieurs années pour nous donner les moyens d’atteindre les objectifs d’accessibilité fixés dans la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005, dite « loi handicap ».

En consacrant la notion d’accessibilité universelle, ce texte a posé les fondements d’un changement d’état d’esprit qui est aujourd’hui pleinement ancré. L’accessibilité est bien évidemment physique, mais elle concerne plus largement l’ensemble des domaines de la vie en société. Si les personnes handicapées, quel que soit leur type de handicap, sont les premières concernées par l’accessibilité, celle-ci vise également toute personne pouvant être confrontée, un jour ou l’autre, à une difficulté de déplacement, qu’elle soit temporaire ou durable. Au regard du vieillissement de la population, cette approche transversale revêt un enjeu considérable.

L’accessibilité n’est pas une contrainte. Elle est l’un des éléments indispensables au fonctionnement d’une société plus inclusive.

La loi du 11 février 2005 a posé un principe fort : l’ensemble du cadre bâti et des transports devait être rendu accessible à l’horizon 2015. Une véritable dynamique s’est engagée et des progrès tangibles ont pu être constatés. Pourtant, nous savons depuis plusieurs années que cet objectif ne pourra pas être atteint dans les délais prévus. Isabelle Debré et moi-même l’avions constaté dans notre rapport du mois de juillet 2012 sur l’application de la loi handicap, comme Mme la secrétaire d’État l’a rappelé voilà un instant. Nous appelions alors à ne pas repousser l’échéance de 2015 et à prendre le problème à bras-le-corps en commençant par établir un état des lieux exhaustif du chantier de la mise en accessibilité.

Le rapport intitulé Réussir 2015, que j’ai remis au mois de mars 2013 au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, a été suivi d’une large concertation au cours de l’hiver 2013-2014.

L’ensemble de ces travaux a permis d’aboutir à des préconisations concernant deux grands chantiers : d’une part, la définition d’agendas d’accessibilité programmée devant permettre aux propriétaires ou exploitants d’établissement recevant du public, ainsi qu’aux autorités organisatrices de transport ne respectant pas leurs obligations de mise en accessibilité de s’engager sur un échéancier précis de travaux, sur le financement de ces derniers et sur leur suivi ; d’autre part, l’adaptation des normes d’accessibilité existantes lorsque celles-ci se révèlent trop rigides ou trop peu opérationnelles.

Au cours de la concertation qui s’est alors déroulée et que certains acteurs ont qualifiée d’« historique », chacun a su agir de façon constructive et responsable. Il était impensable de renoncer aux principes de la loi du 11 février 2005. Mais il n’était pas non plus souhaitable de prendre le risque de voir se multiplier les condamnations pénales de collectivités territoriales et d’acteurs économiques n’ayant pu remplir leurs obligations une fois passée l’échéance du 1er janvier 2015.

La loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées du 10 juillet 2014 s’inspire très largement des travaux de la concertation. Elle est allée plus loin sur un point, en rendant les Ad’Ap obligatoires pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, alors qu’il était à l’origine envisagé de leur laisser un caractère facultatif. Des orientations fixées par la loi d’habilitation découlent l’ordonnance du 26 septembre 2014 et les nombreux textes réglementaires publiés depuis pour sa mise en œuvre. Dans sa majorité, la commission a estimé que le texte de l’ordonnance respectait le cadre de l’habilitation qui avait été défini par le Parlement.

Les Ad’Ap doivent être déposés dans les préfectures d’ici au 27 septembre prochain et les demandes de prorogation des délais de dépôt devront avoir été transmises au plus tard le 27 juin. Nous sommes donc appelés à nous prononcer sur la ratification d’un texte ayant déjà remporté l’adhésion des acteurs qui souhaitent pouvoir se mettre en conformité avec leurs obligations légales dans les délais impartis. À la mi-mai, plus de 1 300 Ad’Ap avaient déjà été déposés.

Ces éléments doivent nous conduire à être responsables. Telle est la raison pour laquelle Philippe Mouiller et moi-même n’avons pas souhaité proposer à la commission des affaires sociales d’amendements dont l’adoption aurait bouleversé l’équilibre de l’ordonnance. Il nous a malgré tout semblé qu’il était possible d’en renforcer plusieurs points, dans le respect des préconisations issues de la concertation, tout en prenant en compte certaines des attentes des organisations dont nous avons auditionné les représentants.

L’ordonnance précitée a fixé à trois ans la durée de principe des Ad’Ap pour les établissements recevant du public et pour les transports publics urbains. Les agendas pourront malgré tout porter sur deux, voire trois périodes de trois ans en cas de situations plus complexes délimitées par l’ordonnance. Dans tous les cas, des progrès de mise en accessibilité devront pouvoir être mesurés dès la première année d’exécution de l’agenda : il s’agit non pas de reporter de trois, six ou neuf ans la mise en accessibilité exigée, mais d’échelonner, sur une période plus ou moins longue, les travaux programmés dans les agendas. Dans l’hypothèse où un allongement exceptionnel de la durée des Ad’Ap paraîtrait nécessaire, la commission des affaires sociales a exigé qu’il ne puisse être autorisé que par une décision expresse de l’autorité administrative compétente.

Elle a également davantage encadré les possibilités de prorogation des délais de dépôt des Ad’Ap. Fixés à trois ans par l’ordonnance, elle les a ramenés, comme vous venez de le rappeler, madame la secrétaire d’État, à douze mois en cas de difficultés techniques liées à l’évaluation et à la programmation des travaux, et à six mois lorsqu’un premier projet d’agenda a été rejeté. Le délai de trois ans continue de s’appliquer en cas de difficultés financières pour évaluer et programmer les travaux. Dans chacune de ces trois hypothèses, seule une décision expresse et motivée du préfet permettra d’allonger les délais de dépôt.

Par ailleurs, tous les travaux effectués sur la question de l’accessibilité font état de l’insuffisance des données statistiques en la matière. De ce point de vue, la mission que confie l’ordonnance aux commissions communales et intercommunales pour l’accessibilité aux personnes handicapées de tenir, par voie électronique, un répertoire des Ad’Ap et des établissements accessibles à ces personnes est essentielle. Ces commissions, dont l’ordonnance étend également la composition aux représentants des personnes âgées et des acteurs économiques, seront ainsi pleinement en mesure de jouer le rôle d’observatoire que leur a confié la loi du 11 février 2005.

Pour compléter mon intervention, j’évoquerai deux points qui me tiennent particulièrement à cœur.

Le premier concerne la mise en accessibilité des services de transport scolaire. Aux termes de l’ordonnance, lorsque le projet personnalisé de scolarisation prévoit l’utilisation du réseau de transport scolaire, les représentants légaux d’un élève scolarisé à temps plein peuvent demander la mise en accessibilité des points d’arrêt les plus proches de l’établissement fréquenté par l’élève et de son domicile. Cette disposition concerne la très grande majorité des élèves en situation de handicap, dans la mesure où près de 90 % d’entre eux sont aujourd’hui scolarisés à temps complet. Pour ceux qui le sont à temps partiel, des solutions de transport individualisé existent. Elles leur permettent de se rendre dans leur établissement scolaire et dans la structure spécialisée chargée de les accueillir. Faire coexister ce service de transport individualisé avec la mise en accessibilité du réseau de transport collectif serait inévitablement source de lourdeurs et ne correspondrait pas nécessairement aux souhaits des parents, qui privilégient bien souvent les transports individualisés.

M. Bruno Sido. Bien sûr !

Mme Claire-Lise Campion, corapporteur. Il est cependant essentiel que les parents d’enfants scolarisés à temps plein demandant une mise en accessibilité ne soient pas isolés. Pour cette raison, Philippe Mouiller et moi-même avons estimé que l’équipe pluridisciplinaire de la maison départementale des personnes handicapées, ou MDPH, devait pouvoir accompagner les familles dans leurs démarches. Tel est l’objet d’un amendement que nous avons proposé à la commission des affaires sociales.

Le second point qui me tient à cœur porte plus directement sur l’objectif de rendre la société plus accessible. À cet égard, j’ai déposé, au mois de mars dernier, la proposition de loi visant à favoriser l’accès au service civique pour les jeunes en situation de handicap qui leur ouvre la possibilité de s’y engager jusqu’à l’âge de trente ans, quand la règle de droit commun fixe l’âge limite à vingt-cinq ans. La part des jeunes handicapés effectuant un service civique est dérisoire. Selon la Cour des comptes, elle n’était que de 0,4 % en 2012, soit 226 jeunes, alors que l’État avait fixé à l’Agence du service civique un objectif de 6 %. La mesure simple qui a été introduite dans le texte de la commission permettra de donner à ces jeunes un peu plus de temps pour prendre la décision de s’engager dans un service civique.

Mes chers collègues, Philippe Mouiller présentera dans quelques instants les autres points sur lesquels la commission a apporté des modifications.

Parvenir à un équilibre entre les attentes légitimes des uns et les difficultés auxquelles sont confrontés les autres pour réaliser les adaptations requises n’est pas chose aisée. Je m’en rends compte tous les jours depuis près de trois ans. Et c’est au regard de cette expérience que j’ai la conviction que l’ordonnance du 26 septembre 2014, telle que l’a modifiée la commission des affaires sociales, prévoit une méthode de travail responsable et pragmatique. Elle confortera la dynamique déjà engagée en faveur de la mise en accessibilité. C’est pourquoi la commission souhaite que sa ratification recueille au sein de la Haute Assemblée l’assentiment le plus large possible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, corapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Mouiller, corapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, je vais aborder les dispositions de l’ordonnance du 26 septembre 2014 que n’a pas encore évoquées Claire-Lise Campion. Certaines, relatives par exemple à l’accès des chiens guides d’aveugle aux lieux publics, font consensus : il n’est pas utile d’y revenir. D’autres, qui visent à adapter les normes applicables en matière de mise en accessibilité, nécessitent des éclaircissements.

La loi du 11 février 2005 a défini trois types de situations pouvant justifier que des ERP existants se voient accorder, de façon exceptionnelle, une dérogation : lorsque la mise en accessibilité est techniquement irréalisable, lorsque la conservation du patrimoine architectural rend impossible des travaux et, enfin, lorsqu’une disproportion manifeste apparaît entre les améliorations apportées et leurs conséquences. Conformément aux préconisations issues de la concertation, l’ordonnance précise ce dernier critère.

Des situations de blocage peuvent exister lorsque l’obligation légale de mise en accessibilité d’un ERP se heurte à l’exercice du droit de propriété : certains travaux réalisés dans des immeubles d’habitation collectifs doivent avoir été autorisés par l’assemblée générale des copropriétaires. Cette règle, inscrite dans la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, s’applique même si le propriétaire qui doit rendre son ERP accessible s’engage à prendre en charge financièrement le coût des travaux.

La difficulté a parfaitement été identifiée au cours de la concertation. Une réponse lui est apportée par l’ordonnance, qui se fonde sur l’analyse juridique du Conseil d’État : pour un ERP existant, le refus prononcé par l’assemblée générale entraîne une dérogation de droit ; lorsque cette assemblée formule le même refus pour un ERP neuf, c’est au préfet qu’il appartient de prendre la décision d’accorder, ou non, une dérogation. La commission a souhaité encadrer davantage cette procédure en exigeant de l’assemblée générale qu’elle se prononce par une décision motivée.

J’en viens maintenant au secteur des transports. L’élaboration d’un agenda d’accessibilité programmée demeure facultative, ce qui est cohérent avec le fait que la loi du 11 février 2005 n’a pas prévu de sanctions pénales en cas de non-respect des obligations de mise en accessibilité. La commission a néanmoins aligné le régime juridique applicable aux Ad’Ap relatifs aux transports en prévoyant des règles identiques s’agissant des ERP pour les délais de dépôt des projets d’Ad’Ap et pour l’allongement de la durée de ces agendas.

Les obligations de mise en accessibilité des services de transport ont été redéfinies par l’ordonnance : cette mise en accessibilité passe désormais par l’aménagement des points d’arrêt définis comme prioritaires. Cette solution, réaliste, vise à tenir compte des contraintes économiques et techniques, tout en garantissant la mise en place d’un réseau cohérent et équilibré, capable de répondre aux besoins des usagers. Pour que ce chantier réussisse, il est indispensable que les points d’arrêt prioritaires soient définis en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés. Les représentants des autorités organisatrices de transport nous l’ont par ailleurs indiqué : la définition de points d’arrêt prioritaires ne signifie pas que les points d’arrêt secondaires ne seront jamais rendus accessibles.

Un autre assouplissement concerne les plans de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics, les PAVE. La loi du 11 février 2005 rendait leur élaboration obligatoire pour toutes les communes de France. Aux termes de l’ordonnance, l’élaboration de ces documents est facultative pour les communes de moins de 500 habitants et simplifiée pour celles dont la population est comprise entre 500 et 1 000 habitants. Pour ces dernières, le PAVE ne concerne donc plus que les axes de déplacement les plus fréquentés. Cette solution concerne près de 55 % des communes françaises. Il s’agit là d’une évolution pragmatique.

De plus, les communes doivent tout particulièrement être aidées. À ce titre, je me félicite que les travaux d’accessibilité figurent aujourd’hui parmi les priorités en matière d’allocation de la dotation d’équipement des territoires ruraux, ou DETR, dans les départements.

C’est également pour aider les structures les plus fragiles que l’ordonnance crée un fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle. La commission a prévu que l’ensemble des sanctions financières alimenteraient ce fonds.

Par ailleurs, il est indispensable de communiquer sur les autres mesures d’accompagnement financier qui peuvent être mises en place. Je pense en particulier aux prêts de la Caisse des dépôts et consignations destinés à financer les travaux de mise en accessibilité, et à la façon dont les fonds structurels européens pourraient être davantage utilisés pour l’accompagnement de projets.

Au-delà du volet financier, il est essentiel que l’ensemble des acteurs concernés soient pleinement informés des règles et des délais applicables à l’élaboration et à l’exécution des agendas. Des efforts sont menés dans ce sens par la délégation ministérielle à l’accessibilité, par les associations d’élus, par les chambres consulaires et par différentes branches professionnelles. Pour autant, si la date du 27 septembre prochain, qui est celle du dépôt des agendas, est aujourd’hui largement prise en compte, je crains qu’il n’en soit pas de même s’agissant du 27 juin, échéance limite pour la formulation de demandes de prorogation des délais de dépôt. Or cette date s’approche à grands pas.

Des efforts de pédagogie et de communication doivent être effectués auprès des responsables d’ERP ou de transports. L’accompagnement doit également concerner les professionnels lorsqu’ils sont en contact avec le public. Deux dispositions de l’ordonnance sont directement liées à cette question.

D’une part, les Ad’Ap relatifs aux transports devront obligatoirement définir un calendrier et des modalités de formation des personnels aux besoins des usagers handicapés.

D’autre part, l’acquisition de connaissances dans les domaines de l’accompagnement et de l’accueil sera rendue obligatoire dans la formation initiale de certains professionnels. La commission a souhaité aller plus loin dans cette démarche, en prévoyant que ces professionnels puissent également se voir proposer des formations de ce type par leurs employeurs.

Au terme de cette présentation, je tiens particulièrement à remercier Claire-Lise Campion, corapporteur de ce projet de loi, de son implication depuis de nombreux mois en faveur de la cause du handicap. Grâce à des auditions, des rencontres, des réunions de qualité, ensemble, nous avons su trouver un juste et délicat équilibre entre notre volonté commune de rendre accessible à tous notre société et un regard réaliste sur les capacités des porteurs de projets et des collectivités territoriales à réaliser les investissements nécessaires.