M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les attentats qui se sont déroulés à Paris en ce début d’année ont replacé tragiquement la lutte antiterroriste au cœur de l’actualité, sur les plans tant national qu’international.

Par leur présence à la marche républicaine du 11 janvier, de nombreux chefs d’État ont exprimé leur solidarité à l’égard de la France touchée en plein cœur. Il s’agissait aussi, pour eux, de démontrer leur détermination à lutter contre la barbarie, où qu’elle se manifeste.

Pour les dirigeants européens, plus particulièrement, ce fut l’occasion de relancer le chantier de la coordination contre le terrorisme en Europe. C’est une bonne chose, même si l’on ne peut que regretter qu’il ait fallu un drame de plus pour accélérer le débat.

Nous le savons, les pays européens travaillent depuis longtemps sur cette question. Malheureusement, plusieurs États membres ont une expérience ancienne du terrorisme. Chaque pays a adapté sa propre législation en conséquence, mais ce sont les attentats du 11 septembre 2001 qui ont entraîné la mise en place d’un plan d’action coordonnée.

Je rappellerai que la lutte contre le terrorisme ne figurait pas dans le « programme de Tampere » élaboré en 1999, qui définissait les priorités du premier plan relatif à l’« espace de liberté, de sécurité et de justice ».

Le caractère transnational de la menace djihadiste nous pousse, depuis, à mettre en place une coopération renforcée. C’est bien évidemment un progrès pour la sécurité des Européens, qui partagent les mêmes valeurs de liberté et de tolérance.

Cela a été rappelé, l’Union européenne dispose de plusieurs instruments de lutte contre le terrorisme. Parmi ceux-ci figurent évidemment Europol et Eurojust, qui jouent un rôle prépondérant. Toutefois, leurs moyens sont-ils aujourd’hui adaptés à la montée en puissance de leurs missions ? Je ne le pense pas. D’ailleurs, l’année dernière, une délégation de la commission des affaires européennes du Sénat a fait le constat d’une progression des activités de ces deux entités dans un cadre budgétaire inchangé depuis plusieurs années.

Quant à la stratégie de lutte contre le terrorisme développée par l’Union européenne, elle coïncide, dans ses grands axes, avec celle qui anime notre propre politique sur le territoire national. Nous partageons donc l’essentiel de cette stratégie, développée depuis 2001 et intensifiée depuis 2007.

Entraver la radicalisation violente, protéger les infrastructures et les transports, tarir les moyens financiers des terroristes, améliorer les échanges d’informations, soutenir les victimes ou encore encourager le développement technologique : ce sont là quelques-uns des axes qui ont déjà été mis en exergue mais qu’il nous faut encore approfondir. Le ministre de l’intérieur les a d’ailleurs rappelés, le 11 janvier dernier, devant plusieurs de ses homologues européens.

Le groupe du RDSE partage toutes ces orientations. Nous approuvons aussi les deux premières avancées entérinées par les vingt-huit États membres : l’installation d’un expert de la lutte antiterroriste dans une douzaine d’ambassades de l’Union européenne dans les pays « sensibles » et le lancement d’une offensive en langue arabe sur internet pour tenter de contrer les radicaux. Utiles, ces mesures sont toutefois limitées… Disons-le, il faudra faire plus sans porter atteinte aux libertés publiques !

Comme vous le savez, mes chers collègues, plusieurs grands sujets font débat actuellement : le fichier PNR européen, la diffusion de la propagande sur internet et l’espace Schengen, qui se trouve aussi au cœur des discussions.

Sur ces trois thèmes, le RDSE est favorable à des évolutions.

Comme l’a rappelé le président Mézard lors de l’examen du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, l’espace Schengen « autorise la libre circulation des personnes et des biens, que le retrait de la carte d’identité nationale n’arrêtera pas ». Mon collègue avait ajouté que la coordination entre services répressifs et judiciaires au sein de l’Union européenne et la coopération internationale étaient la clé pour assurer l’efficacité de la lutte contre un phénomène qui se joue des frontières.

Sans remettre en cause l’espace de circulation cher aux citoyens européens, il faudra adapter le code Schengen pour permettre les contrôles systématiques aux frontières.

Autre point, le blocage de la mise en place de la base européenne PNR par le Parlement européen doit être levé. Apportons les garanties nécessaires en matière de protection des données personnelles, afin que puissent être rapidement mis en œuvre des contrôles plus efficaces des passagers dans les aéroports. Ce système permettra de repérer les mouvements suspects et facilitera ainsi le travail des services de renseignement.

Enfin, sur internet, on sait que les obligations imposées aux hébergeurs ne suffisent plus à filtrer le contenu des sites. L’année dernière, des rencontres ont eu lieu entre chefs d’État et représentants des fournisseurs d’accès. Depuis, où en sommes-nous sur ce sujet fondamental ? En effet, nous le savons, c’est par cette voie que des milliers de jeunes Européens se radicalisent et trouvent les contacts pour partir en Irak ou en Syrie.

Comme je l’ai dit, le groupe du RDSE est ouvert à l’adaptation de ces dispositifs afin de répondre aux mutations du terrorisme, dès lors qu’est respecté l’équilibre entre, d’une part, l’attribution à la puissance publique de prérogatives renforcées, indispensables pour assurer la sécurité collective, et, d’autre part, la préservation des libertés publiques.

Pour conclure, j’ajouterai que la lutte contre le terrorisme passe par une appréciation commune des risques extérieurs. C’est une évidence, certes, mais il n’est pas inutile de la rappeler au regard du faible engagement des États membres sur les théâtres extérieurs, en particulier sur le plus sensible d’entre eux aujourd’hui, l’Irak. Au Sénat, nous avons eu l’occasion de le souligner lors du dernier débat sur l’intervention des forces françaises dans la région. Je ne dis pas que l’Europe ne fait rien, puisqu’elle a notamment mis sur pied une mission de police pour former des garde-côtes libyens, mais il faut faire plus eu égard aux dangers croissants au Sud et à l’Est. Les frontières de la Lybie sont de véritables passoires, qui n’arrêtent pas les trafics d’armes ni les djihadistes.

Il faut que l’Europe s’approprie davantage le concept de continuum entre sécurité extérieure et sécurité intérieure, que la France a pour sa part validé dans son dernier Livre blanc.

Mes chers collègues, le débat sur la nécessaire coordination de l’action contre le terrorisme s’est accéléré dans un contexte dramatique. L’Union européenne avait déjà pris la mesure des dangers, mais il est clair que les attentats à Paris ont lancé un terrible avertissement et montré la vulnérabilité des démocraties dans ce combat.

C’est pourquoi j’espère que des mesures fortes seront prises lors du prochain Conseil européen, même s’il est de notre responsabilité de tenir un langage de vérité en rappelant que, malheureusement, le « risque zéro » n’existe pas.

Mon temps de parole étant écoulé, j’évoquerai en une autre occasion d’autres sujets qui méritent d’être traités, tels que l’Ukraine, la Grèce ou les normes européennes, dont je suis un grand pourfendeur ! (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe UDI-UC.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen n’est en rien une réunion de circonstance. En effet, la problématique sécuritaire que nous affrontons aujourd’hui ne peut pas être traitée strictement par les États membres. Plus encore, l’approche sécuritaire ne sera pas suffisante si elle ne s’accompagne d’une véritable initiative en matière de politique extérieure commune. Ces enjeux sont communs à l’ensemble des États et certaines questions doivent nécessairement trouver une réponse européenne.

Posons le cadre. Le terrorisme islamiste a pendant longtemps été traité comme un problème strictement sécuritaire, notamment par l’administration américaine sous la présidence de George W. Bush. Il est pourtant apparu, à la lecture des documents découverts dans la cache de Ben Laden, que celui-ci concevait le djihadisme comme un projet politique global. Cette idéologie bouscule en premier lieu le monde arabe, mais aussi l’ensemble du monde musulman et donc la majeure partie du globe.

Nos démocraties occidentales ont une part de responsabilité dans la situation actuelle. Nous avons déstabilisé les États les plus forts du monde arabo-musulman, qui ne peuvent plus réguler eux-mêmes la menace : je pense à l’Irak et à la Libye, auxquels on peut ajouter la Syrie, en dépit des crimes de Bachar el-Assad.

En premier lieu, le péril est global, et peut donc frapper partout. Nous pouvons l’observer en Libye, donc, mais aussi en Syrie, en Afrique – si nos troupes sont présentes au Mali, c’est en grande partie parce que l’on a déstabilisé la Lybie –, en Afghanistan, en Indonésie, aux Philippines, au Pakistan. La menace n’est donc pas exclusivement dirigée contre l’Europe.

En second lieu, nous devons affronter cette menace dans l’urgence. Cette forme de terrorisme ne cesse de nous frapper, à Montauban, à Bruxelles, à Paris, à Vincennes ou encore, hier, à Nice.

La situation est d’autant plus urgente que les terroristes ne sont pas des agents étrangers ; ils ressemblent moins aux pirates de l’air du 11 septembre qu’aux auteurs des attentats de Londres de juin 2005 : ce sont des compatriotes. Ils sont le funeste résultat de la rencontre entre les problématiques d’un monde arabo-musulman qui souffre de la modernité et de la globalisation, qui évolue vers la démocratie mais avec des retards, et celles de notre propre quart-monde, en France et en Europe.

Ainsi, nos pays sont ponctuellement traversés par une noria de citoyens européens qui cherchent parfois, via l’espace Schengen, à gagner la frontière syrienne. Il faut apprécier le risque à sa juste mesure. De 3 000 à 5 000 ressortissants de l’Union européenne sont partis en Syrie : près d’un tiers d’entre eux sont revenus. Beaucoup sont traumatisés ou du moins révulsés par ce qu’ils y ont vu, mais il reste quelques dizaines d’individus capables de passer à l’acte, sans compter ceux qui cherchent encore à partir. Le voyage en Syrie n’est donc pas un critère suffisant pour évaluer la menace réelle : que nos services ne s’y trompent pas !

Nous avons besoin d’un meilleur renseignement pour identifier les « apprentis Coulibaly ». Or ces personnes ne relèvent pas d’un type idéal unique. On ne peut pas réduire l’audience de l’appel au djihad à un simple public de désaxés sociaux : il existe plusieurs cercles.

Parmi les plus dangereux se trouvent ceux qui, du fait de leur intégration et de leur formation, savent se rendre discrets et « échapper au radar ». Certains des terroristes de Londres avaient reçu une solide formation universitaire au Royaume-Uni. Autour de ces individus gravite tout un groupe informe de personnes pouvant souffrir de divers troubles psychiatriques ou sociaux, de convertis de la veille qui, excités par un spectacle abject, se rêvent en poseurs de bombes.

Face à cette situation, comment l’Europe peut-elle réagir ? Nous avons besoin d’une réponse européenne forte, sur les plans tant sécuritaire que préventif.

Depuis le traité d’Amsterdam, l’Union travaille dans trois directions : la prévention, l’échange d’informations et la définition d’une stratégie globale d’action. Cela n’est plus adapté à la situation. Nous avons besoin d’une réponse beaucoup plus réactive. Je le répète, il est urgent d’agir. Notre collègue Delebarre l’a rappelé devant la commission des affaires européennes : on ne peut pas se permettre d’attendre encore quatre ou cinq ans pour mettre en place le PNR. Les procédures sont trop longues, trop lourdes, tandis que la menace est réelle et immédiate.

Comme l’a dit le Premier ministre, « il est nécessaire de prendre des mesures exceptionnelles mais pas de prendre des mesures d’exception ». Tout en évitant cet écueil, il faut agir avec pragmatisme pour trouver un équilibre entre le droit et la sécurité. Ce n’est pas simple !

Tout d’abord, la définition européenne des infractions terroristes figurant dans la décision-cadre du Conseil de 2002, actualisée en 2008, ne tient pas compte du phénomène des « combattants étrangers ». L’ONU a d’ores et déjà révisé sa propre définition. Nous gagnerions à faire évoluer le texte de cette décision-cadre lors du prochain Conseil, afin que le champ d’action des États et de l’Union bénéficie d’un cadre clair et partagé. Mentionnons, à cet égard, la décision de la Cour de justice de l’Union européenne d’avril 2014, qui a son importance dans la réflexion.

Au reste, ce n’est là qu’une première étape. Nous devrons ensuite avancer en matière d’échange d’informations. Il faut briser les flux qui alimentent notre propension à exporter le terrorisme en Syrie. Nous savons que les impétrants djihadistes transitent parfois par un ou plusieurs aéroports étrangers, dans le but de brouiller les pistes. Ainsi, il semble que les éventuels complices de Coulibaly ont transité par l’Espagne ou par la Bulgarie.

Le renforcement de notre sécurité aérienne et, à ce titre, la création d’un fichier européen des passagers permettant de consolider le contrôle aux frontières ne doivent pas rester à l’état de projets. Des PNR existent déjà dans de nombreux États membres ou sont en cours de préparation : le Royaume-Uni a créé un tel outil il y a dix ans, le fichier français devrait être prêt en septembre. Toutefois, il est nécessaire de déterminer rapidement un cadre commun permettant de renforcer l’échange d’informations entre les États tout en garantissant au plus grand nombre une véritable protection des données personnelles, et donc des libertés individuelles.

Ce point est la pierre d’achoppement majeure au Parlement européen et faisait l’objet d’une importante réunion, aujourd’hui, entre les experts, les coordinateurs de la commission Libé du Parlement européen et M. Cazeneuve.

En effet, depuis la conférence organisée par le ministre de l’intérieur le 11 janvier dernier avec ses homologues européens et la récente conférence de Riga, une volonté commune de progresser sur cette question se manifeste.

Au-delà des flux, il faut aussi briser les chaînes de commandement. Il y a des inspirateurs et des donneurs d’ordres. Les loups ne sont jamais solitaires, ils chassent en meute. La coopération européenne des services de police et de renseignement est donc incontournable.

Toutefois, l’action européenne ne saurait se priver du travail accompli au quotidien par les États membres et d’une stratégie de politique extérieure à long terme.

Ce sont les États qui sont au plus près des réalités de la menace terroriste. À ce titre, je tiens à saluer le travail mené depuis plusieurs mois par la commission d’enquête sénatoriale sur l’organisation et les moyens de lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, sous l’égide de sa présidente, Nathalie Goulet. Une instance jumelle a récemment été créée à l’Assemblée nationale : je regrette que celle-ci ait préféré doubler cet organe plutôt que de venir renforcer celui du Sénat. Un travail en commun se serait sans doute révélé beaucoup plus enrichissant…

Je salue également l’ouverture d’un important chantier de réflexion par la commission des affaires européennes, en lien avec le Bundesrat allemand et le coordinateur européen contre le terrorisme.

Sous la houlette de son président, M. Bizet, la commission des affaires européennes travaille actuellement à élaborer des propositions sur le renforcement d’Eurojust, l’élargissement des compétences du parquet européen à la criminalité transfrontalière et aux mouvements suspects de capitaux, le renforcement d’Europol, et donc de la coopération policière transfrontalière, sans oublier les questions soulevées par le fonctionnement actuel de l’espace Schengen au regard de ces flux migratoires très spécifiques. Nous venons précisément d’adopter une proposition de résolution européenne relative au PNR.

Ces deux commissions d’enquête auront bien des sujets à traiter. Nous attendons d’elles une analyse de la menace et des moyens de la contrer. Un renforcement ou une réforme administrative des services seront-ils nécessaires ? Peut-être faudra-t-il modifier le droit positif ? On ne peut, pour l’heure, répondre à ces interrogations. Quoi qu’il en soit, j’espère que nous nous entendrons sur la nécessité de donner davantage de moyens à Europol et à Eurojust.

Au-delà, au niveau des gouvernements, du Conseil et du Haut représentant pour la politique extérieure, nous devons doubler les aspects sécuritaires de la réponse au défi djihadiste d’un effort de prospective en matière de politique extérieure.

L’analyse sécuritaire ne suffira pas : elle ne traitera au mieux que des symptômes du péril terroriste. Ne renouvelons pas les erreurs que les États-Unis ont commises il y a dix ans. Combattre le terrorisme, ce n’est pas nécessairement contraindre les sociétés arabo-musulmanes à mûrir sur le plan démocratique. La transition démocratique a demandé des siècles à l’Europe. Combattre le terrorisme, c’est rendre la démocratie en Europe plus attrayante que la barbarie. C’est certes un combat international, mais c’est avant tout une exigence intérieure ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – MM. André Reichardt et Simon Sutour applaudissent également.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour le groupe UMP.

M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les attentats des 7, 8 et 9 janvier nous ont rappelé à quel point le terrorisme était un mal barbare et sournois. Nous tous, en France, avons compris l’urgente nécessité de lutter contre ce phénomène. Il s’agit désormais d’engager une guerre contre le terrorisme ; mais quel type de guerre, avec quels moyens et avec quels alliés ?

Bien entendu, il ne s’agit pas d’une guerre au sens classique du terme, nation contre nation. Il s’agit d’une guerre contre un mal invisible, diffus, qui gangrène notre société, nos propres jeunes, nés sur notre territoire, partant faire le djihad.

On le sait, la mondialisation et internet ont considérablement développé la puissance du terrorisme. À cet égard, l’objectif est clair : il faut traquer les actuels combattants djihadistes lorsqu’ils rentrent dans leur pays d’origine et, si possible, empêcher l’enrôlement de nouvelles jeunes recrues françaises.

Les moyens nécessaires pour conduire ces opérations sont bien entendu budgétaires, notamment pour le renseignement et les forces de police, mais aussi juridiques et politiques. Tous nos moyens doivent être réévalués à l’aune du risque terroriste, qui pourrait frapper à nouveau en France et partout en Europe.

Les attentats de Paris n’ont pas seulement touché la France : tout l’Occident se sent vulnérable. Dans le combat contre le terrorisme, l’Europe doit pouvoir constituer un atout majeur.

Au cours des jours ayant suivi les attentats de Paris, le débat sur la coordination européenne contre le terrorisme s’est accéléré.

Tout d’abord, les ministres de l’intérieur européens et américain se sont retrouvés à Paris le 11 janvier pour une première réunion d’urgence contre le terrorisme.

Puis la Lettonie, qui assume pour la première fois la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, a accueilli la semaine dernière à Riga un conseil Justice et affaires intérieures qui a réuni vingt-huit ministres de l’intérieur et de la justice pour examiner les réponses que peut apporter l’Union européenne afin de prévenir le terrorisme ou de lutter contre lui.

Enfin, le Conseil européen des 12 et 13 février prochains, qui, à l’origine, devait porter sur l’Union économique et monétaire, sera finalement consacré, pour l’essentiel, au terrorisme.

Ce débat préalable à la réunion du Conseil européen, demandé par la commission des affaires européennes du Sénat, va nous permettre d’aborder différents aspects de la lutte contre le terrorisme.

Mes chers collègues, avant tout, je tiens à apporter une précision. La commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, que j’ai l’honneur de coprésider, a décidé que ses réunions se tiendraient, pour l’essentiel, à huis clos et ne remettra son rapport que le mois prochain. Ainsi, je m’exprime ici non pas en son nom, mais au nom du groupe UMP.

Pour lutter contre ce fléau qu’est le terrorisme, les mesures que peut mettre en œuvre l’Union européenne sont de divers types.

Tout d’abord, la création d’un PNR européen, permettant la collecte et l’échange des données des dossiers des passagers, est envisagée.

L’échange de ces données entre États, de même que leur utilisation, pose un certain nombre de problèmes aux yeux de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et de son homologue européen, au regard du droit au respect de la vie privée et de la protection des données à caractère personnel. Ce sujet doit être examiné avec attention, particulièrement pour ce qui concerne les échanges de données avec les États-Unis : il semble que les données en question soient moins bien protégées par la législation américaine que par celles des États de l’Union européenne.

Cela étant, en matière de lutte contre le terrorisme, les partenariats entre États européens devraient s’organiser aussi dans d’autres domaines. Je songe notamment à la lutte contre les trafics d’armes à feu ou à la lutte contre les sites internet djihadistes.

On le sait, ces sites djihadistes foisonnent sur la « toile ». Ils sont modernes et extrêmement bien faits. Leur vocation première est de séduire les jeunes. Du reste, les recruteurs pour le djihad sont partout : qu’il s’agisse de Facebook ou de Twitter, ils ont compris l’intérêt que présentent pour eux les réseaux sociaux.

Dès lors, le signalement et la suppression des sites faisant l’apologie de la violence terroriste constituent un enjeu majeur. La décision-cadre du 13 juin 2002 permet déjà d’incriminer l’incitation publique à commettre une infraction terroriste. Néanmoins, même si la situation s’améliore progressivement, le blocage des sites reste difficile à obtenir de la part des fournisseurs d’accès à internet.

En application de la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme adoptée par notre pays en novembre dernier, un décret va permettre aux services de police de demander aux fournisseurs d’accès à internet de bloquer ces sites. Un autre projet de décret portera sur les moteurs de recherche. La véritable solution consisterait à nouer des partenariats entre opérateurs internet pour signaler tout contenu faisant l’apologie du terrorisme.

Par ailleurs, l’élaboration à l’échelon européen d’un contre-discours s’opposant à la propagande terroriste, à l’instar de ce qui vient d’être entrepris en France, est naturellement indispensable.

Je voudrais maintenant évoquer le nécessaire renforcement de la coopération opérationnelle.

M. André Reichardt. La coordination entre Europol et Eurojust, d’une part, et entre Europol et Interpol, d’autre part, a déjà été évoquée durant ce débat et elle le sera encore.

En effet, la coopération opérationnelle pourrait être développée à travers les deux agences européennes Europol et Eurojust. L’association plus systématique de ces deux instances aux équipes communes d’enquête et le développement des échanges d’informations par leur intermédiaire sont naturellement des pistes à explorer.

De même, la coordination devrait être renforcée à l’échelle internationale entre Europol et Interpol. Europol pourrait jouer un rôle spécifique dans la détection des djihadistes ou le suivi de leurs déplacements à l’intérieur de l’Union européenne. En conséquence, il semble nécessaire d’accroître significativement les moyens alloués à cette agence européenne.

Nous le savons, le contrôle des déplacements des combattants djihadistes au sein de l’Union doit être fortement renforcé. Certains de mes collègues du groupe UMP ne manqueront pas d’y revenir dans la suite de nos débats : le renforcement du système d’information Schengen, le SIS, devra être envisagé. En effet, c’est là un dispositif essentiel pour assurer la sécurité de l’espace Schengen.

Enfin, je mentionnerai quelques dernières pistes à explorer concernant certains des points qui viennent d’être abordés.

L’identification des personnes suspectées de terrorisme et la détection de leurs déplacements apparaissent aujourd’hui comme un impératif majeur. Nous devons donc nous orienter vers une révision ciblée du code Schengen. (M. le président de la commission des affaires européennes acquiesce.)

Il s’agirait d’abord de renforcer le contrôle aux frontières extérieures de l’espace Schengen. Quant aux frontières entre États membres, sans revenir à des contrôles systématiques, il conviendrait à mon avis de donner plus de latitude aux États membres pour effectuer des contrôles ponctuels en cas de menace à l’ordre public.

Par ailleurs, n’y a-t-il pas lieu d’harmoniser, à l’échelle européenne, la mise en œuvre du droit d’asile ?

M. André Reichardt. Quelle position adopter à l’égard des fondamentalistes poursuivis pour terrorisme dans leur pays ? Ces derniers sont-ils réellement, comme on pouvait l’affirmer jusqu’à présent dans certains pays de l’Union, des combattants de la liberté ? Et, une fois accordé, l’asile confère-t-il le droit de proférer les discours les plus hostiles, y compris à l’encontre du pays d’accueil ?

À défaut d’avoir une véritable politique étrangère et une défense qui lui soit propre, l’Europe, sur ce sujet crucial, doit imaginer et mettre en place des stratégies. Elle doit sortir de sa posture traditionnelle, qui consiste à produire de la réglementation ou, pis encore, à bloquer des réglementations en vertu d’un angélisme qui, en la matière, n’est absolument pas de mise…

Monsieur le secrétaire d’État, sur tous ces points, ou sur d’autres encore, pouvez-vous nous indiquer quelles demandes le Président de la République va présenter devant ses homologues lors du prochain Conseil européen ? Quelles nouvelles dispositions compte-t-il proposer ? Plus généralement, quelle stratégie forte à l’échelle européenne entend-il promouvoir ?

Le groupe UMP souhaite contribuer à l’unité nationale dans la lutte contre le terrorisme et mener un dialogue constructif avec le Gouvernement. Nous appelons de nos vœux un engagement fort de la France et de l’Europe dans la lutte contre ce nouveau fléau mondial du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Simon Sutour, pour le groupe socialiste.

M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat préalable au Conseil européen des 12 et 13 février revêt une importance toute particulière, près d’un mois après les terribles attaques terroristes qui ont frappé notre pays.

D’abord le choc, la colère et une infinie tristesse : dix-sept personnes assassinées, des blessés, des familles dans la peine et un pays touché au cœur, au plus profond de ses valeurs. Puis la réaction du peuple français, avec une mobilisation populaire historique pour dire son attachement aux valeurs de la République, au premier rang desquelles la liberté, et sa volonté de vivre paisiblement.

Les droits à la liberté et à la sécurité sont indissociables et sont d’ailleurs inscrits comme tels dans la Charte des droits fondamentaux adoptée par l’Union européenne en 2010.

La formidable mobilisation des citoyens européens et de leurs gouvernements s’est justement faite autour de ces valeurs communes. Certains reprochent parfois à la France et à l’Union européenne de vouloir imposer leurs valeurs, mais, il faut le dire, celles-ci ont vocation à être universelles !

C’est pour nous l’occasion de réaffirmer notre soutien au Président de la République et au Gouvernement, de saluer l’excellence de leur gestion de la crise et leur réponse qui rassure par son équilibre entre renforcement de la sécurité, protection des libertés et défense des valeurs de la République.

Si la menace terroriste impose de prendre des mesures fortes, à l’instar de celles que le Premier ministre et le ministre de l’intérieur ont exposées, il faut également rappeler qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème national, propre à la France. Au contraire, l’Europe et le monde entier y sont eux aussi confrontés.

Le Conseil européen qui se déroulera la semaine prochaine a donc vu son ordre du jour modifié. Il sera presque exclusivement consacré à la recherche d’une réponse commune de l’Europe au terrorisme, réponse qui doit bien évidemment s’inscrire dans la durée.

En effet, seule une réponse européenne forte, globale et coordonnée sera à même de contrer cette menace en combinant des mesures opérationnelles en matière de coopération policière et judiciaire, des actions de promotion de nos valeurs communes, une politique étrangère commune et une meilleure coordination en matière de lutte contre les foyers de terrorisme.

Le formidable élan de solidarité des Européens à l’égard des victimes de ces odieux attentats doit maintenant se traduire en actes. Comme je l’ai déjà dit à cette tribune lors du débat sur le prélèvement européen, au mois de novembre dernier, je regrette vraiment, par exemple, que l’Europe ne soit pas plus solidaire, en particulier, de la France, qui consacre un budget substantiel à des actions militaires extérieures au Mali, au Moyen-Orient ou ailleurs. Si elles ne sont pas financées par l’Europe, ces actions sont en phase avec les valeurs européennes.

Les attaques terroristes qu’a connues la France comme, hier, le Royaume-Uni, l’Espagne ou encore la Belgique, font ressortir la nécessité d’une coopération accrue, prenant en compte le fait que nous sommes passés d’une menace extérieure à une menace intérieure. En effet, si les actes terroristes étaient hier le fait d’étrangers, ils sont aujourd’hui celui de citoyens européens.

La France est très en avance dans ce domaine, car, dans de nombreux pays de l’Union européenne, il est impossible de poursuivre et de condamner des personnes qui préparent un attentat sans en avoir encore commis. L’harmonisation des textes réprimant le terrorisme ou organisant le contrôle des armes devrait constituer une priorité.

Les outils pour lutter contre ce nouveau fléau existent, et si la France dispose d’un arsenal législatif plutôt complet en la matière, l’Europe n’est pas pour autant dépourvue. Il est même possible d’affirmer que le maillon faible de la lutte antiterroriste européenne est le partage et l’échange d’informations entre États membres. Les obstacles ne sont donc pas insurmontables !

Europol, Eurojust, Interpol, Frontex, mandat d’arrêt européen, coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, réseau de sensibilisation à la radicalisation… Entre les instruments spécifiques que l’on connaît et ceux que l’on découvre ou redécouvre, les moyens de lutter contre le terrorisme sont là !

Cependant, l’Europe se heurte à un certain nombre de difficultés pour avancer plus efficacement dans cette lutte. L’accent doit être mis sur le partage des compétences, sur l’intégration des différents systèmes législatifs et leur transposition en droit interne, ainsi que sur la mise en œuvre effective des textes et des directives.

La politique européenne visant à lutter contre le terrorisme, mise en place en conséquence des attentats du 11 septembre 2001 à New York, est organisée depuis 2002 par une série de textes. Il a fallu ensuite les attentats de Madrid et de Londres pour que l’Europe définisse une véritable stratégie en la matière.

S’articulant selon quatre volets – prévention, protection, poursuites et réactions –, cette stratégie nécessite tout de même des ajustements profonds pour faire face, à traités constants, à la réalité actuelle du terrorisme, dans le respect des domaines régaliens, comme le maintien de l’ordre public et la sécurité intérieure.

À la veille du Conseil européen, il convient d’envoyer un message fort et d’identifier les pistes sur lesquelles il faut rapidement progresser : modification du code Schengen, mise en place d’un PNR européen, renforcement de la coopération policière, développement de la coopération judiciaire, ou encore amélioration de la coopération internationale dans les domaines de la politique étrangère et de sécurité commune.

Il faut dans le même temps, j’y insiste, garder à l’esprit la nécessité de préserver les libertés fondamentales des citoyens européens. Notre ancien collègue Robert Badinter le dit très justement : il faut répondre au terrorisme sans pour autant créer la société voulue par les terroristes.

Je souhaite mettre l’accent sur deux points en particulier : le renforcement du traité de Schengen et le PNR.

Concernant l’espace Schengen, il faut d’abord souligner qu’il sert très souvent de bouc émissaire à une partie de la droite et de l’extrême droite, plus par anti-européanisme que pour de véritables raisons objectives ; néanmoins, des ajustements sont bien sûr possibles et même nécessaires.

Il est urgent d’approfondir deux points en particulier : le développement et la facilitation de la consultation du système d’information Schengen « SIS II » et l’amélioration du contrôle des entrées et des sorties par des frontières dites « intelligentes ». Il faut également rappeler que l’espace Schengen est d'ores et déjà assez souple, puisqu’il est possible d’introduire des contrôles aux frontières intérieures en cas d’urgence.

Pour résumer, je le répète, les outils sont là, il convient désormais de mieux les employer. Il n’est pas question de supprimer Schengen, mais au contraire de l’approfondir pour permettre de mieux maîtriser nos frontières et d’aller plus loin dans le partage des systèmes d’information.

Concernant le PNR, la proposition de directive relative à l’utilisation des données des dossiers des passagers pour la prévention et la détection des infractions terroristes a été présentée par la Commission européenne en 2007 et refondue en 2011.

Des accords bilatéraux avec les États-Unis existent. Dans les faits, les compagnies aériennes sont tenues de transmettre des données pour avoir la possibilité de faire atterrir leurs avions sur le territoire américain.

Le PNR existe donc bel et bien. Le danger, s’il n’est pas mis en place au niveau européen, est d’aboutir à une situation d’opacité, avec de multiples PNR non encadrés et une absence totale de contrôle des données échangées, emportant une atteinte très grave à nos droits fondamentaux.

Le débat oppose, d’un côté, la Commission européenne et la majorité des États membres, qui souhaitent l’adoption rapide d’un PNR européen, et, de l’autre, un Parlement européen réticent, craignant pour les droits fondamentaux et ayant déjà rejeté, en avril 2013, la proposition de directive. Ce débat est utile, mais il ne doit pas tout bloquer.

J’ai présenté cet après-midi, en commission des affaires européennes, une proposition de résolution qui a été adoptée à l’unanimité, tous groupes politiques confondus, indiquant que, eu égard à la gravité des menaces terroristes de toute nature qui pèsent sur nos sociétés, il est impératif de mettre en place rapidement un système PNR européen. Seule la mise en œuvre d’un tel système est propre à assurer une coordination efficace entre les PNR nationaux, tout en apportant les garanties indispensables en matière de protection des données personnelles.

Aujourd’hui, mes chers collègues, il est temps pour l’Europe de donner des réponses à ses citoyens, qui la voient trop souvent comme une somme de contraintes – votre prédécesseur, monsieur le secrétaire d’État, évoquait parfois une « maison de correction ». La vocation de l’Europe est également de leur assurer la sécurité, ainsi qu’un haut niveau de garantie de leurs droits fondamentaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. –M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)