M. Alain Bertrand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup a déjà été dit par les orateurs qui m’ont précédé, mais le sujet est grave, et plus le débat dure, plus on se sent mal à l’aise.

Même si ces concessions sont une bonne chose et si nous avons un bon réseau autoroutier, l’intervention de Mme Des Esgaulx trahissait une certaine mauvaise conscience de la part de l’UMP, qui a, au travers du gouvernement de l’époque, aliéné ce patrimoine national à de telles conditions.

Quand vous nous dites, chère collègue, trouver les propos de Ségolène Royal « stigmatisants », permettez-moi de vous répondre que je trouve, pour ma part, stigmatisante la cession des autoroutes par la majorité de l’époque, pour 14,8 milliards d’euros ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Non, c’étaient des contrats conditionnels ! Cela n’a rien à voir.

M. Éric Doligé. Ce n’est pas sérieux !

M. Alain Bertrand. Ce qui l’est encore plus, c’est le rendement de 20 % à 24 % par an, que confirmait encore hier M. Lasserre, le président de l’Autorité de la concurrence. Voilà qui est vraiment stigmatisant.

M. Lasserre expliquait hier, en s’appuyant sur l’exemple d’une maison que l’on aurait louée en déduisant simplement les charges d’eau et d’électricité sans déduire le remboursement de l’emprunt, que ce rendement annuel de plus de 20 % s’entendait après la déduction de l’investissement. (Mme Évelyne Didier approuve.) Nous étions plusieurs, au Sénat, à discuter hier avec lui.

Vous disiez aussi, chère collègue, que le Gouvernement avait été pris la main dans le sac. Pour connaître votre verve et votre talent oratoire, l’expression n’était pas très opportune !

M. Henri de Raincourt. Ce n’est pas galant !

Mme Évelyne Didier. Ce n’est pas une question de galanterie !

M. Alain Bertrand. Si, c’est galant, car j’ai bien dit que notre collègue s’exprimait avec talent !

De nombreux rapports ont été rédigés sur le sujet. Les Français s’en sont émus. Les alertes sont fortes. On parle de « profitabilité exceptionnelle ». La Cour des comptes et l’Autorité de la concurrence évoquent même de « véritables rentes autoroutières ». Il faut répondre au pays. En effet, ce n’est pas seulement entre nous que nous devons dialoguer ; nous devons surtout dire aux citoyens ce que nous entendons faire pour l’avenir.

Le chiffre d’affaires cumulé des sociétés concessionnaires a augmenté de 26 % entre 2006 et 2013, pour atteindre, malgré la crise financière, un total de 8 milliards d’euros. Les tarifs, quant à eux, ont augmenté de 21,7 % ! On nous dit, et c’est exact, que l’État n’a pas d’argent et qu’il faut faire attention à toutes les dépenses. Or, dans le même temps, les marges nettes des sociétés concessionnaires se situent entre 20 % et 24 %. Plus encore, et mieux encore, ces dernières ont distribué quelque 14,6 milliards d’euros de dividendes depuis 2006, donc plus que le montant de leurs bénéfices. Cela, je ne l’ai pas trop entendu dire !

Dès le début, elles ont eu recours à des emprunts volontaires afin de pouvoir servir davantage de dividendes. Cela signifie que ces sociétés ont une stratégie qui est industrielle, certes, mais aussi et surtout financière.

L’État doit réagir. Le Premier ministre, Manuel Valls, s’est saisi du problème. Au mois de décembre dernier, il a mis en place une commission, afin d’étudier les différents scénarios qui s’offrent à nous : la renationalisation, la renégociation anticipée des concessions ou le rachat des contrats de concession.

On parle souvent du « rachat des concessions », mais, dans la mesure où la société concessionnaire ne veut pas revendre, il s’agit plutôt d’une résiliation.

Or le fameux article 38 des traités de concession, qui fait parler tout le monde, prévoit la fin des concessions ou leur reprise. Et il précise : « En cas de rachat, le concessionnaire aura droit à une indemnité correspondant au préjudice qu’il subit du fait de la résiliation. Le montant net d’impôt dû au titre de sa perception après prise en compte de toutes les charges déductibles sera égal à la juste valeur de la concession reprise, estimée selon la méthode d’actualisation des flux de trésorerie disponibles. »

Nous sommes des hommes politiques ! Si nous décidons aujourd’hui de racheter ou de résilier la concession, pour aller vers un nouveau mode de gestion, cela coûtera, nous dit-on, de 40 milliards d'euros à 50 milliards d’euros.

Nous sommes aujourd’hui en 2015, et les concessions prennent fin entre 2029 et 2033. En 2006, il aurait fallu se livrer à un calcul similaire, et dire que, pour vingt-cinq ans de concessions, le prix ne pouvait pas être de 15 milliards d’euros, ni même de 50 milliards d’euros, valeur de la clause de rachat à l’heure actuelle. En effet, si l’on estime les bénéfices à 50 milliards d’euros pour quinze ans d’exploitation, pour vingt-cinq ans, le prix aurait dû être, mutatis mutandis, de 60, 70 ou 80 milliards d’euros, contre seulement 15 milliards d’euros à l’époque. Tout cela n’est guère acceptable !

Derrière ces enjeux financiers, il faut aussi considérer la desserte des territoires, l’emploi, les bâtiments et les travaux publics visant à construire de nouvelles infrastructures urbaines, rurales et périrurales. Car l’enjeu, in fine, est bien de répondre aux demandes des Français.

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est certain !

M. Alain Bertrand. La renationalisation impliquerait de revenir à une gestion par l’État, à laquelle je ne suis pas favorable, car ce n’est pas son métier.

Mme Marie-France Beaufils. Il l’a déjà fait ! Ce ne serait pas un mal que ces sociétés retombent dans l’escarcelle de l’État !

M. Alain Bertrand. Je privilégierais plutôt, soit le scénario de la résiliation des concessions – le « rachat » –, soit celui de la renégociation de celles-ci.

Dans tous les cas, je souhaite que le système soit revu en profondeur, y compris les tarifs, dans un sens plus raisonnable, et le plan de relance autoroutière, dont on nous dit qu’il est aujourd’hui captif d’appels d’offres remportés par les filiales des sociétés d’autoroutes, celle-ci détenant des entreprises de travaux publics. Alors que nous avons dépensé 500 millions d’euros en travaux, des appels d’offres plus ouverts auraient peut-être permis de réduire ce coût à 400 millions d’euros, ou alors de réaliser davantage de travaux.

Quoi qu'il en soit, nous ne devons pas accepter la prolongation des contrats, qui, de fait, aboutit à la dépossession du pays et de nos concitoyens.

Mme Évelyne Didier. Très bien !

M. Alain Bertrand. Je le répète, ma préférence va à la résiliation des contrats de concession, avec une révision du principe de rachat fixé à l’article 38 desdits contrats. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ?

M. Francis Delattre. M. Macron n’a pas une tête de résiliateur ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)

M. Alain Bertrand. Il me semble possible de trouver 40 milliards d’euros, de s’adosser à la Caisse des dépôts et consignations et de faire en sorte qu’il ne s’agisse pas directement d’une dette de la France. Pour cela, le ministère de l’économie devra se livrer à un exercice d’ingénierie financière.

M. Éric Doligé. Et si l’on demandait à la Grèce de nous prêter de l’argent ? (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)

M. Alain Bertrand. Quoi qu’il en soit, il ne faut rien exclure, y compris la renégociation.

Il nous faut inventer, innover et faire bouger les lignes. Les Français nous regardent, et je compte sur M. Macron, qui a toutes les qualités requises pour mener à bien cette mission ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste. – Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP et de l’UDI-UC.)

M. Henri de Raincourt. À coup de 49-3 ?

M. Éric Doligé. Vive M. Macron !

Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Madame la présidente, monsieur le ministre, la privatisation des sociétés d’autoroutes, menée ces dix dernières années par les majorités successives UMPS – nous employons ce terme, monsieur Doligé, car, quand vous êtes aux responsabilités, vous appliquez exactement les mêmes politiques ! (Exclamations.) – était une faute majeure.

Voilà dix ans que les usagers sont pris en otage par un système qui a démontré, comme nous l’avions annoncé, qu’il joue très largement à l’avantage des actionnaires des sociétés détentrices des contrats de concession.

Les bénéfices significatifs de ces sociétés concessionnaires, qui représentent 15 milliards d’euros, se sont volatilisés en dividendes versés aux actionnaires. Or ces bénéfices colossaux permettraient, de très loin, de financer les investissements nécessaires à l’entretien et au développement du réseau routier.

Depuis des années, un bras de fer faussé entre les sociétés concessionnaires d’autoroutes et l’État se fait au détriment des usagers, qui voient leurs péages augmenter pour financer l’entretien et la modernisation des autoroutes.

De son côté, l’Autorité de la concurrence a constaté et dénoncé à plusieurs reprises que la formule d’indexation des péages sur l’inflation, qui est déconnectée des charges supportées par les sociétés d’autoroutes, n’est pas pertinente. À ce propos, le gel des tarifs, intervenu au début de ce mois, était bien le moins que le Gouvernement pouvait faire.

Toutes ces dérives sont dénoncées depuis le début par le Front national, la privatisation du réseau autoroutier ayant été annoncée comme un échec cuisant. Encore une fois, nous avions raison, et les Français sont de plus en plus nombreux à le reconnaître.

Nous avons pieds et mains liés à cause de contrats qui nous contraignent, car, comme sur d’autres sujets, notre marge de manœuvre est restreinte, sauf à payer des compensations, puisque les contrats de concession courent jusqu’aux années 2030. Ce dossier rappelle étrangement celui de l’écotaxe, qui, grâce à vos talents de gestionnaires, coûte quasiment 1 milliard d’euros à l’État. Vous êtes les auteurs de cette mauvaise farce, qui ne fait évidemment plus rire personne : reconstruisons ce que nous avons détruit !

Ce que nous dénoncions commence à devenir une évidence pour tout le monde. Nous constatons enfin une réelle prise de conscience, mais que de temps et d’argent perdu !

M. Joël Labbé. On ne vous a pas attendus pour dénoncer ces dérives !

M. David Rachline. Toutefois, cette prise de conscience est arrivée et nous nous en réjouissons. Espérons seulement que, derrière les paroles, il y aura des actes : la réalité nous a si souvent déçus… Aussi, désormais, que faire ?

Il est temps qu’une transparence totale permette de contrôler le secteur autoroutier. Les contrats de plan doivent cesser ; nous avons trop vu de dérives jusqu’ici. Et ceux qui seront signés d’ici là doivent impérativement être mieux négociés.

Notre groupe de travail au Sénat a proposé de s’engager dans le rachat d’une concession, d’en dresser un bilan des avantages et des inconvénients. J’y suis favorable, pour ne pas tomber dans les mêmes erreurs qu’autrefois.

Néanmoins, nous préconisons, en ce qui nous concerne, une renationalisation rapide et urgente. (Murmures sur les travées de l'UMP.) Celle-ci serait progressive et autofinancée par le rendement des péages. Avec la privatisation, l’État s’est privé d’une manne financière immense, et il est temps de remettre les choses à l’endroit, afin de rendre aux usagers de la route la possibilité de parcourir la France sans se faire vider les poches.

Les autoroutes, qui ont été et sont toujours financées par l’argent du contribuable, doivent demeurer un bien public, et leurs bénéfices éventuels revenir intégralement à l’État.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux.

M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les problématiques liées aux transports, à tous types de transports et à la protection nécessaire de notre environnement se doivent d’être au cœur de nos réflexions d’élus sur des horizons majeurs à moyen et long termes.

Pour financer le développement du réseau autoroutier, le choix a été fait de déroger au principe de la gratuité des voies de circulation en mettant en place un système de concessions. À la suite de la loi du 18 avril 1955 portant statut des autoroutes, l’État a concédé la construction et l’exploitation de sections d’autoroutes à des sociétés dans lesquelles les intérêts publics étaient majoritaires.

À l’origine, les péages prélevés sur les usagers devaient couvrir à la fois l’amortissement des investissements, l’exploitation et l’entretien des autoroutes, ainsi que leur extension.

En 2006, le gouvernement alors en place a fait des choix significatifs et critiquables : l’ouverture du capital, puis la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes ont modifié la relation entre l’État et ces sociétés. Sept sociétés historiques se sont regroupées au sein de trois groupes : le groupe Vinci Autoroutes, le groupe APRR et le groupe Sanef. Ce réseau concédé représente les trois quarts du réseau autoroutier et 95 % du chiffre d’affaires du secteur.

En juillet 2013, la Cour des comptes a affiché au grand jour l’exploitation déséquilibrée de la majeure partie du réseau autoroutier français par les sociétés concessionnaires d’autoroutes citées ci-dessus.

Dans un rapport sur les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires, commandé par la commission des finances de l’Assemblée nationale, la Cour des comptes a mis en lumière quatre points majeurs qui interrogent sur les modalités de gestion du réseau autoroutier français : les rapports entre les deux « partenaires » que sont l’État et les sociétés concessionnaires sont déséquilibrés, au bénéfice de ces dernières ; les hausses des tarifs des péages pratiquées sont nettement supérieures à l’inflation ; le caractère des hausses tarifaires issues des contrats de plan est contestable ; le suivi des obligations contractuelles n’est pas respecté, qu’il s’agisse de préserver le patrimoine, de respecter les engagements pris dans les contrats de plan ou de transmettre les données demandées par le concédant.

Au sein de notre commission du développement durable, nous avons souhaité approfondir la réflexion sur ce sujet, après l’audition de M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence.

Notre commission a mis en place un groupe de travail sur les sociétés concessionnaires d’autoroutes le 22 octobre 2014. Ce groupe de travail était coprésidé par nos collègues Jean-Jacques Filleul et Louis-Jean de Nicolaÿ. Nous avons rencontré et auditionné les acteurs du secteur, avant de rendre nos conclusions en novembre 2014.

À l’issue des auditions, notre groupe de travail a salué la qualité du réseau autoroutier français. La gestion des contrats de concessions autoroutières par les sociétés qui en sont propriétaires pose, elle, véritablement question.

Nos travaux, ceux de nos collègues députés, les travaux de la Cour des comptes et de l’Autorité de la concurrence convergent tous : ces contrats de concessions sont déséquilibrés. Les tarifs autoroutiers présentent, pour lesdites sociétés de concession, une rentabilité le plus fréquemment estimée autour de 20 %, sur fond de prix des péages augmentant plus vite que l’inflation depuis la privatisation de 2006.

La formule d’indexation des prix des péages sur l’inflation est déconnectée des charges supportées par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, ce qui n’est pas pertinent. Cette formule crée une rente injustifiée par le niveau de risques supporté par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, compte tenu de leur monopole.

Une autre conclusion à laquelle nous sommes parvenus est qu’il reste problématique que l’État n’ait pas modifié le cadre juridique applicable aux concessions lorsqu’il les a privatisées. Les contrats de plan signés ont été systématiquement conclus à l’avantage des sociétés d’autoroutes.

Face à ce constat, je sais la volonté du Gouvernement de mettre un terme à ce dysfonctionnement. Il est effectivement nécessaire que le Gouvernement et le Parlement se réapproprient ce sujet, dont ils avaient été trop longtemps tenus à l’écart.

Au début de l’année 2015, le Premier ministre a proposé, dans la continuité de nos travaux, la mise en place d’un groupe de travail sur l’avenir des concessions autoroutières. Les premières réunions de travail ont commencé à la fin de janvier 2015. Ce groupe de travail associe quinze parlementaires, de la majorité et de l’opposition, ainsi que des représentants de l’administration.

Le Gouvernement est déterminé à remettre à plat les concessions autoroutières, afin de mettre en œuvre les recommandations formulées par la Cour des comptes et l’Autorité de la concurrence visant à un rééquilibrage des relations contractuelles entre l’État et les sociétés concessionnaires.

Ses objectifs sont clairs : proposer une meilleure régulation des péages, afin de préserver le pouvoir d’achat des automobilistes, un encadrement plus strict des profits des sociétés concessionnaires, ainsi que la participation accrue de ces dernières au financement des infrastructures de transport du pays.

Monsieur le ministre, vous avez donc un vrai souci de l’intérêt général, car c’est bien de cela qu’il s’agit aujourd’hui, et je m’en félicite. D’ailleurs, dans l’attente de l’aboutissement de ces travaux, le Gouvernement a décidé de surseoir à l’application de la hausse des péages.

Nous n’ignorons pas que ce dossier se révèle complexe, car il concerne des contrats de concession négociés jusqu’en 2028-2030.

M. Éric Doligé. Déchirons-les !

M. Jean-Yves Roux. Néanmoins, le Gouvernement ne dispose-t-il pas, avec le plan de relance autoroutier, d’une occasion de rouvrir la négociation ?

Afin de vous soutenir dans votre démarche, le groupe de travail de notre commission a dressé une liste de propositions, dont l’enjeu essentiel est de mettre fin à cette situation de rente qui pénalise lourdement l’usager. Il s’agit aussi de garantir davantage de transparence dans la gestion des concessions autoroutières, et cela même si le cadre juridique est contraint.

J’exposerai donc les grandes lignes des recommandations que nous avons formulées et les propositions qui, si elles n’ont pas déjà été reprises, pourront servir de base aux réformes de demain.

Il nous est tout d’abord apparu nécessaire de renforcer la transparence et la régulation du secteur, ainsi que de mettre fin à l’opacité qui le caractérise.

Nous avons proposé, tout comme l’Autorité de la concurrence d’ailleurs, d’élargir les compétences de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires au contrôle du secteur autoroutier, l’ARAFER. C’est chose faite aujourd’hui dans le projet de loi dit « Macron ».

Vous sortez d’un combat fort à l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, où vous avez défendu votre projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances. Or l’article 5 de ce texte porte sur le sujet qui nous préoccupe maintenant. En effet, il vise à doter l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières d’une compétence de contrôle des évolutions des tarifs des péages, ainsi que d’une compétence consultative sur les avenants au cahier des charges de concession ayant une incidence sur les tarifs de péages.

Nos collègues députés ont décidé de renforcer considérablement les pouvoirs de l’ARAFER. Celle-ci sera désormais associée aux commissions de marchés au sein de chaque concessionnaire d’autoroutes. Elle rendra un avis sur tout nouveau projet de délégation. Elle pourra accueillir des données au-delà des seuls marchés de travaux.

Enfin, elle pourra examiner, sur son initiative ou celle des ministres en charge des transports ou de l’économie, la mise en œuvre des dispositions contractuelles existantes, de manière à s’assurer de la correcte exécution des obligations contenues dans les contrats, notamment en ce qui concerne la réalisation ou le calendrier d’exécution des investissements prévus. Je souhaite que le Sénat valide cette avancée permise par l’Assemblée nationale.

Je ne puis que me féliciter, au nom du groupe socialiste du Sénat, de ces avancées rapides. Le projet de loi arrivant prochainement en discussion dans notre hémicycle, nous défendrons cet article.

Il nous paraissait en second lieu important de changer de modèle pour les contrats de plan, en consultant le Parlement avant toute décision. Nous avions estimé que les sociétés concessionnaires d’autoroutes devaient communiquer chaque année au Parlement, à l’administration et aux autorités de contrôle toutes les données nécessaires à une plus grande transparence. Il s’agit d’éviter de reproduire l’erreur faite en 2006, lorsque ces mêmes sociétés ont été privatisées dans la confidentialité la plus totale.

Sur ce point également, le projet de loi pour la croissance et l’activité comporte des avancées. Il prévoit de mettre en place de nouvelles obligations pour les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Les procédures de mise en concurrence des sous-concessions autoroutières par ces sociétés seront encadrées par la loi.

Les sous-concessions seront soumises à la publicité et à la mise en concurrence, afin de lutter contre l’opacité, trop forte actuellement : les contrats de plan prévoyant des travaux supplémentaires en contrepartie d’une hausse de tarif additionnelle sont systématiquement négociés en faveur des sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Une clause de bonne fortune sera également intégrée dans les futurs contrats de concession autoroutière. Si les revenus du concessionnaire excèdent trop les prévisions initiales, cet excès pourra soit profiter aux usagers ou à l’État, soit servir au financement de nouvelles infrastructures. La transparence des contrats de concession autoroutière sera ainsi renforcée.

Nous avions signalé qu’il était judicieux d’avancer sur le chemin d’une reprise en main par l’État des concessions autoroutières. Le projet de loi prévoit de renforcer le contrôle du Parlement, qui sera informé des projets de modification de convention ou de cahier des charges, notamment lorsque les modifications envisagées auraient une incidence sur les tarifs de péage ou la durée des concessions. Il est donc indéniable que nous avançons.

« L’État ne doit pas être naïf et doit saisir l’opportunité du plan de relance autoroutier pour renégocier à son avantage et à celui des usagers », a plaidé Bruno Lasserre, le président de l’Autorité de la concurrence. Lorsqu’une renégociation des contrats pourra être menée, le Gouvernement devra en profiter pour demander des contreparties.

Au vu de l’augmentation irraisonnée des tarifs au cours des dix dernières années, la révision de la composition des prix apparaît comme l’axe essentiel de travail à suivre. Alors que nous traversons une période difficile, même si nous percevons une amélioration, ces profits tarifaires sont inadmissibles. Je suis certain que de nombreuses propositions de substitution sont possibles ; nous en avons formulé quelques-unes. Toute avancée doit se faire dans le sens de l’intérêt général. Les structures de gestion de transports doivent aussi servir le principe d’égalité des territoires dans le transport.

La réflexion que nous avons menée sur la gestion des sociétés concessionnaires d’autoroutes doit s’inscrire dans un cadre ambitieux, et nous devons faire preuve de courage et de réalisme, afin de préparer les pratiques de transport de demain. Il s’agit en effet de concevoir dès aujourd’hui des schémas de mobilité modernes et plus respectueux de notre environnement.

Monsieur le ministre, les sénateurs socialistes de la commission du développement durable sont prêts à engager, main dans la main avec le Gouvernement, une réflexion approfondie sur chaque secteur de mobilité. Ils sont également prêts à prendre rapidement des mesures. Les solutions possibles sont de nature politique, technique et comportementale. Engageons-nous dans la modernité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier.

M. Albéric de Montgolfier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe UMP d’avoir organisé ce débat. En tant que rapporteur général de la commission des finances, je voudrais aborder la question des concessions autoroutières sous l’angle budgétaire et fiscal.

Les débats sur les tarifs, sur la rentabilité des autoroutes, voire sur une hypothétique remise en cause des concessions nous font parfois oublier l’essentiel.

L’essentiel, c’est d'abord – Marie-Hélène Des Esgaulx l’a souligné – un réseau de plus de 9 000 kilomètres concédés, qui est entretenu et exploité sans dépense budgétaire de l’État.

L’essentiel, c’est ensuite un investissement de plus de 18 milliards d'euros en dix ans, financé entièrement par des fonds privés. L’investissement a connu un fort pic en 2011, quelque 13 milliards d'euros ayant été investis dans quatre projets ambitieux : le projet Sud Europe Atlantique, ou SEA, le projet Banque publique d’investissement, ou BPI, l’A63 et le contournement de Nîmes et de Montpellier. Ces projets représentaient quelque 100 000 emplois dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Ce chiffre mérite que l’on y réfléchisse, alors que l’activité de ce secteur connaît une baisse particulièrement marquée.

Nous avons entendu, et nous entendons encore aujourd'hui un certain nombre de critiques relatives à la privatisation des autoroutes. À cet égard, il faut rappeler les chiffres. Entre 2002 et 2006, les sociétés concessionnaires ont versé 22,5 milliards d'euros de coûts d’acquisition, dont 10,9 milliards d'euros à l’État, et ont pris en charge 19 milliards d'euros de dette, ainsi que 5 milliards d'euros d’engagements d’investissement.

L’État s’est-il appauvri ? On peut difficilement parler d’appauvrissement, car il ne s’agit pas de cession ni de privatisation : l’État reste propriétaire du réseau concédé, qu’il a vocation à reprendre à l’expiration de la concession. Il faut surtout tenir compte des recettes que lui procurent chaque année les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

M. Charles Revet. C’est le plus important !

M. Albéric de Montgolfier. En 2013, ces sociétés ont versé 1,7 milliard d'euros de TVA et 2,2 milliards d'euros d’impôts et taxes divers, soit 3,9 milliards d'euros au total.

La rentabilité des sociétés concessionnaires d’autoroutes est-elle trop élevée ? Comme l’a rappelé Marie-Hélène Des Esgaulx, la privatisation n’a rien changé aux contrats de concession eux-mêmes. Elle n’a pas influé sur la fixation des tarifs, qui est encadrée par un décret de 1995.

La rentabilité doit être mesurée sur la durée de la concession. Un taux de rentabilité de 7 % ou 8 % – ces chiffres ont été cités tout à l'heure – est-il trop élevé ? Je voudrais citer assez longuement l’avis de l’Autorité de la concurrence, qui est par ailleurs très critique : « La construction d’une autoroute exige des investissements considérables, lesquels ne peuvent être et n’ont été financés que par l’emprunt.

« Par conséquent, pendant une première période, le concessionnaire est fortement déficitaire […] et ce n’est que pendant une deuxième période que les pertes, diminuant progressivement, se transforment en bénéfices à mesure que le réseau autoroutier s’amortit, que les dépenses de construction se réduisent et que les tarifs des péages augmentent, s’ajoutant à la progression naturelle du trafic. […]

« Par ailleurs, l’une des particularités de l’activité de concession d’autoroutes […] est que l’évolution du trafic autoroutier est corrélée à des variables sur lesquelles les sociétés concessionnaires d’autoroutes n’ont aucune influence : la croissance du PIB […], la démographie, le prix des carburants. Par conséquent, la hausse du trafic et celle du chiffre d’affaires qui en découle ne résultent pas ou peu de leurs décisions. […]

« Le modèle économique simplifié des concessions d’autoroutes peut donc être présenté de la manière suivante, faisant apparaître, à l’issue d’une période de perte de 25 ou 30 ans un retour à l’équilibre marquant le commencement d’une période de rentabilité croissante. »

Il s'agit donc d’un modèle extrêmement complexe, qui repose sur des financements longs – de l’ordre de 55 ans. Il ne faut pas en avoir une vision simplificatrice. Aujourd'hui, malgré un afflux considérable de liquidités dans le monde, certains éprouvent les plus grandes difficultés à financer leurs projets.

Quelles sont les perspectives en matière de concessions autoroutières dans un contexte marqué par le déficit budgétaire, avec une dette publique s’approchant des 100 % du PIB et un risque d’effondrement de l’investissement public, à cause, d'une part, du fiasco de l’écotaxe, et, d'autre part, de la baisse des dotations de l’État aux collectivités territoriales, qui ne sera pas sans conséquence sur l’investissement routier ?