Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat tombe à point nommé. Il a lieu en effet quelques jours seulement après la publication du rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, mais surtout après qu’a été révélé – grâce à une fuite dans la presse, si j’ai bien compris – le contenu d’un rapport demandé par le Gouvernement à une mission d’évaluation de la politique du logement composée du Conseil général de l’environnement et du développement durable, de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances, et rendu l’été dernier.

La découverte de ce rapport a fait l’effet d’une petite bombe. Ses auteurs posent un diagnostic sans concession de nos politiques publiques et formulent également de nombreuses propositions, n’hésitant pas à aller à l’encontre de la pensée généralement dominante en matière de politique du logement.

Certes, certains pourront toujours balayer d’un revers de main tout ou partie des conclusions de ce document, accusant le Gouvernement de chercher à faire des économies sur les quelque 46 milliards d’euros que représentent les aides publiques au secteur, auxquelles il faut ajouter 5 milliards d’euros en provenance d’Action logement et de la Caisse des dépôts et consignations, soit un total de 51 milliards d’euros. Je crois au contraire que ce rapport contient de nombreuses pistes à creuser pour rendre nos politiques publiques plus efficaces et peut-être même à moindre coût, ce qui ne devrait pas être un tabou en une période où le Gouvernement a besoin de réaliser des économies budgétaires.

En effet, 51 milliards d’euros par an, cela représente 2 % de la richesse nationale. Ce n’est pas rien. Pourtant, malgré ces moyens importants, nous n’arrivons toujours pas à juguler la crise qui s’amplifie. Personne ne peut s’en satisfaire et nous ne pouvons pas en rester là.

Manifestement, ce rapport a déjà servi au Gouvernement puisque, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2015, quelques petites mesures s’en inspiraient. Cependant, c’était bien peu au regard des nombreuses propositions de ce rapport, d’autant plus que, madame la ministre, celles que vous aviez retenues en sont restées au stade de la discussion. Je pense notamment à la transformation du dispositif d’accession à la propriété par le biais des aides personnelles.

Cependant, je relèverai plusieurs points de ce rapport sur lesquels je souhaite vous interroger, madame la ministre, pour connaître votre sentiment et vos intentions : l’évaluation des besoins, la dispersion des moyens et les grands axes de notre politique publique en matière de logement.

Sur l’évaluation des besoins, nous répétons les uns et les autres qu’il faudrait construire au moins 500 000 logements par an pour sortir de la crise. Or le rapport réfute ce chiffre, s’appuyant sur l’exemple de l’Île-de-France, zone tendue s’il en est, où, dans le cadre de la loi relative au Grand Paris, le Gouvernement a fixé l’objectif de 70 000 logements par an.

Lorsque cet objectif de 70 000 logements a été annoncé, je me rappelle m’être demandé comment on était parvenu à un tel résultat : en le ramenant au chiffre initial de 500 000 logements par an, il me semblait que quelque chose n’allait pas ! Le rapport précise que, s’agissant de la loi relative au Grand Paris, les besoins ont été assez finement analysés. Par extrapolation, les auteurs du rapport estiment que, en ramenant ce besoin à l’échelle nationale, ce sont non pas 500 000 logements par an qu’il faudrait construire pour les cinq années à venir, mais quelque 332 000 ! Vous avouerez qu’un tel écart est significatif.

Le rapport pointe ensuite la trop grande dispersion des moyens qui découle assez logiquement de cette mauvaise appréciation des besoins.

La question des zonages est ainsi posée à nouveau, comme celle de l’équilibre à trouver entre accession à la propriété et logement social, mais aussi taille des logements et gamme de prix en fonction des secteurs géographiques.

Madame la ministre, il semble que vous ayez là un grand chantier à mener avant toute réforme, car, sans bonne connaissance des besoins, nous risquons encore une fois de nous tromper sur le recalibrage et la répartition des moyens.

Ce rapport traite également des grands axes d’intervention de nos politiques publiques, ce qui constitue un autre point intéressant.

Alors que nous souffrons d’une insuffisance de construction, même si l’on peut ne pas être d’accord sur les chiffres, nous consacrons 49 % des moyens engagés – je rappelle qu’ils atteignent 51 milliards d’euros – à la solvabilisation de la demande, seulement 17 % au développement de l’offre et 17 % à l’amélioration du parc existant. Il s’agit là d’un véritable paradoxe sur lequel nous devons nous interroger.

Les moyens vont-ils là où ils sont les plus nécessaires, en termes tant de sectorisation géographique, comme je le soulignais tout à l’heure, que de segmentation du marché et, surtout, de moyens accordés au développement de l’offre ? Car il faut développer l’offre !

Ce dernier point est d’autant plus important que le rapport pose la question de l’efficacité des aides personnelles. Or celles-ci représentent aujourd’hui, à elles seules, près de 50 % des crédits.

Je dois avouer, madame la ministre, que je suis particulièrement heureux que cette question soit enfin soulevée. Je l’ai fait, à cette tribune même, lors de l’examen du dernier texte défendu par Benoist Apparu ; je l’ai refait à l’occasion de la discussion générale sur le texte ALUR de Cécile Duflot. Dans les deux cas, je n’ai pas vraiment senti d’adhésion à mon propos : au mieux du scepticisme, au pire une accusation de vouloir pénaliser les bénéficiaires de ces aides.

Voilà qu’aujourd’hui ce rapport ne dit rien d’autre que ce que j’indiquais à l’époque : les aides personnelles ont eu et ont encore un effet inflationniste sur les loyers.

M. Daniel Raoul. Tout à fait !

M. Philippe Dallier. Le rapport pointe également les inégalités de traitement qui peuvent exister en fonction de la situation des ménages. Ainsi, à revenus équivalents, un couple percevant des allocations chômage sera plus aidé qu’un couple travaillant, et ce en raison des abattements dont bénéficient les uns et pas les autres. C’est assez surprenant. (M. Guy-Dominique Kennel acquiesce.)

M. Joël Guerriau. C’est inacceptable !

M. Philippe Dallier. Il semble bien que le temps soit venu de repenser notre système d’aides personnelles au logement pour le rendre plus efficace et plus juste, en évitant le plus possible les effets de bord que nous lui connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire son effet inflationniste sur les loyers. En Seine-Saint-Denis, c’est flagrant, et je ne cesse de le répéter : certains propriétaires louent des appartements petits et en mauvais état à des prix incroyables – entre 700 euros et 800 euros par mois – et ne trouvent preneur que grâce aux aides personnelles qui permettent aux locataires d’être solvables. Sans ces aides, une telle situation n’existerait pas ; il faut y réfléchir.

M. Philippe Dallier. Au total, mes chers collègues, ce rapport établit un diagnostic, certes sévère, et formule de nombreuses propositions.

Ma question est donc simple, madame la ministre : au-delà des points particuliers que je viens de soulever et sur lesquels j’aimerais tout de même obtenir des réponses, que comptez-vous faire de ce rapport ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Dilain.

M. Claude Dilain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je soulignerai pour commencer le plaisir que je ressens à participer à ce débat sur la politique du logement. Il ravive en moi les bons souvenirs des trois années que j’ai passées à la commission des affaires économiques. Mes propos s’adressent plus particulièrement à mon collègue Daniel Raoul, ici présent. (Sourires.)

Oui, il y a une crise du logement, et c’est mon seul point d’accord avec M. Jean-Claude Lenoir.

Je n’épiloguerai pas – démonstration a déjà été faite et elle le sera peut-être encore –, mais je tiens à citer quelques chiffres qui attestent de cette crise du logement, même si certains ont été rappelés. Selon le traditionnel rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, 3,5 millions de personnes sont mal logées, dont 141 500 se trouvent sans aucun domicile, ce qui est énorme. En outre, 5 millions de personnes sont fragilisées du fait de problèmes de logement. Un autre chiffre, moins souvent cité, est également important : 1 700 000 demandes de logements sociaux sont actuellement déposées. En d’autres termes, il existe une sorte de file active de 1 700 000 personnes en attente d’un logement.

La production de logements – Philippe Dallier vient d’en parler – a atteint, en 2014, environ 300 000 logements, dont 200 000 logements sociaux. J’ignore si c’est suffisant ou non. Toujours est-il que cela paraît limite, et il faudra certainement faire plus, même si ce n’est déjà pas si mal.

Qu’ajouter une fois ce constat établi ?

Je commencerai par formuler trois remarques que l’on entend rarement et qui concernent l’hétérogénéité de la situation, le caractère déjà ancien de la dégradation, la dimension plus européenne que nationale de la crise de production.

Première remarque, cette crise du logement n’est pas homogène sur le territoire français. En effet, sur certains territoires, il n’existe aucune tension ni pratiquement aucun décalage entre l’offre et la demande. En revanche, ailleurs, la situation peut être extrêmement grave et rappeler ce terrible hiver 1954.

Cette remarque est importante, car la situation s’appréhende différemment selon les territoires. Il n’est qu’à relire le rapport que j’ai rédigé avec mon collègue et ami Gérard Roche sur l’application de la loi instituant le droit au logement opposable, dite loi DALO : il est évident que la situation du logement est très fortement hétérogène en France.

Deuxième remarque, la baisse de la production de logements n’est pas imputable au gouvernement socialiste. Elle date de 2010 et obéit à des conditions macro-économiques qui dépassent non seulement le Gouvernement, mais aussi la France.

En effet, et c’est ma troisième remarque, cette crise de la production a une dimension européenne. Il suffit de comparer la situation des différents pays. Ainsi, le ratio entre le nombre de nouvelles constructions et le nombre d’habitants montre que la France n’est pas du tout en retard par rapport à la moyenne européenne. Bien au contraire, notre pays détient l’un des meilleurs taux : cinq nouvelles constructions pour mille habitants, contre trois pour mille en Allemagne.

Je note que, face à cette crise, le Gouvernement a pris des mesures : renforcement des prêts à taux zéro et de l’investissement locatif dans les zones tendues, simplification des normes.

Toutefois, le plus important en matière de construction de logements, c’est le foncier. À cet égard, j’évoquerai maintenant le rapport de la Commission nationale de l’aménagement, de l’urbanisme et du foncier, que son président, notre ancien collègue Thierry Repentin, a récemment présenté au Sénat.

En 2013, 23 terrains ont été cédés, ce qui représente 43 hectares et a permis la construction de 1 800 logements. Au 31 octobre 2014, 7 terrains ont été cédés.

Ces résultats sont prometteurs, comme tout le monde l’a reconnu au sein de la Commission.

Cela étant dit, la situation du logement dans notre pays étant très hétérogène, permettez-moi de faire un point sur celle, très particulière et rarement évoquée, des quartiers populaires, et d’y signaler l’importance du mal-logement, ainsi que ses conséquences. Elles sont évidemment très négatives sur la qualité de vie des habitants, mais aussi sur l’image de ces quartiers, où l’on habite mal.

L’analyse des interactions entre le logement et l’école – cela a déjà largement été fait, en particulier par Éric Maurin dans son essai intitulé Le ghetto français – permet de constater que le mal-logement est à l’origine d’un cercle vicieux entraînant la dégradation et la paupérisation du quartier. Il est donc extrêmement important de revenir dans ces quartiers à des logements de qualité.

Ces quartiers sont caractérisés à la fois par une abondance de logements sociaux et par une inadaptation insuffisante de ces derniers à la demande.

Les logements sociaux sont abondants dans ces quartiers, qui se spécialisent même dans ce type de logements, comme si le logement social appelait le logement social. Certains quartiers, voire certaines villes comptent ainsi jusqu’à 70 % de logements sociaux. Il est donc difficile d’y parvenir à une pluralité sociale et culturelle.

Mais si, dans ces quartiers, les logements sociaux sont abondants, ils ne sont pas adaptés à la demande. Toutes les études le montrent, alors que le nombre de familles très nombreuses – de plus de cinq enfants – y est extrêmement élevé, ces quartiers ne comptent pas de logements de taille adaptée permettant de répondre à la demande, et ce pour des raisons historiques. Ces grands ensembles ont en effet été construits à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, époque où la référence était alors le F3 ou le F4.

Mais il ne faut pas croire que les seules difficultés de ces quartiers sont liées aux logements sociaux. En effet, de nombreuses copropriétés sont dégradées – vous le savez d’ailleurs, madame la ministre, car vous y consacrez une grande part de votre énergie, et je tiens à vous remercier de l’action que vous menez à cet égard –, regroupant ce que j’appellerai les « déboutés du logement social ». Cela pose d’ailleurs un problème de fond quant à l’intérêt du logement social. Dans ces copropriétés, des bailleurs indélicats se transforment assez vite en marchands de sommeil.

Il est donc important de construire des logements, la question étant : combien – on peut en discuter – et où. (M. Philippe Dallier s’exclame.) Toutefois, il ne faut pas non plus oublier que la réhabilitation des logements de mauvaise qualité, sujet dont on ne parle jamais, est nécessaire, car c’est aussi une façon d’augmenter l’offre.

Permettez-moi d’évoquer ici le bilan de l’action de l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH, lequel est extrêmement positif. Il montre que sans construire, parfois même avec des crédits moins élevés, on peut très nettement modifier la quantité de logements et leur qualité.

L’ANAH a diverses missions, que vous avez d’ailleurs rappelées, madame la ministre : le programme « Habiter mieux », qui tend à lutter contre la précarité énergétique, l’adaptation des logements au vieillissement et au handicap, la réhabilitation du logement indigne et l’action sur les copropriétés.

Les bénéficiaires des subventions de l’ANAH occupent des logements privés – je le rappelle – et sont forcément des familles modestes, voire très modestes.

Les chiffres sont éloquents. En 2014, 50 000 logements ont été rénovés dans le cadre du programme « Habiter mieux », mais – vous le savez, madame la ministre –, on aurait encore pu faire plus ; 1 000 logements ont été rénovés dans le cadre de l’habitat indigne ; 13 000 logements ont été rénovés dans des copropriétés privées dégradées.

Je vous remercie d’ailleurs infiniment, madame la ministre, pour cette nouvelle façon d’aborder le traitement des copropriétés très dégradées. Nous manquions d’outils, la loi ALUR nous en a donné en créant les opérations de requalification de copropriétés dégradées, ou ORCOD. La première d’entre elles concernera, grâce à vous, madame la ministre, la copropriété du Chêne-Pointu de Clichy-sous-Bois. Le décret vient juste d’être publié. Je pense que la ville de Grigny bénéficiera elle aussi bientôt d’une telle opération.

Enfin, 15 000 logements ont été adaptés à la perte d’autonomie.

Les résultats sont importants pour ceux qui en bénéficient, mais ils le sont aussi financièrement. En effet, quand on consomme moins d’énergie, quand on retarde le placement d’une personne dépendante dans un établissement spécialisé, on gagne de l’argent. En outre, de tels travaux, qu’il s’agisse de travaux d’isolation, du changement des fenêtres ou du remplacement d’une baignoire par une douche, ne peuvent être effectués que par des artisans locaux. C’est un facteur économique très important.

J’indique par ailleurs que 42 % des travaux ont été réalisés en zone rurale – je pense, madame la ministre de l’égalité des territoires, que vous ne serez pas insensible à ce taux –, 34 % en zone urbaine et 24 % en zone intermédiaire.

Oui, nous connaissons une crise du logement. Tout le monde s’accorde à dire que c’est une grande cause nationale. Je rappelle d’ailleurs que, depuis la loi DALO, le droit au logement a valeur constitutionnelle, mais que ce n’est pas un droit constitutionnel. Peut-être faudra-t-il y réfléchir.

Si l’on veut s’en sortir, il faut bannir toute politique politicienne – je constate que notre débat se déroule aujourd'hui dans une bonne ambiance – et s’unir, car, en matière de production de logements, les responsabilités sont éparpillées, ce qui rend la gestion extrêmement difficile, chacun ayant une petite part du pouvoir. L’union est une obligation. On ne peut pas se lamenter sur la crise du logement si, chacun à son niveau, nous ne parvenons pas à rechercher ensemble des solutions.

Puisque nous représentons ici les territoires, permettez-moi d’attirer l’attention sur la responsabilité des maires. Après les élections municipales, un certain nombre de programmes ont été gelés, voire abandonnés à la suite d’un changement de l’exécutif municipal. Chacun doit prendre ses responsabilités. À cet égard, je ne doute pas, madame la ministre, que vous pourrez nous mener très rapidement sur le chemin du « bien-logement ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud. (M. Jean Desessard applaudit.)

Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le débat d’aujourd'hui, organisé à la demande du groupe UMP, est une bonne occasion de réfléchir aux solutions à mettre en œuvre pour lutter contre le problème majeur du mal-logement.

Les chiffres ayant été rappelés, je n’y reviendrai pas. Un certain nombre de solutions ont déjà été évoquées par mes collègues. Pour ma part, je partage nombre des propositions faites à l’instant par Claude Dilain.

Nous devons absolument proposer des solutions face à l’ampleur du problème du mal-logement dans sa globalité et aux souffrances quotidiennes qu’il représente pour des millions de nos concitoyens.

À cet égard, permettez-moi d’évoquer un exemple précis, mes chers collègues. J’ai rencontré voilà une semaine à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, un groupe de jeunes fréquentant les missions locales du département et bénéficiant de l’expérimentation de la Garantie jeunes, c'est-à-dire d’un système les privilégiant par rapport à beaucoup d’autres. J’ai ainsi vu des jeunes gens qui, alors qu’ils bénéficient d’un accompagnement soutenu, sont à la rue depuis parfois plusieurs années et se rendent chaque jour à la mission locale avec leurs affaires.

Madame la ministre, permettez-moi de vous interpeller sur ce point : les personnels qui animent les missions locales constatent des difficultés d’accès des jeunes au logement, y compris des jeunes bénéficiant d’une allocation. Il leur est impossible d’accéder aux loyers des foyers de jeunes travailleurs. Il n’existe pas de solution aujourd'hui. Et ce n’est là qu’un exemple parmi beaucoup d’autres, bien sûr.

La loi ALUR, que d’aucuns, y compris certains collègues encore à l’instant, accusent souvent de tous les maux, ne peut pas être brandie à tout-va pour faire oublier l’ensemble des problèmes auxquels nous sommes confrontés. D’ailleurs, comment peut-on sérieusement prétendre que cette loi est la cause du fort ralentissement de la construction de logements et de la baisse du nombre de permis de construire accordés l’année dernière alors qu’une grande partie de ses décrets d’application sont encore dans les tiroirs ? Cette loi a pourtant été votée voilà un an, comme cela a été rappelé. Combien de temps allons-nous donc encore attendre face à une situation à propos de laquelle tout le monde tire la sonnette d’alarme ? (M. Joël Guerriau s’exclame.)

J’en profite pour rappeler les regrets qui sont les nôtres de voir que de nombreuses mesures prévues dans cette loi pour faciliter l’accès au logement, notamment l’encadrement des loyers, n’ont pas selon nous fait l’objet d’un portage politique satisfaisant par le Gouvernement – mais j’y reviendrai.

Il y a bien d’autres causes à ces problèmes : la baisse du pouvoir d’achat immobilier, la frilosité des banques à prêter à des particuliers dont le parcours professionnel n’est plus aussi stable qu’il y a quelques années, les problèmes de financement des professionnels du bâtiment, la reprise par les nouvelles municipalités des dossiers de construction de logements sur leur commune, ce qui allonge les délais, la question essentielle du foncier – Claude Dilain l’a rappelé. Bref, les problèmes ne datent pas de 2012. Il est donc trop facile d’accuser la loi ALUR de tous les maux !

M. Claude Dilain. C’est vrai !

Mme Aline Archimbaud. Les objectifs en termes de constructions de logements sociaux doivent bien sûr être atteints. De ce point de vue, la loi de la République, notamment la loi SRU, doit être appliquée partout sans exception.

M. Joël Guerriau. Ce n’est pas une très bonne loi ! C’est le moins que l’on puisse dire !

Mme Aline Archimbaud. Nous disposons d’outils, notamment le pacte de responsabilité et de solidarité, qui devrait contribuer – c’est la moindre des choses – à la reprise du secteur de la construction et de la rénovation des bâtiments. De ce point de vue, madame la ministre, où en sommes-nous ? Un bilan a-t-il été fait ?

La politique du logement peut évidemment être une source d’emplois. Indépendamment de la construction de nouveaux logements, qui prend du temps, les solutions à court terme existent, et elles sont souvent rappelées : on peut réquisitionner des logements restés vacants trop longtemps et sans raison, mobiliser le parc de logements privés – certains s’y emploient d’ailleurs – et créer une offre conventionnée de logements à loyers modérés pour les personnes en situation précaire. De telles solutions permettraient également de véritablement mettre en œuvre le droit au logement opposable, ou en tout cas d’avancer sur la voie du respect de ce droit.

Les chiffres sont connus.

Je tiens à rappeler qu’en 2013, selon les derniers chiffres du ministère du logement, le taux de relogement des ménages ayant obtenu une décision favorable au droit au logement était de 46,6 %. On voit à quel point nous sommes loin des objectifs !

La lutte contre le mal-logement ne peut évidemment être menée sans lutter en même temps contre le coût bien trop élevé des logements. De ce point de vue, nous déplorons que l’encadrement des loyers ait été réduit, en principe, à une simple expérimentation à Paris. Je dis bien « en principe », car nous attendons toujours sa mise en œuvre concrète.

Si j’en avais le temps, je pourrais montrer pourquoi il est nécessaire de préciser et de clarifier les dispositifs d’aide à la rénovation énergétique des logements par leurs propriétaires, aides indispensables pour permettre aux 11 millions de Français en situation de précarité énergétique de trouver une solution.

Enfin, j’insisterai sur une piste qui n’est pas suffisamment explorée. Nous pensons qu’il faudrait s’appuyer davantage sur les initiatives et sur l’innovation sociale. À cet égard, j’évoquerai très brièvement les mesures mises en œuvre par des municipalités en Grande-Bretagne, expérimentées au départ par la ville de Liverpool. Il s’agit d’un dispositif qui s’appelle « une maison pour une livre » – une livre sterling, bien sûr.

M. Philippe Dallier. C’est la maison à 100 000 euros !

M. Jean Desessard. Non, à un euro ! (Sourires.)

Mme Aline Archimbaud. Dans des quartiers quelque peu abandonnés, des municipalités vendent des maisons vétustes, voire très vétustes, à des particuliers en échange de leur engagement à faire des travaux de restauration. On voit bien tous les avantages que cela présenterait. Faisons-le !

M. Joël Guerriau. On ruine déjà les municipalités avec la loi SRU !

Mme Aline Archimbaud. Moi, je pense que nous devons le faire !

M. Joël Guerriau. Ce serait nous égorger !

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Aline Archimbaud. Je me bornerai donc à rappeler, pour conclure, qu’un logement – Claude Dilain l’a dit aussi – est la première des garanties de la stabilité d’une vie : sans logement, il est très difficile d’avoir un emploi, d’être en bonne santé et de fonder une famille, très difficile tout simplement de faire les démarches pour avoir accès à ses droits.

À l’évidence, nous ne pouvons plus attendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, moins de 300 000 logements mis en chantier en 2014 : c’est sans doute ce constat qui a conduit nos collègues du groupe UMP à proposer ce débat.

Dix millions de personnes seraient touchées, de près ou de loin, par la crise du logement. Il conviendrait de modifier la politique publique de fond en comble pour que la demande de logements baisse et que l’activité du secteur du bâtiment et des travaux publics, toujours fondamentale pour l’économie et l’emploi, redémarre.

La construction de logements est en panne depuis plusieurs années pour de multiples raisons. Les bonnes volontés seraient découragées, notamment celles des investisseurs. Faut-il rappeler les nombreuses mesures de défiscalisation proposées par les gouvernements successifs qui ont produit trop de logements vides d’occupants dans des agglomérations où le besoin de logements ne se faisait pas forcément sentir ?

Rien que pour le dispositif Pinel, madame la ministre, l’État octroie 34 000 euros par logement, auxquels s’ajoutent les 100 000 euros pour les donations de logements neufs aux descendants ou l’abattement exceptionnel de 30 % sur les plus-values immobilières pour toute cession de terrain à bâtir. Au total, ce sont 300 millions d’euros qui sont accordés à ceux qui détiennent déjà 50 % du patrimoine immobilier !

Et que dire du rapport trisannuel de l’application de la loi SRU ? Celui-ci n’a toujours pas été rendu public et les arrêtés visant les communes qui traînent les pieds attendent depuis six mois la confirmation du ministère. Je crains que la forte baisse des dotations aux collectivités locales n’amoindrisse le volontarisme des communes et n’engendre une chute de leurs initiatives.

La crise du logement constitue sans nul doute la face la plus visible et la plus criante de la crise économique et sociale que nous traversons. Elle concentre les plus grandes inégalités et discriminations.

Comment expliquer qu’il faille trois mois pour mesurer la moindre inflexion du PIB et plus de deux ans pour déterminer le nombre d’expulsions locatives ? Il aura aussi fallu attendre onze ans pour que l’INSEE relance un recensement exhaustif du nombre des personnes sans domicile fixe, nombre qui a bondi de 50 % entre 2001 et 2012 : ce sont près de 150 000 personnes qui sont aujourd’hui concernées, dont 35 000 enfants.

Les politiques ségrégatives du logement conduites par le passé ont éloigné les populations les unes des autres et organisé, loin de toute mixité sociale, les « ghettos de la République » : d’un côté, les cités HLM regroupant les plus modestes ; de l’autre, les quartiers qui accueillent les plus aisés.

La pénurie de logements est une réalité cruelle pour bon nombre de nos concitoyens, à qui le droit à un toit n’est pas du tout assuré. Trop nombreuses sont les familles prioritaires au titre de la loi DALO auxquelles aucune solution concrète n’est proposée.

Cette situation insupportable n’aurait jamais dû exister dans notre pays.

Il convient clairement d’accorder la priorité aux demandeurs de logement et non aux investisseurs, car nous sommes dans une impasse absurde. La montée du chômage accentue le phénomène du mal-logement : pour avoir un logement, il faut avoir un travail, mais, pour avoir un travail, il faut un logement !

C’est pourquoi relancer la construction et la rénovation de logements sociaux ouverts à l’ensemble de la population est une nécessité et doit constituer la priorité des priorités. Dans ce contexte, les crédits alloués à la construction de logement social et les aides à la pierre ne sauraient diminuer.

Le seuil de 25 % de logements sociaux, recommandé par la loi Duflot, constitue une base, même s’il peut paraître insuffisant dans certaines régions tendues où les demandes sont très loin d’être satisfaites. Au demeurant, et même si nous n’avons pas tous la même analyse à ce sujet, c’est bel et bien la mise en œuvre de la loi SRU – notamment l’application de la règle des 20 % – qui a porté, dans le courant des années 2000, le logement social.

Les sommes disponibles pour construire des logements, les rénover et transformer éventuellement des locaux d’activité ou de bureaux inoccupés en logements, existent. Le prêt à taux zéro, le PTZ, pourrait aussi être étendu aux bailleurs sociaux et venir s’ajouter à une revalorisation du « 1 % logement », qui n’est plus que de 0,4  %, en en élargissant notamment l’assiette. Cela permettrait tout de même une plus grande diversité de l’offre, jouant positivement, de fait, sur les montants des loyers et des charges locatives.

Malgré la décollecte encouragée par la baisse de la rémunération du livret A, des sommes très élevées restent en attente d’utilisation au sein du fonds d’épargne géré par la Caisse des dépôts et consignations. À la fin 2014, ce fonds aura connu une décollecte supérieure à 6 milliards d’euros, qu’il convient évidemment de comparer aux 365 milliards d’euros de la collecte totale du livret A et du livret de développement durable. Pourquoi 35 % de cet encours seraient-ils aujourd’hui non centralisés, alors que nous en avons particulièrement besoin pour financer le logement social mais aussi la transition énergétique ?

Nous proposons, comme la loi le prévoit, qu’un décret vienne relever le niveau de centralisation et que les sommes ainsi réunies soient immédiatement mobilisées pour des prêts à l’amélioration des performances énergétiques des logements et pour la construction de nouveaux et nombreux logements sociaux. Relever de 5 % la centralisation du livret A et du livret de développement durable permettrait de dégager immédiatement 18 milliards d’euros.

Il serait également opportun de s’interroger sur les modalités de construction des logements. Des évolutions de conception et d’architecture ne pourraient-elles permettre de bâtir ce que j’appellerai les « logements du futur » ? Nous pourrions facilement concevoir une nouvelle gamme de logements, modernes, écologiquement responsables et, surtout, accessibles à tous, car les montants de loyers sont souvent inabordables pour des millions de familles.

Par ailleurs, le président de la Banque centrale européenne, la BCE, a annoncé que, dans le cadre de dix-neuf tranches mensuelles de 60 milliards d’euros, son établissement financerait la restructuration de dettes publiques et privées pour faciliter la reprise de l’activité économique. Prenons-le au mot ! J’invite donc le Gouvernement à s’emparer de cette opportunité pour restructurer la dette de certains organismes d’HLM, par exemple.

Nous pourrions également envisager de procéder au refinancement de la dette publique en vue d’ouvrir une sorte de fonds national de construction et de financement du logement. Celui-ci accorderait des prêts à taux zéro.

S’agissant de la question foncière, il faut envisager la modulation de la taxation des plus-values foncières, notamment pour les terrains dédiés à la réalisation de programmes comportant des logements sociaux. Et pourquoi ne pas poser le principe de l’exonération d’imposition des plus-values en cas d’apport financier direct à la réalisation d’opérations de logements sociaux ?

Ou encore, pourquoi ne pas proposer une alternative à la cession de terrains publics sous décote, comme nous l’avons vu faire ces derniers temps ? Nous pourrions ainsi mettre en place un nouveau dispositif de bail pour que les organismes d’HLM n’aient pas à supporter le coût de l’acquisition foncière.

Des solutions techniques et financières existent donc aujourd’hui pour répondre dans de meilleures conditions à la demande.