Sommaire

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

Secrétaires :

MM. Bruno Gilles, Jackie Pierre.

1. Procès-verbal

2. Organisme extraparlementaire

3. Décisions du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité

4. Questions orales

habitat adapté aux personnes adultes en situation de handicap

Question n° 1043 de Mme Catherine Morin-Desailly. – Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes ; Mme Catherine Morin-Desailly.

situation du groupe hospitalier public du sud de l'oise

Question n° 1029 de Mme Laurence Cohen. – Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes ; Mme Laurence Cohen.

avenir de l'aérodrome de mende-brenoux

Question n° 1021 de M. Alain Bertrand. – Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes ; M. Alain Bertrand.

situation du groupe hospitalier public du sud de l'oise

Question n° 1033 de M. Jean-Pierre Bosino. – Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes ; M. Jean-Pierre Bosino.

enfouissement des voies ferrées à sainte-eulalie

Question n° 1042 de M. Philippe Madrelle. – Mme Pascale BOISTARD, secrétaire d’État chargée des droits des femmes ; M. Philippe Madrelle.

lutte contre les mutilations sexuelles féminines

Question n° 1048 de Mme Maryvonne Blondin. – Mme Pascale BOISTARD, secrétaire d’État chargée des droits des femmes ; Mme Maryvonne Blondin.

Suspension et reprise de la séance

comité professionnel de distribution de carburants

Question n° 1054 de M. Jacques-Bernard Magner. – Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique ; M. Jacques-Bernard Magner.

avenir de l'usine psa de trémery

Question n° 1008 de M. Patrick Abate. – Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique ; M. Patrick Abate.

situation de la société mitrychem

Question n° 1024 de M. Michel Billout. – Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique ; M. Michel Billout.

taxe foncière des commerces inoccupés

Question n° 1040 de Mme Catherine Deroche. – Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique ; Mme Catherine Deroche.

restructuration de la raffinerie de donges

Question n° 1045 de M. Yannick Vaugrenard. – Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique ; M. Yannick Vaugrenard.

mise en œuvre des devis-modèles en matière funéraire

Question n° 1049 de M. Jean-Pierre Sueur. – M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification ; M. Jean-Pierre Sueur.

engorgement des tribunaux administratifs en matière de contentieux de l'urbanisme

Question n° 999 de Mme Brigitte Micouleau. – M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification ; Mme Brigitte Micouleau.

application de la loi alur en milieu rural

Question n° 1022 Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. – M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification ; Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.

lutte contre le phénomène d'invasion des frelons asiatiques

Question n° 998 Mme Françoise Gatel. – M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification ; Mme Françoise Gatel.

nouvelles dispositions fiscales concernant les correspondants locaux de presse

Question n° 1031 M. Mathieu Darnaud. – Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication ; M. Mathieu Darnaud.

prélèvement sur les fonds de roulement des universités

Question n° 1026 de Mme Dominique Gillot. – Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication ; Mme Dominique Gillot.

schéma régional de cohérence écologique de picardie

Question n° 1012 de M. Antoine Lefèvre. – Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication ; M. Antoine Lefèvre.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

5. Accident aérien dans les Alpes-de-Haute-Provence

6. Modification de l’ordre du jour

7. Débat sur le thème : « internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse »

M. Jacques Mézard, au nom du groupe RDSE

Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Pierre Charon, David Assouline, Mme Esther Benbassa, MM. Patrick Abate, Robert Hue, Alain Joyandet, Mme Sylvie Robert, M. François Bonhomme

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique

8. Modifications de l'ordre du jour

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

Secrétaires :

M. Bruno Gilles,

M. Jackie Pierre.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 19 mars a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Organisme extraparlementaire

M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil national des villes.

La commission des affaires économiques a été invitée à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

3

Décisions du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 20 mars 2015, deux décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant, d’une part, sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 4231-4 du code de la santé publique (Composition du Conseil national de l’ordre des pharmaciens statuant en matière disciplinaire) (n° 2014-457 QPC) et, d’autre part, sur les articles L. 3111-1, L. 3 111-2 et L. 3 111-3 du code de la santé publique (Obligation de vaccination) (n° 2015-458 QPC).

Acte est donné de ces communications.

4

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

habitat adapté aux personnes adultes en situation de handicap

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, auteur de la question n° 1043, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la secrétaire d'État, je me permets d’attirer votre attention sur la question de l’habitat adapté aux personnes adultes en situation de handicap psychique, que l’on appelle les « résidences accueil ».

Pour mémoire, une résidence accueil est un lieu d’habitation spécialisé dans l’accueil de personnes handicapées ou fragilisées à cause de troubles psychiques, jeunes ou moins jeunes, sans domicile fixe et souvent hospitalisées depuis de nombreuses années en raison du manque de solutions adaptées.

Ces locataires sont entourés vingt-quatre heures sur vingt-quatre par des professionnels formés à la psychiatrie. Ils n’ont pas la capacité de vivre de façon autonome, sans qu’une place dans un établissement spécialisé soit pour autant nécessaire.

Actuellement, il existe quelques résidences accueil en France, mais seulement une de dix places dans l’agglomération rouennaise, qui compte plus de 500 000 habitants.

L’association La Clé, qui s’occupe de ces personnes en attente de logement adapté, a récemment présenté un projet complet à l’agence régionale de santé, à la direction départementale de la cohésion sociale et au département de la Seine-Maritime. Tous ont reconnu, lors d’une réunion commune qui s'est tenue le 7 février 2014, la nécessité de développer ce type d’hébergement.

Basée sur une enquête auprès des services spécialisés, des centres communaux d’action sociale et des services de tutelles aux majeurs protégés, l’association La Clé démontre qu’il existe un besoin de plus de quatre-vingts places sur l’agglomération rouennaise.

Je voudrais rappeler que, à ce jour, ces personnes sont soit hospitalisées mais sortantes car stabilisées, soit hébergées entre deux périodes d’hospitalisation dans des hôtels gérés par des marchands de sommeil, faute d’autres solutions. Ces personnes sont hospitalisées la moitié de l’année. Le prix d’une journée s'élevant à 486 euros, cela représente un coût pour la collectivité de 1 773 900 euros par an. Par comparaison, le coût de fonctionnement d’une résidence accueil s'élève à 263 864 euros par an.

À l'évidence, il serait donc préférable de favoriser l’accueil des personnes souffrant de troubles psychiques dans une résidence spécialisée au lieu d’augmenter les dépenses de santé par des hospitalisations successives.

Madame la ministre, comme vous l’aurez compris, je souhaiterais en conséquence connaître les intentions du Gouvernement pour que soit agréé prioritairement ce type de structure et rendre ainsi applicable le droit à un logement adapté.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Madame la sénatrice, vous avez attiré l’attention de Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sur la question de l’habitat adapté aux personnes adultes en situation de handicap psychique, que l’on appelle les « résidences accueil ».

Comme vous le soulignez, ce type de dispositif constitue l’une des modalités de logement des personnes en situation de handicap psychique. Il s’agit en effet d’un habitat partagé associant un logement privatif pour chaque personne à la présence de lieux collectifs de vie, tout en proposant une aide au quotidien. En effet, à la qualité de l’habitat doit être systématiquement associée la qualité de l’accompagnement quotidien.

Sachez que nous sommes convaincus de l’intérêt d’un tel dispositif qui trouve pleinement sa place dans les politiques de santé mentale et du handicap portées par le Gouvernement ; ce dispositif est d’ailleurs déployé en Haute-Normandie comme dans plusieurs autres régions.

À juste titre, vous évoquez l’action d’une association rouennaise – l’association La Clé – qui porte en effet un projet de création d’une résidence accueil dans le cadre d’un partenariat avec le centre hospitalier spécialisé du Rouvray.

Concernant la Haute-Normandie, un appel à projets pour le développement d’un service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés a été lancé par l’agence régionale de santé, ou ARS ; ce service permettra de garantir la continuité de l’accompagnement quotidien des personnes.

Ainsi, ce sont 96 places qui ont été autorisées pour couvrir les besoins de la Seine-Maritime, dont 38 places supplémentaires pour l’association La Clé, pour un coût de 16 000 euros la place. Toujours dans votre région et grâce à une politique volontariste de l’État, des mesures nouvelles pour la création d’une résidence accueil ont été fléchées en 2014 sur le territoire de Dieppe et complétées par la création d’un même service d’accompagnement.

La Seine-Maritime compte donc à ce jour 284 places de pension de famille et 70 places de résidence accueil.

Conformément aux orientations fixées par le Président de la République lors de la conférence nationale du handicap, le 11 décembre 2014, le développement de formules innovantes de logement pour les personnes en situation de handicap fait partie des priorités. L’objectif est clair : rendre effectives l’inclusion et la pleine participation sociale des personnes en situation de handicap.

Ainsi, Mme la ministre mobilise actuellement avec Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre les exclusions, l’ensemble des partenaires du secteur du logement, des collectivités et des associations représentatives des personnes afin d’aboutir d’ici à la fin de l’année à un plan d’action permettant de répondre aux aspirations légitimes des personnes, celles d’avoir un « chez soi » et d’y être accompagné à la hauteur de ses besoins et attentes.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je vous remercie pour ces éléments de réponse, madame la secrétaire d'État. Je note que, sur 96 places pour l’ensemble du département de la Seine-Maritime, 38 concerneraient la seule agglomération rouennaise. Si cela était, on resterait encore loin du compte, puisque le besoin est de 80 places. Mais je m'étonne de cette information, qui me semble en contradiction avec un certain courrier en date du 27 février dernier adressé par la direction départementale de la cohésion sociale, pôle hébergement et accès au logement, au directeur de l’association La Clé : il y est écrit que les capacités budgétaires ne permettent pas de développer l’offre départementale au-delà de l’existant.

Je pense donc qu’il existe une déconnexion entre les décisions nationales et celles de l’ARS, d’une part, et les décisions notifiées aux intéressés à la signature du préfet par délégation, d'autre part. Je ne sais pas si vous pouvez m'apporter des éléments d’information complémentaires, mais, pour l’instant, je ne suis pas du tout rassurée.

situation du groupe hospitalier public du sud de l'oise

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteur de la question n° 1029, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Laurence Cohen. Madame la secrétaire d'État, je souhaite attirer votre attention sur la composition d’une nouvelle trousse de prévention destinée à être mise à disposition des usagers de drogues.

Actuellement, les usagers de drogues utilisent essentiellement des seringues à insuline d’un millilitre dont l’aiguille est sertie. Ces seringues sont distribuées dans les CAARUD, les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues, et dans les trousses de prévention pharmaceutiques, les « Stéribox ».

Vous le savez, la mise à disposition de matériel d’injection stérile vise à limiter les risques de transmission de pathologies infectieuses chez les usagers de drogues par voie injectable.

Grâce à cette politique, les contaminations par le VIH par injection de drogues ont quasiment disparu en France, mais plusieurs milliers d’injecteurs se contaminent encore chaque année avec le VHC, le virus de l’hépatite C.

Il est envisagé, semble-t-il, d’équiper de nouvelles trousses de prévention d’un dispositif filtrant antibactérien. Ce dispositif étant incompatible avec les seringues actuelles d’un millilitre serties, la décision semble prise d’abandonner ces dernières au profit de seringues à aiguilles détachables à espace mort élevé.

Or, d’après les études récentes, l’usage de ces nouvelles seringues présente un risque de transmission du VIH et du VHC beaucoup plus important que celui des seringues utilisées jusqu’à présent. En effet, le volume résiduel de telles seringues est nettement plus élevé, et les risques de transmission virale en cas de partage et de réutilisation sont très fortement augmentés.

Le choix de nouvelles seringues fait ainsi prendre un risque sans commune mesure avec le bénéfice attendu, à savoir la diminution par filtration du risque bactérien.

Madame la ministre, je souhaiterais que vous puissiez m’apporter les éléments en votre possession de nature à justifier l’abandon d’un système qui a fait ses preuves. Les arguments le plus souvent invoqués en termes de balance entre bénéfices et risques ne sont pas probants, tant s’en faut.

Nous nous trouvons ici face à un problème de santé publique qu’il convient de ne pas négliger. Même si la question paraît assez technique, elle est vraiment fondamentale de ce point de vue. Il faut préserver des outils de prévention et de réduction des risques dont l’efficacité n’est plus à démontrer.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Madame la sénatrice, la mise en évidence, chez les usagers de drogues par voie injectable, d’une prévalence élevée du VIH dès le début des années quatre-vingt puis du VHC dans les années quatre-vingt-dix a été à l’origine de nombreuses actions de santé publique engagées par les associations et par des professionnels de santé.

Ces actions ont progressivement abouti à la mise en place de politiques publiques de réduction des risques. Ces politiques ont fait la preuve de leur succès, notamment au regard de la diminution de l’incidence du VIH chez les usagers de drogues.

Dans ce cadre, l’une des priorités des pouvoirs publics a été de rendre le matériel d’injection stérile plus accessible aux usagers de drogues pour réduire sa réutilisation et surtout son partage, qui sont des sources importantes de contamination.

Ainsi, l’État participe financièrement à la mise sur le marché des trousses de prévention par le biais d’une subvention versée aux laboratoires assembleurs, afin d’en maintenir le prix de vente à un niveau abordable. Cette subvention est fondée sur le nombre d’unités produites.

Ces trousses peuvent être achetées dans les pharmacies ou distribuées gratuitement par les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues, les CAARUD, les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, les CSAPA, ou des associations. Leur contenu doit être conforme à un cahier des charges défini par un arrêté du 10 septembre 1998.

Toutefois, les substances consommées mais aussi les modes d’usage des produits évoluent dans le temps, ce qui nécessite des adaptations en matière de réduction des risques.

L’une de ces adaptations concerne la filtration des solutions injectées. Le filtre contenu dans les trousses actuelles est inefficace contre les bactéries, qui peuvent provoquer des problèmes de santé importants chez les usagers de drogues. C’est le cas notamment des intoxications au charbon ou au botulisme, constatées au cours de la période récente.

La Direction générale de la santé, ou DGS, a engagé une démarche de refonte des trousses de prévention pour faire face à ces nouveaux risques. Elle s’appuie pour cela sur le recueil de données scientifiques, notamment des études biologiques sur les dispositifs de filtration, ou de données épidémiologiques et socio-anthropologiques. Je pense en particulier à une étude d’évaluation des outils de réduction des risques conduite par l’InVS, l’Institut de veille sanitaire, et remise à la Directin générale de la santé en septembre 2013. Ce projet est en cours, le contenu de la nouvelle trousse de prévention n’étant pas encore défini à l’heure actuelle.

La lutte contre les infections virales reste une priorité absolue de la politique de réduction des risques. Il n’est donc évidemment pas question de mettre à disposition des usagers un nouveau matériel qui pourrait accroître le risque de transmission du VIH et du VHC.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Les réponses que vous m’apportez, madame la secrétaire d’État, n’apaisent pas vraiment mon inquiétude. Je crains en effet que cette expérimentation ne présente plus de dangers que d’avantages.

S’il est important de nous adapter à l’évolution de la science, je tiens à attirer votre attention, avant toute décision hâtive, sur le fait que les seringues qui sont actuellement dans les trousses de prévention destinées aux usagers de drogues, sont, selon l’OMS et l’ONUSIDA, celles qui présentent le moins de risques.

Très attentive à l’équilibre bénéfices-risques, je vous invite à ne pas prendre trop rapidement une décision qui ne contribuerait pas à la préservation de la santé des usagers.

Si je ne vois pas d’inconvénient à une expérimentation, je considère cependant que les trousses actuelles doivent continuer à être subventionnées afin de laisser le temps d’une vraie réflexion. Les éléments que je mets en avant aujourd'hui devraient être de nature à influer sur les décisions qui seront prises, lesquelles doivent apporter la garantie de leurs effets bénéfiques pour les usagers de drogues.

avenir de l'aérodrome de mende-brenoux

M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand, auteur de la question n° 1021, transmise à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Alain Bertrand. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il s’agit d’une histoire très simple : la Lozère, plus petit département de France, possède un aérodrome, situé à Mende.

M. le président. Il ressemble à un porte-avions ! J’y ai eu peur deux ou trois fois ! (Sourires.)

M. Alain Bertrand. C’est là qu’a été tournée la scène finale de La Grande Vadrouille ! (Nouveaux sourires.)

Cet aérodrome aux multiples activités – 3 000 vols par an dédiés au tourisme, à l’économie et à la sécurité civile –, présente la caractéristique d’être entièrement équipé, ultramoderne, et doté d’un service dit « aerodrome flight information service », ou AFIS, ainsi que d’une station d’avitaillement automatisée.

Il est le seul aérodrome du vaste territoire de la Lozère, qui inclut tout de même l’Aubrac, la Margeride, les Cévennes, les Causses, les gorges du Tarn, le mont Lozère et le mont Aigoual et dont la fréquentation touristique est importante l’été, même si nous souhaiterions qu’elle le soit plus encore.

Ce petit aérodrome est géré par la communauté de communes de Mende, que je préside, le conseil général et la chambre de commerce et d’industrie, la CCI, avec un microbudget de 200 000 euros par an, investissement et fonctionnement compris.

Les chambres de commerce et d'industrie ont dû réduire leur surface financière, à la suite de l’adoption de la dernière loi de finances. Ainsi, la CCI de la Lozère, opérateur de l’aérodrome, n’a plus les moyens de s’engager et a donc dénoncé au 30 juin 2015 la convention de gestion de l’aéroport qui la lie avec l’État.

Il convient donc de trouver d’autres modalités de financement. Le département et la communauté de communes de Mende, que je préside, n’imaginent pas que l’aéroport puisse fermer et demandent à l’État de les aider à trouver une solution à ce microproblème.

En réalité, c’est une question d’égalité des territoires et d’équité républicaine. Pourquoi la Lozère serait-il le seul département de France à ne pas avoir droit à un aérodrome ?

J’insiste également, madame la secrétaire d’État, sur un autre aspect, celui de la sécurité. La Lozère dispose en effet d’un centre hospitalier général. Or, pour emmener un blessé de la route, qu’il se trouve au nord ou au sud du département, jusqu’au centre hospitalier général de Mende, il faut compter une heure et demie de trajet.

Nous disposons, en saison estivale, d’un gros hélicoptère de la sécurité civile, un Dragon, que M. le ministre de l’intérieur a bien voulu nous affecter et qui permet d’aller chercher les personnes faisant une chute dans les gorges du Tarn, les parturientes faisant un malaise, ou les victimes d’un AVC, que ce soit dans le Cantal, l’Aveyron, l’Ardèche, la Haute-Loire, le Gard ou la Lozère.

Nous souhaiterions donc avoir une base héliportée à l’année. Elle permettrait d’assurer le maintien de l’aérodrome de Mende, et justifierait un engagement plus important de l’État. Pour le moment, nous espérons la mise en place d’un partenariat avec l’État, qui pourrait être le chef de file du projet, la communauté de communes et la région, laquelle soutiendrait une telle opération si l’État y était partie prenante. Il s’agit, je le rappelle, d’un microbudget de 200 000 euros par an.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le sénateur, vous avez interrogé M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche sur l’avenir de l’aérodrome de Mende-Brenoux.

Ne pouvant être présent au Sénat ce matin, M. Vidalies m’a chargée de vous répondre, en vous priant de bien vouloir l’excuser.

Il a bien entendu vos préoccupations concernant la situation de l’aérodrome de Mende-Brenoux, et tout particulièrement les difficultés de gestion et d’exploitation dont a fait part la chambre de commerce et d’industrie de la Lozère, propriétaire et exploitant de l’aérodrome.

À cet égard, il note avec satisfaction que le préfet de Lozère a commencé à mener une concertation avec les parties intéressées pour établir une feuille de route, l’objectif étant de proposer un projet alternatif d’ici à quelques mois.

Ce chantier important implique de dresser de façon exhaustive un état des lieux de l’ensemble des produits et des charges, d’évaluer une nouvelle clef de répartition entre tous les partenaires locaux concernés, et d’analyser les formes de gouvernance les mieux adaptées à la gestion de cette plateforme aéronautique.

Une telle étude ne pourra évidemment être valablement menée qu’une fois définie la vocation que les collectivités intéressées voudront attacher à cette infrastructure, en tenant naturellement compte de l’offre aéroportuaire régionale.

S’agissant de l’aide que peut vous apporter l’État, vous pouvez compter sur l’expertise des services régionaux de la Direction générale de l’aviation civile, qui pourraient vous conseiller dans vos réflexions et vous assister dans la mise en place éventuelle d’une nouvelle gouvernance de l’aéroport.

M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand.

M. Alain Bertrand. Un groupe de travail a effectivement été constitué sous l’égide du préfet. Nous bénéficions ainsi de l’expertise de l’État.

Pour autant, quelle est la vocation de cet aérodrome ? Elle est multiple : sécurité, économie, tourisme, vie associative – clubs vélivoles, clubs de sauts. Surtout, la situation de cet aérodrome constitue une exception, dans la mesure où il est unique sur le territoire du département, ce qui lui confère un rôle majeur en cas de séisme, d’écrasement d’aéronef ou d’événement très important.

Dans un tel contexte, l’État, par l’intermédiaire du préfet, doit apporter, outre son expertise, un engagement différent. Je solliciterai d’ailleurs à ce sujet une entrevue avec M. Vidalies ou M. Cazeneuve. En effet, il ne s’agit pas d’un cas classique où l’État, la CCI ou la région gère directement un aérodrome engendrant des recettes. Le contexte est ici complètement différent. Ce microdossier met en jeu l’égalité des territoires et des citoyens. Il ne doit y avoir ni sous-territoires ni sous-citoyens !

situation du groupe hospitalier public du sud de l'oise

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, auteur de la question n° 1033, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

M. Jean-Pierre Bosino. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur la situation du groupe hospitalier public du sud de l’Oise.

Cet établissement a vu le jour à la suite d’une fusion entre deux centres hospitaliers : ceux de Creil et de Senlis. Alors que ce regroupement était initialement prévu pour permettre le redressement des comptes grâce à une rationalisation des activités et à une mutualisation des services, la situation est aujourd’hui plus critique que jamais.

L’activité médicale du nouveau groupe hospitalier est en baisse et l’endettement, dont une partie importante de frais financiers, notamment des emprunts « exotiques », s’accroît toujours davantage, passant de 122 millions d’euros en 2012 à 129 millions d’euros en 2013. Cette situation, comme nous vous l’indiquions dans un courrier daté du 3 décembre dernier, n’est pas passagère. Comme l’a reconnu M. Dubosq, directeur de l’Agence régionale de santé, c’est un déficit structurel de 5 à 6 millions d’euros qu’accuse l’établissement, déficit à peine masqué par les subventions.

Ces difficultés n’étant pas sans conséquence sur l’attractivité de l’établissement, nous assistons actuellement à une baisse de la fréquentation des patients, qui préfèrent se tourner vers des hôpitaux plus éloignés, comme celui de Compiègne ou ceux du nord parisien.

Les personnels supportent également l’incidence d’une telle situation et voient leurs conditions de travail se dégrader, alors que commence à se faire sentir une pénurie de médecins, dont les départs se multiplient.

Je ne suis pas le seul, madame la secrétaire d’État, à dresser ce constat alarmant, puisqu’un consensus a émergé, vous le savez, entre les élus du conseil de surveillance sur le diagnostic à poser.

Aujourd’hui, ce consensus porte aussi sur les réponses à apporter pour mettre fin à une situation intenable. Je me permets de vous en rappeler ici les grandes lignes, à commencer par un soutien au recrutement médical et la nécessité d’un investissement en vue de l’entretien des bâtiments et de la modernisation des équipements.

Nous avons également urgemment besoin d’une clarification concernant l’avenir des deux sites, au travers d’un vrai projet médical, décliné par établissement.

Les premiers éléments de réponses ont déjà été apportés. Je pense à la confirmation du maintien du SMUR, le service mobile d’urgence et de réanimation, et des services de maternité et de pédiatrie sur les deux sites.

D’autres sujets, comme le maintien de l’activité de réanimation sur chaque site, restent en discussion. De même, nous savons que, sur le site de Senlis, de nombreux lits de chirurgie sont d’ores et déjà fermés et que l’abandon de la pédiatrie semble imminent. Cette volonté de regroupement se fait donc en grande partie au détriment de l’offre de soins proposée sur le site de Senlis.

La situation sanitaire et sociale que nous connaissons en période de crise implique plus que jamais un service public de la santé à même de répondre aux besoins des populations. Le groupe hospitalier du sud de l’Oise risque de ne plus pouvoir répondre correctement à cette exigence sans un engagement fort de l’État, de l’ARS et de l’ensemble des acteurs.

C’est la raison pour laquelle j’interpelle de nouveau le Gouvernement sur ce dossier, l’interrogeant sur les réponses qu’il envisage d’apporter.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes connaît bien la vigilance des élus de Creil, du bassin creillois et de Senlis quant au devenir de leur hôpital. En tant que membre du conseil de surveillance de cet établissement, vous savez quel a été le contexte de rapprochement des anciens hôpitaux de Creil et de Senlis, dont la fusion a été prononcée le 1er janvier 2012.

Cette fusion était indispensable, et plus personne, aujourd'hui, ne remet en cause son bien-fondé : les deux établissements, distants de douze kilomètres, s’épuisaient avec des travaux surdimensionnés, des concurrences délétères, une démographie médicale fragile et une perte d’attractivité.

Dans le cadre de la fusion, les emprunts toxiques de Senlis ont été désensibilisés, la rénovation de l’EHPAD de Senlis décidée, les travaux sur le site de Creil redimensionnés et mis en service : consultations regroupées, laboratoire, dialyse, et cuisine centrale pour les deux sites.

Un projet médical commun a été élaboré. Des économies, ainsi que de premières réorganisations ont été réalisées. Toutefois, elles n’ont pas suffi, l’attractivité des deux sites restant insuffisante. La redondance des activités concerne encore de nombreux domaines et les déficits demeurent, malgré les soutiens financiers apportés.

Un nouveau travail a été engagé au second semestre 2014 par les acteurs du groupement hospitalier eux-mêmes, avec l’appui de l’ARS et d’un cabinet extérieur, pour clarifier la répartition des activités sur les sites de Creil et de Senlis, éviter les doublons, mieux utiliser le temps médical, développer l’hospitalisation ambulatoire et ajuster les capacités d’hospitalisation sur les deux sites.

Ce travail est en voie d’achèvement. Il conduira à des choix structurants que tous devront porter afin de consolider les ressources médicales et de rétablir la situation financière. Cette démarche sera traduite dans un projet d’établissement qui devra être finalisé cette année.

L’ARS veillera à ce que l’accès aux soins adaptés soit garanti sur l’un et l’autre des deux sites et que les efforts de redressement financier engagés soient poursuivis.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.

M. Jean-Pierre Bosino. Si la fusion entre les deux établissements n’est plus contestée, de fait, celle-ci a été réalisée dans des conditions inacceptables et les problèmes se sont aggravés.

Je rappelle que les deux sites de Creil et de Senlis sont distants de quinze kilomètres, séparés par une forêt. Il n’existe pas de transports en commun entre l’agglomération creilloise, qui compte plus de 100 000 habitants, et Senlis.

Par ailleurs, madame la secrétaire d'État, vous avez évoqué des travaux « surdimensionnés ». Sans doute faisiez-vous référence à ceux de Creil. Je rappelle tout de même que ces travaux ont été acceptés à l’époque par l’agence régionale d’hospitalisation, puis par l’agence régionale de santé. Ce sont donc les mêmes personnes qui ont donné leur accord pour l’engagement de ces travaux et qui nous ont ensuite expliqué que ces derniers étaient surdimensionnés.

Enfin, le déficit pour 2014 de 4 millions d’euros correspond précisément aux 4 millions d’euros d’intérêts dus aux banques au titre des emprunts toxiques qui ont été souscrits pour réaliser un certain nombre de travaux, dont ceux de Senlis.

enfouissement des voies ferrées à sainte-eulalie

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle, auteur de la question n° 1042, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Philippe Madrelle. Alerté depuis des années par les citoyens du collectif des associations de défense des consommateurs et usagers de la commune de Sainte-Eulalie en Gironde, notamment l’union locale de la CLCV, Consommation, logement et cadre de vie, je souhaite appeler la bienveillante attention du Gouvernement sur les graves et inquiétantes conséquences d’ordre environnemental et économique du projet de Réseau ferré de France sur cette commune.

Peuplée de 5 000 habitants, située sur la rive droite de Bordeaux, longée à l’ouest par l’autoroute A10 et par la voie ferrée Bordeaux-Nantes, avec trois passages à niveau sur moins d’un kilomètre, Sainte-Eulalie draine un trafic routier intense, régulièrement saturé.

Réseau ferré de France a décidé la suppression de ces passages à niveau, qui seraient remplacés par un pont-rail – c’est-à-dire une voie routière construite sous la voie ferrée – de gabarit et de fonctionnalité très insuffisants.

S’il venait à être réalisé, un tel projet aurait de très graves incidences sur un plan tant environnemental que socioéconomique, de même que pour la sécurité des habitants.

Il augmenterait la durée des parcours scolaires tout en accroissant les risques d’accident pour les enfants des écoles et porterait à saturation le trafic routier de ce secteur très sensible à proximité de l’autoroute A10, où transitent des milliers de véhicules.

En outre, un tel projet ne prend pas en considération la complexité du réseau d’eaux souterraines. RFF n’a même pas envisagé la répercussion qu’aurait la coupure en deux parties d’une immense masse phréatique placée à faible profondeur, mobile et amplement réactive, selon les différents rapports des techniciens du Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM.

La construction du pont-rail ferait barrage à toutes les eaux souterraines, avec le risque d’inondations dont les effets pourraient être dévastateurs pour les nombreux riverains.

Bien évidemment, il ne faut pas négliger les conséquences en matière d’expropriation et de dépréciation foncière : la baisse de valeur de l’immobilier pourrait atteindre près de 40 %.

Cette dépréciation affecterait également les entreprises implantées localement, ce qui aurait des incidences très négatives sur la situation de l’emploi dans des communes déjà durement affectées dans ce domaine.

Vous l’avez bien compris, madame la secrétaire d'État, ce projet de RFF ne peut être réalisé. Les arguments mis en avant par l’opérateur ne doivent pas empêcher la prise en considération et l’étude d’une autre solution, moins onéreuse et ayant l’avantage de ne présenter aucun risque pour la survie de la commune de Sainte-Eulalie.

L’enfouissement ou, plus exactement, l’abaissement du niveau de la voie ferrée avec la réalisation d’une simple tranchée ouverte respectant le sens d’écoulement des eaux souterraines, au lieu d’un tunnel à deux modules, constitue un projet réaliste, approuvé par les associations de riverains et de scientifiques.

Cette solution de l’enfouissement constitue la seule réponse hydrogéologique valable avec un gain environnemental énorme, car cela limitera la pollution liée au trafic tout en évitant l’enclavement contenu dans le projet de RFF.

Madame la secrétaire d'État, si vous m’autorisez l’expression : il n’y a pas photo entre les deux projets. Le projet d’enfouissement est le seul capable de répondre à tous les défis tout en assurant le développement pérenne de la commune de Sainte-Eulalie.

Je vous demande de bien vouloir le prendre en considération en vue de le faire adopter par RFF.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, le secrétaire d’État aux transports a fait de la sécurité du réseau ferroviaire sa priorité. C’est la raison pour laquelle, en collaboration avec l’État et les collectivités territoriales, SNCF Réseau se mobilise pour améliorer ou supprimer les passages à niveau.

C’est ainsi que l’effacement du bouchon ferroviaire de Bordeaux prévoit la suppression de trois passages à niveau situés sur la commune de Sainte-Eulalie, compte tenu de l’augmentation des circulations TER et fret sur ces voies, liée notamment à l’arrivée de la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique.

Un tel projet doit être l’occasion de mener une analyse complète de la meilleure réponse à apporter, pour traiter avant tout les enjeux de sécurité, mais également pour prendre en compte les nuisances sonores et la fluidité des circulations.

C’est la raison pour laquelle SNCF Réseau, pour répondre à ces enjeux, a étudié plusieurs solutions, et notamment la dénivellation des passages à niveau ainsi que l’enfouissement des voies.

L’analyse approfondie par SNCF Réseau de l’enfouissement des voies a mis en évidence des difficultés importantes à sa mise en œuvre.

La première difficulté tient à la durée des travaux, qui s’étaleraient sur cinq ans, et à leur ampleur, alors que la dénivellation des passages existants ne nécessiterait que des travaux ponctuels sur une année.

Cette situation serait à l’origine d’une longue période de nuisances importantes pour les riverains et conduirait à des perturbations notables des circulations ferroviaires après la mise en service de la LGV, alors que celles-ci seront renforcées.

La deuxième difficulté tient aux impacts environnementaux.

Les études ont montré que l’enfouissement d’une partie de la ligne s’accompagnerait d’effets négatifs notables sur le ruisseau du Moulin, dont il viendrait rompre l’écoulement, ainsi que d’effets négatifs sur les eaux souterraines, qui seraient au mieux équivalents, mais probablement supérieurs, à ceux qu’entraînerait la simple dénivellation de ces passages à niveau.

L’enfouissement de la ligne existante nécessiterait également de recourir à des expropriations puisqu’un élargissement de l’emprise ferroviaire existante serait indispensable.

Enfin, la dernière difficulté est le coût, jusqu’à cinq fois plus élevé que celui des solutions prévoyant la dénivellation des passages à niveau.

C’est un élément important dans le contexte budgétaire particulièrement contraint que nous connaissons, tant pour l’État que pour les collectivités locales.

Toutes ces raisons ont conduit SNCF Réseau à privilégier une famille de solutions reposant sur la dénivellation de ces passages à niveau et à organiser une concertation au cours des derniers mois afin de préciser ce projet, pour répondre au mieux aux attentes.

Cette famille de solutions pourrait être complétée par la mise en place de protections phoniques, qui permettraient de réduire l’exposition au bruit des riverains, dans le respect de la réglementation.

Il n’est pas souhaitable de retarder l’échéance de suppression de ces passages à niveau, compte tenu des enjeux de sécurité.

Les échanges doivent donc se poursuivre avec SNCF Réseau afin de préciser le projet qui sera in fine présenté lors des prochaines étapes de concertation, et en particulier lors de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique.

La justification des choix réalisés devra alors être confirmée par SNCF Réseau, sur la base de l’ensemble des propositions qui auront été formulées – y compris les nouvelles propositions comme celle que vous me présentez aujourd’hui – et des préoccupations qui auront été exprimées.

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.

M. Philippe Madrelle. Effectivement, sous mon impulsion et celle du collectif d’associations, le projet initial d’enfouissement a depuis lors évolué vers un simple abaissement de la voie ferrée, projet bien moins onéreux. Je vous remercie d’accepter que soit étudiée cette solution face au projet minimaliste de RFF, encore plus dangereux, comme je l’ai expliqué à l’instant.

Madame la secrétaire d'État, je compte sur les ministres concernés pour prendre en main ce dossier afin de faire adopter le projet d’abaissement de la voie ferrée, projet totalement différent de celui que nous avions eu l’honneur de présenter voilà quelques années.

lutte contre les mutilations sexuelles féminines

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, auteur de la question n° 1048, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes.

Mme Maryvonne Blondin. « Depuis trois mille ans, des cultures africaines ont permis que les sexes des petites filles soient coupés et cousus. Pourquoi ? Parce que cette mutilation est associée à la notion de pureté, de chasteté et d’honneur. C’est une sorte de convention sociale pour qu’elles ne soient pas exclues de leurs communautés.

« Si l’on n’excise pas une femme, elle ne se marie pas, elle est expulsée de son village et traitée comme une prostituée. On en connaît les conséquences sur le plan tant physique que psychologique. Et pourtant, même si elle ne figure pas dans le Coran, cette tradition se perpétue, toujours de nos jours, dans le plus profond silence et une très grande souffrance, d’Afrique à l’Asie, des États-Unis à l’Europe. Beaucoup en meurent, alors que la femme est la colonne vertébrale de l’Afrique.

« Quand j’étais petite, je ne voulais pas être une femme. Pourquoi voudrait-on l’être quand on souffre tant et que l’on est malheureux ? »

Madame la secrétaire d’État, ces mots simples, durs à entendre, mais nécessaires, ont été prononcés par Waris Dirie lors de son discours devant les Nations unies. Cette ex-mannequin somalienne, excisée à cinq ans, en est devenue l’ambassadrice spéciale.

En dépit de l’interdiction officielle des mutilations sexuelles féminines et des différents textes et recommandations de l’Europe, dont la convention d’Istanbul, ces pratiques – force est de le constater – connaissent une prévalence croissante.

L’Organisation mondiale de la santé recense près de 130 millions de jeunes filles qui ont subi ces violences. Ce sont, chaque année, 3 millions de fillettes et de jeunes filles qui sont mutilées ; 53 000 vivent en France.

Ces actes, d’une extrême violence, sont pratiqués entre la petite enfance et l’âge de quinze ans. C’est brutal, ignoré, fait en silence au nom d’un rituel obscurantiste ou de toute autre raison.

La France a été précurseur dans la lutte contre les mutilations génitales féminines, mais elle n’est plus le pays le plus actif selon l’avocate de la commission pour l’abolition des mutilations sexuelles.

À la suite du célèbre procès d’un couple de Guinéens ayant mutilé ses quatre petites filles, qui s’est tenu à Nevers en juin 2012, notre pays a décidé, par la loi du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, de renforcer plus particulièrement la protection des mineurs et les sanctions encourues par les personnes incitant aux actes de mutilation.

Rappelons que, au-delà de la législation française, la lutte contre ces violences est menée depuis des années dans plusieurs pays d’Afrique, grâce à l’engagement courageux de femmes qui se mobilisent en vue de l’éducation des filles.

Madame la secrétaire d’État, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour renforcer la lutte contre ces pratiques et quels moyens sont-ils mis en place sur notre territoire ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Madame la sénatrice, vous avez rappelé la situation de ces dizaines de millions de femmes à travers le monde, traumatisées, violemment marquées dans leur chair et dans leur esprit en tant que femmes.

Toutes sont victimes d’excision ou d’autres formes de mutilations sexuelles, ou sont menacées de l’être.

L’excision est d’une extrême brutalité, elle viole les droits humains fondamentaux des femmes et des filles, notamment le droit à l’intégrité physique.

Cette torture vise à nier la liberté des femmes à disposer de leur corps ainsi que de leur liberté sexuelle.

À cela s’ajoute également le risque sanitaire, car cette pratique expose ces filles et ces femmes à des hémorragies, à des infections, à des complications lors de l’accouchement pouvant les entraîner vers la mort.

Nous opposons à cette dure réalité la mobilisation forte du Gouvernement. Cette dernière passe en premier lieu par le renforcement de notre arsenal législatif pour réprimer davantage les auteurs de ces mutilations et mieux protéger les victimes.

Vous avez évoqué la loi du 5 août 2013, qui a mis en conformité notre droit avec la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe en créant de nouvelles infractions contre les personnes incitant au recours à ces pratiques sur des mineures.

Le projet de loi relatif à la réforme du droit d’asile vise, quant à lui, à renforcer les garanties de protection et d’accueil des mineures menacées de mutilations sexuelles. Actuellement, plus de 3 500 jeunes filles bénéficient d’une protection de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA.

Enfin, le quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a lancé la mise en œuvre d’actions complémentaires.

Je citerai la prise en compte par la plateforme d’écoute 3919 des signalements concernant les mutilations sexuelles féminines. Une dizaine d’appels ont été reçus en 2014.

J’évoquerai aussi la mise en place d’actions d’information et de sensibilisation du grand public et de formation des professionnels. Près de 160 000 dépliants d’information sur les mutilations sexuelles féminines, en français et en anglais, ont été diffusés à partir du 25 novembre 2014. Tous les agents consulaires, susceptibles d’accueillir les victimes à l’étranger, bénéficient désormais d’une formation.

Notre mobilisation s’exprime également par notre souhait de renforcer toujours plus notre partenariat avec l’ensemble des associations qui œuvrent en faveur des victimes et pour l’abolition de ces pratiques. Je me suis rendue en Seine-Maritime le 27 février dernier, au centre de protection maternelle et infantile de Caucriauville, où j’ai abordé la question des mutilations sexuelles féminines.

Ces associations offrent aux victimes un soutien matériel et psychologique et les aident dans leur parcours de réinsertion sociale et professionnelle. De nombreux hôpitaux, dont l’Institut en santé génésique de Saint-Germain-en-Laye, leur proposent la possibilité de recourir à la chirurgie réparatrice, remboursée à 100 % par la sécurité sociale.

Les 27 et 28 janvier 2015, l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a accueilli la première consultation internationale sur la prise en charge des femmes excisées.

Je tiens à saluer l’engagement des associations, ainsi que celui des professionnels de santé et des chercheurs, dans la reconstruction psychologique et physique de chaque fille et femme victime.

La France a été pionnière dans la lutte contre les mutilations sexuelles féminines et entend ainsi le rester. C’est pourquoi j’ai porté la voix de notre pays à l’ONU voilà quinze jours sur ces questions.

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie d’avoir développé tous les aspects de la question. Nous devons les connaître si nous voulons que notre mobilisation aboutisse à des actions concrètes contre ces excisions.

Vous avez évoqué le renforcement de la législation et de la prévention. Ce second point est important, car il nous faut agir sur tous les fronts, aussi bien législatif qu’éducatif et associatif. À cet égard, les associations, surtout grâce aux jumelages existants entre des communes françaises et africaines, permettent de mettre à jour ces pratiques et d’éduquer les femmes. Dans mon département, à Quimperlé, l’Association Marche En Corps réalise un vrai travail de sensibilisation et d’éducation en la matière.

Madame la secrétaire d’État, je vous remercie infiniment de votre action. Il faut continuer en ce sens.

M. le président. Mes chers collègues, dans l’attente de l’arrivée de Mme la secrétaire d’État chargée du numérique, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures quinze, est reprise à dix heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

comité professionnel de distribution de carburants

M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, auteur de la question n° 1054, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.

M. Jacques-Bernard Magner. Madame la secrétaire d’État, je voudrais attirer l’attention du Gouvernement sur les conséquences de la suppression, dans la loi de finances de 2015, de la ligne budgétaire relative au financement du Comité professionnel de la distribution de carburants, le CPDC, avec, pour conséquence, la dissolution et la mise en liquidation de ce comité.

Cette décision a été d’autant moins comprise que les détaillants avaient obtenu un délai de trois ans pour la mise aux normes des stations-service, délai nécessaire pour pallier les retards de paiement du CPDC, et que 2 200 dossiers étaient en souffrance au sein de ce comité.

Le Gouvernement avait annoncé qu’une solution pérenne serait trouvée pour les futures demandes d’aides des professionnels afin de maintenir un maillage territorial des stations-service. Il convient en effet de rappeler que, outre les investissements de mises aux normes environnementales, le CPDC finançait surtout des travaux de modernisation et de diversification des points de vente de carburants.

Cependant, les critères d’éligibilité des aides prévues dans le projet de décret relatif au Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, excluent du bénéfice des aides plus de la moitié des détaillants en carburants.

Or la modernisation et la diversification des points de vente de carburants sont devenues des impératifs majeurs pour la survie de la profession, déjà fortement affectée par la concurrence de la grande distribution.

La diminution du nombre des stations-service est malheureusement devenue une réalité pour des milliers de Français, puisqu’il ne reste que 6 000 stations de proximité, contre 34 000 en 1985.

Pourtant, ces commerces sont à la fois un gage de lien social dans les zones isolées et des locomotives du commerce de proximité dans les centres-villes. De plus, leur réseau devrait être utilisé pour le déploiement des bornes de recharge ou la promotion de nouveaux carburants.

À l’instar de nombreux services de proximité qui disparaissent de nos territoires ruraux, la raréfaction des stations-service ainsi que celle des ateliers de mécanique automobile qui leur sont souvent complémentaires pose des problèmes à nos concitoyens, qui doivent parcourir des distances de plus en plus importantes pour obtenir le service.

Madame la secrétaire d’État, il paraît nécessaire de préserver, pour les automobilistes français, une desserte équilibrée de la distribution de carburants sur tout le territoire, particulièrement pour les territoires ruraux qui disposent malheureusement de moins en moins de transports collectifs et dépendent largement de l’utilisation de la voiture et des carburants traditionnels, tous les véhicules n’étant pas électriques.

Je vous demande donc, madame la secrétaire d’État, si vous comptez intégrer dans le projet de décret relatif au FISAC des conditions d’éligibilité plus adaptées aux stations-service traditionnelles.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur, avant tout, je vous prie de bien vouloir excuser Carole Delga, qui, en cet instant précis, est à l’Assemblée nationale où elle prend part à une séance de questions orales.

Dans le cadre de la rationalisation des dépenses de l’État, il a été décidé de supprimer la dotation budgétaire du Comité professionnel de la distribution de carburants, le CPDC. Cette dotation représentait 2,9 millions d’euros en projet de loi de finances initiale. La suppression de cette ligne budgétaire va conduire à la mise en liquidation du comité.

Le CPDC ne fonctionnait plus. Cette structure emploie sept personnes, mais ses frais de fonctionnement représentent 28 % de la dotation budgétaire. Or son budget est en baisse constante depuis 2006.

La mise en liquidation de ce comité ne signifie pas pour autant la fin des aides apportées aux stations-service indépendantes. Carole Delga a rencontré les professionnels membres du conseil d’administration du CPDC le 2 décembre 2014. Elle leur a indiqué que le Gouvernement s’engageait à ne pas mettre fin aux aides dispensées par ce comité. Cet engagement a été renouvelé lors du comité interministériel aux ruralités, lequel s’est tenu récemment, le 13 mars dernier.

Désormais, les stations-service indépendantes relèveront du nouveau FISAC, qui, au titre des critères de son appel à projets pour 2015, tiendra compte de l’aide apportée aux stations-service de maillage territorial.

Par ailleurs, pour les dossiers qui restent en souffrance, il a été proposé aux professionnels de s’inscrire dans une opération nationale spécifique menée dans le cadre du nouveau FISAC, afin de préserver le type d’aides précédemment allouées aux professionnels par le CPDC. Cela signifie, très concrètement, que tous les dossiers en stock seront honorés.

Ce dispositif est en train de se déployer, avec la parution imminente – elle sera assurée d’ici à la fin du mois de mars – du décret relatif au nouveau FISAC et l’examen en ce moment même par le Conseil d’État du décret de liquidation du CPDC.

Deux agents de ce comité sont en cours d’intégration au sein du ministère de l’économie et, plus précisément, au sein des services de la Direction générale des entreprises, pour traiter les dossiers en stock.

De surcroît, les professionnels seront réunis par la Direction générale des entreprises sous la forme d’un comité de suivi. Ainsi, ils seront associés à la bonne liquidation des dossiers en stock.

Monsieur le sénateur, vous l’avez souligné : les stations-service indépendantes jouent un rôle essentiel dans l’aménagement du territoire et pour l’égal accès à l’essence de nos concitoyens automobilistes. (Mme Maryvonne Blondin acquiesce.) Qu’il s’agisse des dossiers en stock ou des futures aides, ces structures continueront d’être accompagnées financièrement. Vous le constatez, le Gouvernement s’engage pleinement auprès des professionnels indépendants de la distribution de carburant.

M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.

M. Jacques-Bernard Magner. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, qui me rassure tout à fait et qui, je l’espère, pourra également rassurer un certain nombre de détaillants. Ces derniers s’adressent à nous aujourd’hui, car ils peinent à maintenir leur activité dans leur territoire : souvent, ils constatent que les automobilistes s’arrêtant chez eux n’achètent que quelques litres d’essence pour parvenir jusqu’à une station moins chère, située un peu plus loin.

Or, au-delà du carburant, l’enjeu, c’est le maintien, au sein des territoires ruraux, des activités de mécanique et, en général, des services automobiles. Ces détaillants, par les activités qu’ils assurent, permettent tout simplement à nombre de nos concitoyens de continuer à utiliser leur voiture !

J’ajoute que cette question se pose également en zone urbaine. On constate en effet que les stations-service et les ateliers de mécanique automobile désertent totalement les centres-villes. Récemment encore, à Clermont-Ferrand, on m’indiquait qu’il faudrait désormais se rendre en périphérie d’agglomération pour faire réparer sa voiture.

Ces sujets méritent d’être abordés. Cela étant, nous sommes satisfaits de la réponse que vous avez détaillée, fondée sur le recours au nouveau FISAC.

avenir de l'usine psa de trémery

M. le président. La parole est à M. Patrick Abate, auteur de la question n° 1008, adressée à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

M. Patrick Abate. Madame la secrétaire d’État, je tiens à attirer votre attention sur la situation d’une usine en danger – encore une ! - celle de Peugeot SA, à Trémery.

Les 3 600 salariés concernés, leurs 2 000 collègues de l’usine de Metz-Borny, toute proche, les quelque 10 000 employés de la sous-traitance, l’ensemble de la population mosellane et lorraine s’inquiètent.

Vous le savez, l’État est actionnaire de PSA à hauteur de 14 %. Or le site de Trémery est aujourd’hui mis en concurrence avec celui de Vigo, en Galice, pour la construction d’une nouvelle ligne de production de moteurs à essence de dernière génération.

Dans le contexte économique et politique actuel, l’attribution de cette ligne de montage est un enjeu capital pour l’économie mosellane, lorraine et, plus généralement, française.

En effet, en l’espèce, nous parlons de quelque 15 000 emplois, de plus de 200 000 moteurs produits par an et, à ce jour, d’environ 150 millions d’euros d’investissements.

La crise qui frappe la Lorraine – cette région compte 130 000 chômeurs, dont 60 000 en Moselle – donne à cette problématique une ampleur que vous imaginez bien. Personne ne conteste les qualités structurelles dont dispose cette région, du fait de son histoire et des politiques publiques locales qui s’y sont succédé, en termes d’infrastructures et de formation, pour le maintien d’une industrie.

Les collectivités territoriales de l’agglomération de Metz et celles du sillon mosellan se sont déjà portées volontaires pour acquérir des terrains pour l’entreprise. Ainsi, elles ont apporté leur obole de manière consensuelle, avec l’ensemble des élus, qui sont mobilisés. Désormais, cet engagement doit trouver un écho au niveau national.

Je rappelle que la communauté autonome galicienne est prête à investir 20 millions d’euros dans le projet, pour faire pencher la balance en sa faveur. Si, demain, PSA décide de produire ses moteurs à Vigo, ce sera un désastre économique non seulement régional, mais aussi national : jusque-là, tous les moteurs de PSA étaient produits en France…

La situation de Trémery est liée à la question du diesel. En effet, cette usine est la plus importante au monde pour la production des moteurs diesel. Plus précisément, elle produit 80 % de moteurs de ce type.

Or le moteur diesel est de plus en plus décrié, quelquefois de manière un peu rapide, voire assez dogmatique. Toujours est-il que Trémery, qui produit aujourd’hui ces moteurs, a besoin de cette diversification pour développer une ligne de production supplémentaire.

Dans la note de conjoncture qu’elle a consacrée, en février, à la Lorraine, la Banque de France relève un léger mieux de la production industrielle, lequel est principalement dû à l’automobile, ainsi qu’une amélioration du climat des affaires, qui, parallèlement, se dégrade à l’échelle de la France. C’est dire quel est l’enjeu pour notre région !

Madame la secrétaire d’État, j’ai bien noté le « soutien ferme » – je cite la presse locale – exprimé par M. le ministre de l’économie. C’est un encouragement, certes. Mais, aujourd’hui, quelles mesures le Gouvernement entend-il concrètement mettre en œuvre pour « convaincre » Peugeot SA d’investir à Trémery ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, la crise économique et le recul historique du marché automobile européen ont durement frappé notre industrie automobile. En moins de dix ans, le volume de production de véhicules en France a presque été réduit de moitié !

Si les sous-traitants de la filière ont été les premiers atteints, cette crise sans précédent a failli mettre à terre l’un de nos fleurons industriels, premier producteur d’automobiles en France : le groupe PSA. Ce dernier a réagi en 2013 en engageant un plan de restructuration et en signant, dans le même temps, un accord de compétitivité avec les organisations syndicales.

Au cours de cette période critique, l’État s’est engagé fortement aux côtés du groupe et de ses salariés. Tout d’abord, il a octroyé à la banque captive de PSA une garantie de 7 milliards d’euros : c’était une question de survie. Par ailleurs, il est entré au capital du groupe à hauteur de 14 %, soit au même niveau que le chinois Dongfeng Motors, nouveau partenaire industriel de PSA.

En contrepartie des efforts consentis par les salariés, le groupe PSA s’est engagé – l’État veillera au respect de cet engagement – à affecter un nouveau modèle dans chacune de ses usines terminales en France d’ici à la fin de l’année 2016.

Vous l’avez souligné, l’usine de Trémery assure la production de deux familles de moteurs diesel, mais aussi d’une famille de moteurs à essence.

Trémery dispose de nombreux atouts pour accueillir la production de moteurs de nouvelle génération. Les collectivités se sont mobilisées, avec l’État, afin de proposer au groupe des soutiens permettant, dans le respect des règles communautaires, de renforcer encore l’intérêt d’un choix en faveur de ce site.

Grâce aux efforts et engagements consentis par les salariés, les collectivités territoriales et l’État, les conditions nous semblent désormais réunies pour l’affectation à Trémery de ce nouveau moteur. C’est le message que le Gouvernement a passé aux représentants des salariés et aux élus, qui ont été reçus par Emmanuel Macron jeudi dernier. C’est également ce message que le ministre de l’économie a transmis à Carlos Tavares, président-directeur général de PSA, lors des entretiens qu’il a eus avec lui.

M. Tavares a réitéré sa volonté de voir les activités de son groupe rester en France. Il pourra compter sur l’appui de tous, et notamment du Gouvernement, pour faire gagner en compétitivité l’outil industriel français et mener à son terme le redressement du groupe PSA.

M. le président. La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Madame la secrétaire d’État, c’est incontestable, l’État s’est engagé auprès de PSA. Vous avez rappelé les aides financières qu’il a déployées et son entrée dans l’actionnariat du groupe. De leur côté – c’est tout aussi incontestable –, les salariés ont consenti des efforts particulièrement importants. C’est vrai que PSA a failli être mis à terre et que diverses mesures s’imposaient.

Vous nous confirmez le message que M. Macron a récemment fait passer au niveau local, et je vous en remercie.

Toutefois, même si je reste optimiste, un pan de votre réponse m’inquiète quelque peu. Vous nous assurez que ce message sera transmis à Carlos Tavares avec fermeté, et je ne doute pas de la capacité et de la volonté de ce gouvernement à agir en ce sens. Demeure tout de même une question qui risque de se poser – j’espère bien entendu que tel ne sera pas le cas. Nul ne conteste la dimension stratégique de ce projet, en termes d’industrie et d’emploi. Or il s’agit d’une entreprise qui, à défaut d’être maîtrisée par l’État actionnaire, est a minima gérée par lui. J’espère donc que l’on ne s’en tiendra pas à un simple « message » et que, si ce dernier ne produit pas les effets attendus, l’on passera à un autre niveau d’incitation, voire de contrainte.

En tout cas, cet exemple montre les difficultés auxquelles se heurte la France, même en respectant les règles européennes, lorsqu’il s’agit de s’affranchir du dumping social et d’éviter une regrettable concurrence entre les régions.

Néanmoins, je garde espoir, madame la secrétaire d’État, puisque vous nous confirmez les propos tenus en Lorraine par M. Macron !

situation de la société mitrychem

M. le président. La parole est à M. Michel Billout, auteur de la question n° 1024, adressée à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

M. Michel Billout. Madame la secrétaire d’État, je tiens à attirer l’attention du Gouvernement sur une entreprise, certes moins importante que PSA, mais ô combien symbolique des détournements affectant le crédit d’impôt recherche, voire la propriété intellectuelle.

L’entreprise Mitrychem est née en 2011, à la suite de la vente « à la découpe » des laboratoires Lafon. Ces derniers avaient eux-mêmes été repris en 2011 par la société Cephalon, aujourd’hui Teva. L’établissement de Mitry-Mory avait alors été cédé pour l’euro symbolique au fonds d’investissement britannique PiLS, qui l’a transformé en société Mitrychem. Ce laboratoire produit notamment la molécule d’un médicament bien connu, le Spasfon. Depuis, la structure capitalistique a encore évolué.

Cette entreprise a bénéficié de nombreux avantages fiscaux accordés par l’État.

Pour l’année 2012, Mitrychem a ainsi profité de 514 303 euros au titre du crédit d’impôt recherche, tout en accordant un crédit de 450 000 euros à sa société mère, alors basée au Luxembourg. Un bien curieux jeu de vases communicants, qui en appellera d’autres.

En 2013, l’entreprise a bénéficié de 609 948 euros encore au titre du crédit d'impôt recherche, de 11 604 euros de dégrèvement au titre de l’effort de construction, de 280 465 euros de dégrèvement de taxe foncière et enfin de 159 025 euros de dégrèvement de cotisation foncière des entreprises, soit un total de 1 091 000 euros. Pour une année, la somme est appréciable !

Au titre de l’année 2014, Mitrychem espère bénéficier de 304 000 euros en crédit d'impôt recherche et de 700 000 euros pour son agrément comme « jeune entreprise innovante » – qualification curieuse, s’agissant d’une entreprise née il y a une trentaine d’années !

Les premiers problèmes financiers sont intervenus en août 2013, mais on en trouverait sans doute trace dès 2012, si l’on ne comptait pas l’aide publique.

Depuis novembre 2014, plus aucune production ne sort de l’atelier. À la fin du mois de décembre, la direction a présenté au comité d’entreprise un plan de restructuration prévoyant vingt et un licenciements, dont ceux de deux apprentis, sur les trente-huit emplois du site. Rappelons que, pour ces trente-huit emplois, l’entreprise avait perçu plus d’un million d’euros d’aides publiques sur une année…

Depuis le dépôt de cette question, l’entreprise a été placée en liquidation. Vingt-sept salariés ont été licenciés et il ne reste dans l’entreprise que les sept emplois dits « protégés ». Les représentants du personnel et les salariés n’ont aujourd’hui plus accès à l’atelier de production. À la fin du mois de janvier, la trésorerie de l’entreprise était inférieure à 50 000 euros, une somme insuffisante pour payer les salaires du seul mois de janvier.

Il est donc légitime de s’interroger sur l’usage des fonds publics au sein de cette entreprise. Comment est-il possible qu’aujourd’hui la trésorerie soit si basse ? S’agit-il d’un cas de faillite frauduleuse ? Pourquoi l’emprunt accordé à la société mère n’a-t-il pas été remboursé, alors qu’il représente, capital et intérêt compris, environ 490 000 euros ? Convenons que cette somme aurait pu venir gonfler la trésorerie !

Compte tenu du savoir-faire des employés, de l’outil de production haut de gamme et récent et de l’état du marché, l’entreprise est parfaitement viable. Quels moyens seront mis en œuvre par l’autorité publique pour assurer la pérennité de l’outil de production, alors que la direction espère pouvoir vendre le matériel pour un montant de 2,5 millions d’euros – il n’y a pas de petits profits –, rendant toute reprise par le personnel impossible ?

Considérant l’ensemble de ces éléments, je vous demande, madame la secrétaire d’État, quelles dispositions seront prises à l’égard des dirigeants de cette entreprise afin d’assurer le remboursement des fonds publics si la suspicion de faillite frauduleuse se confirme. L’État ne peut plus continuer à contribuer au financement de ce pillage de l’industrie. Je relève d’ailleurs que l’entreprise n’a fait l’objet d’aucun contrôle fiscal au titre du crédit d'impôt recherche.

De plus, d’après les dernières informations dont je dispose, un laboratoire chinois envisagerait de reprendre l’entreprise Mitrychem. Cette perspective intéresse les salariés, qui sont présents aujourd’hui dans les tribunes. Pouvez-vous me dire, madame la secrétaire d’État, si le gouvernement entend faciliter les négociations en vue de cette éventuelle reprise, qui semble préférable à la disparition de ce bel outil de recherche et de production pharmaceutique ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le président, monsieur Billout, l’entreprise Mitrychem est un laboratoire employant trente-huit salariés à Mitry-Mory, spécialisé dans la fabrication de principes actifs pour l’industrie pharmaceutique. Il est issu de la reprise, en 2011, d’une unité appartenant précédemment au groupe Cephalon.

Cette entreprise mène une activité intense de recherche et développement pour mettre au point de nouveaux produits et les commercialiser sur les marchés internationaux. À ce titre, elle a pu bénéficier du statut de jeune entreprise innovante et du crédit d'impôt recherche.

Face aux difficultés de conjoncture et malgré le renouvellement du contrat avec les laboratoires Teva, l’entreprise a dû se placer sous la protection de la justice commerciale, le 1er décembre dernier.

L’administrateur chargé du dossier a tenté de susciter l’intérêt d’un repreneur potentiel, mais a dû, au vu de la situation financière de l’entreprise, lancer un plan de restructuration.

L’État s’est mobilisé aux côtés de l’entreprise dès les premières difficultés et, à ce titre, s’est assuré que les salaires de début d’année pouvaient être payés, grâce au déblocage du crédit d’impôt recherche.

Lundi 2 mars, face aux difficultés rencontrées par l’entreprise, à l’absence d’offre de reprise sérieuse et à l’incapacité de l’actionnaire à structurer un plan de continuation, le tribunal de commerce de Meaux a décidé la liquidation de l’entreprise sans poursuite d’activité.

Les salariés victimes de cette situation tragique vont bénéficier de la mise en œuvre du contrat de sécurisation professionnelle, qui garantit une indemnisation pendant un an à un niveau proche de la rémunération nette précédente, un accès à la formation et un accompagnement au reclassement par des conseillers dédiés.

Par ailleurs, le ministère du travail a mobilisé une cellule d’appui pour apporter, notamment, un soutien psychologique aux salariés concernés.

Depuis, des représentants des salariés ont été reçus par le cabinet du ministre de l’économie, M. Emmanuel Macron. Parce que nous devons collectivement travailler à offrir des perspectives à cet outil industriel et à ses salariés, qui ne baissent pas les bras, les équipes du Gouvernement expertiseront tout projet de reprise.

Vous évoquez les détournements de l’usage du crédit d’impôt recherche. Il arrive en effet, malheureusement, que ce dispositif fasse l’objet de tels abus, qui prouvent à quel point le contrôle et le suivi sont nécessaires.

Cet outil, toutefois, contribue à rendre particulièrement attractif notre pays auprès des investisseurs étrangers et des entreprises qui souhaitent s’y implanter pour poursuivre des activités de recherche et développement. Il constitue ainsi une source de croissance et d’emplois, lorsqu’il est utilisé aux fins qui lui ont été assignées.

Concernant les faits que vous évoquez, il convient de laisser à la justice le soin de confirmer ou non une éventuelle fraude du dirigeant. Il reviendra au juge de décider des dispositions à prendre.

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Je suis satisfait que le ministère de l’économie s’engage à trouver avec les salariés une solution de reprise de l’activité. La disparition de cette entreprise emporterait une perte catastrophique de savoir-faire.

Concernant le crédit d’impôt recherche, il attire, certes, les investisseurs, et c’est sans doute utile, mais il semble également attirer quelques voyous, ce qui me semble être un peu plus problématique …

Les faits que je vous ai présentés posent trop de questions pour que l’on en reste là. Je souhaite, en effet, que la justice fasse son travail au mieux.

Les salariés, du fait de la liquidation de l’entreprise, ont enfin pu avoir accès à des documents qui leur étaient auparavant dissimulés. Ils ont ainsi appris que certains enregistrements de certificats au niveau européen, concernant notamment deux molécules d’adrénaline et d’adrénaline tartrate, avaient été effectués pour le compte de l’entreprise Rouver Investment, basée au Luxembourg, plutôt qu’au nom de Mitrychem. C’est curieux, dans la mesure où Mitrychem dépend de Almara Finance, une société également basée au Luxembourg, qui, elle-même, relève de Rouver Investment, dont le seul actionnaire n’est autre que le PDG de Mitrychem !

Ce bien étrange montage permet des transferts de finances dont on voit qu’ils grèvent artificiellement la viabilité de Mitrychem.

Cette entreprise est petite, mais elle est symptomatique de ce qui se trame en matière des détournements de nos finances publiques !

M. le président. Monsieur Billout, vous savez sans doute qu’une commission d’enquête a été créée sur le dispositif que vous évoquez.

M. Michel Billout. Tout à fait, monsieur le président. Les salariés de l’entreprise ont d’ailleurs été auditionnés par la rapporteur de cette commission.

taxe foncière des commerces inoccupés

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, auteur de la question n° 1040, toujours adressée à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Mais où est donc M. Macron ? À l’Assemblée nationale ?

Mme Catherine Deroche. Je souhaitais en effet interroger M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique sur la taxe foncière imposée aux propriétaires de locaux à usage commercial inoccupés.

Dans nos communes rurales ou dans nos centres-villes, de nombreux immeubles à usage commercial se retrouvent inexploités. Bon nombre de ces situations concernent des commerçants ayant acquis l’immeuble dans lequel ils exploitaient leur commerce afin de se constituer une retraite et qui, au moment de leur retraite, n’ont pas trouvé de repreneur ou ont loué leur local à une personne qui, quelque temps plus tard, a donné son congé à la suite d’un dépôt de bilan.

Ainsi, malgré leurs démarches visant à mettre leur bien à la location, ces commerçants retraités, propriétaires d’un immeuble à usage commercial désormais inexploité, font face à de grandes difficultés. Non seulement ils ne perçoivent plus de loyer – ce loyer même qui devait constituer leur retraite –, mais ils sont, en sus, redevables de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

Certes, conformément à l’article 1389 du code général des impôts, les contribuables peuvent obtenir le dégrèvement de la taxe foncière, qui est alors subordonné à plusieurs conditions : l’inexploitation doit être indépendante de la volonté du contribuable ; elle doit durer trois mois au moins et elle doit affecter soit la totalité de l’immeuble, soit une partie susceptible de location ou d’exploitation séparée. De plus, l’immeuble inexploité doit être utilisé par le contribuable lui-même à usage commercial ou industriel.

Cette dernière condition, précisément, ne permet pas le dégrèvement de la taxe foncière. En effet, l’immeuble à usage commercial étant mis en location par le commerçant propriétaire retraité, il n’est donc plus utilisé par ledit commerçant.

Je souhaite connaître les intentions du Gouvernement dans ce cas précis.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le président, je suis désolée d’entendre dans votre voix de la déception quand vous donnez la parole à la secrétaire d’État chargée du numérique et non au ministre de l’économie ! Sachez cependant que je réponds aux questions des parlementaires au nom du Gouvernement.

Madame Deroche, vous avez attiré notre attention sur les conditions d’application du dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés bâties accordé en cas d’inexploitation d’un immeuble. Plus précisément, vous souhaiteriez savoir pour quelles raisons ce dégrèvement ne s’applique pas aux immeubles à usage commercial donnés en location.

Comme vous l’évoquez, les contribuables peuvent obtenir le dégrèvement de la taxe foncière en cas d’inexploitation d’un immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage commercial.

Ce dégrèvement peut être accordé à partir du premier jour du mois suivant celui du début de l’inexploitation, jusqu’au dernier jour du mois au cours duquel l’inexploitation a pris fin.

Il est subordonné à la triple condition que l’inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, qu’elle dure au moins trois mois et qu’elle affecte soit la totalité de l’immeuble, soit une partie susceptible de location ou d’exploitation séparée.

Le juge administratif a précisé les conditions dans lesquelles ce dégrèvement s’appliquait aux immeubles ou aux parties d’immeuble à usage commercial ou industriel.

Dans ce cas de figure, le contribuable peut obtenir le dégrèvement si, avant l’arrêt de l’exploitation, il utilisait lui-même l’immeuble ou le donnait en location muni du matériel nécessaire à son exploitation. Le Conseil d’État considère en effet, dans cette dernière situation, que le propriétaire poursuit lui-même, à travers cette location, une exploitation industrielle ou commerciale.

Il n’est cependant pas envisagé d’aller au-delà, en accordant le dégrèvement aux contribuables qui louaient des locaux commerciaux vides, mais ne trouvent plus preneur.

En effet, ce dispositif de dégrèvement constitue déjà une exception à la règle générale selon laquelle la taxe foncière sur les propriétés bâties est due à raison de la propriété d’un bien et non de son utilisation effective.

Au surplus, l’extension du dégrèvement aux immeubles commerciaux destinés à la location n’inciterait pas les propriétaires à remettre les locaux inutilisés sur le marché de l’immobilier, en les mettant en vente ou en les transformant en locaux d’habitation. Une telle extension irait ainsi à l’encontre de la politique de libération de l’offre immobilière menée par le Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Je vous remercie de cette explication, madame la secrétaire d’État. J’ai bien entendu votre rappel des conditions et exceptions relatives au dégrèvement. J’ai toutefois été sollicitée à ce sujet par des commerçants de mon département, où il semble que les services fiscaux ont une lecture beaucoup plus sévère.

Alors qu’ils avaient loué à leur successeur leur propre local, certains commerçants n’ont, semble-t-il, pas obtenu de dégrèvement.

Je vous remercie donc de ces précisions, qui vont me conduire à poser la question aux services fiscaux de mon département !

restructuration de la raffinerie de donges

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, auteur de la question n° 1045, adressée à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

M. Yannick Vaugrenard. Depuis 2009, le raffinage français subit une restructuration profonde, qui se traduit par la perte de milliers d’emplois et, donc, la déstabilisation de plusieurs de nos bassins industriels. Toutefois, les conséquences de cette restructuration ne se limitent pas à la seule problématique de l’emploi.

En effet, la France se trouve aujourd’hui en sous-capacité : en 2013, le marché intérieur des produits raffinés s’élevait à 75 millions de tonnes environ, alors que nos raffineries en produisent un peu plus de 55 millions.

Par ailleurs, le coût des importations nécessaires à notre pays est passé de 14,6 milliards d’euros en 2009 à 29,2 milliards d’euros en 2013.

C’est dans ce contexte que la direction générale de Total a annoncé, voilà quelques semaines, que deux sites français sur les cinq existants perdaient de l’argent : la raffinerie de Châteauneuf-les-Martigues et celle de Donges, située dans mon département, en Loire-Atlantique. Des réflexions sont engagées, et de nouvelles réductions de capacités de raffinage seraient annoncées dans les prochaines semaines.

Concernant la raffinerie de Donges, l’une des pistes envisagées par la direction du groupe Total pour pérenniser le site est de procéder à un investissement structurant, avec la création d’une nouvelle unité de production. Toutefois, cet investissement ne peut être réalisé que si la voie ferrée Paris-Le Croisic est déplacée, car celle-ci passe précisément au milieu des installations de la raffinerie.

À ce jour, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement n’a pas émis d’avis formel sur cet éventuel déplacement de la ligne ferrée. Mais, dans cette hypothèse, son coût doit être appréhendé par l’ensemble des acteurs concernés, privés et publics, et ce au plus tôt.

En 2010, le PDG de Total avait indiqué qu’il n’y aurait « pas de fermeture de raffinerie en France avant 2015 ». Or, si la raffinerie de Donges n’engage pas les investissements nécessaires, une profonde restructuration sera réalisée. Même si celle-ci a lieu sans licenciement, il est certain qu’elle entraînera des pertes d’emploi, en particulier chez les sous-traitants, qui représentent aujourd’hui 4 000 salariés.

De même, le grand port maritime de Nantes–Saint-Nazaire pâtirait de cette situation. C’est en effet le principal client de la raffinerie, non seulement en volume, mais également financièrement, s’agissant notamment du transport du pétrole qui y est produit. La pérennité et le renforcement de cette activité sont donc stratégiques pour l’ensemble de l’activité régionale.

Madame la secrétaire d'État, afin d’éviter une décision de restructuration qui risque de condamner à court ou à moyen terme la raffinerie de Donges, je voudrais savoir si toutes les autorisations nécessaires aux investissements de Total concernant la raffinerie de Donges seront octroyées avant les annonces qui doivent être faites dans les semaines à venir par la direction du groupe. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez souligné, le secteur du raffinage subit une restructuration profonde : depuis 2009, huit raffineries ont fermé en Europe, dont quatre en France.

Le Gouvernement porte une attention très particulière au devenir des raffineries françaises, soit en contribuant aux travaux communautaires relatifs aux réglementations concernant le raffinage, soit en accompagnant les restructurations sur le plan national.

Récemment, le groupe Total a annoncé qu’il comptait ajuster sa capacité de raffinage en France. Ces projets devraient faire l’objet d’une communication plus précise au printemps. L’État, qui travaille au plus haut niveau en relation étroite avec la direction du groupe Total, s’assurera que les restructurations envisagées ont un impact socioéconomique limité.

Total s’est d’ores et déjà engagé à ne fermer aucun site industriel en France et à maintenir l’emploi au sein du groupe. Le Gouvernement veillera naturellement au respect de cet engagement.

Concernant spécifiquement le site de Donges, Total envisage effectivement de réaliser des investissements sur le site afin de le pérenniser. La situation est singulière, puisque les installations de la raffinerie et du site de GPL se trouvent de part et d’autre d’une ligne ferroviaire liant Nantes à Saint-Nazaire et par laquelle transite le fret ferroviaire, en liaison avec le grand port maritime de Nantes–Saint-Nazaire. Cette voie ferrée constitue aujourd’hui un frein au développement du site. Aussi, les pouvoirs publics étudient un tracé alternatif, pour la voie ferroviaire, au nord de la raffinerie.

Une étude financée conjointement par l’État, l’Union européenne, les collectivités locales, SNCF Réseau et Total a donc été lancée en 2011. L’État, via le préfet de région, préside le comité de pilotage.

Les études préliminaires approfondies sont en voie d’achèvement, ce qui devrait permettre assez rapidement aux différents partenaires de prendre les décisions appropriées quant à l’évolution de ce site industriel, dont vous avez rappelé l’importance, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de cette réponse. Je me félicite que le Gouvernement porte un intérêt soutenu à cette question importante.

Notre inquiétude porte sur le détournement de la voie ferrée actuellement au cœur de la raffinerie.

Par ailleurs, je vous remercie d’avoir souligné que le Gouvernement accorde une attention particulière au site de Donges en termes d’emplois et que Total s’engagerait à réaliser de nouveaux investissements. C’est rassurant pour le département de Loire-Atlantique, dans son ensemble, et, plus particulièrement, pour le bassin économique de la région de Donges.

Concernant l’aspect financier de ce projet, il serait souhaitable que l’ensemble des partenaires économiques concernés, publics et privés, se réunissent, afin de connaître le montant de leurs participations respectives.

Enfin, le détournement de cette voie ferrée risque bien entendu d’exiger du temps ; nous y sommes malheureusement habitués. En effet, les recours, parfois judiciaires, sont aujourd'hui de plus en plus nombreux. Or ces temps de mise en œuvre et de recours ne doivent pas entraver les investissements de Total.

J’attire votre attention, madame la secrétaire d'État, sur cet aspect, qui n’est pas négligeable : entre la décision et la mise en œuvre, il ne faudrait pas que trop de mois ou d’années s’écoulent.

mise en œuvre des devis-modèles en matière funéraire

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question n° 1049, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur la loi du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures et, plus précisément, sur l’article 15, aux termes duquel les régies, entreprises et associations habilitées à procéder aux obsèques doivent déposer des devis « dans chaque département où elles ont leur siège social ou un établissement secondaire, auprès des communes où ceux-ci sont situés, ainsi qu’auprès de celles de plus de 5 000 habitants ».

L’article 2223-21-1 du code général des collectivités territoriales précise que ces devis « doivent être conformes à des modèles de devis établis par arrêté du ministre chargé des collectivités territoriales » – cet arrêté a été publié le 23 août 2010 – et que « ces devis peuvent être consultés selon des modalités définies, dans chaque commune, par le maire ».

L’adoption de cet ensemble de mesures est le fruit d’une grande ténacité, qui remonte aux débats relatifs à la loi du 8 janvier 1993 modifiant le titre VI du livre III du code des communes et relative à la législation dans le domaine funéraire, que j’ai eu l’honneur de défendre devant le Parlement. Cette ténacité se justifie par la nécessité de protéger les familles endeuillées, donc vulnérables, en leur permettant de disposer facilement d’informations précises et strictement comparables sur le prix des diverses prestations constituant une cérémonie d’obsèques.

Je rappelle que les dispositions précitées de la loi du 16 février dernier sont d’application directe.

Je suis bien entendu très attaché à l’application de ces mesures, qui ont été prises dans l’intérêt des familles, et uniquement dans leur intérêt.

Aussi, quelles instructions le ministre de l’intérieur a-t-il données ou compte-t-il donner aux préfets, afin que ceux-ci prennent toutes les dispositions nécessaires à l’application effective de la loi ?

En effet, l’ensemble des opérateurs funéraires agréés doivent être informés de la nécessité de déposer, conformément aux termes de l’arrêté du 23 août 2010, des devis conformes dans toutes les mairies visées par l’article 15 de la loi précitée.

Il convient également de sensibiliser les maires des communes concernées sur l’obligation qui est la leur, en vertu de la loi, de mettre effectivement à la disposition des familles ces devis-modèles que les opérateurs leur auront transmis selon les modalités de leur choix, et elles peuvent être très simples : il suffit qu’elles figurent sur le site internet de la mairie.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État, que je salue.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Monsieur le président, monsieur le sénateur, je vous prie, tout d’abord, de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur, qui m’a chargé de répondre à cette question.

Comme vous l’avez souligné, monsieur Sueur, il convient de protéger nos concitoyens qui doivent organiser, dans un bref délai, les obsèques de l’un de leurs proches, alors qu’ils sont bien souvent dans une situation de fragilité psychologique et de douleur affective.

Vous l’avez rappelé, les opérations consécutives au décès sont réalisées par des opérateurs de pompes funèbres, majoritairement des entreprises de droit privé.

La loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 modifiant le titre VI du livre III du code des communes et relative à la législation dans le domaine funéraire, que vous avez vous-même portée, a libéré les prix des opérations funéraires. De ce fait, des écarts de prix substantiels peuvent être constatés d’un établissement à un autre, pour des prestations similaires. Cette liberté des prix est toutefois encadrée par un certain nombre de règles spécifiques, notamment pour ce qui concerne l’établissement des documents commerciaux – les devis, les bons de commande et les factures – ou la nécessaire liberté de choix de l’opérateur par les familles.

Au regard de la situation particulière des familles confrontées à un deuil, le Gouvernement est très attentif au strict respect de ces dispositions. Sur ce point, l’adoption de la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, issue d’une proposition de loi dont vous êtes à l’initiative, monsieur le sénateur, a constitué une étape importante dans la prise en compte, par le législateur, de l’évolution des pratiques funéraires que nous avons constatée au cours des deux dernières décennies.

Cette loi a instauré un modèle de devis pour les prestations funéraires. Au terme d’une concertation approfondie, le Gouvernement a fait le choix de définir, par arrêté du 23 août 2010, une terminologie commune de nature à faciliter les comparaisons de tarifs entre les opérateurs de pompes funèbres.

Ce modèle de devis est en vigueur depuis le 1er janvier 2011. Depuis cette date, certains préfets ont déjà engagé des sanctions administratives à l’encontre des entreprises n’ayant pas respecté ce modèle.

Pour respecter l’esprit ayant prévalu à la création du dispositif, le modèle de devis est très fréquemment intégré à la « documentation générale » remise aux familles, ce qui permet à ces dernières de connaître l’étendue non seulement des prestations obligatoires définies par le droit en vigueur, mais également des prestations complémentaires.

L’article 15 de la loi du 16 février 2015, que vous avez évoqué, a modifié les dispositions de l’article L. 2223-21-1 du code général des collectivités territoriales sur les devis, afin d’assurer une meilleure information des familles et de faciliter la comparaison des diverses prestations constituant une cérémonie d’obsèques ainsi que leur coût.

Cette loi, qui a été publiée au Journal officiel de la République française le 17 février dernier, est d’application immédiate.

La publication de cette loi n’a pas échappé aux préfets ni aux agents de préfecture, qui ont été nombreux à se tourner vers le ministre de l’intérieur pour connaître la marche à suivre, une démarche assez similaire à la vôtre, monsieur le sénateur.

Il leur a été indiqué que les opérateurs de pompes funèbres doivent déposer auprès des communes visées par l’article 15 de la loi précitée des devis chiffrés. Par ailleurs, dans chaque commune, il appartient au maire de définir les modalités de consultation de ces devis : mise à disposition dans les locaux de la mairie ouverts au public – accueil, état civil – ou, comme vous l’évoquez, mise en ligne sur le site internet de la commune.

Le Gouvernement a donc particulièrement veillé à informer les préfets, eux-mêmes étant chargés d’informer à leur tour les mairies. Il est attentif à la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 2223-21-1 du code général des collectivités territoriales sur les devis établis par les opérateurs funéraires.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, je souhaite remercier M. le secrétaire d’État pour cette réponse extrêmement précise.

Je veux ajouter que, si je suis revenu à la charge à la faveur de la loi de 2015, c’est parce que certains contestaient l’écriture de la loi de 2008, où nous avions indiqué que les familles devaient pouvoir consulter des devis.

Certains opérateurs funéraires avaient considéré que le verbe « pouvoir » laissait place à une certaine ambiguïté et qu’il n’y avait plus d’obligation – ce que j’ai vivement contesté ! La loi est maintenant très claire, ce dans l’intérêt des familles.

J’ai lu un certain nombre de réactions des professionnels du funéraire. Je leur ai répondu qu’il est de l’intérêt de leur profession de jouer pleinement la carte de la transparence.

Plus grande est la transparence, mieux c’est, pour les professionnels comme pour les familles. La loi est donc désormais très claire.

De plus, comme les préfets ont le devoir d’habiliter les entreprises, ils peuvent retirer ou suspendre l’habilitation de celles qui ne respecteraient pas la loi.

Vos propos, monsieur le secrétaire d’État, montrent que le Gouvernement est tout à fait dans l’optique d’une stricte application de la loi. C’est ce que je demande. Non pas pour compliquer les choses – monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes fait spécialiste de l’élimination de la complexité, lorsque cela est possible –, mais tout simplement parce que, lorsque l’on perd un être cher, hélas, il faut prendre en moins de vingt-quatre heures un grand nombre de décisions. Or il est nécessaire que la loi et les pouvoirs publics protègent les familles endeuillées, et qu’il y ait la plus totale clarté sur les prix.

C’est pourquoi il s’agit de devis modèles. Ce n’est pas une formule limitative, les professionnels peuvent faire d’autres propositions ; cependant, il faut qu’ils s’engagent à exercer leur métier et à offrir leurs prestations à un prix public, déterminé chaque année, dans des conditions qui auront été définies en toute transparence.

engorgement des tribunaux administratifs en matière de contentieux de l'urbanisme

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Micouleau, auteur de la question n° 999, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Brigitte Micouleau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, je souhaitais interroger Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l’engorgement des tribunaux administratifs en matière de contentieux de l’urbanisme. L’inflation à cet égard semble notamment due à la multiplication des recours à l’encontre des permis de construire.

En effet, dans une étude de décembre 2014, la fédération des promoteurs immobiliers de Midi-Pyrénées a recensé près de 3 000 logements dont la réalisation est actuellement suspendue à l’examen d’un recours, ce uniquement pour les trente adhérents de cette organisation professionnelle régionale.

La multiplication des recours et l’allongement des délais de jugement ont de graves répercussions sur la construction de logements, y compris les logements sociaux, mais aussi sur l’emploi dans le secteur du bâtiment et sur les recettes fiscales engendrées par cette activité. Les chiffres avancés par les organisations professionnelles sont, à tous niveaux, inquiétants.

L’ordonnance du 18 juillet 2013 ainsi que le décret du 1er octobre 2013 avaient pour objectifs de réduire les abus et d’accélérer les procédures en matière de contentieux de l’urbanisme. Ces objectifs ne semblent pas atteints aujourd’hui.

Aussi je souhaite connaître les mesures que le Gouvernement compte prendre, tant sur le plan réglementaire que sur le plan législatif, pour améliorer cette situation, notamment en termes de délais, et ainsi permettre à la justice administrative d’être mieux adaptée aux attentes de nos concitoyens.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Madame la sénatrice, je vous prie d’excuser Mme la garde des sceaux, qui m’a chargé de répondre à votre question.

Vous traitez d’une véritable difficulté. Les temps nécessaires à la justice pour se prononcer en matière de recours contre des permis de construire et les conséquences que ces délais peuvent avoir sur la réalisation des opérations de construction, le lancement des chantiers et le soutien à la croissance sont autant de raisons qui témoignent de l’importance de cette question.

Vous l’avez rappelé, de nouvelles règles en matière d’urbanisme ont été introduites dans le but précisément de raccourcir ces délais. Il s’agit du premier paquet de mesures de simplification du droit de l’urbanisme. D’autres viendront dans des délais assez courts.

Je ne crois pas que les difficultés que vous soulignez, propres à la région à laquelle vous vous intéressez, relèvent de ces dispositifs. Au contraire, une accélération des contentieux en matière d’urbanisme est constatée. Ainsi, le nombre de recours portant sur les permis de construire a diminué, à l’échelle de la France entière, de 16,82 % entre 2013 et 2014. Les délais moyens de jugement sont passés de un an, quatre mois et onze jours en 2010, à un an, trois mois et treize jours en 2014, ce qui, à mes yeux, reste encore long.

Sur la même période, le stock de contentieux liés à des permis de construire a diminué, passant de 8 646 affaires en 2010 à 7 013 en 2014.

Voilà pour le constat de l’engorgement des juridictions, de la multiplication des recours et de l’allongement des délais de jugements sur les permis de construire.

S’il n’est pas possible, à ce stade, d’imputer avec certitude les progrès susmentionnés à la réforme du contentieux de l’urbanisme réalisée par l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 et par le décret n°2013-879 du 1er octobre 2013. Il n’en demeure pas moins que, après dix-huit mois d’application, ces textes ont mis à disposition de nombreux outils, notamment pour dissuader en amont les requérants d’intenter des actions purement dilatoires, tout en donnant au juge de nouveaux instruments pour sécuriser et accélérer le traitement du contentieux.

Parmi les nouveaux outils qui ont montré leur efficacité figurent les précisions apportées en matière d’intérêt à agir, posées par l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, dans le cadre du recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’un permis de construire.

Néanmoins – ce pour rejoindre vos propos, madame la sénatrice – il est utile de dresser au plus vite un bilan complet de ces premières mesures. C’est d’ailleurs ce que prévoit l’amendement parlementaire adopté en première lecture du projet de loi sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques à l’Assemblée nationale, qui introduit un article additionnel après l’article 28 prévoyant la remise au Parlement d’un rapport « avant le 31 décembre 2015 sur l’évaluation des effets de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme ».

En tout état de cause, nous allons mener cette évaluation avec exigence, quitte à revenir sur la réforme, pour la compléter et l’améliorer si cela se révélait nécessaire.

Le Gouvernement mène une réflexion continue sur ces sujets. C’est ce qu’il fait notamment, d’une part, dans le cadre de la mission confiée par le Premier ministre au préfet Jean-Pierre Duport sur l’accélération des projets en matière de logement, d’urbanisme et d’aménagement du territoire et, d’autre part, dans le cadre de la modernisation du droit de l’environnement, dont le suivi global a été confié par la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, à une commission spécialisée du Conseil national pour la transition énergétique, présidée par votre collègue Alain Richard.

J’ajoute que tous ces outils – bilan d’évaluation, mission Duport et mission Richard – ont le même échéancier, à savoir la fin de l’année 2015, car il est absolument essentiel de raccourcir les délais de jugement en matière de contentieux de l’urbanisme, et d’accélérer la réalisation effective, quand elles sont autorisées par le tribunal, des opérations d’aménagement et d’urbanisme.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Micouleau.

Mme Brigitte Micouleau. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie pour votre réponse ; cependant, malgré la baisse chiffrée que vous annoncez, ce problème est persistant dans ma région, singulièrement dans mon département, la Haute-Garonne. La multiplication des recours que l’on peut qualifier d’abusifs a des conséquences néfastes.

Ainsi, en Midi-Pyrénées, l’année de production est bloquée : 3 000 logements privés et 1 000 logements sociaux sont concernés. Parallèlement, certains avocats et particuliers négocient désormais à l’amiable pour retirer ces recours, moyennant une forte indemnité.

Je me permets d’insister sur la nécessité de limiter tous ces recours abusifs, par exemple en s’inspirant du système des legal opinions du Royaume-Uni ou des États-Unis, pour juger de la recevabilité du motif du recours en cas de recours contentieux, ou, en cas de poursuite de la procédure, en exposant le requérant à une indemnité dissuasive si le juge venait à rejeter son recours.

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, voilà un vrai problème, notamment dans l’immensité des villes ! Il est par ailleurs regrettable que des avocats se spécialisent dans ces procédures pour les faire traîner en longueur.

application de la loi alur en milieu rural

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, auteur de la question n° 1022, adressée à Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Monsieur le secrétaire d’État, de nombreux maires, mais aussi des particuliers de mon département m’ont alertée sur les conséquences dommageables d’une application extrêmement rigide de la loi ALUR concernant les demandes de permis de construire.

Si l’on peut comprendre la nécessité d’une préservation stricte des terres non urbanisées dans certains territoires, une telle position est plus difficilement compréhensible dans des secteurs ruraux à faible densité de population, où il n’existe pas de réelle pression foncière.

Ainsi, dans certaines communes, une seule demande de permis de construire – c’est malheureux - est déposée chaque année. Évidemment, tout refus est perçu comme un préjudice important par les élus locaux, et est incompréhensible pour les demandeurs qui se voient opposer ce refus.

À cet égard, un couple d’agriculteurs m’a saisie d’une situation particulièrement emblématique : un de leurs enfants souhaitait faire construire sur une parcelle contiguë à l’habitation familiale et aux bâtiments agricoles, propriété de la famille depuis plus d’un siècle ; il s’est vu refuser l’autorisation par la direction départementale du territoire, au motif de « parties non urbanisées ». Je pourrais, monsieur le secrétaire d’État, vous citer nombre d’exemples de ce type.

Cette attitude est d’autant plus incompréhensible qu’à quelques kilomètres, dans un autre département, l’application de la loi ALUR semble beaucoup moins contraignante en termes de constructions nouvelles.

Aussi aimerais-je savoir quelles mesures pourraient être prises afin que, dans l’application de la loi, les secteurs les plus ruraux, qui sont en déprise démographique, donc très en deçà des ratios moyens de consommation d’espace, ne subissent pas une « double peine ».

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Madame la sénatrice, vous appelez l’attention de Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, qui s’excuse de ne pouvoir répondre en personne à cette question sur les possibilités de construire dans les communes rurales.

Cette question concerne un cas très particulier – sauf incompréhension de notre part – puisqu’il s’agit de construire en dehors des parties actuellement urbanisées, dans des communes ne disposant pas de document d’urbanisme.

Dans ce cas, ce n’est pas la loi ALUR qui est en cause, mais l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme, applicable aux communes sans document d’urbanisme. Cet article date des lois de décentralisation et prévoit qu’en dehors des parties actuellement urbanisées de ces communes, certains types de constructions sont autorisés. Ce dispositif permet de contrôler le développement d’un habitat diffus, consommateur d’espaces et très coûteux en termes d’équipements et de réseaux.

Puisque le dossier sur lequel vous m’interrogez se trouve hors document d’urbanisme, les autorisations de construire sont instruites par l’État. D’où la nécessité pour les DDT d’assurer la légalité des autorisations. Les parties actuellement urbanisées sont donc appréciées par les DDT, qui s’appuient sur une jurisprudence abondante, très précise et contraignante.

Dans le cas que vous évoquez, il est donc probable que l’habitation en cause ne figure pas sur la liste des constructions autorisées en dehors des parties actuellement urbanisées.

Pour traiter ces situations, la collectivité locale n’a probablement comme seule solution que d’élaborer une carte communale ou un plan local d’urbanisme, un PLU. Ces documents d’urbanisme permettent en effet aux communes ou aux intercommunalités de définir les orientations d’aménagement souhaitées pour leur territoire, en déterminant avec finesse un projet urbain et des droits à construire.

La DDT de la Haute-Vienne est à la disposition des élus pour les aider à élaborer des documents d’urbanisme, dans toute situation, ou à réfléchir en amont du dépôt des dossiers afin de les orienter vers les parties actuellement urbanisées.

Vous le voyez, si le Gouvernement se préoccupe de la préservation des espaces naturels et agricoles et du contrôle de l’habitat diffus dans ces zones, cela ne signifie pas qu’il ne se soucie pas de la construction de logements en milieu rural.

Nous favorisons aussi la construction et la rénovation dans les centres-bourgs, afin de répondre aux besoins en logement des populations locales ou nouvelles, mais aussi parce que cela est essentiel pour soutenir l’attractivité et l’amélioration du cadre de vie des communes rurales.

Ainsi, nous avons lancé un appel à projets pour la revitalisation des centres-bourgs, au terme duquel nous avons sélectionné cinquante-quatre communes ; ma collègue Sylvia Pinel étudie en ce moment la possibilité d’étendre ce dispositif. Nous avons également élargi le bénéfice du prêt à taux zéro à l’achat de logements anciens, sous condition de travaux de rénovation, dans 6 000 communes rurales.

Ces actions, complétées par les cinquante mesures nouvelles annoncées le 13 mars dernier à l’issue du comité interministériel aux ruralités, prouvent l’engagement du Gouvernement en faveur du développement et de l’attractivité de nos territoires ruraux.

En ce qui concerne les règles d’urbanisme, je vous le répète, madame la sénatrice, l’établissement par les communes de documents d’urbanisme appropriés permettrait de résoudre les problèmes analogues à celui que vous avez exposé.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Monsieur le secrétaire d’État, je prends acte de votre réponse, mais je regrette d’avoir à vous dire qu’elle ne me satisfait pas. En effet, à deux kilomètres de la commune où se trouve la propriété dont j’ai parlé, dans des communes de même type qui disposent ou non d’un document d’urbanisme, les services de la direction départementale des territoires font des applications différentes de la loi.

Je constate que les refus dont j’ai décrit un exemple, et qui sont à mon sens excessifs, sont perçus par les élus ruraux comme un coup de poignard porté à la ruralité, ce qui n’est pas l’esprit de la loi. Dès lors, je demande au Gouvernement d’examiner très précisément et avec la plus grande attention les situations dont je parle, et de veiller à l’application uniforme de la loi au sein d’une même région.

lutte contre le phénomène d'invasion des frelons asiatiques

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, auteur de la question n° 998, transmise à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

Mme Françoise Gatel. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur la lutte contre le fléau que représente le frelon asiatique, un insecte colonisateur très nuisible dont l’espèce a été déclarée invasive voilà déjà plusieurs années. En effet, le nombre de foyers a considérablement progressé et l’impact environnemental de cet insecte, notamment sur la santé des abeilles et sur la biodiversité, est désormais avéré.

Ce prédateur, classé en 2012 comme « danger sanitaire » et « espèce exotique envahissante », menace de plus en plus la santé publique. L’ensemble du territoire est touché, puisque, en 2013, 70 % de notre pays avait été colonisé, mais le Grand Ouest est tout particulièrement frappé.

Or la prise en charge par les particuliers des frais de destruction des nids situés sur leur propriété atteint ses limites, compte tenu du coût élevé de cette opération et de son caractère itératif. Je vous rappelle que, les pompiers n’intervenant plus pour détruire les nids, les particuliers doivent faire appel à des sociétés privées. Les personnes concernées sont parfois contraintes de s’abstenir, de sorte que, malgré elles, elles entraînent des risques sanitaires et contribuent à l’aggravation du phénomène ; certaines aussi sollicitent l’aide des communes.

Compte tenu de l’ampleur du phénomène, qui menace indéniablement la santé publique, puisque le frelon asiatique cause chaque année la mort de quinze personnes, il serait légitime que l’État prenne en charge les frais de la lutte contre ce fléau sanitaire qui menace l’ensemble de notre territoire et de notre population.

Monsieur le secrétaire d’État, nos territoires peuvent-ils compter sur le Gouvernement pour lutter efficacement contre cette invasion ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Madame Gatel, mon collègue Stéphane Le Foll, qui vous prie d’excuser son absence, m’a chargé de vous donner la réponse qu’il a préparée à votre intention, s’agissant des mesures que le Gouvernement entend prendre pour lutter contre le frelon asiatique, ennemi des abeilles, qui est apparu en France en 2004 et s’y est largement implanté depuis lors.

Le Gouvernement, conscient des problèmes que le frelon asiatique entraîne, a d’ores et déjà pris des mesures : à la fin de l’année 2012, il a classé cet insecte dans la catégorie des dangers sanitaires de catégorie 2, d’une part, et dans celle des espèces exotiques envahissantes, d’autre part. Grâce à cette double décision, les professionnels et les collectivités territoriales peuvent adopter des programmes de lutte contre ce nuisible approuvés par l’État.

Plus largement, le ministre de l’agriculture a mis en place, en 2013, un plan triennal de développement durable de l’apiculture, qui envisage de façon coordonnée toutes les problématiques liées à cette activité. Ce plan, doté de 40 millions d’euros sur trois ans, a pour ambition de relever le défi d’une filière apicole durable et compétitive ; il prévoit cent quinze actions relatives à la santé des abeilles, au soutien à la recherche, au développement de la production d’abeilles et de miel, à la formation et à l’installation des jeunes apiculteurs et à l’organisation de la filière apicole.

La lutte contre le frelon asiatique, considérée à la fois dans ses aspects juridiques et techniques, constitue l’un des axes de ce plan. Dans ce cadre, l’État appuie la lutte contre le frelon asiatique en encourageant et en finançant des études de suivi et d’efficacité des méthodes de lutte.

Le ministère de l’agriculture a également défini, en mai 2013, des mesures de surveillance, de prévention et de lutte destinées à limiter l’impact du frelon asiatique sur les colonies d’abeilles domestiques.

Par ailleurs, le ministre de l’agriculture, conscient de l’ampleur du problème, a demandé à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, un avis sur les dangers sanitaires menaçant les abeilles ; il a également commandé une expertise coordonnée par l’Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation sur les méthodes de lutte efficaces qu’il convient de mettre en œuvre.

Sur le fondement des conclusions de ces travaux, qui seront connues au mois d’avril, c’est-à-dire dans les prochains jours, Stéphane Le Fol décidera, après concertation avec les différents acteurs du monde apicole, de l’opportunité de classer le frelon en danger sanitaire de catégorie 1, ce qui ouvrirait la voie à des mesures de lutte obligatoires sur tout le territoire national. Mon collègue a déjà indiqué à plusieurs reprises qu’il était a priori favorable à ce classement.

Les modalités d’application d’un tel dispositif, qui implique la mise en œuvre obligatoire par tous du plan de lutte alors déterminé, et dont l’efficacité technique comme la prise en charge financière pour l’État et pour les apiculteurs concernés doivent être garanties, sont actuellement expertisées par les services du ministère de l’agriculture. Les résultats de cette expertise sont attendus dans les prochaines semaines, c’est-à-dire à peu près au même moment que les conclusions des travaux demandés par M. Le Fol.

Si cette décision est confirmée, tout le monde se conformera aux mesures définies dans le plan de lutte obligatoire, ce qui garantira l’efficacité du dispositif mis en œuvre contre ce fléau : cet insecte menace une filière essentielle non seulement pour notre économie, mais aussi pour la préservation des éco-équilibres. N’oublions pas, en effet, que les abeilles sont des pollinisateurs indispensables, en particulier, à l’activité agricole.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel.

Mme Françoise Gatel. Monsieur le secrétaire d’État, je suis très heureuse de l’attention que M. le ministre de l’agriculture accorde au frelon asiatique, un problème loin d’être anodin et dont les enjeux sanitaires sont majeurs. Il est bon que M. Le Fol ait lancé plusieurs études, mais la question du financement pour les particuliers demeure. Tant que la destruction des nids sur les propriétés des particuliers ne sera pas prise en charge par l’État, la prolifération du frelon asiatique ne pourra pas être endiguée.

Je connais l’imagination des femmes et des hommes politiques, et je ne voudrais pas que le frelon asiatique donne lieu à un nouveau transfert de charges de l’État vers nos collectivités !

nouvelles dispositions fiscales concernant les correspondants locaux de presse

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, auteur de la question n° 1031, adressée à Mme la ministre de la culture et de la communication, que nous sommes heureux de saluer.

M. Mathieu Darnaud. Madame la ministre, les correspondants locaux de presse se trouvent dans une situation préoccupante du fait des nouvelles dispositions fiscales qui les concernent.

Depuis le 1er janvier dernier, en effet, en vertu de la loi du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015, les travailleurs indépendants, dont les correspondants locaux de presse font partie, sont tenus de verser des cotisations. Dès la mi-décembre, de nombreux correspondants ont reçu des échéanciers relatifs à la CSG, à la CRDS et aux cotisations familiales dues pour 2015, à hauteur de 10,15 %. Pour chaque euro gagné, ils vont devoir s’acquitter de cotisations, alors même que leurs honoraires ne dépassent pas le seuil de 15 % du plafond annuel de la sécurité sociale.

Il faut mesurer que les personnes dont nous parlons tirent de cette activité des revenus tout à fait modiques, qui sont considérés non comme des salaires, mais comme une modeste contrepartie pour leur collaboration à la bonne information des habitants. Ainsi, un correspondant local de presse du Dauphiné libéré exerçant en Ardèche perçoit en moyenne 189 euros par mois.

Ces nouvelles cotisations viennent ponctionner les honoraires de tous les travailleurs indépendants, a priori sans exception. Jusqu’à présent, une dispense accordée par la Direction de la sécurité sociale permettait aux correspondants locaux de presse de bénéficier d’une exonération, mais la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises et la loi du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015 ont malheureusement mis fin à cette dispense.

Les correspondants locaux de presse travaillant pour le Dauphiné libéré sont au nombre de 2 200, dont 487 œuvrent dans les départements de l’Ardèche et de la Drôme. En raison des conséquences financières des nouvelles mesures fiscales votées sur l’initiative du Gouvernement, un grand nombre d’entre eux ont été contraints de démissionner, faute de pouvoir continuer leur activité dans ces conditions financières insoutenables.

Dans un contexte depuis plusieurs années difficile pour les groupes éditeurs de presse, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour remédier à cette situation critique, alors que sont menacés non seulement l’activité des correspondants locaux de presse et le contenu des journaux qui les emploient, mais aussi, au-delà, le lien de proximité entretenu par la presse quotidienne régionale ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, votre analyse de la situation des correspondants locaux de presse est parfaitement exacte : le passage au 1er janvier 2015 d’un régime d’exonération de cotisations sociales pour les travailleurs indépendants en dessous d’un certain seuil de revenu à un régime de contribution obligatoire à taux réduits au titre des allocations familiales, de la CSG et de la CRDS touche, par ricochet, les correspondants locaux de presse, qui sont des travailleurs indépendants.

Permettez-moi de rappeler brièvement le cadre juridique du régime social dérogatoire des correspondants locaux de presse.

Le caractère atypique de l’activité de ces professionnels, dont vous avez eu raison de souligner le rôle important dans la vie de la presse régionale et locale, a conduit à la mise en place, dès 1987, d’un statut provisoire conciliant les principes généraux d’affiliation à la sécurité sociale et la prise en compte de la situation spécifique des entreprises de presse régionales et locales. Ce statut provisoire a été pérennisé par l’article 16 de la loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social.

En vertu de ces dispositions, les correspondants locaux de presse relèvent d’un régime social dérogatoire : ils bénéficient d’une affiliation au régime de sécurité sociale des travailleurs non salariés des professions non agricoles, ainsi que de la prise en charge par l’État d’une partie de leurs cotisations, selon que leurs revenus annuels sont inférieurs ou supérieurs à certains seuils.

Plus précisément, lorsque le revenu annuel du correspondant local de presse est inférieur à 15 % du plafond annuel de la sécurité sociale, son affiliation aux régimes d’assurance maladie et de retraite est facultative ; la cotisation personnelle d’allocations familiales et les contributions au titre de la CSG et de la CRDS restent cependant dues sur l’intégralité des revenus.

Néanmoins, l’article L. 242-11 du code de la sécurité sociale prévoyait, jusqu’au 1er janvier 2015, une dispense de versement des cotisations personnelles d’allocations familiales pour les travailleurs indépendants dont les revenus étaient inférieurs à 15 % du plafond annuel de la sécurité sociale. Les correspondants locaux de presse remplissant cette condition étaient donc dispensés d’acquitter leur cotisation personnelle d’allocation familiale, ainsi que leur CSG et leur CRDS.

Cet article a été modifié par la loi du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014, qui a substitué à l’exonération de cotisations une réduction, dans la limite de 3,1 points, des taux des cotisations d’allocations familiales des travailleurs indépendants non agricoles dont les revenus d’activité sont inférieurs à un seuil fixé par décret. Par conséquent, les correspondants locaux de presse tirant de leur activité des revenus inférieurs à 15 % du plafond annuel de la sécurité sociale doivent désormais s’acquitter des cotisations d’allocations familiales, de la CSG et de la CRDS à taux réduits.

Soucieux de ne pas fragiliser la situation financière des personnes concernées et conscient des conséquences négatives de la situation nouvelle, que vous avez rappelées, monsieur le sénateur, le ministère de la culture et de la communication s’est rapproché du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et du ministère des finances et des comptes publics afin d’envisager la possibilité de rétablir l’exonération de cotisations sociales pour les correspondants locaux de presse dont les revenus n’excèdent pas 15 % du plafond annuel de la sécurité sociale.

La Direction de la sécurité sociale travaille actuellement sur cette question, en concertation avec la Direction générale des médias et des industries culturelles de mon ministère. L’évaluation du nombre exact de personnes concernées et des incidences financières sur celles-ci des mesures fiscales est également en cours.

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud.

M. Mathieu Darnaud. Madame la ministre, je vous remercie pour votre réponse, mais j’insiste sur l’urgence qu’il y a à agir : la concertation dont vous avez parlé doit aboutir dans les plus brefs délais de manière à donner satisfaction aux correspondants locaux de presse, car de nombreux titres, à l’image du Dauphine libéré, ont aujourd’hui toutes les peines du monde à couvrir l’ensemble des territoires de leur zone de diffusion, ce qui pénalise l’information de nos concitoyens.

prélèvement sur les fonds de roulement des universités

M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, auteur de la question n° 1026, transmise à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Dominique Gillot. Madame la ministre, il est vrai que cette question a été transmise à Mme la ministre de l’éducation nationale, mais je vous remercie de suppléer votre collègue.

À ce jour, les universités n’ont pas reçu la notification ministérielle 2015 de leurs subventions pour charges de service public. Dans l’attente, elles se sont vu attribuer, en janvier dernier, un premier versement de leur dotation 2015 correspondant à 25 % de celle de 2014.

Parallèlement, le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche a demandé à l’Inspection générale des finances et à sa propre administration de produire un rapport relatif aux fonds de roulement des universités et des écoles.

Alors que ce rapport n’est pas rendu public, certains médias, y ayant eu accès, en ont publié des extraits qui font circuler des hypothèses et nourrissent des inquiétudes.

Selon les conclusions tirées par les inspections de l’analyse des fonds de roulement de neuf universités, 25 % à 35 % de ces fonds seraient mobilisables sans dommage pour la vie de ces établissements. Cette liberté d’emploi pourrait s’élever à un montant total de 1,3 milliard d’euros pour toutes les universités, selon le projet annuel de performances annexé à la loi de finances pour 2015.

Assumant la nécessaire contribution des opérateurs au redressement des comptes publics, en réponse aux légitimes questions des présidents d’établissement, le cabinet de Geneviève Fioraso avait indiqué que les arbitrages relatifs aux dotations des établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche seraient pris au regard des résultats du rapport des inspections.

Faut-il comprendre, à la fin du mois de mars, que le Gouvernement envisage une mobilisation de ces fonds ?

Dans ce cas, il semblerait que 10 % des établissements d’enseignement supérieur sous tutelle du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche puissent être impactés, pour un objectif total de prélèvement de 100 millions d’euros. Cela ne manque pas d’inquiéter des équipes de gouvernance aux prises avec la maîtrise progressive de leurs fonctions support et la mise en œuvre d’indicateurs de contrôle budgétaire utiles à une gestion budgétaire responsable.

Ce ne serait, cependant, pas choquant. Dans ce cas, je préconiserais de ne pas impacter de manière linéaire tous les établissements, mais de définir une stratégie qui permettrait dans un même mouvement de reprendre sur les fonds de roulement inertes non affectables et d’augmenter les dotations pour charges de service public d’établissements présentant de réelles difficultés, en contrepartie d’un engagement de meilleure gestion. Je pense qu’une telle disposition pourrait recevoir l’agrément des acteurs concernés, conscients de leurs obligations et désireux d’exercer leurs responsabilités en pleine compétence et en toute transparence.

Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur les choix qui se préparent afin de mobiliser utilement, efficacement et équitablement les fonds de roulement libres d’emplois appelés à contribuer au projet annuel de performance pour 2015 ? Dans quels délais les services du ministère pourront-ils fournir aux établissements leurs notifications ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Madame la sénatrice, vous avez appelé l’attention de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche sur la situation financière des établissements d’enseignement supérieur, posant plus particulièrement la question des fonds de roulement et de leur pilotage budgétaire.

S’agissant des fonds de roulement, la loi de finances pour 2015 prévoit un prélèvement de 100 millions d’euros sur le fonds de roulement des établissements d’enseignement supérieur au titre de leur contribution au redressement des comptes publics.

Cette mesure concerne uniquement ceux des établissements présentant un niveau de fonds de roulement particulièrement élevé, soit plus de deux fois supérieur au seuil prudentiel exigé par le secrétariat d’État au budget.

Pour que cette mesure soit mise en œuvre de manière éclairée et équitable, la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et le secrétaire d’État au budget ont demandé à l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et à l’Inspection générale des finances de réaliser un diagnostic partagé sur le niveau des fonds de roulement des établissements d’enseignement supérieur, notamment celui de leur part dite « mobilisable ».

Les arbitrages relatifs au montant des dotations 2015 des établissements seront pris au regard des résultats des travaux de ces deux inspections, qui devraient être connus dans les toutes prochaines semaines.

S’agissant du pilotage budgétaire des établissements, le Gouvernement partage avec vous le souhait d’améliorer encore le suivi financier des établissements et la qualité des informations qui sont présentées dans les documents budgétaires annuels.

Sur ce point, la Cour des comptes et le secrétariat d’État au budget ont tous deux souligné les progrès réalisés par le ministère sur ces questions au cours des deux dernières années.

Par ailleurs, le ministère s’est engagé dans une réforme du système d’allocation des moyens. Le modèle dit « SYMPA » a été revu afin que le dialogue de gestion soit moins fondé sur des situations de fait historiques et laisse davantage de place aux besoins réels et aux activités des établissements. Le nouveau modèle, baptisé « MODAL », est utilisé depuis cette année pour les écoles d’ingénieurs. En revanche, il n’est pas transposable en l’état aux universités, dont l’hétérogénéité des situations nécessite de poursuivre le dialogue et les travaux afin de trouver un système qui leur soit mieux adapté.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Je remercie Mme la ministre pour sa réponse si complète ; elle a même répondu à la question relative au suivi budgétaire que je n’ai pas pu poser, le temps qui m’était imparti étant écoulé. (Sourires.)

Je me permets de recommander qu’en la matière des décisions soient prises rapidement. La communauté universitaire, très responsable, s’est emparée de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche et de la loi sur l’autonomie des universités. Elle est aujourd’hui en capacité d’exercer cette responsabilité en toute compétence et en toute transparence.

Or, le premier trimestre de l’année s’achève, mais 25 % des dotations pour 2014 ont été affectées aux universités. Il faudrait donc désormais, alors que l’année est déjà bien avancée, que les notifications et la décision concernant les fonds de roulement, auxquelles les universités s’attendent et sont prêtes, me semble-t-il, interviennent dans un bref délai. Cela permettra aux conseils d’administration de statuer dans les meilleures conditions, avant que ne surgisse un mouvement de mécontentement.

schéma régional de cohérence écologique de picardie

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, auteur de la question n° 1012, adressée à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

M. Antoine Lefèvre. Ma question porte sur le projet élaboré dans le schéma régional de cohérence écologique de Picardie, lequel inquiète à la fois le monde agricole et les maires.

Alors que la délégation sénatoriale aux collectivités locales vient tout juste de publier le résultat de la consultation en ligne sur la simplification des normes, lancée à l’occasion du dernier Congrès des maires de France, les élus ont désigné massivement l’urbanisme et le droit des sols comme l’un des secteurs prioritaires. Le sujet qui nous occupe ce matin pourrait en être une illustration.

Volet régional de la trame verte et bleue, les SRCE sont chargés de mettre en œuvre la protection de la biodiversité. Issus des tables rondes menées à l’automne 2007 dans le cadre du Grenelle de l’environnement, ils constituaient alors un engagement phare et consensuel.

Ma question est d’autant plus d’actualité que, la semaine dernière, l’Assemblée nationale a débattu du projet de loi relatif à la biodiversité, qui semble télescoper ces SRCE toujours en cours d’élaboration dans certaines régions, notamment la Picardie, dont je me fais la voix ici. Quid alors du principe inscrit dans ce texte, à savoir « le principe de complémentarité entre l’environnement et l’agriculture, reconnaissant les surfaces agricoles comme porteuses d’une biodiversité spécifique et variée » ?

Qui aura le supra sur quoi ? Le SRCE sera-t-il toujours d’actualité ? Quelles en seront encore les conséquences sur les documents et les marges d’urbanisme ? Encore une nouvelle contrainte normative !

J’en reviens au SRCE picard.

Présenté à la fois à la chambre d’agriculture et aux maires, et précédant une enquête publique qui doit se dérouler dans quelques mois, le schéma prend tout d’abord la forme d’une carte au 1/100 000e, carte sur laquelle apparaissent des « taches » représentant la biodiversité, reliées entre elles par des traits correspondant aux corridors écologiques de déplacement de la faune. Sur ces cartes, déjà peu précises, ne figure aucune signalisation des territoires des communes.

Les réservoirs de biodiversité figurant d’ores et déjà dans les documents d’urbanisme, seule serait utile sur ce document la mention des corridors environnementaux !

Ces corridors, qui traversent des parcelles et des communes, suscitent chez les agriculteurs et les élus nombre de questions relatives aux contraintes additionnelles à celles du plan Natura 2000, lesquelles étaient déjà d’importance.

Toutes ces contraintes en matière d’urbanisme, de cultures et d’aménagement de projet vont s’ajouter au millefeuille, déjà épais, des réglementations imposées aux communes, aux agriculteurs et aux habitants des territoires.

Je rappelle que la révision des plans locaux d’urbanisme, les PLU, est obligatoire dans un délai maximum de trois ans après l’adoption du SRCE. Cela représente, encore et toujours, de nouveaux frais à engager par nos collectivités.

À la suite de la réclamation formulée par les maires désireux d’une plus ample information, un fascicule dit « d’explication du SRCE » leur a été envoyé. Ce document étant épais de 1 000 pages, il est aussi illisible qu’indigeste...

La gestion du projet est à la libre appréciation des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement, les DREAL, et des régions. Or, si certaines s’acquittent bien de cette mission, ce n’est pas le cas pour d’autres.

Par ailleurs, les agriculteurs sont déjà fortement engagés dans la protection des corridors écologiques par le biais des mesures agroenvironnementales, les « MAE corridors », prévues dans les contrats agroenvironnementaux. À l’heure où l’on déplore la réduction des terres agricoles et l’inflation des normes environnementales, d’une part, la désertification économique et la baisse des dotations aux communes, d’autre part, l’élaboration de ce schéma apparait hermétique et source de contraintes, donc de dépenses supplémentaires.

Or, lors de sa venue à Laon, dans l’Aisne, voilà une dizaine de jours à peine, à l’occasion du fameux comité interministériel consacré à la ruralité – vous y avez vous-même participé, madame la ministre –, le Premier ministre, suivi de votre collègue ministre de l’agriculture, n’a-t-il pas dit explicitement que l’agriculture était « le pilier du développement rural » ?

N’a-t-il pas dit, au cours d’un entretien accordé au journal local que « la complexité, les tracasseries administratives sont un handicap pour toutes les exploitations agricoles et d’abord pour les plus petites » ?

Je demande donc, madame la ministre, que la protection de la biodiversité ne se traduise pas par un coup d’arrêt aux initiatives locales de développement et qu’elle ne soit pas source de stagnation, voire de déclin économique, d’un territoire rural déjà fortement impacté.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, je tiens à vous assurer que Mme ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie porte une grande attention à l’élaboration du schéma régional de cohérence écologique de Picardie, et aux inquiétudes que cette politique récente soulève dans le milieu agricole et parmi les élus.

La mise en œuvre de la trame verte et bleue dans les régions constitue un engagement fort du ministère de l’écologie, lequel a ainsi l’ambition de permettre un aménagement durable du territoire en conciliant la préservation de la biodiversité et le développement des activités humaines.

L’identification des principales composantes de la trame – les réservoirs de biodiversité et les corridors écologiques – est encadrée par des orientations nationales pour la préservation et la remise en état des continuités écologiques. Celles-ci précisent les enjeux nationaux et transfrontaliers à prendre en compte pour garantir la cohérence écologique de la trame à l’échelle nationale.

Comme vous le rappeliez, la mise en œuvre de la trame verte et bleue est ensuite régionale, dans le cadre des SRCE coélaborés par l’État et la région. Ce travail s’appuie sur une concertation qui doit être conduite au sein des comités régionaux de trame verte et bleue, les CRTVB, dans lesquels la profession agricole est représentée, notamment, par les chambres régionales d’agriculture et les principales organisations professionnelles. Les intérêts économiques peuvent donc être pris en compte dès le commencement de l’élaboration du schéma.

En tant que document de planification territoriale, le SRCE doit afficher des objectifs lisibles en matière de préservation et de remise en bon état des continuités écologiques, et guider l’action publique sans pour autant définir des règles précises d’usage du sol, puisque telle n’est pas sa vocation. C’est pourquoi l’échelle retenue dans ces schémas est le 1/100 000e.

La ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie est très attentive à ce que la trame verte et bleue ne constitue ni un obstacle ni un frein au développement des territoires ruraux, mais qu’elle soit un cadre pour la cohérence écologique de ces territoires. Sa mise en œuvre en région ne crée pas de nouvelles réglementations, mais les réglementations existantes relatives aux activités humaines sur les espaces protégés intégrés à la trame continuent de s’appliquer.

Le cadre fourni par le SRCE doit permettre de rendre plus lisibles les protections existantes et leur complémentarité. Il doit constituer un guide utile pour la détermination de l’usage des sols par les différents outils de planification, notamment les documents d’urbanisme.

La ministre de l’écologie s’est assurée de ce que ces principes seraient bien déclinés dans votre région, pour que tous les acteurs puissent comprendre le sens et la portée de cette politique. C’est pourquoi le projet de SRCE qui est soumis à la consultation publique contient un diagnostic spécifique et détaillé des interactions possibles entre activités socio-économiques et continuités écologiques.

De plus, un travail approfondi a été réalisé avec les chambres consulaires régionales et l’Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction, l’UNICEM, qui a permis de formuler des réponses précises aux interrogations des professionnels : intégration d’une carte de l’occupation des sols adossée à chaque planche de l’atlas des composantes de la trame, ajout d’un encart spécifique sur les carrières, ajout d’une note synthétique sur le « mode d’emploi » du schéma.

Par ailleurs, trois réunions d’information des élus ont été organisées en janvier 2015, réunissant de très nombreux participants dans les départements de l’Oise et de l’Aisne. La DREAL et le conseil régional se sont ainsi totalement mobilisés pour répondre aux sollicitations et demandes d’information des maires dans les semaines qui viennent.

La ministre de l’écologie souhaite que ce travail pédagogique permette de lever les questionnements et de faire partager cette politique de restauration des continuités écologiques en tant que chance de mettre en œuvre une croissance verte et durable de l’économie de votre région.

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Je vous remercie, madame la ministre, de m’avoir fait part de la réponse de Mme la ministre de l’écologie, même si elle me déçoit quelque peu. Elle contient en effet peu d’éléments éclairants et rassurants concernant les questions locales qui font le quotidien de nos concitoyens et des élus.

Aujourd’hui même, l’Assemblée nationale va voter solennellement le projet de loi relatif à la biodiversité, texte qui comporte une ultime pirouette sur les produits pesticides : ceux-ci seraient désormais interdits dès 2016, et non plus en 2020, comme le principe en avait été initialement prévu et voté dans un autre texte. Cette nouvelle contrainte s’ajoute aux autres, à rebours des attentes de nos concitoyens.

Nous ne devons pas nous étonner, dans ces conditions, que les derniers résultats électoraux traduisent un sentiment de révolte, notamment dans les territoires ruraux !

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

L’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

Accident aérien dans les Alpes-de-Haute-Provence

M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, un terrible accident aérien est survenu ce matin dans les Alpes-de-Haute-Provence.

De nombreuses victimes sont à déplorer.

À la demande de M. le président du Sénat, le Sénat tout entier s’associe à la douleur des familles cruellement touchées par cette catastrophe.

Nous pouvons avoir une pensée de recueillement à la mémoire des personnes décédées. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, se lèvent et observent quelques instants de silence.)

6

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Les circonstances tragiques que je viens d’évoquer requièrent la présence sur les lieux du secrétaire d’État chargé des transports, M. Alain Vidalies, qui devait représenter le Gouvernement lors de deux de nos débats de cet après-midi : celui sur l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale face à la concurrence et celui sur les risques inhérents à l’exploitation de l’huître triploïde.

En accord avec les groupes CRC et écologiste, qui les avaient respectivement demandés, ces deux débats sont reportés à une date ultérieure.

7

Débat sur le thème : « internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse »

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse », organisé à la demande du groupe du RDSE.

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard, au nom du groupe du RDSE. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, même s’il intervient entre les deux tours d’une élection, ce débat, qui porte sur un sujet appelant la prise de décisions dans les mois à venir, nous paraît important.

Entre la couverture par les médias des drames de janvier – pour laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel a relevé trente-six manquements justifiant des mises en demeure – et la multiplication des messages d’apologie du terrorisme sur les réseaux sociaux, les dérives et incertitudes pesant sur la liberté d’expression ont été mises au jour.

Acquis démocratique majeur, la liberté d’expression sert aujourd’hui de parapluie nucléaire à toutes sortes d’idées et de manipulations. Lieux de sociabilité, les réseaux sociaux sont souvent détournés et sont parfois devenus des lieux de perdition pour une partie de notre jeunesse, en servant de relais à la propagande djihadiste ou aux théories « conspirationnistes ».

À l’ère du numérique, la rumeur, fama, est devenue infâme et gangrène nos valeurs et notre confiance en la puissance publique, en essaimant son poison de manière exponentielle. Face à cela et au déploiement de la théorie du complot – la ministre de l’éducation nationale en a d’ailleurs parlé à juste titre il y a quelques semaines –, plusieurs condamnations « pour l’exemple » ont été prononcées à l’encontre d’individus ayant fait l’apologie du terrorisme sur les réseaux sociaux. Mais, selon une étude publiée au début du mois de mars, entre 46 000 et 90 000 comptes Twitter ont été utilisés à l’automne dernier pour diffuser la propagande de l’État islamique : un travail herculéen pour nos services de police et de renseignement transformés en Sysiphe…

La liberté d’expression, pharmakon démocratique, contient en elle à la fois son poison et son médicament. De nombreux textes nationaux et internationaux la protègent. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, auquel notre groupe est profondément attaché, la range parmi les « droits les plus précieux de l’homme », au fondement même de nos démocraties libérales. Cependant, cette liberté – comme toute liberté – s’arrête là où commence celle des autres : « tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté ».

Or si les textes limitant la liberté d’expression s’appliquent de plein droit à l’expression sur internet, leur efficacité pose aujourd’hui question. La loi de 2004 a étendu aux éditeurs de services de communication au public en ligne le champ d’application du chapitre IV de la loi de 1881, qui punit notamment la provocation aux crimes et délits, en particulier la provocation à la discrimination ou à la haine en raison de l’origine, de la religion ou de l’orientation sexuelle.

Plus radicalement encore, internet redéfinit les contours de la liberté d’expression, tant pour les journalistes que pour les simples citoyens, en rendant caducs certains moyens d’intervention des pouvoirs publics. Votée sous la IIIe République – celle-là même à laquelle nous devons et tenons tant –, la loi de 1881 avait été conçue comme une « loi d’affranchissement et de liberté ». Elle révolutionnait la logique des textes précédents, qui prévoyaient des systèmes de contrôle préalable d’autorisation et de censure.

Jusqu’à l’émergence d’internet, il y avait parfaite superposition entre la forme d’expression, le moyen technique employé et le régime juridique : la presse, diffusée sous la forme de journaux imprimés, est régie par loi du 29 juillet 1881 ; la communication téléphonique est régie par le code des postes et télécommunications ; enfin, la communication audiovisuelle est régie par la loi du 30 septembre 1986.

L’émergence d’internet, qui a démultiplié à l’infini l’information, a remis en cause ces distinctions traditionnelles, puisque le même médium permet de diffuser des contenus relevant de la correspondance privée, de la presse ou de l’audiovisuel. Ces spécificités conduisent donc à s’interroger, d’une part, sur ce qui relève pour les journalistes et les citoyens du droit à l’information, et, d’autre part, sur l’efficacité des mesures prises par les pouvoirs publics à l’encontre des contenus illicites. La protection des personnes privées est pour nous quelque chose de très important. En tant qu’élus, nous connaissons les attaques sous pseudonyme : jusqu’à quand allons-nous tolérer tout et n’importe quoi ?

En ce qui concerne plus particulièrement les contenus illicites, nous avions eu ce débat lors de l’examen, en novembre dernier, de la loi visant à renforcer la lutte contre le terrorisme. Les délits de provocation à la commission d’actes terroristes et d’apologie du terrorisme ont été transférés de la loi de 1881 au code pénal, au motif que ces actes ne constituent plus essentiellement un abus de la liberté d’expression, mais plutôt un maillon dans la chaîne des activités des groupes terroristes. Cela permettait aussi d’exercer des poursuites en dehors du régime procédural contraignant, et donc protecteur de la liberté d’expression, de la loi de 1881.

Faut-il considérer que l’intégralité des infractions commises par le biais d’internet et des réseaux sociaux doit être soumise à un régime dérogatoire à la loi de 1881 ? C’est là un débat qu’il est urgent et nécessaire d’ouvrir. Nous ne le ferons pas aujourd’hui, mais il importe de définir rapidement des solutions respectueuses de la liberté de chacun. À tout le moins, il faudra que le législateur s’empare sans ambages de ces problématiques touchant au numérique, de manière systématique et sectorielle.

Une autre question est celle du rôle des acteurs d’internet. La loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique a créé un régime marqué par une grande liberté pour les acteurs d’internet. À la différence de ce que prévoit le régime de la communication audiovisuelle, l’édition d’un contenu numérique n’est pas soumise à autorisation préalable et aucune obligation ne s’impose a priori aux fournisseurs de contenus.

Deux catégories d’acteurs sont définies dans cette loi.

Les éditeurs de services sur internet, en premier lieu, sont soumis à un régime voisin de celui de la presse : ils n’ont aucune obligation de déclaration préalable ou d’autorisation ; les seules limites à leur liberté d’expression sont celles que définit le chapitre IV de la loi de 1881, les infractions étant poursuivies et réprimées ; ils doivent désigner un directeur de publication et un droit de réponse est prévu par la loi, qui transpose à internet le régime défini par l’article 13 de la loi de 1881.

Les hébergeurs, en second lieu, bénéficient d’un régime de responsabilité civile et pénale atténué par rapport à celui des éditeurs. Ils sont, en effet, considérés comme n’exerçant pas de contrôle sur les contenus accessibles par le biais des sites hébergés. Par conséquent, il est très difficile d’engager leur responsabilité.

La loi de novembre 2014 a étendu le champ d’application des obligations des fournisseurs d’accès et des hébergeurs en matière de signalement des contenus illicites. En outre, elle a créé une possibilité de blocage administratif des sites internet faisant l’apologie du terrorisme.

Les premiers blocages de sites ont eu lieu il y a quelques jours, non sans quelques difficultés prévisibles, du fait notamment de l’absence de contrôle par le juge. Ce blocage ne fut que partiel. Certains opérateurs français, et non des moindres, n’ont pas appliqué le dispositif du Gouvernement. Par ailleurs, de nombreuses stratégies de contournement existent, permettant à certains internautes et aux propagandistes de jouer au chat et à la souris avec les pouvoirs publics. Liberté d’expression contre censure : l’opposition simpliste brandie par une certaine propagande est flatteuse pour ceux qui se réclament de la première…

La domiciliation de beaucoup d’acteurs d’internet à l’étranger complique encore toute action. Si certains réseaux sociaux, comme Twitter, ont défendu une conception radicalement libérale de la liberté d’expression avec la doctrine de freedom of speech, l’idée qu’une trop grande liberté d’expression permet de se dérober à ses responsabilités se fait jour…

La diffusion sur internet de vidéos insoutenables qui visent à enrôler de nouveaux djihadistes, qui glorifient les terroristes, qui les montrent exécutant leurs victimes, relève-t-elle vraiment de la liberté d’expression ? Avec plus d’un milliard d’utilisateurs pour Facebook et plusieurs centaines de millions pour Twitter, les grandes plateformes du web sont érigées en arbitres de la liberté d’expression et doivent assumer leur rôle.

Si les pouvoirs publics peuvent inciter les plateformes à mettre en œuvre des mesures de surveillance générale des contenus, la légitimité de cette intervention d’acteurs privés pose question : peut-on parler de privatisation de l’exécution de la loi, ce qui serait à nos yeux inacceptable ? Le départ entre le droit à l’excès, à l’outrance et à la parodie à des fins humoristiques, d’un côté, et l’apologie au terrorisme, de l’autre, devra-t-il être fait par des acteurs privés ?

Dans ce combat de David contre Goliath à l’ère numérique, le juge français a ainsi dû déterminer si le fait qu’un site proposant un contenu en infraction avec la loi soit accessible depuis la France suffisait pour considérer que l’infraction avait été commise sur le territoire national. Nos juridictions pénales ont d’abord considéré que l’accessibilité depuis la France du site internet suffisait à fonder la compétence du juge français. À l’inverse, la Cour de cassation juge aujourd’hui que le site internet en cause doit être destiné au public français pour que le juge français soit compétent.

Récemment, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré abusive une clause de compétence signée par les utilisateurs de Facebook et précisant que, en cas de litige, seul un tribunal de Californie – État américain où est domicilié le réseau social – est compétent.

Mes chers collègues, nous ne prétendons pas apporter de réponse à une réalité protéiforme et sans cesse mouvante. Non seulement les États sont fondés à réglementer internet, mais ils en ont aussi la capacité et, plus que jamais, le devoir. La logique répressive ne doit pas conduire à éluder la question de la prévention de la radicalisation et celle de l’éducation des esprits à la critique. L’école de la République, fondée sur la maxime Sapere aude – « ose savoir » –, doit sensibiliser aux nouveaux dangers d’internet. La capacité d’intervention des États doit ainsi être utilisée, en amont comme en aval, pour combiner notre passion de la liberté avec le sens de la responsabilité.

Mes chers collègues, comme jadis les pères fondateurs de la République, comme nos prédécesseurs de 1881, qui ignoraient l’existence future d’internet et des réseaux sociaux, il nous faut trouver, et vite, le juste équilibre entre la nécessaire liberté d’expression sur internet et la responsabilité de chacun pour ses paroles, ses écrits et ses actes. Il n’est pas concevable que l’on puisse continuer à écrire, à dire n’importe quoi et à susciter le terrorisme, avec les conséquences que l’on sait.

Ce débat voulu par le groupe RDSE n’a d’autre objectif que d’engager la réflexion sur la définition de cet équilibre indispensable, qui nous permettra de nous protéger des ennemis de la liberté et de la démocratie sans porter atteinte aux libertés d’opinion et d’expression qui sont au fondement de l’idéal démocratique et de la tradition radicale. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, internet, promesse d’une liberté d’expression sans frontières, est-il en passe de devenir un outil de surveillance sans limite ? J’ai choisi de poser en ces termes notre débat sur internet et la liberté de la presse, laquelle ne doit pas être confondue avec la liberté d’expression dont jouissent l’ensemble des citoyens.

Depuis la loi du 29 juillet 1881, la France protège ses journalistes par une législation ad hoc leur assurant un exercice libre de leur profession et la protection de leurs sources, en contrepartie du respect de certaines interdictions visant à garantir la fiabilité et l’« honorabilité » des informations diffusées et proscrivant notamment la provocation à la violence et à la haine, la publication de faux, la diffamation et l’injure, la diffusion d’informations sur une procédure judiciaire en cours, la violation du droit à l’image.

Cinq siècles après Gutenberg et moins de cent ans après l’invention du tube cathodique, ces règles demeurent, même si l’émergence du numérique a révolutionné les modalités de partage de l’information, en termes de vitesse de diffusion ou de facilité d’accès aux contenus. Internet a profondément ébranlé le modèle économique et bouleversé les méthodes de travail de la presse, obligée de se réinventer face à de nouvelles concurrences.

Aux côtés des organes traditionnels, une multitude de journalistes indépendants et de blogueurs « citoyens » a émergé, proposant au monde une information nouvelle, dans des conditions parfois périlleuses, en particulier en provenance de pays où la presse traditionnelle peine à œuvrer librement. Je citerai l’exemple de l’Iran, où, sous l’administration du président Ahmadinejad, un grand nombre de reporters et de chroniqueurs de renom de la presse écrite se sont tournés vers internet pour éviter la censure, contribuant à l’édification de la blogosphère en farsi. Le rapport annuel du Comité pour la protection des journalistes, faisant état des journalistes incarcérés de par le monde, estime que plus de la moitié de ceux qui ont été privés de parole étaient publiés sur le web.

Si internet représente une opportunité pour la presse, il constitue aussi une menace : les événements tragiques du mois de janvier ont rappelé combien la diffusion planétaire d’une information rendait nos journalistes vulnérables, jusque dans un pays chantre de la liberté de la presse et de la liberté d’opinion.

Mais ne nous y trompons pas : la menace que j’évoque ne se limite pas au danger, si grand soit-il, que les ennemis de la liberté font peser sur ceux qui défendent un exercice pleinement indépendant du journalisme d’information et d’opinion ; elle peut également être institutionnelle et politique, lorsque les États, au nom de la sécurité, multiplient les systèmes de surveillance.

Alors, bien sûr, nos démocraties ne censurent ni n’intimident ou n’emprisonnent les journalistes, comme elles n’empêchent pas l’échange d’informations entre citoyens en multipliant les restrictions techniques sur la Toile. Il n’en demeure pas moins que de légitimes interrogations se font jour dès lors qu’internet semble devenir un redoutable outil de surveillance.

En facilitant le stockage et le traitement des données, le big data a incité, de fait, à une collecte exponentielle de données, notamment personnelles, exploitées tant par les géants du net que par les services de renseignement, comme l’affaire Snowden l’a amplement révélé.

Jusqu’à présent, la France semblait protégée de tels abus : qu’en sera-t-il demain ?

Pour l’application de l’article 20 de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire, le Gouvernement a discrètement pris, le 24 décembre dernier, un décret relatif à l’accès administratif aux données de connexion. Or cet article, qui autorise la collecte de données personnelles et la surveillance des communications téléphoniques et sur internet en temps réel par l’administration, porte atteinte à la vie privée des citoyens, ainsi qu’à la liberté d’information et au secret des sources. On peut relever trois motifs d’inquiétude : l’absence de contrôle du juge pendant la procédure de mise sous surveillance, des objectifs fort larges justifiant la surveillance et un spectre très étendu des données recueillies. La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat prendra connaissance avec intérêt de la décision que rendra le Conseil d’État sur le recours en annulation de ce décret déposé par Reporters sans frontières le 24 février dernier.

Le projet de loi relatif au renseignement pose également question. Dans son avis publié mercredi dernier, la Commission nationale de l’informatique et des libertés déplore la présence, dans ce texte, de « mesures de surveillance beaucoup plus larges et intrusives » que celles qu’autorise l’actuelle législation, citant notamment la possibilité de « collecter, de manière indifférenciée, un volume important de données, qui peuvent être relatives à des personnes tout à fait étrangères à la mission de renseignement ». Le Conseil national du numérique a, pour sa part, exprimé au Gouvernement son inquiétude quant à l’extension significative du périmètre de la surveillance prévue par le projet de loi, selon des critères jugés flous : la prévention des violences collectives et la défense des intérêts de politique étrangère.

Je partage les craintes exprimées par ces deux institutions, dont chacun connaît ici la compétence et l’indépendance de vues. Le risque de surveillance de masse existe et nous concerne tous, mais plus encore les journalistes, pour qui l’anonymat des sources pourrait ne plus être garanti. (Mme Sylvie Goy-Chavent approuve.)

Je n’ignore nullement les impératifs de protection de la société qui s’imposent à l’État, plus particulièrement en ces temps troublés par la perpétuelle menace d’attaques terroristes, et la nécessité, dans ce contexte, de mettre en œuvre des dispositifs de lutte contre l’incitation à la violence et la propagande sur internet.

J’alerte aussi sur une potentielle dérive dans l’utilisation des outils mis en place au regard de la liberté de la presse. Bien sûr, cette liberté, dont doit continuer de jouir tout journaliste, ne peut faire l’économie de la déontologie de l’information. La recherche du « scoop » à tout prix fait parfois oublier l’indispensable vérification des informations : souvenez-vous de l’annonce erronée par l’Agence France-Presse du décès de Martin Bouygues…

Les journalistes doivent être responsabilisés, mais également identifiés en tant que tels sur le web, afin que l’internaute puisse juger aisément de la fiabilité d’une information. À cet égard, l’équilibre économique des organes de presse en ligne constitue un enjeu majeur pour garantir, dans la durée, la diffusion d’une information professionnelle de qualité, au sein d’une myriade de sites et de blogs amateurs.

Un juste équilibre doit donc être trouvé entre liberté et sécurité : il est à cet égard indispensable que les dispositifs de sécurité sur internet tiennent compte des spécificités du métier de journaliste, notamment de la nécessaire protection des sources.

La Cour européenne des droits de l’homme ne dit pas autre chose lorsque sa jurisprudence rappelle régulièrement que les États membres du Conseil de l’Europe ont l’obligation de créer un cadre normatif permettant d’assurer la protection efficace de la liberté d’expression des journalistes sur internet et, plus largement, de l’ensemble de leurs citoyens. Ainsi, dans son premier arrêt portant sur le blocage de l’accès au web, rendu en décembre 2012, elle a conclu à la violation, par la Turquie, de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à la liberté d’expression, estimant notamment que les mesures limitant l’accès à des contenus sur internet doivent se fonder sur une loi suffisamment précise et être accompagnées d’un contrôle juridictionnel. Prenons garde à ce que notre propre législation ne s’éloigne de ces principes.

La France ne doit pas renier l’esprit de la loi de 1881 et doit demeurer fidèle à ses engagements internationaux en faveur de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Rappelons que, il y a moins d’un an, au mois de mai 2014, nous avions activement soutenu l’adoption, par l’Union européenne, de lignes directrices pour les droits de l’homme consacrées à la liberté d’expression en ligne et hors ligne.

Il convient d’éviter, à mon sens, les distinctions artificielles dans l’exercice des libertés d’information et d’expression en fonction du support de diffusion des contenus. Le caractère diffus d’internet ne doit en aucun cas servir de prétexte à l’instauration de nouvelles limitations en matière de droits de l’homme et de libertés fondamentales, s’agissant notamment du droit de recevoir et de communiquer des informations.

Madame la secrétaire d’État, il incombe à l’État de protéger ces libertés, à l’instar de celle des journalistes d’exercer leur métier en toute indépendance. À cet effet, au-delà de la législation applicable, il est indispensable d’instaurer un dialogue avec les autres acteurs de la gouvernance d’internet, y compris les grandes entreprises du numérique. À défaut, la garantie d’une libre circulation des informations sur internet et de la proportionnalité des mesures de restriction qui, parfois, s’imposent ne pourra être effective. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme Sylvie Goy-Chavent. Excellente intervention !

M. le président. La parole est à M. Pierre Charon.

M. Pierre Charon. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, lorsqu’internet est né, le monde s’est émerveillé. C’était la promesse d’un espace d’échange d’informations, de communication et même d’éducation. En réalité, internet est une perpétuelle révolution pour l’humanité et, surtout, la promesse d’un espace de liberté absolue s’affranchissant de toutes les frontières, géographiques, juridiques, voire morales.

Pour la presse, internet est un outil essentiel et une promesse de développement, en particulier dans les pays où la liberté d’expression est bafouée. En cet instant, permettez-moi de rendre hommage à tous les journalistes qui, parfois, risquent leur vie pour exercer leur métier.

En 2015, soit plus de trente ans après sa création, internet offre au monde un autre visage : celui d’un espace sans foi ni loi, permettant la diffusion du pire de ce que l’humanité a pu produire. Internet favorise l’expression de tous, peu importent leur opinion et leurs croyances. Aujourd’hui, le pire a atteint son paroxysme.

Les islamistes les plus radicaux ont épousé le projet politique d’instaurer un califat mondial, assassinant quiconque s’y opposerait, mais l’État islamique mène aussi une autre guerre, dont le théâtre ne connaît pas de frontières : le web leur permet de bénéficier d’une existence médiatique sans limites.

Dès lors, internet n’est plus un simple moyen de communication ; c’est une sphère d’expansion inouïe, où les propagandes les plus fanatiques peuvent être distillées en toute légitimité.

Pis, internet est un « sergent-recruteur » aussi discret qu’efficace, comme en témoigne le nombre de jeunes Français partis faire le djihad. C’est un outil de radicalisation et de recrutement de terroristes en herbe. Internet est aussi la sphère d’une tragique émulation, d’une macabre concurrence entre mouvances terroristes.

Lors de la tuerie de Charlie Hebdo, l’un des auteurs de ce crime affreux n’a pas hésité à faire la publicité de son appartenance à Al-Qaida au Yémen. La diffusion de vidéos insoutenables et la mise en scène de l’exécution des otages sont des exemples de cette ignoble politique de communication.

Dès lors, internet est une « couveuse » pour apprentis terroristes, un vivier pour les ennemis de la liberté, laquelle est pourtant l’un des fondements de notre République.

Aujourd’hui, internet est un nouveau théâtre d’opérations dans notre lutte contre le terrorisme. Ne nous y trompons pas, l’objectif des terroristes est de mettre à l’épreuve les démocraties dans ce qu’elles ont de plus cher : l’attachement aux libertés publiques, dont la liberté de la presse est l’un des fleurons. Oui, elle est une conquête, une belle conquête, achevée sous la IIIe République par sa grande charte qu’est la loi du 29 juillet 1881, mais elle reste fragile : aujourd’hui, elle est détournée sciemment.

La problématique est claire : comment concilier ce précieux acquis de la loi de 1881 avec la diffusion de publications glorifiant le génocide des chrétiens d’Orient et des Yézidis en Irak, la destruction de lieux de culte et les autodafés de livres ancestraux ?

Pouvons-nous laisser fleurir et prospérer sur internet, au nom de cette liberté, ce type de littérature, dont les atours sont les mêmes que ceux de nos magazines électroniques ? Il s’agit d’éviter ce piège intellectuel qui tend à opposer liberté et sécurité. On ne peut glorifier la liberté jusqu’à la déraison.

Notre responsabilité est de comprendre les enjeux du terrorisme et d’y répondre sans nous renier. Ainsi, la vraie question dépasse celle de la seule liberté de la presse sur internet ; la vraie question, c’est celle de la gouvernance d’internet et des actions que peuvent mener tant les responsables politiques que les grands acteurs du web. À cet égard, je veux saluer l’initiative de M. Cazeneuve, qui s’est entretenu avec les représentants des géants de l’internet que sont Facebook et Google.

En France, des mesures pour bloquer les sites internet faisant l’apologie du terrorisme ont été adoptées, et je m’en réjouis. C’est un signe fort envoyé à nos concitoyens, mais aussi aux terroristes. Internet ne doit pas rimer avec impunité. C’est également la preuve que nous prenons nous aussi notre part de responsabilités sur le web.

Il n’est pas envisageable que les publications de l’État islamique en langue française, téléchargeables par un simple « clic », puissent être à la portée de tous, en particulier des plus jeunes.

Néanmoins, une autre question se pose pour nos services de renseignement. Ces publications et ces sites nous permettent aussi de remonter des filières entières et de démontrer les connections existant entre les différents réseaux. Supprimer ces sites et empêcher la diffusion de ces publications ne nuirait-il pas en définitive à nos services ? Je ne le crois pas, à condition que nos agents disposent de toutes les ressources techniques et logistiques.

En outre, l’action de la France ne peut être isolée. Il faut mettre en place une politique européenne, à tout le moins, et même mondiale.

Souvenons-nous que tous les supports d’information peuvent être utilisés à de mauvaises fins. Une radio a poussé à la perpétration du génocide rwandais. Si la radio a pu servir d’instrument de destruction, il en va de même pour internet : n’importe quel médium peut véhiculer la haine.

Nous ne pouvons nous abriter derrière la liberté de la presse et la loi de 1881 pour justifier notre passivité. La liberté de la presse est au service de l’homme, de la promotion de sa dignité et de sa conscience, et non pas de sa destruction et de desseins nihilistes. Donner aux terroristes l’accès à cette liberté, ce n’est plus défendre la liberté : c’est la confier à ses fossoyeurs.

Nous devons être vigilants, car nous avons vu que n’importe quel support peut être utilisé à des fins de radicalisation. Des jeunes ont succombé à la violence et au djihad par l’exploration du web et la consultation de sites. Leur voyage virtuel a ainsi débouché sur une violence réelle.

Notre arsenal législatif doit donc être adapté et modernisé. Plus généralement, soyons vigilants : la responsabilité n’est pas la censure, car la liberté est inséparable de la dignité humaine.

N’attendons pas. Ne nous laissons pas enfermer dans des querelles qui nous conduiraient à détruire la liberté sous prétexte de la défendre. Ne laissons pas les libertés devenir l’instrument de leur propre disparition !

Je récuse toute contradiction qui nous empêcherait justement de combattre le terrorisme au nom du respect de la liberté de la presse. Aussi je soutiens, avec le groupe UMP, toute initiative sérieuse pour promouvoir une liberté responsable, une liberté vigilante, et non pas une liberté à genoux.

Enfin, je ne doute pas que, lors de l’examen du projet de loi relatif au renseignement, nous serons au rendez-vous pour créer les conditions de la sauvegarde de la liberté de la presse et de la loi de 1881, qui nous est si chère, pour la concilier avec une autre liberté : celle de vivre en sécurité.

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est un débat fondamental qui nous réunit aujourd’hui, car il touche à nos valeurs universelles, notamment à la liberté d’expression, véritable pilier de la République et de la démocratie.

C’est aussi un débat contemporain puisque, dans la tradition française, la liberté d’expression est étroitement liée à la législation sur la presse, en particulier à la loi fondatrice de 1881, conçue à une époque où le véhicule essentiel de la liberté d’expression était la presse papier, l’imprimerie.

C’est enfin un débat moderne, car la révolution numérique a complètement transformé les conditions et les possibilités d’expression et de communication, percutant de plein fouet la presse, mettant en question sa pérennité, son modèle économique, le métier de journaliste, ainsi que sa place spécifique dans la fabrication et la transmission d’information, du fait de la possibilité nouvelle, offerte à tout un chacun à travers internet, de s’exprimer sans retenue tout en bénéficiant des dispositions légales qui protègent les journalistes, sans être pour autant soumis aux mêmes contraintes que ces derniers, en termes notamment de responsabilité et de déontologie. C’est bien là que réside le problème !

Il s’agit d’un débat difficile, car il y va de la liberté d’expression, bien précieux qu’il faut préserver et défendre sans relâche, sans compromis ni compromission.

Il n’est pas question de pratiquer le « deux poids deux mesures ». Tout dernièrement, Charlie Hebdo a payé au prix le plus fort l’exercice du droit à la libre expression. C’est la liberté d’expression, en effet, qui était visée à travers cet organe de presse. À ce propos, j’observe que l’attentat contre Charlie Hebdo a été préparé par une campagne, menée prétendument au nom de cette même liberté d’expression, selon laquelle Charlie Hebdo stigmatisait une catégorie de la population et pouvait presque être taxé de racisme. Dans le même temps, les auteurs de ces accusations s’indignaient que l’on sanctionne Dieudonné, considérant que la liberté d’expression implique celle d’être raciste ! Opérant un véritable retournement, ils défendent Dieudonné au nom de la liberté d’expression et accusent faussement Charlie Hebdo de racisme. Ce journal pratique depuis toujours la caricature et la moquerie envers les religions, qui relèvent de la liberté d’expression.

Il ne faut donc pas entretenir les confusions. La liberté d’expression et la liberté de la presse doivent être garanties, défendues. Pour ce faire, le meilleur moyen est de recadrer le débat et de s’attaquer aux « dents creuses », si je puis dire, apparues dans notre législation à la suite de la révolution d’internet.

En 1998 déjà, le Conseil d’État estimait que l’ensemble de la législation, notamment celle qui garantit l’ordre public, avait vocation à s’appliquer aux acteurs d’internet. La loi de 1881, pierre angulaire de notre droit de la presse, pose pour principe, dans la continuité de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, que la presse est libre, mais que cette liberté est encadrée afin de sanctionner les abus, tels que la diffamation ou l’injure. Plus tard, s’attachant à épouser l’évolution de notre société, le législateur a réprimé l’incitation à la haine raciale avec la loi Pleven de 1972 ou le négationnisme, concernant en particulier les crimes perpétrés par le régime nazi, avec la loi Gayssot de 1990.

Notre droit n’empêche pas la libre expression, il la limite quand elle est inspirée par la volonté de s’attaquer au pacte républicain, aux principes qui fondent la République. En la matière, il ne serait pas bon de verser dans le libéralisme à tout crin. Notre droit, prenant acte de certaines dérives qu’a connues la presse – pensons à l’affaire Salengro, par exemple –, permet d’éviter que le journalisme ne retourne ses armes contre lui-même.

Aujourd’hui, on constate la mise en ligne de textes ou de vidéos remettant en cause l’interprétation de certains épisodes de notre histoire ou attisant une concurrence mémorielle qui n’a pas lieu d’être, le développement de théories conspirationnistes, tout internaute ayant la possibilité de trafiquer des images ou de réaliser des montages. Toutes les informations sont mises sur le même plan, qu’elles émanent de journalistes professionnels ou de n’importe quel internaute disposant de quelques moyens techniques. La contestation croissante des élites, la mise en question des politiques, des journalistes, qui contribuent à nourrir le populisme, en France comme dans d’autres pays, conduisent même à considérer les informations délivrées par les médias traditionnels comme moins crédibles que celles qui sont diffusées sur internet par un simple citoyen anonyme…

Devant une telle situation, on ne peut pas rester les bras croisés. La loi de 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet dispose que l’éditeur est pleinement responsable des informations publiées sur son site, mais bénéficie d’un régime atténué, par rapport à celui de la presse écrite, pour les contributions de ses lecteurs, par exemple les commentaires de ceux-ci sur les contenus mis en ligne. Hélas, ces forums de discussion sont vite devenus les viviers du n’importe quoi, ce qui oblige les sites d’information responsables à les fermer, faute de pouvoir les modérer. Cela illustre la nécessité d’apporter certaines limites à la liberté d’expression et à la possibilité, pour tout citoyen, de participer à l’élaboration de l’information.

Concernant les sites basés à l’étranger, les hébergeurs sont trop longs à réagir, quand ils réagissent. Le Gouvernement commence à apporter des réponses, notamment avec le décret relatif au blocage des sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie pris le mois dernier en application de la loi de novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Les sociétés gestionnaires des réseaux sociaux, les hébergeurs et les fournisseurs d’accès doivent être pleinement responsabilisés et agir de façon plus efficace et plus directe quand cela est nécessaire. Eu égard aux bénéfices énormes qu’ils réalisent, ils ont les moyens financiers et humains d’assurer une telle régulation. Ils doivent cesser de considérer qu’il ne s’agit là pour eux que d’une responsabilité accessoire.

Dans ce débat très sensible, difficile, les républicains doivent éviter deux écueils.

Le premier consiste à restreindre la liberté d’expression pour l’ensemble de la société, voire à attenter à la liberté de la presse, au nom de la nécessaire lutte contre le racisme, l’antisémitisme et le djihadisme. Internet est un outil très ambivalent, ce n’est ni la pire ni la meilleure des choses. Il ne faut pas le diaboliser. L’imprimerie était une invention géniale, mais, si elle a permis d’éveiller les esprits et de réaliser des avancées considérables dans le domaine de la pensée et de la science, elle a aussi servi à diffuser à grande échelle des textes ignobles. Dans le même esprit, la télévision, souvent dénoncée comme un facteur d’abêtissement, recèle des potentialités gigantesques. Il en va de même pour internet.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. David Assouline. Le second écueil est de renoncer à tout encadrement de la liberté d’expression. Il est nécessaire de poser des limites à celle-ci, afin que les valeurs de la République puissent être préservées, tout en étant attentifs aux pratiques de l’État et des grands groupes privés en matière de collecte et de stockage des données personnelles, de big data, de surveillance du citoyen, souvent réduit à la condition de consommateur.

Nous devons être les défenseurs résolus de la liberté d’expression, de la liberté de la presse, mais aussi des combattants infatigables pour les valeurs de la République, contre le racisme, l’antisémitisme, le terrorisme et les thèses conspirationnistes. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais en préambule remercier le groupe RDSE d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de ce débat sur le thème : « Internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ».

Dans bien des cas, les propos tenus sur internet suscitent la stupéfaction. Je suis convaincue que, si l’on veut lutter efficacement contre le racisme, l’antisémitisme, le terrorisme et l’homophobie, qui gangrènent notre société, il est urgent de s’attaquer à la prolifération des discours haineux sur la Toile. Ces discours, ces propos, qui rappellent des pages douloureuses de notre histoire, entament jour après jour notre cohésion républicaine et portent atteinte aux principes fondateurs de notre « vivre ensemble ».

Je veux le souligner ici sans aucune ambiguïté, ces discours ne relèvent pas d’une rhétorique sans effet sur le réel ; ils peuvent engendrer la violence, et parfois entraîner la mort : nous en avons fait la terrible expérience en janvier dernier. Les événements survenus alors, qui ont bouleversé la France et le monde, doivent assurément nous encourager à agir, mais nous devons au préalable nous poser les bonnes questions, afin d’opter pour les solutions les plus efficaces, sans oublier jamais que la liberté d’expression est consubstantielle à la démocratie et à l’État de droit.

La première interrogation à laquelle nous, parlementaires, ne pouvons nous soustraire, est claire : les politiques de lutte contre les discours haineux sur internet actuellement mises en œuvre sont-elles suffisantes ? L’arsenal juridique existant, notamment son volet répressif, est-il effectif ?

Au premier rang de ces dispositifs et au cœur de notre débat se trouve la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui protège la liberté d’expression et en définit les limites. Elle s’inspire de l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Certes, les nouvelles technologies du web permettent la diffusion massive, sur les réseaux sociaux, comme Facebook et Twitter, de discours à haute teneur de haine qui n’avaient pas jusqu’ici leur place dans les médias traditionnels et dont la visibilité est bien sûr accrue par l’effet démultiplicateur de ces réseaux.

Le groupe écologiste n’en considère pas moins que les infractions en la matière doivent continuer à relever de la loi de 1881. S’ils doivent être combattus et réprimés, les abus de la liberté d’expression présentent une spécificité telle qu’ils ne peuvent être sanctionnés par le code pénal. Une seule exception à cette règle peut être envisagée : le cas où l’expression de haine dévie, par exemple, vers la provocation publique aux actes de terrorisme, notamment suivie d’effets. C’est la position que nous avons défendue lors des débats sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, et que nous défendons aujourd’hui encore.

En revanche, si la loi du 29 juillet 1881 est un pilier de notre démocratie, il est certain que son cadre procédural n’est pas adapté à ce qu’il convient d’appeler le « web 2.0 » et sa profusion de blogs, de réseaux sociaux et autres plateformes de discussion. L’urgence est d’améliorer la lisibilité de cette loi, de réformer son cadre procédural, de préciser les notions d’espace public et d’espace privé. C’est notre rôle – et même notre devoir – de législateur.

Beaucoup reste à faire pour que la lutte contre les discours haineux sur internet ait de réelles retombées positives, en matière de législation, bien entendu, mais également, et peut-être surtout, en matière d’éducation. Il est ainsi fondamental d’enseigner aux plus jeunes à faire la différence entre ce qui relève du délit et ce qui relève de la liberté d’expression, de leur faire comprendre que si le net doit demeurer un espace de liberté, il n’est pas pour autant un espace d’impunité. (M. Jacques Mézard applaudit.)

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

Mme Esther Benbassa. L’exercice de la liberté d’expression comporte des devoirs et implique, pour chacun, une juste prise de conscience de ses responsabilités, notamment celle d’en proscrire tout usage susceptible de ruiner les fondements de l’État de droit. En réalité, mes chers collègues, il est urgent de créer, comme le demande la Commission nationale consultative des droits de l’homme, un « ordre public numérique ».

Pour conclure, je voudrais avoir une pensée toute particulière pour tous ces jeunes gays ou lesbiennes victimes souvent silencieuses d’une homophobie rampante, particulièrement active sur le net, qu’il est de notre devoir de combattre avec autant de détermination que tous les autres discours de haine. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi du 29 juillet 1881 garantit, d’un côté, la liberté de la presse et une information transparente, libre et pluraliste, et, de l’autre, le respect des personnes et des fonctions. Son adoption a conforté les missions des publications écrites, véritables outils de démocratie. Les citoyens obtenaient, quant à eux, l’assurance d’accéder à un large panel de publications, sans censure étatique préalable.

Cependant, la loi posait des limites, afin d’assurer le respect de la dignité de chaque citoyen. Cinquante-cinq ans après son adoption, l’affaire Salengro, « jeté aux chiens », pour reprendre une expression célèbre, montrera la fragilité de l’équilibre sur lequel repose cet idéal démocratique.

Pour ce qui concerne internet, le strict respect de cet équilibre est également une nécessité. Les internautes doivent pouvoir savoir qui publie l’information qu’ils lisent, les éditeurs pouvoir se couvrir en cas de recours juridique : comment les autorités judiciaires pourraient-elles statuer dans l’opacité ?

De même, un propos délictueux peut relever de la responsabilité de l’auteur du post, de celle du modérateur, mais l’hébergeur doit, en tout état de cause, rester le garant de la légalité de son site. L’ensemble de ces mesures doit permettre le contrôle a posteriori des publications, mais on ne saurait admettre un contrôle préalable, qui risquerait de déboucher sur un système de censure.

Les lois du 29 juillet 1982 et du 30 septembre 1986, relatives aux nouveaux médias de masse – télévision et radio –, n’ont fait qu’adapter la législation à la société, tout en conservant l’esprit de la loi du 29 juillet 1881 et de l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Internet s’inscrit dans cette dynamique, avec l’émergence de nouveaux acteurs : les internautes, qui reçoivent des informations et en produisent.

À propos des nouveaux acteurs de l’information, je souhaiterais évoquer ici la question des lanceurs d’alerte, souvent débattue mais jamais vraiment tranchée. Le lanceur d’alerte est un acteur alternatif de la production de l’information. La protection des lanceurs d’alerte est aujourd’hui un enjeu majeur, au regard tant de leur activité que de ce qu’ils représentent. L’organisation non gouvernementale Transparency International considère qu’une soixantaine de pays seulement disposent d’une législation efficace couvrant les lanceurs d’alerte.

En France, aucune définition globale du statut de lanceur d’alerte n’a été élaborée : seules des définitions partielles et de toute évidence perfectibles l’ont été, couvrant de fait peu de domaines, et surtout protégeant peu les lanceurs d’alerte des menaces et des représailles. Les discussions sur le secret des affaires, tant en France qu’au sein du Conseil européen, viennent rappeler le chemin qui reste à parcourir pour assurer une réelle liberté d’expression au sein de notre pays, dans l’esprit de la loi du 29 juillet 1881 et de l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Pourtant, des avancées ont pu être constatées, grâce à l’intégration de cinq textes dans notre législation. Mais leur caractère sectoriel prive une grande partie de nos concitoyens d’une couverture efficace en cas de lancement d’une alerte. De plus, la définition même de l’alerte et la procédure de lancement, à force de rigidité, montrent clairement leurs limites, exposant de fait les lanceurs d’alerte à de potentielles représailles.

Il faut relever que, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, ainsi que dans les standards internationaux, le lanceur d’alerte est associé à la presse. Il peut informer, au titre de l’intérêt général, des citoyens, en particulier des salariés.

Cependant, cela a été occulté dans les textes français, à l’exception notable de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Dans les autres domaines, les textes de 2007, de 2012 et de 2013 excluent le recours à la presse. Ainsi, seules les autorités régulatrices, ainsi que la hiérarchie du lanceur d’alerte, sont en droit d’être informées de l’alerte. Cette situation, dangereuse pour le lanceur d’alerte, inefficace pour les citoyens et contraire à l’esprit de la loi sur la liberté de la presse, constitue aujourd’hui une limite à la liberté de l’information. Sous prétexte de lutter contre l’espionnage industriel, on s’accommode en fait de l’opacité du monde des affaires.

L’apport des lanceurs d’alerte pourrait être considéré comme une bouffée d’oxygène démocratique. Leur action doit certes être encadrée par la loi, mais dans un esprit d’émancipation.

À ce propos, l’élaboration de la loi relative au renseignement devra mobiliser toute notre vigilance, afin que les libertés fondamentales des citoyens soient préservées. Si la recherche de sécurité, motivée par les menaces terroristes, doit et peut être efficace, elle ne doit pas remettre en cause ces libertés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2012, dans une décision concernant la Turquie, la CEDH énonçait qu’« internet est aujourd’hui devenu l’un des principaux moyens d’exercice par les individus de leur droit à la liberté d’expression et d’information ».

Internet est au cœur de toutes les interrogations juridiques et sociales. Son développement exponentiel, ouvrant des possibilités d’échanges infinies entre internautes du monde entier, mêlant des informations en tous genres, a permis une immense liberté d’expression sur la Toile. L’enjeu est colossal.

Si internet est un outil formidable de communication et d’échange collaboratif, il peut malheureusement aussi se révéler un véritable instrument d’endoctrinement de l’opinion. L’efficacité de la propagande obscurantiste affinée de Daech, pour ne prendre qu’un exemple, ou la prolifération des théories complotistes à chaque événement, sapant littéralement les bases de la confiance en l’État, doivent nous inciter à adapter notre droit.

Nous devons nous doter des outils législatifs pertinents et efficaces pour prendre en compte ce nouveau facteur du numérique. Lors de l’examen de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, nous avions déjà eu ce débat. La loi de 1881 a montré ses limites face aux nouveaux moyens de communication que sont les réseaux sociaux, les sites internet, les vidéos diffusées en ligne.

Cette loi a procédé au transfert du régime des délits de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme de la loi du 29 juillet 1881 vers le code pénal, permettant de durcir considérablement le régime applicable à de tels délits. Par ailleurs, elle a autorisé le blocage administratif des sites djihadistes.

Les premiers blocages sont intervenus voilà quelques jours. Il s’agit d’un pas en avant dans la lutte contre le terrorisme, mais d’un petit pas : il reste encore une longue route à parcourir pour contrer cette menace devenue permanente. Les biais de ces blocages administratifs avaient été soulignés. Ils apparaissent avec netteté aujourd’hui. Première conséquence prévisible des blocages intervenant en dehors de toute décision de justice, les propriétaires de sites incriminés peuvent se poser en victimes de la censure. Où commence la liberté d’expression, où s’arrête-t-elle ? L’absence de contrôle de ces blocages par le pouvoir judiciaire est préjudiciable, ainsi que nous l’avions souligné au mois de novembre dernier.

Par ailleurs, outre qu’il existe de nombreuses manières de le contourner – je pense à l’accès aux pages « en cache », à l’utilisation de serveurs DNS alternatifs pour échapper à la redirection des fournisseurs d’accès à internet ou au recours à un réseau chiffré –, le blocage des sites n’a été que partiel. Certains opérateurs, et non des moindres, n’ont pas appliqué le dispositif du Gouvernement. À ces difficultés bien connues s’ajoute immanquablement la publicité faite aux sites concernés à cette occasion…

En France, la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique avait permis de créer un équilibre dans le cadre d’une responsabilisation de l’hébergeur. Ce dernier n’est pas responsable par principe des contenus qu’il héberge, mais il peut le devenir si, ayant connaissance d’un contenu manifestement illicite, il n’agit pas promptement pour le retirer.

Toutefois, il est aujourd'hui difficile de contraindre les hébergeurs à retirer rapidement les contenus illicites, notamment lorsqu’ils sont basés à l’étranger. Aux États-Unis, les hébergeurs se réfugient souvent derrière la protection du freedom of speech, la liberté d’expression entendue dans sa conception la plus large, telle que la définit le premier amendement de la Constitution des États-Unis. Ainsi, Twitter a longtemps refusé de bloquer ou de censurer des mots clés antisémites ou homophobes, avant de nouer un partenariat avec des associations pour tenter de mieux contrôler la diffusion de tels propos. Si ce géant du net, notamment, a annoncé des mesures contre la propagande djihadiste, les évolutions de cette conception restent à confirmer.

Alors que le groupe Anonymous a publié récemment une liste de plus de 9 000 comptes Twitter liés à l’État islamique, afin d’exercer une pression sur cet hébergeur, la puissance publique peut-elle se contenter de se reposer sur la société civile ? Ne peut-elle anticiper certaines évolutions, reconquérir un pouvoir, ou tout au moins une influence sur le cours des choses ?

Le ministre de l'intérieur, M. Bernard Cazeneuve, doit réunir au mois d’avril les géants du net, afin de conclure un code de bonne conduite, mais nous pouvons légitimement nous demander si de telles mesures seront suffisantes pour endiguer un mouvement toujours croissant. Aujourd’hui, Google, Facebook, Twitter et d’autres règnent sur la Toile. Mais d’autres apparaîtront certainement demain et se développeront sans être signataires de ce code de bonne conduite.

Notre société rencontre aujourd'hui des difficultés tenant à la fragilité de l’équilibre entre la préservation des libertés individuelles, d’un côté, et la sécurité, de l’autre. À ce titre, la question de la gouvernance d’internet est plus que jamais prégnante ! Elle touche aussi à la manière dont nous voulons redéfinir les contours de la liberté d’expression.

La loi du 29 juillet 1881 offre un régime trop protecteur à ceux qui portent atteinte aux valeurs de la République. Cependant, le délit d’apologie du terrorisme peut devenir contestable, donc dangereux pour les libertés publiques si son utilisation n’est pas nettement définie. Pourrait-on l’invoquer quand il s’agit d’une simple contestation sociale de l’ordre en place ? Ou pourrait-on, comme cela s’est vu dernièrement, mettre en cause un enfant de huit ans sur la base de cette infraction, en ignorant les vertus préventives de l’éducation ou de la construction d’un lien social sur la base d’une confiance réciproque ?

La tendance naturelle au renforcement de l’arsenal législatif pour contrer les débordements de la liberté d’expression ne doit pas faire oublier que l’action publique a vocation à agir en amont et en aval, dans le respect des principes du droit. Nous ne souhaitons absolument pas, bien sûr, que l’on en arrive à élaborer un Patriot Act à la française. Éducation, civisme, égalité des chances : voilà les thèmes sur lesquels les difficultés rencontrées dans l’application de la loi de 1881 doivent nous amener aujourd’hui à réfléchir. Se poser les bonnes questions, c’est déjà y répondre partiellement. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet.

M. Alain Joyandet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, pour ma part, je ne pense franchement pas qu’il faille remettre en question la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse à la suite du développement exponentiel de l’information sur internet.

Qu’il s’agisse d’internet ou de la presse écrite, il n’y a pas de contrôle a priori de ce qui paraît. C’est seulement après publication que des poursuites seront engagées en cas de diffamation, par exemple. Il serait d’ailleurs encore plus difficile d’exercer un contrôle a priori pour internet que pour la presse écrite. Il s’agit bien d’un contrôle a posteriori, et je ne vois pas pourquoi il faudrait changer notre législation sur la presse, qui a permis de garantir plutôt efficacement à la fois la liberté d’expression, à laquelle nous sommes très attachés, et le respect du droit des individus, à la suite d’une évolution technologique des supports d’information.

Au fond, la question est aussi de savoir comment protéger et revaloriser le travail des professionnels de l’information à l’heure d’internet. Aujourd'hui, avec internet, des amateurs contribuent à « informer ». Dès lors, comment l’internaute peut-il distinguer les sources d’information fiables des autres ?

Pour ma part, je suis partisan de l’instauration d’une « traçabilité », d’une labellisation de l’information, afin de valoriser le travail des professionnels. Il me paraît vain d’essayer de censurer les informations diffusées par des non-professionnels sur un réseau mondialisé.

La question de la sécurité a également été soulevée, à la lumière du rôle joué par certains sites dans les récents événements. Je pense qu’elle doit être envisagée à l’échelon international. Cela étant, elle relève davantage de la politique de sécurité –nous serons bientôt saisis d’un texte portant sur ce sujet – que du domaine de la presse stricto sensu. La seule solution efficace est la surveillance permanente des sites, ce qui excède le cadre de la législation sur la presse.

Je ne crois pas non plus qu’il faille modifier les dispositions législatives relatives au respect de la vie privée du fait de l’essor d’internet, qui ne me semble pas poser davantage de problèmes de ce point de vue qu’un certain nombre d’organes de presse écrite. La législation en vigueur prévoit là aussi un contrôle a posteriori.

En fait, nous assistons avec le développement d’internet à l’émergence d’une nouvelle culture : nous passons d’une société très verticale, avec une information descendante, élaborée par un petit nombre d’acteurs, à une société totalement horizontale, où l’information s’échange entre citoyens.

En tout état de cause, il me semblerait hasardeux de modifier la législation pour atteindre des objectifs qui demeurent encore très flous. Nous devons encourager le professionnalisme, mettre en place une régulation à l’échelon international pour ce qui concerne la sécurité, et par-dessus tout protéger la liberté d’expression. Pour le reste, je crois prématuré de faire évoluer la législation. En tant qu’ancien journaliste, j’appelle à la plus grande prudence à cet égard : toucher à la législation sur la presse, c’est toucher à la démocratie et à la République. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai par remercier le groupe RDSE d’avoir pris l’initiative d’un débat sur ce sujet si important et sensible.

De prime abord, il pourrait paraître anachronique de lier internet, ce nouveau monde du XXIe siècle, et la loi du 29 juillet 1881, qui date d’une époque où la révolution économique et sociétale, c’était la Révolution industrielle.

Pourtant, à l’ère de la révolution numérique, la loi du 29 juillet 1881 demeure, me semble-t-il, le pilier auquel nous pouvons nous adosser quand nous voulons traiter de la liberté d’expression et de ses limites. En effet, il faut le rappeler, si la liberté d’expression est un droit absolu, elle n’en demeure pas moins, comme toute liberté, relative et encadrée. Le « tout est permis » d’Ivan Karamazov est toujours fatal à l’humanité.

Ainsi, la loi sur la liberté de la presse a traversé le turbulent « siècle des excès », s’ajustant aux évolutions du secteur, comme aux mutations de la société. Sa cohérence, sa clarté, son équilibre en font, je le pense, un repère toujours important, à l’heure où les valeurs démocratiques et nos convictions profondes quant au progrès social et civilisationnel sont quotidiennement en butte à des actes et à des discours de haine.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Sylvie Robert. L’appel au meurtre sur la Toile, au nom d’une divergence d’opinions, ou même la destruction du patrimoine culturel universel en plein désert irakien constituent malheureusement notre quotidien. Face à ce déferlement de violence et de haine sur le web, je le dis nettement : tout n’est pas permis !

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Sylvie Robert. Toutefois, dans ce climat parfois délétère, il faut se garder de répliquer à l’extrémisme par des mesures extrêmes et rapides. La maturité démocratique d’un État s’estime à l’aune de sa capacité à répondre avec sang-froid, réflexion, pondération et retenue.

C’est pourquoi, par exemple, la future loi relative au renseignement devra maintenir un certain équilibre entre efficacité opérationnelle et sauvegarde des libertés fondamentales.

Au lieu de « détricoter » la loi de 1881, il convient, me semble-t-il, de la préserver, peut-être de le renforcer, mais, surtout, de l’adapter à internet.

En effet, en un sens, internet et la loi sur la liberté de la presse sont inextricablement unis par l’esprit libertaire qui les caractérise. Ils sont avant tout des instruments au service de l’un des « droits les plus précieux de l’homme », en l’occurrence la « libre communication des pensées et des opinions », affirmée à l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Cependant, en lien avec les « solitudes interactives », les pseudonymes qui masquent les véritables identités, les écrans qui s’interposent comme des barrières protectrices, le sentiment d’impunité croît dans l’espace du web, ce qui favorise la prolifération de discours nauséabonds, tant sur les forums que sur les réseaux sociaux.

Dans ce contexte, il serait peut-être opportun de réfléchir précisément à la notion d’ordre public numérique, afin que l’espace internet ne soit plus synonyme d’impunité pour les individus, tout en étant évidemment régi par des considérations englobant l’ensemble des droits fondamentaux.

Par-delà la belle loi sur la liberté de la presse, le dispositif du II de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, obligeant les acteurs d’internet à coopérer avec les autorités judiciaires et administratives pour permettre l’identification de personnes ayant contribué à la création de contenus illicites, doit, à terme, s’imposer aux grandes entreprises américaines qui hébergent des discours de haine sur leurs sites et qui revendiquent l’extranéité juridique, eu égard au lieu de domiciliation de leur siège social. Le dialogue avec ces hébergeurs, entrepris par le ministre de l’intérieur, est une première étape vers la régulation de l’espace internet.

Pour autant, l’arsenal répressif ne sera jamais suffisant. Il faut s’attaquer aux racines des maux et donc toujours s’attacher à l’éducation. En matière de numérique, la réflexion interministérielle doit continuer à prospérer. À mon sens, il serait bénéfique que le plan numérique, qui verra le jour d’ici à 2016, comprenne un volet relatif à la formation des élèves à l’utilisation d’internet afin de leur apprendre à appréhender cet espace, à exploiter ses ressources et les informations qu’il contient. L’objectif est qu’ils s’approprient ce formidable outil, tout en ayant conscience de la responsabilité citoyenne qui est la leur quand ils participent à l’« expression publique généralisée ». Les mots ont un sens, et toutes les opinions ne se valent pas ; l’expression de certaines d’entre elles constitue même un délit. Internet n’est pas une zone de non-droit.

Enfin, que l’on me permette de souligner l’importance de la responsabilité éthique et déontologique de certains journalistes, que nous rappelle le traitement par certaines chaînes de télévision des événements récents.

Madame la secrétaire d’État, peut-être faudrait-il distinguer entre ce qui relève de la liberté d’expression des individus et ce qui relève de celle des médias ? Quoi qu’il en soit, on perçoit une fois encore, mes chers collègues, que, dans tout débat de société, les réponses sont affaire d’équilibre et de positionnement du curseur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est sans doute une des lois les plus connues de notre République, et pas seulement parce qu’elle est inscrite sur certains murs pour rappeler qu’il est interdit d’afficher sur la voie publique. Elle est aussi l’une des plus symboliques, puisqu’elle touche aux libertés et aux responsabilités de la presse française, imposant un cadre légal à toute publication.

On pourrait évoquer, comme cela a été fait par de précédents orateurs, les nouveaux enjeux de cette liberté d’expression.

L’enjeu législatif est d’autant plus important que tout encadrement de la liberté d’expression est suspecté de porter atteinte aux libertés fondamentales de l’homme. En tant que législateur, nous devons faire preuve de la plus grande prudence et n’intervenir dans ce domaine que d’une main tremblante.

En préambule, il est important de réaffirmer que la France s’honore d’être le pays de la liberté d’expression. C’est un principe absolu, très normalement consacré par plusieurs de nos textes fondamentaux, à commercer par l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la Convention européenne des droits de l’homme.

Bien sûr, un premier débat porte sur les exceptions au principe de la liberté d’expression, envisagées comme autant de limites à celle-ci.

La loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme est venue sanctionner plus durement l’apologie du terrorisme, mais l’usage d’internet bouleverse nécessairement notre façon d’affirmer notre attachement à la liberté d’expression sur le web.

Chaque intervenant dans ce débat a présenté internet comme un « formidable outil de communication », favorisant les échanges et rapprochant les individus, voire les peuples. Néanmoins, il me semble que l’outil internet recèle une ambivalence fondamentale, qui bouleverse notre conception des choses. Cela ne relève pas véritablement d’une modification législative, mais plutôt d’une dimension ontologique.

L’idée même de « régulation du numérique » est selon moi trompeuse. Il faut dire que nous sommes tous victimes d’une certaine illusion face à internet. Un philosophe bien inspiré parlait d’« inquiétante extase », devant la fascination exercée par internet sur les esprits qui se piquent de modernité. Prenons l’exemple des cinq sites faisant l’apologie du terrorisme qui ont été bloqués. Bien sûr, cette mesure était nécessaire, mais il y a une forme d’illusion, voire d’hubris, à croire que l’on peut contrôler la Toile. Certains experts estiment que ces nouvelles mesures pourraient même être contreproductives, en incitant les acteurs concernés à passer à la clandestinité et à des technologies plus difficiles à surveiller. Le blocage peut être contourné puisqu’il est techniquement facile de reconfigurer sa connexion à l’internet.

Plus largement, l’illusion dont je parlais tout à l’heure s’agissant d’internet est précisément de croire qu’il ne s’agit que d’un outil. Internet transforme insidieusement notre rapport au monde, par la substitution du virtuel au réel, la soumission à ses caprices et à ses humeurs, parfois les plus volatils, la réduction du temps de présence. Internet fait de nous des usagers compulsifs, comme en témoigne notre rapport à l’information ; c’est l’ordre du bon plaisir, qui ne rencontre aucun frein, c’est aussi l’arasement de toute hiérarchie des valeurs et des œuvres. En effet, ne nous y trompons pas : comme cela a été souligné, internet contribue à l’émergence d’une société horizontale.

Je suis heureux, madame la secrétaire d’État, de votre présence parmi nous aujourd'hui, mais je me demande si la ministre de la culture, eu égard au mouvement de disparition des notions d’auteur et d’œuvre, et la ministre de l’éducation nationale, compte tenu de l’affaiblissement de l’école et de l’autorité des professeurs, n’auraient pas dû également participer à ce débat. Car internet produit des effets considérables, qui affaiblissent l’idée même de médiation et d’autorité.

Cela vaut, on l’a dit, pour les journalistes. Hier, ils étaient des médiateurs qui analysaient les faits. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus des « modérateurs » au sein des réseaux sociaux,…

M. François Bonhomme. … tant les citoyens, connectés sans relâche, sont soumis à un flux permanent d’informations.

Madame la secrétaire d’État, je vous ai entendue évoquer à la télévision, voilà quelques jours, la « République numérique ». Cette formule constitue peut-être un oxymore. En effet, pour illustrer votre propos, vous avez parlé du plan numérique pour l’école. Aujourd'hui, tout est numérique : c’est notre nouveau totem ! Quel élu d’ailleurs ne se glorifie pas d’offrir des tablettes numériques aux collèges, comme si c’était la solution miracle pour remédier à l’affaiblissement de l’école ? Puis vous avez ajouté que cela implique que le professeur ne soit plus le « sachant », l’élève l’« apprenant ». Il y aurait déjà beaucoup à dire sur l’utilisation de la « novlangue » administrative de l’éducation nationale, qui substitue au terme « professeur » ce nouveau barbarisme de « sachant », et le terme « apprenant » au beau mot « élève ». Cela en dit long sur ce mouvement de déliquescence et vers l’horizontalité qui n’épargne pas même l’école…

En fait, madame la secrétaire d’État, votre propos est significatif de l’affaiblissement par internet, à l’œuvre de manière insidieuse, de toute forme de verticalité, affectant en premier lieu les différentes institutions de la République, à commencer par l’école et ses professeurs, la presse en général, pas seulement écrite, et ses journalistes. Même le médecin, dont le diagnostic est aujourd'hui mis en doute par les patients, qui accordent de plus en plus d’autorité aux sites médicaux, est touché.

Dès lors, madame la secrétaire d’État, je n’ai qu’une requête, pour ne pas dire une supplique, à vous adresser : ne cédez pas à cette illusion du « tout connecté » et de la « République numérique » ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir inscrit ce sujet à l’ordre du jour des travaux de votre assemblée. Je remercie en particulier Jacques Mézard d’avoir posé les termes du débat.

À titre liminaire, je vous prie excuser Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, et Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, qui auraient souhaité être présentes aujourd'hui. Je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions, sans doute influencée par mon passé de juriste. Quoi qu’il en soit, beaucoup de ces questions n’ont pas encore fait l’objet d’un arbitrage.

La loi sur la liberté de la presse est une grande loi, mais elle doit être modernisée. Au demeurant, il existe d’autres outils que cette loi pour protéger nos concitoyens et préserver la liberté d’expression sur internet.

La liberté d’expression figure parmi les grandes victoires de la Révolution française. Elle est le socle de nos démocraties modernes et figure à l’article XI de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

La liberté de la presse a, quant à elle, dû attendre un siècle de plus pour être reconnue et consacrée par une loi, en 1881. Tout comme la liberté d’expression, la liberté de la presse est loin d’être absolue. Le législateur de 1881 a cherché un point d’équilibre entre le principe de la liberté d’expression et la répression des abus dans l’exercice de cette liberté ; à mon sens, cette recherche d’équilibre vaut pour toutes les grandes lois,

Une société démocratique ne peut condamner pénalement l’usage de la parole sans dresser de solides garanties contre la censure. C’est bien là l’esprit de la loi de 1881, qui soumet la procédure à des conditions qui la rendent à la fois complexe et protectrice des personnes poursuivies : délais de prescription courts, encadrement des conditions de saisine du tribunal, exclusion de la procédure de comparution immédiate.

Par ailleurs, la loi de 1881 exige d’aborder la question de la liberté de la presse et de la répression de ses abus avec toutes les garanties que peuvent offrir les règles de procédure pénale. L’infraction de presse, par exemple, doit être interprétée strictement, les débats sont oraux, les témoins sont auditionnés. En outre, la primauté est donnée aux droits de la défense.

La loi de 1881 a donné lieu à plus de cent vingt ans de jurisprudence. En d’autres termes, c’est un texte qui a fait ses preuves dans la pratique. Comme d’autres grandes lois républicaines – même si le parallèle n’est pas évident, je pense à la loi sur la laïcité –, c’est un texte qui a su s’adapter.

En 2015, qu’en est-il de cette loi ?

Avec internet, l’élan démocratique peut s’amplifier, trouver une caisse de résonance mondiale. Les nouvelles technologies n’ont-elles pas vu émerger la participation, non pas virtuelle, mais bien réelle, des citoyens à la vie de la cité, à travers des milliers de contributions écrites sur des blogs, sur les réseaux sociaux, les forums de discussion, les sites de notation et de recommandation.

Internet et les réseaux sociaux changent la donne du monde dans lequel nous vivons, souvent pour le meilleur, il ne faut pas l’oublier, car internet est un véritable outil d’émancipation. Les révolutions du printemps arabe n’auraient jamais eu lieu sans les réseaux sociaux.

M. Jacques Mézard. C’est vrai !

M. Pierre-Yves Collombat. Mais avec quel résultat !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Aujourd’hui, grâce au numérique, chacun peut se former et apprendre avec une facilité sans pareille dans l’histoire de l’humanité. On l’oublie parfois, mais on n’a jamais autant lu et écrit qu’à notre époque !

M. François Bonhomme. Ça reste à voir !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. L’accès au savoir s’est démocratisé.

Cependant, internet peut être aussi l’outil du pire, comme nous l’avons vu tout récemment dans notre pays.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. L’avènement du pire doit-il sonner le glas de la loi de 1881 ?

Jusqu’à présent, des réponses assez tranchées avaient permis la sanction des propos haineux, car internet n’est pas une zone de non-droit. Même si les cas demeurent assez peu nombreux, je citerai quelques exemples : condamnation à 10 000 euros d’amende du responsable d’un blog sur lequel des commentaires racistes ont été publiés ; condamnation à quarante heures de travaux d’intérêt général et à 300 euros d’amende de deux jeunes qui avaient créé une page Facebook appelant à l’euthanasie d’un jeune handicapé ; condamnation à 1000 euros d’amende d’une personne qui avait créé, au nom de quelqu’un d’autre, une fausse page Viadeo contenant des propos diffamatoires.

Mais alors, pourquoi un sentiment d’impunité subsiste-t-il ? Pourquoi a-t-on parfois l’impression, aujourd'hui, que tout peut être dit et écrit sur les réseaux sociaux et que les victimes, à moins de se lancer dans des combats judiciaires longs et onéreux, n’obtiendront pas justice ?

Il est clair que, à l’heure du numérique, la loi de 1881 mérite d’être réformée.

Au-delà du travail législatif, le Gouvernement prépare un plan de lutte contre le racisme qui abordera en partie ce sujet.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme, autorité administrative indépendante, vient aussi de me remettre un avis sur les discours de la haine sur internet. Dans cet avis, la CNCDH considère qu’un certain nombre de dispositions procédurales incluses dans la loi de 1881 sont aujourd’hui manifestement en décalage avec l’expression publique sur internet et elle recommande des améliorations.

J’en mentionnerai quelques-unes, qui ont particulièrement retenu mon attention et feront l’objet d’un travail interministériel.

Il faut d’abord préciser et actualiser les notions d’espace public et d’espace privé sur le web.

Il paraît également nécessaire d’envisager la numérisation des procédures. Les assignations, les significations, les dépôts de plainte peuvent et doivent se faire en ligne. Il faut simplifier et faciliter les procédures de référé par la création d’un référé numérique. Aujourd’hui, grâce aux outils numériques, la justice peut être accessible à tous, plus rapide et plus efficace.

Il conviendrait aussi de prévoir un droit de réponse effectif sur internet au profit des associations antiracistes.

Il faut par ailleurs énoncer dans la loi le pouvoir du juge d’ordonner la suspension d’un compte utilisateur, et non pas d’un simple message, car cela permet aujourd’hui à des auteurs de propos très outrageants, extrêmes, dont le message a été annulé, de le republier le lendemain.

Je souhaiterais que nous engagions une réflexion sur l’augmentation pertinente et l’harmonisation des délais de prescription.

Enfin, la possibilité d’engager la responsabilité pénale des personnes morales en dehors des seuls organes de presse doit être envisagée.

Ces propositions sont à l’étude ; je tiens à ce qu’elles soient expertisées pour que je puisse, en accord avec le ministère de la culture et la Chancellerie, retenir celles qui nous semblent apporter des solutions satisfaisantes et, le cas échéant, les inclure dans le projet de loi numérique actuellement en préparation.

Pour l’heure, la Chancellerie relève deux blocages majeurs engendrés par l’application de la loi de 1881 dans la sphère numérique.

Le premier a trait à la requalification des faits. Si un plaignant, lorsqu’il porte plainte, a mal qualifié les faits – s’il parle, par exemple, de « diffamation » au lieu d’ « injures » –, le tribunal ne pourra pas requalifier les faits et l’action en justice ne pourra pas prospérer.

Le second blocage identifié par la Chancellerie est lié à la trop grande complexité de la procédure de saisine des tribunaux. Le réquisitoire à fin d’information et la citation directe du plaignant sont soumis à des règles trop strictes ; ainsi, il faut que le plaignant non seulement qualifie correctement les faits, mais encore mentionne dans sa plainte le numéro des articles de loi et même des alinéas applicables aux faits qui le concernent. La violation d’une seule de ces obligations procédurales est sanctionnée par la nullité.

En réalité, très peu de poursuites pénales sont engagées à la suite de signalements. Ceux-ci sont d’abord le fait des utilisateurs eux-mêmes, ensuite des plateformes numériques, puis de PHAROS – plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements –, qui traite les signalements, les transmet éventuellement au procureur de la République, lequel ne dispose aujourd’hui ni de l’information ni des moyens nécessaires pour traiter un contentieux de masse. Et le problème est bien là ; il suffit de voir ce qui s’est passé au lendemain des attentats qui ont profondément heurté notre pays : des dizaines de milliers de signalements étaient transmis chaque jour à la plateforme PHAROS, alors que les officiers de police chargés de les traiter ne sont guère qu’une petite quinzaine.

On le sait, l’expression publique généralisée à l’heure d’internet n’est plus filtrée exclusivement en amont par des médias professionnels responsabilisés et soumis à un encadrement déontologique. D’ailleurs, M. Assouline et M. Abate ont à juste titre insisté sur la protection des journalistes et sur la question des lanceurs d’alerte.

Vous l’aurez compris, je considère qu’il est temps de réformer cette grande loi de 1881, sans pour autant remettre en cause son esprit et son équilibre. Il s’agit finalement de la moderniser, de la « numériser ». J’ai d’ailleurs le sentiment que c’est la préoccupation des orateurs qui se sont exprimés cet après-midi ; je pense en particulier à M. Joyandet.

J’ai apprécié la formulation juridique qui a été avancée par Mme Benbassa et Mme Robert quant à un ordre public numérique. Effectivement, la question de l’ordre public, cet ensemble de lois applicables au-delà du socle juridique classique, pourrait inclure une dimension numérique. On peut citer, outre la nécessité de combattre les propos racistes et antisémites, l’importance de la lutte au quotidien contre les expressions homophobes, très présentes, trop présentes, sur internet et sur les réseaux sociaux.

M. David Assouline. Et les expressions sexistes !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Mais cette loi de 1881 n’est pas et ne doit pas être le seul moyen de lutter contre les discours de haine sur internet. Il existe d’autres recours et d’autres outils.

J’ai eu de nombreux échanges avec les représentants des plateformes numériques, les modérateurs privés, les policiers de PHAROS, les magistrats. Si nous arrivons à peu près à trouver un mode de coopération avec les géants de l’internet, il n’en demeure pas moins que certaines plateformes ne répondent pas ou ne répondent que très peu aux sollicitations des enquêteurs. Je pense à Twitter, par exemple, qui peut mettre, en dehors des cas hautement sensibles politiquement, jusqu’à huit mois pour répondre aux sollicitations d’enquêteurs de police français concernant des données de connexion en cas d’injure raciste sur internet. Je pense également à ces policiers qui sont contraints de faire leur requête en anglais auprès des plateformes américaines dont le siège se situe aux États-Unis.

Beaucoup d’entreprises continuent à se réfugier derrière leur loi nationale pour ne pas intervenir de manière proactive. Elles appliquent ainsi les critères de la loi américaine, invoquant le premier amendement à propos du racisme exprimé, mais, paradoxalement, interdisent la publication d’un tableau comme L’Origine du monde de Courbet au motif qu’il heurte certaines sensibilités… (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.)

C’est pourquoi – et M. Robert Hue l’a souligné – il faut certainement réformer l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, afin d’imposer notre loi territoriale à tout opérateur étranger qui s’adresse à un public français. Il ne faut pas le faire uniquement sous l’angle jurisprudentiel, sous l’angle de la sanction des clauses abusives en droit de la consommation. Il ne s’agit pas pour autant, comme M. Mézard l’a fort bien dit, de privatiser la justice française ; il s’agit bien de responsabiliser l’ensemble des acteurs concernés.

À cet effet, il est urgent d’ouvrir un dialogue permanent avec les plateformes étrangères, en vue d’établir des règles communes et acceptées de tous ; il faut créer un espace de dialogue en France, et non pas dans la Silicon Valley.

Oui, madame Morin-Desailly, les grandes plateformes doivent être plus collaboratives : elles doivent faciliter à la fois le retrait des propos et l’action de la police et de la justice en France.

Il nous faut aussi renforcer les moyens nécessaires à la mise en œuvre d’une politique ambitieuse : il faut plus de personnes, plus d’équipements et des dispositifs de signalement plus simples. Vous l’imaginez bien, la productivité humaine nécessaire au traitement des signalements actuels par PHAROS a ses limites !

C’est avec détermination que le Gouvernement lutte contre le sentiment d’impunité qui a trop souvent cours et qu’éprouvent ceux qui vont jusqu’à faire l’apologie du terrorisme.

L’objectif de lutte contre la diffusion de ce type de propos est triple : il s’agit, bien sûr, d’assurer la sécurité publique et la sanction des atteintes à la dignité humaine, de lutter contre l’autoradicalisation et la mise en lien par les réseaux, mais aussi de lutter directement contre les mouvements fondamentalistes.

La communication est à la fois l’arme et la composante première du terrorisme, qui se différencie des autres formes de criminalité en ce qu’il recherche la publicité pour se légitimer, qu’il utilise des vecteurs de propagande, d’apologie et de provocation qui sont systématisés, qui font partie intégrante de la stratégie de l’État islamique ou d’Al-Qaïda.

La loi sur le terrorisme permet ainsi de recourir aux moyens spéciaux d’enquête de l’antiterrorisme et de mettre fin à une situation qui n’était pas normale. La France était en effet le seul pays de l’Union européenne où la répression de la provocation aux actes de terrorisme relevait encore de la loi sur la presse. Vous avez eu raison, monsieur Charon, de souligner l’action du Gouvernement en ce domaine.

S’agissant de l’application de la loi sur le terrorisme, lorsque nous aurons le recul nécessaire, nous devrons déterminer si elle est correctement appliquée. Cela signifie qu’il faut l’appliquer sans céder aux passions, qu’il s’agisse de la fermeture administrative de sites internet ou de la répression par l’emprisonnement de ceux qui tiennent des propos d’apologie du terrorisme.

Plus largement, gardons à l’esprit que faire disparaître et sanctionner un propos sur internet, ce n’est qu’un premier pas. Pour ne pas se contenter d’intervenir a posteriori, il faut inventer une citoyenneté numérique. C’est bien par l’éducation et la pédagogie que nous empêcherons, en amont, la propagation de propos racistes et antisémites. Nos enfants ne doivent pas être des consommateurs passifs qui ne savent pas « digérer » l’information qui vient à eux ; au contraire, dans cet environnement numérique, ils doivent devenir des citoyens lucides et critiques.

C'est d’ailleurs tout le sens des mesures annoncées par la ministre de l’éducation nationale, qui s’est associée avec la ministre de la culture pour proposer des modifications appelées à être intégrées dans les programmes en vigueur à compter de la rentrée de septembre 2016. Au-delà du déploiement des réseaux, de l’équipement en outils adaptés et de la formation des enseignants, le numérique à l’école doit aussi passer par l’éducation au numérique.

Enfin, dernier élément pour lutter contre les discours de haine, il faut produire des contre-discours. Ces initiatives doivent venir de la société civile. L’identification par le mouvement Anonymous des comptes Twitter de Daech en est une. Il se trouve que, dans ce qui était ma circonscription – l’Europe du nord –, l’élaboration des politiques de construction de contre-discours en ligne avec la société civile fait partie des stratégies des gouvernements nationaux. J’aimerais que l’ensemble des citoyens se saisissent de ces enjeux.

Internet est un outil formidable d’information, d’expression et d’émancipation, mais ce n’est qu’un outil. Chacun d’entre nous doit apprendre à l’utiliser. Le Gouvernement doit aussi empêcher que cet outil soit perverti, dévoyé, sabordé. La lutte contre les propos illicites sur internet doit devenir l’affaire de tous, dans le respect des libertés fondamentales.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce domaine, il faut certes légiférer d’une main tremblante, mais notre main doit ensuite être ferme dans l’application des décisions prises. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ».

8

Modifications de l'ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, les conseils départementaux issus des élections des 22 et 29 mars 2015 tiendront leur première réunion le jeudi 2 avril prochain.

Dès lors, sur la proposition de M. le président du Sénat et en accord avec le Gouvernement, nous pourrions : annuler la séance de questions d’actualité au Gouvernement du jeudi 2 avril et avancer à 14 heures 30 le débat sur la préparation de la révision de la loi de programmation militaire et à 16 heures 15 les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la modernisation du secteur de la presse ; organiser une séance de questions orales le mardi 31 mars, afin de respecter l’obligation constitutionnelle d’une séance de questions au moins par semaine ; et remplacer la séance de questions cribles thématiques du jeudi 9 avril par une séance de questions d’actualité au Gouvernement.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

En conséquence, l’ordre du jour des séances des mardi 31 mars, jeudi 2 avril et jeudi 9 avril s’établit comme suit :

Mardi 31 mars

À 9 heures 30 :

- Questions orales.

À 14 heures 30 et, éventuellement, le soir :

- Suite de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.

Jeudi 2 avril

De 9 heures à 13 heures :

Ordre du jour réservé au groupe écologiste :

- Suite de la proposition de loi autorisant l’usage contrôlé du cannabis ;

- Proposition de loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ;

- Proposition de résolution pour un guide de pilotage statistique pour l’emploi.

À 14 heures 30 :

- Débat sur la préparation de la révision de la loi de programmation militaire.

À 16 heures 15 :

- Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de la loi relative à la modernisation du secteur de la presse.

Jeudi 9 avril

À 9 heures 30 :

- Suite du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

À 15 heures :

- Questions d’actualité au Gouvernement

À 16 heures 15 et le soir :

- Suite de l’ordre du jour du matin.

9

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 25 mars 2015 :

À seize heures quinze :

Débat sur l’influence de la France à l’étranger.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à seize heures quinze.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART