Mme Éliane Assassi. Vous l’aurez compris, cet amendement tend à supprimer l’article 71. Nous avons une opposition de principe à cet article, ainsi, évidemment, qu’aux articles suivants.

Monsieur le ministre, votre position consiste à dire que le droit du travail, tel qu’il a été modifié, notamment, par les différents textes de la droite, place les salariés travaillant le dimanche dans les commerces dans des situations inégales. Vous l’avez rappelé, trois situations existent.

Premièrement, pour les salariés qui travaillent dans les établissements bénéficiant d’une dérogation au repos dominical ou dans une commune ou zone touristique, il n’y a pas d’obligation légale de contrepartie.

Deuxièmement, pour les salariés qui travaillent dans des établissements bénéficiant d’une dérogation temporaire accordée par le préfet dans les PUCE ou pour les dérogations au titre du préjudice au public et de l’atteinte au fonctionnement normal de l’établissement, la loi a fixé le minimum d’un doublement de la rémunération et d’un repos compensateur en l’absence d’un accord collectif meilleur.

Troisièmement, pour les salariés qui travaillent l’un des cinq dimanches du maire, la loi fixe le doublement de la rémunération et le repos compensateur en contrepartie.

Vous auriez pu améliorer la situation existante et encadrer le travail dominical en limitant les dérogations existantes et en établissant les contreparties dans la loi, c’est-à-dire une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente, à moins qu’un accord collectif ne prévoie des dispositions plus favorables.

Or vous avez préféré généraliser les dérogations au repos dominical en renvoyant uniquement aux accords collectifs, sans contrepartie minimale. Cela a été rappelé, l’ensemble de la gauche sénatoriale avait approuvé notre proposition de loi visant à garantir le droit au repos dominical, qui retenait justement la première option.

Par conséquent, nous demandons la suppression de cet article, qui s’inscrit dans une perspective de libéralisation du travail du dimanche.

M. le président. L’amendement n° 780 n'est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 65 ?

Mme Catherine Deroche, corapporteur de la commission spéciale. Les auteurs de l’amendement n° 65 estiment que l’article 71 vise à étendre les exceptions au repos dominical et en soirée.

Or cela ne correspond pas à la réalité. L’article 71 introduit au contraire un plafond de durée à trois ans pour les dérogations individuelles au repos dominical accordées par le préfet. Il y aura donc une remise à niveau tous les trois ans. C’est plutôt une amélioration par rapport à la situation actuelle ; cela va dans le sens d’un meilleur contrôle des dérogations.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous reviendrons sur ce sujet article par article, et je répondrai sur tous les points qui ont été soulevés.

Simplement, l’article 71 porte sur une mesure très ponctuelle : les autorisations accordées par le préfet, par exemple pour permettre de procéder à un inventaire le dimanche ou pour ne pas léser un magasin qui serait à la périphérie d’un PUCE. Il s’agit d’organiser ces autorisations et de fixer un plafond de trois ans, alors qu’il n’en existe aucun actuellement. Si l’article était supprimé, comme le réclament les auteurs de l’amendement n° 65, les autorisations préfectorales continueraient à exister, comme c’est le cas aujourd'hui, mais sans limitation de durée.

Je doute que cela soit votre objectif, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe CRC. Je comprends l’opposition qui est la vôtre – vous l’avez d’ailleurs très bien rappelée – à la démarche d’ensemble du texte. Néanmoins, le dispositif en question est plutôt protecteur ; il s’agit d’encadrer les autorisations préfectorales. De surcroît, l’article 71 précise les modalités de consultation des parties intéressées par le préfet.

Je pense donc que la suppression de cet article ne serait même pas conforme à l’esprit de votre opposition générale au texte. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Il ne faut tout de même pas exagérer !

M. Emmanuel Macron, ministre. J’y insiste : l’article 71 concerne simplement l’existant. Il n’en étend pas la portée, mais il précise les modalités de consultation et introduit une limitation dans le temps.

Le Gouvernement sollicite donc le retrait de cet amendement. À défaut, son avis serait défavorable.

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.

M. Éric Bocquet. Monsieur le ministre, vous venez d’apporter des éléments de réponse à la question que je comptais vous poser sur les « cas d’urgence » pour lesquels l’autorisation préfectorale serait sollicitée. En l’occurrence, les deux exemples que vous venez de mentionner nous laissent sceptiques.

Nous reconnaissons bien le caractère indispensable des dérogations pour assurer la continuité des missions de service public ou de certaines activités. Toutefois, nous ne pensons pas qu’il soit indispensable ou urgent d’aller acheter du papier peint ou des chaussures, voire des imitations de Tour Eiffel en plastique, le dimanche !

Je voulais également intervenir sur les femmes salariées. Comment les femmes, qui sont majoritaires dans le secteur du commerce et qui élèvent souvent leurs enfants seules, pourront-elles les faire garder le dimanche alors que les crèches, les accueils et les activités encadrées ne fonctionnent pas ? Elles devront faire appel à une assistante maternelle, dont la prise en charge pourra, selon les cas, être assurée par leur employeur. Encore faudra-t-il trouver une personne disponible le dimanche ou en soirée, la rémunérer avec ce qui aura été gagné le dimanche, alors que rien ne garantit le niveau de compensation salariale. Est-ce bien cela que l’on appelle « sécuriser les salariées » ?

En augmentant les possibilités de dérogation au repos dominical, vous mettez en cause un principe fondamental, sur lequel nombre de vos collègues, nombre de parlementaires de votre famille politique, ici présents dans l’hémicycle, s’étaient pourtant engagés – cela vient d’être rappelé – voilà très peu de temps encore !

Aujourd'hui, l’économie prime le social ; les consommateurs priment les salariés. Pourtant, l’Histoire a montré que ces deux notions pouvaient fort bien aller de pair.

Nous n’avons pas la même vision de la société. C’est pourquoi nous proposons la suppression de l’article 71.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Nos collègues qui se sont exprimés, notamment sur l’article 71, ont fait mention, comme M. Bocquet à l’instant, d’une vision différente de la société.

Mme Éliane Assassi. C’était la vôtre il n’y a pas si longtemps !

Mme Nicole Bricq. Franchement, il me paraît très excessif de parler d’un choix de société ou d’un bouleversement de civilisation. Il faut savoir raison garder ! C’est d'ailleurs notre rôle ici.

L’objet de ce texte n’est pas d’obliger l’ensemble des commerces à ouvrir tous les dimanches. Il n’est pas non plus de contraindre nos concitoyens à faire leurs courses ce jour-là. La France ne va pas se transformer en une vaste zone commerciale. Il convient donc de bien lire le texte, afin de comprendre précisément ce qu’il prévoit.

Certes, dans notre pays le dimanche n’est pas un jour anodin. Le fait de travailler le dimanche induit effectivement pour les personnes concernées une organisation différente. La vie familiale, amicale, sportive, culturelle, ainsi que les loisirs s’en trouvent en quelque sorte différés. C’est un point auquel nous devrons être attentifs au cours de l’examen du texte.

Oui, le fait d’augmenter le nombre potentiel de personnes, notamment de salariés, qui sont amenées à travailler le dimanche n’est pas anodin. La législation se doit donc de prendre en compte notamment la situation des femmes et des familles monoparentales, très souvent dirigées par des femmes, qui sont nombreuses dans les professions du commerce.

Mme Éliane Assassi. Quelles sont vos solutions ?

Mme Nicole Bricq. Il convient également de veiller aux garanties en matière de volontariat et de revenus, qui doivent être préservées.

Deux principes me paraissent essentiels dans cette partie du texte dont l’examen nous mobilisera deux jours et peut-être également deux nuits.

Le premier est le suivant : pas d’accord, pas d’ouverture. Ce point est fondamental. Le dialogue social est un axe important dans le projet du Gouvernement, par branches, par entreprises ou par territoires. Nous, sénateurs, qui assurons la représentation des collectivités territoriales, nous savons pertinemment que le territoire n’est pas uniforme !

M. Michel Bouvard. Très bien !

Mme Nicole Bricq. Le second principe est la prise en compte du zonage, dont il est toujours possible de discuter, car il comporte une part d’arbitraire. Cependant, il importe de reconnaître qu’il existe des zones touristiques internationales et des zones commerciales. Ce projet de loi se situe dans le prolongement du texte Mallié, ne l’oublions pas ! Le Gouvernement ne légifère pas à partir de rien. Il est donc très important de faire attention, en fonction des territoires, à ne pas déséquilibrer les formes de commerce qui existent, en particulier le petit commerce, comme certains l’ont souligné.

Par ailleurs, il convient d’être attentif également aux services publics. Certains d’entre eux pourront être amenés à fonctionner le dimanche. Or nous savons que les agents publics travaillant le dimanche bénéficient souvent de compensations pécuniaires et de temps de repos inférieurs à ce que les accords actuels et à venir permettront d’obtenir dans le privé. Il se peut donc que ces salariés du public revendiquent des avantages similaires.

M. Jean Desessard. Bien sûr !

Mme Nicole Bricq. Mon cher collègue, c’est la vie qui décide, la loi ne fixe pas tout !

Voilà pourquoi le groupe socialiste est opposé à la suppression de cet article 71. Il me semble qu’il est utile de discuter des compensations salariales et des zonages, mais aussi de savoir qui décide et avec qui. De nombreux amendements ont d’ailleurs pour objet de déterminer qui est garant, entre la commune, l’intercommunalité et l’État, de l’équilibre du territoire. Cela mérite que nous en discutions pendant deux jours et deux nuits.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Les écologistes voteront l’amendement présenté par le groupe CRC. Aujourd'hui, il est possible au préfet d’accorder une dérogation pour un temps déterminé. L’article 71 du projet de loi prévoit de fixer ce délai à trois ans, afin de limiter les abus. Mais quels sont-ils ? J’aimerais le savoir ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)

Monsieur le ministre, vous avez avancé comme argument qu’il s’agissait de réaliser un inventaire. Mais s’il dure trois ans, c’est l’inventaire du siècle ! (Sourires.) En général, un inventaire dure quinze jours ou trois semaines. Pourquoi prévoir ici trois ans ? Je ne comprends pas. Voilà pourquoi nous nous associerons à l’amendement de nos collègues du groupe CRC.

Mme Bricq a soulevé le problème de la philosophie du texte. Elle a souligné que le groupe socialiste n’était pas opposé à ce que le dimanche conserve son caractère spécifique. Mme Lienemann a d’ailleurs redit que ce point figurait dans la motion majoritaire du congrès du parti socialiste, ce qui n’est pas rien !

Mme Nicole Bricq. Il est inscrit dans le texte qu’il s’agit d’une exception ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Mes chers collègues, la parole est à M. Jean Desessard et à lui seul !

M. Jean Desessard. J’ai entendu également que le Premier ministre voulait retenir du 1er mai le progrès social. Je m’en réjouis, car cela signifie que Manuel Valls se situe encore dans la perspective de la conquête des droits sociaux.

Certes, madame Bricq, ce texte ne remet pas en cause partout sur le territoire le repos dominical, mais il constitue une érosion des droits ! Si l’on institue le travail le dimanche pour certains travailleurs, pourquoi par exemple ne pas ouvrir également des crèches ce jour-là, ou d’autres secteurs de l’économie ? C’est un processus qui ne s’arrêtera pas !

On ne peut pas s’accommoder d’un principe sans que cela coûte. Souhaitons-nous une société où tous les jours sont les mêmes ? Souhaitons-nous une uniformisation des territoires ou des villes ? Nous sommes pourtant déjà en train d’assister à une standardisation à l’échelle mondiale. Que l’on soit en Asie, aux États-Unis, en France ou dans n’importe quel autre pays d’Europe, on trouve partout les mêmes boutiques ! À part pour consommer et comparer les prix, quel plaisir y aura-t-il bientôt à visiter d’autres pays ? (Mme Catherine Procaccia s’exclame.)

Voulons-nous que le dimanche soit un jour comme les autres ? Personnellement, je ne le souhaite pas, car c’est le jour des échanges sociaux et des pratiques communes, c’est le jour où les parents peuvent passer du temps avec leurs enfants. Nous devons préserver cet acquis. Si nous acceptons que des commerces ouvrent à Nice, par exemple,…

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. C’est une obsession ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. … pour gagner un peu plus d’argent, la ville voisine de Marseille protestera, car elle aussi accueille des touristes. Idem pour toutes les villes proches. Tout le monde souhaite développer le tourisme et tout le monde voudra ouvrir le dimanche ! Tout le monde suppliera : accordez-moi une dérogation, c’est important pour la vie économique de mon village !

En levant les barrières pour banaliser le travail le dimanche, vous vous placez sur une pente glissante. Mieux vaut perdre un peu d’argent quand il s’agit de préserver un choix de société. Comme l’a rappelé le Premier ministre le 1er mai, il faut continuer à préserver les acquis sociaux !

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Je rebondirai sur les propos de Jean Desessard.

Monsieur le ministre, l’article 71 de votre texte, que vous défendez avec passion, prévoit de fixer une exception au repos dominical d’une durée maximale de trois ans.

Néanmoins, il existait déjà des dérogations temporaires. Ce qui nous inquiète, c’est qu’initialement le chapitre du code du travail dans lequel s’inscrivait le titre dont nous débattons aujourd'hui s’intitulait « Dérogations temporaires au repos dominical ». Vous transformez cet intitulé en « Autres dérogations au repos dominical ». Le caractère temporaire de la mesure est donc gommé. Voilà pourquoi nous nous interrogeons.

Par ailleurs, ce point a déjà été souligné, le texte n’apporte aucune précision sur la façon dont seront renégociées les garanties pour les salariés, ni sur les éléments d’évaluation ouvrant droit à une dérogation pour trois ans. Nous n’avons donc pas la même lecture que vous de cet article.

Certes, le texte prévoit que, en l’absence d’accord, l’ouverture dominicale ne sera pas possible. Or nous savons tous qu’il pourra s’agir d’accords locaux, d’accords qui dérogent au droit du travail aujourd'hui déjà minimaliste, sans parler des accords qui se feront de gré à gré avec les salariés. En effet, il sera possible de demander au salarié lui-même s’il est d’accord, ou non, pour travailler le dimanche !

Certains salariés, face à la situation actuelle de l’emploi et au chômage – celui-ci, loin de décroître, continue au contraire à augmenter –, face également à la pression qui s’exerce en faveur du travail temporaire, pourront accepter de travailler le dimanche. Pour autant, il ne s’agira pas d’un véritable volontariat. Certes, un accord sera trouvé, mais de quoi s’agira-t-il exactement, puisque la loi ne prévoit aucune contrepartie minimum légale ? On pourra, par exemple, conclure un accord prévoyant une majoration de 10 % des heures travaillées, ce qui est pour moi inacceptable !

Cet article prévoit donc de réécrire toute une société.

M. François Bonhomme. Ce n’est pas non plus une révolution !

Mme Annie David. Quel projet de société voulons-nous pour demain ? Quelle société souhaitons-nous pour nos jeunes ? Le dispositif proposé sera-t-il une bonne solution pour les étudiants, qui sont la cible privilégiée du travail le dimanche ?

Mme Catherine Procaccia. Eux veulent travailler !

Mme Annie David. Ne serait-il pas préférable, comme le Gouvernement s’y était d'ailleurs engagé, de leur donner un statut, afin qu’ils puissent se consacrer totalement à leurs études ? Une telle loi de progrès social et de préservation des acquis aurait pu emporter notre assentiment. Avec cet article, nous sommes loin du compte. C’est la raison pour laquelle nous n’en voulons pas.

Nous maintenons donc notre amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.

M. Michel Bouvard. Mes chers collègues, pardonnez-moi de m’immiscer dans un débat interne à la majorité, à l’approche d’un congrès il est vrai important… (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Michel Bouvard. Ce sujet mérite néanmoins tout notre intérêt, car il soulève de véritables interrogations. Chacun en est conscient, il est important de préserver le repos dominical, de conforter la vie de famille, de maintenir des liens sociaux et de favoriser la vie associative. Si le texte prévoyait purement et simplement la suppression du repos dominical, ce qui n’est pas le cas, nous serions très peu nombreux ici à l’approuver !

M. Jean Desessard. Cela viendra !

M. Michel Bouvard. Pour ma part, je comprends ce projet comme un aménagement, une prolongation de dispositions qui ont été adoptées durant les mandatures précédentes par une autre majorité, à laquelle j’appartiens, et qui avaient d'ailleurs été très critiquées à l’époque.

Mme Éliane Assassi. Oui, et par toute la gauche !

M. Michel Bouvard. Cependant, ces dispositions et ces adaptations se révèlent aujourd'hui indispensables, non seulement pour susciter de la croissance, ce qui est un point important, mais aussi parce que nous ne vivons pas dans un univers fermé et qu’il y a des territoires frontaliers, où l’on regarde ce qui se passe de l’autre côté de la frontière.

Voilà une semaine, j’étais en déplacement pour des raisons à la fois professionnelles et familiales à Turin, une grande ville industrielle qui est en même temps une grande cité touristique. Or l’ensemble des commerces y est ouvert le dimanche, même si Turin est sans doute une ville moins touristique que ne le sont Paris ou Nice. Nous devons donc prendre en compte cette évolution.

Certes, un certain nombre de dispositions de cet article méritent d’être discutées. Je pense aux majorations de rémunération obligatoires. Il existe sur notre territoire des zones touristiques où l’ensemble des activités ont un caractère saisonnier – c’est le cas, par exemple, de certaines stations qui fonctionnent durant l’hiver – et les rémunérations prennent déjà en compte cette spécificité, ce que le texte, dans sa version initiale, avait d'ailleurs oublié.

Il conviendra d’y apporter les adaptations nécessaires, mais je ne pense pas qu’on puisse purement et simplement considérer qu’il n’y a pas lieu de débattre et que l’article n’a pas d’utilité. On ne peut pas rester sur une situation figée ni faire comme si un certain nombre de jurisprudences qui ont été établies depuis le vote de la loi Mallié et qui ont abouti aux surprises et aux incohérences que chacun a constatées ne devaient pas être corrigées par le législateur.

Parce que ce débat est nécessaire, parce que nous devons le mener en assumant nos responsabilités, en y apportant les équilibres souhaitables entre le repos dominical et la réalité économique, notamment celle qui est liée aux activités touristiques, nous devons être capables de discuter de cet article de manière sereine et réaliste.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Comme le débat sur ce sujet va être long et compliqué, je souhaiterais que nous fassions tous preuve d’esprit de rigueur.

Sans lancer le débat que nous aurons à propos des jours du maire et des zones touristiques, entre autres, je souhaite insister sur l’objet de cet article 71, qui vise à préciser les dispositions de l’actuel article L. 3132-20 du code du travail, lequel dispose : « Lorsqu’il est établi que le repos simultané, le dimanche, de tous les salariés d’un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de cet établissement, le repos peut être autorisé par le préfet, soit toute l’année, soit à certaines époques de l’année seulement suivant l’une des modalités suivantes : 1° Un autre jour que le dimanche à tous les salariés de l’établissement ; 2° Du dimanche midi au lundi midi ; 3° Le dimanche après-midi avec un repos compensateur d’une journée par roulement et par quinzaine ; 4° Par roulement à tout ou partie des salariés. »

Voilà le droit existant. Nous le précisons, en ajoutant que les autorisations prévues à cet article sont accordées pour une durée qui ne peut excéder trois ans.

Par conséquent, je vous rassure, mesdames, messieurs les sénateurs, il ne s’agit pas uniquement de l’exemple que j’ai donné tout à l’heure, à savoir de revoir un dépôt ou autre ; il peut s’agir d’une autorisation préfectorale qui est donnée pour une partie de l’année, comme le prévoit l’article L. 3132-20, ou pour toute l’année s’agissant d’un commerce, c’est le droit actuel.

Ce que, nous, nous prévoyons, c’est que ces dérogations qui sont données par le préfet, en vertu du droit en vigueur, aient une durée limitée à trois ans. Il faut en effet, tous les trois ans, revoir la situation et évaluer l’intérêt de renouveler la dérogation. Voilà le point que nous introduisons. Il faut donc lire les textes ensemble, sinon on reste vague. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Nous les avons lus !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je rappelle que, aux termes de cet article L. 3132-21, les autorisations prévues à l’article L. 3132-20 sont accordées pour une durée qui ne peut excéder trois ans et que nous introduisons des avis qui n’existent pas aujourd’hui dans le droit, puisque sont prévus l’avis du conseil municipal et, le cas échéant, celui de l’EPCI à fiscalité propre, de la chambre de métiers et de l’artisanat, etc. J’y insiste : ces avis, nous les ajoutons à l’existant.

Par ailleurs – cela me permet de répondre à M. Bocquet –, le deuxième paragraphe prévoit que « en cas d’urgence dûment justifiée et lorsque le nombre de dimanches pour lesquels l’autorisation prévue à l’article L. 3132-20 n’excède pas trois, les avis préalablement mentionnés au premier alinéa du présent article ne sont pas requis. » Le cas d’urgence ne vaut que pour les avis que nous ajoutons, mais il ne change rien et n’enlève rien à l’existant.

Le droit actuel permet des autorisations préfectorales. Or nous les encadrons de deux façons, en prévoyant des avis préalables, qui n’existent pas aujourd’hui, et en limitant la durée de ces autorisations à trois ans. Et nous ajoutons que, pour des urgences dûment justifiées – ce sont typiquement les cas que j’évoquais tout à l’heure – et, dans ces cas seulement, on peut déroger aux avis que nous introduisons.

Par conséquent, mesdames, messieurs les sénateurs, si vous supprimez cet article 71, vous en restez au droit actuel, c’est-à-dire que les autorisations préfectorales ne feront l’objet d’aucun avis des conseils municipaux et autres et ne seront pas limitées dans le temps.

Pardonnez-moi de vous le dire, mais une telle position est un tantinet incohérente avec l’ensemble de votre argumentation sur ces sujets... Je voulais simplement attirer votre attention sur ce point. Si nous voulons discuter de textes, qui sont compliqués, parce que l’état du droit l’est aussi, il faut les articuler les uns avec les autres. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Vous n’avez pas entendu ce qu’a dit Mme David !

Mme Annie David. Il fallait venir au Sénat échanger avec nous !

M. Emmanuel Macron, ministre. Tel est l’état d’esprit dans lequel, aujourd’hui, nous ajoutons des éléments à l’article L. 3132-20 du code du travail.

M. le président. La parole est à M. Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Par-delà les problèmes techniques, c’est-à-dire la question du degré de grignotage du repos dominical auquel ce texte nous convie, après d’autres et avant d’autres – la modernisation étant en marche, autant continuer, au nom bien sûr de l’amélioration de la compétitivité ! –, je voudrais attirer votre attention, mes chers collègues, monsieur le ministre, sur deux sujets d’étonnement qui justifient que je vote cet amendement.

Le premier est lié au fait que, depuis déjà quelques siècles et surtout depuis cinquante ans, la productivité du travail a littéralement explosé ; vous le savez comme moi. Il s’en est suivi pendant bon nombre d’années une diminution du temps de travail des salariés. Or, depuis quelque temps, on assiste au mouvement inverse. Aussi, plus le travail est productif, plus on doit travailler ! Je trouve tout de même cela paradoxal, comme je trouve étrange le système qui nous conduit à une telle situation.

La question se pose depuis longtemps. Ainsi, Aristote disait, à propos de l’esclavage, que, quand les métiers tisseront d’eux-mêmes et que les plectres – c'est-à-dire la petite baguette servant à pincer les cordes de la lyre – joueront tout seuls, il n’y aurait plus besoin d’esclaves. (M. le ministre sourit.) Aujourd'hui, les lyres ou les clavecins jouent tout seuls, grâce aux disques, et on continue quand même à travailler un peu plus. Quant aux métiers à tisser, je ne vous fais pas de dessin !

La situation est donc paradoxale, et à trop se perdre dans les détails techniques, on finit par oublier ce que peut avoir d’incongru cette évolution de notre société.

Le second point sur lequel je voudrais attirer votre attention, c’est le présupposé selon lequel il suffit de produire pour avoir des débouchés.

Même les touristes – je reprendrai l’argument développé par mon collègue Desessard – ont un budget limité. Ce qu’ils ne peuvent pas dépenser un jour, ils le dépenseront le lendemain, d’autant que la plupart de ces touristes sont si bien encadrés qu’on sait les amener aux bons endroits pour les rançonner en toute honnêteté !

Voilà où on en est. Je sais bien que se poser, dès le lundi matin, des questions métaphysiques aussi vaseuses peut paraître incongru, mais quelle société est-on en train de fabriquer ? On est en droit de se poser la question. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.

Mme Marie-France Beaufils. J’ai écouté avec attention les différentes interventions, notamment celles de Mme la corapporteur.

Les autorisations en question sont normalement de type dérogatoire. Or une dérogation qui dure trois ans pour des situations exceptionnelles, puisque telle est bien l’idée ici, est tout de même un peu particulière.

Comment justifier de donner une autorisation d’une durée de trois ans à un commerçant pour faire un inventaire ? Un inventaire n’a rien de difficile. J’avoue ne pas très bien comprendre la motivation d’une telle demande.

J’ai examiné attentivement la question. Mme la corapporteur nous dit que, selon les informations qui lui ont été communiquées pour Paris, la très grande majorité des ouvertures ponctuelles peuvent apporter une solution aux difficultés rencontrées par des commerces qui, voisins d’une zone dérogatoire au repos dominical, subissent un préjudice en raison de la concurrence des commerces qui y sont ouverts le dimanche.

On voit bien ainsi que l’ouverture le dimanche fragilise les activités commerciales installées dans les zones proches de celles qui bénéficient de dérogations. En augmentant les possibilités de régime dérogatoire sur trois ans, on est probablement en train d’étendre les zones de demandes dérogatoires qui seront formulées par ceux dont les activités sont situées à proximité de ces zones touristiques particulières.

Étant maire, donc sollicitée chaque année par les commerçants sur les ouvertures le dimanche, je peux vous dire qu’il a fallu s’organiser au sein de notre intercommunalité, de façon que les mêmes enseignes n’ouvrent pas dans des communes différentes et n’accumulent pas les ouvertures.

On voit bien que le contournement de la loi est permanent, et je ne suis pas sûre qu’une simple demande d’avis soit suffisamment contraignante pour limiter, comme vous le dites, monsieur le ministre, la proposition qui nous est faite. C'est pourquoi je pense que notre amendement est totalement justifié.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.

M. Jean-Marc Gabouty. Personnellement, dans une perspective laïque, je suis moins attaché au repos dominical qu’au repos hebdomadaire. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Bricq. Les fêtes carillonnées ont la vie dure en France !