M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme Archimbaud, M. Desessard et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le premier alinéa de l'article L. 322-4 du code de la sécurité sociale est complété par les mots : « et ainsi que pour les bénéficiaires reconnus atteints d'une des affections comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, inscrites sur une liste établie par décret après avis de la Haute Autorité de santé ».

La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Comme je l’ai dit tout à l'heure, cet amendement se justifiait par les chiffres pour l’année 2012 indiquant que 42 % du montant total des franchises était acquitté par des malades souffrant d’affections de longue durée.

Pour certaines pathologies, les pourcentages sont encore plus élevés : 59 % et 70 % des personnes atteintes respectivement de la maladie d'Alzheimer et de la maladie de Parkinson et 71 % des patients souffrant de mucoviscidose atteignent le plafond annuel des franchises et participations, ce qui leur coûte individuellement 100 euros par an.

Toutefois, compte tenu de l’avis défavorable exprimé par Mme la rapporteur, je retire cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.

Je mets aux voix l'article 1er.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 108 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 329
Pour l’adoption 19
Contre 310

Le Sénat n'a pas adopté.

La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Laurence Cohen, rapporteur. Je déplore le rejet de cet article, qui constituait le cœur de notre proposition de loi. Je n’en suis pas étonnée, toutefois, au vu de la position exprimée par la commission comme de la teneur de nos débats.

Je souhaite préciser en cet instant quelques éléments qui me semblent très importants pour nos concitoyens. Au cours de nos discussions, j’ai entendu dire par des orateurs siégeant sur les différentes travées de cet hémicycle que les franchises et les forfaits ne remplissaient pas leur double objectif : responsabiliser les patients et alimenter le plan Alzheimer.

La responsabilisation des patients, ainsi que Mme la secrétaire d’État l’a souligné, ne dépend pas des franchises. Lors des auditions de la commission, les représentants des syndicats, le professeur Didier Tabuteau, de Sciences-Po, Mme Joëlle Martineau, présidente de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale, l’UNCCAS, et médecin urgentiste en activité, ont tous souligné qu’elle passe par d’autres canaux : la formation et l’information sur la santé, éventuellement des pénalités à l’encontre des contrevenants.

Franchises et forfaits sont inopérants sur ce point et en les défendant, on dénature totalement le socle de notre système de sécurité sociale : la solidarité entre les bien portants et les malades.

J’ajoute – personne ne l’a indiqué jusqu’à présent, me semble-t-il – que ces dispositifs sont d’autant moins efficaces que la sécurité sociale peine à récupérer la totalité de ce qu’ils pourraient lui rapporter : il manque une somme de l’ordre de 200 millions d’euros.

Ce système est complexe et inefficace, le Gouvernement partage l’objectif des auteurs de la proposition de loi, mais néanmoins ne soutient pas ce texte : quel sacré paradoxe ! Bien évidemment, nous désapprouvons cela.

De surcroît, le contexte est très grave pour les personnels de santé. Il ne s’agit pas seulement des manifestations qui vont avoir lieu contre le tiers-payant : j’ai à l’esprit le désarroi des urgentistes et des personnels hospitaliers, qui se mobilisent parce qu’ils n’en peuvent plus. En réduisant les dépenses, on met réellement en danger la santé des patients.

Au surplus, il se produit un véritable gâchis de ressources. Surveiller les dépenses ? Après la rénovation de l’hôpital Lariboisière, on s’apprête à en fermer toute une aile. Alors que la maternité de l’hôpital Bégin est neuve, on se prépare à la supprimer. La maternité des Lilas, qui est le symbole d’une démarche de mise au monde des enfants et de l’attention portée aux familles, dont le personnel et les patientes se battent depuis quatre ans et auxquels on a tant promis, est encore menacée de fermeture. Je ne comprends pas !

C’est dans ce contexte-là que vous refusez l’acte politique fort de mettre un terme à cette logique mortifère pour la santé en abrogeant une mesure injuste et inefficace. J’en conçois un grand regret ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.

M. Gilbert Barbier, vice-président de la commission des affaires sociales. Le débat qu’ouvre Laurence Cohen sur les problèmes de santé en général dépasse un peu le champ de la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui.

Je souhaite pour ma part relever deux points importants.

Le premier concerne la question, souvent évoquée, du taux élevé de non-recours aux soins. Certes, un certain nombre de Français assurés renoncent aux soins, mais il faut tout de même préciser les secteurs concernés. Ce renoncement porte essentiellement sur les soins dentaires, ophtalmologiques et otologiques. Il serait intéressant de déterminer dans quelle proportion les soins médicaux proprement dits sont touchés. Il n’est toutefois pas certain que cela soit possible : on ne se fie qu’à des déclarations affirmant le renoncement à des soins, mais il s’agit en général de ceux que je viens d’évoquer.

Le second point que j’aimerais aborder, madame la secrétaire d'État, vise une question un peu technique, celle des déremboursements.

Comme l’a rappelé Jean-Noël Cardoux, Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, s’était engagée à ne pas dérembourser de médicaments.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Sauf les médicaments inutiles !

M. Gilbert Barbier, vice-président de la commission des affaires sociales. Or certains médicaments anti-arthrosiques ne seront plus remboursés à partir du 1er mars prochain.

Madame la secrétaire d'État, contrairement à ce que vous avez indiqué, la Haute Autorité de santé ne décide pas du déremboursement, elle le propose éventuellement. Il revient au ministre chargé de la santé de prendre cette décision.

Or nombre de nos anciens ont recours aux médicaments susvisés, dont l’apport thérapeutique est non pas forcément nul, mais faible. Il s’agit là d’un sujet important.

Concernant les effets nocifs de ces médicaments anti-arthrosiques, que dire, madame la secrétaire d'État – ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre ! – des médicaments de substitution qui seront naturellement utilisés, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, qui entraînent des complications beaucoup plus importantes ?

Je tenais à faire cette petite mise au point.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Laurence Cohen, rapporteur. Je tiens simplement à préciser à Aline Archimbaud que la commission n’a pas eu à se prononcer sur son amendement n° 1 car notre collègue a accepté à ma demande de le retirer. Quant à moi, j’y suis favorable : avec mon groupe, nous partageons la proposition concernant les affections de longue durée, mais nous estimons que le présent texte n’est pas le bon véhicule législatif. C’est pourquoi nous vous suggérons, ma chère collègue, de présenter un amendement similaire dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

D’ailleurs, comme vous avez pu le constater, même sur cette proposition, le Gouvernement n’était pas d’accord. Tout cela ne nous laisse pas une grande marge de manœuvre…

Je tenais à rappeler ce contexte.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires
Article 3

Article 2

À la deuxième phrase de l’article L. 245-13 du code de la sécurité sociale, les mots : « est de 0,03 % » sont remplacés par les mots : « ne peut excéder 0,07 % ».

M. le président. Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 n'est pas adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires
Article 4 (début)

Article 3

Les conséquences financières de la présente loi pour les organismes de sécurité sociale sont compensées à due concurrence par un relèvement du taux de la contribution additionnelle, prévue à l’article L. 245-13 du code de la sécurité sociale, à la contribution de solidarité à la charge des sociétés prévue à l’article L. 651-1 du même code.

M. le président. Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 n'est pas adopté.)

Article 3
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Article 4 (fin)

Article 4

La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2016.

M. le président. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que, si l’article 4 connaît le même sort que les trois articles précédents, qui n’ont pas été adoptés, les explications de vote sur l’article 4 vaudront en fait explications de vote sur l’ensemble, dans la mesure où il n’y aura pas lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi.

La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.

Mme Aline Archimbaud. Pour des raisons de cohérence avec les priorités que nous avons proposé de retenir et que nous soumettrons de nouveau au Gouvernement lors de l’examen du projet de loi relatif à la santé, le groupe écologique s’abstiendra sur cette proposition de loi.

Comme je l’ai déjà souligné, nous estimons qu’il importe de mettre très fortement l’accent sur des mesures visant à ouvrir des droits aux millions de personnes qui, aujourd'hui, ne vont pas chez le médecin. Il y a là, nous semble-t-il, un devoir de solidarité absolument prioritaire. Certes, je l’ai souvent dit, mais je le répète encore, car la situation est alarmante.

Par ailleurs, le deuxième domaine prioritaire auquel il nous paraît aujourd'hui essentiel de consacrer des moyens publics concerne la santé environnementale. Certaines maladies chroniques ont, pour partie, des causes environnementales. Hier encore, des chercheurs ont indiqué que la recherche publique en matière de santé environnementale est à l’heure actuelle très peu développée. En la matière, il convient également de se mobiliser fortement.

Comme il n’est pas possible de tout demander en même temps, nous souhaitions mettre en avant ces priorités.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Laurence Cohen, rapporteur. Nos discussions ont été importantes.

Sur ces questions, il convient d’avoir des débats de fond, comme celui qui est organisé dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou au travers de propositions de loi telles que celle que nous avons présentée, qui touchent au cœur de notre système de protection sociale.

Quoi qu’il en soit, nous qui avons une sensibilité de gauche ressentons un grand désarroi, car nous ne parvenons pas à faire adopter les mesures de nature à porter un coup d’arrêt à la politique d’austérité menée par le Gouvernement. Cet état de fait nous conduit à nous interroger sur les valeurs que nous portons : qu’est-ce qui fait la différence ? Qu’est-ce qu’une politique vraiment de gauche, notamment en matière de santé publique ?

On ne peut pas, d’un côté, défendre des mesurettes – certes, elles sont dignes d’intérêt, mais elles ne vont pas au bout des choses –, soutenues par le Gouvernement, et, de l’autre, ne pas adopter ce genre de proposition...

Mme Nicole Bricq. Le tiers payant généralisé n’est pas une mesurette !

Mme Laurence Cohen, rapporteur. Ce n’est pas encore fait !

Au demeurant, je n’avais pas cela à l’esprit : je visais simplement l’ouverture des droits à certaines catégories de personnes.

On favorise toujours ceux qui ont le plus au détriment de ceux qui ont le moins, les plus fragiles. Je pousse peut-être ici un coup de colère, mais j’estime que, à un moment donné, chacun doit prendre ses responsabilités.

Mme Nicole Bricq. Nous les prenons !

Mme Laurence Cohen, rapporteur. Le Gouvernement les prend et les assume certes ! Mais je m’interroge sur la façon dont la politique de santé est aujourd'hui conduite, car elle nuit profondément aux soins prodigués à tous sur l’ensemble du territoire.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Au-delà de l’importance du débat que nous avons eu, je ne peux pas laisser qualifier le tiers payant généralisé de « mesurette ».

Mme Laurence Cohen, rapporteur. Ce n’est pas de cela qu’il a été question !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Il s’agit d’une mesure majeure pour l’accès aux soins de l’ensemble de nos concitoyens.

Mme Nicole Bricq. C’est vrai !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Toutes les autres mesures que j’ai énumérées dans mon propos liminaire visent aussi les plus fragiles d’entre nous. L’ensemble des dispositions que nous avons déjà prises concernent bel et bien l’accès aux soins des plus démunis ; je pense notamment à la CMU-C, la couverture maladie universelle complémentaire, et à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé. Ce sont non pas des mesurettes, mais des mesures extrêmement importantes !

Mme Laurence Cohen, rapporteur. Et la loi HPST ? La tarification à l’activité ? Les franchises ?

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. C’est vrai, le Gouvernement a pour principe de ne pas dépenser l’argent qu’il n’a pas.

Mme Laurence Cohen, rapporteur. Vous ne le prenez pas là où il est !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Il prend ses responsabilités, il fait des choix, qu’il assume parfaitement.

En effet, si nous voulons que l’ensemble de nos concitoyens aient les moyens de se faire soigner correctement et que notre système de protection sociale soit pérennisé, il faut relancer l’économie de notre pays. Pour ce faire, il faut remettre en route la machine économique, non pas pour que les grandes entreprises aient de l’argent, mais tout simplement pour que chacun dans notre pays puisse avoir un emploi. C’est aussi pour l’ensemble des populations les plus démunies que nous agissons ainsi.

Mme Laurence Cohen, rapporteur. C’est mal parti ! Ce n’est pas très efficace !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Lorsque ces conditions seront réunies, nous pourrons effectivement redistribuer de façon plus évidente et réfléchir alors à la suppression totale des franchises médicales. Tout cela se fait dans la responsabilité, et tel est le choix que nous faisons aujourd'hui, et nous l’assumons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Claire-Lise Campion. Bravo, madame la secrétaire d'État !

M. le président. Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 n'est pas adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, les quatre articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires n’est pas adoptée.

Article 4 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires
 

6

Nomination d'un membre d'une commission

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste et apparentés a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Evelyne Yonnet membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Claude Dilain, décédé.

7

Organisme extraparlementaire

M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à la désignation d’un sénateur comme membre suppléant du conseil d’administration de l’Agence française d’expertise technique internationale.

La commission des affaires étrangères a été invitée à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, conformément à l’article 9 du règlement.

8

Débat sur le thème : « dix ans après le vote de la loi du 11 février 2005, bilan et perspectives pour les personnes en situation de handicap »

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Dix ans après le vote de la loi du 11 février 2005, bilan et perspectives pour les personnes en situation de handicap », organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à Dominique Watrin, orateur du groupe auteur de la demande.

M. Dominique Watrin, au nom du groupe CRC. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’occasion des dix ans de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le groupe CRC a proposé l’organisation d’un débat, afin de dresser le bilan de ce texte.

Je me félicite de la tenue de ce débat, car il me semble que le sujet du handicap est trop souvent négligé.

Ce débat est important parce qu’il renvoie aux valeurs de notre République, à notre capacité à incarner ces valeurs par des actes, ce qui implique de garantir la liberté de circuler, d’être maître de sa vie. Cela implique aussi l’égalité réelle de tous les citoyens en matière d’accès aux soins, d’éducation, de formation, de travail, notamment, et ce malgré les déficiences physiques ou psychiques. Cela implique, enfin, d’être fraternel et solidaire, de créer un vivre ensemble dans lequel toutes et tous, malades, bien portants, personnes âgées, jeunes, personnes en situation de handicap, toutes et tous donc, disais-je, cohabitent en se préoccupant des besoins de l’autre, et en intégrant le fait que ce qui est bon pour l’autre peut aussi l’être pour soi-même.

Mes chers collègues, vous noterez que j’ai employé les termes « personnes en situation de handicap ». Cette expression n’a pas été choisie au hasard. En effet, elle englobe une réalité : au-delà de la déficience physique ou mentale, c’est l’environnement qui créée la situation de handicap. J’en veux pour preuve tout simplement une mère ou un père avec une poussette bloqués en bas d’un escalier à cause d’un ascenseur en panne. En l’espèce, c’est bien l’environnement qui crée la situation de blocage, de handicap.

L’une des carences de la loi de 2005 est justement de ne pas avoir adopté cette définition, pourtant retenue par la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées qui précise que le handicap n’est pas seulement dû à l’altération de différentes fonctions, mais qu’il résulte de l’interaction entre incapacités et barrières diverses.

Ces barrières sont celles que nous construisons quand nous ne prenons pas en compte le handicap dans nos réflexions, par exemple en termes d’aménagement du territoire. Ces barrières sont également celles sur lesquelles, nous, femmes et hommes politiques, pouvons et devons agir.

Or, pour l’instant et malgré des progrès non négligeables, des millions de nos concitoyens voient leurs droits bafoués. À cet égard, je citerai quelques chiffres, car, derrière les discours, il y a la réalité : 6 millions de personnes, c'est-à-dire la moitié de l’agglomération parisienne, sont concernées par une limitation physique, dont 594 000 sont en fauteuil roulant. Ce sont 594 000 personnes dont les déplacements sont chaque jour entravés par des trottoirs cabossés, des portes trop étroites, des transports inaccessibles. Au moins une fois dans leur vie, ces personnes sont restées en bas de l’escalier à cause d’un ascenseur en panne ou inexistant. Et je ne parle même pas de l’ascenseur social…

À ces concitoyens s’ajoutent 5,4 millions de personnes en situation de handicap auditif, dont la communication est altérée, parce que n’avons pas les réflexes adéquats, tel le recours à l’écrit, ou parce que les supports audiovisuels restent encore trop peu traduits dans la langue des signes. Sans oublier les 1,7 million de personnes en situation de handicap visuel. Une meilleure accessibilité, combinée à l’engagement de chacun d’entre nous, leur permettrait d’être autonomes dans leurs déplacements. Essayons d’imaginer, par exemple, l’immense difficulté à laquelle est confronté un malvoyant dans la gare de Lyon un jour de grand départ !

S’ajoutent encore 2,4 millions de personnes handicapées mentales, avec lesquelles, de nouveau, nous ne savons pas ou trop peu interagir.

Enfin, au-delà des handicaps liés à l’altération de certaines fonctions, la situation de handicap concerne aussi, comme je l’ai dit précédemment, les 2 millions de personnes qui chaque année se déplacent avec une poussette, les 805 000 femmes enceintes pour lesquelles la station debout peut être difficile, ou encore les personnes âgées – ne l’oublions pas, 9 % de la population ont plus de soixante-quinze ans. L’ensemble de ces personnes ne doivent pas être oubliées, ni mises au second plan en termes de politiques publiques.

La loi de 2005 constituait un réel espoir, après trente ans de néant. Comme l’indiquait Michelle Demessine lors de la discussion du projet de loi, le sentiment général était, pourtant, à la déception. Il était question de concrétiser le vivre ensemble, mais, au final, le texte adopté, même s’il comportait certaines avancées, prévoyait des moyens financiers et humains insuffisants.

Cela a conduit à la situation que nous connaissons aujourd’hui : l’accessibilité n’est que partielle sur notre territoire, les aides humaines et techniques font défaut, les places en institutions spécialisées sont en nombre insuffisant, ce qui oblige des milliers d’adultes handicapés à rejoindre la Belgique.

Pour faire le point de manière plus précise, j’aimerais établir le bilan de cette loi sur chacun des grands thèmes qu’elle abordait, en m’attardant sur certains sujets mis en lumière par l’actualité.

La loi du 11 février 2005 prévoyait de créer des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH. Dirigées par les conseils généraux, elles centralisent l’information à destination des personnes handicapées, ainsi que l’octroi de ressources. Elles sont ainsi responsables du versement de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, de la prestation de compensation du handicap, la PCH, créée par la loi de 2005, ou encore de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, l’AEEH. Les MDPH gèrent également le fonds de compensation, utilisé pour fournir des prestations extralégales, souvent pour financer des restes à charge.

Dès 2005, nous pointions du doigt un risque de conflit d’intérêts, le conseil général étant à la fois juge et partie : juge parce qu’il participe à l’évaluation des besoins de demandeurs de prestations, partie parce qu’il finance lesdites prestations. Nos craintes ont été confirmées, notamment par l’Association des paralysés de France, qui dénonce l’ingérence de certains conseils généraux.

Au-delà de cette question, les MDPH sont aujourd’hui saturées : le nombre des bénéficiaires potentiels des services de ces établissements a considérablement augmenté, du fait notamment des progrès médicaux ou de l’allongement de la durée de vie. Ainsi, en Moselle, 36 % des personnes ayant un droit ouvert auprès de la MDPH sont âgées de plus de 60 ans.

L’augmentation du nombre de dossiers à traiter pèse sur les délais, qui peuvent aller jusqu’à six mois, y compris dans les situations d’urgence, pour l’obtention d’aides humaines ou techniques, souvent vitales. Elle pèse également sur les conditions d’accueil dans les MDPH : celui-ci devient de plus en plus administratif et déshumanisé, alors que les MDPH se voulaient des lieux d’écoute et d’échange. En outre, les décisions concernant l’octroi de la PCH sont prises à la chaîne par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, souvent sans même rencontrer les intéressés. Madame la secrétaire d’État, j’aimerais savoir ce que vous comptez faire pour apporter aux MDPH des assurances quant à leur maintien et à l’amélioration de leur fonctionnement.

La loi de 2005 a donc créé la PCH, c’est-à-dire un droit à compensation, qui est lié non pas au revenu de la personne handicapée, mais à ses besoins et à son projet de vie. Son montant est calculé à partir d’une grille forfaitaire. Ainsi, une personne handicapée ayant droit à six heures d’aide humaine par jour au maximum se voit attribuer un montant de prestation correspondant au paiement de ces heures. Or, les prestataires peuvent pratiquer des tarifs différents de ce que prévoit le barème de la MDPH : la personne handicapée ne pourra alors bénéficier du nombre d’heures d’aide humaine dont elle a besoin, à moins qu’elle ne finance le solde sur ses ressources propres. Les associations constatent ainsi l’existence d’un reste à charge élevé, auquel s’ajoutent d’ailleurs l’achat de médicaments peu ou pas remboursés et le paiement de franchises et de participations forfaitaires.

Sur le plan des ressources, la loi de 2005 permettait notamment le cumul de l’AAH avec un revenu d’activité, tandis que les associations défendaient l’idée de la mise en place d’un revenu d’existence équivalent au SMIC. Nous en sommes loin aujourd’hui : sur les 8,6 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 987 euros par mois, 2 millions sont en situation de handicap ou d’invalidité. Le montant moyen de l’AAH, principale source de revenu pour les personnes en situation de handicap ne pouvant pas travailler, s’élevait à 693 euros en 2014.

La loi du 11 février 2005 traitait également de la scolarisation des enfants en situation de handicap et de l’accès à l’enseignement professionnel et supérieur. Elle privilégiait une scolarisation en milieu ordinaire, mais prévoyait aussi le développement de structures spécialisées.

En termes quantitatifs, le bilan est positif : le nombre d’élèves scolarisés en classes ordinaires a augmenté d’un tiers, et le nombre d’étudiants en situation de handicap a doublé.

Pour autant, beaucoup reste à faire en termes de qualité d’accueil et d’accompagnement des enfants en situation de handicap. Ainsi, la loi prévoyait la transformation des auxiliaires de vie scolaire, les AVS, en accompagnants d’élèves en situation de handicap, ou AESH. Il s’agissait d’en finir avec la précarité des contrats d’AVS et de garantir une meilleure qualification des accompagnants. Or, sur ce point, faute de moyens financiers, les contrats d’AVS peinent à se transformer en contrats d’AESH.

De plus, le Défenseur des droits et l’Association des paralysés de France pointent un défaut d’accompagnement dans les activités périscolaires et extrascolaires, accentué par la réforme des rythmes scolaires. Il oblige trop souvent les parents d’enfants en situation de handicap à renoncer à leur activité professionnelle.

La dernière réforme des rythmes scolaires a renforcé et sanctuarisé le temps périscolaire. Nous ne pouvons que nous féliciter de la prise de conscience par le Gouvernement du besoin d’émancipation culturelle et intellectuelle de nos enfants. Cependant, force est de constater qu’aujourd’hui l’accueil des enfants souffrant de handicap est fortement compromis, voire impossible, par manque de formation des animateurs et, surtout, manque de personnel spécialisé au sein des structures d’accueil. Pourtant, des recommandations – non suivies pour l’heure d’effet – ont été formulées par le Défenseur des droits afin de pallier ces manquements de l’État.

En outre, des dispositions du code de l’éducation, sanctuarisant par exemple le temps périscolaire et le droit à l’éducation pour tous, sonnent bien creux au regard de la réalité à laquelle sont confrontés de nombreux enfants souffrant de handicap, leurs familles, mais aussi les personnels enseignants, bien souvent insuffisamment formés. Je tenais à souligner cette difficulté nouvelle liée au temps périscolaire, apparue depuis la promulgation de la loi de 2005.

Par ailleurs, et j’insiste sur ce point, de trop nombreux bâtiments d’enseignement restent inaccessibles aux personnes en situation de handicap, notamment ceux des établissements d’enseignement supérieur.

Je souhaite également profiter de ce débat pour attirer l’attention sur un point précis, qui montre bien les efforts qu’il nous reste encore à faire.

Savez-vous, madame la secrétaire d’État, qu’un élève dispensé de cours de langues au titre d’un handicap de la parole sera tout de même soumis à l’examen dans la discipline concernée ?

L’article 1er du décret du 11 décembre 2014 stipule en effet de manière étonnante que « les dispenses d’enseignement ne créent pas le droit à bénéficier d’une dispense des épreuves d’examens et concours correspondantes ». Allez y comprendre quelque chose ! C’est là un exemple significatif du parcours du combattant que représente la scolarité pour un jeune en situation de handicap.

En termes d’emploi des personnes handicapées, le constat est similaire : la loi de 2005 renforce les sanctions pour les entreprises n’embauchant pas de personnes en situation de handicap, mais ne prévoit rien en matière de qualité de l’emploi, de formation, de non-discrimination, d’adaptation des postes, etc. C’est ainsi que, selon le Défenseur des droits, l’emploi est le premier domaine dans lequel s’exercent les discriminations liées au handicap. Quant au taux de chômage des personnes en situation de handicap, il est deux fois plus élevé que celui de l’ensemble de la population.

Il est urgent d’agir pour mettre fin à toutes ces discriminations et permettre aux milliers d’élèves en situation de handicap qui vont sortir de nos écoles et universités d’obtenir un emploi.

Ce sujet me préoccupe d’autant plus que le projet de loi dit « Macron » permettra aux entreprises de s’exonérer, au moins partiellement, de cette obligation d’emploi de personnes handicapées, en proposant des stages de « découverte d’un métier » non rémunérés ou en ayant recours à des travailleurs indépendants handicapés, non salariés.