compte rendu intégral

Présidence de Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Secrétaires :

M. Jean-Pierre Leleux,

Mme Colette Mélot.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Remplacement d’un sénateur décédé

Mme la présidente. Conformément aux articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l’intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat, que, en application de l’article L.O. 320 du code électoral, Mme Évelyne Yonnet est appelée à remplacer, en qualité de sénatrice de la Seine-Saint-Denis, M. Claude Dilain, décédé le mardi 3 mars 2015.

Son mandat a commencé aujourd’hui mercredi 4 mars 2015, à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite une cordiale bienvenue.

3

Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 3 mars dernier prennent effet.

4

Modification de l’ordre du jour

Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement, en accord avec la commission des affaires européennes, a demandé d’avancer au mardi 10 mars, à 21 heures, le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 19 et 20 mars prochain, initialement inscrit à l’ordre du jour du mercredi 11 mars, à 21 heures.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

En conséquence, l’ordre du jour de la semaine sénatoriale du 10 mars 2015 s’établit comme suit :

Mardi 10 mars

À 9 heures 30 :

- Questions orales.

De 14 heures 30 à 18 heures 30 :

Ordre du jour réservé au groupe UMP :

- Deuxième lecture de la proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire ;

- Proposition de loi visant à modifier l’article 11 de la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance.

À 21 heures :

- Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 19 et 20 mars 2015.

Mercredi 11 mars

De 14 heures 30 à 18 heures 30 :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste :

- Deuxième lecture de la proposition de loi visant à faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap titulaires de la carte de stationnement ;

- Proposition de loi sur la participation des élus locaux aux organes de direction des deux sociétés composant l’Agence France locale ;

- Suite de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant.

Jeudi 12 mars

De 9 heures à 13 heures :

Ordre du jour réservé au groupe CRC :

- Proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires ;

- Débat sur le thème : « Dix ans après le vote de la loi du 11 février 2005, bilan et perspectives pour les personnes en situation de handicap ».

De 15 heures à 15 heures 45 :

- Questions cribles thématiques sur les services à la personne.

De 16 heures à 20 heures :

Ordre du jour réservé au groupe UDI-UC :

- Suite de la proposition de loi tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales ;

- Débat sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire.

5

Débat sur les concessions autoroutières

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur les concessions autoroutières, organisé à la demande du groupe UMP et de la commission du développement durable.

La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, orateur du groupe auteur de la demande.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, au nom du groupe UMP. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, aux termes de l’article L. 122-4 du code de la voirie routière, « l’usage des autoroutes est en principe gratuit. » Telle est la règle générale. Celle-ci souffre toutefois d’exceptions, qui doivent permettre, notamment, de financer la construction, l’exploitation, l’entretien, l’aménagement ou l’extension du réseau autoroutier.

Or force est de constater que ces exceptions sont devenues la règle ! Si, du point de vue des usagers, nous pouvons le déplorer, nous devons néanmoins reconnaître que la France dispose sans doute de l’un des meilleurs réseaux autoroutiers du monde. Il suffit de voyager quelque peu en voiture dans l’Union européenne, sans même aller bien loin, pour constater que nous bénéficions d’un réseau qui est à la fois dense et parfaitement entretenu, ce qui est doublement remarquable.

Néanmoins, cette réussite a un coût : le prix de la qualité. Cette dernière est aujourd’hui entretenue par des sociétés privées sur la plus grande partie du réseau, soit 9 048 kilomètres d’autoroutes françaises sur les 11 882 kilomètres existants.

Cette situation est le résultat des privatisations de 2002, de 2004 et de 2006 : tout d’abord, celle des Autoroutes du Sud de la France, puis celle des Autoroutes du Nord et de l’Est et, enfin, celle des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône.

Parce que ces sociétés privées réalisent des bénéfices importants, un débat est né voilà un peu plus d’un an et demi. Je rappellerai le rapport publié par la Cour des comptes en juillet 2013 et la discussion au Sénat, en janvier et juin 2014, d’une proposition de loi du groupe CRC visant à nationaliser les sociétés concessionnaires d’autoroutes et à affecter les dividendes versés à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF.

Depuis lors, la question des relations entre l’État et les sociétés concessionnaires est devenue prégnante, tout comme celle des tarifs des péages, et le débat s’est intensifié, pour ne pas dire envenimé, ce que le groupe UMP regrette.

En effet, si un sujet appelle la discussion, c’est celui du financement des infrastructures de transport. Et il mérite non pas la polémique ou la démagogie, mais le sérieux et la lucidité. Force est de constater que la polémique est née à un moment particulier, que d’aucuns pourraient qualifier d’opportun, c’est-à-dire lors de l’abandon de l’écotaxe.

Certes, l’Autorité de la concurrence, saisie par la commission des finances de l’Assemblée nationale en décembre 2013, a rendu son avis, le 17 septembre dernier, sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires. Parallèlement, sur l’initiative de sa commission du développement durable, l’Assemblée nationale a créé une mission d’information en mai 2014 sur la place des autoroutes dans les infrastructures de transport.

C’est dans le cadre de ce débat national que la commission du développement durable du Sénat s’est, elle aussi, emparée du sujet, avec la création, en octobre dernier, d’un groupe de travail sur les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Toutefois, les propos tout à fait stigmatisants tenus à l’encontre des sociétés d’autoroutes, en décembre dernier, par Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, qui invitait ces dernières à résilier leurs contrats de concession et à geler les tarifs des péages en 2015, ont volontairement mis de l’huile sur le feu, alors que l’écotaxe venait d’être définitivement abandonnée.

M. Charles Revet. Tout à fait !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce contre-feu a été allumé très opportunément, n’en doutons pas, pour détourner l’attention du fiasco de l’écotaxe, car ce débat mêle en réalité des questions qui sont afférentes à l’aménagement du territoire et d’autres qui ont trait aux infrastructures de transport.

Mes chers collègues, c’est la question du retard que nous accumulons dans la réalisation de nos projets d’infrastructures qui devrait en fait être au cœur du débat.

Je le rappelle, le groupe UMP était favorable à l’écotaxe, car celle-ci devait contribuer de manière importante au budget de l’AFITF. En effet, les sociétés concessionnaires d’autoroutes contribuent très largement au financement des infrastructures au travers des taxes dont elles s’acquittent : je pense à la redevance domaniale et à la taxe d’aménagement du territoire, qui sert par exemple à financer les transports ferroviaires déficitaires, mais aussi à l’impôt sur les bénéfices et à la TVA, dont les produits, monsieur le ministre, alimentent directement les caisses de l’État.

Sans ces sociétés et sans les frais de péage acquittés par les usagers, dont toutes les grandes infrastructures ont profité – les TGV, les canaux, etc. –, le réseau autoroutier ne serait pas ce qu’il est. Les sociétés concessionnaires d’autoroutes ont donc abondé le budget de l’AFITF.

Il conviendrait par conséquent d’adopter un discours plus mesuré et plus équilibré. Certes, les conditions dans lesquelles les privatisations se sont opérées n’ont sans doute pas été parfaites et les contrats auraient pu être mieux négociés. Pour autant, l’idée de renationaliser les sociétés concessionnaires semble aujourd’hui irréaliste, tant le coût serait, dans le contexte que nous connaissons, trop important pour nos finances publiques : il se situerait entre 15 et 20 milliards d’euros. Et je n’évoque même pas les obstacles juridiques à surmonter.

En outre, la concession est une forme de partenariat public-privé qui répond très bien aux besoins de financement des infrastructures, notamment dans les pays confrontés à une crise des finances publiques, comme c’est le cas de la France.

Lors de l’inauguration, le 1er septembre dernier, dans mon département de la Gironde, du viaduc de la Dordogne, où passera la future ligne à grande vitesse « Sud Europe Atlantique », qui reliera Paris à Bordeaux en juillet 2017, M. le Premier ministre, Manuel Valls, aux côtés notamment du président du groupe Vinci, dont une filiale est l’une des plus importantes sociétés autoroutières, avait exprimé sa volonté de relancer les partenariats public-privé.

Cela dit, il est légitime est de se demander si le coût ne risque pas d’être trop élevé pour l’usager (Mme Évelyne Didier acquiesce.), la concession constituant une forme de partenariat public-privé dans laquelle l’utilisateur-payeur contribue au financement du développement des infrastructures.

En réalité, mes chers collègues, il s'agit d’un sujet très complexe, car le coût pour l’usager, matérialisé par le tarif aux péages, dépend largement de clauses contractuelles. Ce qui est certain, c’est que la privatisation n’a eu aucune conséquence sur ce point précis, contrairement à ce que j’entends ici ou là. Qui dit privatisation dit changement d’actionnaires, mais les clauses contractuelles, elles, demeurent inchangées ; en l’espèce, elles sont toujours en vigueur.

En effet, la hausse des tarifs des péages est prévue et anticipée dans les contrats passés avec l’État, dont les clauses et les règles, je le répète, sont restées les mêmes.

Sur le plan tarifaire, seule une renégociation des contrats est envisageable. Monsieur le ministre, c’est donc au Gouvernement de jouer son rôle et de conduire des négociations avec les sociétés concessionnaires, afin que, d’ores et déjà, nous trouvions, pour les années à venir, des solutions offrant de meilleures conditions pour l’État et pour les usagers.

La renégociation peut intervenir dans le cadre du prolongement des contrats de concession, notamment en contrepartie du plan de relance autoroutier qui doit être mis en œuvre ; j’y reviendrai. Néanmoins, que le plan de relance autoroutier, qui est un avenant au contrat liant l’État aux sociétés concessionnaires, ait été validé par Bruxelles en octobre dernier montre que la Commission européenne ne remet pas en cause les clauses contractuelles actuelles.

Il est d’ailleurs pour le moins curieux, et même paradoxal, de voir ce gouvernement demander à Bruxelles la validation du plan de relance et allumer à Paris le feu du débat, ou en tout cas laisser ses troupes le faire. Quelle contradiction !

Quoi qu’il en soit, avant de polémiquer sur les tarifs, les effets d’aubaine et les profits, il faut être précis.

Commençons par les tarifs. Le montant des péages n’est pas libre. Il est défini dans le cahier des charges de la société concessionnaire, défini par un décret de 1995, sur la base d’un « tarif kilométrique moyen [...] qui tient compte de la structure du réseau, des charges d’exploitation et des charges financières de la société ». Sont également fixées « les possibilités de modulation de ce tarif kilométrique moyen ». Toutefois, ce dernier peut varier en fonction des tronçons, selon des règles particulièrement complexes.

Les sociétés d’autoroutes ont des statuts divers et des durées de concession variables. Il existe même des mélanges des genres ! Ainsi, le tronçon de l’A28 entre Rouen et Alençon a été concédé à une société privée, alors que les collectivités locales ont également participé à son financement.

Par ailleurs, les sociétés d’autoroutes se sont parfois vu imposer par l’État, en cours de contrat, des investissements à réaliser, avec pour contrepartie l’augmentation explicite des tarifs des péages destinés à les financer. C’est le cas, dans mon département de la Gironde, du dernier tronçon de l’A89 permettant de relier Bordeaux à Lyon.

Comme l’explique clairement le rapport d’information de l’Assemblée nationale du 24 juillet 2013 sur les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, « le système repose sur le principe que tous les investissements doivent être compensés par des hausses de tarifs ; par conséquent, les bénéfices des sociétés n’ont pas vocation à être réinvestis ou à permettre une diminution des tarifs ».

Mme Évelyne Didier. C’est bien le problème !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est d’autant plus vrai avec les contrats de plan, le décret de 1995 n’encadrant pas les hausses tarifaires issues de ce type de contrats.

Aussi l’État se trouve-t-il placé dans un rapport de force déséquilibré et peu propice à la garantie d’une maîtrise des tarifs. Or une série de contrats de plan a été conclue à partir de 2009 avec six sociétés concessionnaires particulières, en vue d’engager quelque 1,2 milliard d’euros d’investissements, en contrepartie d’une compensation par des hausses tarifaires supérieures à l’inflation.

La hausse des tarifs est également suscitée par le coût des travaux réalisés par les sociétés concessionnaires : en matière de mise aux normes environnementales des réservoirs de décantation, avec la réception des eaux de pluie, les exemples sont nombreux !

D’une manière générale, les sociétés concessionnaires ont été amenées à gérer un grand nombre de travaux et des réseaux de plus en plus grands, où les péages étaient également plus ou moins rentables selon les tronçons. Vous savez bien, mes chers collègues, que, dans les zones montagneuses, les travaux de sécurisation des autoroutes coûtent extrêmement cher – parfois jusqu’à 5 millions d’euros du kilomètre par an.

Pour ne rien simplifier, les sociétés autoroutières ont pu, notamment jusqu’en 2011, appliquer le principe dit « du foisonnement » : elles pouvaient moduler à la hausse les tarifs des péages sur les tronçons les plus rentables pour financer les moins rentables.

En réalité, il existe autant de contrats de concession que de sociétés autoroutières, et chaque contrat définit sa propre politique de modulation tarifaire, selon des critères complexes et différents selon les cas. Comme l’a observé la Cour des comptes, il devient de plus en plus difficile de comprendre « le lien entre les coûts et les péages par autoroute ». C’est même presque devenu impossible.

Se répercutent par ailleurs en partie sur les tarifs les taxes imposées par l’État sur les sociétés concessionnaires. Ainsi, en 2011, l’augmentation de la taxe d’aménagement a entraîné une hausse de 0,5 % du montant des péages. Le Gouvernement a également augmenté la redevance domaniale, de 200 millions d'euros à 300 millions d’euros en 2013, concluant avec les concessionnaires un discret accord, qui prévoyait une hausse des péages de 1,5 % entre 2015 et 2018, dont une hausse de 0,5 % dès le mois de février 2015, pour compenser cette modification du montant de la redevance.

Or le Gouvernement, pris en quelque sorte « la main dans le sac » – disons-le –, a depuis lors remis en cause cet accord, en faisant suspendre cette hausse…

La hausse des tarifs doit en outre être appréhendée avec le recul nécessaire. De 2007 à 2014, elle a été de 1,81 % par an, pour un taux moyen d’inflation de 1,43 %. Toutefois, de 2000 à 2006, c'est-à-dire avant les privatisations totales, elle a été de 2,06 % par an, pour un taux d’inflation moyen de 1,63 %. (M. Éric Doligé s’exclame.)

Il ne s’agit pas ici de défendre bec et ongles les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Mme Évelyne Didier. Je l’aurais pourtant cru !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ma position est très claire : il faudrait sans doute tenter de renégocier certains contrats au profit de l’État et des usagers, mais il convient d’aborder ce débat avec sérieux et d’éviter toute caricature, car la réalité n’est pas simple ; les montages sont complexes et ils ont subi des évolutions dans le temps. C’est ce dernier point qui est très important.

J’en viens maintenant à la question des effets d’aubaine et des profits.

S'agissant des effets d’aubaine, les concessionnaires auraient bénéficié de 3,6 milliards d'euros du fait de la déductibilité des intérêts des emprunts. Je rappelle que le régime de la déductibilité totale des intérêts d’emprunt était le régime fiscal normal jusqu’en 2013 pour toutes les entreprises. C’est à cette date seulement que le Parlement a institué un plafonnement de cette déductibilité.

Les délégations de service public en ont été exemptées par le Gouvernement. Cette exonération est logique et vise avant tout le maintien des contrats en cours. Sans elle, il aurait fallu, pour l’équilibre des contrats, payer cette augmentation. Par conséquent, à mon sens, l’effet d’aubaine n’existe pas.

En ce qui concerne les profits, si l’Autorité de la concurrence a évoqué une rentabilité supérieure à 20 %, elle n’a pas inclus dans son calcul les emprunts contractés lors du rachat des autoroutes. Or les sociétés doivent les rembourser, ce qui fait chuter la rentabilité sur le long terme à environ 7 %.

M. Alain Bertrand. C’est faux !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Certes, on peut rapporter le résultat net du secteur à son chiffre d’affaires – c’est un critère –, mais, si l’on veut disposer d’une mesure complète de la performance financière, il faut aussi connaître l’importance de l’investissement nécessaire et en tenir compte.

Bien sûr, les sociétés génèrent des excédents importants pour payer les intérêts, mais elles doivent aussi générer un résultat net d’impôt pour rembourser le capital.

Mon temps de parole étant épuisé,

Mme la présidente. En effet, ma chère collègue ! (Sourires.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … je vais aller à l’essentiel.

Monsieur le ministre, notre groupe se félicite de certaines avancées contenues dans le projet de loi qui porte votre nom, notamment en son article 5, qui confie à l’ARAF, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, devenue l’ARAFER, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, des pouvoirs en matière de contrôle.

Il faut préserver la crédibilité de l’État, qui ne saurait remettre en cause tous les contrats qu’il signe, comme il est en train de le faire. Je ne crois pas à la dénonciation des contrats. Il y va du respect de la parole de l’État.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous avons déjà connu l’expérience désastreuse du contrat Ecomouv’, après l’abandon de l’écotaxe.

Du reste, le Président de la République lui-même a évolué en ce sens, si l’on en croit les propos qu’il a tenus le 7 février dernier, à l’occasion de l’inauguration d’une portion d’autoroute entre Brive et Tulle.

M. Henri de Raincourt. C’est la Corrèze ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il a souhaité qu’un « contrat de confiance » soit « signé entre les sociétés d’autoroutes et l’État ». Il a aussi clairement demandé un règlement global et définitif du contentieux entre l’État et les sociétés autoroutières. Je suggère donc qu’une négociation se fasse, en laissant retomber la pression politique, qui est mauvaise conseillère. Il faut essayer de trouver la voie d’un bon équilibre.

Mme la présidente. C’est une bonne conclusion, ma chère collègue !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est d’autant plus important que le plan de relance autoroutier, approuvé par Bruxelles, doit être mis en œuvre.

En conclusion, le groupe UMP souhaite qu’un équilibre soit absolument préservé entre les différents intérêts : ceux de l’État, ceux des usagers, dont le pouvoir d’achat doit être préservé, et, bien entendu, ceux de l’économie. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Évelyne Didier. Je ne vois pas comment faire !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission du développement durable a souhaité se saisir de la question des concessions autoroutières dès son installation, à l’issue des dernières élections sénatoriales. Elle a ainsi entendu le président de l’Autorité de la concurrence, M. Bruno Lasserre, le 22 octobre 2014. Ce fut d’ailleurs la première audition que j’ai eu l’honneur d’organiser en tant que président de cette commission.

Lors de cette audition, les membres de la commission, tous groupes confondus, ont été marqués – pour ne pas dire interloqués, ou même choqués – par la situation décrite par le président de cette instance,...

M. Charles Revet. C’est vrai !

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. ... qui avait été évoquée un an plus tôt par la Cour des comptes.

L’Autorité de la concurrence a souligné dans son avis et confirmé lors de cette audition une rentabilité nette de 20 % à 25 % pour les sociétés d’autoroutes en 2013 et, de manière générale, une relation plus que déséquilibrée entre l’État et les sociétés d’autoroutes.

L’exemple du télépéage est, à cet égard, tout à fait révélateur. La mise en place de ce dispositif a permis aux sociétés d’autoroutes de recourir à moins de personnels et de facturer des coûts supplémentaires aux usagers. Néanmoins, elles ont obtenu que les investissements nécessaires soient pris en charge par l’État, au nom d’un prétendu intérêt général.

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. Au moment où nous auditionnions Bruno Lasserre, nous apprenions que Bruxelles donnait son feu vert à la signature du plan de relance autoroutier négocié par le Gouvernement depuis 2012.

Or, je le rappelle, ce plan de relance doit permettre le financement de travaux non prévus par les contrats de concessions initiaux, mais avec une très lourde contrepartie : la prolongation de la durée des concessions jusqu’à six ans ! On sait que, plus une concession est allongée, plus elle est rentable.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Tout à fait !

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. La commission du développement durable a donc décidé à l’unanimité de s’emparer de ce sujet. Elle considère en effet que le Parlement ne doit plus être tenu à l’écart de ces questions essentielles, en raison de leurs enjeux financiers et de leurs répercussions sur les usagers.

Je ne reviendrai pas sur la façon dont les autoroutes ont été privatisées en 2006, sans aucune consultation du Parlement... Je rappellerai seulement que, depuis lors, cette décision a été dénoncée sur toutes les travées de cet hémicycle.

La commission a décidé de créer un groupe de travail que je qualifierai de « commando », parce qu’il était constitué d’un nombre réduit de sénateurs – sept membres – et qu’il ne disposait que de peu de temps, à peine plus d’un mois, pour travailler et formuler des propositions avant que le Gouvernement ne fasse connaître ses positions.

J’ai souhaité que ce groupe de travail soit coprésidé par un élu de la majorité sénatoriale, Louis-Jean de Nicolaÿ, et par un élu de l’opposition, Jean-Jacques Filleul, que je tiens tous deux à remercier, ainsi que les autres membres de ce groupe, de la tâche qu’ils ont accomplie.

Ce groupe de travail a procédé à plus d’une quinzaine d’auditions, afin d’entendre l’ensemble des parties prenantes : les représentants des sociétés d’autoroutes « historiques » et récentes, les représentants des instances de régulation, les associations de consommateurs, les économistes, les juristes. J’observe, monsieur le ministre, pour le regretter vivement, que seuls vos services n’ont pas jugé utile de répondre à nos sollicitations. Je vous le dis très franchement, ce n’est pas admissible. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

M. Jean-Paul Emorine. C’est inacceptable !

M. Éric Doligé. Quel dédain !

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. Sans vous dévoiler les conclusions de ce groupe de travail, que mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ vous présentera dans un instant, je voudrais me féliciter de la façon dont la commission a pu travailler sur ce sujet. Le 17 décembre dernier, elle a émis des recommandations qui s'inscrivaient dans la tradition sénatoriale, c'est-à-dire qui étaient pragmatiques et opérationnelles et qui ont fait l’objet d’un consensus assez large. Je crois d’ailleurs pouvoir dire qu’elles ont reçu un accueil plutôt positif du Gouvernement.

L’Assemblée nationale s’est elle aussi mobilisée, autour du président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, Jean-Paul Chanteguet, dont je tiens également à saluer les travaux et la détermination. Nous ne sommes pas arrivés aux mêmes conclusions, mais nous sommes totalement en phase sur le diagnostic établi à partir des rapports et avis de la Cour des comptes et de l’Autorité de la concurrence.

La situation actuelle n’est plus tolérable : elle est beaucoup trop favorable aux sociétés d’autoroutes. Nous sommes tous convaincus qu’il faut changer la donne et prendre un nouveau tournant, pour parvenir à un meilleur équilibre.