M. Gilbert Barbier. Je demande la parole pour un rappel au règlement, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. J’estime que ma probité a été mise en cause par un certain nombre de nos collègues, qui me soupçonnent d’agir pour le compte de je ne sais quels groupes – qu’ils ont désignés, notamment M. le rapporteur… (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Chère collègue, vous me connaissez mal !

Vous avez laissé entendre que j’agissais pour le compte du MEDEF. Je suis parlementaire depuis 1978, j’ai déposé cet amendement après avoir consulté mon groupe, et personne d’autre ! Or vos propos sous-entendaient que des forces occultes auraient inspiré cet amendement.

J’avais travaillé avec Nicolas About lorsqu’il a déposé sa proposition de loi : son texte mentionnait les concubins. Vous pouvez consulter Mme Delaunay pour lui demander si elle pense que le concubinage ne doit pas être pris en compte par le dispositif, mais je pense que tel n’est pas le cas.

Le rôle du Sénat consiste à faire en sorte que les lois adoptées soient à peu près correctement rédigées plutôt que partiellement abouties, même s’il n’y parvient pas toujours. Nous pourrions adopter sans modification tous les textes qui nous viennent de l’Assemblée nationale, ce serait aller dans le sens des partisans du monocamérisme qui rêvent de supprimer notre assemblée. Tel n’est pas mon point de vue ! J’essaie donc de réaliser un travail technique relativement approfondi et je n’ai besoin de personne pour m’aider à rédiger mes amendements ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées de l’UMP. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre. Vous m’accorderez, monsieur Barbier, que je n’ai pas mis en cause l’esprit de vos amendements. (M. Gilbert Barbier marque son approbation.) Permettez-moi cependant d’apporter encore quelques arguments au débat.

Je suis toujours très heureux de pouvoir constater que le Sénat est sensible aux évolutions de la société et la prise en compte des concubins me semble effectivement une bonne chose, personne ne dira le contraire ! M. le sénateur Desessard a cité Voltaire, mais il a eu raison, car le mieux est parfois l’ennemi du bien.

Vous invoquez Mme Delaunay, mais permettez-moi de vous rappeler que la présente proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, sous l’impulsion du ministre Xavier Bertrand. Sur de tels sujets, l’unanimité est toujours difficile à obtenir, non pas en raison de divergences d’analyse, mais du fait de la volonté de chacun d’apporter des améliorations.

Vous dites que vous allez améliorer le texte, et vous avez raison, dans votre logique de parlementaire, mais peut-on faire mieux que ce qui a été approuvé par les députés à l’unanimité ? Le Sénat peut toujours amender, mais ne risque-t-il pas ainsi de rouvrir le débat ? Je sais que telle n’est pas l’intention du sénateur Barbier, mais vous savez très bien que, quand le texte sera de nouveau soumis à l’Assemblée nationale, certains députés voudront à nouveau modifier la durée des congés en fonction du degré de parenté – c’est la raison pour laquelle l’accord à l’unanimité n’était intervenu que pour les enfants, les père et mère et le conjoint.

Il faudrait évidemment ajouter les concubins au dispositif. Je me suis renseigné pour savoir si un amendement en ce sens pourrait être déposé dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais cela semble risqué.

Vous prenez la responsabilité de rouvrir le débat, en toute bonne foi. Je vous indique seulement que mon prédécesseur, à l’époque, avait mis beaucoup de temps pour obtenir l’unanimité sur cette question, comme il en avait fallu beaucoup également entre l’adoption de la proposition de loi du sénateur About et le vote à l’unanimité de l’Assemblée nationale. Je respecte les prérogatives des parlementaires, je l’ai suffisamment prouvé, mais j’attire votre attention sur le risque que vous prenez.

En ce qui concerne la maîtrise du calendrier législatif par le Gouvernement, c’est un mauvais argument, car vous savez parfaitement que les semaines qui lui sont réservées sont très encombrées : certains groupes politiques au Sénat ont même cédé une partie de leur temps réservé au Gouvernement pour faciliter l’adoption de textes. Dans le cas présent, vous invoquez cet argument pour masquer votre refus de voir appliquer cette mesure.

Enfin, certains ont estimé qu’il n’était pas possible de changer de position entre le vote en commission et la discussion en séance publique. Permettez-moi d’observer que vous avez déjà changé de position entre deux réunions de commission, ce qui est tout à fait votre droit !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE.

Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 116 :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 318
Pour l’adoption 198
Contre 120

Le Sénat a adopté.

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Barbier et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – Le 6° de l’article L. 3142-1 du code du travail est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« 6° Trois jours pour le décès du père ou de la mère ;

« 7° Un jour pour le décès du beau-père, de la belle-mère, d’un frère ou d’une sœur. »

La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Après la longue discussion que nous venons d’avoir – j’ai entendu la remarque de M. le ministre sur le « parent proche » –, je retiens qu’il serait peut-être un peu délicat de modifier la durée du congé exceptionnel en fonction du degré de parenté. Je retire donc l’amendement.

Reste que je souhaite que, dans un prochain texte, nous puissions revenir sur la question des congés exceptionnels accordés pour le décès du père ou de la mère.

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant ou d'un conjoint
Intitulé de la proposition de loi

Article 2

(Suppression maintenue)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant ou d'un conjoint
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Intitulé de la proposition de loi

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Barbier et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant, d'un conjoint ou d'un parent proche

Cet amendement a été précédemment retiré par son auteur.

Vote sur l’ensemble

Intitulé de la proposition de loi
Dossier législatif : proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant ou d'un conjoint
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. Le groupe socialiste, tout en regrettant le retard qu’entraînera l’adoption de l’amendement de notre collègue Gilbert Barbier, votera la proposition de loi.

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Le groupe écologiste votera la proposition de loi, tout en regrettant également le retard pris du fait de l’adoption de l’amendement n° 1 rectifié.

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.

M. Jean-Noël Cardoux. Je tiens à rendre hommage à notre collègue Gilbert Barbier, qui a eu la sagesse de retirer son amendement n° 2 rectifié. Cela facilitera une adoption rapide à l’Assemblée nationale, car je pense que tout le monde sera à peu près d’accord sur l’ajout du terme « concubin ». Prenez ce geste en considération, monsieur le ministre, et essayez de faire inscrire le texte très rapidement à l’Assemblée nationale.

Le groupe UMP votera bien entendu la proposition de loi ainsi modifiée.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d’un enfant ou d’un conjoint.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant ou d'un conjoint
 

9

Dépôt de documents

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la contre-expertise de l’évaluation socio-économique du projet de construction du réseau de transport public du Grand Paris/Tronçon Olympiades-aéroport d’Orly (ligne 14 sud), accompagnée de l’avis du Commissariat général à l’investissement.

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis à la commission des affaires économiques, à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, ainsi qu’à la commission des finances.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

10

Lutte contre le terrorisme

Adoption d’une proposition de résolution européenne

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des lois et de la commission des affaires européennes, de la proposition de résolution européenne présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du règlement, relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l’adoption d’un Acte pour la sécurité intérieure de l’Union européenne, par M. Jean Bizet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 350, rapport et texte de la commission n° 369).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Bizet, auteur de la proposition de résolution, au nom de la commission des affaires européennes.

 
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du règlement, relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un Acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne
Discussion générale (fin)

M. Jean Bizet, auteur de la proposition de résolution, au nom de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre pays a été frappé par de terribles attentats terroristes au mois de janvier. Peu de temps après, des attentats ont été déjoués en Belgique. Malheureusement, le Danemark a également été visé par des attaques meurtrières en février et les récents attentats de Tunis rappellent tragiquement, s’il en était besoin, que le voisinage immédiat de l’Europe est lui-même la cible du terrorisme djihadiste.

Après le moment de deuil et d’unité nationale qui s’est manifesté en France et en Europe, le temps est venu d’examiner les mesures de nature à combattre avec fermeté et détermination le terrorisme. La dimension européenne de ce combat est essentielle. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York, puis ceux de Madrid en 2004 et de Londres en 2005, l’Union européenne s’est dotée d’une stratégie et d’outils pour renforcer la lutte contre le terrorisme. On a malheureusement le sentiment que l’Europe pèche encore dans la concrétisation opérationnelle des objectifs qu’elle affiche dans ce domaine.

Dès janvier, la commission des affaires européennes, en lien avec la commission des lois, a décidé de passer en revue les différents dispositifs européens susceptibles de contribuer à la lutte contre le terrorisme, de les évaluer et d’envisager les pistes d’amélioration ou de renforcement. Dans le même temps, la commission d’enquête, coprésidée par Nathalie Goulet et André Reichardt, a mené des investigations sur les réseaux djihadistes. Elle a conclu ses travaux hier sur le rapport de notre collègue Jean-Pierre Sueur. Le Sénat manifeste ainsi sa forte mobilisation au service de la sécurité de nos concitoyens.

Au cours des dernières semaines, notre commission a entendu six communications : sur la création d’un PNR – passenger name record – européen, avec Simon Sutour ; sur le renforcement de l’espace Schengen, avec André Reichardt ; sur les déchéances de nationalité, avec Michel Mercier ; sur la création d’un parquet européen, avec Jean-Jacques Hyest et Philippe Bonnecarrère ; sur le renforcement de la coopération policière européenne notamment à travers Europol, avec Michel Delebarre et Joëlle Garriaud-Maylam ; sur la lutte contre la propagande terroriste sur internet, avec Colette Mélot et André Gattolin. Je veux remercier très sincèrement l’ensemble des rapporteurs de s’être mobilisés très rapidement. Ils nous ont livré des analyses très fines de l’état du droit et des pratiques dans les domaines qu’ils ont traités. Ils ont aussi formulé des propositions très pertinentes, qui ont donné lieu à des échanges fructueux au sein de la commission.

À partir de ces différentes contributions, la proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui a été élaborée. Elle a fait l’objet d’une concertation approfondie entre les différents rapporteurs et avec la commission des lois.

Je veux remercier chaleureusement le président Philippe Bas et l’ensemble de la commission des lois de leur investissement dans cette démarche. Permettez-moi de saluer tout particulièrement le travail effectué par Jean-Jacques Hyest, qui va nous présenter dans un instant son rapport. Comme à son habitude, il a procédé à un examen approfondi et rigoureux du texte. À son invitation, la commission des lois a entériné la proposition que nous avions préparée. Cette convergence de vues entre nos deux commissions mérite d’être relevée ; elle n’est pas nouvelle. La commission des lois a toutefois jugé préférable de dissocier du texte les deux points qui concernaient les déchéances de nationalité. Cette décision a suscité en moi une certaine émotion, mais les grandes douleurs sont muettes… (Sourires.)

Notre collègue Michel Mercier, fort de son expérience de garde des sceaux, nous avait livré une analyse remarquable des conventions européennes et internationales applicables dans ce domaine. Je veux l’en remercier. Nous nous rangeons néanmoins aux arguments juridiques du rapporteur, qu’il vous exposera dans un instant et qui ont reçu l’assentiment de Michel Mercier.

Je veux souligner que cette question devra nécessairement être reprise dans un autre cadre. Nos concitoyens nous le demandent. Avoir la nationalité française est un honneur, permettez-moi de le souligner. Cela emporte non seulement des droits, mais aussi des devoirs. Ceux qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État ou qui commettent des attaques terroristes n’en sont pas dignes.

Le rapporteur nous présentera plus en détail le contenu de la proposition de résolution européenne. Pour ma part, j’insisterai sur la philosophie qui l’anime.

Le terrorisme porte une atteinte directe aux valeurs fondamentales de l’Union européenne. Au nom de ces valeurs, les citoyens sont en droit d’exprimer des attentes fortes quant à leur sécurité. Une menace terroriste grave et sans doute durable pèse désormais sur les sociétés européennes. Elle justifie une réponse commune de façon urgente. Dans le même temps, chacun est bien conscient qu’une réflexion doit être conduite sur les causes profondes du phénomène terroriste et sur les moyens d’y remédier dans la durée. Pour cela, il faut des actions communes, notamment dans le domaine éducatif.

Pour tous ces motifs, il nous paraît nécessaire de promouvoir une action antiterroriste commune. C’est ce que nous avons dénommé « Acte pour la sécurité intérieure de l’Union européenne ». C’est bien l’idée que l’Union doit s’engager par une série d’initiatives législatives ou opérationnelles. C’est ainsi qu’elle jouera tout son rôle pour assurer la protection de ses citoyens face à la menace terroriste.

Je veux insister sur l’importance de la coopération policière et judiciaire.

Nous disposons d’un outil intéressant avec l’agence Europol, à laquelle nous avons rendu visite l’an passé. Il faut mieux l’utiliser.

Eurojust, que nous avons également visitée, doit aussi monter en puissance.

Nous avons besoin d’un parquet européen. Le Sénat veut que ce parquet soit collégial et décentralisé – nous nous étions penchés sur cette question, voilà quelque temps, sous l’autorité de Simon Sutour. Ses compétences doivent être étendues à la lutte contre la criminalité grave transfrontière. Les réseaux criminels et terroristes se moquent des frontières. L’action policière et judiciaire pour les mettre hors d’état de nuire ne doit pas être entravée par les cloisonnements entre États membres

Le contrôle aux frontières extérieures doit être renforcé, notamment à travers l’agence FRONTEX. Nous voulons des gardes-frontières européens. Le Sénat le demande depuis longtemps. André Reichardt l’a souligné, il faut aussi réviser le code frontières Schengen pour faciliter les contrôles qui s’imposent.

Il est urgent de mettre en place un mécanisme européen de recueil des données sur les passagers des vols aériens, un système PNR européen. Nous avons plaidé dans ce sens auprès de nos collègues du Parlement européen, que nous avons rencontrés la semaine passée à Bruxelles. Sur le rapport de Simon Sutour, le Sénat a pris clairement position pour un tel mécanisme tout en l’assortissant de toutes les garanties pour la protection des données personnelles.

À Bruxelles, nous avons aussi rencontré le coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove. Il nous a confirmé la réalité de la menace que nous connaissons. Je retiens de cet entretien que la volonté ferme affichée par les États membres pour agir ensemble ne se traduit malheureusement pas suffisamment sur le plan opérationnel. D’où un accueil très positif fait à la démarche du Sénat et à la proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui.

Nous sommes sous une menace constante. Pourtant, il ressort de nos contacts avec M. de Kerchove et M. Claude Moraes, président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen, qu’il existe une carence au niveau européen sur la coordination et l’échange des informations. Il faut y remédier de façon urgente.

L’entretien que nous avons eu avec M. Moraes et une députée européenne néerlandaise a été assez tendu. Ce jour-là, à Bruxelles, nous étions dans notre rôle pour bien leur faire comprendre l’urgence de la demande et l’attente de la population française sur cette question. Il nous a semblé quand même que le Parlement européen n’était pas tout à fait conscient de ce qui se passait sur son territoire.

Internet est malheureusement utilisé pour faire l’apologie de la violence terroriste. C’est pourquoi nous souhaitons impliquer davantage les acteurs privés de l’internet dans la lutte contre le terrorisme. Nos collègues André Gattolin et Colette Mélot se sont penchés attentivement sur ce dossier.

Plus de coopération internationale est aussi nécessaire. Aucun pays ne peut vaincre seul ce fléau du terrorisme. Une mobilisation internationale est indispensable. Tous les instruments doivent être pleinement utilisés et régulièrement évalués. C’est ce que nous demandons.

Avant de conclure, je veux insister sur le rôle de la coopération entre les parlements nationaux pour faire progresser la lutte contre le terrorisme. En la matière, unir nos forces est plus que jamais nécessaire. Les citoyens nous le demandent.

Nous sommes tous d’accord pour dire que la sécurité est une responsabilité éminente des États. Le traité le rappelle à juste titre. Mais, dans le respect des compétences étatiques, la coopération européenne peut jouer un rôle appréciable. C’est pourquoi, avec le président Gérard Larcher, nous avons pris l’initiative d’associer d’autres parlements nationaux à la démarche du Sénat. Une réunion parlementaire européenne sur la lutte contre le terrorisme s’est tenue lundi dernier. Plusieurs de nos collègues étaient présents, je les en remercie. Les assemblées d’États membres de l’Union européenne ayant été confrontés à des actes terroristes étaient représentées : le Bundesrat allemand par M. Friederich, que nous connaissons bien ici, le Parlement danois, les Cortes espagnols, la Chambre des Lords britannique, représentée par notre ami lord Boswell. La Saeima de Lettonie, pays qui assure la présidence de l’Union européenne, était également représentée.

Une déclaration commune rappelant les principes fondamentaux et les actions prioritaires au niveau européen a conclu cette réunion. Nous avons ainsi souligné la solidarité et l’engagement des parlements nationaux. Nous avons envoyé un signal fort aux institutions européennes afin qu’elles prennent rapidement les décisions nécessaires.

Ce sera la responsabilité des parlements nationaux de suivre les décisions qui seront prises au niveau européen – c’est en quelque sorte ce que nous connaissons tous, à savoir le service « après-vote ». Ils devront s’assurer que la volonté existe et qu’elle se traduit dans les faits par des actions réellement opérationnelles.

Toute défaillance de l’Union européenne pour apporter les réponses adéquates en soutien de l’action des États membres ne serait ni comprise ni acceptée par nos concitoyens.

Telles sont les précisions que je souhaitais apporter au début de notre débat. Telle est la démarche qui nous a guidés dans l’élaboration de ce texte. Je tiens une nouvelle fois à souligner qu’il s’agit d’un travail collectif, sérieux et approfondi.

En adoptant cette proposition de résolution européenne, le Sénat adressera au Gouvernement une contribution de nature à mieux protéger les citoyens. Je suis persuadé qu’il recevra notre message cinq sur cinq. (Applaudissements sur la plupart des travées.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les États membres de l’Union européenne font face à une menace terroriste qui s’est récemment aggravée. Ils sont en particulier confrontés au départ de certains de leurs ressortissants ou de leurs résidents, parfois mineurs, vers des zones où opèrent des groupes terroristes. Le retour de ces personnes soulève des questions de sécurité pour l’ensemble des États membres.

Je rappelle que l’Union européenne est déjà intervenue en matière de terrorisme à de nombreuses reprises.

À l’aune des évolutions récentes des menaces, la commission des affaires européennes a étudié les différents domaines dans lesquels le cadre juridique ou la coopération actuels pourraient être améliorés.

La présente proposition de résolution européenne, présentée en application de l’article 88-4 de la Constitution, incite les institutions de l’Union européenne à adopter un acte législatif portant sur une législation antiterroriste commune, dénommé Acte pour la sécurité intérieure de l’Union européenne. Le texte préconise en premier lieu d’améliorer les mécanismes existants. Il propose en second lieu des modifications du cadre juridique.

J’évoquerai tout d’abord la nécessité de mieux faire fonctionner les mécanismes existants.

En matière de coopération policière et judiciaire, le texte souligne l’importance d’Europol et d’Eurojust dans la lutte contre le terrorisme et appelle à une amélioration du fonctionnement de ces deux structures, en insistant sur le fait que la transmission d’informations par les États devrait être plus systématique.

En outre, les auteurs de la proposition de résolution estiment qu’il est nécessaire de renforcer les moyens matériels de ces deux structures.

Le bilan d’Eurojust témoigne effectivement d’une coopération entre États encore trop faible puisque Eurojust ne traite aujourd’hui que 1 576 dossiers, à grande majorité bilatéraux, alors que tout l’intérêt de cette structure est de traiter des dossiers impliquant plusieurs États. J’ajoute que, en 2013 – année des dernières statistiques disponibles –, seuls dix-sept dossiers ont été enregistrés par Eurojust sur le sujet du terrorisme.

De plus, les équipes communes d’enquête, qui favorisent l’échange d’informations sans passer par les canaux traditionnels de l’entraide judiciaire, sont encore peu utilisées.

Le code frontières Schengen, dans sa rédaction actuelle, donne de larges marges de manœuvre aux États membres.

Les auteurs de la proposition de résolution souhaitent ainsi que, à droit constant, des « indicateurs de risque appliqués uniformément par les États membres » permettent d’exercer des contrôles approfondis de ressortissants de l’espace Schengen lorsqu’ils y entrent ou en sortent. Le texte appelle à juste titre à poursuivre la politique de prévention de la radicalisation.

La première stratégie de l’Union européenne visant à lutter contre la radicalisation et le recrutement de terroristes date de 2005. En 2010, un programme plus complet, mêlant approche policière et approche préventive, a été développé par le biais de groupes thématiques dédiés à différents aspects de la lutte contre la radicalisation. L’efficacité de cette initiative est en grande partie liée à la participation effective des États membres.

Enfin, la proposition de résolution rappelle l’importance d’une diplomatie active de l’Union européenne à l’égard des pays tiers, voisins de l’Union européenne ou limitrophes de zones où opèrent des groupes à caractère terroriste. Les pays du Maghreb doivent ainsi faire l’objet d’une attention toute particulière.

J’évoquerai maintenant les évolutions du cadre juridique proposées.

Les délégations de l’Union européenne du service européen pour l’action extérieure restent aujourd’hui très orientées sur la politique de développement et de coopération et sont effectivement peu sensibilisées aux questions de sécurité.

Par ailleurs, le texte propose de faire évoluer le cadre juridique actuel.

L’Union européenne veille à l’élaboration d’une définition uniforme et exhaustive du terrorisme par les États. Ainsi, la décision-cadre du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme donne une définition précise du terrorisme, empruntée aux traditions des États membres. Cette directive a été révisée et complétée par la décision-cadre du 28 novembre 2008 afin d’ajouter aux infractions terroristes de nouveaux comportements, essentiellement l’apologie d’actes terroristes et le prosélytisme en faveur de tels actes. À cet égard, je rappelle que le Parlement français a voté une loi en novembre 2014 qui répond à ces objectifs.

Toutefois, le phénomène nouveau de nationaux ou de résidents européens s’enrôlant dans des groupes terroristes, identifié comme une menace particulière par l’ONU dans la résolution n° 2178 du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité, justifie des évolutions du cadre juridique.

J’observe qu’un comité sur les combattants terroristes étrangers et les questions connexes a été constitué le 21 janvier 2015 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe pour rédiger un protocole additionnel à la convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, afin de prendre en compte la résolution du Conseil de sécurité précitée.

Il est difficile de procéder à une réforme rapide du code frontières Schengen. Cependant, comme le proposent les auteurs de la proposition de résolution, il serait plus efficace pour les États de pouvoir effectuer des contrôles permanents sur les personnes définies par les critères objectifs évoqués ci-dessus. Il est donc effectivement nécessaire de réformer le code frontières Schengen pour le permettre. Cette réforme sera nécessairement longue, et il ne faut pas que, à cette occasion, l’équilibre général du code soit lui-même modifié.

L’espace Schengen a suscité, il convient de le rappeler, le développement d’un système d’information commun, plus efficace qu’une juxtaposition de systèmes indépendants.

La proposition de résolution appelle en outre à l’adoption rapide de la directive relative à la mise en œuvre d’un PNR européen, en la présentant comme une mesure indispensable pour lutter efficacement contre le terrorisme. Le PNR est un système d’exploitation et de partage des données des dossiers passagers, c’est-à-dire des données recueillies par les transporteurs lors de la réservation commerciale.

Le PNR européen désigne en réalité un mécanisme de coopération entre des PNR nationaux et non la création d’un instrument européen unique. Comme nous l’avons souvent dit, notamment à l’intention de ceux qui seraient réticents à l’instauration d’un tel système, alors que le PNR est exigé par les compagnies aériennes à destination des États-Unis, il n’existe toujours pas de transmission des informations au sein de l’Europe. Avouez que ce paradoxe est difficilement acceptable.

Un premier projet de directive de la Commission européenne en date du 6 novembre 2007 a finalement été abandonné. Une nouvelle proposition de directive est en cours de discussion au Parlement européen, comme vient de l’indiquer M. Bizet.

Je rappelle que, dans sa résolution du 15 mars 2015, le Sénat a appelé à l’adoption rapide de cette directive en constatant que le système proposé respectait les droits des personnes concernées. C’est bien entendu une préoccupation que nous devons avoir en permanence.

Le texte propose aussi de modifier le rôle de l’agence européenne pour la gestion des frontières extérieures, l’agence FRONTEX, en lui confiant un rôle particulier dans la lutte contre le terrorisme. Cette recommandation rejoint les conclusions du Conseil sur le terrorisme et la sécurité des frontières des 5 et 6 juin 2014 invitant à développer le rôle de FRONTEX en ce sens. Elle répond aux préoccupations suscitées par le retour de nationaux ou de résidents ayant rejoint des zones où opèrent des groupes terroristes.

La création d’un corps de gardes-frontières européens serait quant à elle une évolution majeure.

Enfin, le texte appelle à mettre en place un parquet européen en application de l’article 86, paragraphe 4, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et estime nécessaire d’étendre « sans délai » les compétences de ce parquet européen à la criminalité grave transfrontière. Nous avons toujours été d’ardents militants d’un parquet européen, mais tel n’est pas le cas de tous les pays.

Lors de son examen par la commission des lois, la proposition de résolution a été largement approuvée. Ses auteurs rappellent que la lutte contre le terrorisme s’inscrit nécessairement dans le cadre du respect des valeurs de l’Union européenne et de l’État de droit. À juste titre, la proposition de résolution insiste sur l’importance de mieux faire fonctionner ou d’améliorer à droit constant les dispositifs existants, en renforçant l’implication des États.

Toutefois, il peut être observé que la coopération entre Eurojust et Europol est également largement perfectible. Ainsi, Eurojust n’accède pas de manière privilégiée aux fichiers d’analyse d’Europol, notamment à ceux qui sont dédiés à la lutte contre le terrorisme. Il conviendrait donc de réviser rapidement la convention entre ces deux structures afin d’améliorer leur intégration.

En revanche, sur mon initiative, la commission a estimé que les dispositions de la proposition de résolution relatives au droit de la nationalité des États membres, qui rappellent simplement la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et le droit international applicable en matière de nationalité, ne relèvent pas du périmètre d’une résolution européenne, dans la mesure où l’Union européenne n’est que très indirectement concernée par le droit de la nationalité des États membres. La commission des lois a donc décidé de supprimer ces dispositions.

La commission des lois soumet donc à la délibération du Sénat le texte ainsi établi pour la proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)