M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vaste programme !

M. Claude Kern. … afin de prendre en compte les conséquences environnementales et sociales de l’activité économique.

Cette réforme reviendrait simplement à faire évoluer les méthodes d’analyse de l’INSEE. Elle n’exigerait pas de loi supplémentaire. A fortiori, l’INSEE pourrait produire ce nouvel indicateur, ce « PIB enrichi » en complément du PIB, au sens classique du terme. Cet indicateur aurait le temps d’asseoir son autorité dans les comparaisons économiques internationales.

Ainsi, je crois bien que notre discussion de ce jour est encore loin d’épuiser le sujet. (M. le secrétaire d’État acquiesce.) Dans cet ordre d’idées, le dispositif proposé par nos collègues écologistes ne me semble pas d’une portée suffisante pour changer notre rapport à la production et notre conception de l’impact des politiques publiques.

Mes chers collègues, pour ces raisons, et même s’ils adhèrent à nombre des constats dressés, les sénateurs du groupe UDI-UC s’abstiendront sur la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC – M. Bruno Retailleau applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Vincent.

M. Maurice Vincent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question de la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques est parfois abordée de manière désinvolte, voire ironique. On fait allusion aux doux rêveurs soixante-huitards, parfois même qualifiés d’« attardés », qui voudraient voir le PIB remplacé par un « bonheur national brut » dont il est facile de dénigrer la naïveté, voire la dangerosité, si l’on va jusqu’à mettre derrière cette notion l’ambition folle d’un État prétendant définir de façon autoritaire le bonheur des individus.

La caricature, même quand elle a l’avantage de susciter le sourire, ne doit pas pour autant nous conduire à sous-estimer l’importance et l’intérêt d’autres approches, plus scientifiques et politiques, celles-là, de cette question.

Je veux rappeler ici, non sans émotion, le talent pédagogique de Bernard Maris, qui soulignait régulièrement qu’il ne contribuait pas beaucoup à l’augmentation du PIB en rejoignant à vélo les locaux de France Inter ou de Charlie Hebdo, contrairement à beaucoup d’autres Franciliens, coincés dans les embouteillages automobiles et donc consommateurs d’essence, produisant de la pollution atmosphérique et alimentant bientôt une industrie anti-pollution.

L’intérêt de cette proposition de loi est d’éviter tout risque de dévoiement, dans la mesure où ses auteurs ne proposent en rien d’abandonner la référence au PIB comme élément essentiel de la préparation et de l’analyse du budget. En effet, les indicateurs suggérés viennent seulement en complément du PIB.

Le texte met ainsi en relation le questionnement scientifique de la notion de PIB et de ses limites, pour mesurer objectivement la croissance économique et précisément dépasser ces limites, connues depuis bien longtemps.

Il conduit à souligner la nécessité, qui sera de plus en plus ressentie dans les années à venir, de rechercher la croissance indispensable en en contrôlant les effets les plus graves sur le devenir à moyen terme de la planète.

Les universitaires et les scientifiques français ont légitimement abordé la question des indicateurs disponibles ou souhaitables pour mesurer plus précisément la croissance économique sous ses aspects quantitatifs et qualitatifs. D’autres chercheurs le font dans le monde, mais les contributions françaises sont à la fois nombreuses et reconnues pour leur qualité, à l’instar des travaux de Dominique Méda, de Jean Gadrey ou de Jean-Paul Fitoussi, pour n’en citer que quelques-uns.

Au moment où se prépare la conférence COP 21 dans notre pays, il est bienvenu de le rappeler. La question de la mesure de la croissance et de sa compatibilité avec la maitrise du réchauffement climatique sera en effet nécessairement à l’ordre du jour de cette conférence.

Au regard de la qualité des travaux scientifiques, l’une des difficultés soulevées par cette proposition de loi porte sans doute sur le nombre, la fiabilité et la qualité des indicateurs susceptibles d’être choisis pour éclairer le débat public, sans pour autant le saturer de chiffres ou de notions qui pourraient relever de l’appréciation subjective.

En retenant les références aux inégalités, à la qualité de vie et au développement durable, un premier tri louable a été opéré. Il reste à la fois à limiter le nombre des indicateurs et à veiller à leur actualisation régulière, sans emporter pour autant des coûts de collecte et de traitement trop importants.

Le dispositif de tableau de bord envisagé me semble pertinent. Je suis personnellement partisan d’un nombre limité d’indicateurs, pas plus d’une dizaine, afin que l’évaluation des décisions budgétaires et des résultats des politiques publiques soit limitée aux questions essentielles et ne se perde pas dans des considérations qui pourraient vite couvrir un champ démesuré.

Le débat démocratique suggéré pour la sélection des indicateurs ne peut pas, lui non plus, être conduit sans organisation - France Stratégie ainsi que le Conseil économique, social et environnemental devront y veiller – d’autant plus que nous disposons déjà de nombreux rapports sur le sujet.

Le contrôle de la liste des indicateurs retenus doit, me semble-t-il, revenir au Parlement, et non être concédée à telle ou telle instance de démocratie participative, si utile soit elle.

Enfin, il me semble que la période proposée – le mois d’octobre – pour la diffusion de ce rapport est adaptée à une bonne prise en considération de ces nouveaux indicateurs dans le débat budgétaire. La logique voudrait que nous en retrouvions toutes les traces dans les études d’impact accompagnant les nouvelles décisions - c’est en tout cas le vœu que je forme -, afin de faciliter les débats sur le projet de loi de finances.

Sur le fond, l’intérêt primordial de cette proposition de loi réside dans la question fondamentale qu’elle aborde : on ne pourra plus, dans les années à venir, établir des budgets annuels sans y intégrer des considérations de moyen et long terme permettant de garantir la soutenabilité de la croissance, que tout le monde recherche.

Tous ces arguments me conduisent donc à vous inviter, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi conforme, c'est-à-dire dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme l’ont rappelé plusieurs d’entre nous, parfois sur un mode gentiment ironique, cette proposition de loi consiste en une demande de rapport, ce qui peut, en effet, sembler bien anecdotique. En réalité, mes chers collègues, ce sont seulement les moyens de l’action parlementaire qui sont anecdotiques et qui ne nous permettent pas, en la matière, d’être plus normatifs. (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)

Le problème abordé ici est pourtant crucial : il s’agit de l’inadéquation de nos outils de gouvernance économique aux besoins de nos concitoyens et aux exigences de notre environnement.

Le seul objectif que nous assignons aujourd’hui à notre économie, c’est la croissance du PIB, conçue comme condition nécessaire et suffisante à la félicité universelle.

Or, si l’on ne considère que lui, le PIB est un assez mauvais indicateur de l’état de notre société. Il mesure une production de richesse, mais ne dit rien de sa répartition, ni de sa qualité, et encore moins de sa durabilité. Une croissance forte peut très bien s’accompagner d’une récession sociale, sanitaire et environnementale.

De plus, l’écrasante omniprésence du PIB dans les discours économiques ne permet pas de penser un monde où la croissance semble, notamment dans nos sociétés les plus développées, atteindre des limites structurelles. C’est que l’indicateur n’est pas seulement un outil d’observation, il oriente les analyses et préfigure les décisions. Pour le dire autrement, en usant d’une métaphore, quand vous ne disposez que d’un marteau, vous vous persuadez rapidement que votre seul problème est un clou ! (Sourires.)

D’autres indicateurs sont donc nécessaires, presque tout le monde en convient désormais, non pour remplacer le PIB, mais pour le compléter. Ils existent, me direz-vous. On en trouve même en très grand nombre dans les documents statistiques, et jusque dans les annexes au projet de loi de finances. Ils sont pourtant largement inexploités dans les analyses économiques et absolument inaudibles dans le débat public.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, lorsque le Parlement débat longuement, à l’automne, du budget du pays, toutes les interventions évoquent l’évolution du PIB. C’est bien normal ! Combien, toutefois, abordent l’évolution des inégalités territoriales, l’évolution des inégalités de revenus ou l’évolution de l’empreinte carbone ? Très peu, vous en conviendrez. Ces indicateurs ne sont pourtant pas moins importants.

L’évolution de l’empreinte carbone, notamment, offre une première approximation de notre impact sur le climat. Or, depuis la publication, il y a bientôt une dizaine d’années, du fameux rapport Stern, même les économistes les plus orthodoxes admettent désormais que le changement climatique se traduira inexorablement – cela se voit déjà ! – par un coût financier monumental, représentatif d’espèces sonnantes et trébuchantes, et d’autant plus élevé qu’il est différé.

S’interroger avec un minimum d’acuité sur l’évolution de notre empreinte carbone lorsque nous établissons le budget public semblerait donc assez naturel !

Quant à la question des inégalités, elle nous ramène à l’actualité électorale. En effet, plusieurs travaux universitaires récents, croisant géographie, cartographie et sociologie politique, démontrent une corrélation positive entre, d'une part, le vote Front National et, d'autre part, la montée des inégalités et de la précarité, particulièrement importante dans certains de nos territoires.

À l’heure où beaucoup déplorent dans la montée du Front National une fatalité, nous tenons là, au contraire, une piste d’action concrète et prometteuse : agir pour résorber les inégalités sociales territoriales. Mais comment s’y atteler, si nous nous focalisons exclusivement sur l’évolution du PIB, dont la croissance est précisément indépendante de celle des inégalités ?

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette proposition de loi, portée avec ténacité par notre collègue députée Eva Sas, qui nous écoute depuis les tribunes et que je salue, a donc l’ambition de contribuer à faire émerger quelques indicateurs complémentaires du PIB, afin qu’ils gagnent en popularité jusqu’à pouvoir aider le Parlement, notamment, à penser des politiques publiques mieux adaptées au contexte de crises multifactorielles dans lequel notre pays se débat.

Ne vous imaginez pourtant pas que cela placerait la France à la tête d’une avant-garde hippie, guidée par le seul « bonheur national brut », un indicateur qui a cours dans ce lointain pays qu’est le Bhoutan. En réalité, cette proposition de loi nous permettrait tout juste de nous inscrire dans les pas de nos voisins anglais, belges et allemands, dont les gouvernements ou les parlements organisent déjà le débat public autour de ces indicateurs complémentaires.

Monsieur le secrétaire d’État, même si ce texte a connu, du temps de vos prédécesseurs, quelques péripéties inattendues à l’Assemblée nationale, je me réjouis que vous nous apportiez aujourd’hui le soutien très clair du Gouvernement, et je ne doute pas que ses auteurs pourront compter sur vous, si le texte était adopté, pour accompagner son ambition dans la durée.

Monsieur le rapporteur, cher Antoine Lefèvre, je tiens à vous remercier très sincèrement d’avoir pris le soin d’examiner ce texte pour ce qu’il est, sans esprit partisan, et je me réjouis que, ce faisant, au-delà de la question de la rédaction, qui pouvait en effet se discuter, vous ayez jugé utile de souligner l’intérêt de cette démarche.

Mes chers collègues, à l’instar de notre commission des finances, je vous invite donc à soutenir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. le rapporteur applaudit également)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la richesse d’un pays se mesure-t-elle à l’usage plus ou moins dispendieux qu’il fait de ses propres ressources ?

C’est en gardant à l’esprit les conclusions de nombreuses réflexions menées depuis une cinquantaine d’années de par le monde, depuis les activités du Club de Rome de Sicco Mansholt, auteur en 1972 d’un ouvrage intitulé Les limites de la croissance, jusqu’aux travaux de la commission Brundtland, du nom de l’ancienne Premier ministre de Norvège, sur le développement soutenable, que nos collègues du groupe écologiste ont jugé utile d’ouvrir un débat sur le contenu et la qualité de la croissance.

La question n’est pas l’existence ou non d’une nouvelle ligne de fracture politique entre partisans de la croissance, de l’activité et de l’égalité des chances économiques, d’une part, et tenants de la décroissance, de l’autre : chacune de ces deux positions développe en elle-même une large palette d’appréciations.

La vérité commande de dire que, tout en reconnaissant l’apport théorique essentiel de grands économistes issus de diverses écoles philosophiques, on ne peut réduire la thématique de la richesse nationale et de son évaluation à la seule qualité d’un appareil statistique, certes de très haut niveau en France, capable de mesurer avec une exactitude presque millimétrique la réalité de la production dite « marchande ».

Notons d’emblée ce formidable paradoxe : c’est bel et bien parce que l’État et la puissance publique se sont emparés de la question de la construction d’un appareil statistique de haut niveau, articulé autour de l’INSEE et de sa propre filière de formation, l’ENSAE, et aujourd’hui largement développé dans de nombreux domaines de l’action publique, que nous disposons d’une capacité de mesure précise des mouvements de la société marchande.

Oui, formidable paradoxe, la qualité du non-marchand se révèle déterminante pour mesurer le marchand !

Le débat sur les nouveaux indicateurs de richesse se pose évidemment avec une acuité particulière dans une société marquée, comme la nôtre, par quelques décennies de mise en déclin de la dépense publique directe ainsi que par le creusement des inégalités sociales, singulièrement des inégalités de patrimoines. Ce débat sous-tend en grande partie un autre débat, celui-là politique et singulièrement parlementaire, notamment quand nous sommes amenés à examiner les textes budgétaires.

Je constate d’ailleurs que France Stratégie, qui remplace l’ancien Commissariat général au plan et qui publie des études d’impact relativement sommaires sur certains aspects des textes gouvernementaux, a lui-même apporté sa pierre à la réflexion que nous invitent à mener nos collègues auteurs de la proposition de loi.

Sept indicateurs ont retenu l’attention de Jean Pisani-Ferry et de son équipe : l’évolution des actifs, incorporels ou physiques, du secteur productif ; la proportion de diplômés de niveau baccalauréat et plus au sein de la population âgée de vingt-cinq à soixante-quatre ans ; l’artificialisation du territoire ; l’empreinte carbone de l’activité économique ; le rapport entre les revenus des 20 % les plus pauvres et des 20 % les plus riches parmi les ménages ; la dette publique nette vis-à-vis du PIB et la dette extérieure nette vis-à-vis du PIB.

On aura constaté l’importance, parmi ces indicateurs, de la dimension incorporelle, ainsi versée au débat public. Cela répond à la nécessité de prendre en compte le niveau de qualification de la main-d’œuvre, générateur par excellence de gains de productivité mesurés par la « productivité apparente du travail », mais aussi la réalité de l’enrichissement en termes incorporels du capital productif disponible.

Soyons clairs, les paramètres retenus par les services de M. Pisani-Ferry ne font pas le compte, car il y manque, à notre avis, quelques éléments clés que nous pourrions voir figurer au sein des critères résumés dans le texte de la présente proposition de loi.

La judicieuse initiative prise par nos collègues du groupe Europe Écologie Les Verts appelle à un débat serein et contradictoire sur ce que nous voulons pour notre pays et son peuple, en des temps troublés où il est de plus en plus évident qu’un décalage existe et s’amplifie entre réalités économiques et sociales et ressenti des populations.

Si ce débat peut d’une certaine manière atténuer les considérations déclinistes en vogue ces derniers temps, ce ne sera pas, au fond, un mal. Encore faut-il qu’il soit mené, et le meilleur moyen de le faire est d’adopter la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Delattre.

M. Francis Delattre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la prise en compte d’indicateurs de richesse autres que la croissance du produit intérieur brut dans l’élaboration des politiques publiques, notamment des lois de finances, est en réalité une question technocratique récurrente dans le débat public, mais qui, pour autant, recèle des enjeux majeurs, et je rejoins ici nombre d’intervenants.

Il s’agirait notamment de prendre en compte des indicateurs écologiques et sociaux, des indicateurs tenant au développement durable, à la qualité de vie ou encore aux inégalités.

J’insisterai sur les inégalités.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les inégalités se creusent dans ce pays.

Prenez l’école : selon votre lieu de résidence, vous aurez plus ou moins de chance de réussir dans la vie. L’égalité des chances devient ainsi en simple slogan, vide de tout contenu.

Prenez le logement, secteur dont on dit qu’il est en crise : l’accès des jeunes au logement est très difficile. Il s’agirait de rompre avec cette aide à la pierre dont nous connaissons tous les effets maléfiques et qui, la plupart du temps, n’a d’autre effet que de faire grimper les prix, rendant encore plus difficile l’accès au logement pour les primo-accédants.

Prenez la sécurité, autre sujet important : le nombre d’agents de sécurité privée excède, en France, celui des policiers travaillant dans les commissariats ! Aussi certaines résidences font-elles l’objet d’une surveillance permanente tout au long de la nuit, grâce à des gardiens à demeure, tandis que les résidents des logements sociaux en sont réduits à attendre parfois plusieurs heures l’intervention de la brigade anti-criminalité, après des incidents souvent graves.

La question des inégalités territoriales, qui ne se pose pas seulement pour les territoires ruraux, mérite aussi d’être citée.

En région parisienne, et je le dis devant M. Roger Karoutchi,…

M. Roger Karoutchi. Je n’y suis pour rien ! Voyez le Gouvernement !

M. Francis Delattre. … l’organisation d’un noyau dur, très riche, et de départements de la grande couronne relégués soulève une véritable interrogation. Là aussi se créent de nouvelles inégalités.

Mon département, qui compte tout de même 1,3 million d’habitants, ne dispose, sur son territoire, d’aucune classe préparatoire aux grandes écoles. Les étudiants issus de ce département sont donc contraints de louer un studio à Paris, s’ils veulent accéder aux lycées parisiens accueillant ces classes préparatoires.

Il convient d’évoquer aussi les inégalités d'accès à l’emploi et les difficultés que rencontrent dans ce domaine tous les jeunes de ce pays, confrontés qu’ils sont aux rigidités du marché du travail, même lorsqu’ils sont diplômés.

En réalité, mes chers collègues, les inégalités seront l’un des grands thèmes des prochaines échéances électorales nationales. Aussi, ces questions, qui sont posées - au demeurant très habilement - par les auteurs de la proposition de loi, ne sauraient être balayées d’un revers de main. Telle est la raison pour laquelle nous regrettons que le dispositif de la proposition de loi, dont nous anticipons qu’il se traduira par un rapport, un de plus, soit bien insuffisant au regard de l’objectif.

Le critère unique de la croissance du produit intérieur brut, sur lequel sont bâties les lois de finances, peut souvent apparaître déconnecté des réalités. Ainsi, alors que, depuis la crise, les familles composent avec une dégradation généralisée de leur pouvoir d’achat, le PIB ne cesse de croître, même si son taux d’augmentation a été faible et parfois même égal à zéro.

Cette incapacité du PIB à rendre compte des réalités vécues par nos concitoyens creuse un véritable fossé entre un certain discours politique – on nous assure que la situation économique s'améliore - et le ressenti des Français, de plus en plus sceptiques quant à la réalité de l’efficacité des politiques publiques qui leur sont proposées.

Dans ce contexte, il pourrait être utile de disposer de nouveaux indicateurs permettant de nuancer les discours en fonction du ressenti réel de nos concitoyens. Je pense au logement, à la santé, à l’emploi, à l’accès à des écoles performantes ou encore à la qualité de la formation professionnelle.

Autre exemple, l’inégalité liée à la ruralité ou à cette « rurbanité » que je connais dans mon département est un critère non négligeable pour nombre de Français qui se sentent abandonnés, et doit à ce titre être prise en compte dans l’élaboration des politiques publiques.

À l’inverse, en milieu urbain, notamment dans la région parisienne, le logement est essentiel, car il impacte directement le niveau de vie des salariés. Ainsi, les habitants de ce pays consacrent au financement de leur logement 50 % de plus de leur salaire que les citoyens allemands. Et c’est aussi la cause d’un autre problème économique, puisque c’est autant de moins de pouvoir d’achat que nos concitoyens consacrent à la consommation et, par conséquent, à la croissance.

La question du coût des transports dans les zones rurales, mais aussi dans les grandes agglomérations, selon que l’on habite dans le centre ou en banlieue, est également digne d’intérêt, mais n’est pas assez prise en compte. Les dispositifs de péréquation, que nous mettons en place gaillardement ici, sur la base de chiffres et de statistiques, ne prennent pas assez en compte cet aspect.

Les villes moyennes de région parisienne contribuent – nous l’observons - au financement des villes moyennes de province, mais la question du coût des transports n’est pas assez prise en compte dans l’élaboration de cette politique de péréquation, de même que les difficultés d’accès à des services présentant des conditions correctes de fonctionnement.

Dès 2008, le sujet qui nous réunit ici a fait l’objet d’une réflexion menée par la commission Stiglitz. Cette commission a traité de la mesure des performances économiques et du progrès social en veillant à éviter une approche trop quantitative ou trop comptable de la mesure des performances collectives du pays et à élaborer de nouveaux indicateurs de richesse. L’initiative de cette démarche avait été prise – je le rappelle pour finir de mettre de bonne humeur certains ici –, par l’ancien Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, le 8 janvier 2008.

Cette commission était composée, notamment, de cinq prix Nobel d’économie, dont M. Stiglitz, économiste américain de renom, et le professeur Amartya Sen, de Harvard, ainsi que l’économiste français Michel Fitoussi, président de l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques.

La Commission, dans un rapport de septembre 2009, avait également remis en cause la pertinence de l’évolution du PIB en tant qu’indicateur de performance et de progrès et avait proposé, elle aussi, de prendre en compte de nouveaux indicateurs.

Aujourd’hui, et c’est toute la difficulté, chacun s’accorde à penser que de nouveaux indicateurs sont nécessaires, mais nous n’en percevons concrètement aucun.

Ce sujet fait également l’objet d’un examen attentif du Conseil économique, social et environnemental, qui travaille en ce moment même sur cette question.

Si donc tout le monde s’attelle au sujet des indicateurs de richesse, vous obtiendrez peut-être satisfaction, monsieur le rapporteur, au cours des semaines ou des mois à venir. Pour autant, il est difficile de souscrire à l’objectif sans considération pour le dispositif de la proposition de loi, modeste au point d’être inexistant…

En Allemagne, neuf indicateurs de richesse alternatifs au PIB ont été élaborés par une commission parlementaire spéciale, transpartisane, et prenant en compte non seulement l’économie, mais aussi l’écologie et la qualité de vie.

Qu’attend-on, monsieur le secrétaire d’État, pour mener en France un travail de même nature ? Vous me direz que pareille tâche incombe aux assemblées. Vous aurez raison : nous sommes sur le point de soumettre des propositions en ce sens au président du Sénat.

Néanmoins, comme l’a très bien souligné, en commission des finances, M. le rapporteur général, tout comme notre rapporteur, Antoine Lefèvre, que notre groupe tient à féliciter pour la qualité du travail accompli, la rédaction de la présente proposition de loi n’est pas pleinement satisfaisante. La date de remise du rapport, en outre, n’est pas des plus opportunes. Il reste notamment, encore, à définir un cadre plus précis. Pour autant, des propositions qui nous paraissent intéressantes ont été formulées.

Il serait préférable de mesurer l’impact des lois de finances sur les indicateurs de richesse au moment de la discussion du projet de loi de règlement, qui présente le résultat de l’année précédente, plutôt qu’au moment d’établir des prévisions pour l’année suivante. La discussion du projet de loi de règlement coïncide en outre avec les discussions inhérentes à la transmission à Bruxelles du programme de stabilité et de croissance, avec son programme national de réformes. Ce moment serait donc sans doute le plus approprié.

L’impact ainsi mesuré permettrait de tirer des leçons utiles au débat d’orientation sur les finances publiques en vue de la préparation du budget suivant.

Nous ne pouvons donc que saluer les propositions de M. le rapporteur et encourager la Haute Assemblée à travailler sur ces données objectives et quantifiables.

Les informations recueillies apporteraient également un éclairage utile pour juger des péréquations horizontales : la mise à jour de tous ces indicateurs permettrait certainement de lever bien des injustices en la matière. De ce point de vue-là aussi, je ne peux que nous encourager à persévérer !

En conclusion, si notre groupe, dans sa majorité, n’est pas du tout hostile à l’objectif de la présente proposition de loi et y est même tout à fait favorable, il ne veut pas non plus délivrer un blanc-seing au Gouvernement sur un texte franchement trop descriptif. Un rapport, encore un rapport ! Notre souhait est plutôt de passer à l’action.

Dans cette attente, nous allons aujourd’hui, majoritairement, nous abstenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.