M. Éric Bocquet. C’est de la bonne gestion ! (Sourires.)

M. Pascal Allizard. Ainsi, Ryanair se borne à répéter ce qu’elle fait déjà pour la gestion des subventions perçues. En effet, les aides versées par des collectivités locales pour favoriser la desserte de tel petit aéroport par les aéronefs de Ryanair aboutissent dans les comptes d’une filiale dénommée Airport Marketing Services, basée à Jersey ! Avant même que des avions ne soient affrétés, l’argent obtenu à cette fin est donc en sécurité dans un paradis fiscal.

La filiale, bien évidemment, prétend qu’il s’agit non de subventions, mais du paiement d’une prestation commerciale tendant à promouvoir, via un site internet, les régions desservies par Ryanair. Il fallait oser ! Comme on pouvait s’y attendre, le coût de la promotion alléguée est tout simplement proportionnel au nombre des passagers transportés.

Face à la puissance financière des États du Golfe, face à l’imagination au pouvoir dans le monde du low cost, que fait et que fera l’Union européenne ? Cette interrogation m’amène à la dernière partie de mon propos, avec un droit qui n’a rien d’inacceptable, surtout dans la mouture de 2014, mais dont la mise en œuvre manque de détermination.

Dans le domaine qui nous occupe aujourd’hui, point de règlements ou de directives : tout découle du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui encadre les aides d’État, et des conséquences que la Commission européenne en tire. Au cours des dernières années, la Commission a fait sur ce thème deux communications, la première fois en 2005, la seconde en 2014. Par nature, ces lignes directrices ne sont soumises ni au vote du Parlement européen ni à l’approbation du Conseil. Seule éventuellement la Cour de justice de l’Union européenne pourrait se prononcer.

Rien de tel ne s’est produit jusqu’à présent. J’ajouterai que les lignes directrices adoptées en 2014, applicables depuis le 4 avril dernier, sont toutefois préférables à celles de 2005. Toutefois, l’important n’est pas là, car le véritable inconvénient du texte en vigueur de 2005 à 2014 tient précisément à ce qu’il était peu appliqué, voire pas appliqué du tout. Ainsi, la compagnie Ryanair n’a réellement pris son envol qu’après l’adoption des lignes directrices de 2005.

Comme je l’ai souligné, une série de décisions de la Commission européenne a été publiée le 1er octobre 2014. Relative aux aides consenties en 2001 à l’aéroport de Charleroi et à la compagnie Ryanair par la Région wallonne, l’affaire la plus ancienne, ayant trouvé son épilogue en 2014, avait fait l’objet d’une première enquête approfondie décidée en 2002. Celle-ci avait été prolongée en 2012, après que la première décision de la Commission eut été annulée en 2008.

Il est piquant de noter que, les lignes directrices ayant été modifiées en cours de procédure, les décisions prises il y a quatre mois se sont souvent fondées sur celles qui sont entrées en vigueur le 4 avril 2014.

Parmi les sujets compatibles avec le texte de 2005 et violant les orientations fixées en 2014, seules ont été déclarées récupérables les sommes versées à compter du 4 avril dernier… C’est un paradoxe qui ne manque pas de sel, puisque la durée excessive de la procédure a, en fait, permis d’appliquer dans des délais records le premier encadrement véritable des aides publiques aux aéroports et aux compagnies low cost !

Une vision optimiste des choses conduit à se réjouir du résultat, mais je suis circonspect, car la Commission européenne paraît singulièrement manquer de détermination dans l’affaire Norwegian Air Shuttle. Cette filiale de Norwegian Air International Limited veut ouvrir une nouvelle brèche pour que les opérateurs aériens low cost puissent s’engouffrer dans les liaisons long-courriers. De quoi s’agit-il ? Oh, d’un tout petit marché, d’un presque rien : il n’est question ici que des lignes aériennes entre le continent européen et les États-Unis ! (Sourires.)

La liaison convoitée par Norwegian Air Shuttle desservirait les États-Unis au départ de Londres-Gatwick. Je me félicite du veto que les États-Unis ont jusqu’ici opposé à ce projet. En revanche, j’ai beaucoup de mal à comprendre la position adoptée par la Commission européenne. Comment est-il concevable qu’elle soutienne le projet d’une société norvégienne venue s’établir pour la forme en Irlande, afin de desservir les États-Unis depuis l’Angleterre avec du personnel fictivement domicilié en Thaïlande et engagé sous contrat à Singapour ? (M. Jean Desessard applaudit.)

D’après la Commission européenne, les États-Unis auraient dû accepter presque immédiatement la demande formulée par Norwegian Air Shuttle. On se demande pourquoi ! En effet, l’accord « ciel ouvert » de 2007, modifié par un protocole en 2010, dispose en son article 17 bis que ce texte ne doit pas servir à contrer les normes sociales. C’est clair et c’est parfaitement justifié. Si le projet de Norwegian Air Shuttle n’est pas une façon de contrer les normes sociales, il faut nous expliquer quelle est sa raison d’être.

Monsieur le secrétaire d’État, où en est cette affaire ? Quelle position la France fait-elle valoir auprès de la Commission européenne et au sein du Conseil européen ?

Pour terminer, je voudrais rappeler que les compagnies aériennes contribuent plus ou moins directement aux revenus perçus par les habitants des territoires qu’elles desservent.

En ce domaine, il faut distinguer les revenus directs procurés par la vente de billets, les dépenses personnelles, les consommations en biens et la participation à la fiscalité, des revenus indirects, à savoir les dépenses effectuées par les passagers transportés, et des revenus induits, correspondant aux dépenses effectuées par les bénéficiaires des revenus directs ou indirects.

D’après l’Observatoire des dynamiques industrielles et territoriales, la somme de tous les revenus générés par un passager de Ryanair ne dépasse guère 350 euros, alors qu’Air France procure à l’économie française plus de 26 milliards d’euros par an, soit 1,4 % du PIB, c'est-à-dire plus de 1 700 euros par passager transporté.

J’ai déjà mentionné qu’un avion affrété par une compagnie européenne créait indirectement quatre fois plus d’emplois que le même appareil affrété par un opérateur de pays tiers. Avec les sociétés low cost, c’est encore pire : les retombées économiques directes et indirectes sont divisées par plus de cinq !

M. Michel Le Scouarnec. Intéressant !

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Pascal Allizard. Je terminerai sur une note optimiste. Un accord, très récent, puisqu’il remonte au 7 décembre dernier, a permis de véritablement passer à la vitesse supérieure pour le déploiement du système SESAR, Single European Sky Air Traffic Management Research, acronyme anglais d’une expression qui désigne la gestion du trafic aérien dans le ciel européen. Ce coup d’envoi d’une modernisation vitale pour l’Europe doit permettre à l’Union de maintenir sa place dans le trafic aérien mondial, qui devrait s’accroître de 50 % d’ici à 2035, pour atteindre quelque 14,5 millions de vols.

Par leur ampleur et par leurs enjeux, les défis à relever méritent une réflexion approfondie. Il est donc heureux que la commission des affaires européennes du Sénat ait décidé récemment de créer un groupe de travail sur ce thème. Puisse notre débat d’aujourd’hui éclairer le démarrage de ses travaux ! (Applaudissements.)

M. Éric Bocquet. Excellent discours !

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Dubois.

M. Vincent Dubois. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, selon plusieurs études réalisées par l’Organisation de l’aviation civile internationale, l’OACI, et comme cela s’explique aisément, le tarif est le principal critère qui détermine le choix du transporteur par les passagers. Toujours selon ces études, quelque 43 % seulement des passagers estimaient avoir été clairement et pleinement informés des tarifs réellement appliqués.

Pourtant, au cours de ces dernières années, des mesures importantes ont été adoptées en vue de l’instauration de la transparence des prix pour les compagnies aériennes exerçant leur activité dans l’Union européenne.

Concurrence effrénée, environnement juridique de plus en plus favorable aux passagers : le marché du ciel, bien qu’il soit en berne ces derniers temps, suscite toujours autant les convoitises et incite à des pratiques parfois peu commerciales. Mon collègue Pascal Allizard en a relevé un certain nombre à l’instant.

Dans un arrêt très remarqué rendu le 15 janvier dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé d’imposer aux compagnies aériennes, aux agences de voyages et à tout intermédiaire vendant des billets d’avion au départ de l’Union européenne d’indiquer clairement le prix du billet qui sera payé lors de la validation de la commande.

La Cour de justice de l’Union européenne précise ainsi que « dans le cadre d’un système de réservation électronique […] le prix définitif à payer doit être précisé non seulement pour le tarif aérien sélectionné par le client, mais également pour chaque service dont le tarif est affiché ». Ces indications constituent évidemment une protection et une information indispensables pour le passager, mais, en l’état, elles demeurent encore trop faibles et insuffisamment détaillées.

Pour l’Organisation de l’aviation civile internationale, les problèmes liés à la transparence des prix comprennent plusieurs points essentiels : des renseignements inexacts ou incomplets sur les tarifs ; un manque de clarté sur la disponibilité des tarifs réduits ; des surtaxes ; des augmentations subites des tarifs, par exemple pendant les vacances ; de la publicité parfois trompeuse pour les consommateurs, grâce à l’emploi de clauses « subtiles » dans l’annonce des tarifs.

Tout cela est très facilement vérifiable en comparant les sites web de plusieurs compagnies aériennes. Nous remarquons ainsi que, pour un même trajet, les compagnies aériennes ne fournissent pas toutes une description aussi détaillée des différentes composantes du prix total du billet et du tarif aérien.

Cette situation est l’une des conséquences directes du yield management, méthode qui consiste à ajuster les tarifs en fonction des places disponibles et de la facilité à les vendre, de sorte qu’ils sont modifiés en permanence au quotidien, à l’instar de ce qui se pratique également désormais pour les hôtels... Les termes utilisés pour décrire les composantes du prix varient et ne correspondent pas toujours aux mêmes éléments. Il est difficile en conséquence pour les passagers de s’y retrouver ! Aussi, les renseignements sur les prix des billets gagneraient à être beaucoup plus clairs, exhaustifs et précis.

Certes, on le sait, les tarifs des billets d’avion sont directement liés aux fluctuations du prix du baril de pétrole, lesquelles sont régulières et parfois imprévisibles. Entre le mois de juin 2014 et le mois de janvier 2015, le prix du baril de pétrole est ainsi passé de 100 dollars à 50 dollars. À cette occasion, le Syndicat national des agents de voyages, le SNAV, avait demandé la suppression sans délai de la surcharge carburant. En effet, comme vous le savez, mes chers collègues, cette taxe doit être normalement appliquée lors d’une hausse éventuelle du cours du pétrole.

Cependant, cette taxe structurelle ne reflète pas, ou plutôt ne reflète plus, l’évolution réelle du cours du pétrole ; elle prend en compte différents facteurs. Les transporteurs aériens l’ont d’ailleurs rebaptisée « surcharge transporteur ».

La non-répercussion de la baisse des cours du pétrole sur le tarif du billet d’avion peut ainsi s’expliquer par différents motifs : l’existence de contrats de couvertures carburant ; le poids des réservations anticipées ; l’amélioration des marges. Enfin, de nombreuses compagnies essaient de se refaire une santé financière, car le secteur a été très affecté par la crise économique.

Pour autant, en 2014, les prix du transport aérien en France sont restés relativement stables, avec une augmentation de 1,1 % entre décembre 2013 et décembre 2014 selon la Direction générale de l’aviation civile.

Néanmoins, on peut se réjouir que certaines compagnies aient spontanément déclaré vouloir supprimer leur surcharge carburant en 2015 si les cours du pétrole demeuraient aussi bas. C’est par exemple le cas, je tiens à le souligner, de la compagnie Air Tahiti Nui, en Polynésie française, laquelle a ainsi décidé de réduire sa surcharge de carburant de près de 8 % après la baisse du prix du baril du pétrole.

Cette décision est d’autant plus louable que cette compagnie n’avait pas augmenté ses tarifs depuis plus de deux ans et demi, dans un contexte international, économique et structurel pourtant très contraignant, avec, par exemple, un gallon de pétrole trois fois plus cher sur Tahiti que sur Auckland, l’existence de redevances transocéaniques par l’État, ou encore des niveaux de salaires élevés par rapport aux compagnies du Golf ou de l’Asie, comme Pascal Allizard l’a rappelé.

En tant que sénateur ultramarin, je ne puis évidemment manquer d’évoquer la situation particulière de la tarification dans les départements et les territoires d’outre-mer.

Le constat est inquiétant, et il est connu, concernant notamment les hausses saisonnières. En effet, la Direction générale de l’aviation civile constate que l’augmentation la plus marquée concerne précisément les voyages aériens de la métropole vers l’outre-mer, avec près de 19 % de hausse entre novembre et décembre 2014. Cette situation n’est pas acceptable, car elle pénalise fortement les citoyens français originaires d’outre-mer.

En effet, de nombreux Ultramarins installés en métropole souhaitent retrouver leur famille et leurs racines pendant les fêtes ou les périodes de vacances scolaires, moments où le prix des billets est bien souvent hors de portée. L’outre-mer souffre ainsi beaucoup de la saisonnalité.

Pour la Polynésie française, en particulier, il s’agit d’une vraie difficulté. Les compagnies desservant Tahiti manquent cruellement de sièges et d’équipages trois mois dans l’année. Le reste du temps, elles sont en surcapacité, une situation qui se répercute directement sur le prix des billets d’avion.

Je souligne cependant les mesures prises par certaines compagnies, comme Air France, Corsair International ou Air Caraïbes pour l’outre-mer, en proposant des sièges à bas coût, des réductions en périodes creuses pour les familles les plus défavorisées, ou encore des facilités de paiement. On ne peut qu’encourager toutes les compagnies à adopter, autant que faire se peut, des mesures similaires.

Je tiens également à souligner une autre initiative prise par le conseil régional d’Île-de-France en 2013 en faveur des Franciliens touchés par le deuil d’un proche en outre-mer.

C’est ainsi une enveloppe annuelle de 50 000 euros qui sera allouée pour financer l’achat de billets d’avion pour les Ultramarins les plus démunis et touchés par un deuil en outre-mer. Le montant de cette aide financière sera de 250 euros par personne pour un vol à destination des Antilles, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, de 300 euros pour la Guyane et de 350 euros pour la Réunion et les autres destinations.

J’exprimerai toutefois le regret que l’aide ne soit pas plus importante pour les territoires du Pacifique, notamment pour la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie ou bien encore Saint-Pierre-et-Miquelon, bien plus éloignés de la métropole. En effet, le coût d’un billet d’avion est nettement plus élevé pour un vol Paris-Papeete que pour un vol entre Paris et la Réunion, avec près de 700 euros de différence.

À cet égard, je partage évidemment le souhait de M. Patrick Karam, président du Conseil représentatif des Français d’outre-mer, le CREFOM, de voir cette aide se pérenniser, et surtout devenir effective pour l’ensemble des Ultramarins de l’hexagone et non pas uniquement pour les Franciliens.

Cette parenthèse sur l’outre-mer refermée, j’en viens à la conclusion de mon intervention sur la transparence dans le transport aérien.

On notera que l’ensemble des études menées aussi bien par la DGAC que par l’OACI montre clairement que le niveau de transparence en matière de tarification demeure encore insuffisant pour satisfaire aux intérêts des passagers.

Aussi, il conviendra de poursuivre nos efforts, afin d’enrichir et de consolider nos actions tout en conciliant le principe de libre concurrence et de liberté des prix avec l’exigence d’une parfaite information des passagers et des consommateurs du secteur aérien, notamment sur la tarification des billets d’avion. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart.

M. Michel Vaspart. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les grandes compagnies aériennes européennes sont aujourd’hui confrontées à de multiples défis.

L’environnement institutionnel est en pleine mutation, par l’effet de la mondialisation des échanges et de l’essor des puissances émergentes. La concurrence se développe, tant sur le court et le moyen-courrier, à l’échelle des continents, que sur le long-courrier à travers le monde. Les besoins de financement sont considérables dans une activité fortement capitalistique, où tout retard dans la modernisation de la flotte se traduit par une perte de compétitivité.

La redistribution des cartes entre compagnies aériennes a débuté aux États-Unis avec la déréglementation et s’est étendue à l’Europe. Aujourd’hui, de nouveaux acteurs émergent, venant de zones géographiques en pleine croissance. Parmi les géants actuels, certains sont de création récente et ont connu une progression fulgurante.

L’époque où l’avion était le moyen de transport d’une élite, pionnière et aisée, est révolue. Le transport aérien s’est démocratisé, et nous ne pouvons que nous en féliciter. Cependant, les termes de la concurrence ont également changé : le moyen-courrier est devenu low cost et le long-courrier est un marché que les compagnies aériennes du Golfe veulent conquérir et conquièrent par des offres commerciales agressives.

Plusieurs de nos voisins ont vu leur compagnie porte-drapeau perdre son autonomie, voire disparaître. Trois pays, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont réussi jusqu’à présent à conserver leur compagnie historique. Chacune des compagnies de ces pays s’est renforcée et a construit une alliance avec des partenaires du monde entier. Cependant, leurs difficultés, notamment financières, sont réelles.

Monsieur le secrétaire d’État, le choix de nos politiques publiques aura un impact incontestable sur leur avenir. Nous devons donc nous assurer que les conditions de cette concurrence soient équitables, tant à l’intérieur de l’espace européen qu’entre compagnies européennes ou extraeuropéennes. Tel n’est, malheureusement, pas le cas.

La déréglementation et l’ouverture à la concurrence ont donc conduit certaines compagnies porte-drapeaux à faire faillite ou à se regrouper. Ce mouvement de concentration se poursuit aujourd’hui, sous l’effet de la conjoncture économique défavorable. De plus, la pression concurrentielle est exercée par des compagnies à bas coût, mais également par des compagnies non européennes, qui peuvent tirer parti de subventions déguisées ou de pratiques déloyales.

L’exemple des compagnies du Golfe illustre parfaitement ce point. Ces compagnies sont mues par une stratégie d’État qui les fait bénéficier d’infrastructures facturées à un coût marginal et d’un environnement fiscal, social et réglementaire totalement différent de celui qui prévaut en Europe. De plus, certaines d’entre elles bénéficient d’aides directes considérables.

Les compagnies Delta Airlines, United Airlines et American Airlines indiquent ainsi avoir identifié près de 40 milliards de dollars d’aides directes de la part des Émirats arabes unis et du Qatar à leurs transporteurs.

Nous pouvons estimer que les compagnies aériennes européennes auront perdu près de 30 millions de passagers, soit l’équivalent de l’activité correspondant à l’utilisation de trente Airbus A380, qui auraient pu être basés en Europe.

Ces développements, monsieur le secrétaire d'État, conduiront à la destruction de 30 000 emplois en France et de plus d’un milliard d’euros de charges sociales non perçues si nous ne faisons rien.

J’évoquerai ici le cas de Ryanair. Cette compagnie low cost est aujourd’hui un acteur majeur du ciel européen. Alors que le secteur aérien connaît une crise sans précédent, ses résultats contrastent avec ceux des grandes compagnies européennes en perte de vitesse.

En réalité, lorsqu’on s’intéresse de plus près à ses chiffres, on constate que Ryanair est bien plus qu’une simple compagnie : en effet, la vente de billets ne représente qu’une part assez réduite de ses recettes. L’essentiel de son business repose aujourd’hui sur des financements publics, le non-respect de la législation sociale applicable en Europe et une large optimisation fiscale qui lui confèrent un avantage concurrentiel déloyal indéniable.

Je ne veux pas revenir sur le détail des méthodes de Ryanair, qu’a exposé mon excellent collègue Pascal Allizard, mais j’ai envie de vous demander, monsieur le secrétaire d'État : que fait l’Europe ? Est-ce une concurrence loyale et acceptable ? La réponse est évidemment non ! Il nous paraît urgent de dénoncer ces pratiques pour que l’ensemble des acteurs de l’aérien soit sur un même pied d’égalité.

Enfin, je souhaite aborder la question des taxes et redevances aéronautiques.

Les compagnies aériennes versent des taxes et des redevances aéronautiques destinées au financement du contrôle aérien, des infrastructures, de la sécurité et des services aéroportuaires. Ces services ont la particularité de faire l’objet d’une régulation : leur coût, ainsi que le choix du fournisseur sont imposés à la compagnie.

Or, dans les aéroports parisiens – Orly et Roissy –, les redevances ont augmenté deux fois plus vite qu’à Amsterdam entre 2005 et 2013. Pour Air France, cette situation est handicapante, car elle dégrade la position concurrentielle de son hub. Au total, le groupe Air France-KLM a versé, en 2013, quelque 4,2 milliards d’euros de taxes et redevances pour un chiffre d’affaires de 25,5 milliards d’euros.

C’est en Europe que le coût d’accès à l’infrastructure est le plus élevé. Ces dix dernières années, l’augmentation a été supérieure à l’inflation, ce qui a fragilisé l’équilibre économique et la croissance de nos compagnies européennes. Dans certains pays du Moyen-Orient, les infrastructures sont alors financées par l’État, et les redevances sont deux à trois fois plus faibles.

Aujourd’hui, le transport aérien a la rentabilité la plus faible dans la chaîne de valeur, bien en deçà des constructeurs et des aéroports. Pourquoi ? Nous ne pouvons pas pénaliser plus longtemps les transporteurs, alors même que ce sont eux qui permettent aux infrastructures d’exister. Il en est de même pour les constructeurs aéronautiques et leurs sous-traitants.

Les redevances aéroportuaires font généralement l’objet d’un contrat de régulation économique signé entre l’exploitant et l’État.

Selon ce dispositif, les charges ont augmenté à Paris de 30 % en huit ans. Au même moment, les résultats d’ADP, Aéroports de Paris, sont en constante augmentation depuis 2011, car les redevances sont régulées non plus selon le principe de la caisse unique, mais selon le principe de la caisse aménagée. Pourtant, il y aurait à dire sur la qualité de la prestation d’ADP, notamment à Roissy ! Mais nous sommes dans une situation de monopole et de répartition des marges totalement injustes.

En d’autres termes, les activités très rentables de commerce et de restauration – dégageant une marge de plus de 50 % – ne participent plus à la détermination du niveau des redevances. Ce modèle conduit mécaniquement à des augmentations de l’ordre de 3 % par an.

Une réintroduction des activités non aéroportuaires dans le périmètre régulé ou simplement une contribution des activités commerciales au financement des infrastructures permettrait de ne plus faire peser la totalité des charges sur les compagnies.

Certaines taxes sont supérieures aux coûts réels du service, comme la taxe de l’aviation civile, dont 19 % sont réinjectés au budget de l’État, soit près de 80 millions d'euros par an.

D’autres taxes, du fait de leur spécificité française ou européenne, sont assimilables à un impôt qui fragilise les compagnies face à la concurrence mondiale. C’est le cas de la taxe sur les nuisances sonores et de la taxe de solidarité, qui rapporte 165 millions d’euros par an. Le tiers des recettes provient de la seule compagnie Air France-KLM ! (M. Jean Desessard s’exclame.)

L’écart qui existe donc entre les contributions de cette compagnie et de ses concurrents mérite réflexion. Nous les mettons en situation de concurrence déloyale. On peut tout de même s’interroger sur ce type de démarche, qui pèse sur la France et sur sa principale compagnie aérienne.

Enfin, je ne peux intervenir sur le sujet sans rappeler les grèves scandaleuses des pilotes d’Air France. (M. Éric Bocquet s’exclame.) Notre grande compagnie nationale a un impérieux besoin d’une filiale low cost, capable de rivaliser avec d’autres compagnies de même nature ; je pense notamment à Easyjet, qui continue à se développer. Transavia Europe a été suspendue ; j’espère qu’elle n’est pas abandonnée. En effet, un groupe comme Air France-KLM a besoin d’une compagnie low cost pour se maintenir et se développer dans un secteur particulièrement concurrentiel à l’échelle mondiale.

Notre groupe national doit être encouragé et non découragé, monsieur le secrétaire d'État. Nous devons être attentifs aux mesures à prendre pour que notre compagnie continue de se développer. C’est un enjeu national et européen. C’est notre industrie de transport aérien européen qui est en jeu. Si l’Europe continue de pratiquer une politique orientée vers les intérêts de court terme des usagers du transport aérien, sans vérifier systématiquement la légalité des pratiques de certains acteurs, on peut craindre que cette politique n’entraîne de sérieuses déconvenues à très moyen terme.

La progression du transport aérien est de l’ordre de 3 % par an. Les citoyens du monde aspirent à voyager, à se déplacer, et pas seulement sur internet.

Monsieur le secrétaire d'État, devant cette concurrence totalement déloyale, nous devons, au niveau tant de la France que de l’Europe, réagir immédiatement, pour que les quelques compagnies nationales européennes survivent et se développent. Il y va de l’intérêt national et de la sauvegarde de l’emploi dans cet important secteur de service. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Aubey.

M. François Aubey. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’image que nous avons du transport aérien ne reflète pas sa contribution réelle à l’économie française. Celui-ci représente plus de 2 % du produit intérieur brut français et emploie 78 000 personnes – 150 000 même si l’on inclut dans le périmètre les fournisseurs de premier rang.

Dans le « ciel mondial », la France possède d’importants atouts grâce à son « triple A » : un grand constructeur d’avions, une grande compagnie nationale et le plus grand groupe aéroportuaire du monde. Pourtant, si le trafic aérien de passagers touchant la France a connu une croissance soutenue ces dix dernières années, de quelque 41 %, force est de constater que celle-ci profite avant tout aux transporteurs étrangers.

Mes chers collègues, en décembre dernier, en tant que rapporteur pour avis de la commission du développement durable sur les crédits relatifs aux transports aériens, j’avais déjà eu l’occasion de vous faire part de certains des dangers qui pèsent sur le transport aérien européen, en particulier français, ainsi que de mes interrogations sur les conditions dans lesquelles s’exerce la concurrence dans ce secteur.

S’agissant de cette concurrence, on peut dire qu’elle s’est fortement développée, au fil des années, tant sur le court et le moyen-courrier, à l’échelle des continents, que sur le long-courrier, à travers le monde. « Par le bas », avec les compagnies low cost, puis « par le haut », avec les compagnies du Golfe. Dans ce contexte, on voit bien qu’il est primordial d’assurer des conditions de concurrence équitables entre les acteurs, tant à l’intérieur de l’espace européen qu’entre compagnies européennes et non européennes.

Alors que la Commission européenne devrait veiller au respect des règles, on peut déplorer que le champ de son contrôle ne couvre qu’une partie seulement des conditions de la concurrence et que, même à l’intérieur de ce champ, son contrôle n’apparaisse pas suffisamment exigeant pour lutter contre la concurrence déloyale et le dumping social.

Ainsi, en février dernier, la Commission européenne adoptait de nouvelles lignes directrices sur les aides publiques en faveur des aéroports et des compagnies aériennes. En se montrant globalement ouverte aux aides publiques en faveur des aéroports régionaux, y compris les plus petits, elle avait pour ambition de garantir les connexions entre les régions et la mobilité des citoyens européens, tout en réduisant le plus possible les distorsions de concurrence.

Pourtant, elle n’a pas mesuré combien des compagnies abusent de leur position dominante sur certains aéroports régionaux en vue d’obtenir moult facilités qui améliorent artificiellement leur position concurrentielle. Elle n’a pas pris la mesure non plus de la situation de dépendance dans laquelle se trouvent les aéroports confrontés à une augmentation progressive du niveau des aides demandées par les compagnies, avec chantage à la suspension du service, sans parler d’autres pratiques abusives, comme la mise en concurrence des territoires.

De même, la Commission européenne n’a pas souhaité prévoir de contrepartie à l’octroi de ces aides publiques, pas même en matière de respect des règles sociales, alors que cette question sociale est centrale lorsque l’on parle de transparence et d’équité dans le secteur du transport aérien.

En 2013, une étude de la DGAC révélait que le coût horaire d’un personnel navigant français, après correction des écarts de niveaux de vie, est plus élevé de 20 % à 60 % en France que dans les autres pays européens. Cette distorsion de concurrence a entraîné une décroissance de 1 % à 2 % par an depuis dix ans de la part de marché du transport aérien français, y compris sur les liaisons entièrement domestiques.

L’impact d’une telle situation sur l’emploi en France est immédiat : une compagnie qui n’est pas basée sur notre territoire engendre deux fois moins d’emplois qu’une compagnie installée en France. On le voit, lorsque les conditions de la concurrence ne sont pas équitables, les conséquences économiques et sociales peuvent se révéler très lourdes.

L’équité suppose que les compagnies n’évoluent pas dans des contextes fiscaux et sociaux si éloignés que la concurrence s’en retrouve faussée. Pourtant, avec la libéralisation progressive du secteur, et plus particulièrement l’émergence des compagnies low cost, c’est un dumping social à grande échelle qui s’est organisé.

En effet, afin de contourner la réglementation européenne et les incidences salariales de la notion de base d’affectation, certaines compagnies, principalement low cost, ont généralisé le recrutement de faux travailleurs indépendants pour composer leurs équipages. De la même manière, certaines utilisent le mécanisme des faux détachements et des fausses bases d’affectation pour frauder la sécurité sociale.

Face à de tels agissements, il apparaît indispensable d’interdire toute aide publique aux compagnies ne respectant pas la réglementation européenne, sauf à tolérer que de telles subventions puissent financer la concurrence déloyale et le dumping social.

Mes chers collèges, on apprenait la semaine dernière que Dubaï s’était imposé comme le premier aéroport au monde devant Londres, avec plus de 70 millions de passagers internationaux en transit en 2014, ce qui m’amène à évoquer les compagnies du Golfe.

Grâce à leur situation géographique idéale, au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie, ces compagnies ont réussi à « siphonner » une grande part de trafic des autres compagnies. Là encore, nous sommes face à un cas de concurrence déloyale, tant les compagnies du Golfe sont mues par une stratégie d’État, grâce à laquelle elles bénéficient d’infrastructures facturées à un coût marginal, d’un environnement fiscal, social et réglementaire totalement différent de celui qui prévaut en Europe, ainsi que d’aides directes considérables.

En effet, les compagnies du Golfe ne semblent soumises à aucune obligation de rentabilité, leur seul objectif étant le rayonnement de l’image de leur pays. Elles sont très largement subventionnées par leurs États : infrastructures pharaoniques gratuites, taxes et redevances réduites à un niveau purement symbolique, financement des achats d’avions à des conditions exceptionnelles...

À proximité des champs pétrolifères, elles bénéficient, en outre, de carburant dans de très bonnes conditions tarifaires. S’y ajoutent l’absence de charges sociales et les conditions très éloignées de nos standards sociaux dans lesquelles travaillent certains de leurs employés. Pour toutes ces raisons, il est tout à fait essentiel que les autorités françaises n’accordent pas de droits de trafic supplémentaires aux transporteurs subventionnés du Golfe.

La transparence, mes chers collègues, c’est aussi la bonne information des consommateurs-passagers et l’assurance que ces derniers voyagent en toute sécurité.

Sur la question de la sécurité des passagers, on sait, par exemple, que toutes les compagnies font attention au carburant qu’elles emportent : plus l’avion est lourd, plus il consomme. Cela dit, le cost killing de certaines compagnies low cost peut les conduire à s’aventurer aux confins du territoire sacré de la sécurité. Nous nous souvenons tous de ces avions de compagnies low cost contraints d’atterrir d’urgence, faute de carburant. Là aussi, une plus grande transparence et une meilleure information sur le sujet permettraient de dissiper les craintes légitimes qui s’expriment depuis plusieurs années.

S’agissant de la nécessaire bonne information des consommateurs-passagers, je souhaiterais évoquer la question de l’opacité dans l’affichage tarifaire des comparateurs de prix.

Ces comparateurs créent non seulement une distorsion de concurrence à l’encontre des compagnies aériennes et des distributeurs qui respectent la réglementation, mais aussi, et surtout, un préjudice pour les consommateurs, ces derniers n’étant pas réellement en mesure de comparer les prix des billets d’avion en ligne et d’obtenir, le cas échéant, le meilleur prix.

Pourtant, depuis 2008, un règlement communautaire fixe des règles précises en matière d’affichage tarifaire dans le transport aérien. Toutefois, en pratique, l’affichage tarifaire dans les comparateurs de prix se révèle bien souvent trompeur.

Il conviendrait vraiment de mettre un terme aux mauvaises pratiques, telles que la dissimulation de frais de service, comme les frais de gestion, d’émission et de réservation, l’ajout de frais pour paiement par carte de crédit en fin de processus de réservation ou encore la présélection d’options payantes, telles les assurances voyage.

Enfin, j’aborderai le sujet de la privatisation programmée de nos aéroports.

Les aéroports sont des infrastructures de transport essentielles à l’aménagement du territoire et au développement économique. Au même titre que celles de l’énergie, ces infrastructures sont stratégiques, parce qu’elles constituent un facteur majeur de l’attractivité de la France, donc de sa compétitivité, et qu’elles sont au cœur de la souveraineté du pays.

Monsieur le secrétaire d'État, j’avais déjà, en fin d’année, fait part de mes vives inquiétudes lorsque l’État a cédé à deux investisseurs chinois aidés du canadien SNC-Lavalin une participation de 49,9 % sur les 60 % qu’il détient au total dans le capital de la société d’exploitation de l’aéroport Toulouse-Blagnac. Cette cession est assortie d’une option sur les 10,1 % restants à valoir dans les trois ans. Car, même en occultant la proximité du siège d’Airbus et le risque d’espionnage industriel, même en évacuant la polémique autour de la domiciliation fiscale des investisseurs chinois, je ne pouvais que m’interroger sur l’opportunité de privatiser nos aéroports, qui sont des monopoles naturels.

Aujourd’hui, par l’article 49 du projet de loi pour la croissance et l’activité, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, le Gouvernement prévoit la privatisation des sociétés Aéroports de Côte d’Azur et de Lyon, respectivement deuxième et quatrième société aéroportuaire française.

Ces sociétés sont, par leur poids stratégique, un enjeu majeur pour la nation. Lyon est l’un des principaux carrefours commerciaux du pays et la Côte d’Azur une destination touristique de premier plan national et mondial. Dotés d’infrastructures au service de leur efficacité, ces aéroports sont rentables et constituent un bien précieux pour l’État et, de fait, pour le peuple français.

Nous sommes en train de céder progressivement des infrastructures critiques, qui ont une valeur inestimable pour la compétitivité et l’attractivité de nos territoires, bien au-delà des quelques centaines de millions d’euros qu’elles permettront à l’État, à court terme, de récupérer. Veillons à ce que tout cela n’aboutisse pas à brader notre patrimoine, réduire le service public, maximiser les profits des sociétés bénéficiaires de ces privatisations et, in fine, aggraver le déficit public. Le précédent des privatisations autoroutières devrait conduire le législateur à la plus grande prudence en la matière…

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, prenons garde à ne pas envoyer le signal d’une capitulation des intérêts économiques de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)