Sommaire

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

Secrétaires :

M. Jean Desessard, Mme Valérie Létard.

1. Procès-verbal

2. Questions orales

couverture mobile du territoire

Question n° 953 de M. Pierre Médevielle. – Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique ; M. Pierre Médevielle.

défaut de couverture en téléphonie mobile

Question n° 960 de Mme Gisèle Jourda. – Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique ; Mme Gisèle Jourda.

chancre coloré et expérimentations alternatives à l'abattage

Question n° 942 de M. Roland Courteau. – Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique ; M. Roland Courteau.

situation des chantiers stx de lorient

Question n° 952 de M. Michel Le Scouarnec. – Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique ; M. Michel Le Scouarnec.

devenir de l'entreprise sanofi

Question n° 965 de M. Pierre Laurent. – Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique ; M. Pierre Laurent.

reconnaissance du burn-out en tant que maladie professionnelle

Question n° 957 de M. Yannick Vaugrenard. – M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Yannick Vaugrenard.

trains d'équilibre du territoire

Question n° 947 de M. Alain Joyandet. – M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Alain Joyandet.

services publics en zone rurale

Question n° 962 de M. Bernard Fournier. – M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Bernard Fournier.

conséquences du règlement européen reach sur la production de plantes à parfum françaises et la production de lavande

Question n° 970 de M. Jean-Yves Roux. – M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Jean-Yves Roux.

situation de l'hôpital d'Apt

Question n° 955 de Mme Delphine Bataille, en remplacement de M. Claude Haut. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie; Mme Delphine Bataille.

formation des masseurs-kinésithérapeutes

Question n° 937 de Mme Delphine Bataille. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie; Mme Delphine Bataille.

refonte des statuts de l’association en charge de la gestion de l’hôpital foch de suresnes

Question n° 995 de M. Philippe Kaltenbach. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie; M. Philippe Kaltenbach.

conventions tripartites

Question n° 968 de M. Jacques Genest. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie; M. Jacques Genest.

travailleurs frontaliers et couverture maladie universelle

Question n° 958 de M. Cyril Pellevat. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie; M. Cyril Pellevat.

fermeture de la trésorerie de mourmelon-le-grand

Question n° 969 de M. Yves Détraigne. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget; M. Yves Détraigne.

surcoût lié aux opérations de désamiantage dans les logements sociaux

Question n° 950 de Mme Dominique Estrosi Sassone. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget; Mme Dominique Estrosi Sassone.

logement des femmes et enfants de moins de trois ans ayant besoin d'un soutien

Question n° 971 de Mme Dominique Gillot. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget; Mme Dominique Gillot.

permis de construire

Question n° 963 de M. Michel Houel. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget; M. Michel Houel.

mesures à venir contre l'usurpation de plaques d'immatriculation

Question n° 956 de Mme Catherine Procaccia. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget; Mme Catherine Procaccia.

3. Mise au point au sujet d’un vote

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

4. Éloge funèbre de Jean-Yves Dusserre, sénateur des Hautes-Alpes

MM. le président, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

5. Demande de création d’une commission d’enquête

6. Scrutins pour l'élection de membres représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

7. Accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis. – Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Michel Billout, auteur de la proposition de résolution

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques, rapporteur

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger

M. Claude Kern

M. Daniel Raoul

M. André Gattolin

M. Éric Bocquet

M. Jacques Mézard

M. Jean-Baptiste Lemoyne

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État

Clôture de la discussion générale.

Vote sur l’ensemble

Mme Nicole Bricq

Adoption de la proposition de résolution européenne dans le texte de la commission.

8. Élections de membres représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

9. Demande d’avis sur un projet de nomination

10. Représentation équilibrée des territoires. – Adoption d’une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Philippe Bas, coauteur de la proposition de loi constitutionnelle

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Mme Esther Benbassa

M. Philippe Kaltenbach

M. Philippe Adnot

Mme Éliane Assassi

M. Jacques Mézard

M. François Zocchetto

M. Bruno Sido

M. Gérard Bailly

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

M. Hervé Maurey

Mme Nicole Duranton

M. Jean-Jacques Lasserre

M. François Bonhomme

M. Jacques Genest

Article 1er

Amendement n° 1 de M. Philippe Kaltenbach. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 2

Adoption de l’article.

Vote sur l’ensemble

Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission.

11. Dépôt de documents

12. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

Mme Valérie Létard.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-Verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 29 janvier 2015 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

couverture mobile du territoire

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, auteur de la question n° 953, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique.

M. Pierre Médevielle. Ma question porte sur un sujet qui n’est certes pas original, mais le problème est hélas ! récurrent : je veux parler du défaut de couverture en téléphonie mobile dans certains territoires, notamment dans mon département de la Haute-Garonne. Néanmoins, la question intéresse également tous les départements voisins, en particulier ceux du Sud-Ouest, voire certains départements du Sud-Est.

Nous avons écouté avec beaucoup d’intérêt les annonces faites au Sénat, en salle Médicis, par Mme la secrétaire d’État concernant l’avenir du numérique, avec des programmes très ambitieux – et qui le sont de plus en plus. Comme vous le savez, nos prétentions sont beaucoup plus modestes en la matière, car nous ne bénéficions même pas d’une couverture mobile correcte ! J’en ai récemment encore eu la preuve lors de la dernière campagne sénatoriale : dans le sud de mon département, comme dans les Hautes-Pyrénées, les Pyrénées-Atlantiques ou les Pyrénées-Orientales, il est quasiment impossible de bénéficier d’un accès normal à un réseau de téléphonie mobile.

Il est souhaitable que le Gouvernement fasse pression sur les opérateurs de téléphonie mobile afin que l’on réfléchisse en pourcentage du territoire couvert et non en pourcentage de la population. Il s’agirait d’un changement d’unité de mesure important, car on « trompe » en quelque sorte nos concitoyens en raisonnant en pourcentage de la population.

Nos communes, déjà situées dans des territoires enclavés et éloignés des pôles d’activités, sont d’autant plus pénalisées que l’accès aux télécommunications est un facteur indispensable pour leur développement économique et touristique dont nous avons en ce moment plus que jamais besoin.

Par ailleurs, cette carence ne manque pas de poser de sérieux problèmes dans le domaine de l’organisation des secours et des soins médicaux d’urgence, notamment en montagne. Je peux en témoigner en tant que professionnel de santé.

Madame la secrétaire d’État, quelles mesures pouvons-nous prendre, en concertation avec le Gouvernement, afin de pousser les opérateurs vers la mise en place d’une meilleure couverture du territoire français, à défaut d’une couverture intégrale, ce qui semblerait un projet un peu utopiste ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur Pierre Médevielle, vous l’avez souligné, avec le plan France Très Haut Débit, le Gouvernement s’est doté d’un instrument ambitieux de déploiement de nouveaux réseaux fixes – internet – dans les territoires.

Ces nouveaux réseaux à très haut débit correspondent à une réelle attente de nos concitoyens et des entreprises installées en France. Leur déploiement rend plus évidents encore les défauts de couverture en téléphonie mobile. Or il ne faudrait pas que l’on oppose un type de réseau à un autre. L’heure est de plus en plus à la convergence des réseaux, y compris en matière d’offres commerciales proposées par les opérateurs de téléphonie. Il nous faut entendre la colère qu’expriment parfois nos concitoyens ne bénéficiant pas d’une bonne couverture mobile, notamment lorsqu’il s’agit pour eux de joindre les services d’urgence ou les services médicaux en cas de situation problématique.

J’estime donc qu’il faut construire un second pilier de l’action du Gouvernement en faveur de la couverture de nos territoires en infrastructures numériques afin qu’aucune zone ne soit oubliée et que la généralisation de l’accès à internet ne devienne pas une double peine pour les territoires ruraux.

En matière de mobile, nous disposons d’une couverture plutôt meilleure que celle de tous nos voisins européens. Les chiffres figurant sur le site de l’ANFR, l’Agence nationale des fréquences, sont clairs. Les opérateurs mobiles couvraient, fin 2013, en métropole, plus de 99,9 % de la population en téléphone mobile de deuxième génération, ou 2G – bas débit mobile –, et plus de 99 % de la population en téléphonie mobile de troisième génération, ou 3G – haut débit mobile. Seule une proportion de 1,5 % de la surface du territoire métropolitain n’est couverte par aucun opérateur en 2G.

Cependant, ces chiffres ne correspondent pas toujours au ressenti des utilisateurs, surtout lorsque les conversations téléphoniques sont coupées lors des déplacements. Le nouveau président de l’autorité de régulation sectorielle, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, récemment nommé par le Président de la République, a confirmé sa volonté de travailler à la définition d’indicateurs traduisant mieux la réalité vécue par nos concitoyens.

Mais changer le thermomètre ne modifie en rien l’état du malade. C’est pourquoi j’ai annoncé mon intention de reprendre l’initiative en matière de couverture mobile des zones rurales, qui n’ont plus fait l’objet d’intervention de l’État depuis 2008.

Des travaux sont désormais en cours pour définir un mécanisme qui exige la mobilisation des services de l’État et l’ensemble des acteurs concernés, avec trois objectifs.

Premièrement, il s’agit d’ouvrir les cent soixante-dix communes identifiées, au-delà des précédents programmes zones blanches, qui ne disposent d’aucune couverture mobile.

Deuxièmement, il s’agit de répondre à un manque évident des programmes précédents, qui ne permettaient pas d’assurer la couverture de l’ensemble de la population des communes puisqu’ils ne visaient que les centres-bourgs. Il faut en effet pouvoir répondre aux besoins des communes les plus mal couvertes.

Troisièmement, au-delà du service téléphonique de base, il convient de s’assurer que les territoires ruraux disposent de l’accès à l’internet mobile en 3G. Un programme de couverture en 3G de 3 900 communes par l’ensemble des opérateurs devait être achevé fin 2013. Or il ne l’a pas été. Le Gouvernement travaillera avec l’ARCEP pour que l’objectif de ce programme soit atteint, ce qui permettra aussi de limiter les zones grises de la 3G.

Nous sommes donc au travail et souhaitons aboutir le plus rapidement possible à une proposition. Cette dernière sera discutée avec les représentants des collectivités et les opérateurs afin que cette situation inacceptable ne se prolonge pas.

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Je suis ravi, madame la secrétaire d’État, que vous fassiez le distinguo entre les arguments commerciaux des opérateurs, qui annoncent une couverture en 2G, parfois en 3G, et le ressenti dans la réalité de nos concitoyens, car les deux ne coïncident pas. Il est important que le Gouvernement ait bien pris la mesure de ce problème, qui ne manque pas – j’insiste sur ce point – de poser de sérieuses difficultés pour l’organisation des secours et des gardes, nuisant à la qualité et à la proximité de l’offre de santé pour nos concitoyens.

défaut de couverture en téléphonie mobile

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, auteur de la question n° 960, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique.

Mme Gisèle Jourda. Madame la secrétaire d’État, ma question est similaire à celle que vient de soulever mon collègue. Elle porte sur le défaut de couverture en téléphonie mobile, mais dans certaines communes du département de l’Aude, département voisin de celui de Pierre Médevielle…

Depuis 2004, de nombreuses initiatives départementales, régionales et intercommunales – il faut le souligner – ont permis de résorber la majorité des « zones blanches résiduelles de téléphonie mobile 2G » selon la définition retenue par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, dans le département de l’Aude.

Je tiens notamment à saluer l’investissement plein et entier du conseil général de l’Aude dans le programme national de résorption des zones blanches de téléphonie mobile engagé en 2003 par la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, la DATAR.

Le premier rapport du comité interrégional pour le développement et l’aménagement des Pyrénées a ainsi identifié en 2012 dix-sept communes en « zone blanche » de non-réception. Mais nous savons d’expérience, et grâce aux contacts que nous avons avec les maires, que le chiffre réel est largement supérieur à celui-ci puisqu’une quarantaine de communes environ, voire plus, seraient concernées.

Toujours en 2012, le syndicat audois d’énergies a été chargé d’achever le programme départemental de résorption des « zones blanches » de téléphonie mobile. L’opération de conception et de réalisation des infrastructures de téléphonie mobile est prête, mais elle est suspendue à l’acceptation des opérateurs de téléphonie d’exploiter le site.

Sur la commune de Marquein, les travaux d’alimentation électrique du site ont été engagés et permettront de couvrir treize autres communes, soit près de 2 000 habitants de plus. Néanmoins, à ce jour, les négociations avec l’opérateur historique sur le département de l’Aude – SFR pour ne pas le citer – n’ont pas abouti à un accord permettant de répondre aux forts besoins en téléphonie mobile ni de respecter le modèle et les principes.

Madame la secrétaire d’État, le défaut de couverture en téléphonie mobile est d’autant plus problématique que la distribution de la téléphonie fixe est régulièrement déficiente, tout particulièrement dans l’arrière-pays rural, que ce soit dans les Corbières, le Minervois, la montagne Noire ou en Pyrénées audoises.

En effet, l’absence constante d’entretien des lignes téléphoniques fixes – pour ne pas dire leur abandon quasi complet – provoque très régulièrement des coupures prolongées – quinze jours, voire trois semaines. Dans ces secteurs ruraux, cela peut s’apparenter à une mise en danger d’autrui, notamment en cas d’accident, de maladie ou de soins pour les personnes âgées souvent maintenues à domicile.

Un tel désengagement peut avoir des conséquences extrêmement graves pour les populations vivant dans ces zones. La disposition des moyens élémentaires de communication étant devenue un facteur évident et incontournable de développement du territoire et de sécurité pour les habitants, il importe de tout mettre en œuvre pour répondre pleinement à l’ensemble de ces besoins.

Madame la secrétaire d’État, quelles mesures entendez-vous prendre pour que les opérateurs téléphoniques mettent un terme à ces situations et répondent enfin aux obligations afférentes à leurs activités ?

Lors des conclusions des Assises des ruralités, la ministre de l’égalité des territoires, Sylvia Pinel, a annoncé un plan pour la résorption des zones blanches et grises de téléphonie mobile dont les détails devraient être connus dans le courant du mois de février. Les élus de l’Aude saluent cette volonté et je profite de cette occasion pour rappeler au Gouvernement, madame la secrétaire d'État, à quel point nos attentes sont grandes.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Madame la sénatrice Gisèle Jourda, vous avez raison de souligner à quel point les attentes et les préoccupations de nos concitoyens au sujet de la couverture fixe et mobile de nos territoires sont grandes. Le Gouvernement les entend ; il en a fait une priorité de son action.

Avec le plan France Très Haut Débit, nous avons souhaité engager le plus rapidement possible, avec les moyens budgétaires afférents, le chantier qui doit être structurant pour nos infrastructures numériques de demain.

Toutefois, cela ne suffit pas ; il faut d’abord entretenir un réseau qui ne l’est pas toujours puis s’interroger sur la qualité du réseau mobile à l’heure où les opérateurs formulent des propositions commerciales convergentes et où le ressenti de la population en matière de qualité de couverture ne correspond pas aux chiffres affichés.

Je vous répondrai tout d’abord sur la qualité des services du réseau téléphonique. Orange, en tant que prestataire du service universel, doit respecter un cahier des charges qui comporte des exigences fortes en matière de qualité du service fixe, notamment concernant le temps de réparation d’une défaillance téléphonique. Nous avons été alertés, de même que l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, d’une dégradation de ce réseau au début de l’année dernière. C’est dans ce contexte que deux enquêtes administratives ont été ouvertes le 27 mai 2014.

À l’issue de ces enquêtes, le 28 novembre 2014, la société Orange s’est engagée à respecter un plan d’amélioration de la qualité des services offerts sur ses réseaux fixes, articulé autour de trois mesures permettant de répondre aux problèmes constatés.

La première consiste à accorder des moyens supplémentaires aux unités d’intervention, notamment pour résoudre le stock de défaillances en instance. La deuxième concerne l’anticipation des dégradations futures de la qualité de service. La troisième a trait au renforcement de l’information des collectivités territoriales, notamment sur les évolutions du réseau, et à l’intensification de la collaboration avec celles-ci et avec les élus locaux sur les détections et le traitement des dysfonctionnements, particulièrement en cas de crises – tempête, inondation… – qui exigent une information rapide à l’adresse de la population. Mes équipes ont particulièrement insisté auprès de l’opérateur sur ce dernier point. Des lignes téléphoniques dédiées aux élus locaux ont été mises en place. Encore faut-il pouvoir les utiliser, grâce à la téléphonie mobile ; or celles-ci ne sont pas toujours opérationnelles. Il est tout de même formidablement paradoxal qu’à l’heure du numérique tous les moyens destinés à assurer une information en temps réel sur l’état de dégradation d’un réseau ne soient pas mis à disposition.

Ce plan d’amélioration de la qualité doit désormais se mettre en œuvre. J’y serai particulièrement vigilante, car je partage vos conclusions, madame la sénatrice : il s’agit effectivement d’un service essentiel pour nos concitoyens, en particulier pour les personnes âgées.

S’agissant des réseaux mobiles, comme je l’ai indiqué à votre collègue M. Médevielle, des travaux sont désormais en cours pour définir un nouveau programme de couverture. Sa conception prend un certain temps puisqu’il s’agit d’inclure désormais dans l’action du Gouvernement un programme dédié à la couverture mobile parallèlement au programme concernant le réseau fixe.

Vous avez souligné l’engagement du département ces dernières années en vue d’assurer une bonne qualité de couverture mobile. Cet engagement ne saurait suffire ; les opérateurs téléphoniques et l’État doivent pleinement jouer leur rôle.

Le programme que je souhaite mettre en place répondra à trois objectifs.

Il faut d’abord couvrir les 170 communes qui ont été identifiées comme ne disposant d’aucune couverture mobile, y compris de deuxième génération.

Il importe ensuite de répondre à un manque évident des programmes précédents sur les zones blanches : ces programmes visaient exclusivement les centres-bourgs et ne permettaient donc pas d’assurer la couverture de l’ensemble de la population des communes. Il faut en effet pouvoir répondre aux besoins des communes les plus mal couvertes.

Enfin, au-delà du service téléphonique de base, il faut s’assurer que les territoires ruraux disposent de l’accès à l’internet mobile de troisième génération. Un programme de couverture en 3G concernant 3 900 communes aurait dû être achevé par les opérateurs à la fin de l’année 2013 ; cela n’a pas été le cas. Le Gouvernement travaillera avec l’ARCEP pour que l’objectif de ce programme soit atteint, ce qui aurait pour effet de limiter les zones grises de la 3G.

Ce programme devrait permettre de répondre aux difficultés que vous décrivez dans l’Aude, madame la sénatrice, une situation dont j’ai été personnellement informée, en particulier par vous-même. Les différentes démarches qui ont été effectuées à l’issue de vos interventions n’ont pas permis d’aboutir, faute d’obligation des opérateurs concernés d’assurer la couverture des sites qui ont été identifiés dans ce département.

C’est la raison pour laquelle le programme que j’entends désormais proposer devra répondre à ce type de situation.

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État. Je forme le souhait que les communes concernées soient non pas uniquement celles qui ont été identifiées par l’ARCEP, mais également celles qui ont été répertoriées par l’étude.

chancre coloré et expérimentations alternatives à l'abattage

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, auteur de la question n° 942, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Roland Courteau. Madame la secrétaire d’État, voilà quelques années, nous découvrions, sans trop mesurer les conséquences sur le long terme, que certains platanes longeant le canal du Midi étaient touchés par la maladie du chancre coloré. On nous indiquait alors que, cette maladie étant extrêmement contagieuse, la seule solution, en l’absence de tout traitement possible, était l’abattage.

Or, l’abattage, s’il n’a pu endiguer la maladie, a eu des effets ravageurs. Depuis 2011, pas moins de 10 000 platanes ont été abattus, dont près de 4 000 pour la seule année passée. Les faits sont là ; nous n’arrivons pas à endiguer cette maladie, en conséquence de quoi, en de nombreux endroits, la très appréciée voûte végétale du canal du Midi, lequel est inscrit par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité, est ainsi détruite tandis que, parallèlement, l’on constate la progression rapide de ce champignon en d’autres lieux.

Depuis plusieurs mois, nous défendons, au moins à titre d’expérimentation, le procédé de micro-injection développé à Toulouse par le Centre d’expertise en techniques environnementales et végétales, le CETEV, comme solution alternative à l’abattage massif des platanes touchés par ce mal.

La direction générale de l’alimentation, la DGAL, était favorable, sur le principe, à ce type d’expérimentation si les modalités d’application et les risques associés étaient évalués au préalable. Or ces modalités ont été définies dans le protocole élaboré conjointement par le CETEV et la DGAL, qui a été soumis à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, le 20 octobre 2014.

Nous attendons toujours, en ce qui nous concerne, que les services du ministère de l’agriculture donnent le feu vert.

Je me réjouissais, voilà quelques mois, que le principe d’une expérimentation de ce nouveau protocole de traitement préventif ou curatif précoce par micro-injection ait été retenu ; mais, depuis, nous attendons...

Or, il devient extrêmement urgent d’agir. Il devient urgent de lancer cette expérimentation et de tester le traitement. Ou alors, les mois et les années passant, si nous attendons trop, il n’y aura plus un seul arbre à sauver lorsqu’on lancera le traitement, les 40 000 platanes ayant déjà été abattus !

Ma question est donc simple : le ministère de l’agriculture va-t-il rapidement donner son feu vert à cette expérimentation ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur Roland Courteau, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence du ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, qui est retenu à l’Assemblée nationale pour une séance de questions orales sans débat se tenant parallèlement à celle-ci.

Vous parlez du chancre coloré, une maladie grave due à un champignon qui cause chaque année la mort de nombreux platanes. C’est un organisme nuisible réglementé, contre lequel la lutte est obligatoire. Il est présent dans tout le sud de la France – Aquitaine, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes. Les régions limitrophes ont effectué un suivi qui n’a conduit à aucun signalement en 2014.

Malgré les mesures de lutte obligatoire, cette maladie continue à progresser sur les territoires déjà affectés, notamment le long du canal du Midi en Midi-Pyrénées et récemment sur la commune d’Arcachon, en Aquitaine.

Le ministère de l’agriculture est très attentif au suivi de ce phénomène et à l’émergence de solutions innovantes de traitement. Pour réduire le nombre d’arbres abattus de manière préventive, plusieurs projets d’expérimentation – vous y avez fait référence – visant à favoriser la pénétration de produits phytosanitaires efficaces ont été élaborés en France et dans d’autres pays. Ainsi, une méthode qui consiste à injecter un fongicide directement dans le tronc est en cours de développement.

Les résultats préliminaires obtenus sont encourageants d’un point de vue scientifique mais, à ce jour, aucune stratégie de lutte vraiment efficace pour soigner les arbres atteints n’a encore été mise au point. Si les traitements cités semblent freiner le développement de la maladie, ils ne parviennent pas à tuer complètement le ravageur et n’empêchent donc pas la dissémination ultérieure de la maladie. C’est la raison pour laquelle il a été estimé, à ce stade, que les expérimentations devaient continuer.

Nous partageons naturellement votre sentiment d’urgence, monsieur le sénateur. Cependant, avant d’amplifier la prévention et la lutte, il faut s’assurer de l’efficacité du dispositif.

À l’heure actuelle, l’abattage des arbres infestés et environnants demeure donc la seule méthode efficace pour lutter contre le ravageur. La poursuite des abattages est indispensable, malheureusement, pour éviter une trop forte progression du chancre coloré dans les régions infestées.

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse, qui ne me satisfait pas pour autant. Je suis même plutôt irrité ! Vous n’y êtes pour rien, madame la secrétaire d'État, mais cela fait plus d’un an que nous attendons le feu vert pour lancer avec le CETEV l’expérimentation sur le canal du Midi et que l’on nous répond la même chose. Or, dans votre réponse, vous n’avez pas mentionné la moindre date, le moindre délai de mise en œuvre de celle-ci. « C’est une question de semaines », nous avait-on dit il y a un an ! Et, pendant ce temps, l’abattage des arbres se poursuit… Restera-t-il des platanes sur les 30 000 encore en place avant que l’expérimentation n’ait lieu ?

Je ne comprends pas cette attente, ces durées excessives alors que la maladie progresse à grands pas. Je pensais que l’on avait compris qu’une course de vitesse était engagée contre cette maladie : 40 000 platanes menacés le long du canal du Midi, lui-même inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, cela mériterait, à mon sens, un peu plus de rapidité et un maximum d’attention !

situation des chantiers stx de lorient

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, auteur de la question n° 952, adressée à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, de nombreuses activités industrielles sont liées à l’identité maritime du département du Morbihan, à l’image du port de pêche de Lorient, mais aussi des chantiers STX de Lorient.

Ces chantiers traversent une situation délicate puisque la direction de STX France a engagé une procédure de licenciement collectif de quarante-sept salariés, soit 50 % de l’effectif actuel, qui compte quatre-vingt-dix-sept personnes.

Cette déclaration a légitimement accablé l’ensemble du personnel, qui a porté une volonté ambitieuse de poursuite des activités avec la construction de sept navires en un peu plus d’un an. Tous ces projets se sont révélés à l’équilibre malgré un effectif en constante diminution, ce qui prouve que le savoir-faire de ces travailleurs et leurs compétences ne sont plus à démontrer.

Alors que la société STX Lorient dispose d’une main-d’œuvre qualifiée et expérimentée, sa situation difficile s’explique par le manque de commandes.

Les récentes annonces de la direction ne permettent pas d’envisager sereinement l’avenir, d’autant que le service commercial et le service projets ne sont plus présents sur le site, ce qui complexifie encore plus la visibilité et la reconnaissance de l’entreprise par d’éventuels commanditaires.

Les salariés de STX Lorient connaissent leur potentiel de production. Ils demandent non pas des moyens inconsidérés pour sauvegarder leur outil de travail, mais simplement une reconnaissance de leurs compétences, qui peuvent être plus qu’utiles dans la bataille de la compétitivité industrielle à laquelle notre pays est confronté.

Ainsi, les salariés portent un projet alternatif au plan social de l’entreprise, axé sur l’anticipation des travaux sur les bateaux, la formation professionnelle pour accroître la polyvalence des compétences, le prêt de personnels ou encore la construction de panneaux armés pour les paquebots ou d’une barge. Ce dernier projet rapporterait à lui seul 15 000 heures de travail et coûterait moins cher à mettre en œuvre que le plan social.

Le chantier STX de Lorient est important pour l’ensemble du Morbihan, car 250 sous-traitants dépendent également de la pérennité de ses activités. La région Bretagne, consciente du potentiel de l’entreprise, est prête à accorder des moyens à la formation professionnelle, après avoir déjà investi 50 millions d’euros pour le port de Lorient, dont 5 millions d’euros spécifiquement pour STX avec l’aménagement du quai de transport de chalands de débarquement, sur la rive gauche du Scorff.

Par ailleurs, les autres chantiers seraient à saturation, ce qui prouve que, si l’on s’en donnait les moyens, des solutions et des perspectives existeraient.

Après la rencontre avec une délégation du personnel le 8 janvier dernier à Matignon et au ministère de la défense, il serait opportun de s’interroger sur les dispositions que l’État pourrait prendre pour venir en aide à toutes les entreprises qui, à l’image de STX Lorient, possèdent un dispositif aguerri de production, malheureusement ralenti par un manque de projets ou de commandes.

Madame la secrétaire d'État, quels engagements concrets pouvez-vous prendre aujourd’hui afin d’apporter un peu d’espoir aux salariés de STX Lorient ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord d’excuser M. le ministre de l’économie, qui est actuellement mobilisé sur le projet de loi pour la croissance et l’activité, en discussion à l’Assemblée nationale. Il m’a chargée de vous transmettre sa réponse.

La société STX France Lorient est une filiale de STX France SA. Elle est spécialisée dans la construction navale, notamment de patrouilleurs militaires et de petits ferries, et emploie 94 salariés, dont 4 personnes en détachement de STX France SA ou mises à disposition par un groupement d’employeurs.

Depuis la création de STX France Lorient en 1993, ce sont plus de 30 navires qui sont sortis des cales de cette entreprise. Le site combine à la fois la taille humaine, la flexibilité, l’écoute du client. C'est la raison pour laquelle il a pu devenir une référence pour certains segments du marché, notamment les patrouilleurs et les prototypes. Ce résultat s’explique aussi par l’excellence de ses travailleurs, que vous avez eu raison de souligner.

Le chantier fait toutefois face depuis plusieurs années à des difficultés financières, avec des prises de commandes insuffisantes sur un marché très concurrentiel. Aucune commande n’a été engrangée depuis juillet 2013, en dépit des annonces concernant le plan de charge de STX. Celui-ci se limite à la construction d’un patrouilleur pour la marine du Sénégal, dont la livraison était prévue en janvier dernier, et la fabrication de cheminées pour STX France SA, qui doivent être livrées en mai 2015.

Dans ce contexte, l’adaptation d’une stratégie industrielle et la restructuration paraissent indispensables pour éviter le pire. La chaudronnerie et la fabrication de coques en sous-traitance vont ainsi aider à améliorer la remise en situation du chantier, qui a bénéficié d’apports en liquidités de la part de sa maison mère à hauteur de 18 millions d’euros au début de l’année 2014.

Cette stratégie implique malheureusement la suppression de 47 postes chez STX Lorient. Tout sera toutefois mis en œuvre pour en limiter les effets, notamment en travaillant sur le reclassement interne, qui devra limiter au maximum le nombre de licenciements effectifs.

La société a répondu à un appel d’offres passé par le conseil général du Morbihan pour la construction d’un navire de desserte de l’île de Groix. La réponse est prévue en mars 2015. Si l’État ne peut pas interférer dans la commande publique d’une collectivité, il sait le conseil général du Morbihan, autorité en matière de transport maritime, soucieux de l’enjeu industriel lié à cette commande.

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Madame la secrétaire d'État, vous n’avez pas vraiment apporté de réponse à la question que j’ai posée. Je suis déçu que la qualité et la compétence de la main-d’œuvre ne soient pas davantage prises en compte.

S’agissant de la commande du conseil général du Morbihan, je suis déjà intervenu l’an dernier auprès de cette collectivité pour lui demander d’accélérer le dossier. Néanmoins, il n’est pas certain que STX Lorient remporte le marché. Les travailleurs n’ont donc aucune certitude que le licenciement de personnels, que vous reconnaissez être très bien formés, performants et compétents, puisse être limité.

La situation est extrêmement douloureuse. Ces travailleurs auraient voulu des assurances pour leur avenir ; ils n’en ont pas aujourd'hui. Le reclassement n’est pas une solution, car cela revient à des pertes d’emploi. Alors que, comme vous l’avez rappelé, 30 navires ont été construits depuis 1993 et que STX a été reconnue comme une entreprise de qualité, à taille humaine, 47 suppressions de poste sont prévues.

Les travailleurs de STX Lorient ne peuvent qu’avoir peur du lendemain, alors que d’autres chantiers débordent de commandes. L’État n’a-t-il pas comme mission de sauver des entreprises ? En tout cas, je le redis, le reclassement n’est pas une solution.

devenir de l'entreprise sanofi

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, auteur de la question n° 965, adressée à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

M. Pierre Laurent. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur la situation de l’entreprise Sanofi.

Vous le savez, Sanofi représente de 30 % à 40 % du potentiel national de l’industrie pharmaceutique française et a une importante activité internationale. Le résultat net de ses activités a été de 6,8 milliards d’euros en 2013, et les projections sur 2014 laissent envisager une progression de 5 % de celui-ci. Les économistes estiment que la rentabilité financière de Sanofi est l’une des meilleures de l’industrie pharmaceutique mondiale. L’entreprise fait partie des premières capitalisations boursières au CAC 40.

Or, rien qu’en 2013 Sanofi a reçu 136 millions d’euros d’aides publiques, au titre du CICE, le crédit d’impôt compétitivité emploi, et du CIR, le crédit d’impôt recherche : j’ajoute que l’industrie pharmaceutique est financée en France au travers de la sécurité sociale. Le montant des aides sera très certainement du même niveau en 2014 et en 2015.

Pourtant, Sanofi continue de redistribuer la plus grande part de ses bénéfices aux actionnaires. En même temps, elle a supprimé en France, depuis 2008, plus de 5 000 emplois. Ces dernières années, ces suppressions ont été grandement facilitées par la loi du 14 juin 2013 prétendument relative à la sécurisation de l’emploi. La direction de l’entreprise vend, ferme et cède des sites et des activités sans se soucier ni des salariés, ni de la sécurité sanitaire, ni même de l’indépendance thérapeutique du pays et du maintien de son potentiel scientifique.

Face à cette situation préoccupante, de très nombreux salariés et leurs représentants syndicaux exigent un véritable contrôle des fonds publics versés à cette entreprise, notamment par le CICE et le CIR. Au vu de la situation et des fonds publics reçus, ils estiment également à juste titre que les pouvoirs publics doivent s’opposer aux suppressions d’emplois décidées par la direction.

La loi dite de sécurisation de l’emploi a finalement des effets contraires à ses objectifs affichés : ses dispositions paraissent en effet de plus en plus favorables aux groupes qui licencient, et non l’inverse – Sanofi en est un triste symbole. Ne serait-il pas souhaitable, à la lumière de l’expérience, de revenir sur cette loi et d’inscrire rapidement à l’ordre du jour du Parlement un projet de loi interdisant, comme nous l’avons plusieurs fois proposé, les licenciements boursiers, c'est-à-dire les suppressions d’emploi pour les entreprises largement bénéficiaires qui reversent l’essentiel de leurs dividendes à leurs actionnaires, tout en touchant des aides publiques massives ?

Les besoins de santé dans le monde et en France sont énormes. Plus de 50 % des maladies n’ont pas de thérapie adaptée. Au lieu de fragiliser encore notre potentiel, comme c’est le cas aujourd’hui, en supprimant des milliers de postes de travail pour le profit des actionnaires financiers, ne faudrait-il pas s’engager dans une réelle politique de sauvegarde et de développement du potentiel scientifique et industriel de Sanofi ?

Madame la secrétaire d'État, que compte faire le Gouvernement pour faire cesser cette situation qui revient à verser des fonds publics à des entreprises persistant à entamer notre potentiel scientifique et industriel dans un secteur aussi stratégique que celui de la pharmacie ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur Pierre Laurent, Sanofi est une entreprise multinationale française, troisième groupe mondial dans son secteur. Alors que 80 % de la production des sites français est tournée vers l’exportation, la France concentre un tiers de la production mondiale et près de 40 % de la recherche et développement.

La stratégie du groupe mise en œuvre depuis 2012 est fondée sur un projet de réorganisation à l’horizon de la fin de cette année des activités vaccins, des fonctions support et de la recherche et développement en France. Pour les entités Sanofi Pasteur, qui est la division vaccins, Sanofi-Aventis Groupe, Genzyme, Merial et Sanofi Winthrop, toutes les procédures engagées sont terminées.

Nous resterons attentifs aux engagements pris par Sanofi quant à la pérennité de deux sites de production en France.

Le premier est celui de Toulouse. Dès le début, le Gouvernement a été très proactif pour que le plan initial soit revu dans une logique de départs volontaires, de mobilités internes et de contreparties données aux salariés et aux territoires concernés.

Conformément à ses engagements avec les pouvoirs publics, Sanofi a annoncé, à la fin de l’année dernière, être en négociation exclusive avec la société allemande Evotec pour reprendre les plateformes de recherche et technologie, avec un transfert des salariés, et créer un bioparc. Afin de garantir la pérennité de ce partenariat franco-allemand, l’entreprise Sanofi s’est engagée à hauteur de 250 millions d’euros sur cinq ans.

Nous suivons ce dossier de très près avec le préfet et la commission de suivi territorial, dans laquelle siègent également les partenaires sociaux.

Le second site est celui de Quetigny, en Côte d’Or, cédé au façonnier Delpharm. Le médicament produit dans l’usine a perdu son brevet en 2012, suscitant la concurrence des génériques. Un programme d’investissement significatif est prévu par Delpharm, alors que Sanofi s’engage par un contrat de commandes d’une durée de sept ans. L’État restera attentif à ce transfert, qui permet de garantir l’emploi de 350 salariés employés directement sur ce site de production.

Une entreprise pharmaceutique se doit d’être innovante et de préparer l’avenir. Nous souhaitons que Sanofi prépare son avenir de la France et en France, où nous avons de formidables atouts à faire valoir dans le domaine de la santé et des biotechnologies. L’entreprise a annoncé que dix-huit produits allaient être lancés d’ici à 2020, représentant 30 milliards d’euros de ventes potentielles. On peut donc espérer que ces perspectives auront une incidence positive sur son activité en France.

Nous veillerons à travailler avec les dirigeants de Sanofi pour que le « site France » contribue de manière positive et significative à la réussite de ce beau groupe français de dimension mondiale.

Plus généralement, monsieur le sénateur, vous proposez d’abroger la loi relative à la sécurisation de l’emploi, que vous estimez néfaste.

L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 a, en effet, réformé la procédure de licenciement collectif pour motif économique en donnant la priorité au dialogue social pour définir les mesures sociales d’accompagnement et rompre avec les dérives du cadre juridique antérieur. Celui-ci encourageait les acteurs à recourir de manière dilatoire aux juges, qu’il s’agisse du tribunal de grande instance ou du conseil des prudhommes, et faisait prévaloir une culture du conflit sur une culture de la recherche d’un compromis social.

Nous pouvons désormais dresser un premier bilan de l’application de ce dispositif. Près de deux ans après la signature de l’accord national interprofessionnel, les nouvelles règles, négociées par les partenaires sociaux et intégrées en totalité dans la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, ont réellement favorisé un nouvel espace de négociation.

J’en veux pour preuve le fait que 75 % des entreprises négocient les conditions d’un plan de sauvegarde de l’emploi. En outre, hors des procédures collectives pour lesquelles les délais sont contraints, 61 % des décisions administratives concernent des accords collectifs majoritaires, et ce indépendamment de l’appartenance syndicale. Enfin, seuls 7 % des plans de sauvegarde de l’emploi décidés en interne, au sein des entreprises, font l’objet d’un contentieux. Dans deux cas sur trois, la décision est favorable à l’administration.

Éviter le conflit et favoriser le dialogue, dans l’intérêt de tous, en particulier des salariés, tel est le choix du Gouvernement, et c’est un choix qui porte ses fruits ! La culture du conflit n’aide pas l’économie !

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Je vous remercie de ces éléments de réponse, madame la secrétaire d’État, mais je ne vous étonnerai pas en expliquant qu’ils ne me satisfont absolument pas, voire qu’ils m’inquiètent au plus haut point !

Je vous parle d’engager une politique sérieuse de contrôle des aides publiques accordées aux entreprises ; vous me répondez que l’État doit accompagner les restructurations engagées par la direction de Sanofi. J’évoque la préservation de notre potentiel industriel ; vous vous déclarez satisfaite de voir que l’on va aider les salariés à se reclasser, alors même que – les faits le montrent – les chiffres officiels annoncés en la matière recouvrent une réalité bien plus complexe. Vous m’expliquez que l’État aurait pour rôle d’aider l’entreprise Sanofi à organiser, en quelque sorte, la vente de ses actifs à des entreprises étrangères et d’accompagner cette démarche. Tout comme l’ensemble des salariés, c’est évidemment l’inverse que je souhaitais entendre !

En outre, vous ne répondez absolument pas à l’un des aspects de ma question : quels dispositifs d’évaluation le Gouvernement met-il en œuvre pour mesurer l’efficacité des fonds publics alloués par le biais du CICE et du CIR ? Pour notre part, nous avons demandé et obtenu du Sénat qu’une commission d’enquête, présidée par ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin, soit créée sur l’utilisation du CIR. Nous disposerons ainsi d’évaluations sérieuses, très éloignées des annonces faites par les entreprises.

Vous m’expliquez qu’il faut favoriser l’innovation… Or c’est précisément à notre potentiel de recherche que les suppressions d’emploi s’attaquent chaque jour un peu plus. Nous laissons donc des groupes comme Sanofi entamer notre potentiel de recherche, au lieu de le développer.

Enfin, vos propos sur les bienfaits de la loi relative à la sécurisation de l’emploi ne convaincront personne. Il suffit d’aller discuter avec des représentants syndicaux et des représentants des salariés pour se voir confirmer que l’adoption de cette loi a accéléré les procédures de licenciement et privé les salariés de moyens de contre-expertise, face aux plans qui leur sont opposés par les entreprises.

Le pays a besoin non pas que l’on organise un peu mieux la mise en application des plans de sauvegarde de l’emploi, mais que l’on mette enfin un terme à l’hémorragie industrielle.

Pour toutes ces raisons, madame la secrétaire d’État, la réponse que vous m’avez apportée, au nom du Gouvernement, m’inquiète plus qu’elle ne me rassure !

reconnaissance du burn-out en tant que maladie professionnelle

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, auteur de la question n° 957, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Yannick Vaugrenard. Depuis quelques années, le terme burn-out a fait une entrée fracassante dans le vocabulaire lié aux conditions de travail. Ce que l’on s’accorde à décrire comme l’épuisement professionnel des salariés ne dispose toutefois pas de définition officielle. À l’heure actuelle, il est donc impossible de savoir ce que recouvre cette pathologie, ni de décrire ses affections, ni de promouvoir leur reconnaissance en tant que maladie professionnelle.

Aujourd’hui, seulement quelques dizaines de cas par an sont effectivement reconnus comme maladie professionnelle au titre de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale.

Au gré des études publiées sur le sujet, le nombre de personnes touchées n’est pas le même, mais il est toujours beaucoup plus important que ces quelques cas reconnus !

Je citerai une étude réalisée par un cabinet spécialisé dans la prévention des risques professionnels. Aux termes de celle-ci, il est estimé que plus de 3 millions d’actifs présentent un risque élevé d’épuisement professionnel, appelé couramment burn-out. À la suite de cette étude, ce même cabinet a lancé un appel à la reconnaissance du burn-out en tant que maladie professionnelle, estimant établi le lien « direct et essentiel » avec le travail : les pathologies développées par les personnes atteintes de cette maladie ne concernent effectivement que la sphère professionnelle.

Au cours de l’année passée, de nombreuses voix allant dans le même sens se sont élevées pour demander la reconnaissance de cette maladie professionnelle. Une proposition de résolution a été déposée par notre groupe en juillet dernier au Sénat et, au début du mois de décembre, c’est une trentaine de députés de la majorité qui ont publié une tribune demandant la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle.

Pour l’heure, ces initiatives n’ont pas permis de dissiper le flou sur la nature des pathologies visées, les facteurs de risques et le nombre de personnes concernées. Il est donc particulièrement difficile d’organiser une nécessaire prévention, mais il est avéré que le stress et la souffrance psychique au travail touchent plus de salariés aujourd’hui qu’hier.

Dans les prochains jours, M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social recevra le rapport du groupe de réflexion sur les risques psychosociaux et le burn-out mis en place par ses soins au début de l’année 2014. Nous souhaiterions d’ores et déjà être éclairés sur les conclusions de ce groupe de travail, ainsi que sur les orientations que prendra le ministère.

De plus, il est question que le département chargé des études et des statistiques au sein du ministère du travail lance, conjointement avec l’INSEE, une grande enquête sur les risques psychosociaux, comme cela avait été demandé par le collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux au travail en 2011. Le lancement de cette enquête peut-il nous être confirmé ? Dans quels délais celle-ci sera-t-elle menée ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Je vous prie tout d’abord, monsieur le sénateur, de bien vouloir excuser l’absence de François Rebsamen, qui reçoit aujourd'hui les partenaires sociaux pour tirer le bilan des négociations sur la modernisation du dialogue social.

La question du burn-out est bien évidemment une problématique importante et difficile. Le ministre du travail est très sensible aux interpellations portées par certains acteurs – la vôtre, en particulier - et à l’écho que ces dernières suscitent dans le grand public.

Cet écho montre à quel point le travail et la place du travail doivent être au cœur de nos réflexions.

De nombreuses interpellations portent effectivement sur la reconnaissance de l’origine professionnelle du burn-out ou, plus précisément, de certaines pathologies psychiques telles que les dépressions, le burn-out n’étant pas actuellement conçu comme une pathologie en tant que telle, au sens des classifications médicales de référence.

Des travaux sont en cours entre les partenaires sociaux au sein de la commission des pathologies professionnelles du Conseil d’orientation sur les conditions de travail, le COCT, pour élaborer des typologies médicales et des recommandations permettant de faciliter la reconnaissance du burn-out au niveau du système dit « complémentaire ». L’impact de ces travaux dans le cadre du fonctionnement actuel des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, les C2RMP, doit maintenant être examiné de près, à l’aune des revendications et inquiétudes s’exprimant sur le sujet.

Toutefois, la priorité est bien évidemment la prévention.

Cette préoccupation rejoint les orientations proposées par les partenaires sociaux, ces derniers ayant souhaité que la prévention des risques psychosociaux figure dans les priorités resserrées du troisième plan Santé au travail, le PST3.

Des travaux sont en cours associant l’administration, des experts et les principaux organismes de prévention pour produire un premier document visant à mieux caractériser le syndrome du burn-out et, surtout, à produire des recommandations. Au-delà, le ministre du travail souhaite que le PST3 définisse un cadre d’action stratégique nous permettant de faire significativement progresser, dans les entreprises, et au plus près des situations de travail, la prise en compte de cet enjeu majeur en termes de prévention.

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.

D’une certaine manière, le burn-out est la nouvelle maladie des temps modernes. Comme vous l’avez reconnu, c’est une question extrêmement sérieuse. Il faut traiter les effets – une thématique à examiner avec beaucoup d’attention –, mais également les causes, qui peuvent naître de l’organisation du travail, dans les bureaux ou encore dans les ateliers.

Vous avez apporté un certain nombre d’éléments de réponse. Mais j’aimerais que, à un moment ou à un autre, nous ayons connaissance des délais dans lesquels le burn-out pourrait véritablement être reconnu, en particulier par la sécurité sociale. Qu’en est-il, donc, des délais effectifs ?

Par ailleurs, je partage votre point de vue quant à l’absolue nécessité d’imaginer des modalités de prévention. Bien entendu, ce sujet doit être discuté avec les organisations professionnelles concernées.

Mais s’il faut prévenir, il faut également guérir. Or pour permettre la guérison, il est important que cette pathologie soit reconnue comme une maladie professionnelle.

C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite que nous puissions être informés, dans des délais extrêmement raisonnables, de la réalité effective de cette reconnaissance en tant que maladie professionnelle.

trains d'équilibre du territoire

M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, auteur de la question n° 947, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Alain Joyandet. Les trains d’équilibre du territoire, ou TET, en permettant à plus de 100 000 voyageurs de bénéficier quotidiennement de quarante liaisons ferroviaires dans notre pays, assument une mission d’intérêt général incontestable et incontestée. Ils constituent un élément essentiel de la politique de l’État en matière de transport ferroviaire et d’aménagement du territoire national.

En outre, ils offrent une alternative économique intéressante aux usagers ne pouvant pas, pour des raisons financières évidentes, prendre un train à grande vitesse. Les tarifs varient effectivement du simple au double.

La ligne d’équilibre du territoire 4, usuellement dénommée « Paris-Bâle », puis « Paris-Mulhouse » et, aujourd'hui, « Paris-Belfort », est particulièrement emblématique à cet égard. Elle permet de relier à Paris plusieurs départements situés dans l’est de la France, dont certains, à l’image de mon département de la Haute-Saône, sont dépourvus de toute ligne à grande vitesse, et ce pour un coût et un temps de transport raisonnables et supportables pour les usagers.

Toutefois, si des éléments positifs et encourageants sont à noter concernant cette ligne, comme, par exemple, une régularité supérieure à 89 % en décembre dernier, des indices de propreté en nette progression ou l’arrivée, en 2017, des « Coradia Liner » d’Alstom, de nombreuses zones d’ombre persistent au sujet de son avenir et, de façon plus globale, de celui des trains d’équilibre du territoire.

La constitution en novembre dernier, à la demande du secrétaire d’État chargé des transports, d’une commission sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire présidée par le député Philippe Duron témoigne de l’intérêt porté à ces lignes. Mais la volonté de l’État de transférer leur gestion, partiellement ou en totalité, aux régions est de nature à susciter une inquiétude légitime chez les usagers, leurs associations, ainsi que chez les élus.

Par définition et par essence, les lignes d’équilibre du territoire ne sont pas de même nature que les lignes express régionales. Traversant géographiquement plusieurs régions, elles revêtent un intérêt national indéniable. De plus, on peut aisément pressentir toutes les difficultés techniques, mais également financières, que rencontreront les régions si, demain, elles doivent assumer cette nouvelle mission.

En conséquence, le transfert de la gestion des trains d’équilibre du territoire de l’État aux régions fragilisera assurément leur pérennité et, de là, leur propre existence.

Par ailleurs, la libéralisation de l’offre de service de transport par autocar sur le territoire national, plus particulièrement pour les trajets interrégionaux, telle que prévue par le projet de loi pour la croissance et l’activité, risque de concurrencer frontalement les trains d’équilibre du territoire. Si pour le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, Emmanuel Macron, l’ouverture du transport par autocar n’entraînera pas la mort du train, elle affectera nécessairement l’activité ferroviaire, la fréquentation des lignes d’équilibre du territoire par les usagers et, à plus ou moins long terme, leur raison d’être.

En 2016, une nouvelle convention d’exploitation des trains d’équilibre du territoire sera proposée. Elle s’appuiera sur les recommandations rendues par la commission présidée par le député Philippe Duron. Si les conclusions de cette commission auront vocation à éclairer le Gouvernement sur les décisions qu’il devra prendre à ce sujet, je souhaiterais que M. le secrétaire d’État puisse dès aujourd'hui nous apporter des précisions quant aux intentions du Gouvernement s’agissant du maintien et de la préservation des lignes d’équilibre du territoire, en général, et de la ligne 4 dite « Paris-Belfort », en particulier.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez interrogé Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, sur les trains d’équilibre du territoire. Ne pouvant être présent, il m’a chargé de vous répondre.

Depuis la signature, le 13 décembre 2010, d’une convention d’exploitation avec la SNCF, l’État est devenu autorité organisatrice des trains d’équilibre du territoire.

Cette évolution a concrétisé l’engagement de l’État en faveur des dessertes en cause, dont la qualité et le modèle économique se dégradaient, risquant à terme de remettre en cause un service essentiel pour les populations concernées.

Cependant, l’offre des TET est aujourd’hui très hétérogène, ce qui la prive d’une véritable cohérence commerciale. La forte imbrication existant entre certains services rendus par les TET et des dessertes de TER est notamment source d’inefficacité et de manque de lisibilité pour les voyageurs.

Le besoin de clarification de ces services est donc réel, ce dans un contexte de ressources contraintes. C'est la raison pour laquelle mon collègue chargé des transports a confié une mission d’analyse et de propositions sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire à une commission composée de parlementaires, d’élus régionaux et d’experts. Comme vous l’avez souligné, il a demandé à Philippe Duron, député du Calvados, d’en assurer la présidence.

Les travaux de cette commission devront permettre de clarifier l’articulation des TET avec non seulement les autres services de transport ferroviaire – notamment les TER des nouvelles régions –, mais aussi les alternatives que peuvent représenter les autres modes de transport et les nouvelles formes de mobilité que vous avez évoquées et qui seront facilitées dans le cadre de la future loi Macron.

Les conclusions de cette commission, rendues d’ici au mois de mai, pourront utilement contribuer à l’élaboration du schéma national des services de transport, dont la création a été décidée sur l’initiative des parlementaires lors de l’examen du projet de loi portant réforme ferroviaire.

Les décisions qui en découleront porteront sur l’ensemble des lignes des trains d’équilibre du territoire, par conséquent également sur la ligne 4, qui assure aujourd’hui la liaison entre Paris, Troyes et Belfort.

Par ailleurs, je vous rappelle que le Gouvernement s’était engagé dès 2013 à financer l’acquisition par la SNCF de trente-quatre rames Régiolis pour un montant de 510 millions d’euros. Ces nouvelles rames seront notamment déployées sur la ligne Paris-Troyes-Belfort dès leur livraison.

L’instance de suivi de la qualité de service de cette ligne qui réunit régulièrement, depuis 2012, l’ensemble des élus locaux, des parlementaires et des représentants des usagers a récemment permis de faire un point sur cette situation. Sa prochaine réunion se tiendra à l’issue des travaux de la commission sur l’avenir des TET – vous y serez de nouveau convié – et sera l’occasion d’une présentation de ses conclusions.

M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet.

M. Alain Joyandet. Monsieur le secrétaire d’État, la disparition des 800 millions d’euros – à la suite de l’annulation de l’écotaxe – destinés à financer les travaux indispensables nous inquiète. L’avenir de ces lignes, autrement dit leur maintien à long terme, passe par leur électrification et leur modernisation.

Je vous remercie de votre réponse, qui ne me rassure toutefois pas vraiment. J’ai posé cette question, car les populations sont anxieuses. Nous sommes particulièrement attachés à la ligne Paris-Bâle.

Je vous parlais à l’instant des tarifs : aujourd'hui, un billet Vesoul-Paris coûte environ cinquante euros, alors que le tarif d’un billet de TGV vers Paris – on doit se rendre à environ trente kilomètres de Vesoul pour prendre ce train – coûte à peu près le double. Pour l’avenir d’un département rural tel que la Haute-Saône, il est vraiment très important de maintenir cette ligne.

services publics en zone rurale

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier, auteur de la question n° 962, adressée à Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.

M. Bernard Fournier. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite appeler votre attention, ainsi que celle du Gouvernement, sur la nécessité de maintenir une véritable offre de services publics et de services au public en zone rurale.

En effet, cette question est au cœur de la politique d’aménagement du territoire. Il faut stopper le délitement et l’éloignement des services publics, qui constituent l’ossature de nos territoires.

Regrouper à l’échelon supérieur est un processus sans fin qui se déroule systématiquement au détriment de la qualité du service rendu, sans pour autant conduire à la réduction, quoi qu’on en dise, des coûts directs ou indirects.

Depuis plusieurs décennies, les politiques successives de « modernisation » de nos territoires ruraux ont détricoté et déshumanisé toujours un peu plus les services publics.

Il est désormais indispensable de repenser totalement cette question qui participe aussi de l’attractivité de nos communes et nos campagnes. Le service public a un coût qu’il faut assumer si l’on veut maintenir une égalité entre les citoyens et permettre à ceux-ci de vivre en milieu rural.

Je souhaite illustrer mon propos d’exemples survenus dans mon département au cours de ces quatre dernières années. Ainsi, dans la Loire, des trésoreries, qui constituaient pourtant le réseau de proximité, ont été fermées – je songe à celle de la commune de Belmont-de-la-Loire – ou sont grandement menacées, comme celle de Saint-Jean-Soleymieux.

Les bureaux de poste sont aussi concernés : ceux de Saint-Georges-en-Couzan et de Sail-sous-Couzan ont disparu. Certes, quelques-uns sont parfois remplacés par des agences postales communales, mais les conditions des services sont modifiées pour les usagers et les municipalités.

Les antennes locales de la caisse d’allocations familiales, la CAF, ne sont pas épargnées, notamment avec la suppression prochaine de l’antenne de la commune de Charlieu. Et pourtant, la CAF doit aider les familles dans leur vie quotidienne et développer la solidarité envers les plus vulnérables.

En outre, la désertification médicale en milieu rural dans mon département est particulièrement inquiétante.

Enfin, il convient de promouvoir une école rurale de qualité, laquelle, au-delà du seul domaine scolaire et de l’intérêt premier des enfants, est au cœur de la dynamique des territoires. Il s’agit d’un critère déterminant dans le choix d’installation des familles.

Ainsi, le monde rural et ses élus demandent aujourd’hui que soient repensées la proximité et l’accessibilité aux services publics avant de toucher au maillage territorial. C’est bien l’équilibre trouvé localement entre ces deux aspects qui garantira un service efficace et de qualité pour les habitants des communes rurales.

En conséquence, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite connaître votre position sur ce sujet et vous demande de bien vouloir me préciser les intentions du Gouvernement en la matière.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous interrogez Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité sur la nécessité de maintenir une véritable offre de services publics et de services au public, tout particulièrement en zone rurale.

Tout d’abord, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme Pinel, retenue à l’Élysée pour la remise du rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre. Je vais donc vous transmettre sa réponse.

L’accès aux services publics est un aspect déterminant de la politique d’aménagement du territoire. Dans ce cadre, le Gouvernement favorise le développement du dispositif des maisons de services au public, les MSAP.

Ces maisons délivrent une offre de proximité et de qualité à l’attention de tous les publics, dans les zones rurales et périurbaines, afin de répondre aux besoins des habitants et de compléter le maillage des services au public.

Ainsi, elles rassemblent, dans un lieu unique, non seulement des agents qualifiés et formés à l’accueil et à l’orientation du public, mais aussi des outils de visioconférence permettant d’améliorer l’efficacité des services au public et d’abolir les distances.

D’une durée de trois ans, l’expérimentation « Plus de services au public » s’est achevée le 31 décembre 2013 : elle a permis la montée en puissance du réseau des MSAP qui compte désormais 363 sites.

À l’horizon 2017, l’objectif du Gouvernement est de faire en sorte que 1 000 maisons de services au public soient ouvertes. Le financement de cette politique publique devra être assuré, une fois la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République adoptée, sous la forme d’un fonds de développement alimenté par des contributions de l’État et des opérateurs de service, tout en préservant les moyens des collectivités territoriales.

Concernant la lutte contre la désertification médicale, le plan de financement d’équipement engagé par le comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire du 11 mai 2010 a déjà permis de financer plus de 300 maisons de santé pluri-professionnelles dans les zones fragiles en termes d’offre de soins, sur la période 2010-2013, pour un montant de 30 millions d’euros.

En outre, le pacte territoire-santé, lancé au mois de décembre 2012 par la ministre de la santé afin de lutter contre les déserts médicaux, met en œuvre, dans ces zones, des contrats de praticiens territoriaux de médecine générale permettant aux médecins d’être salariés ou consistant à accorder une bourse aux internes en médecine en contrepartie de leur engagement à s’installer en zone fragile pour une durée donnée.

De nouvelles mesures destinées à renforcer ces dispositifs seront annoncées lors du comité interministériel à l’égalité des territoires organisé très prochainement.

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Monsieur le secrétaire d’État, je prends note de votre réponse, quelque peu décevante au regard des enjeux que j’ai abordés.

Le monde rural devrait tenir une place importante dans les préoccupations de l’État. Des millions de Français sont tout de même concernés par ces sujets. La ruralité soutenue pourrait être, et doit être, une chance pour notre pays.

conséquences du règlement européen reach sur la production de plantes à parfum françaises et la production de lavande

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la question n° 970, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le secrétaire d'État, je ne vous apprendrai rien en vous rappelant aujourd’hui que la filière lavandicole est plus qu’inquiète pour sa production et son avenir.

Dans mon département, les Alpes-de-Haute-Provence, les différents acteurs de la filière doivent faire face à deux grandes difficultés.

Vous avez déjà été alerté sur les conséquences préoccupantes du règlement européen d’enregistrement, d’évaluation, d’autorisation et de restriction des substances chimiques, dit « REACH », sur la production de plantes à parfum françaises, notamment sur celle de lavande et de lavandin.

Les acteurs et producteurs d’huile essentielle de lavande se mobilisent. Une pétition nationale contre ce projet de réglementation des huiles essentielles a déjà recueilli près de 20 000 signatures.

Bien que protéger avec efficacité la santé des consommateurs soit évidemment notre priorité à tous, il ne s’agirait pas en l’occurrence de laisser la théorie l’emporter sur un savoir-faire et une production de très haute qualité.

Recenser, évaluer et contrôler les substances chimiques fabriquées, importées, mises sur le marché européen se comprend parfaitement. Prévoir que chaque substance chimique existante ou nouvellement produite ou importée soit enregistrée auprès de l’Agence européenne des produits chimiques et que les producteurs ou importateurs de produits chimiques soient obligés de fournir des données toxicologiques relatives aux produits se conçoit également.

Réduire la présence de produits potentiellement allergènes dans les cosmétiques et les parfums, nous le comprenons tous.

Mais qualifier les huiles essentielles, issues des plantes, donc naturelles, de produits chimiques me paraît excessif et irraisonné.

S’agissant de l’huile essentielle de lavande, le linalol – une molécule naturellement présente dans la lavande – est pointé du doigt puisqu’il serait potentiellement allergène. Certes, j’en conviens, l’huile essentielle de lavande placée sous l’œil irritera ce dernier… Mais revenons à la raison et au bon sens : il convient de faire la distinction entre le linalol conçu chimiquement par les usines pour la fabrication de produits tels que la lessive ou les désodorisants, et celui qui est contenu de manière naturelle dans la plupart des huiles essentielles, comme l’huile essentielle de lavande ou même l’extrait d’orange. Notre méfiance à l’égard des substances chimiques ne doit pas conduire à un amalgame grossier.

L’une des conséquences de la réglementation en question est l’apposition de pictogrammes sur le flacon. Les répercussions économiques d’un tel étiquetage sont évidemment dramatiques !

Il est inconcevable que les plantes et les huiles essentielles soient considérées comme des produits chimiques et que les distillateurs soient assimilés aux fabricants de produits chimiques, voire dangereux et toxiques.

Par ailleurs, les dossiers que doivent constituer les lavandiculteurs en application de cette réglementation, afin de mettre en évidence les caractéristiques physico-chimiques, toxicologiques et éco-toxicologiques de leur production, ont un coût non négligeable : c’est la double peine !

Dernière précision sur cette réglementation : pour une huile essentielle, il est quasiment impossible de fournir les données demandées puisqu’elles varient en fonction du sol et du soleil. Exiger une « carte d’identité » pour chaque huile essentielle est une aberration.

Cela étant, un autre danger réel menace la lavande dans les Alpes-du-Sud : un insecte, la cicadelle, qui se nourrit de sève et ravage des champs entiers, transporte, ce faisant, une bactérie, le stolbur, qui ronge les pieds de lavande et de lavandin. La plante dépérit rapidement et meure.

Pour tenter d’endiguer les dégâts causés par la maladie, un programme d’investigation et d’expérimentation visant à mieux cerner les causes de l’épidémie et à trouver des solutions afin de faire baisser l’incidence de la maladie a été mené entre 2011 et 2013 ; il a été financé par le compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural, ou CASDAR, France AgriMer, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises, le CIHEF, et l’Occitane.

La sélection variétale est l’une des méthodes préconisées pour enrayer la maladie, mais il faudra attendre plusieurs années pour obtenir des résultats. À l’heure actuelle, nous disposons vraiment de peu de moyens de lutte adaptés.

La lavande est l’arbuste phare de la Provence : 500 tonnes de lavande sont produites chaque année dans les Alpes-de-Haute-Provence, soit la moitié de la production nationale. Les répercussions économiques de sa culture sont multiples : du tourisme à l’industrie de la parfumerie, en passant par la gastronomie.... La lavande et le lavandin sont à l’origine de 2 milliards d’euros en termes de consommation touristique. En Provence, les plantes à parfum sont cultivées sur plus de 22 000 hectares et concernent plus de 2 000 producteurs ; 80 % de la production est exportée, et il s’agit souvent de produits prestigieux.

Les conséquences induites du règlement européen REACH, à l’horizon 2018, couplées aux pertes causées par la cicadelle, pourraient porter un coup fatal à la production de lavande et de lavandin.

Amalgamer par l’étiquetage, dans l’esprit des consommateurs, production naturelle et production chimique pure est préjudiciable. Monsieur le secrétaire d’État, quelle stratégie préconisez-vous pour sauvegarder ce secteur si précieux ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Ne pouvant être présente, elle m’a chargé de vous répondre.

Je tiens tout d’abord à vous remercier de vous mobiliser en faveur des producteurs français d’huiles essentielles de lavande et de lavandin. Comme vous l’avez à juste titre souligné, ces productions sont importantes pour tout le sud-est de la France sur les plans à la fois paysager, touristique et agricole. Elles sont également très utilisées par les industries de la parfumerie et du luxe, fers de lance du savoir-faire français et composantes majeures de notre commerce extérieur.

Tout en étant d’origine naturelle, ces huiles essentielles peuvent malheureusement s’avérer nocives pour la santé, notamment en provoquant des réactions allergiques. C’est pourquoi le règlement REACH, adopté en 2006, prévoit que, au même titre que les fabricants de produits chimiques, les distillateurs d’huiles essentielles de lavande doivent évaluer ces huiles et les enregistrer avant le mois de mai 2018.

Cependant, vous l’avez indiqué, un certain nombre de PME peuvent rencontrer des difficultés dans l’application de ce règlement. C’est la raison pour laquelle le ministère de l’écologie a mis en place, dès 2008, de nombreux outils pour aider toutes les entreprises françaises à appliquer le règlement REACH : pour ne citer qu’un exemple, le helpdesk – vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, on s’exprime dans un français parfait...

M. le président. En tout cas, ce n’est pas du provençal ! (Sourires.)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Non, monsieur le président, je le reconnais !

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Mais vous pouvez toujours essayer de prononcer avec l’accent provençal, mon cher collègue ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Pourquoi pas, ma chère collègue !

Je disais donc que le helpdesk REACH de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques assure une hotline – le gag continue ! – quotidienne pour répondre à toutes les questions des entreprises et a réalisé des tournées d’information dans toute la France.

Dans le cas des huiles essentielles de lavande et de lavandin, Mme Ségolène Royal a instauré, aux côtés de M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, un plan d’action afin d’aider spécifiquement les producteurs. Ce plan prévoit non seulement une sensibilisation des instances européennes aux difficultés particulières rencontrées par ce secteur, mais aussi un soutien technico-financier à la filière et la mise en place d’un comité de pilotage regroupant services de l’État et acteurs professionnels.

Grâce à l’engagement de toutes les parties prenantes, l’application du règlement REACH permettra aux distillateurs français d’huiles essentielles de lavande et de lavandin de mettre sur le marché des produits sûrs et de valoriser l’origine naturelle de leurs produits, ce qui est le sens de votre combat, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.

M. Jean-Yves Roux. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État. Les producteurs de lavande étant très inquiets, je tenais à ouvrir ce débat.

situation de l'hôpital d'apt

M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille, en remplacement de M. Claude Haut, auteur de la question n° 955, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Delphine Bataille, en remplacement de M. Claude Haut. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Claude Haut, retenu au Conseil constitutionnel.

Je le représente à l’occasion de cette question orale, qui porte sur la situation de l’hôpital d’Apt à la suite de la décision de l’agence régionale de santé, l’ARS, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur de transformer la maternité en centre de périnatalité et de fermer le service de chirurgie.

Les élus de la ville d’Apt et le comité des usagers pour le soutien et la défense du centre hospitalier du Pays d’Apt considèrent cette décision comme incohérente et infondée, du point de vue tant économique que géographique, ainsi que sur le plan humain.

Économiquement, tout d’abord, cet établissement a pu rester en équilibre financier malgré tous les obstacles et en dépit des incertitudes qui pèsent sur lui et qui sont responsables des fuites vers d’autres établissements. Alors que le coût du transport en région PACA reste de 26 % supérieur à la moyenne nationale, cette décision ne fera qu’accentuer ce différentiel.

Géographiquement, ensuite, il est impossible à l’heure actuelle que les 300 accouchements réalisés dans le centre hospitalier puissent être assurés ailleurs dans les mêmes conditions de sécurité. Le centre hospitalier d’Apt demeure le dernier hôpital de l’est du département et de l’ouest des Alpes-de-Haute-Provence, avec la maternité de Manosque, elle-même menacée de fermeture. Tout autre choix à l’égard des accouchements porterait le temps d’accès des parturientes à l’établissement considéré – critère essentiel dans la prise de décision – à plus de trente minutes.

Madame la secrétaire d’État, au moment où le Gouvernement et les collectivités locales réfléchissent aux moyens de combattre la désertification médicale, cette fermeture risque de porter un coup très sérieux à la médecine de ville et un coup fatal au dynamisme du territoire en cause.

À court terme, le service de maternité apparaît le plus menacé de fermeture, alors que des solutions médicales de coopération inter-hospitalière, notamment entre Avignon, Cavaillon et Apt, sont en train d’être mises en place et pourraient être étendues aux médecins-obstétriciens.

Comment comptez-vous intervenir auprès de l’ARS de la région PACA pour assurer la pérennisation de la maternité et du service de chirurgie de l’hôpital d’Apt ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la sénatrice, la question de l’éventuelle transformation de la maternité du centre hospitalier d’Apt en centre périnatal de proximité est effectivement, et je le conçois, une source d’inquiétude pour la population et ses représentants. Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, comprend la préoccupation dont vous vous faites le porte-parole, à savoir le maintien d’une offre de proximité dans le territoire de M. Claude Haut

La question du temps d’accès à une maternité est en effet centrale. Pour autant, l’exigence de sécurité et de qualité dans les maternités, quelle que soit la taille de celles-ci, n’est pas négociable.

Il est de notre responsabilité d’être attentifs aux éventuels facteurs de fragilisation des équipes médicales qui pourraient mettre en cause la continuité de la prise en charge des patientes.

C’est au cas par cas que nous devons rechercher la meilleure solution pour concilier sécurité des parturientes et maintien d’une offre de proximité.

Ainsi, concernant la maternité d’Apt, Marisol Touraine, soucieuse d’atteindre les deux objectifs de sécurité et d’accessibilité aux soins, a confié une mission d’expertise à deux professeurs de médecine, l’un spécialiste en gynécologie-obstétrique, l’autre en réanimation néonatale. Cette mission est en cours, et les experts remettront leur rapport et leurs propositions au deuxième trimestre de cette année.

Les conclusions de ces travaux doivent permettre d’assurer une réponse durable à la question de la pérennité de l’accès aux soins de la population du Pays d’Apt.

M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.

Mme Delphine Bataille. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de ces précisions qui devraient être de nature à rassurer Claude Haut.

Il est vrai que la Cour des comptes a récemment publié un rapport dans lequel elle préconise une recomposition du réseau des maternités en ciblant essentiellement les structures les plus petites et les plus isolées. Ce rapport recommande de fermer sans délai l’ensemble des petites maternités en cas d’absence de mise en conformité immédiate.

Pour autant, comme vous l’avez compris, madame la secrétaire d’État, il n’est pas opportun de remettre en cause la nécessité de renforcer ces petites structures. Il est clair qu’il faut s’opposer à des recommandations qui auraient pour conséquence d’aggraver les inégalités territoriales en matière d’accès aux soins, que ce soit à Apt, dans le Vaucluse, ou dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Le temps de trajet entre le domicile et certaines maternités pourrait atteindre quarante-cinq minutes en certains points du territoire. Certes, vous avez précisé que le critère temporel n’était pas le seul à prendre en considération, mais la qualité de l’accès aux soins reste un élément déterminant dans le soutien à une démographie dynamique.

Je le rappelle, les petites structures doivent rester une composante essentielle de l’offre de soins sur notre territoire. J’ai pris bonne note de la mission en cours, qui devrait permettre d’apporter une réponse en matière de sécurité et d’accessibilité d’ici au trimestre prochain, ce qui, je pense, satisfera pleinement Claude Haut.

formation des masseurs-kinésithérapeutes

M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille, auteur de la question n° 937, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Delphine Bataille. La réforme de la formation des masseurs-kinésithérapeutes accessible sur concours, soit directement après le baccalauréat, soit après une année d’études universitaires, et qui, jusqu’à présent, se déroulait sur trois années dans l’un des quarante-deux centres de formation, est en cours depuis plusieurs années.

En 2013, Mmes les ministres chargées d’une part, des affaires sociales et de la santé et, d’autre part, de l’enseignement supérieur et de la recherche se sont engagées conjointement à reprendre les travaux de réingénierie de la formation initiale de kinésithérapeute sur les bases d’un cursus de quatre ans, reconnu comme un master 1, dont une première année préparatoire qui serait, à terme, universitaire, tout en laissant les universités proposer une offre de formation complémentaire de niveau master 2.

Cependant, l’ensemble de la profession ainsi que les étudiants se sont mobilisés massivement contre ce projet : ils demandent l’instauration d’un niveau master 2 pour le métier socle comprenant quatre ans de formation précédés d’une année de préparation universitaire.

L’objectif recherché par ces professionnels et étudiants est de valoriser les années d’études pour permettre à la profession de disposer d’une recherche universitaire spécifique.

Les professionnels cherchent ainsi à acquérir une validité scientifique et une amélioration de leurs techniques, de manière à prendre en charge, en première intention, certaines pathologies et à simplifier le parcours de soins de leurs patients. Cela doit leur permettre, également, d’améliorer leur statut au regard de l’harmonisation européenne des formations.

Depuis le dépôt de cette question, le 20 novembre dernier, un nouvel arbitrage interministériel rendu au début du mois de décembre a permis de réelles avancées, qui vont dans le sens d’une revalorisation de la profession.

Les évolutions prévues permettent ainsi une quatrième année de formation en institut de formation en masso-kinésithérapie, ou IFMK, dès 2015 et la fin du recrutement par concours physique-chimie-biologie, le concours PCB, à partir de la rentrée 2016.

Toutefois, les professionnels et les étudiants concernés, tout en soulignant les évolutions significatives de ce nouvel arbitrage, souhaitent poursuivre le travail de réingénierie de leur formation, afin d’obtenir l’attribution du grade de master 2 de l’université.

Madame la secrétaire d’État, quelle suite comptez-vous donner à la revendication de ces acteurs sociétaux, dont le rôle au quotidien auprès des Français est essentiel pour satisfaire les besoins évolutifs en matière de santé de la population ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la sénatrice, dès 2012, le Gouvernement s’est engagé à poursuivre le processus d’intégration des formations sanitaires et sociales dans le cursus licence-master-doctorat.

S’agissant de la formation des masseurs-kinésithérapeutes, il a présenté, au mois de janvier 2013, une première feuille de route avec pour objectif l’élaboration d’un nouveau référentiel de formation. Les travaux menés sur cette base ont révélé la difficulté de dispenser en trois ans la formation spécifique en masso-kinésithérapie.

C’est pourquoi, en novembre dernier, en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, le Gouvernement a proposé la mise en place d’un nouveau schéma, qui s’appuiera sur des travaux collaboratifs pilotés par les ministères de la santé, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Les nouvelles bases de travail sont les suivantes.

Tout d’abord, une formation spécifique en quatre ans attribuant 240 crédits ECTS – european credit system transfert – au sein des instituts de formation en masso-kinésithérapie sera mise en place dès la rentrée 2015.

Ensuite, il est prévu une admission en institut de formation précédée d’une année universitaire pouvant prendre des formes différenciées : première année commune aux études de santé, première année en licence de sciences et techniques des activités physiques et sportives, licence dite « STAPS », ou en licence de biologie.

Au terme de cette année universitaire, les étudiants obtiendront 60 crédits ECTS qu’ils pourront faire valoir dans le cadre de la poursuite éventuelle d’un parcours universitaire au-delà du diplôme de masseur-kinésithérapeute.

Enfin, le concours de physique-chimie-biologie sera remplacé par de nouvelles modalités d’admission devant être définies par les travaux en cours et qui entreront en vigueur au mieux en 2016.

Madame la sénatrice, vous le constatez, le Gouvernement est convaincu de la nécessité de déployer une formation de qualité permettant aux masseurs-kinésithérapeutes de prendre toute leur part dans la prise en charge des patients dans le cadre de la stratégie nationale de santé.

M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.

Mme Delphine Bataille. Je vous remercie de cette réponse très claire, madame la secrétaire d’État.

Vous avez rappelé que le cadrage de cette réforme de la formation présentait plusieurs avancées notoires, notamment l’apparition d’une quatrième année de formation spécifique en IFMK dès 2015 et la fin du recrutement par concours PCB à partir de la rentrée 2016.

Cet arbitrage, que vous avez contribué à rendre, constitue un réel progrès ; il envoie un signal fort de valorisation et de reconnaissance de la profession. Il faudra toutefois rester vigilant sur l’équivalence du diplôme d’État, notamment avec les diplômes européens.

À travers cette réponse, vous montrez, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement a pris pleinement conscience, ces derniers temps, qu’il était impossible de faire tenir en trois années la formation spécifique de masso-kinésithérapie.

Il s’agit donc, je le répète, d’une avancée importante, indispensable à l’élaboration d’un cursus de formation de qualité, qui permette aux masseurs-kinésithérapeutes de répondre aux nouvelles exigences des patients et de remplir les missions qui leur sont confiées.

refonte des statuts de l’association en charge de la gestion de l’hôpital foch de suresnes

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, auteur de la question n° 995, transmise à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

M. Philippe Kaltenbach. Ma question porte sur la situation de l’hôpital Foch de Suresnes, situé dans le beau département des Hauts-de-Seine.

Cet établissement est une structure privée à but non lucratif qui participe largement au service public hospitalier du département, grâce à un personnel extrêmement dévoué et très qualifié. Les usagers en sont d’ailleurs tout à fait satisfaits.

Au mois de septembre 2012, une mission a été confiée à l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, ainsi qu’à l’Inspection générale de l’administration, l’IGA. L’objet de cette mission portait sur l’état précis des rapports entretenus par la fondation Foch, propriétaire de l’hôpital, avec l’association Foch, chargée de sa gestion. Ces deux structures ont été dirigées durant quinze années par le même président.

À la suite de la remise des conclusions du rapport conjoint de l’IGAS et de l’IGA, un administrateur provisoire a été nommé, en février 2013, à la tête de l’association, dans l’attente de la réorganisation et de la refonte des statuts, préconisées par le ministre de l’intérieur de l’époque.

Depuis, malheureusement, les choses n’avancent pas. Les agents de l’hôpital n’ont aucune nouvelle ; ils sont dans l’expectative. Ils aimeraient savoir quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour régler ces difficultés de fonctionnement et de gouvernance au sein de l’hôpital Foch.

Aussi, madame la secrétaire d’État, pouvez-vous me dire si la réorganisation institutionnelle de cette structure interviendra bien prochainement, conformément aux recommandations formulées dans le rapport que je viens d’évoquer ?

Il convient en effet d’apporter rapidement des réponses aux inquiétudes des agents de l’hôpital, qui demeurent pénalisés par la situation en cours. Ils souhaitent que la situation soit rapidement apurée, que la gouvernance soit clairement établie, que les problèmes financiers qui se font également jour entre la fondation et l’association soient complètement réglés, en somme que les contentieux en cours soient tranchés.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le sénateur, le ministre de l’intérieur et la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sont, tout comme vous, attentifs au bon fonctionnement de l’hôpital Foch et de la fondation. Nous comprenons aussi l’inquiétude des personnels.

C’est précisément pour ces raisons que l’IGAS et l’IGA ont mené une mission d’inspection conjointe. À son issue, un rapport a été remis aux deux ministres, en décembre 2013.

Ce rapport contient deux préconisations principales : la restitution par la fondation de sommes qui auraient dû revenir à l’association ; une refonte de la gouvernance, passant notamment par une réforme des statuts de la fondation.

Sur le premier point, l’administratrice provisoire de l’association l’a confirmé à plusieurs reprises, la dette a été en quasi-totalité remboursée.

Sur le second point, le Gouvernement a entrepris de faire adopter de nouveaux statuts par la fondation. L’objectif est de mettre fin aux dysfonctionnements et de clarifier les relations entre la fondation et l’association, chacune devant agir conformément à son objet, sans risque de confusion d’intérêts.

Ce travail est mené en lien avec le conseil d’administration de la fondation et son président. Le conseil d’administration de la fondation doit en effet approuver les nouveaux statuts, qu’il reviendra au ministre de l’intérieur de proposer au Premier ministre d’accepter, après avis du Conseil d’État.

Ce travail est long, il requiert de nombreux échanges, mais il est nécessaire. Dans leur fonction de tutelle des fondations reconnues d’utilité publique, les services du ministère de l’intérieur veillent attentivement à l’aboutissement de ce dossier, en lien avec ceux du ministère chargé de la santé et l’agence régionale de santé d’Île-de-France.

Je tiens à cet égard à souligner qu’il appartient désormais à la fondation de prendre rapidement position sur de nouveaux statuts qui tiennent pleinement compte des recommandations de la mission d’inspection et préviennent, pour l’avenir, toute confusion d’intérêts entre la fondation et l’association. Il s’agit d’une condition impérative pour que le modèle d’organisation actuel, comportant une fondation propriétaire et une association gestionnaire, puisse continuer d’être approuvé par l’autorité publique. À défaut, celle-ci prendra ses responsabilités, qui lui imposent de retenir une organisation à même d’assurer la pérennité de l’hôpital Foch, à laquelle le ministre de l’intérieur et la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sont, tout comme vous, monsieur le sénateur, très attachés.

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Je vous remercie de cette réponse, madame la secrétaire d’État.

Je note que les difficultés financières sont quasiment réglées. Reste la question de la gouvernance. La position du Gouvernement est extrêmement claire et ferme. Il fallait la répéter en ces lieux pour qu’elle soit entendue par tous, et notamment par le personnel de l’hôpital.

Je comprends que la balle est désormais dans le camp de la fondation Foch, qui doit réagir rapidement et proposer de nouveaux statuts. Sans cela, en effet, le Gouvernement prendrait ses responsabilités.

Si je suis satisfait de cette réponse, je voulais néanmoins insister sur le fait que les agents sont depuis trop longtemps dans l’expectative ; ce dossier doit donc être réglé au plus vite.

conventions tripartites

M. le président. La parole est à M. Jacques Genest, auteur de la question n° 968, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

M. Jacques Genest. Ma question porte sur le retard dans la signature des conventions tripartites liant les établissements publics d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou EHPAD, les conseils généraux et l’État via les agences régionales de santé, les ARS.

Je rappelle qu’en vertu des dispositions prévues à l’article L. 313-12 du code de l’action sociale et des familles, ces trois parties signent une convention fixant des objectifs à chacun des signataires. Cette convention attribue également des moyens aux EHPAD.

Il revient aux départements de financer une partie de dépenses liées à la dépendance, soit 30 % des personnels aides-soignants et aides médico-psychologiques et 100 % des psychologues.

L’État, par le truchement des ARS, finance la partie « soins », soit 70 % des mêmes personnels aides-soignants et médico-psychologiques, 100 % du personnel infirmier, ainsi que la location du matériel médical.

Quant à l’EHPAD, il lui revient de pourvoir à la partie « hébergement-restauration ».

Dans le cadre de ces conventions, les établissements ont pour obligation de respecter un cahier des charges contenant des recommandations de bonnes pratiques, qui les invitent à s’engager dans une démarche qualité vis-à-vis des personnes âgées dépendantes.

J’ajoute que la médicalisation des EHPAD est subordonnée à la signature de ces conventions.

Or nous devons constater un retard dans la signature de ces conventions de un à trois ans environ. Cette situation est génératrice de grandes difficultés pour les établissements car, dans le même temps, les personnes prises en charge entrent plus tard dans les EHPAD, et donc avec un niveau de dépendance supérieur et des besoins de soins plus importants que ceux que l’on a connus lors de la signature des premières conventions tripartites.

De ce fait, les établissements connaissent des conditions d’accueil dégradées et n’ont guère d’autres choix qu’accepter le manque de personnel ou avoir recours à des postes non financés. Cette situation a pour conséquence de provoquer le déséquilibre de leurs comptes ou de les obliger à facturer les frais de dépendance et de soins aux résidents.

Je vous demande donc, madame la secrétaire d’État, quelles initiatives le Gouvernement compte prendre pour faire respecter les échéances tripartites, afin de permettre aux EHPAD de mener à bien leurs missions, sans dégradation des conditions d’accueil ni tarif prohibitif pour les résidents, et assurer ainsi la réelle prise en charge du cinquième risque.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le sénateur, sur le territoire français, plus de 7 000 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes accompagnent près de 600 000 personnes âgées.

Les ressources publiques consacrées à ce dispositif sont particulièrement significatives, car elles représentent environ 11,5 milliards d’euros, dont 7,5 milliards d’euros au titre des crédits d’assurance maladie.

La médicalisation des établissements, dont la vocation est d’accompagner l’élévation du niveau de dépendance et de besoins en soins des résidents, a permis de renforcer le taux d’encadrement, notamment en personnel soignant. Les 400 000 agents intervenant en EHPAD représentent un taux d’encadrement de 61 équivalents temps plein pour 100 places.

Ce processus de médicalisation, financé par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, se poursuit. C’est ainsi que 100 millions d’euros ont été budgétés en 2015 dans la loi de financement de la sécurité sociale. Nous avons pour objectif de voir ce processus achevé très rapidement

Les règles actuelles de tarification impliquent que le renfort de crédits sur la section « soins » soit impérativement accompagné de crédits sur la section « dépendance », financée par les conseils généraux, pour ce qui concerne le recrutement des aides-soignants, cas de figure le plus courant. Lorsque ce cofinancement ne peut être assuré, la convention tripartite ne peut en effet être renouvelée, bloquant ainsi le processus de médicalisation, alors qu’une partie des crédits est disponible.

Nous sommes conscients de ces difficultés et soucieux de soutenir l’accompagnement des personnes âgées en établissement. C’est pourquoi j’ai, en décembre dernier, lancé une concertation, sous la forme d’un groupe de travail, dit de « tarification des EHPAD », associant les autorités de tarification ainsi que les représentants des gestionnaires et des usagers.

La création de ce groupe de travail était prévue dans un rapport annexé au projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, texte qui n’a pas encore été examiné par le Sénat. J’ai donc souhaité anticiper et installer cette instance de concertation sans attendre que la loi soit définitivement adoptée.

Ce groupe de travail a pour but de simplifier la gestion et de moderniser le pilotage des EHPAD. Un des axes de travail concerne la rénovation du processus de l’allocation de ressources, afin de donner plus de souplesse aux tarificateurs quant à la détermination de leurs ressources propres, et plus d’autonomie aux gestionnaires quant à leur utilisation.

Un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens pluri-établissements se substituera aux conventions tripartites, fondé sur des orientations stratégiques contractuelles et des indicateurs partagés. Ces dispositions sont en cours de discussion et les dispositions législatives nécessaires seront intégrées dans le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, que votre assemblée aura à examiner au mois de mars, monsieur le sénateur.

Ainsi, grâce à sa mise en place anticipée, le groupe de travail prévu dans le rapport annexé au projet de loi en cours de discussion nous permettra d’intégrer dans ce texte les modifications législatives qu’il aura préconisées.

M. le président. La parole est à M. Jacques Genest.

M. Jacques Genest. Créer un groupe de travail, c’est bien ; mais, en attendant, comment les EHPAD vont-ils assurer la qualité de l’hébergement et des soins ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Ses conclusions seront rendues en juin !

M. Jacques Genest. Le retard pris dans la signature des conventions n’est pas toujours dû à des problèmes de financement entre le conseil général et l’État ; il est même souvent causé par un manque de personnel au sein des ARS. À moins que, mais c’est une hypothèse bien triste, le retard pris dans la signature des nouvelles conventions ne fasse gagner un peu d’argent à l’État, la prise en charge au titre des anciennes conventions lui coûtant moins cher…

travailleurs frontaliers et couverture maladie universelle

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, auteur de la question n° 958, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

M. Cyril Pellevat. Madame la secrétaire d’État, sénateur de Haute-Savoie et frontalier, je souhaite évoquer les conséquences de l’affiliation obligatoire des travailleurs frontaliers à la couverture maladie universelle, la CMU.

Cette situation a été, une nouvelle fois, largement évoquée à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, et notamment de son article 65, lequel prévoit des sanctions à l’encontre des personnes qui ne seraient pas affiliées à un régime de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2015.

Le département de Haute-Savoie compte 100 000 travailleurs qui, chaque jour, traversent la frontière pour travailler en Suisse. Avec les accords bilatéraux entre l’Union européenne et la Suisse, signés dans les années deux mille, les frontaliers français actifs en Suisse avaient trois options pour être assurés : l’affiliation au régime d’assurance maladie suisse, régi par la loi fédérale sur l’assurance maladie, dite « LAMal », pour un minimum de 300 francs suisses par mois ; l’affiliation volontaire à la sécurité sociale ; le recours aux assurances privées.

Le droit d’option entre une assurance privée française et le régime général de l’assurance maladie française avait été introduit en 2002 pour une durée de sept ans, et prorogé en 2006 pour une durée supplémentaire de six ans. En effet, l’affiliation à une assurance privée était plébiscitée par 90 % des travailleurs frontaliers ; elle correspondait à un besoin.

Cette possibilité d’affiliation en France auprès d’une assurance privée a pris fin le 1er juin 2014 par décret ministériel n° 2014-516. L’affiliation en France se fait désormais uniquement auprès de l’assurance maladie.

À partir du 1er juin 2014, les quelque 163 000 frontaliers vivant dans les six départements limitrophes de la Confédération helvétique et ayant opté pour l’assurance privée basculent dans le système de sécurité sociale français à la date d’échéance de leur contrat annuel. Une circulaire ministérielle du 23 mai 2014 précise les modalités d’intégration des frontaliers dans le régime général de sécurité sociale.

Une période transitoire permettra aux personnes ayant souscrit une assurance privée avant le 1er juin 2014 de rejoindre l’assurance maladie française au terme de l’échéance annuelle de leur contrat d’assurance privée, au plus tard le 31 mai 2015.

Cette situation soulève plusieurs interrogations quant à l’organisation des services des caisses primaires d’assurance maladie, au réseau territorial des médecins traitants ou encore à la situation des frontaliers au regard de la loi.

L’afflux de ces nouveaux inscrits sature les caisses primaires d’assurance maladie et mobilise un nombre substantiel d’agents, qui doivent faire face à un surcroît important de travail.

Une personne m’a récemment indiqué par courrier que le délai de carence annoncé par les collaborateurs de la sécurité sociale d’Annemasse était de quatre mois. Les nouveaux assurés doivent avancer tous leurs frais de santé. Les services de la caisse primaire d’assurance maladie sont déjà sous pression et débordés. Ils manquent d’informations pour répondre aux attentes des frontaliers.

Je voudrais donc savoir les mesures et les garanties que le Gouvernement envisage pour assurer l’inscription des demandeurs frontaliers dans les temps et la délivrance de leur carte Vitale dans des délais raisonnables. Un nouveau sursis à la date butoir du 31 mai serait le bienvenu.

Je souhaiterais également connaître les études d’impact ou les mesures pérennes que le Gouvernement prévoit pour assurer l’accès aux soins de ces nouveaux assurés auprès des médecins traitants français, qui sont déjà extrêmement saturés - du moins quand il en existe encore, et je pense ici à certaines zones qualifiées de « désert médical ». C’est vers eux que les publics concernés vont se tourner.

Le Gouvernement a été alerté dans un récent courrier par ma collègue Sophie Dion, députée de Haute-Savoie, sur la situation du bassin de Cluses, dont la densité médicale est faible, avec 59,6 médecins pour 100 000 habitants, contre une moyenne nationale de 109.

La situation dans le pays de Gex n’est guère meilleure, avec un gynécologue pour 36 182 habitants, contre un pour 11 377 en moyenne nationale. Il en est de même pour les dermatologues, les cardiologues ou les pédiatres.

D’ailleurs, j’ai lu aujourd'hui dans la presse que le nombre de lits en pédiatrie baissait dans l’hôpital de Saint-Julien-en-Genevois.

Dans notre département, le temps d’accès à certains centres hospitaliers est plus élevé que la moyenne : plus de cinquante-cinq minutes pour une maternité de niveau II à Annecy ou Annemasse ; plus d’une heure et demie pour une maternité de niveau III à Chambéry.

Les témoignages de frontaliers sont édifiants. Au mois d’octobre dernier, lorsque mon épouse a appelé un gynécologue de la région, on l’a invitée à rappeler en décembre pour obtenir un rendez-vous en mars, soit six mois de délai pour un simple rendez-vous !

Même si le patient peut choisir un médecin traitant en Suisse sans être pénalisé dans le remboursement des soins, le professionnel de santé suisse devra obtenir un conventionnement spécifique avec la CPAM comprenant des engagements minimaux. Autant de démarches administratives qui peuvent être dissuasives !

Enfin, l’article 65 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 envisageait des sanctions pour les personnes qui ne seraient pas affiliées à un régime de sécurité sociale au 1er janvier 2015. Quels aménagements le Gouvernement compte-t-il adopter pour que ces pénalités ne touchent pas les travailleurs frontaliers, qui avaient jusqu’au 31 mai 2015 pour assurer cette affiliation ?

Je vous remercie de l’attention que vous porterez à la situation de travailleurs qui assurent des revenus à leur famille en traversant des frontières et qui contribuent à la richesse de nos départements, tout en étant soumis à des règles en matière de temps de travail et de congés payés n’ayant rien à voir avec celles qui prévalent en France.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, dans le cadre de l’accord sur la libre circulation des personnes, la Suisse a permis aux travailleurs frontaliers qui résident en France, en Allemagne, en Autriche ou en Italie d’être, par exception, exemptés de l’assurance maladie obligatoire en Suisse, la LAMal, et a ouvert un droit d’option entre la LAMal et la couverture maladie du pays de résidence.

La France a autorisé l’affiliation auprès d’une assurance privée en cas d’option pour une couverture maladie en France, pour une période limitée initialement à sept ans. Cette affiliation a été prorogée en 2006 jusqu’au 31 mai 2014.

À l’issue d’un long processus de concertation, le Gouvernement a organisé les conditions d’extinction de ce dispositif spécifique.

Deux décrets publiés le 23 mai 2014 et une circulaire détaillent les modalités de mise en œuvre et apportent toutes les garanties aux intéressés quant à la qualité de leur couverture sociale en tenant compte de la situation locale.

Sur le terrain, les services des organismes de sécurité sociale sont mobilisés pour informer et gérer l’intégration des travailleurs frontaliers : mise en ligne des formulaires et de la documentation, informations détaillées sur le site Ameli, numéro d’appel unique.

Pour que cette transition s’effectue dans de bonnes conditions, l’affiliation à l’assurance maladie française est progressive. Elle intervient à l’échéance annuelle du contrat d’assurance privée, entre le 1er juin 2014 et le 31 mai 2015, au plus tard.

De plus, le Gouvernement s’est montré très attentif à l’accès aux soins des frontaliers et des mesures d’assouplissement ont été prises.

Ainsi, le médecin traitant peut être choisi aussi bien en France qu’en Suisse. L’accès aux soins programmés hospitaliers ou coûteux en Suisse est facilité pour les frontaliers résidant dans des zones à faible densité médicale. Les soins lourds entamés en Suisse avant le 1er juin 2014 et les soins ambulatoires non urgents dispensés en Suisse peuvent être pris en charge sur la base des tarifs français.

Les soins effectués en marge du travail du frontalier le sont sur la base des tarifs suisses ou, à la demande des frontaliers, sur la base des tarifs français. Les frontaliers bénéficient aujourd’hui, comme tous les autres assurés, d’une durée de validité de la carte européenne d’assurance plus longue, de deux ans.

Enfin, monsieur le sénateur, vous faites référence à la disposition introduite par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 concernant les personnes refusant de s’affilier à la sécurité sociale. Il est important de rappeler que l’article concerné a pour objectif de renforcer les sanctions envers toute personne qui chercherait délibérément à se soustraire à ses obligations.

Ce ne sera donc pas le cas des travailleurs frontaliers suisses dès lors que, à l’issue de l’échéance annuelle de leur contrat et au plus tard avant le 31 mai 2015, ils auront procédé à leur affiliation auprès de l’assurance maladie. Il est recommandé aux intéressés de prendre attache auprès de la caisse primaire d’assurance maladie le plus en amont possible pour faciliter leur affiliation par la suite.

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, mais ces informations nous étaient connues.

Comme je le soulignais, les problèmes sont réels sur le terrain. Je pense notamment aux déserts médicaux constatés pour certaines professions. Dans les faits, on constate déjà que les hauts revenus quittent la France pour s’installer en Suisse et ainsi pouvoir exercer de nouveau leur droit d’option.

Je voudrais également évoquer la cotisation sur le revenu fiscal de référence. Des abattements ont été décidés, et je salue l’action du Gouvernement à cet égard. J’espère que le taux restera limité à 8 %.

Enfin, je signale que, côté suisse, nous sommes assurés pour les maladies professionnelles, ainsi que pour les accidents professionnels et non professionnels. (MM. Loïc Hervé et Michel Houel applaudissent.)

fermeture de la trésorerie de mourmelon-le-grand

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, auteur de la question n° 969, adressée à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Yves Détraigne. L’État a récemment pris la décision de fermer la trésorerie de Mourmelon-le-Grand, dixième ville du département de la Marne.

Sur la forme, il n’y a pas eu, semble-t-il, de concertation préalable sur le terrain. En 2013, la question de la restructuration des services avait simplement été évoquée par le directeur régional des finances publiques. Différentes hypothèses de regroupement avaient été formulées, mais rien de plus. Il avait juste été indiqué que de nouveaux contacts seraient pris avec les élus concernés en cas de fermeture.

Au mois de décembre dernier, le maire de Mourmelon-le-Grand m’alertait sur la décision qui avait été prise de fermer la trésorerie au 1er janvier. Il m’informait des inquiétudes que cela soulevait quant à l’avenir du personnel, à l’aménagement de la trésorerie de Suippes, où les services devaient être transférés, au devenir des régies communales, nombreuses à Mourmelon-le-Grand, avec en plus les conséquences du récent redécoupage des cantons, ou encore aux risques de détérioration des services rendus.

Qu’en est-il aujourd’hui ? La fermeture partielle a été mise en œuvre. Toutefois, contrairement à ce qui avait été annoncé, il reste possible, semble-t-il, de déposer le produit des régies communales à la trésorerie de Mourmelon-le-Grand. C’est d’autant plus important pour la ville.

Cette fermeture partielle est donc, pour le moment, un moindre mal et les élus locaux demandent légitimement que l’on en reste à cette demi-mesure. Je partage leur position.

Je souhaite donc que le Gouvernement m’assure du maintien durable des services de la trésorerie de Mourmelon-le-Grand dans leur organisation actuelle.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur, la fermeture de la trésorerie de Mourmelon-le-Grand est intervenue le 1er janvier de cette année, après une période de deux ans d’évaluation préalable et de concertation menée par le directeur régional des finances publiques.

Tout d’abord, l’organisation sur l’ensemble du territoire d’un service public efficace répondant aux besoins des usagers est un élément essentiel pour le Gouvernement. Cet objectif est au cœur des choix effectués sur chacun des territoires.

C’est dans ce cadre que la Direction générale des finances publiques, la DGFIP, peut être conduite à adapter son réseau, de manière pragmatique et concertée, y compris en ouvrant de nouveaux centres lorsque cela est justifié. Ces réorganisations sont, bien entendu, menées en étroite concertation avec les élus locaux et nationaux, qui sont systématiquement consultés.

En pratique, les discussions sont menées au plus près du terrain par le directeur départemental ou régional des finances publiques, en lien direct avec le préfet.

L’adaptation des réseaux déconcentrés du ministère des finances, que ce soit la DGFIP ou la Direction générale des douanes et droits indirects, est une nécessité pour répondre à l’évolution des missions, dans un contexte budgétaire très tendu.

J’en viens plus particulièrement à la trésorerie de Mourmelon-le-Grand. Comme je l’indiquais, le projet a été engagé par la direction régionale des finances publiques depuis plus de deux ans. Il a été discuté avec les chefs de service, les agents, les représentants du personnel, les élus locaux et la préfecture. Ce fut notamment le cas à l’occasion de la dernière réunion de concertation avec les élus locaux, qui est intervenue à Suippes le 28 novembre 2014. Elle faisait suite à de précédentes informations.

Je le rappelle, il s’agissait d’un très petit poste, composé de deux agents. La responsabilité en était d’ores et déjà assurée par le chef de poste de la trésorerie de Suippes, dont l’activité était résiduelle.

Il est donc cohérent que la Direction générale des finances publiques m’ait proposé de redéployer ses moyens dans ce territoire, tout en continuant à répondre aux attentes des usagers.

Les missions précédemment exercées par la trésorerie de Mourmelon-le-Grand sont désormais assurées par deux postes comptables, celui de Suippes et celui de Verzy.

Pour répondre à votre interrogation, le rattachement des communes est en conformité avec le schéma départemental de coopération intercommunale. C’est dans ce cadre que les budgets de deux communes ont été transférés à la trésorerie de Verzy ; les autres ont été rattachées au poste de Suippes. Et, pour maintenir la présence de l’administration auprès des publics les plus fragiles, des permanences bihebdomadaires seront mises en place en mairie de Mourmelon-le-Grand pour répondre aux demandes des usagers qui ne pourraient pas se déplacer jusqu’à Suippes ou Verzy.

Vous m’interrogez enfin sur les conditions d’accueil des personnels transférés à Suippes. Le phénomène que vous avez décrit est provisoire, en attendant la finalisation des aménagements immobiliers qui seront effectués.

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse.

Je réaffirme la position des élus du secteur en faveur du maintien du service minimum. La commune de Mourmelon-le-Grand est au cœur d’un espace important - tout le monde connaît son camp militaire – et son activité dépasse largement ses limites territoriales pour concerner l’ensemble du pays. Les services de trésorerie ne doivent donc pas fermer.

surcoût lié aux opérations de désamiantage dans les logements sociaux

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 950, adressée à Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Ma question porte sur les conséquences du surcoût lié aux opérations de désamiantage dans le parc de logements HLM.

Depuis le 1er juillet 1997, la législation interdit toute construction de logement contenant de l’amiante, mais 80 % des permis de construire de logements sociaux ont été délivrés avant cette date.

Ainsi, 3,1 millions de logements collectifs sont susceptibles de contenir des traces d’amiante, dans plus de 3 000 composants, comme les mastics pour les joints de fenêtre, les colles ou le ciment.

Les avancées législatives inscrites dans les codes de la santé et du travail permettent de protéger les habitants et les professionnels du bâtiment.

Cependant, en contrepartie, les organismes d’HLM doivent faire face à une forte hausse du prix des travaux de rénovation.

Selon le rapport d’information de la mission sénatoriale sur l’amiante de juillet 2014, l’Union sociale pour l’habitat évalue le surcoût à 2,3 milliards d’euros hors taxe par an, pour la rénovation de logement. Cette somme représente l’équivalent de 120 000 constructions ou 400 000 rénovations.

La législation a été renforcée depuis 2001, notamment avec la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, ou loi ALUR. Le seuil d’exposition « passive » aux poussières d’amiante a été abaissé de vingt-cinq fibres par litre d’air à cinq et les règles d’information des habitants et des intervenants ont été élargies, avec, par exemple, la création du dossier technique « amiante » ou encore la notification de présence d’amiante au sein du logement en annexe du contrat de bail.

Par ailleurs, le décret du 4 mai 2012 relatif aux risques d’exposition à l’amiante a changé la méthode de mesure de l’empoussièrement : le seuil d’exposition « active » aux poussières d’amiante passera, le 1er juillet 2015, de cent fibres par litre d’air à dix fibres.

Lors du congrès des HLM de septembre dernier, Mme la ministre du logement a annoncé l’ouverture, via un prêt de la Caisse des dépôts et consignations, d’une enveloppe de 10 000 euros par logement au bénéfice de 40 000 logements par an. Comment le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre ces prêts ? Des critères d’éligibilité ou des conditions d’attribution seront-ils fixés pour les organismes d’HLM ?

Plus généralement, le Gouvernement envisage-t-il de créer une structure interministérielle pour harmoniser les actions de désamiantage des logements ? D’un territoire à un autre, en effet, les inspecteurs du travail font une interprétation variable des procédures administratives à suivre en matière d’amiante, ce qui aggrave encore les surcoûts de production supportés par les bailleurs sociaux.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Madame Estrosi Sassone, vous avez interrogé Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité sur le surcoût lié aux actions de désamiantage des logements sociaux ; retenue ce matin par la présentation du rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, Mme Pinel m’a chargé de vous transmettre sa réponse.

La volonté du Gouvernement est d’engager la rénovation énergétique massive de notre parc de logements. Or ce projet ambitieux de réhabilitation de l’existant impose une prise en compte renforcée de l’amiante présente dans certains bâtiments, dont la libération et la manipulation doivent être entourées de précautions.

L’utilisation de l’amiante est interdite depuis 1997, mais, comme vous l’avez rappelé, madame la sénatrice, cette substance est encore présente dans de nombreux logements. Les surcoûts liés aux travaux de désamiantage dans les seuls logements sociaux sont estimés par l’Union sociale pour l’habitat, l’USH, à 2,3 milliards d’euros. Le même problème se pose pour les logements privés et pour les bureaux, sans que les coûts réels aient encore pu être évalués.

Le Gouvernement a pris une série de mesures pour répondre à ces enjeux et soutenir les acteurs.

Ainsi, alors qu’aucun financement particulier ne permettait jusqu’à présent de prendre en charge les travaux liés spécifiquement à l’amiante, Mme la ministre du logement a annoncé en septembre dernier, lors du congrès de l’USH, la création d’un prêt dédié aux travaux de traitement de l’amiante. Cette mesure a été intégrée à la loi de finances pour 2015.

Ce nouveau prêt, consenti par la Caisse des dépôts et consignations, est très avantageux, puisqu’il est bonifié au même niveau que l’éco-prêt logement social : son taux est donc inférieur à celui du livret A. Une enveloppe totale de 1,5 milliard d’euros est prévue et les prêts sont plafonnés à 10 000 euros par logement afin que 50 000 logements puissent en bénéficier chaque année.

Les prestations éligibles correspondent aux différentes étapes du désamiantage, depuis la phase de repérage des matériaux contenant de l’amiante avant travaux jusqu’à la phase de traitement et d’élimination des déchets. Sur ce point, la convention entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations est en cours de finalisation.

Le Gouvernement veut également soutenir l’exploration de nouvelles méthodes d’extraction de l’amiante. C’est la raison pour laquelle il mobilise 20 millions d’euros du Fonds de compensation des risques de l’assurance de la construction à partir de cette année au service de la recherche et du développement en matière de détection et d’extraction robotisée de l’amiante.

Un plan a été défini sur trois ans et des actions opérationnelles seront menées dès cette année. Un programme de recherche et développement pour l’extraction de l’amiante dans le bâtiment a été confié à des organismes de recherche, dont le Centre scientifique et technique du bâtiment, le CSTB. Par ailleurs, un appel à manifestation d’intérêt sera bientôt lancé au sujet des différentes modalités d’extraction de l’amiante.

Il s’agit de développer des technologies fiables pour réduire les coûts.

Vous le voyez, les mesures prises par le Gouvernement sont immédiates et produiront des effets à court terme, mais nous devons nous doter d’un programme d’actions pérenne pour mener à bien la tâche que nous nous sommes fixée.

Ces travaux sont interministériels, comme vous avez eu raison de le souligner, madame la sénatrice. C’est pourquoi, en juillet dernier, une feuille de route interministérielle a été élaborée conjointement par le ministère du logement et les ministères du travail, de la santé et de l’écologie ; elle regroupe toutes les actions d’information, de formation, de recensement et d’animation interprofessionnelle que l’État aura à mettre en œuvre.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, des précisions que vous venez d’apporter.

J’espère que les fonds nécessaires, qui sont importants, seront bien mobilisés, car les bailleurs sociaux en ont véritablement besoin pour continuer à mener des opérations lourdes dans le domaine de la réhabilitation, qui est l’une de leurs priorités.

J’attire l’attention du Gouvernement sur les difficultés croissantes qui s’attacheront à la conduite d’opérations de réhabilitation en site occupé, compte tenu des contraintes qui doivent être respectées à l’égard des locataires. Imaginez la réaction des occupants quand ils voient arriver chez eux des personnes équipées comme des scaphandriers, et ce uniquement pour désamianter les mastics des joints de fenêtres, alors qu’eux-mêmes habitent parfois sur place depuis de très nombreuses années sans avoir jamais été protégés !

En vérité, il est important d’améliorer les procédures pour permettre aux bailleurs sociaux, qui font face à des difficultés grandissantes, de poursuivre leurs travaux de réhabilitation, y compris en site occupé, ce qui devient de plus en plus compliqué.

logement des femmes et enfants de moins de trois ans ayant besoin d'un soutien

M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, auteur de la question n° 971, adressée à Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.

Mme Dominique Gillot. Par courrier en date du 27 octobre dernier, le conseil général du Val-d’Oise a informé les associations à caractère social du département, dont Espérer 95, qu’il se désengageait du dispositif d’allocation de logement temporaire, ou ALT.

La décision du conseil général représente pour cette association, dont la convention de subvention date de plus de vingt ans, une perte de 122 428 euros de dotations, reportée du 1er janvier au 1er juillet de cette année à la suite de nombreuses interventions.

Alors que le conseil général a toujours entretenu des relations de confiance, efficaces et constructives, avec les partenaires associatifs du territoire, cette décision, d’une grande brutalité, prive les associations partenaires des financements nécessaires à la continuité de leur action.

L’article 68 de la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion précise les modalités de la prise en charge par les conseils généraux, en centres d’hébergement et de réinsertion sociale, des femmes avec enfants de moins de trois ans : si l’État, en application du code de l’action sociale et des familles, assume la charge des familles au titre de l’aide sociale, le département dispose, quant à lui, de compétences spécifiques de droit commun au titre de l’aide sociale à l’enfance, notamment à l’égard des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d’un soutien matériel et psychologique.

Les personnes prises en charge, notamment par l’association Espérer 95, ne sont pas placées en raison d’un défaut de logement, mais en considération d’une situation de danger éducatif qui nécessite un accompagnement.

La décision annoncée par le conseil général le 27 octobre dernier a été prise unilatéralement, sans aucune concertation et sans que la moindre solution transitoire soit proposée. Elle risque de jeter à la rue au moins soixante-douze adultes et soixante-huit enfants, pour ne parler que de ceux qui sont pris en charge par Espérer 95, et sans même évoquer le licenciement probable des salariés de l’association. Elle ajoute donc de la précarité à la précarité et, en bout de chaîne, du malheur au malheur ; elle condamne à l’exclusion.

La situation dans mon département n’est pas un cas isolé. Le secteur associatif partenaire de l’État relaie, en les localisant, les politiques publiques sociales que celui-ci met en œuvre. Si le contexte des finances publiques contraint implique un effort collectif partagé, celui-ci ne peut être reporté unilatéralement en bout de chaîne, sur le secteur associatif, surtout si cela conduit à la fin de la continuité des politiques publiques. En effet, nous mesurons d’autant mieux dans le contexte actuel que cette continuité est le fondement de notre République égalitaire et solidaire.

C’est l’image protectrice et impartiale de l’État qui est menacée. On peut toujours expliquer que ce sont les conseils généraux qui, dans certains départements, n’assument plus leur charge de droit commun au titre de l’aide sociale à l’enfance, il reste que cette politique ne trouve plus de concrétisation.

L’accueil temporaire a, comme son nom l’indique, une vocation temporaire : sa durée ne peut, en principe, excéder six mois. La collectivité est le partenaire des organismes d’accueil qui prennent en charge les plus démunis, les plus fragiles, ceux qui risquent de rester sur le bord du chemin. Il s’agit d’une action d’urgence, destinée à maintenir la dignité de personnes en grande précarité et à prévenir leur basculement dans l’exclusion.

Sans méconnaître la nécessité du redressement des comptes publics, je souhaite savoir quels garde-fous l’État compte instaurer face à ces situations de rupture qui, rendues encore plus nombreuses du fait du recul de certaines collectivités territoriales, risquent de conduire vers l’exclusion un grand nombre de nos concitoyens et, par suite, de les radicaliser dans leur sentiment que la République ne les reconnaît plus.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Madame Gillot, vous avez interrogé Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité sur la prise en charge des femmes avec enfants de moins de trois ans en situation de grande précarité. Mme Pinel souhaite vous assurer de son engagement personnel en faveur de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées, quelle que soit leur situation, et de la grande importance que le Gouvernement accorde à cette politique.

La priorité donnée aux femmes avec enfants de moins de trois ans repose sur une articulation très claire des compétences de l’État et des conseils généraux : si l’État assume, au titre de l’aide sociale, la charge des familles sollicitant un accueil dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale, le département a, quant à lui, des compétences spécifiques de droit commun au titre de l’aide sociale à l’enfance, l’ASE.

Le service de l’ASE a pour mission d’apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leur famille, aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre leur équilibre. Le département doit, en outre, disposer de structures d’accueil pour les femmes enceintes et les mères avec leurs enfants. Par ailleurs, l’ASE prend également en charge les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d’un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu’elles sont sans domicile.

Depuis quelques mois, nous constatons un désengagement de certains conseils généraux dans la prise en charge de ce public vulnérable, justifié par des contraintes budgétaires. Dans le cadre du contrôle de légalité, le préfet du Val-d’Oise a formé devant le tribunal administratif un recours contre la décision du conseil général de ne pas appliquer la législation relative à l’hébergement des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans.

Par ailleurs, je tiens à l’affirmer, le dispositif d’aide au logement temporaire, dit « ALT1 », cofinancé à parité par l’État et les organismes de protection sociale - la Caisse nationale des allocations familiales - et dont l’objectif est de couvrir les frais engagés par les organismes qui mettent des logements à disposition des personnes privées de domicile stable, n’est aucunement remis en cause. La dépense à la charge de l’État, qui s’élève à 39,2 millions d’euros en 2015, est maintenue tant au niveau national que dans le Val-d’Oise.

Ce dispositif doit cependant être distingué de l’allocation de logement temporaire, dispositif facultatif mis en œuvre par le conseil général du Val-d’Oise pour soutenir les associations et les centres communaux d’action sociale qui gèrent des structures accueillant des personnes démunies.

En ce qui concerne le choix du conseil général de mettre fin au versement de cette allocation, le Gouvernement regrette, comme vous, madame la sénatrice, l’absence de concertation en amont d’une décision lourde de conséquences pour les ménages en situation de grande précarité vivant dans le département.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Monsieur le secrétaire d’État, votre réponse est tout à fait argumentée. C'est vrai, l’ALT est une politique facultative décidée par le conseil général. Mais le retrait de la subvention permettant d’alimenter l’ALT conduit, par un effet de domino, à empêcher l’association Espérer 95 de poursuivre l’accompagnement social qu’elle assume dans le cadre de l’hébergement d’urgence des femmes et des enfants tel que prévu par la loi.

Je sais que le préfet du Val d’Oise est extrêmement attentif au respect de la loi et à la mise en relation des partenaires qui doivent concourir à son application. Cependant, je continue d’alerter sur le problème qui est le nôtre aujourd’hui, notamment pour maintenir la cohésion sociale et donner l’assurance aux populations connaissant les plus grandes difficultés que la République se préoccupe d’elles. Souvent, cette charge revient à des associations qui, malheureusement, sont aujourd'hui privées de ressources.

permis de construire

M. le président. La parole est à M. Michel Houel, auteur de la question n° 963, adressée à Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.

M. Michel Houel. La loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », prévoit des évolutions significatives dans différents domaines du logement mais aussi en ce qui concerne l’instruction du droit des sols.

Parmi les nombreuses mesures annoncées, l’État, pour des raisons budgétaires, a décidé de supprimer, à partir du 1er juillet 2015, l’appui aux communes de moins de 10 000 habitants actuellement assuré par les DDT, les directions départementales des territoires.

Ainsi, les communes vont devoir mettre en œuvre les moyens nécessaires pour parvenir, d’une manière ou d’une autre, à reprendre à leur compte cette mission : soit en instruisant elles-mêmes la demande, qui appelle une vraie compétence technique ; soit en déléguant cette compétence à une autre commune ou à un EPCI ; soit encore en la confiant à une agence départementale, sachant que l’instruction des autorisations d’urbanisme ne peut être réalisée par un bureau d’études.

Les petites communes ne disposent pas des moyens qui leur permettraient d’instruire elles-mêmes les demandes sur une matière très complexe. Bien souvent, seules les DDT – qui font très bien leur travail – sont à même de leur rendre ce service. Le risque est donc d’aboutir à la délivrance de permis tacites.

Cette évolution, qui marque le désengagement de l’État, engendre un transfert de charges financières non négligeable, qui vient s’ajouter à la baisse drastique des dotations aux collectivités locales et aux coûts supplémentaires engendrés par la mise en œuvre obligatoire des nouveaux rythmes scolaires. Les collectivités n’ont pas de « trésor caché » sur lequel on pourrait prélever sans dommage !

Si l’État, monsieur le secrétaire d'État, n’accepte pas de revenir sur une décision pénalisante pour les communes rurales, je ne vois qu’une solution : supprimer la gratuité du permis de construire et en fixer le prix à un certain pourcentage du coût de la construction.

La formule que je vous propose aujourd’hui permettrait d’assurer une véritable égalité entre les territoires et une transparence financière vis-à-vis des contribuables qui, de toute façon, auront à assumer ce transfert de charges.

Je saurais donc gré au Gouvernement de bien vouloir engager une réflexion sur cette proposition.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur, vous interrogez Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité sur les évolutions apportées par la loi ALUR concernant l’instruction du droit des sols.

L’article 134 de cette loi prévoit que la mise à disposition des services de l’État pour l’instruction des actes d’urbanisme sera réservée, à compter du 1er juillet 2015, aux seules communes compétentes appartenant à des établissements publics de coopération intercommunale de moins de 10 000 habitants, ou, si l’EPCI est compétent en matière d’urbanisme, aux seuls EPCI de moins de 10 000 habitants, la capacité des intercommunalités à assumer ces missions s’étant significativement renforcée. Il n’est donc pas question d’abandonner les communes ou les EPCI dont la population se situe en dessous de ce seuil.

Je souhaite par ailleurs souligner qu’il ne s’agit pas, en réalité, de l’abandon d’une mission de la part de l’État, mais d’une réorientation de celle-ci vers un « nouveau conseil aux territoires » – le NCT – ciblé sur l’appui à l’émergence de projets, l’aide à la gestion de situations difficiles ou imprévues, le portage de politiques prioritaires de l’État qui doivent s’inscrire sur le territoire, ou encore le concours en termes d’organisation de la sécurité des ouvrages d’art.

La généralisation de l’intercommunalité comme la création du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, également effectives depuis le 1er janvier 2014, ont d’ailleurs facilité cette évolution.

Par ailleurs, il est important de rappeler que l’instruction des actes d’urbanisme est une compétence des collectivités territoriales. Si certains services de l’État étaient jusqu’à présent mis à disposition des collectivités pour les aider à instruire les actes, le maire, ou le représentant de l’intercommunalité, demeurait bien le signataire de l’acte.

Comme vous le rappelez, le code de l’urbanisme précise la liste des services habilités à instruire les actes d’urbanisme. Dans une instruction ministérielle du 3 septembre 2014 relative aux missions de la filière d’application du droit des sols dans les services de l’État et aux mesures d’accompagnement des collectivités locales, il est clairement précisé que, en l’état actuel des textes, une commune ne peut pas confier l’instruction des actes d’urbanisme à des prestataires privés.

La mutualisation de l’ingénierie au niveau intercommunal est la solution la plus adaptée pour répondre aux difficultés que vous signalez. C’est la solution préconisée dans l’instruction du 3 septembre 2014 précitée. En effet, la dissémination des moyens à l’échelle de chaque commune ne paraissait pas judicieuse.

Au-delà de l’aspect financier, la mutualisation permet d’assurer la prise en compte des préoccupations locales tout en capitalisant l’expérience et le savoir-faire avec un service d’instruction dédié au niveau intercommunal. Le maire reste par ailleurs signataire des actes.

Enfin, il n’est pas possible de faire payer les demandeurs des autorisations d’urbanisme, car cela dérogerait au principe – inscrit dans notre droit – suivant lequel l’instruction des autorisations d’urbanisme est considérée comme un service public administratif.

M. le président. La parole est à M. Michel Houel.

M. Michel Houel. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de ces précisions. Il est évident que l’on ne peut s'engager aveuglément dans un tel bouleversement. Il reste que, pour l’avoir moi-même appliquée dans ma communauté de communes, je préconise la mutualisation. Il faudra bien que, in fine, quelqu’un supporte le coût de l’instruction du droit des sols…

mesures à venir contre l'usurpation de plaques d'immatriculation

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 956, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le secrétaire d'État, j’appelle une nouvelle fois l’attention du Gouvernement sur l’urgence qu’il y a à s’occuper des usurpations de plaques d’immatriculation, et particulièrement de ce que l’on appelle les « doublettes ».

En 2010, 5 079 usurpations de plaques étaient recensées. Ce chiffre a été multiplié par plus de trois en 2012, avec 17 479 délits !

Sur ces quelque 17 000 infractions, 11 060 demandes de réimmatriculation ont été effectuées par les automobilistes, alors que la procédure n’était alors pas vraiment connue. Celle-ci constitue la seule aide réelle pour les victimes qui ont réussi à prouver leur innocence, mais elle ne règle pas un phénomène que les sociétés d’assurance évaluent à 400 000 cas par an, monsieur le secrétaire d'État ! Les réimmatriculations à la suite d’une doublette reflètent l’ampleur croissante du phénomène qu’il nous faut constater.

J’en veux pour preuve la facilité déconcertante avec laquelle un magazine automobile a pu faire reproduire le numéro d’immatriculation des véhicules officiels du Président de la République ou de Bernard Cazeneuve par plusieurs revendeurs de plaques.

Plus grave, l’enquête sur les frères Kouachi a récemment révélé que les tueurs avaient utilisé une « doublette parfaite » du véhicule d’un habitant de Lyon.

Si, depuis ma dernière intervention sur ce sujet en mai 2013, une réflexion a été menée entre les directions ministérielles chargées de ce dossier, le Défenseur des droits et des associations de défense des conducteurs, les conclusions auxquelles sont parvenus ces travaux n’ont malheureusement pas été suivies d’effets et n’ont pas trouvé, en particulier, de traduction législative.

J’aimerais, monsieur le secrétaire d'État, connaître les chiffres officiels de ces infractions en 2013 et, si possible, en 2014. Leur croissance continue a conduit l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions, l’ANTAI, à recruter, il y a huit mois, quinze fonctionnaires à temps plein uniquement pour éviter l’envoi de PV injustifiés quand les « doublettes » se révèlent trop grossières.

Ce surcoût, que vous ne pouvez ignorer, monsieur le secrétaire d'État, ne peut continuer de croître sans que l’État agisse.

Comptez-vous combler le vide juridique actuel et suivre le Défenseur des droits quand il recommande de réglementer la profession de fabricant de plaques ?

Allez-vous sécuriser la fabrication des plaques en développant, par exemple, des techniques peu coûteuses comme l’intégration d’un numéro pour un contrôle optique ? Enfin, le ministère va-t-il se décider à encadrer la vente libre d’appareils que des particuliers peuvent trouver aussi facilement sur internet ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. . Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser Bernard Cazeneuve de son absence ; vous l’interrogez sur une question bien connue, sur laquelle je voudrais vous apporter les éléments de réponse qu’il m'a chargé de vous donner.

Tout d'abord, je souhaite rappeler le droit en vigueur.

Circuler ou mettre en circulation un véhicule muni d’une plaque avec un numéro d’immatriculation attribué à un autre véhicule dans des circonstances qui ont ou auraient pu entraîner des poursuites pénales contre un tiers est puni de sept ans de prison et de 30 000 euros d’amende.

S’ajoute à cela un retrait de six points sur le permis de conduire et, à titre de peine complémentaire, la possibilité de le suspendre ou de l’annuler pour une durée de trois ans maximum.

L’auteur des faits risque également la confiscation de son véhicule.

Ces dispositions s’appliquent aux « doublettes parfaites », qui consistent à usurper une plaque d’un véhicule en tous points identique, comme aux « doublettes imparfaites », pour lesquelles l’usurpation du numéro d’immatriculation porte sur un modèle de véhicule différent.

Les usurpations de numéros d’immatriculation de véhicules constituent un phénomène qui a fait l’objet de différentes mesures visant notamment à mieux accompagner les victimes dans leurs démarches.

L’ensemble de la procédure ainsi que les coordonnées des services devant être contactés par les victimes de « doublettes » sont présentés sur le site service public.fr.

Une aide à la rédaction du formulaire de contestation est par ailleurs disponible depuis plusieurs mois sur le site de l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions, et un dispositif de pré-plainte en ligne permet à présent de fournir de premiers éléments aux services de police ou aux unités de gendarmerie territorialement compétents.

Le contrôle des « doublettes imparfaites » réalisé par l’ANTAI depuis novembre 2013 est totalement automatisé et n’a pas nécessité le recrutement de nouveaux agents. Il a permis de diminuer fortement le nombre d’avis de contravention envoyés à des titulaires de certificat d’immatriculation n’ayant commis aucune infraction.

Par ailleurs, les directions générales de la police et de la gendarmerie ont transmis des directives à leurs services et unités afin que les plaintes liées aux « doublettes parfaites », non détectables par l’ANTAI, soient systématiquement enregistrées et renseignées au sein du fichier des véhicules et des objets signalés.

En 2013, 22 164 plaintes ont été déposées auprès des forces de l’ordre, et l’on a compté 17 840 réimmatriculations de véhicules.

Si l’on ne peut se satisfaire de ces chiffres, je note néanmoins qu’en 2014, sur les dix premiers mois de l’année, le nombre de faits signalés pour usurpation de numéro d’immatriculation connaît, après plusieurs années d’augmentation, un premier recul, de près de 10 %.

Mais l’ambition du Gouvernement ne s’arrête pas à cela. Ainsi, une sécurisation accrue pourrait passer par un contrôle des conditions de délivrance des plaques ou par l’apposition de marques sur les plaques ou les véhicules.

Les contraintes de l’ensemble des acteurs doivent toutefois être pleinement prises en compte, notamment en termes de coût et de charge administrative, d’autant que les solutions mises en œuvre à l’étranger, notamment le marquage des plaques par les services de l’État, ne peuvent pas nécessairement être transposées telles quelles en France dans la mesure où, dans leur majorité, les demandes d’immatriculation sont aujourd’hui traitées en dehors des préfectures.

Ces différentes pistes devront faire l’objet d’une concertation avec les professionnels du secteur.

Comme vous l’indiquiez lors d’une précédente question orale, l’une des motivations des auteurs de ces actes réside dans la volonté de se soustraire aux contrôles automatisés. Sur ce sujet particulier, si, depuis 2009, le contrôle par l’arrière du véhicule a permis d’étendre ce dispositif aux deux-roues motorisés, il a également pu constituer un frein à l’identification des auteurs de doublettes.

D’ores et déjà, dans le cadre de la modernisation du parc des radars, deux modèles de radar « double face » sont en cours d’expérimentation.

Installés dans une ou deux cabines, ces équipements détectent et photographient de face et de l’arrière les véhicules circulant au-dessus de la vitesse limite autorisée. Un premier modèle est testé depuis le 12 décembre dans le Rhône, sur la départementale 301. Trois autres appareils seront déployés au début de l’année 2015. En fournissant une photo du conducteur et des plaques montées sur le véhicule, cette technologie facilitera les investigations des forces de l’ordre et participera à la lutte contre les usurpations de numéro d’immatriculation, et plus particulièrement contre les « doublettes parfaites ».

Vous l’aurez compris, monsieur le président, les doublettes évoquées ici n’ont rien à voir avec la pétanque ! (Sourires.)

M. le président. Cela ne m’avait pas échappé, monsieur le secrétaire d’État ! (Nouveaux sourires.)

La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le secrétaire d’État, votre réponse s’inscrit parfaitement dans le sens de ma question : il a donc bien fallu affecter un certain nombre de fonctionnaires - quinze ou trente-cinq, peu importe - au traitement de ces cas d’usurpation, qui ne cessent d’augmenter, puisque, alors qu’on en recensait 17 000 en 2012, nous en étions à plus de 22 000 en 2013 !

Je note que la réponse que vous m’avez lue n’évoque pas le contrôle de ces machines que l’on trouve désormais sur internet.

Surtout, vous avez affirmé d’emblée que la question était bien connue. Ce n’est d’ailleurs pas moi qui l’ai posée pour la première fois en 2013 ; c’est le Défenseur des droits qui a soulevé le problème. Nous sommes aujourd'hui en 2015, et rien n’a encore été fait, alors que le phénomène concerne non plus seulement ceux qui veulent échapper aux radars en utilisant de fausses plaques, mais aussi le grand banditisme et le terrorisme, comme nous en avons eu la preuve tout récemment.

Les frères Kouachi, qui ont d’ailleurs laissé leur carte d’identité dans le véhicule qu’ils ont utilisé, avaient autre chose en tête que la volonté d’échapper à une amende ! Le problème est donc très grave.

Des systèmes ont été mis en place par d’autres pays. Lorsque je m’interroge sur leur adoption par la France, on me rappelle à chaque fois les contraintes des différents acteurs. Toutefois, les règles de droit que vous avez citées, monsieur le secrétaire d’État, devraient déboucher sur un encadrement plus strict de la fabrication des plaques d’immatriculation.

Je l’ai dit, on peut se faire faire une plaque d’immatriculation sans aucune difficulté. Selon moi, il n’est pas normal que ceux qui sont théoriquement habilités à fabriquer des plaques d’immatriculation n’effectuent aucune vérification, ne réclamant ni permis de conduire ni carte d’immatriculation. Les dispositifs adoptés ailleurs et, en particulier, la mise en place d’une puce ou d’un système de lecture optique, pourraient permettre aux forces de l’ordre de repérer plus facilement les infractions, sans attendre qu’une amende soit envoyée au domicile d’une personne n’ayant jamais conduit dans le département dans lequel l’infraction a été commise.

Il faut donc faire de la prévention. Or, pour le moment, on se contente de constater, en essayant d’alléger un peu – heureusement ! – le sort des automobilistes dont la plaque d’immatriculation a été usurpée, en mettant à disposition sur internet un certain nombre d’informations. Ce que je réclame, comme d’autres, c’est que le Gouvernement prenne en charge en amont ces usurpations, et d’une façon plus efficace !

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

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Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point concernant le scrutin n° 89 sur l’ensemble de la proposition de loi organique portant diverses dispositions relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy : j’ai en effet été déclarée comme ayant voté pour, alors que je souhaitais m’abstenir, tandis que, à l’inverse, mon homonyme, M. Jacques Gillot, a été déclaré comme s’étant abstenu, alors qu’il souhaitait voter pour.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, madame Gillot. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

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Éloge funèbre de Jean-Yves Dusserre, sénateur des Hautes-Alpes

M. le président. Messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, mesdames, messieurs, c’est avec une très grande tristesse, et pourquoi ne pas le dire une certaine stupeur, que nous avons appris, le 27 décembre dernier, la brutale disparition de notre collègue Jean-Yves Dusserre, à son domicile de Chabottes, commune qui lui était si chère et qui l’avait vu naître le 1er janvier 1953. (M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

C’est donc avant même d’avoir fêté ses soixante-deux ans que notre collègue nous a quittés. Nous savions – il m’en avait fait la douloureuse confidence quelques semaines plus tôt, ainsi qu’à son président de groupe – qu’il luttait depuis plusieurs mois contre la maladie. La volonté de se battre et, espérait-il, de revenir parmi nous plein d’énergie ne l’a jamais quitté, mais son état de santé s’était rapidement dégradé en cette fin d’année 2014.

Il avait ainsi été victime d’un malaise lors des cérémonies du 11 novembre à Gap, mais il avait encore fait l’effort d’une ultime apparition publique le 18 décembre, à Briançon, à l’occasion de l’inauguration du pont sur la Durance qui lui tenait tant à cœur.

Nous le savions donc fatigué mais, comme tous ses proches, nous gardions espoir et n’imaginions pas que le mal contre lequel il luttait, avec la discrétion et le courage qui le caractérisaient, allait l’emporter avec une telle rapidité.

L’annonce de son décès a bouleversé l’ensemble du département des Hautes-Alpes, qui s’est trouvé, comme le Sénat de la République, brutalement en deuil, en pleine période de fêtes de fin d’année.

Jean-Yves Dusserre nous avait rejoints au palais du Luxembourg le 28 septembre dernier, après avoir été durant près de quatorze ans le suppléant à l’Assemblée nationale de notre collègue Patrick Ollier, qui est présent dans nos tribunes.

Les 438 grands électeurs du département des Hautes-Alpes se sont, à l’automne dernier, largement prononcés en sa faveur pour succéder à notre ancien collègue Pierre Bernard-Reymond.

Il avait, tout au long de la campagne sénatoriale, plaidé pour les thèmes qui lui étaient chers, en faveur des Hautes-Alpes, qu’il s’agisse du développement du tourisme ou de l’économie, du désenclavement de son département, sans parler, bien sûr, de la question épineuse et récurrente du loup.

Dès son arrivée au Sénat, Jean-Yves Dusserre avait su, par sa convivialité, son profond humanisme et sa finesse d’esprit, ainsi que par la simplicité, la sincérité et l’enthousiasme de son engagement passionné en faveur des territoires ruraux et de montagne, gagner la sympathie et le respect de tous.

Il avait pris toute sa place au sein du groupe UMP, formation politique qu’il avait rejointe dès sa constitution, comme à la commission des affaires sociales, où il avait eu à intervenir à l’occasion de la dernière discussion budgétaire, sur le thème du logement.

Il avait également souhaité participer aux travaux de la nouvelle délégation sénatoriale aux entreprises dont nous avons décidé la création il y a quelques semaines.

Si Jean-Yves Dusserre n’a malheureusement pas eu le temps de donner toute sa mesure au Sénat de la République, il avait auparavant gravi, durant trente-sept ans de carrière publique et politique, tous les échelons.

Jean-Yves Dusserre était d’abord un homme de consensus, à la recherche des compromis constructifs et à l’écoute des uns et des autres, y compris de ses adversaires politiques, qui ne cachaient pas leur sympathie à son égard, comme une reconnaissance pour les décennies de travail accompli au service de son territoire et de son département haut-alpin.

Ces traits de caractère, Jean-Yves Dusserre les tenait de la richesse de sa formation et des valeurs qu’il avait reçues de ses parents agriculteurs.

Ses valeurs étaient d’abord celles du monde rural. Il était viscéralement attaché à la montagne, à son agriculture, à son élevage, et s’inscrivait pleinement dans la tradition familiale d’une terre authentique, celle du monde paysan et des stations alpines, pour le développement desquelles il s’est battu tout au long de sa carrière.

Après des études secondaires sur les bancs du lycée Dominique-Villars puis du lycée Aristide-Briand de Gap, le jeune Jean-Yves Dusserre prit la direction d’Aix-en-Provence pour y obtenir une maîtrise en droit en 1976. Cette formation de juriste l’aura servi, tout au long de ses mandats, pour mener une gestion rigoureuse et avisée à la tête, successivement, de sa commune et de son département.

Mais Jean-Yves Dusserre était également un homme de l’entreprise, ayant été responsable d’une société pendant sept ans, puis à nouveau d’une structure commerciale pendant près d’une décennie. L’école de l’entreprise privée aura ainsi contribué à forger concrètement son approche pragmatique de la politique et des réalités économiques de notre pays.

Enfin, l’engagement politique de Jean-Yves Dusserre s’inscrivait également dans la droite ligne d’un investissement ancien et constant dans la vie associative, puisqu’il s’était impliqué dès l’adolescence, dans son village de Chabottes, dans de multiples activités de proximité en présidant aux destinées de diverses associations.

La carrière exemplaire d’élu local de Jean-Yves Dusserre avait ainsi commencé dès l’âge de 24 ans, lorsqu’il intégra le conseil municipal de sa commune natale. Son dynamisme, son caractère chaleureux et son dévouement le conduisirent à être élu maire de Chabottes deux ans plus tard seulement. Il occupera dès lors cette fonction sans discontinuer de 1979 à 2008.

Jean-Yves Dusserre, qui était encore premier adjoint au maire de sa commune, n’oubliera jamais ses racines. Elles lui avaient naturellement servi d’ancrage pour se lancer dans une carrière politique qui le conduira jusqu’à la présidence du conseil général des Hautes-Alpes.

Il fut conseiller général de Saint-Bonnet-en-Champsaur en 1992, deuxième vice-président du conseil général de 1998 à 2001, puis premier vice-président de 2001 à 2004. C’est finalement en 2008, après avoir patiemment retissé les fils d’une opposition divisée, que Jean-Yves Dusserre accède, à l’issue des élections cantonales de mars 2008, à la présidence du conseil général.

Il se dévouera dès lors sans compter, avec la passion qui le caractérisait, à cette nouvelle mission, qu’il s’agisse de la réfection du réseau routier, de l’entretien des collèges et bâtiments départementaux ou de la nouvelle agence départementale de l’économie et du tourisme, sans oublier les relations entre le département des Hautes-Alpes et la Société du Tour de France, qui lui étaient chères et lui permirent d’obtenir le passage sur son territoire, à l’été prochain, de cette compétition sportive de légende.

Le dévouement de Jean-Yves Dusserre pour ses concitoyens, sa passion pour son territoire et pour son département expliquent sans nul doute les hommages unanimes qui lui ont été rendus au cours des dernières semaines, par ses proches, par ses amis mais aussi par ses adversaires politiques.

Le maître-mot de la politique mise en œuvre par Jean-Yves Dusserre était sans aucun doute celui de proximité. Rester proche de chacun, à l’écoute de ses concitoyens, était, disait-il, le meilleur moyen de répondre à leurs besoins. « La proximité, c’est ça ma politique », se plaisait-il à dire.

Jean-Yves Dusserre aura ainsi, durant près de quarante ans, servi sa commune, son canton puis son département. Il aura puissamment contribué au développement économique de son territoire et à son rayonnement en France et en Europe.

Tel était aussi l’objectif qu’il visait au travers du mandat sénatorial qui était le sien depuis septembre dernier, et qui s’inscrivait dans la droite ligne de son engagement local.

Écoutons-le encore : « La politique est la meilleure manière d’agir pour que chaque voix soit entendue et pour que l’équité, la proximité, la solidarité règnent en maîtres-mots sur notre département rural de montagne dont nous sommes si fiers. »

Ce message, Jean-Yves Dusserre aura su le faire entendre durant quelques mois dans ces murs, au sein du Sénat de la République. Nous ne l’oublierons pas.

Mes chers collègues, la personnalité attachante de Jean-Yves Dusserre et l’action exceptionnelle qu’il a conduite au long de sa vie publique justifient pleinement que lui soit rendu aujourd’hui, dans notre hémicycle, l’hommage de la République.

À nos collègues du groupe UMP, à ceux de notre commission des affaires sociales, qui perdent aujourd’hui l’un de leurs membres, ainsi qu’à Mme Patricia Morhet-Richaud, qui a la lourde charge de lui succéder, j’exprime à cet instant notre sympathie attristée.

Mme Dusserre m’a prié de remercier les nombreux collègues, sur toutes les travées, qui lui ont adressé leurs témoignages de soutien et leurs messages de réconfort. À vous, madame, à vos deux enfants, Sylvie et Hervé, et à chacun de vos petits-enfants, je présente les condoléances sincères du Sénat de la République et dis la part personnelle que nous prenons aujourd’hui à votre chagrin.

La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec une très grande tristesse que le Gouvernement a appris la disparition de Jean-Yves Dusserre, trois mois seulement après son élection au sein de la Haute Assemblée. Comme l’a dit M. le Premier ministre, la République a perdu un élu sincère et passionné par son territoire.

Fils d’agriculteurs champsaurins, Jean-Yves Dusserre était profondément attaché aux terres de montagne qui l’avaient vu naître. Certes, il avait quitté les Hautes-Alpes à la fin de ses études secondaires pour aller étudier le droit privé à Aix-en-Provence, mais ce n’était que pour mieux y revenir une fois sa maîtrise obtenue. Il avait ainsi regagné le Champsaur dès la fin de ses études, pour devenir conseiller municipal de Chabottes à l’âge de 24 ans, avant d’être élu maire de la commune à peine deux ans plus tard.

Défenseur inlassable de la ruralité, Jean-Yves Dusserre a porté ses valeurs à l’échelle du département. Élu conseiller général en 1992, il devient vice-président du conseil général des Hautes-Alpes dès 1998, avant d’en prendre la présidence en mars 2008. Les citoyens lui ont, pendant toutes ces années, accordé une confiance totale, comme en témoigne le fait qu’il a obtenu chacune de ses réélections dès le premier tour.

Tous ceux qui ont connu Jean-Yves Dusserre saluent la mémoire d’un homme de consensus, qui savait rassembler, et surtout écouter. Sa simplicité, sa sincérité et ses qualités humaines étaient appréciées de tous, par-delà les divergences politiques, comme en témoignent les très nombreux hommages qui lui ont été rendus.

Au sein du conseil général des Hautes-Alpes, Jean-Yves Dusserre a œuvré sans relâche pour améliorer la vie quotidienne des Hauts-Alpins et pour favoriser le rayonnement de son département. Je tiens en particulier à rendre hommage à son action en faveur des jeunes et des habitants les plus fragiles, à son engagement constant pour la mise en œuvre de politiques publiques pragmatiques et de proximité.

Jean-Yves Dusserre était convaincu que l’action publique devait tendre vers un équilibre : faire vivre les services publics tout en dynamisant les initiatives privées. Fort de cette conviction, il avait fait le choix, au Sénat, d’être membre de la commission des affaires sociales et de la délégation sénatoriale aux entreprises.

Hélas, son mandat au Sénat fut dramatiquement interrompu le 27 décembre dernier, date à laquelle Jean-Yves Dusserre a été emporté par la maladie. Il a affronté cette épreuve dans la discrétion, en continuant jusqu’au bout à assumer les mandats qui lui avaient été confiés par les citoyens et les élus des Hautes-Alpes. Son courage est, pour nous tous, une source d’admiration.

Je présente les très sincères condoléances du Gouvernement à la famille de Jean-Yves Dusserre, à son épouse Colette, à ses deux enfants, Sylvie et Hervé, à ses petits-enfants, aux habitants du Champsaur et des Hautes-Alpes, aux membres du conseil général des Hautes-Alpes, ainsi qu’à l’ensemble de ses collègues sénateurs et à ses collaborateurs.

M. le président. Messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, je vous invite maintenant à partager un moment de recueillement à la mémoire de Jean-Yves Dusserre. (MM. les secrétaires d’État, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)

Mes chers collègues, conformément à notre tradition, en signe d’hommage à Jean-Yves Dusserre, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Demande de création d’une commission d’enquête

Mme la présidente. Par lettre en date du 2 février 2015, M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste, a fait connaître à M. le président du Sénat que le groupe écologiste demande, en application de son droit de tirage prévu à l’article 6 bis du règlement, la création d’une commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air.

La conférence des présidents sera saisie de cette demande de création lors de sa prochaine réunion.

6

Scrutins pour l'élection de membres représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les scrutins pour l’élection d’un membre titulaire et d’un membre suppléant représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini.

En application des articles 2 et 3 de la loi n° 49-984 du 23 juillet 1949, la majorité absolue des votants est requise.

Il va être procédé à ces scrutins dans la salle des conférences, en application de l’article 61 du règlement.

Pour être valables, les bulletins de vote ne doivent pas comporter, pour chacun des scrutins, plus d’un nom, sous peine de nullité.

J’ai été saisie des candidatures de Mme Maryvonne Blondin, pour siéger comme membre titulaire, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, et de M. Jacques Bigot, pour siéger comme membre suppléant, en remplacement de Mme Maryvonne Blondin.

Je prie M. Jean Desessard, Mmes Valérie Létard, Colette Mélot et M. Claude Haut, secrétaires du Sénat, de bien vouloir superviser les opérations de vote et de dépouillement.

Je déclare ouverts les scrutins pour l’élection d’un membre titulaire et d’un membre suppléant représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Ils seront clos dans une heure.

7

 
Dossier législatif : proposition de résolution présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d'accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis
Discussion générale (suite)

Accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis

Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de résolution européenne sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d’accords commerciaux entre l’Union européenne, le Canada et les États-Unis, présentée, en application de l’article 73 quinquies du règlement, par M. Michel Billout et plusieurs de ses collègues (rapport et texte de la commission n° 199).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Billout, auteur de la proposition de résolution.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d'accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. Michel Billout, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui invités à débattre de la proposition de résolution européenne n° 75 sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d’accords commerciaux entre l’Union européenne, le Canada et les États-Unis, que la commission des affaires européennes, sur la base d’une proposition déposée par mon groupe, a adoptée à l’unanimité, après l’avoir amendée, le 27 novembre dernier.

Ce texte a un double objet.

D’une part, il dénonce l’opacité des négociations menées jusqu’à la fin de l’année dernière par l’Union européenne avec le Canada sur l’accord économique et commercial global, le CETA, et de celles qui ont été ouvertes en juin 2013 et sont actuellement en cours avec les États-Unis en vue de l’établissement d’un partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, le TTIP.

D’autre part, le texte que nous examinons s’oppose à un projet d’accord prévoyant un mécanisme de règlement à caractère privé des différends entre les investisseurs et les États. Certes, nous abordons ainsi les négociations transatlantiques sous un angle partiel, mais, en adoptant ce projet de résolution, la commission des affaires européennes a considéré que ce sujet est emblématique d’une menace que ces négociations peuvent représenter pour nos choix de société et notre ordre institutionnel.

J’aborderai en premier lieu la question de la transparence, qui est prioritaire.

Dans le contexte de crise, économique mais aussi politique, que traverse l’Europe, nous devons considérer comme un impératif démocratique la transparence des négociations commerciales menées par la Commission européenne, et plus particulièrement, compte tenu de leurs enjeux, de celles qui sont conduites avec le Canada et les États-Unis.

S’agissant d’ailleurs du rôle des parlements nationaux, il subsiste une incertitude quant à la nature mixte de ces accords, qui les fait relever tant des compétences de l’Union européenne que de celles des États membres. Cela a son importance, dans la mesure où un accord mixte doit non seulement obtenir l’aval du Conseil et du Parlement européens, mais également être ratifié par chaque État membre.

Il nous semble donc essentiel, du point de vue des opinions publiques européennes, que la Commission européenne ne cultive pas le secret sur les négociations qu’elle conduit pour le compte du Conseil. Cela ne fait que nourrir les inquiétudes.

Il est vrai que rien, dans les traités, ne l’oblige à informer les parlements nationaux, mais ce serait prendre un grand risque politique que de les ignorer jusqu’au moment de la ratification.

Le contrôle démocratique, ce n’est pas : « voici l’accord, c’est à prendre ou à laisser ». C’est pourtant le scénario que l’on tente de nous imposer concernant l’accord avec le Canada. Sa publication, à la fin de septembre, nous a permis de découvrir un texte de plus de 1 600 pages, et la Commission européenne, sur le fondement du mandat du Conseil, présente la négociation comme close.

Il est évident que nous ne saurions nous satisfaire d’une telle affirmation. Les négociateurs ont peut-être achevé la principale partie de leur travail, mais c’est maintenant aux représentants des citoyens européens, ou aux citoyens eux-mêmes, de ratifier le traité proposé en totalité, après amendements, ou de le rejeter.

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Michel Billout. Quant au partenariat transatlantique, c’est sous la pression de l’opinion publique que le Conseil s’est enfin résolu, au mois d’octobre dernier, à déclassifier et à publier le mandat de négociation qu’il avait confié quinze mois plus tôt à la Commission européenne.

Mais l’effort de transparence doit être poursuivi tout au long des négociations. Monsieur le secrétaire d’État, vous êtes sur cette ligne et la nouvelle commissaire européenne au commerce semble aussi plus attentive à l’impératif de transparence. Le 7 janvier dernier, la Commission a ainsi mis en ligne plusieurs textes et règles contraignantes que l’Union européenne souhaite faire figurer dans l’accord de libre-échange. Il faut se féliciter de cette nouvelle démarche, mais les textes américains, et même les documents communs européens et américains, restent, hélas, bien confidentiels.

D’autres évolutions positives sont d’ailleurs intervenues ces dernières semaines : la Commission s’est ainsi engagée à publier davantage de documents de négociation qu’elle partage déjà avec les États membres et le Parlement européen ; elle donnera de même un accès élargi à tous les députés européens à ses documents de négociation classifiés « UE-restreints » au sein d’une « salle de lecture » sécurisée. Elle réduira par ailleurs la quantité de ces documents classifiés, afin, précisément, de les rendre accessibles, hors la salle de lecture, à tous les eurodéputés. Ces démarches vont dans le bon sens, même si la partie américaine reste extrêmement fermée à la transparence sur ses propres documents de positions. Il s’agit donc d’un encouragement à rester fermes sur notre exigence démocratique de transparence des négociations.

Madame la présidente, mes chers collègues, parmi les sujets d’inquiétude qu’alimentent ces négociations, le système de règlement des différends entre investisseurs et États s’est imposé dans l’opinion ces derniers mois.

De quoi s’agit-il ? C’est un dispositif d’arbitrage privé auquel un investisseur peut recourir si l’État dans lequel il a investi ne respecte pas les règles de protection des investissements fixées dans un traité. Il s’inspire de l’arbitrage commercial auquel recourent les entreprises en cas de contentieux contractuel et qu’elles apprécient pour sa rapidité, sa confidentialité et son autonomie par rapport à la justice nationale de chacune des parties au différend. Ce mécanisme, que désigne le plus souvent l’acronyme anglais ISDS, pour Investor-State Dispute Settlement, accompagne déjà de nombreux accords de protection des investissements : ainsi, les États membres de l’Union, à l’exception de l’Irlande, sont aujourd’hui parties à 1 300 traités incluant ce mécanisme. Notre Parlement lui-même a ratifié près de cent accords de protection des investissements comportant une telle clause, afin de donner à nos investisseurs les moyens de faire valoir leurs droits dans des pays où l’État de droit est encore fragile : il s’agit plutôt de pays du Sud, mais nous avons aussi signé de tels accords avec la Corée du Sud, la Chine et même avec certains États d’Europe de l’Est.

Ce système n’est donc pas une nouveauté. Il peut répondre au besoin des investisseurs de se couvrir contre le risque de subir, de la part de l’État où ils ont investi, soit un traitement discriminatoire, soit une expropriation. Dédommager un investisseur victime d’expropriation directe ne fait pas débat ; la question est plus délicate quand il s’agit d’expropriation indirecte, notion très floue, qui donne lieu à diverses interprétations selon les arbitres.

Avec le développement des investissements directs à l’étranger, le recours au règlement des différends s’est banalisé. En plus de présenter des défauts en termes de transparence, l’arbitrage d’investissement a donné lieu à des abus retentissants : plusieurs entreprises ont pu ainsi obtenir des dédommagements parfois extraordinairement élevés de la part d’États qui avaient adopté des mesures qui leur portaient préjudice. Ainsi, Petroleum a pu gagner 1,7 milliard de dollars contre l’Équateur, soit près de 2 % du PIB du pays, l’Australie s’est trouvée mise en cause par Philip Morris pour avoir choisi de rendre neutres les paquets de cigarettes, l’Allemagne est attaquée pour sa décision de renoncer à l’énergie nucléaire. Voici un autre exemple, français celui-là : Veolia a engagé un recours contre l’Égypte en 2012 ; encore en cours d’instruction, la plainte de Veolia a été déposée au nom du traité d’investissement conclu entre la France et l’Égypte. La nouvelle loi sur le travail adoptée en Égypte et créant un salaire minimum contreviendrait, selon Veolia, aux engagements pris dans le cadre du partenariat public-privé signé avec la ville d’Alexandrie pour le traitement de ses déchets.

Les États sont ainsi menacés de sanctions financières massives pour des décisions d’ordre sanitaire, social ou environnemental. Cette pression exercée sur eux risque de les dissuader de légiférer.

Pourquoi donc inclure un tel dispositif dans les accords CETA et TTIP ? Nos partenaires d’outre-Atlantique y voient l’occasion d’harmoniser les règles de protection des investissements dans toute l’Union et d’assurer leur mise en œuvre dans tous les États membres, quelle que soit la fiabilité du système judiciaire de chacun de ces États. Les États-Unis espèrent aussi, en insérant un ISDS dans le partenariat transatlantique, comme dans son équivalent transpacifique, imposer un tel mécanisme à la Chine.

Du côté européen, il faut d’abord relever que la conclusion d’accords d’investissement constitue une compétence récente de l’Union européenne, que lui a conférée le traité de Lisbonne. L’objectif d’un accord d’investissement comprenant un ISDS est bien sûr d’encourager les investissements croisés avec les États-Unis et le Canada pour renforcer l’attractivité de l’Union ; il est aussi de faciliter la résolution des litiges pour les entreprises européennes, car le système judiciaire outre-Atlantique est coûteux et complexe à appréhender du fait de la structure fédérale. Enfin, l’Union entend, à l’occasion de la négociation de ces accords, moderniser la protection des investissements et l’arbitrage associé pour infuser ce modèle amélioré à l’échelle mondiale.

La Commission fait ainsi valoir que l’accord avec le Canada présente sur ce plan de nombreuses avancées par rapport aux ISDS des accords bilatéraux existants : moins d’ambiguïté dans l’interprétation, grâce à la fois à un meilleur encadrement des notions de traitement juste et équitable et d’expropriation indirecte et à l’obligation faite aux arbitres de se conformer à l’interprétation des clauses du traité par ses signataires ; une plus grande transparence de la procédure d’arbitrage ; une plus grande impartialité des arbitres grâce à une meilleure prévention des conflits d’intérêts, au respect d’un code de conduite et à la constitution d’une liste d’arbitres agréés par les parties au traité ; un encadrement du coût des litiges et la prise en charge des frais par le plaignant.

Il est vrai qu’il s’agit d’avancées certaines, qui démontrent bien toutes les anomalies d’un tel système, mais ces modifications ne règlent pas tous les défauts de transparence, elles ne règlent pas totalement les risques de conflits d’intérêts et, surtout, elles renvoient à un hypothétique avenir la création d’une juridiction d’appel.

C’est pourquoi, au terme de la douzaine d’auditions que j’ai menées pour préparer mon rapport, je persiste à penser qu’il nous faut nous opposer à l’introduction d’un tel système d’arbitrage privé des différends entre États et investisseurs dans l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis, et revenir sur ce point en ce qui concerne l’accord entre l’Union européenne et le Canada.

Instaurer un tel système entre des États de droit bien établis paraît sans fondement : le flux des investissements croisés entre l’Union européenne et les États-Unis en est la preuve. Surtout, cela fait peu de cas du principe de démocratie et du respect de l’État de droit. Voulons-nous avoir à indemniser des sociétés étrangères pour compenser d’éventuelles conséquences industrielles de nos choix démocratiques ? Voulons-nous privilégier une justice privée par rapport à celle de nos tribunaux ? D’ailleurs, M. le président Juncker ne s’y est pas trompé, qui déclarait lors de son discours d’investiture qu’il s’opposerait à ce que « la juridiction des tribunaux des États membres de l’Union soit limitée par des régimes spéciaux applicables aux litiges entre investisseurs ».

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette question de l’arbitrage en matière d’investissements est aujourd’hui gelée dans les négociations du TTIP. Le 13 janvier dernier, la Commission a commencé à tirer les premières conclusions des résultats de la consultation qu’elle a menée l’année dernière auprès de la société civile. Le premier enseignement est que l’écrasante majorité des réponses à son questionnaire sont plus que réservées, sinon franchement hostiles à l’inclusion d’un tel mécanisme au sein du TTIP.

La Commission entend poursuivre sa consultation avec les eurodéputés, les gouvernements et les parties prenantes sur trois enjeux centraux : le droit des États à réglementer, le fonctionnement des instances arbitrales et les relations avec les tribunaux nationaux, sans oublier l’idée d’un mécanisme d’appel. Monsieur le secrétaire d'État, il serait intéressant que vous nous indiquiez la position de notre gouvernement sur ces questions.

Les motifs d’opposition sont suffisamment sérieux, aux yeux de la commission des affaires européennes, pour suggérer de reconsidérer aujourd’hui l’introduction d’un ISDS dans l’accord avec le Canada, comme dans le partenariat transatlantique, sans oublier l’accord conclu avec Singapour. À défaut, la ratification de ces accords rencontrerait de réelles difficultés.

Concernant la négociation avec les États-Unis, le jeu est plus ouvert. C’est pourquoi notre proposition de résolution mentionne, outre l’option d’écarter l’idée de l’arbitrage privé avant même d’ouvrir ce chapitre de la négociation avec notre partenaire, celle de recourir à un mécanisme de règlement interétatique des différends en matière d’investissements inspiré du modèle de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce.

La proposition de résolution insiste aussi sur la nécessité que les règles de protection des investissements finalement retenues dans le TTIP reconnaissent explicitement la possibilité, pour l’Europe, de développer ses politiques propres, y compris en matière industrielle, et de préserver ses acquis, notamment en matière sociale, environnementale et sanitaire. Sans doute les États-Unis sauront-ils eux aussi se ménager de nombreuses exceptions, au nom de leur sécurité et de leurs intérêts nationaux.

Plus largement, en ce qui concerne l’ensemble de la politique commerciale, la proposition de résolution suggère d’examiner systématiquement l’opportunité d’inscrire un ISDS dans le traité, au lieu d’en prévoir un automatiquement. Nous proposons aussi que le Gouvernement remette au Parlement un rapport annuel donnant une vision d’ensemble des objectifs et des principes qui guident la politique commerciale et d’investissement de l’Union européenne et de la France.

Au bénéfice de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter la proposition de résolution qui vous est soumise. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l’absence de mes collègues du groupe UMP, retenus par un séminaire de travail dont la tenue ce jour était prévue depuis plusieurs semaines. Leur absence ne témoigne évidemment pas d’un quelconque désintérêt à l’égard du sujet qui nous occupe cet après-midi.

En tant que rapporteur de la commission des affaires économiques, je voudrais dire d’emblée que tout ce qui touche aux négociations commerciales suscite beaucoup d’intérêt et d’espoir, mais aussi d’inquiétude, parfois renforcée par l’ignorance dans laquelle nous sommes quant aux discussions en cours. Cette ignorance entraîne une certaine méfiance, voire de l’hostilité.

Concernant le TTIP, lorsque nous avons appris que des discussions étaient engagées – c’était au milieu de l’année 2013 –, le Sénat s’est tout de suite manifesté, par le biais de sa commission des affaires économiques et de son président de l’époque, Daniel Raoul, que je salue. La proposition de résolution que M. Raoul avait alors rédigée avait, je crois, emporté l’adhésion de l’unanimité des membres de la Haute Assemblée. Il s’agissait d’exprimer deux inquiétudes fortes, à propos des produits d’élevage et de l’exception culturelle.

Ce n’est que l’année dernière que nous avons pris conscience, sinon connaissance, des discussions engagées, à partir de 2009, entre l’Union européenne et le Canada au sujet du CETA. Cet accord n’a guère fait parler de lui, sauf dans les dernières semaines de sa négociation. Daniel Raoul avait eu l’intuition qu’il fallait aller examiner les choses de près sur place, au Canada. Il y a conduit une délégation, à laquelle j’appartenais. En septembre dernier, nous avons ainsi rencontré l’ensemble des parties prenantes, aussi bien au niveau confédéral qu’au niveau provincial. Elles nous ont instruits sur les intentions et les attendus du texte, qui était alors en voie d’achèvement. Nous avons notamment rencontré Pierre Marc Johnson, le négociateur canadien auprès de la Commission européenne.

C’est le 26 septembre dernier que nous avons appris que l’accord final avait été conclu. Le texte, volumineux, fait 1 634 pages, en comptant les annexes, qui ont leur importance. Il est aujourd'hui en cours de traduction, afin d’être porté à la connaissance de l’ensemble des États de l’Union européenne, et sera un jour examiné par le Parlement français.

Je souligne – mais ce débat est déjà dépassé – que le Parlement doit naturellement intervenir dans le processus. Nous avions interrogé le Gouvernement à ce sujet lors d’une séance de questions cribles thématiques. Ses premières réponses – ce n’était pas vous, monsieur le secrétaire d'État, mais l’un de vos collègues, maîtrisant peut-être mal le sujet, qui était au banc du Gouvernement – avaient été imprécises. Cependant, devant l’assurance des parlementaires, ces réponses s’étaient fortifiées vers la fin du débat. Toutes assurances nous avaient été données que le Parlement serait amené à ratifier le CETA le moment venu.

Si nous parlons du CETA en même temps que du TTIP, c’est parce que la question qui se pose est de savoir si l’érable ne va pas cacher la forêt…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. … et si le contenu de l’accord conclu entre l’Union européenne et le Canada ne recèle pas un certain nombre de difficultés qui pourraient avoir un retentissement sur les discussions avec les États-Unis.

Pour autant, disons-le, on peut porter sur le CETA un regard globalement positif. Il reconnaît d'abord 173 indications géographiques protégées, ou IGP, dont 42 pour la France : c’est un acquis important. Figure également dans cet accord un assouplissement des règles douanières, qui contribuera certainement à faciliter les échanges. Par ailleurs, il prévoit l’accès des entreprises européennes aux marchés publics canadiens, aussi bien au niveau confédéral qu’au niveau provincial ; ce n’est pas rien, dans la mesure où les appels d’offres portent sur un total de 100 milliards de dollars. Enfin, il comporte des dispositions visant à permettre aux cadres de nos entreprises de se rendre et de séjourner plus facilement au Canada au titre de leurs missions professionnelles.

Devons-nous nous engager dans la voie de la conclusion du TTIP pour asseoir les relations économiques entre l’Union européenne et les États-Unis ? La proposition de résolution déposée par Michel Billout a été examinée par la commission des affaires européennes, qui l’a adoptée à l’unanimité après en avoir modifié le texte. La commission des affaires économiques l’a étudiée à son tour au cours d’une séance particulièrement intéressante, avant de l’adopter elle aussi à l’unanimité. Le texte qui vous est soumis aujourd'hui diffère sur certains points de celui qu’avait initialement présenté M. Billout.

Deux questions importantes, parmi d’autres, ont retenu l’attention de notre collègue et de la Haute Assemblée : la transparence et le règlement des conflits.

S'agissant de la transparence, reconnaissons d'abord que tout ne peut pas être mis sur la table : il va de soi que tous les éléments d’une négociation ne peuvent pas faire l’objet de la plus large publicité. Pour autant, la volonté de transparence s’affiche à tous les niveaux : aux niveaux européen et gouvernemental comme à celui de notre assemblée.

À l’échelon européen, cela a été relevé, sous l’impulsion de Cecilia Malmström, la Commission a publié son mandat de négociation. Son site internet se fait très largement l’écho de tous les travaux en cours et elle est très attentive à ce que la transparence soit totale dans des domaines connexes, par exemple en ce qui concerne les discussions sur les services au sein de l’OMC.

Le Gouvernement a lui aussi pris des initiatives pour assurer la transparence. Monsieur le secrétaire d'État, je salue la création d’un comité stratégique placé sous l’autorité de Laurent Fabius et de vous-même, qui comporte deux collèges représentant respectivement la société civile et les parlementaires. En tant que membre du second de ces collèges, j’ai déjà eu l’occasion de participer aux réunions du comité stratégique, qui nous permettent d’avoir une connaissance étendue des sujets évoqués dans le cadre des négociations.

Monsieur le secrétaire d'État, au travers de cette proposition de résolution, le Sénat demande au Gouvernement de remettre chaque année un rapport au Parlement, afin que ce dernier puisse disposer d’un aperçu synthétique de l’ensemble des discussions menées au cours des douze mois précédents. Le Sénat a en outre décidé de créer un groupe de suivi associant des parlementaires de plusieurs commissions.

Il y a donc davantage de transparence aujourd'hui. À ce propos, j’ai pris note avec beaucoup d’intérêt d’une observation formulée par le négociateur américain, l’ambassadeur Anthony Gardner. Celui-ci a souligné que la transparence pouvait peut-être s’appliquer aussi aux organisations non gouvernementales qui participent aux discussions. Il faudrait savoir quels intérêts elles défendent, pour identifier les éventuels conflits d’intérêts et comprendre les raisons de leur intervention dans le débat. Je fais mienne cette observation, et je pense qu’elle peut être partagée par la totalité des membres de la Haute Assemblée.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Ce ne serait pas inutile, en effet !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le président de la commission des affaires européennes, de m’apporter votre soutien.

La seconde question, à savoir celle du règlement des différends, et donc de l’arbitrage, est de loin la plus importante. Il s’agit évidemment d’un sujet sensible, car il y va de la souveraineté nationale. Nous savons, chaque fois que c’est nécessaire, défendre les intérêts supérieurs de notre pays. Nous ne saurions admettre que des politiques auxquelles nous sommes attachés puissent être contrariées par des décisions qui nous seraient d’une certaine façon imposées par des entreprises ou des investisseurs.

Pour autant, il existe aujourd’hui un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, l’ISDS, selon l’acronyme anglais.

Il faut également prendre en compte la situation d’entreprises qui se trouveraient lésées, victimes de discrimination ou dépossédées de leurs biens. Nous n’en sommes plus aux temps où Nasser nationalisait le canal de Suez ou Fidel Castro les casinos de La Havane, mais il y a des formes d’expropriation indirecte.

Aujourd’hui, plusieurs solutions s’offrent à ces entreprises. L’une consiste à se tourner vers la justice de l’État concerné, mais il y a une condition préalable : celui-ci doit être un État de droit. En l’espèce, c’est incontestablement le cas des États-Unis.

Cela dit, il convient de relever une très grande difficulté : la justice américaine exclut tout recours non prévu par le traité tel qu’il aura été ratifié par le Congrès américain. Or il faut savoir que ce dernier, de façon assez constante, élimine toutes les clauses qui permettraient à une entreprise de saisir directement la justice américaine.

Une autre formule consiste à s’appuyer sur un règlement interétatique, tel que celui qui existe au sein de l’OMC. Cependant, comme son nom l’indique, un tel règlement s’applique entre les États : les investisseurs et les entreprises ne se sentent donc pas forcément protégés au mieux.

Finalement, nous en arrivons à la solution de l’arbitrage, telle qu’elle figure aujourd’hui dans le CETA et dans le projet de TTIP.

À ce sujet, il faut dire que les formules proposées sont relativement souples. Il est en effet possible, pour les investisseurs, de recourir à diverses instances, telles que l’organe de règlement des conflits adossé à la Banque mondiale, la Cour internationale d’arbitrage de Paris ou la Cour internationale de justice de La Haye. Cependant, le recours à ce type de procédure inquiète, voire effraie : on a le sentiment qu’il n’est pas forcément favorable aux États, qui ont besoin d’être protégés. Il n’est pas concevable qu’un État soit dépossédé de son pouvoir régalien dans les domaines social, de l’environnement ou de la santé. Une très grande vigilance doit donc être de mise en la matière.

C’est la raison pour laquelle il est apparu aux membres de la commission des affaires économiques, reprenant en l’espèce le texte proposé par la commission des affaires européennes, qu’il était surtout important de bien cerner les conditions du recours à l’arbitrage, ainsi que les modalités de celui-ci.

Monsieur le secrétaire d’État, il y a des points sur lesquels nous attendons du Gouvernement qu’il prenne des positions très fermes et très claires.

Il s’agit d’abord de faire respecter la notion d’expropriation indirecte, en en déterminant bien les contours, de façon à éviter les abus. Certains précédents, qui ont été relevés tout à l’heure, sont assez impressionnants : je pense à Vattenfall, entreprise suédoise qui réclame une indemnité au gouvernement allemand après que celui-ci a décidé l’arrêt des centrales nucléaires, ou bien à Philip Morris, qui a engagé une procédure contre l’Australie et l’Uruguay après la décision de ces deux États de modifier la réglementation sur les paquets de cigarettes.

Ensuite, il faut déterminer de façon très claire les actes autorisés et ceux qui ne le sont pas, de façon à éviter toute interprétation.

Par ailleurs, des dispositifs répressifs contre les recours abusifs doivent être prévus. Un investisseur a parfaitement le droit de saisir un arbitre, mais si ce recours est considéré comme abusif, il est tout à fait normal de faire payer celui qui l’a engagé, sachant que le coût d’une telle procédure est en moyenne d’environ 7 millions d’euros.

En outre, il importe de prévoir une procédure d’appel.

Enfin, il convient d’assurer la plus grande transparence dans l’arbitrage. En particulier, il s’agit de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts.

Tels sont, monsieur le secrétaire d’État, les points sur lesquels la commission des affaires économiques, faisant écho à la commission des affaires européennes, vous demande de vous prononcer au nom du Gouvernement.

En conclusion, la commission des affaires économiques estime que les discussions en cours sont non seulement importantes, mais aussi prometteuses. Nous avons adopté une position de sagesse, équilibrée. Nous ne remettons rien en cause, mais nous demandons que les intérêts de notre pays et ceux de nos entreprises soient protégés. Il ne faut pas sous-estimer l’impact positif de ce type de traité. En particulier, nous avons pu vérifier que l’accord conclu avec le Canada est certainement source de bénéfices non seulement financiers, mais également moraux et politiques, eu égard à la qualité des relations actuelles entre l’Union européenne et ce pays. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, il est quinze heures quarante.

Je vous rappelle que se déroulent en ce moment les scrutins pour l'élection d'un membre titulaire et d'un membre suppléant représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Il vous reste donc vingt minutes pour voter.

La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne et les États-Unis ont engagé, voilà un peu plus d’un an et demi, des négociations en vue de conclure un accord de libre-échange. Cet accord est destiné – je cite le mandat de négociation – à « libéraliser entre les deux parties les échanges de biens et de services et à prévoir des règles applicables aux questions liées au commerce avec un niveau d’ambition élevé, dépassant celui des engagements pris précédemment dans le cadre de l’OMC ».

La commission des affaires européennes s’était saisie du mandat de négociation sur le rapport de Simon Sutour et avait formulé diverses observations.

La dynamique provoquée par la décision d’engager ces négociations commerciales s’est facilement appuyée sur l’impact positif attendu d’un tel accord en termes de croissance et d’emploi des deux côtés de l’Atlantique. Dieu sait si, aujourd’hui, nous avons besoin d’une telle relance, en particulier les PME, explicitement mentionnées comme cibles prioritaires.

Cependant, dix-neuf mois et sept sessions de négociations plus tard, les choses ont bien peu progressé. Sur le fond, les positions respectives de l’Union européenne et des États-Unis restent très éloignées. Le blocage porte, en particulier, sur des questions lourdes, notamment l’accès des Européens aux marchés publics américains, fédéraux ou subfédéraux, la coopération réglementaire sur les services financiers ou encore le travail de « convergence » réglementaire, élément essentiel de la facilitation des échanges. En outre, je n’aurai garde d’oublier les risques qui peuvent peser sur nos préférences collectives européennes, s’agissant en particulier des questions agricoles, des indications géographiques ou de nos priorités sanitaires et phytosanitaires. Notre collègue Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques, a clairement évoqué ce point. Ayant eu l’occasion d’échanger avec M. Pascal Lamy la semaine dernière, je puis dire que nous sommes face à une négociation totalement différente des négociations antérieures, puisque les discussions portent non plus sur des questions tarifaires, de droits de douane, mais sur des questions d’harmonisation et d’homologation de normes, appréhendées de façon très différente de part et d’autre de l’Atlantique.

Les choses ont donc peu avancé sur le fond jusqu’à présent, mais chacun des partenaires, à tous les niveaux, entend vouloir faire de 2015 une année charnière et l’occasion d’un nouveau départ. En effet, une fois passée la reconstitution post-électorale des institutions européennes et clarifié le nouveau paysage politique parlementaire américain, une nouvelle dynamique est possible et nécessaire.

La Commission européenne, la présidence lettone, le président des États-Unis s’accordent en effet avec notre propre gouvernement pour avancer rapidement, voire pour conclure à la fin de cette année l’ambitieux programme commercial que l’Europe et les États-Unis se sont donnés. Le président des États-Unis pourra obtenir du Congrès, pourtant désormais majoritairement républicain, la TPA, la trade promotion authority, ce qui lui permettra d’accélérer la négociation. Cela étant, je ne suis pas aussi optimiste en termes de calendrier : il est fort probable que les négociations durent longtemps, et ce n’est d’ailleurs pas, à mon sens, un drame en soi. Peut-être pouvons-nous inventer une autre approche, puisque nous sommes dans un cadre non plus multilatéral, mais bilatéral, en scindant la négociation en différentes phases, dans la mesure où il y aura des points durs, s’agissant notamment des préférences collectives ?

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’en viens à la proposition de résolution qui nous occupe aujourd’hui. Elle porte sur deux aspects importants de la négociation : d’une part, les modalités de règlement arbitral des litiges entre un investisseur et l’État d’accueil de l’investissement ; d’autre part, la nécessaire transparence que les parlementaires nationaux que nous sommes, mais aussi, au-delà, la société civile et l’opinion elle-même, sont en droit d’attendre. Cette négociation aura à l’évidence une incidence sur notre économie, notre culture industrielle et même sociétale.

L’auteur de cette proposition de résolution, qui en est également le rapporteur devant la commission des affaires européennes, à savoir notre excellent collègue Michel Billout, a très clairement posé les termes du débat. Il a exprimé la légitime préoccupation pouvant résulter de l’expérience d’un certain type d’arbitrage privé entre États et investisseurs et de ses dérives potentielles.

Je ne reviendrai pas sur le détail des interrogations et des préconisations que Michel Billout a formulées à l’instant, le projet de résolution qui vous est soumis les résumant très fidèlement. Je me bornerai, monsieur le secrétaire d’État, à solliciter de votre part, sur ce point, une précision s’agissant de l’accord de libre-échange, dénommé « CETA », conclu il y a peu entre l’Union européenne et le Canada : la réserve d’examen posée par la France sur ce chapitre de l’accord commercial avec le Canada permettra-t-elle d’amender significativement, voire de laisser de côté, le dispositif ISDS qui y figure ?

Ma seconde remarque concernera les aménagements qui pourraient être éventuellement apportés aux actuels dispositifs de règlement des différends État-investisseur, à savoir la mise en place d’un mécanisme d’appel et/ou l’implication des tribunaux nationaux. Pourtant, ces éléments figurent déjà dans la partie du mandat de négociation concernant la protection des investissements : « Il conviendra d’envisager la création d’un mécanisme d’appel applicable au règlement des différends entre les investisseurs et l’État au titre de l’accord, et d’étudier la relation qu’il convient d’établir entre le RDIE et les voies de recours internes. »

Je me joins donc, monsieur le secrétaire d’État, à Michel Billout pour vous demander ce que vous souhaiteriez que la Commission propose au sujet du règlement des litiges entre un État et un investisseur, sachant que les résultats de l’enquête conduite par la Commission européenne sont très négatifs, comme cela a été rappelé.

Permettez-moi une observation incidente sur la consultation directe de la société civile sur l’ISDS engagée l’an passé par la Commission européenne : le principe en est salutaire et légitime, mais il semble, en l’espèce, que le procédé de réponses prédéfinies via des plateformes en ligne peut amener à s’interroger sur des détournements susceptibles de fragiliser une démarche participative pourtant essentielle dans le fonctionnement de l’Union européenne.

J’en reviens à l’arbitrage privé des différends entre État et investisseur. Interrogé récemment sur le sujet, M. Timmermans, vice-président de la Commission européenne, a une approche plus qu’ambiguë. Il estime, d’une part, qu’un tel dispositif pourrait être utile dans le cadre du TTIP et qu’il ne faut pas le rejeter d’emblée, car il pourrait s’avérer bénéfique pour les citoyens européens. Il reconnaît cependant, d’autre part, que l’ISDS ne constitue pas une nécessité absolue, en particulier si sa mise en œuvre conduit à ne pas respecter les droits des citoyens.

M. Timmermans sera à Paris le 17 février prochain. J’invite les membres de la commission des affaires européennes à participer à son audition, qui aura lieu à l’Assemblée nationale. Nous pourrons lui poser de nouveau cette question, pour savoir quelle est véritablement sa position, compte tenu de l’évolution des discussions sur ce sujet précis et des propos du président Juncker que nous a rapportés notre collègue Billout. Il serait souhaitable que nous puissions connaître l’évolution de la position de la Commission européenne sur ce point.

Je terminerai, mes chers collègues, en évoquant le second objet de cette proposition de résolution, à savoir la transparence des négociations en cours.

Ma première observation aura trait au comité de suivi stratégique que vous avez mis en place, monsieur le secrétaire d’État, pour associer au suivi des négociations membres de la société civile, ONG, associations et, bien évidemment, parlementaires. Nous vous savons gré d’avoir engagé cette démarche qui répond à l’importance de l’enjeu. J’ai la conviction que, dans ces domaines, l’ignorance est la pire conseillère, quand l’ouverture et la transparence sont les alliées du progrès. Notre assemblée va d’ailleurs faire écho à cette initiative, puisque la commission des affaires économiques et celle des affaires européennes ont créé un groupe de suivi conjoint des négociations, ce dont je me réjouis grandement. Monsieur le secrétaire d’État, je sais votre disponibilité pour travailler avec ce groupe de suivi : nous vous en sommes par avance reconnaissants.

Ma seconde observation concernera ce qui constitue, à mes yeux, l’un des aspects éminents de la transparence, à savoir l’implication souhaitable des parlements nationaux lors de la phase de ratification de l’accord. Une telle implication dépend du caractère mixte de ce dernier, caractère sur lequel, semble-t-il, le doute ne serait pas totalement levé. Nous espérons, pour notre part, que le doute sur ce point n’a pas lieu d’être. Mme Pellerin, alors ministre chargée du commerce extérieur, avait indiqué devant l’Assemblée nationale, le 22 mai 2014, que le caractère mixte du TTIP « est du reste écrit dans les décisions du Conseil et c’est ce qui a permis l’adoption à l’unanimité de ce mandat. Ce caractère mixte a été une condition de l’adoption de ce mandat, et il n’y a aucun doute sur le fait que cet accord est mixte. » Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous apporter quelques assurances sur ce point ? En effet, nous entendons encore s’exprimer des inquiétudes ici ou là, émanant notamment des milieux socioprofessionnels.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution représente la première manifestation concrète, équilibrée et argumentée de cette attention inquiète que les parlementaires, comme une partie de l’opinion, portent au projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis.

Cette inquiétude ne doit pas occulter les potentialités réelles de cet accord, rappelées par Jean-Claude Lenoir, qu’il s’agisse de la croissance ou des emplois attendus de sa mise en œuvre. La vigilance des États membres, des gouvernements et des parlements nationaux aura à s’exercer, en concertation étroite avec la Commission européenne, qui seule négocie. En particulier, plus la transparence deviendra la règle pour la Commission, plus la confiance de l’opinion pourra se renforcer.

Je vous propose donc, mes chers collègues, d’adopter la proposition de résolution qui vous est soumise, car elle va dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, monsieur l’auteur de la proposition de résolution, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de m’associer pleinement à l’hommage qui a été rendu à votre collègue Jean-Yves Dusserre par M. le président du Sénat et par M. Jean-Marie Le Guen, qui représentait le Gouvernement en cette occasion. J’ai tenu à être présent aux côtés de M. Le Guen avant l’ouverture de ce débat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer le travail que vous avez réalisé, au sein de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques, pour la production de cette proposition de résolution européenne. Plus que jamais, il est indispensable que les parlementaires se saisissent des questions que soulèvent les négociations commerciales internationales dans lesquelles la France est engagée.

En effet, ces questions sont éminemment politiques et appellent des réponses politiques. J’observe d’ailleurs que l’intérêt qu’elles suscitent dépasse largement les clivages partisans, même si les réponses apportées ne sont pas toujours semblables, et je me réjouis que tous les groupes politiques se soient emparés du sujet.

Permettez-moi de présenter brièvement l’état de la situation. Des négociations commerciales majeures ont été engagées avec nos partenaires et amis nord-américains, le Canada et les États-Unis. Elles sont inédites, notamment en raison de l’ampleur du marché que créerait leur aboutissement : la zone qu’elles concernent potentiellement rassemble plus de 800 millions d’habitants et représente plus d’un tiers des flux commerciaux mondiaux. C’est, virtuellement, le premier marché du monde.

Nos interlocuteurs canadiens, d’une part, et états-uniens, d’autre part, sont des partenaires commerciaux de premier rang pour notre pays. Nos économies sont étroitement liées aujourd’hui déjà, mais les systèmes juridiques de ces pays, fondés en partie sur la common law, sont très différents des nôtres. Pour toutes ces raisons, les enjeux sont considérables.

Stratégiquement, il s’agit de s’assurer que l’Europe pourra à l’avenir, comme aujourd’hui, tenir son rang, défendre ses valeurs et ses intérêts dans la définition des normes mondiales. Être écartés des lieux de décision en matière de fixation de normes nous condamnerait, à terme, à subir, directement ou indirectement, les normes élaborées et voulues par d’autres, ce que nous ne pouvons pas accepter.

Économiquement, ces négociations n’ont de sens que si elles aboutissent à des accords équilibrés, ambitieux, efficaces, favorables à la croissance et à l’emploi.

Enfin, en ce qui concerne l’état d’avancement des négociations, les négociations avec le Canada ont été conclues officiellement le 26 septembre 2014, à l’occasion du sommet Union européenne-Canada. Cet accord est entré dans une phase de « toilettage » technique et juridique, avant de pouvoir être soumis à ratification. Permettez-moi d’insister sur ce point : tant que le texte consolidé n’aura pas été ratifié, les choses ne sont pas figées.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Plusieurs orateurs l’ont rappelé avant moi, dont M. Billout, si tel n’était pas le cas, un véritable problème de contrôle démocratique se poserait.

Quant aux négociations avec nos partenaires et amis Américains dans le cadre du partenariat transatlantique, elles sont loin d’être terminées. Une huitième série de négociations a débuté cette semaine et la plupart des sujets restent sur la table : en l’absence d’analyses convergentes de part et d’autre, force est de constater qu’aucune avancée politique significative n’a été enregistrée au cours de ces négociations.

En France, partout en Europe et même au-delà, s’élèvent des voix pour remettre en cause les négociations commerciales transatlantiques, notamment ce qu’il est convenu d’appeler le mécanisme d’arbitrage des différends entre investisseurs et États. Ce chapitre des négociations, très longtemps réservé à des spécialistes, est devenu le cœur de débats virulents, auxquels participent les parlementaires, les citoyens et la société civile, par l’intermédiaire de nombreuses associations.

Nous sommes tous très attentifs à ce phénomène de fond très important. J’y vois, pour ma part, l’expression d’un besoin de démocratie dans ces matières dont les peuples, pourtant concernés au premier chef, ont trop longtemps été tenus à distance. J’ai toujours été très attentif, comme vous, à la question de la participation démocratique, que ce soit en tant que citoyen, que parlementaire ou que membre du Gouvernement.

À cet égard, la proposition de résolution européenne sur laquelle vous êtes invités à vous exprimer aujourd’hui insiste à juste titre sur la nécessité d’associer, pleinement et très étroitement, les représentants du peuple démocratiquement élus aux négociations. Rien ne peut justifier l’opacité et les négociations commerciales internationales ne peuvent plus rester une affaire réservée aux experts et aux professionnels. Certaines inquiétudes peuvent sembler disproportionnées, certains jugements discutables, mais les questions de fond méritent toujours de vrais débats démocratiques et une transparence maximale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous réclamez davantage de transparence : je souscris pleinement à cette exigence. Dès mon entrée en fonctions, j’ai réitéré la demande de déclassification du mandat de négociation. Mes prédécesseurs l’avaient fait avant moi, et je salue, en particulier, l’action de Mme Bricq, présente aujourd’hui parmi vous, qui s’était particulièrement investie dans ce dossier. (M. André Gattolin applaudit.) La déclassification est aujourd’hui chose faite, depuis le mois d’octobre dernier, grâce à nos efforts répétés – ceux de la France, mais aussi ceux de nombreux partenaires européens, en lien avec la présidence italienne du second semestre de 2014. Cette déclassification ne doit pas être une fin ; au contraire, elle doit être le début d’un agenda de la transparence robuste, ambitieux et exigeant.

Le Parlement, législateur national, doit pouvoir bénéficier d’un accès réel à de tels documents, surtout dans le cas d’un accord mixte. Je profite de cette occasion pour confirmer que l’analyse du Gouvernement français est bien que l’accord avec le Canada et le futur accord possible avec les États-Unis sont de caractère mixte, ce qui signifie qu’ils devront être ratifiés au niveau européen comme au niveau national.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Cette analyse est convergente avec celles du Conseil européen et de l’ensemble des États membres de l’Union européenne.

Toujours dans le cadre de cet agenda de transparence, nous avons élargi, après ma nomination, la composition du comité de suivi stratégique qui avait été mis en place par Mme Bricq. Il rassemble, dans un premier collège, les parlementaires, dont plusieurs d’entre vous, et, dans un second, des représentants de la société civile, qui apportent une expertise et une connaissance approfondies des sujets abordés. Cette enceinte est précieuse, car elle contribue à un débat transparent, démocratique et de qualité, tout en permettant d’associer le plus grand nombre à la conduite et au suivi des négociations.

Je salue la création ici au Sénat d’un groupe de suivi. Je me tiens évidemment à sa disposition et à celle des commissions parlementaires pour échanger avec eux chaque fois qu’ils le souhaiteront.

Au sein du comité de suivi stratégique que je réunis au Quai d’Orsay, des groupes de travail thématiques sont en cours de formation pour approfondir tous les sujets.

J’ai indiqué devant les parlementaires, comme devant la société civile, que tout sujet pourra être abordé dans le cadre d’un groupe de travail, sans exclusive et sans aucun a priori de ma part, dès lors que les membres du comité le souhaiteront.

En outre, le site internet du ministère des affaires étrangères et du développement international héberge désormais une page dédiée permettant à toutes celles et à tous ceux qui s’intéressent au sujet d’accéder à de nombreux documents. Faisons-en collectivement bon usage. Complétons-la, enrichissons-la chaque fois que c’est nécessaire.

Cet effort doit être poursuivi dans le cadre de l’agenda de la transparence. Soyez assurés que je porte une attention toute particulière à cette question et aux demandes du Parlement. J’ai eu l’honneur d’être auditionné à plusieurs reprises par les commissions parlementaires et, je le dis une fois encore, je me tiens à votre disposition. Je m’efforce, en outre, de vous rendre accessibles l’ensemble des informations dont nous disposons et de vous associer le plus étroitement possible à la conduite des négociations.

Au-delà de la transparence, c’est le sujet de l’ISDS qui cristallise les critiques et les inquiétudes. Je sais à quel point la discussion est vive à ce propos.

Je sais aussi que de nombreuses collectivités territoriales ont organisé des débats dans leurs assemblées et voté des motions. Certaines sont même allées jusqu’à se déclarer « zones hors TAFTA » ou « zones de débat TAFTA ».

Vos interrogations portent tant sur le mécanisme tel qu’il est décrit dans le traité avec le Canada que tel qu’il est prévu dans le mandat de négociation avec les États-Unis. Vous redoutez que ce mécanisme ne soit abusivement utilisé et ne vienne restreindre la souveraineté normative des États. Votre préoccupation de garantir notre capacité à protéger l’intérêt public dans des domaines aussi divers que les services publics, la santé, la sécurité, l’environnement, l’alimentation ou la fiscalité est légitime, et je la partage pleinement. Je le dis devant le Sénat : il n’est pas acceptable que des juridictions privées, saisies par des entreprises multinationales, puissent remettre en cause des décisions démocratiques d’États souverains.

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. La France a fixé des lignes rouges très claires : nous n’accepterons pas de voir nos normes environnementales, sanitaires et sociales remises en cause, et encore moins abaissées. C’est vrai pour la protection du consommateur : je pense, par exemple, au bœuf aux hormones, au poulet chloré, aux OGM. C’est vrai pour nos choix collectifs, les services publics ou la culture. Ainsi, à notre demande, il est prévu de préserver la diversité culturelle dans le mandat de négociation.

C’est bien parce que nos décisions démocratiques doivent prévaloir que la France n’acceptera pas que des États puissent se voir infliger des sanctions pécuniaires massives qui pourraient dissuader le législateur d’exercer son pouvoir souverain. Dans certaines affaires, on le sait, les indemnités demandées par les investisseurs se chiffrent en milliards d’euros. C’est inacceptable sur le plan des principes, comme ce serait insupportable pour les contribuables !

Au-delà de ces peurs légitimes, sur ce sujet comme sur tant d’autres, ce sont les faits qu’il faut observer.

En ce qui concerne le TTIP, les négociations sont en cours,…

Mme Nicole Bricq. Elles n’ont pas commencé !

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. … mais elles n’ont pas donné lieu, à ce stade, à des avancées substantielles.

Concernant l’accord avec le Canada, si l’on met à part la question de l’arbitrage, qui mérite des analyses spécifiques, le Gouvernement considère qu’il sera bénéfique pour notre économie, notamment en raison des avancées obtenues sur l’accès aux marchés publics canadiens et sur la protection de nos indications géographiques.

Cet accord permettrait en particulier, s’il est ratifié, un accès inédit aux marchés publics canadiens à tous les niveaux. Le Canada a pris soin d’associer à la conduite des négociations l’ensemble des niveaux, national mais aussi infranationaux. Aujourd'hui, nous avons donc la conviction que cet accord engage les différents niveaux pertinents. Il protégerait les productions agricoles françaises à un degré inédit dans un accord de ce type, notamment grâce à la reconnaissance par les Canadiens de quarante-deux nouvelles indications géographiques, dans la charcuterie ou les produits laitiers, venant s’ajouter à celle de nombreuses indications géographiques concernant les vins et spiritueux, qui avait été consacrée dès 2004 dans le cadre de nos relations avec le Canada.

Cependant, malgré des avancées incontestables dans le courant des négociations, le traitement de la question du règlement des différends entre les investisseurs et les États n’est pas satisfaisant à ce stade.

Il faut le rappeler, l’ISDS n’est pas un objet nouveau pour la France et dans le domaine des négociations commerciales internationales. À l’échelle mondiale, on dénombre plus de 3 000 traités incluant des dispositifs de ce type. Notre pays a signé, depuis 1972, 108 accords qui prévoient ce mécanisme, dont 95 ont été ratifiés par le Parlement, conformément à la Constitution.

Ce dispositif, tel qu’il existe classiquement, permet à un investisseur de demander réparation devant un tribunal arbitral international d’une mesure spoliatrice, injuste ou arbitraire prise par l’État d’accueil. Les textes ratifiés par notre pays ont été à cet égard protecteurs des intérêts de nos entreprises.

Aujourd’hui, toutefois, la situation a évolué. On constate de plus en plus un détournement de la lettre comme de l’esprit de ces mécanismes, des entreprises multinationales attaquant non plus des décisions injustes, arbitraires et spoliatrices, mais des choix démocratiques souverains, notamment en matière de santé publique ou de politiques énergétiques, comme en témoignent les affaires Vattenfall contre Allemagne et Philip Morris contre Australie. C’est donc dans ce contexte que s’inscrivent désormais notre analyse et notre action.

Depuis ma prise de fonctions, je me suis engagé, à la suite de mes prédécesseurs, pour que nous n’acceptions pas un dispositif par simple routine, au seul motif que les négociations doivent avancer. Je me suis engagé parce que je crois qu’il est temps de réfléchir aux règles du commerce mondial du XXIe siècle. Je souhaite souligner devant vous plusieurs exigences incontournables.

Nous ne devons rien exclure a priori, toutes les options sont sur la table et il faut les explorer méthodiquement. Votre proposition de résolution envisage plus particulièrement deux options. Elles sont intéressantes et judicieuses, mais il en existe aussi d’autres. C’est la seule nuance que je veux apporter par rapport à votre proposition de texte : nous sommes totalement d’accord, dans l’esprit comme sur le fond, mais le Gouvernement souhaite étudier toutes les options dans le cadre des débats et des négociations à venir. C’est pour cette seule raison que je m’en remettrai à la sagesse de la Haute Assemblée au moment du vote sur la proposition de résolution.

La première exigence est celle que vous soulignez avec force dans votre projet de résolution : il faut réaffirmer le droit des États à réguler.

Soyons lucides : des progrès, qu’il faut apprécier à leur juste valeur, ont été faits dans les négociations sur l’accord avec le Canada. Ils sont cependant encore insuffisants aujourd'hui. En particulier, de quelle définition exacte de la notion d’« attentes légitimes des investisseurs » dispose-t-on ? Quelle est la marge d’interprétation des arbitres lorsqu’il est question de « traitement juste et équitable » des entreprises ? La jurisprudence sur ce point est parfois sujette à variations et, en tout état de cause, elle est insuffisamment prévisible. Il faut donc renforcer substantiellement les protections des intérêts des États.

La deuxième exigence fondamentale concerne la déontologie. Comme vous, j’ai consulté largement autour de moi sur ce sujet, y compris des praticiens de l’arbitrage, notamment sur la place de Paris, qui bénéficie d’une forte renommée dans ce domaine et dans d’autres. Nombreux sont ceux qui s’accordent pour juger que la situation actuelle n’est pas acceptable : les règles encadrant les activités des arbitres internationaux en matière d’investissements sont totalement insuffisantes. Dans aucune juridiction française l’on accepterait que le juge puisse être, quelques mois plus tard, l’avocat du plaignant dans une autre affaire.

La troisième exigence est d’ordre procédural. Vous le savez, le droit public français reconnaît la faculté d’interjeter appel. C’est un principe général de notre droit. Les sentences arbitrales, quant à elles, ne sont pas susceptibles de recours : ce n’est pas acceptable ! La création d’un mécanisme de recours ou d’appel est donc indispensable. Ce n’est pas une démarche simple, car nous sommes liés par des conventions internationales qui rendent cet exercice juridiquement complexe, mais elle est nécessaire. Il existe des possibilités, que nous analysons et que nous expertisons. Je le répète devant vous, les juridictions publiques nationales doivent avoir toute leur place dans les procédures. Ce sont des pistes sur lesquelles nous sommes en train de travailler.

Les éléments que je vous livre suscitent l’attention en France, bien sûr, mais aussi dans toute l’Europe, et parfois au-delà. Je salue à cet égard l’initiative de la Commission européenne, qui a mené une vaste consultation publique sur le mécanisme d’ISDS dans le traité transatlantique. Ses résultats, qui ont été publiés le 13 janvier dernier, se fondent sur quelque 150 000 réponses, dont près de 10 000 venaient de France. Une majorité d’entre elles – environ 145 000 – avaient été formulées par des citoyens et envoyées par l’intermédiaire de plateformes électroniques. Elles témoignent de l’intérêt collectif pour cette question des mécanismes d’arbitrage. Parmi les autres réponses, un grand nombre émanaient d’organisations représentant la société civile dans toute sa diversité. Elles sont précieuses et permettent d’éclairer le débat.

Cette consultation a recueilli le nombre le plus élevé de contributions dans l’histoire de l’Union européenne. Comment, dès lors, les ignorer ? Comment ne pas prendre en compte les réserves très fortes – c’est le moins que l’on puisse dire ! – qui ont été exprimées sur l’ISDS ? Ce serait un déni de démocratie, qui nous laisserait tous affaiblis. Il est de notre responsabilité de tirer les conclusions des résultats de cette consultation et d’apporter des réponses constructives.

La Commission a identifié quatre pistes de réflexion : la protection du droit des États à réguler ; la transparence et la déontologie des arbitres ; l’articulation entre les instances arbitrales et les juridictions nationales ; la création d’un mécanisme d’appel. On le voit, la période est favorable, au niveau européen, pour progresser ensemble vers des solutions d’avenir.

La publication de ce rapport, que nous étions un certain nombre à attendre afin de pouvoir connaître les attentes citoyennes exprimées, ouvre une nouvelle étape d’analyse et d’action.

La question est désormais de savoir comment inventer les modalités des mécanismes de règlement des différends du XXIe siècle, adaptées à la nouvelle réalité du commerce international, lequel ne pourra pas être régulé selon les règles, les principes et les mécanismes d’hier.

La France, avec d’autres, dispose de la légitimité et de l’expertise nécessaires pour travailler sur ce sujet. Nous avons en outre l’expérience et la crédibilité requises, car la France est présente dans les nombreuses instances internationales qui devront nécessairement être impliquées si nous voulons réformer en profondeur le système et, à plus long terme, promouvoir un système institutionnalisé à l’échelle mondiale de règlement des contentieux entre investisseurs et États. Et pourquoi ne pas envisager – ce n’est pas pour demain, mais il ne faut rien s’interdire ! – la création d’une cour internationale permanente siégeant en Europe ? L’action de la France est conforme à son message, à sa vocation constante à prôner une mondialisation régulée, une gouvernance mondiale démocratique.

La légitimité et l’expérience de la France doivent être utilisées de concert avec nos partenaires européens. C’est dans cet esprit que je me suis rendu il y a deux semaines à Berlin, au lendemain de la publication du rapport de la Commission, pour m’entretenir avec MM. Sigmar Gabriel, ministre fédéral de l’économie et de l’énergie, et Matthias Machnig, mon homologue, secrétaire d’État chargé des questions commerciales.

Nos échanges nous ont conduits à mettre en place une démarche ouverte à tous les États membres ayant la volonté d’étudier avec nous toutes les options pour préserver les intérêts des États et des peuples. Aujourd’hui s’ouvre donc une phase de construction dans laquelle le Gouvernement est pleinement engagé.

Je tiens à rappeler que nous ne sommes pas tenus d’intégrer de manière automatique de tels mécanismes dans les accords commerciaux internationaux ; vous le soulignez d’ailleurs dans votre proposition de résolution. D’autres États, y compris lors des négociations avec les États-Unis, ont ainsi fait d’autres choix : je pense, par exemple, à l’Australie, qui n’a pas eu recours à un tel mécanisme. Toutes les options sont donc sur la table, je le répète.

En cohérence avec la déclaration franco-allemande et à la suite de mon déplacement à Berlin, les échanges se poursuivent avec de nombreux partenaires européens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce contexte, la proposition de résolution en discussion aujourd’hui est pleinement en phase avec l’appréciation du Gouvernement : vous demandez un renforcement de la transparence, une association plus étroite du Parlement, un contrôle démocratique effectif, ainsi que l’invention de nouveaux mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et les États. Nous partageons le même état d’esprit et la même détermination à avancer. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous indique que les deux scrutins pour l’élection d’un membre titulaire et d’un membre suppléant représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ont été clos à seize heures.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le libre-échange est trop souvent mal perçu par nos concitoyens. Entendu le plus fréquemment comme synonyme de « néolibéralisme » ou d’« ultralibéralisme », il fait peur et sa réputation sulfureuse charrie tout un lot de craintes : déréglementation, dumping, concurrence déloyale, et j’en passe…

Toutes ces craintes ne sont pas infondées. La forme est la sœur jumelle de la liberté, de sorte que, sans un cadre politique et juridique précis, le libre-échange peut tendre à une forme déraisonnable de licence, ce que nous ne souhaitons pas.

Cet enjeu de l’encadrement juridique est d’autant plus important que l’Union européenne est actuellement à la tâche, négociant conjointement deux accords commerciaux majeurs avec le Canada et les États-Unis. Le fameux accord transatlantique, dont on parle souvent abusivement, renvoie ainsi à deux accords construits sur le même mode et négociés selon des procédures comparables.

Les attentes sont immenses de chaque côté de l’Atlantique. Nous espérons en Europe un gain économique de plusieurs centaines de milliards d’euros grâce à cet accord, soit un ordre de grandeur comparable au plan d’investissement lancé par la Commission européenne il y a quelques semaines.

L’attente est grande également outre-Atlantique. Les États-Unis et le Canada ont fait de gros efforts de réindustrialisation ces dernières années et cherchent des débouchés plus familiers pour leurs productions de biens et services.

Justement, en Europe, ces pays nous sont d’ores et déjà familiers. Nous les connaissons bien, nous partageons une histoire commune, parfois la même langue, et nous y voyageons à l’occasion. Cette familiarité n’éteint pourtant pas les milliers de différences qui existent entre une rive et l’autre de l’océan qui nous sépare, notamment en termes de pratiques commerciales.

Les négociations lancées en 2005 avec le Canada et en 2011 avec les États-Unis sont d’une ampleur sans précédent et comparables, par leur étendue, aux immenses cycles de négociations de l’OMC. Tous les secteurs sont directement ou indirectement concernés et tous les États membres de l’Union sont touchés.

Devant de tels enjeux, le Sénat a pris la mesure de ses responsabilités et a conduit de nombreux travaux afin de rendre plus lisibles ces accords ; sans lisibilité, il sera impossible de rassurer nos concitoyens.

La proposition de résolution européenne présentée par notre collègue Michel Billout procède de cette attention permanente du Sénat aux questions économiques et européennes.

En l’espèce, cette proposition de résolution pointe les carences de fond et de forme des négociations en cours.

Concernant le fond, le mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs privés et les États pose de graves problèmes d’autonomie de nos politiques publiques. Cela a déjà été largement commenté.

Je ne peux que souscrire à l’analyse de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques. Les montants en jeu sont trop importants et la voie de l’arbitrage trop incertaine pour assurer que le mécanisme de règlement des litiges ne viendra pas miner l’autonomie de décision de responsables élus dans la conduite des politiques publiques. Je pense, notamment, au contentieux entre Philip Morris et l’Australie concernant le paquet de cigarettes neutre ou au litige entre l’Allemagne et le groupe Vattenfall, qui exploitait deux centrales nucléaires outre-Rhin avant que ce pays ne décide de sortir du nucléaire.

On le voit bien, la question de l’arbitrage tel que prévu par ces accords dépasse de loin celle de la pratique actuelle de l’arbitrage international, en tant que se trouve désormais mise en cause la liberté des peuples de prendre leurs propres décisions en matière de politiques économiques. Cela n’est bien évidemment pas envisageable.

Des modes alternatifs de règlement des différends existent, comme le règlement entre États selon le modèle de l’OMC. C’est une piste qu’il convient d’explorer au plus vite. En effet, l’accord avec le Canada est sur le point d’être parachevé. Sa signature et sa ratification en l’état créeraient un précédent que l’on nous opposerait si, d’aventure, une volonté politique se manifestait au sein de la Commission pour revenir sur ce mode de règlement des différends.

J’en viens au second point abordé dans cette proposition de résolution et opportunément introduit par la commission des affaires européennes : la question de la transparence.

Le libre-échange, pour être économiquement efficace, demande la confiance. Or cette fameuse confiance, nécessaire à toute transaction, ne peut pas prospérer sur notre sol dans l’opacité des négociations, qui engendre craintes et suspicions.

De nombreuses avancées ont été obtenues par le Gouvernement en la matière, comme cela est parfaitement décrit dans le rapport. Toutefois, un supplément d’efforts est nécessaire, du fait même de la nature particulière de ces accords. Jamais, dans l’histoire, la France ne s’est engagée dans un processus d’une telle ampleur sans négocier elle-même son destin commercial.

Le mandat que le Conseil a donné à la Commission ne saurait être un blanc-seing. Nous sommes responsables, exécutif comme parlementaires, devant nos concitoyens, et notre premier devoir envers eux est celui de l’information, donc de la transparence.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. Claude Kern. Je tiens à féliciter notre collègue Michel Billout d’avoir déposé cette proposition de résolution, et la commission des affaires européennes, présidée par Jean Bizet, d’avoir effectué un travail en profondeur sur ce texte. Je salue également le travail accompli par le président Jean-Claude Lenoir en qualité de rapporteur de la commission des affaires économiques.

Ce double examen a permis d’aboutir à une proposition de résolution certes très exigeante, mais aussi équilibrée et justifiée au regard des zones d’ombre qui, aux yeux de nos concitoyens, planent encore sur ces accords commerciaux. C’est pourquoi le groupe UDI-UC, fidèle à ses convictions tant libérales qu’européennes, votera en faveur de son adoption. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Michel Billout d’avoir déposé cette proposition de résolution, particulièrement importante au regard des discussions et des débats qui ont lieu au niveau européen concernant les projets d’accords de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, d’une part, et les États-Unis, d’autre part.

En effet, l’inclusion dans ces accords d’un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États constitue, légitimement, une pierre d’achoppement. Les premiers résultats de la plus grande consultation publique menée dans l’Union européenne par l’exécutif de celle-ci, qui a suscité près de 150 000 contributions, témoignent, s’il en était encore besoin, du rejet massif de ce mécanisme. L’adoption d’une nouvelle position de la Commission européenne, négociée avec les États membres, paraît désormais incontournable.

J’ai bien entendu les propositions alternatives que vous avez évoquées, monsieur le secrétaire d’État, y compris la sortie du mécanisme de l’accord. Nous en reparlerons sans doute, mais nous n’en sommes pas là.

Depuis le mandat de négociation de la Commission européenne en vue de conclure un accord de partenariat transatlantique, nous n’avons cessé de nous élever contre l’inclusion de ce mécanisme.

Dans une résolution adoptée par le Sénat le 9 juin 2013, nous souhaitions déjà que la Commission européenne exclue le recours à l’arbitrage privé en matière de règlement des différends entre les investisseurs et les États. Nous avons réaffirmé ce principe lors de notre débat du 9 janvier 2014 sur les négociations relatives au partenariat transatlantique.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Exact !

M. Daniel Raoul. Ce mécanisme d’arbitrage n’est pas acceptable en l’état, pour de multiples raisons.

Premièrement, il instaure par son existence même une juridiction privée qui place les entreprises et l’État sur le même plan et dont le fonctionnement serait totalement opaque et sans appel.

Deuxièmement, une telle juridiction pourrait établir une jurisprudence qui primerait sur le droit national existant et sur le droit européen. Un mécanisme de cette nature, en particulier dans un accord de dimension systémique qui vise l’élaboration de normes mondiales, serait de nature à remettre en cause la capacité des États à légiférer, ainsi que des réglementations nationales et européennes existantes dans les domaines sanitaire, environnemental et social.

À cet égard, je voudrais illustrer par un exemple ce qui aurait pu arriver en France si un tel mécanisme avait existé : les sociétés américaines auraient pu mettre à exécution leur menace de réclamer 1 milliard d’euros au Gouvernement français au titre de l’application de la loi interdisant la technique de la fracturation hydraulique, chère à notre collègue Jean-Claude Lenoir, au motif qu’elles auraient commencé leurs travaux d’exploration sur plusieurs sites français.

On a déjà évoqué l’action de Philip Morris contre l’Australie, à laquelle cette compagnie réclamait également un dédommagement considérable après que les paquets de cigarettes génériques eurent été imposés dans le pays.

L’inclusion de ce mécanisme d’arbitrage, fût-il assorti de conditions – mise en place d’une procédure d’appel ou garantie absolue du droit des États à réglementer – nous laisse réservés, et le mot est faible !

Cependant, je tiens à saluer le travail de la commission des affaires européennes, qui, par l’introduction de l’alinéa 17 de cette proposition de résolution, a fait preuve d’un esprit constructif, afin qu’une solution viable puisse être trouvée si une majorité d’États membres venait à s’exprimer in fine en faveur de l’insertion, non du mécanisme en l’état, mais d’un nouveau mécanisme.

Ce mécanisme pose un véritable problème, alors que, dans le monde, les États acceptent de moins en moins d’inclure une telle clause dans leurs accords bilatéraux d’investissements et que, dans le même temps, de plus en plus de différends sont portés devant les tribunaux privés.

Le fait que l’Union européenne, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en 2009, ait une compétence exclusive de négociations d’accords d’investissements avec des pays tiers soulève la question de la légitimité et de l’équité d’un tel mécanisme.

Le débat autour de cette proposition de résolution européenne est essentiel à l’heure où des collectivités se déclarent « zone de débat démocratique sur le TAFTA ». Il constitue l’occasion de réaffirmer que les parlementaires nationaux, tout comme leurs collègues européens, assument cette responsabilité de contrôle et que cette vigilance exercée sans relâche depuis le début des négociations porte aujourd’hui ses fruits.

La Commission européenne s’est vue dans l’obligation de suspendre le dialogue avec les Américains au mois de février 2014 et de lancer une consultation publique, dont les résultats, publiés le 13 janvier dernier, sont tout à fait éloquents : ce mécanisme ne peut être inclus en l’état.

À la suite de cette consultation, une nouvelle position de la Commission européenne, négociée avec les États membres, paraît désormais incontournable. Je sais que vous avez eu, monsieur le secrétaire d'État, des contacts avec votre homologue allemand ; nous verrons si vous parviendrez à convaincre d’autres États membres, en particulier ceux de l’Europe de l’Est qui relevaient auparavant du bloc soviétique. En tout cas, la France et l’Allemagne semblent, elles, résolument opposées au dispositif existant.

Cette proposition de résolution est donc bienvenue et nous y sommes favorables, car elle nous permet de réaffirmer un certain nombre de principes et de souhaits auxquels nous sommes attachés. Monsieur le secrétaire d'État, nous espérons que ce texte vous aidera dans vos échanges avec nos partenaires européens.

Rappelons que nous refusons un mécanisme d’arbitrage dans les accords avec les États-Unis et le Canada et que nous défendons le principe d’une justice impartiale et équitable.

Souhaitons qu’une solution puisse être trouvée avec nos partenaires, surtout si la Cour de justice de l’Union européenne confirme la nature mixte de ces accords de libre-échange, qui nécessiteront alors une ratification des parlements nationaux, en plus de celle du Parlement européen.

Enfin, il faut que, comme le prévoit la proposition de résolution qui nous est présentée, la piste du mécanisme interétatique, sur le modèle de l’organe de règlement des différends de l’OMC, soit également étudiée.

Monsieur le secrétaire d'État, nous vous rappelons d’ailleurs votre engagement de nous transmettre une étude d’impact pour chacun des quatre scénarios que vous avez mentionnés. Ce sera une pièce très utile à verser au débat. Il est désormais nécessaire qu’elle soit adressée dans les plus brefs délais au Parlement afin que celui-ci puisse, en toute connaissance de cause, se saisir des discussions en cours.

J’ajouterai, pour finir, que les négociations du TTIP et la finalisation du CETA ainsi que la stratégie européenne globale en matière d’accords commerciaux et d’investissements doivent faire l’objet de la plus grande transparence possible. C’est l’autre point fort de cette proposition de résolution.

À ce titre, monsieur le secrétaire d'État, nous saluons les initiatives que vous avez prises à l’échelon national de rendre publics le plus possible de documents et de créer un site dédié. Nous espérons que les autres propositions formulées lors du comité stratégique du 29 octobre dernier pourront être concrétisées rapidement.

Là encore, la pression conjuguée des parlements nationaux, du Parlement européen et de certains États membres comme la France a permis que la Commission européenne accède enfin à la demande d’une plus grande transparence des négociations.

La communication adoptée par la Commission européenne le 25 novembre dernier et définissant de nouvelles règles sur l’accès des eurodéputés et du grand public aux documents du traité transatlantique est un signe encourageant en la matière. Cela devrait grandement faciliter la volonté du gouvernement français de rendre ces négociations plus transparentes pour la représentation nationale. Nous espérons que, en conséquence, l’ensemble des parlementaires nationaux pourront bénéficier des mêmes règles que leurs collègues eurodéputés.

Nous saluons cet effort, conforme à l’intérêt de la Commission européenne, qui a bien besoin aujourd’hui du soutien des parlementaires nationaux et européens, mais aussi des citoyens européens, dans des négociations mal comprises. Il n’est qu’à voir les résultats de la consultation auprès de 150 000 citoyens !

Les annonces de la Commission indiquant la déclassification d’un certain nombre de documents de négociation devraient contribuer à l’information des citoyens. « Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés, ils deviennent des sujets », écrivait Alfred Sauvy, grand démographe français du XXe siècle.

Alors que le huitième cycle de négociations du TTIP a repris ce lundi entre l’administration Obama et la Commission européenne, beaucoup de questions restent encore sans réponse, notamment en ce qui concerne l’accord avec le Canada.

La France et l’Allemagne se sont décidées à demander conjointement la révision de cet accord sur son volet de règlement des différends. Or la présidence lettone, suivant la position des pays baltes, refuse de rouvrir le débat sur l’arbitrage dans cet accord, soulignant que les négociations avec le Canada se sont conclues au mois d’octobre 2013. Rappelons que le processus de ratification devrait débuter au premier semestre de cette année.

Qu’en est-il ? La négociation pourra-t-elle reprendre avec le Canada sur ce point ? Serait-il cohérent qu’un dispositif soit retiré ou strictement encadré dans le cadre de l’accord avec les États-Unis et que ce ne soit pas le cas dans le cadre de l’accord avec le Canada ?

Pour autant, nous voterons cette proposition de résolution, malgré les réserves que j’ai mentionnées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’initiative du groupe CRC, qui a permis la tenue de ce débat sur la proposition de résolution européenne présentée par Michel Billout.

Ce n’est pas la première fois – et sans doute pas la dernière – que nous discutons ici des traités transatlantiques en cours de négociation. J’ai ainsi souvenance d’un débat qui, au mois de janvier 2014, a mis en lumière les critiques très pertinentes de l’ensemble des groupes politiques de notre assemblée sur ce sujet.

Le texte en discussion aujourd’hui a le grand mérite de pointer deux des plus grandes lacunes de ces projets d’accord entre l’Union européenne et le Canada, d’une part, l’Union et les États-Unis, d’autre part. Je parle évidemment de l’opacité inadmissible dans laquelle ces négociations ont été et, malheureusement, sont encore menées, ainsi que du mécanisme d’arbitrage privé proposé pour le règlement des différends entre investisseurs et États.

Je rappellerai, en premier lieu, quelques éléments centraux de la réflexion des écologistes, qui permettent de mieux comprendre nos positions face à ces deux traités.

Tout d’abord, en matière d’accords commerciaux, les écologistes sont très attachés au multilatéralisme, par opposition à la multiplication actuelle d’accords bilatéraux qui entérinent, voire accentuent des situations déséquilibrées du fait des rapports de domination existant entre les contractants.

Cette situation est évidemment la conséquence des échecs successifs rencontrés par l’OMC. Cette dernière a été fort critiquée – et elle était parfois, effectivement, fort critiquable –, mais elle avait au moins le mérite d’instaurer des règles plus universelles et plus équilibrées, notamment à propos du règlement des différends.

Ensuite, les écologistes ne sont pas opposés par principe à de nouveaux accords renforçant les liens importants qui existent déjà entre l’Union européenne et l’Amérique du Nord. À un moment où nos diplomaties redoublent d’attention à l’égard de la Chine et où cette dernière réclame à cor et à cri l’instauration d’un traité de libre-échange avec l’Union européenne, il n’est pas aberrant de consolider nos relations avec les États-Unis et le Canada. L’Union européenne et l’Amérique du Nord représentent toujours le plus important espace d’échanges commerciaux au monde.

Je serai plus explicite encore : nous, écologistes, rejetons tout jugement assimilable à une quelconque forme d’antiaméricanisme, même si nous ne partageons évidemment pas toutes les valeurs qui guident les politiques conduites par les gouvernements états-uniens et canadiens successifs. Nous avons en commun avec ces deux pays, outre l’état de droit – ce qui n’est pas rien –, des pans entiers d’histoire commune et de profonds liens culturels.

Enfin, par leur culture et leur histoire politiques, les écologistes n’ont pas le dogme de l’État tout-puissant et de l’infaillibilité de ses décisions. Nous estimons légitime que des entreprises comme des citoyens – surtout des citoyens– puissent attaquer l’État quand ils s’estiment lésés par certaines de ses décisions.

Bien sûr, nous ne sommes pas naïfs quant à la capacité croissante de certains groupes industriels transnationaux à engager des procédures juridiques tortueuses, abusant des failles laissées par les traités, pour remettre en cause des choix politiques souverains, pris de façon démocratique par l’Union européenne ou par un État membre.

J’en viens, en second lieu, aux deux points litigieux de ces traités qui sont mis en avant par cette proposition de résolution européenne.

Comme les auteurs de la proposition, nous dénonçons haut et fort le manque flagrant de transparence et le déficit démocratique qui entourent les actuelles négociations.

M. Joël Guerriau. Tout à fait !

M. André Gattolin. La responsabilité première en revient à la Commission européenne, qui n’a eu de cesse, jusqu’à présent, de contredire les principes d’ouverture et de transparence pourtant énoncés à l’article 15 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Depuis 2013, j’ai eu à maintes reprises l’occasion de dénoncer ici tous les manquements observés en la matière.

Nous sommes là face à une approche extrêmement opaque et centralisatrice de la part de la Commission européenne, à l’opposé de ce que devrait être une approche européenne proprement fédéraliste, démocratiquement respectueuse du Parlement européen et des parlements nationaux.

J’insiste sur le fait que nous ne disposons toujours pas aujourd’hui des études d’impact, pays par pays de l’Union européenne, des conséquences économiques qu’auraient ces deux traités, études que nous réclamons ici même depuis plus de dix-huit mois ! Je rappelle que cette demande a été appuyée par la résolution n° 164, adoptée par le Sénat le 9 juin 2013.

Bien entendu, monsieur le secrétaire d'État, je salue l’« agenda de la transparence » que vous bâtissez, tout comme la priorité que vous accordez à la réalisation de ces études d’impact détaillées. Pour autant, n’est-il pas déjà un peu tard ?

Pour ce qui concerne le cœur de cette proposition de résolution, c'est-à-dire les critiques émises quant au mécanisme de règlement privé des différends, j’approuve pleinement les propositions du rapporteur, ainsi que je l’ai indiqué en commission. Il est particulièrement inquiétant que de grandes multinationales puissent opposer leurs intérêts privés à des États pour pousser ces derniers à remodeler le cadre législatif et réglementaire à leur profit.

Quoi que l’on puisse dire, si un État est menacé de sanctions financières massives en raison de décisions d’ordre sanitaire, social ou environnemental, la pression exercée pourra le dissuader de légiférer.

En l’état, ce mécanisme de règlement est très intimement lié à la question de la puissance économique des entreprises. L’arbitrage privé présente un coût si élevé que des petites et moyennes entreprises s’en verront de fait privées.

Pour conclure, je dirai que, même si nous nous interrogeons sur l’amalgame trop souvent fait entre TTIP et CETA, nous voterons évidemment en faveur de cette proposition de résolution. Le CETA présente au moins l’avantage de renforcer nos échanges avec le Québec et le reste du Canada, province et État avec lesquels notre pays cultive des liens de confiance que l’on peut sans excès qualifier de rares. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, permettez-moi de vous faire part de notre grande satisfaction de voir ce débat se dérouler au sein de notre hémicycle. En effet, il est parfois, pour ne pas dire souvent, trop souvent, reproché aux parlementaires nationaux de ne pas se saisir plus en amont des problématiques européennes.

Autre motif de satisfaction : la Haute Assemblée a su travailler de façon intelligente et constructive sur ce sujet. Mes collègues du groupe CRC, dont Michel Billout, et moi-même avons déposé une proposition de résolution sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d’accords commerciaux entre l’Union européenne, le Canada et les États-Unis. La commission des affaires européennes a adopté, le 27 novembre dernier, la proposition de résolution, après quelques modifications, certes, mais à l’unanimité.

L’adoption, à l’unanimité également, de cette proposition de résolution par la commission des affaires économiques est encore un motif de satisfaction.

Cet aboutissement est très important, car quatorze chefs d’État et de gouvernement ont fait connaître leur ferme soutien au mécanisme d’arbitrage. Aujourd’hui, ce sont principalement la France et l’Allemagne qui s’opposent le plus fermement à cette disposition du traité.

La proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui a un double objet. Tout d’abord, elle dénonce l’opacité dans laquelle se déroulent aussi bien les négociations menées par l’Union européenne avec le Canada pour un Accord économique et commercial global que celles qui se sont ouvertes en juin 2013 avec les États-Unis en vue de l’établissement d’un partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Ensuite, elle s’oppose à tout projet d’accord qui prévoirait un mécanisme de règlement des différends entre un investisseur et un État.

Certains pourraient nous reprocher de n’aborder cette question si complexe que sous le seul angle du règlement des différends entre investisseurs et États. Oui, c’est une vue partielle, mais le point qui est ainsi mis en lumière est emblématique de la menace fondamentale que ces négociations font peser sur nos choix de société et sur notre ordre institutionnel.

De plus, les résultats de la consultation publique lancée par la Commission européenne en mars dernier sur la clause relative aux différends entre investisseurs et États montrent que les citoyens y sont également opposés. Le résultat est sans appel : 88 % des personnes interrogées s’opposent à l’inclusion de la clause de règlement des différends dans l’accord de libre-échange. Rappelons que cette consultation a permis de recueillir pas moins de 150 000 avis.

Ce résultat n’est pas une surprise. Il est normal que les citoyens, tout comme nous, parlementaires, s’inquiètent de ces négociations transatlantiques, car elles sont susceptibles d’avoir de lourdes conséquences économiques, sociales et environnementales.

D’une part, il est nécessaire de disposer d’études approfondies sur les conséquences possibles de ces négociations. À cet égard, le Sénat, dans sa proposition de résolution européenne n° 164 du 9 juin 2013, avait demandé au Gouvernement une étude d’impact permettant d’apprécier les effets pour la France de ces négociations par secteur d’activité, Cette étude n’a, à ce jour, toujours pas été fournie, comme l’a rappelé notre collègue André Gattolin.

D’autre part, il faut permettre un contrôle parlementaire et citoyen lors des différentes étapes des négociations afin de s’assurer que les priorités et les « lignes rouges » fixées au sein du Conseil par les États membres sous le contrôle des parlements sont bien respectées par la Commission européenne, qui conduit les négociations pour l’Union.

Il est impensable de prendre un quelconque risque pour la démocratie. L’introduction du mécanisme de règlement des différends envisagé porterait atteinte à la capacité de l’Union européenne et des États membres à légiférer, particulièrement dans les domaines sociaux et environnementaux. Les États risqueraient de devoir verser des dédommagements substantiels aux investisseurs dans les cas où des décisions politiques, jugées par des tribunaux spéciaux, auraient pour effet de réduire les profits escomptés par les grands groupes économiques.

Je ne vous le cacherai pas, je n’aurais pas été mécontent que la proposition de résolution européenne fût plus radicale s’agissant du traitement des différends entre investisseurs et États. J’aurais ainsi préféré que nous demandions clairement que les mécanismes d’arbitrage entre investisseurs et États fussent retirés des projets d’accord avec le Canada et les États-Unis. Mais nous avons su trouver un compromis dans le débat.

Mme Nicole Bricq. C’est bien.

M. Éric Bocquet. L’examen de la présente proposition de résolution tombe au bon moment : cette semaine s’ouvre en effet le huitième cycle de négociations pour le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement à Bruxelles. Espérons donc que nous pourrons constater un véritable changement de ligne. Je crains toutefois que cet espoir ne soit vain, car les promoteurs du TAFTA – Transatlantic Free Trade Area – mettront tout en œuvre pour le parer des atouts les plus séduisants !

Contrairement à ce que l’on essaie de nous faire croire, il n’y a pas plus de volonté de transparence dans ces négociations qu’auparavant. La semaine dernière, la Commission a même proposé au Conseil la signature de la convention des Nations unies sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondé sur des traités, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en décembre dernier. Le principe proposé est séduisant, mais la convention sera inapplicable si les parties choisissent la confidentialité.

J’ajoute que le médiateur européen pourrait prochainement ouvrir une enquête contre la Commission, car elle a refusé à cinq ONG l’accès à certains documents du TTIP. Cela prouve, si tant est qu’une preuve supplémentaire était nécessaire, le manque de transparence des négociations.

De plus, l’invocation de la transparence administrative ne peut légitimer des décisions qui suscitent la défiance des citoyens. Elle n’augure en rien une plus grande justice. Seul un contrôle démocratique peut véritablement gêner ces « petits arrangements ».

J’en reviens au huitième cycle de négociations, dont le thème est la « coopération réglementaire ». Les normes étant vues par les promoteurs du traité comme des entraves au commerce, il est facile d’imaginer quelle tournure les négociations vont prendre !

Pourtant, l’élevage animal et l’agroalimentaire, les produits cosmétiques, la sécurité automobile, les fibres vestimentaires, la sécurité bancaire ou encore l’usage des biotechnologies en général, sont des sujets qui préoccupent nos concitoyens. Ils devraient donc faire l’objet de débats publics ouverts. Au lieu de cela, les négociateurs prévoient la création d’un « Conseil de coopération réglementaire », qui supervisera la mise en cohérence normative et ses modalités. La question étant envisagée de façon purement technique et experte, quel rôle sera dévolu au Parlement européen et aux parlements nationaux ? Et surtout, qu’adviendra-t-il de la démocratie ?

Nous verrons également quel sera le contenu de la résolution – même si elle n’a qu’une valeur symbolique – du Parlement européen sur le traité transatlantique qui devrait être votée en mai prochain.

Il nous semble que la proposition de résolution dont nous débattons aujourd'hui peut être la première d’une très longue liste. Les mobilisations citoyennes et le travail des organisations civiles ont fragilisé ces négociations, qui devaient se dérouler dans le plus grand secret. Nous devons donc continuer de travailler dans ce sens afin de protéger nos concitoyens contre les dérives que peuvent entraîner de tels accords et de leur offrir un horizon respectueux de la démocratie.

Le groupe communiste, républicain et citoyen encouragera ce pas en avant en votant la présente proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur les travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tenterai de me substituer au mieux à mon collègue et ami Jean-Claude Requier, qui devait initialement s’exprimer au nom du groupe du RDSE dans ce débat. Je vous indique d’ailleurs d’emblée que notre groupe votera sans aucune réticence la proposition de résolution européenne qui nous est aujourd'hui soumise.

En matière de négociation des accords commerciaux internationaux, le Parlement, pourtant émanation et représentation de la Nation, est quasiment exclu des tractations et de la prise de décision. Selon les traités, la politique commerciale est une compétence communautaire.

Mme Nicole Bricq. Depuis le début !

M. Jacques Mézard. C’est ainsi que l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada a pu être conclu sans que nous en soyons informés, ni même consultés du reste, le Parlement national n’intervenant in fine que pour le ratifier.

Il faut dire que, aujourd'hui, de célèbres élus veulent supprimer nombre de parlementaires. Cela devient quasiment une manie ! (Sourires.)

Ne restent aux parlementaires nationaux, pour peser dans ces grands arrangements, que des résolutions. C’est donc une bonne chose qu’elles existent.

La proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd'hui s’articule autour de deux axes : le premier concerne le recours aux procédures d’arbitrage dans le règlement des différends entre investisseurs et États, le second, la « publicisation » des négociations.

Nous le savons, surtout ceux qui, parmi nous, ont une formation juridique, ces tribunaux arbitraux sont couramment inclus dans les accords commerciaux internationaux. Ils le sont même parfois à la demande des institutions européennes. Ces systèmes d’arbitrage, qui se substituent aux tribunaux des États, présentent, nous le savons aussi, de nombreuses faiblesses : risques de conflits d’intérêts, partialité au profit des investisseurs et au détriment des États, opacité de la procédure.

Or le recours à l’arbitrage apparaît dans le CETA, tel qu’il a été finalisé à l’automne. Ses promoteurs nous assurent que des « garde-fous » – le mot convient ! – ont été introduits dans le texte final. Mais sont-ils suffisants, s’agissant des modalités de composition, de saisine, de décision et de contrôle du processus de coopération réglementaire ?

Le CETA, bien qu’il relève de négociations distinctes, apparaît largement comme une préfiguration du TTIP.

Lors des discussions du second accord, en 2014, un front franco-allemand semblait s’être constitué au sein de l’Union européenne contre l’arbitrage. Les Allemands gardent en effet en mémoire le contentieux qui les oppose à Vattenfall, notamment au sujet de l’arrêt de leur programme nucléaire. Nous avons cependant constaté une inflexion ces dernières semaines.

Le présent texte propose donc un encadrement strict du processus d’arbitrage, concernant notamment la transparence des débats – la « transparence », encore un mot très à la mode ! –, la publicité des actes, l’indépendance et l’impartialité des arbitres ou, à défaut, le recours à un mécanisme de règlement interétatique des conflits. Nous aurions également pu ajouter l’introduction d’un mécanisme d’appel ou la pénalisation des plaintes infondées, vu le coût de telles procédures.

Bien que la confidentialité des négociations soit la norme dans ce genre de tractations, le secret qui les entoure fait peser le soupçon d’un accord qui, se faisant loin des peuples, se nouerait contre eux. La proposition invitant le Gouvernement à permettre au Parlement d’avoir un accès aux documents de la négociation identique à celui du Parlement européen est donc tout à fait opportune.

La nouvelle Commission européenne a procédé à une timide ouverture en s’engageant à publier certains documents sur l’état d’avancement des négociations. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez vous-même réorganisé, ces derniers mois, le comité de suivi stratégique des sujets de politique commerciale, que vous avez réuni en fin d’année. Nous vous invitons à informer plus régulièrement nos assemblées – si elles existent encore à l’avenir ! (Sourires.) – et à faire plus que leur remettre un rapport annuel sur la politique commerciale de la France.

Ces deux traités commerciaux suscitent de grandes inquiétudes, car ils pourraient avoir des répercussions, difficiles à évaluer aujourd’hui, dans plusieurs secteurs économiques, agricoles, mais aussi industriels. Nous le savons, ces traités portent non seulement sur la réduction des barrières douanières et sur l’accès aux marchés, mais également sur la définition de normes communes. Or nous ne souhaitons pas que l’établissement de normes conduise à un nivellement par le bas généralisé de notre modèle économique, sanitaire, social et environnemental.

En matière agricole, par exemple, les OGM ou le fameux bœuf aux hormones sont exclus du CETA. Cet accord prévoit cependant un relèvement des quotas d’exportation de viande bovine canadienne. Il existe par conséquent un risque de voir le marché européen, et donc français, déstabilisé par des produits n’étant pas soumis aux mêmes réglementations et aux mêmes impératifs de production.

Par ailleurs, nous avons appris que 173 indications géographiques protégées, dont 42 françaises, seront protégées dans l’accord avec le Canada. Une question se pose alors : comment seront protégées les autres ?

Les autres motifs d’inquiétude sont nombreux. Ils vont du principe de la non-brevetabilité du vivant à la question de la protection des données.

Il en va de ces accords comme de toute négociation : ils reposent sur des concessions réciproques pour parvenir à un texte commun. Nous devons donc nous interroger sur le rapport entre les coûts et les bénéfices de tels protocoles pour nos entreprises, pour nos emplois, pour nos consommateurs et pour notre modèle économique et social.

En conclusion, permettez-moi de rappeler cette maxime de La Rochefoucauld : « Ce qui fait que l’on est souvent mécontent de ceux qui négocient est qu’ils abandonnent presque toujours l’intérêt de leurs amis pour l’intérêt du succès de la négociation. »

Conscients de l’intérêt général de notre pays et de l’Europe, l’ensemble des sénateurs du groupe RDSE, je le répète, apportera son soutien à cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après les interventions précises et détaillées de l’auteur de la proposition de résolution, de M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de M. le président de la commission des affaires européennes, de M. le secrétaire d’État et des différents orateurs, je n’éviterai pas les redites, d’autant que cette proposition de résolution européenne suscite un très large accord sur l’ensemble de nos travées.

Mon propos sera principalement centré sur le traité relatif aux relations entre l’Union européenne et les États-Unis.

Au moment où nous parlons, les délégations européenne et américaine sont en train de négocier le projet de traité transatlantique. Un nouveau cycle de discussions a débuté hier à Bruxelles. Si la France et les Français ne veulent pas se réveiller avec la « gueule de bois » – pardonnez-moi l’expression – une fois l’accord conclu, mieux vaut s’y intéresser de près.

Je me réjouis que le Sénat y ait déjà consacré plusieurs séances : le 9 juin 2013 sur l’ouverture des négociations, le 24 octobre dernier à l’occasion d’une séance de questions cribles. Je salue l’engagement constant d’un certain nombre de nos collègues, notamment des présidents Bizet et Lenoir, mais aussi, par le passé, de Jean Arthuis.

C’est un sujet sur lequel j’ai pu mesurer l’inquiétude de nombreux producteurs, de chefs d’entreprise, d’ouvriers, d’élus locaux, dont je me fais volontiers le porte-voix cet après-midi.

Lors des débats précédents, comme à l’instant encore par votre voix, monsieur le secrétaire d'État, le Gouvernement s’est voulu rassurant quant à sa mobilisation pour défendre un certain nombre de nos filières d’excellence, par exemple dans l’agriculture et les industries agroalimentaires. J’imagine, monsieur le secrétaire d'État, que vous n’êtes pas insensible à la défense d’une indication géographique protégée comme celle du pruneau d’Agen. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Bien sûr, mobilisés, nous le sommes tous pour défendre nos produits.

Le Gouvernement s’est également voulu rassurant quant aux modalités de ratification du traité conditionnant l’entrée en vigueur de tout accord. Vous nous assurez du caractère mixte de celui-ci. C’est ce qui permettra au Parlement français d’avoir voix au chapitre : il aura la possibilité de voter, ou non, la ratification.

Enfin, le Gouvernement s’est voulu rassurant quant au fait que des informations relatives aux négociations nous seraient communiquées régulièrement. La Commission européenne a enfin rendu publics un certain nombre de documents, début janvier. Il était temps !

Malheureusement, des zones d’ombre continuent à susciter l’inquiétude. C’est le cas de la clause de règlement des différends entre investisseurs et États. La proposition de résolution que nous étudions aujourd’hui nous permet de réaffirmer notre préoccupation sur ce point-clé des négociations.

Si la France n’est pas une île et est engagée dans une compétition mondiale, dont elle doit aussi tirer profit, pour autant, nous ne devons pas nous désarmer unilatéralement. Or systématiser le recours à des procédures arbitrales entre investisseurs et États, sachant que les décisions de ces tribunaux arbitraux ne seraient pas susceptibles de faire l’objet d’un appel, ce serait précisément nous désarmer.

Notre assemblée avait d’ailleurs exprimé avec force, dès le mois de juin 2013, à l’occasion du vote sur la résolution relative au mandat de négociation, son souhait que celle-ci exclue tout dispositif d’arbitrage pour le règlement des différends entre investisseurs et États. Si l’arbitrage prenait le pas sur les juridictions ordinaires, nationales ou supranationales, ne serait-ce pas abdiquer purement et simplement une partie de notre souveraineté ?

Si le rôle des entreprises est de produire des biens, celui des États est notamment de produire du droit. Il s’agit, pour un État, non de créer un amas de normes, mais d’édicter des règles du jeu qu’il est capable de faire respecter pour garantir les principes fondamentaux de propriété, de liberté, d’équité.

Dessaisir les pays de la capacité de faire respecter leur droit interne via ces dispositifs d’arbitrage, cela revient à instaurer un régime s’apparentant à la loi du plus fort, alors même que, par la force des choses et des chiffres, les États sont de plus en plus des structures interstitielles, résiduelles, en regard de la force de frappe d’un certain nombre d’entreprises multinationales, dont le chiffre d’affaires équivaut parfois au PIB de certains pays.

Des exemples de mise en œuvre de ces mécanismes d’arbitrage issus d’accords bilatéraux sont là pour témoigner de leurs conséquences, notamment financières, pour les pays. Plusieurs affaires ont déjà été évoquées : Philip Morris contre l’Uruguay ou Vattenfall contre l’Allemagne. Voilà à quoi peut conduire ce type de procédure…

Les défenseurs de cette clause dite « ISDS », Investor-state dispute settlement, affirmeront que le recours à l’arbitrage privé en cas de litige existe depuis longtemps. Cependant, vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d'État, il y a des différences fondamentales entre les droits continentaux et le droit anglo-saxon. Les réduire n’est pas une mince affaire.

Suffirait-il, pour attaquer, qu’une société envisage la politique publique mise en œuvre par un État sur son territoire comme un préjudice économique ? Reconnaissons que cette notion juridique est quelque peu baroque dans notre droit, qui ne connaît pas de catégories de préjudices : chez nous, il y a préjudice ou il n’y a pas préjudice. Nous n’avons donc pas les mêmes définitions juridiques que les Anglo-Saxons.

À tout le moins, la procédure d’arbitrage doit être sérieusement encadrée, si toutefois elle n’était pas expurgée du traité au profit d’autres procédures de règlement – des pistes ont été esquissées –, au besoin en ayant recours aux juridictions ordinaires.

Si nous avons confié à l’Union européenne le pouvoir de se substituer aux États membres en matière de commerce extérieur, notamment, il ne saurait être question de lui donner les pleins pouvoirs pour ratifier un traité qui, à terme, aboutirait à un dessaisissement de notre capacité à décider de nos politiques publiques.

Bref, il est hors de question de donner un blanc-seing à un accord qui nous empêcherait d’être « maîtres chez nous », pour reprendre justement le terme forgé en 1962 par le Premier ministre québécois Jean Lesage, pourtant libéral.

Nombre de pays européens, et non des moindres, partagent ces craintes. Ainsi, en Allemagne, une étude menée par la Frankfurter Allgemeine Zeitung révélait en 2014 que le TTIP était l’une des quatre craintes majeures de la population pour 2015 en ce qu’il porterait atteinte aux standards de qualité allemands.

Loin de moi de plaider en faveur du repli ou de l’autarcie, mais nous ne devons pas être naïfs. Nous vivons dans un monde marqué par la guerre économique.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Si elle semble, au premier abord, moins violente qu’un conflit armé conventionnel, elle est pourtant cruelle pour les entreprises, les employés et les ouvriers qui en font les frais.

Christophe Guilluy a analysé les ravages que produit la déprise économique constatée dans un certain nombre de territoires, devenant peu à peu périphériques.

D’ailleurs, un responsable de la Chambre de commerce américaine en France le reconnaissait lors d’un colloque il y a quinze jours à Paris : « Il ne peut pas y avoir que des gagnants ; les perdants seront les moins efficaces ». Il y aura donc des gagnants et des perdants dans l’Union européenne. Tâchons de ne pas brader nos intérêts !

Oui à la possibilité de donner plus de visibilité à nos entrepreneurs en permettant la reconnaissance ou l’équivalence mutuelle de normes. Oui à la réduction d’un certain nombre de paperasses qui entravent inutilement le développement des acteurs économiques de part et d’autre de l’Atlantique. Oui à la protection des échanges et à leur facilitation. Oui à l’audace et à l’ambition pour exporter plus et investir plus partout dans le monde. Mais non au démantèlement de notre ordre juridique. Non au droit du plus fort !

C’est pourquoi je n’ai aucun mal à me rallier au texte de la proposition de résolution de nos collègues du groupe communiste, républicain et citoyen, adopté par la commission des affaires européennes et par la commission des affaires économiques. Je la voterai donc. Il est des moments où, face à de tels enjeux, nous devons être unis.

J’espère que ce message sera entendu par les experts qui négocient au nom des peuples européens et américains. À défaut, il ne faudra pas « pleurer sur le lait renversé » et sur le divorce qui s’exprime régulièrement entre le peuple et ses élites. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Au vu de la qualité des débats, de la profondeur des analyses et de la hauteur de vue des différents intervenants, le Gouvernement ne saurait se priver d’apporter quelques éléments de réponse. Au demeurant, il ne s’agira pas d’une conclusion puisque, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, ce débat se prolongera, bien des sujets restant devant nous.

Oui, c’est vrai, nous sommes actuellement, d’une certaine façon, à un tournant dans les négociations commerciales internationales : les négociations multilatérales tendent à céder le pas – on peut d’ailleurs le regretter – à des négociations de grand ensemble régional à grand ensemble régional. À l’évidence, un nouveau contexte doit s’accompagner de nouvelles règles.

S’ajoute à cela le fait, relevé par différents orateurs, que les négociations commerciales internationales ont aujourd'hui un effet direct sur nos territoires. Nous sommes nombreux ici à être élus dans des territoires qui connaissent des difficultés en partie du fait de ce phénomène.

Cependant, il ne faut pas oublier que nos territoires ont aussi beaucoup à gagner de ces négociations. Les secteurs économiques qui s’en sortent le mieux en France sont souvent ceux qui se sont inscrits dans une démarche très offensive à l’international, qu’il s’agisse de grands groupes ou de petites et moyennes entreprises innovantes, qui cherchent à conquérir de nouveaux marchés.

C’est dans le respect de cet équilibre et de cette articulation que se trouve, pour une part, la solution.

Après la large consultation qui a eu lieu, une nouvelle étape s’ouvre clairement devant nous. Le Parlement français, à travers Sénat aujourd'hui, y prend toute sa part.

Bien entendu, il ne s’agit pas d’aboutir pour aboutir : ce n’est pas parce que la négociation est lancée qu’elle doit se poursuivre coûte que coûte. La France est très attentive à ce que ses conceptions, ses valeurs et ses intérêts soient pris en compte et soutenus. Mais elle veille aussi à ce que les négociations progressent et aboutissent à un résultat global satisfaisant pour tous.

Il existe un besoin de transparence accru, souligné par l’ensemble des intervenants. Nous travaillons beaucoup sur cet aspect. La Commission européenne a également réalisé des efforts importants via la consultation. En matière de transparence, à tout le moins, Mme Malmström, la nouvelle commissaire européenne au commerce, me paraît encline à faire avancer les choses. Elle a été entendue à la fin de l’année dernière par le comité stratégique de suivi, ce qui lui a permis de dialoguer à la fois avec les parlementaires membres du comité et avec des représentants de la société civile. Cet exercice, qui a été important, a vocation à se poursuivre.

En ce qui concerne les questions de transparence et de règlement des différends, il s’agit avant tout d’affirmer des principes. C’est une des forces de la proposition de résolution européenne qui est soumise cet après-midi à votre vote. Il ne s’agit pas d’engager une démarche contre le Canada ou les États-Unis. À l’évidence, ces deux pays sont des partenaires économiques et commerciaux importants de la France. Ce sont aussi des pays amis, comme l’a d’ailleurs rappelé avec force le Président de la République lors de ses visites d’État dans ces deux pays.

Si une difficulté se pose aujourd'hui, c’est en raison du tournant que vous avez su « diagnostiquer ». Face à de nouvelles questions, nous devons trouver de nouvelles réponses. Le débat est très présent, aussi bien au niveau international qu’au niveau national. Je me suis rendu à plusieurs reprises sur le terrain pour engager la discussion spécifiquement sur ce point : en Seine-Maritime ; à Neuves-Maisons, près de Nancy, où je me trouvais hier ; je serai lundi prochain à Strasbourg, ville qui s’est déclarée « zone de débat sur le TAFTA ». Je suis tout à fait disposé à me déplacer le plus souvent possible afin d’échanger. Il s’agit à la fois de désamorcer des inquiétudes lorsqu’elles ne me paraissent pas fondées, mais aussi de les prendre totalement en compte lorsqu’elles me semblent justifiées.

L’idée est de travailler à des réponses qui soient opérationnelles. Vous avez évoqué plusieurs pistes. Je souscris à la plupart d’entre elles. Vous avez notamment mis l’accent sur la nécessité d’un rééquilibrage en faveur des États. Oui, dans la nouvelle phase qui doit s’ouvrir en matière de commerce international, le retour de la puissance publique, à travers la régulation, à travers l’édiction de normes et leur respect effectif, est un aspect fondamental. C’est à nous d’écrire ce retour de la puissance publique, aux États, aux peuples, à leurs représentants, aux parlementaires, y compris à l’échelon communautaire.

Dans cette perspective de rééquilibrage, permettez-moi de verser au débat une piste supplémentaire. Il n’est plus possible que, au cours des procédures de règlement des différends entre les investisseurs et les États, ces derniers soient totalement démunis face à des plaintes les exposant parfois à devoir verser des milliards d’euros, sans pouvoir réagir. Nous devons donc travailler à mettre au point des moyens de rétorsion des États contre de telles plaintes lorsqu’elles ne sont pas fondées. Nous devons imaginer des dispositifs et envisager des amendes pour sanctionner les recours abusifs.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Tout à fait !

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Ainsi, un certain nombre de grands groupes et de lobbies y regarderont à deux fois avant de faire courir à des États le risque d’être lourdement condamnés, et de faire peser sur les contribuables européens une charge parfois insupportable !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. La démarche préconisée à la fois par cette proposition de résolution et par le Gouvernement, grâce à ses différents contacts diplomatiques au sein de l’Union européenne, n’est pas simplement une « retouche cosmétique ». Il ne s’agit pas d’améliorer l’existant. Il nous faut ensemble inventer autre chose, c'est-à-dire des modalités de règlement de différends adaptées au XXIe siècle et à la nouvelle réalité du commerce international.

À cet égard, plusieurs d’entre vous l’ont dit, le Parlement est clairement un appui pour le Gouvernement quand il est, comme vous l’êtes aujourd'hui, précis, exigeant, pragmatique et ambitieux dans les réponses à apporter, quand il envisage la réalité, toute la réalité !

Certains expriment, dans des propos politiques qui oublient la réalité du monde, leur volonté d’enfermer notre pays, de le couper de tous les flux économiques.

M. Éric Bocquet. Ce n’est pas notre cas !

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Je le sais bien. C’est pourquoi je fais la distinction entre le travail de fond comme celui qui est mené ici et des propos politiciens qui, loin de tout réalisme, tendent à enfermer la France dans une série de lignes Maginot. Vous êtes nombreuses et nombreux ici à connaître et à aimer l’histoire, et vous savez combien de temps durent les lignes Maginot, vous savez ce que devient la France lorsqu’elles sont franchies. La stratégie de l’enfermement sur notre seul pays n’a donc pas d’avenir !

En revanche, le combat pour le juste échange, pour la réciprocité dans les échanges mondiaux, sur laquelle vous avez été nombreux à insister, sur l’ensemble des travées, a une réalité et doit constituer l’avenir de nos travaux.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Enfin, plusieurs orateurs se sont fait l’écho de la demande d’information du Parlement. Sachez que, chaque fois qu’une commission, le groupe de suivi ou toute instance du Sénat le souhaitera, je répondrai à sa convocation. Je présenterai désormais chaque année un rapport devant le Parlement sur les questions commerciales.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Merci !

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Celui-ci portera à la fois sur la progression des négociations - je sais que cela répond à une demande parlementaire très forte - ensemble régional par ensemble régional ou, le cas échéant, pays par pays, mais aussi sur notre analyse plus générale de la situation du commerce, des stratégies à adopter, des priorités à fixer et de la manière d’améliorer notre compétitivité à l’international, notre politique d’export. Tous ces éléments ont vocation à être présentés devant le Parlement, débattus et formalisés dans un document de référence qui nous engage tous. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu le rapport préliminaire de la Commission européenne du 18 juillet 2014 sur la consultation publique au sujet du règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) dans le cadre de l’accord de partenariat transatlantique (TTIP),

Vu la version consolidée du projet d’accord économique et commercial global négocié entre l’Union européenne et le Canada publiée par la Commission européenne le 26 septembre 2014,

Vu le mandat de négociation de l’accord de partenariat transatlantique du 17 juin 2013 publié le 9 octobre 2014,

Considérant que la Constitution, dans son préambule et à son article 3, consacre les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ; qu’elle précise, à son article premier, que la France est une République « démocratique et sociale » ;

Considérant que les négociations menées en vue d’un accord économique et commercial global avec le Canada (CETA) et d’un partenariat transatlantique avec les États-Unis (TTIP) sont menées sans que soient pleinement mis en œuvre les principes d’ouverture et de transparence posés à l’article 15 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et, par voie de conséquence, sans qu’ait pu être assuré un contrôle démocratique suffisant tant à l’échelon européen qu’à l’échelon national ;

Considérant qu’il est prévu d’inclure dans les accords tant avec le Canada qu’avec les États-Unis des règles de protection des investissements assorties d’un mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs par l’arbitrage (ISDS) ;

Considérant que l’introduction de telles dispositions risquerait de porter atteinte à la capacité de l’Union européenne et des États membres à légiférer, particulièrement dans les domaines sociaux, sanitaires et environnementaux, en les exposant à devoir verser des dédommagements substantiels aux investisseurs qui s’estimeraient lésés par de nouvelles mesures ;

Considérant qu’aux termes des articles 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et 21 du traité sur l’Union européenne, la politique commerciale commune doit être menée dans le respect des objectifs de l’action extérieure de l’Union européenne et donc promouvoir un ordre multilatéral respectueux de la démocratie et de l’État de droit ;

Rappelle que sa résolution n° 164 du 9 juin 2013 invitait le Gouvernement à fournir au Parlement français une étude d’impact qui ne lui a toujours pas été adressée et qui lui permettrait d’apprécier, par secteur d’activité, les effets pour la France de différents scénarios de négociation du partenariat transatlantique ;

Invite le Gouvernement :

– à agir auprès des institutions européennes pour mettre fin au manque de transparence caractérisant les négociations des accords envisagés entre l’Union européenne et le Canada, d’une part, et entre l’Union européenne et les États-Unis, d’autre part, lesquelles, compte tenu de leurs enjeux, doivent impérativement donner lieu à l’information nécessaire au contrôle démocratique ;

– à permettre aux parlements nationaux d’avoir un accès aux documents de négociation qui soit identique à celui offert au Parlement européen ;

– à associer étroitement les deux chambres du Parlement aux travaux du Conseil sur ces négociations ;

Appelle à une révision des chapitres 10 (investissements) et 33 (règlement des différends) du projet d’accord négocié avec le Canada, pour :

– garantir juridiquement que le droit des États à réglementer ne puisse être limité, même au nom des « attentes légitimes » des investisseurs, et qu’en aucun cas, une mesure protégeant un objectif légitime d’intérêt public ne puisse donner lieu à compensation au nom de son impact économique sur l’investisseur, sans quoi il serait préférable de renoncer au volet consacré à la protection des investissements dans l’accord global négocié avec le Canada ;

– modifier la procédure arbitrale afin d’assurer la pleine transparence des débats et la publicité des actes, l’indépendance et l’impartialité des arbitres, ainsi que la mise en place effective d’un mécanisme d’appel de la décision arbitrale devant un tribunal indépendant ;

– à défaut, envisager le recours à un mécanisme de règlement interétatique des différends en matière d’investissements, inspiré de l’Organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce, voire renoncer à tout mécanisme de règlement des différends en matière d’investissements avec le Canada ;

Constate que le chapitre relatif à la protection des investissements de l’accord négocié entre l’Union européenne et Singapour comprend des dispositions largement analogues à celles prévues dans l’accord négocié avec le Canada et invite en conséquence le Gouvernement à tenir la même position au Conseil concernant ces deux accords ;

Juge nécessaire que l’accord en cours de négociation avec les États-Unis reconnaisse explicitement la possibilité pour l’Union européenne et les États membres de préserver leurs acquis, notamment en matière sociale, environnementale, et sanitaire et de développer leurs politiques propres, y compris en matière industrielle et pour la protection des indications géographiques et autres signes de qualité des produits agricoles et alimentaires ;

Plaide, s’agissant du projet d’accord en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis, pour envisager le recours à un mécanisme de règlement interétatique des différends en matière d’investissements, inspiré de l’Organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce, ou, à défaut, pour retirer de ce projet d’accord tout mécanisme d’arbitrage privé pour régler les différends entre investisseurs et États ;

Invite le Gouvernement à garantir le principe de démocratie dans tout projet d’accord de protection des investissements et à refuser d’y insérer systématiquement un mécanisme de règlement des différends investisseur/État ;

Suggère au Gouvernement de présenter au Parlement un rapport annuel présentant la stratégie globale de la France et de l’Union européenne en matière d’accords commerciaux et d’accords de protection des investissements.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d'accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Je n’ai été saisie d’aucun amendement.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix cette proposition de résolution européenne, je donne la parole à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. La proposition de résolution européenne défendue par notre collègue Billout a un fil rouge, le principe de transparence, et donne des indications très claires sur ce que veut le Sénat s’agissant du mécanisme de règlement des différends.

En ce qui concerne la transparence, je souhaite rappeler, sans jouer l’« ancienne combattante » (Sourires.), que la France a toujours défendu la transparence. À cet égard, au moment de la publication officielle du mandat de négociation que nous avions donné à la Commission européenne, la France était très isolée. J’ai pu constater, lors d’un conseil informel, en février 2014, sous présidence grecque, qu’elle ne l’était plus : la quasi-totalité des États membres demandait cette transparence. Il faut reconnaître que des efforts ont été réalisés en la matière, notamment, M. le secrétaire d’État vient de le rappeler, avec la nouvelle commissaire au commerce, Mme Malmström.

S’agissant du mécanisme de règlement des différends, je salue la solution retenue par la commission des affaires européennes. Au passage, je tiens à remercier le groupe CRC de ne pas en demander l’exclusion. En effet, il y a toujours une part de tactique dans une négociation, et l’on peut penser que les Américains ont posé ce verrou en sachant que, s’ils devaient l’abandonner, ils feraient des « prisonniers », et non des moindres ; je pense notamment à un sujet qui nous est cher, le quota d’exportation de viande bovine en provenance des États-Unis. Dès lors, l’intelligence nous commande de ne pas exclure cette possibilité.

Ce qu’il faut bien mettre en évidence, vous l’avez dit, cher collègue Michel Billout, c’est qu’entre démocraties dotées de systèmes de droit différents, mais reconnus, ce type de mécanisme n’est pas acceptable, surtout lorsqu’il est opaque.

Je note, là aussi, des évolutions, dont Mme Malmström s’est félicitée puisqu’elle les a qualifiées de bienvenues : je veux parler des nouvelles directives édictées par l’ONU, que les États membres seront appelés à ratifier à partir du mois de mars, introduisant dans le mécanisme actuel d’arbitrage la transparence des débats, lesquels seront de plus en plus publics.

J’ai cru comprendre, monsieur le secrétaire d’État, que, sur cette proposition de résolution, le Gouvernement s’en remettait à la sagesse du Sénat. Je pense que c’est là une position… sage, car il ne faut surtout pas s’enfermer lorsque l’on négocie. Comme notre collègue le président Mézard l’a souligné, c’est à la fin de la négociation que l’on mesure globalement les avantages, les inconvénients, les risques. Je crois que vous avez bien fait de ne pas émettre un avis favorable, même si je comprends parfaitement nos collègues qui veulent donner des indications fermes et claires.

Pour conclure, madame la présidente, je dirai au président Bizet que le round qui s’ouvre est décisif. Nous n’avons que trop tardé. La négociation politique n’a pas commencé et cette semaine est déterminante. Je rappelle que, de ce côté-ci de l’Atlantique, nous sommes en concurrence avec la zone Pacifique. Si les Américains du Nord signent l’accord transpacifique, qui est leur première préoccupation, je ne voudrais pas que nous, Européens, soyons exclus du mouvement du monde. Je souhaite donc que cette négociation aboutisse vite, car une négociation qui traîne en longueur est de mauvais aloi.

Quoi qu’il en soit, je remercie la commission des affaires européennes d’avoir suscité ce débat. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de résolution européenne sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d’accords commerciaux entre l’Union européenne, le Canada et les États-Unis.

(La proposition de résolution européenne est adoptée.)

Mme la présidente. Je constate que cette proposition de résolution européenne a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)

En application de l’article 73 quinquies, alinéa 7, du règlement, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera transmise au Gouvernement et à l’Assemblée nationale.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de résolution présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d'accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis
 

8

Élections de membres représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un membre titulaire représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :

Nombre de votants 162
Majorité absolue des votants 82

Mme Maryvonne Blondin a obtenu 143 voix.

Mme Maryvonne Blondin ayant obtenu la majorité absolue des suffrages des votants, je la proclame membre titulaire représentant la France, au titre du Sénat, à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un membre suppléant représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :

Nombre de votants 162
Majorité absolue des votants 82

M. Jacques Bigot a obtenu 145 voix.

M. Jacques Bigot ayant obtenu la majorité absolue des suffrages des votants, je le proclame membre suppléant représentant la France, au titre du Sénat, à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

9

Demande d’avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre, par lettre en date du 2 février 2015, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, l’avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de M. Jean-Yves Le Gall comme président du conseil d’administration du Centre national d’études spatiales.

Acte est donné de cette communication, et ce courrier a été transmis à la commission des affaires économiques.

10

 
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires
Discussion générale (suite)

Représentation équilibrée des territoires

Adoption d’une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires, présentée par MM. Gérard Larcher et Philippe Bas (proposition n° 208, texte de la commission n° 255, rapport n° 254).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Bas, coauteur de la proposition de loi constitutionnelle.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. Philippe Bas, coauteur de la proposition de loi constitutionnelle. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la représentation équitable de nos territoires est un sujet que nous rencontrons au détour de nombreux textes depuis plusieurs années. Le problème est devenu tellement aigu que le président du Sénat, M. Gérard Larcher, lors de son discours de début de mandat, l’a placé parmi les questions à traiter prioritairement. Nous nous sommes mis aussitôt au travail, si bien que nous avons pu déposer, dès le mois de décembre, la proposition de loi constitutionnelle inscrite aujourd'hui à notre ordre du jour.

Le Sénat, faut-il le rappeler, est, en vertu de l’article 24 de la Constitution, l’assemblée parlementaire qui représente les collectivités territoriales de la République. Cela justifie que nous nous soyons saisis des difficultés rencontrées à la suite de plusieurs décisions du Conseil constitutionnel ayant pour effet de brider la liberté d’appréciation du Parlement s’agissant de la détermination du nombre de représentants des sections de collectivités territoriales, des communes dans les intercommunalités, des cantons dans les départements ou des candidats par département au sein des listes pour les élections régionales.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel aboutit aujourd’hui à une forme de négation des droits des territoires, alors même que, par la révision constitutionnelle de 2003, le pouvoir constituant, en l’occurrence le Parlement, a décidé d’inscrire l’organisation décentralisée de la République parmi les principes fondamentaux de notre République et, ce faisant, a modifié l’article 1er de notre Constitution.

Hélas, toutes les conséquences n’ont pas été tirées de cette inscription de l’organisation décentralisée de la République dans l’interprétation qu’il y a lieu de faire du principe de l’égalité devant le suffrage, qui est l’un des principes les plus forts de notre Constitution, pour permettre la juste représentation de nos territoires.

En vérité, la jurisprudence du Conseil constitutionnel s’est essentiellement forgée dans l’examen de législations qui ont trait à l’expression de la souveraineté nationale, et non pas à l’expression des territoires au sein de nos collectivités territoriales et de leurs groupements.

Le Conseil constitutionnel interprète, depuis maintenant près de trente ans, la Constitution et le principe d’égalité devant le suffrage comme interdisant de prévoir la sous-représentation ou la surreprésentation d’une population par son ou ses élus de plus de 20 %, sauf motif d’intérêt général. On aurait d’ailleurs pu croire que cette mention de la possibilité d’aller au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler un « tunnel » de 20 % en plus ou de 20 % en moins de la moyenne de représentation aurait permis de traiter le cas d’un certain nombre de collectivités ou de sections de collectivités. Or il n’en a rien été.

En effet, le Conseil constitutionnel, devant ce qu’il faut bien appeler le mauvais vouloir des pouvoirs publics, Gouvernement et Parlement, entre 1986 et 2009, a été conduit à durcir au fil des années le niveau de son exigence. Alors que le découpage des circonscriptions législatives reposait sur le recensement de 1982, les élections législatives continuaient à se dérouler sans que l’exigence, posée dans la loi même, de réviser lesdites circonscriptions ait jamais été respectée.

Le Conseil constitutionnel a donc, à juste titre, élevé le niveau de son exigence. Il en est même arrivé, au cours des dernières années, à contester la possibilité, pourtant reconnue par la tradition républicaine, pour chaque département, d’élire au moins deux députés ; je pense notamment au cas de la Lozère. Ce faisant, il a porté atteinte à un autre principe auquel la République était attachée, celui de l’égal accès des Français à leurs élus, car, bien évidemment, quand un territoire est immense, le temps consacré par un député à chacun de ses administrés devient extrêmement faible, voire résiduel.

La puissance de sa règle d’interprétation de l’égalité devant le suffrage était telle qu’il n’a même plus accepté d’y déroger dans le cadre de la tradition républicaine.

Autant le Conseil constitutionnel aurait pu considérer que l’égalité devant le suffrage doit être un principe, non pas de valeur absolue, mais un principe fort, auquel on ne peut déroger que pour des motifs d’intérêt général assez exceptionnels – quand on élit des députés, il s’agit tout de même de la représentation de la Nation ! –, autant il aurait pu se montrer plus souple pour ce qui concerne la représentation de nos territoires. Mais il ne l’a pas fait : il a appliqué à la représentation des territoires, de la manière la plus rigoureuse qui soit, les principes qui avaient été forgés pour l’expression de la souveraineté nationale.

Le président du Sénat et moi-même souhaitons donc, avec cette proposition de loi constitutionnelle, poser une règle, dans le cadre d’un dialogue constructif avec le Conseil constitutionnel. Cette règle ne s’appliquera qu’à la représentation des territoires ; elle préservera intégralement les principes établis par la jurisprudence constitutionnelle en ce qui concerne l’expression de la souveraineté nationale.

Mes chers collègues, je me dois, à ce stade, d’ouvrir une parenthèse concernant du mode d’élection des sénateurs. Sur ce sujet particulier, le Conseil constitutionnel a admis des écarts de représentation en fixant des limites à la désignation, par les conseils municipaux de villes importantes, de délégués au collège électoral. Il a considéré que ce collège devait être majoritairement composé d’élus, et non de personnes désignées par les conseils municipaux. En refusant ainsi que les sénateurs soient désignés, dans une proportion excessive, par des citoyens non élus, il a admis qu’une limite pouvait être apportée à l’application d’une sorte de principe d’égalité de représentativité démographique des sénateurs. Je crois que, en l’espèce, le Conseil constitutionnel a eu raison.

De la sorte, la fameuse règle du « tunnel » des plus ou moins 20 %, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d’intérêt général, ne s’est appliquée, s’agissant du Parlement, qu’aux seuls députés.

Pour les territoires, il y a eu un enchaînement de décisions soulevant d’extrêmes difficultés d’application. Je pense à la décision de décembre 2010 sur les conseillers territoriaux. Le Conseil constitutionnel a censuré la disposition qui accordait à la Savoie une représentativité d’à peine plus de 20 % par rapport à la moyenne pour ses conseillers territoriaux… On voit avec quelle rigueur il a appliqué ses principes, sans se servir de la faculté qu’il avait lui-même ouverte de tenir compte de motifs d’intérêt général pour s’affranchir quelque peu du fameux tunnel !

Il est d’ailleurs paradoxal que le Conseil constitutionnel ait évoqué ce tunnel dans de nombreux commentaires qu’il a lui-même fait de ses décisions, sans le faire jamais figurer dans aucune de ses décisions ! C’est dire que la transparence des décisions du Conseil constitutionnel n’apparaît pas toujours aussi grande que souhaitable pour le justiciable qu’est, à l’égard du Conseil constitutionnel, le Parlement.

De même, s’agissant de la création des « supercantons » dotés chacun d’un binôme, dont nous allons faire l’expérience dans quelques semaines, il n’y avait pas davantage de transaction possible, malgré un certain flottement du Gouvernement lors de la discussion parlementaire. Je me souviens que le ministre de l’intérieur de l’époque, M. Manuel Valls, nous avait dit très clairement – sa position était partagée par un certain nombre de collègues du groupe socialiste du Sénat – que, « compte tenu des critères qui ont présidé au redécoupage, la fixation d’un seuil de 30 % est nécessaire dans de nombreux départements ». Il ajoutait : « Ne pensez-vous pas que la prise en compte de l’ensemble de ces critères et le passage à 30 % du tunnel permettront une représentation juste et équilibrée des territoires ? »

Malheureusement, sans doute dissuadé par des messages officieux venant de cercles de constitutionnalistes, le ministre de l’intérieur a, de retour à l’Assemblée nationale, déposé un amendement visant à revenir sur le seuil de 30 %. Il expliquait alors : « Le risque constitutionnel existe, je ne l’ai pas caché lors de mes précédentes interventions. J’ai donc estimé nécessaire de sécuriser les critères de redécoupage qui ont été affinés par le Sénat et l’Assemblée nationale. » C’est joliment dit ! Il poursuivait : « C’est pourquoi j’ai proposé à cette dernière de supprimer toute référence chiffrée à l’écart démographique. »

Pour les cantons, nous en sommes donc parvenus à un système où le législateur lui-même, anticipant une éventuelle censure du Conseil constitutionnel et préférant la prévenir que de devoir en tirer les conséquences éventuelles, a refusé d’élargir le tunnel.

Monsieur le président du Sénat, quel autre choix avions-nous, dès lors, que de proposer la révision de la Constitution pour surmonter l’obstacle du tunnel, à peine amoindri par les motifs d’intérêt général, dans des conditions qui ne mettent pas en péril l’expression de la souveraineté nationale pour l’élection des députés et qui respectent totalement la jurisprudence constitutionnelle pour cette même élection ? (M. Gérard Larcher opine.)

On se demande pourquoi on avait, jusqu’à présent, appliqué une règle unique à des situations aussi différentes, alors que, depuis 2003, comme je l’indiquais au début de mon intervention, l’organisation de la République est, aux termes mêmes de la Constitution, décentralisée.

Ce qu’il convient de faire, et c'est ce que nous proposons, c’est modifier d’abord l’article 1er de la Constitution, qui fixe les principes, puis l’article 72, qui traite des seules collectivités territoriales. Cela signifie bien que l’ambition de cette révision constitutionnelle est limitée à l’expression des territoires et que l’on n’entend nullement toucher à l’application des principes dans des domaines bien plus essentiels, comme celui de la représentation nationale.

Pourquoi modifier l’article 1er ?

Tout d’abord, par souci d’élégance : fixer une règle à l’article 72 sans qu’elle soit, en quelque sorte, une règle d’application d’un principe fondamental serait insuffisant.

Ensuite, par souci d’efficacité, tout simplement. Les dispositions que nous voulons voir adoptées doivent constituer un guide sûr, avant tout pour la législation que nous aurons à adopter s’agissant de la représentation des territoires, mais aussi pour la jurisprudence du Conseil constitutionnel : il faut que celui-ci puisse, dans l’interprétation de la modification que nous voulons faire de l’article 72 de la Constitution, s’appuyer sur la révision de l’article 1er.

Je tiens à souligner que la révision que nous proposons à l’article 1er ne retranche rien aux principes qui figurent à cet article. Nous nous contentons d’ajouter qu’une prise en compte équitable des territoires est nécessaire. Je le redis, ce raisonnement juridique nous paraît essentiel si nous voulons être non seulement élégants, mais aussi – c’est le plus important pour nous ! – efficaces. Nous avons besoin des deux dispositions : celle de l’article 1er et celle de l’article 72.

Pourquoi, donc, modifier l’article 72 ?

Si nous n’avons pas voulu modifier des articles plus généraux de la Constitution, c’est pour ne pas toucher aux règles posées par le Conseil constitutionnel quant à l’élection des députés. Je le répète, le principe de l’égalité devant le suffrage n’est en rien affecté par notre proposition de loi constitutionnelle et nous affirmons que ce principe ne fait pas obstacle à une représentation équilibrée des territoires, seul objet de notre texte.

Nous modifions l’article 72 à la fois pour reprendre le principe introduit à l’article 1er et pour inscrire dans la Constitution un seuil que le Conseil constitutionnel s’est refusé à définir dans sa propre jurisprudence, mais un seuil différent de celui qu’il applique. Si nous ne fixons pas de seuil, le Conseil pourra continuer à répondre au législateur, prendre en compte des motifs d’intérêt général et admettre des variations de représentativité des élus, comme il le fait déjà, mais dans la limite des 20 %.

Nous voulons relever ce seuil à un tiers en plus ou en moins et le faire figurer dans la Constitution, de manière qu’il s’impose dorénavant au Conseil et que, en même temps, le Parlement dispose d’une plus grande marge pour assurer une représentation équitable des territoires.

Je précise d’ailleurs que la rédaction employée par le Conseil constitutionnel dans ses décisions, mis à part la proportion d’un tiers, est reprise telle quelle dans la proposition de loi constitutionnelle dont nous débattons. En effet, le motif d’intérêt général qui permet de dépasser le seuil est maintenu : il sera en effet nécessaire, notamment pour des îles et des régions montagneuses ou particulièrement désertifiées, d’aller au-delà du tiers, comme il était nécessaire d’aller au-delà des 20 %, même si le Conseil constitutionnel rechignait à l’admettre.

Les dispositions que nous proposons sont donc parfaitement respectueuses des raisonnements juridiques qui ont l’autorité de la chose jugée et auxquels nous ne contrevenons pas. Nous modifions le « réglage » de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, sans remettre en cause les principes sur lesquels elle repose, je tiens à le souligner.

Il est plus que temps d’assurer à nos territoires une juste représentation, et cela dans notre loi fondamentale.

Je pense aux intercommunalités, pour lesquelles les accords de répartition des sièges ont été mis en péril par une récente décision que nous nous sommes évertués à corriger, dans les limites assignées par le Conseil constitutionnel.

Je pense également aux cantons, dont la morphologie laisse prise à de nombreux soupçons, même si le Conseil d’État n’a pas annulé les décrets pris par le Gouvernement, car les critères fixés par le législateur n’étaient pas suffisamment précis.

Je pense, enfin, à la détermination du nombre de sièges figurant sur les listes départementales de candidatures pour les élections régionales.

Nous pensons que le Gouvernement, après l’adoption de ce texte par le Sénat et l’Assemblée nationale, hésitera sans doute à organiser un référendum pour procéder à cette modification de Constitution. Toutefois, s’il adhère au principe de cette révision constitutionnelle, il lui sera loisible de présenter à l’Assemblée nationale un projet de loi constitutionnelle reprenant en tout point les termes de notre proposition de loi. Dès lors, il sera possible de mener à bien la démarche au travers d’un vote du Congrès, plutôt que de demander aux Français de se prononcer par référendum.

Nous sommes bien conscients que convoquer un référendum sur une telle question pourrait paraître disproportionné aux yeux du Président de la République, alors même que l’audience du pouvoir exécutif dans notre pays n’atteint pas, à l’heure actuelle, un niveau susceptible de l’inciter à organiser des référendums, quel qu’en soit le sujet ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’unanimité des votants, la commission des lois a adopté la proposition de loi constitutionnelle présentée par MM. Gérard Larcher et Philippe Bas et visant à introduire la notion de représentation équitable des territoires dans la Constitution.

Sur quels éléments se fonde cette décision ?

La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux lois traitant des questions électorales constitue, bien entendu, le point de départ de la réflexion. Comme l’a rappelé à l’instant le président de la commission des lois, cette jurisprudence est non seulement constante, mais également de plus en plus ferme dans ses considérants.

Je dois reconnaître que, si l’on se met un instant à la place du Conseil constitutionnel – je vais essayer de le défendre, avant d’expliquer pourquoi il est nécessaire d’aller outre -, on comprend aisément les problèmes auxquels il est confronté.

Tout d’abord, lorsqu’il est amené à examiner des lois relatives au découpage électoral ou, plus généralement, à la représentation, il fait face à des limites matérielles. En définitive, un temps très court lui est imparti pour examiner ces textes et entrer dans un examen détaillé des découpages proposés. Ce manque de temps, soit dit entre parenthèses, n’est pas de notre fait puisque nous avions précisément proposé, lors de la révision constitutionnelle de 2008, d’augmenter les délais accordés au Conseil constitutionnel pour qu’il puisse effectuer correctement son travail, mais que l’exécutif s’y était alors opposé. Quoi qu'il en soit, faute de temps suffisant, le Conseil est tenu de fixer des règles strictes, appliquées invariablement à tous les cas de figure sur lesquels il est appelé à se prononcer.

Aussi le Conseil constitutionnel a-t-il fixé, de façon prétorienne, cette règle des 20 % et l’applique systématiquement à tous les projets et propositions de loi qui sont soumis à son examen.

À ce premier motif, tout à fait sérieux, expliquant l’attitude du Conseil constitutionnel, s’en ajoute un deuxième, également important, auquel M. le président de la commission des lois a d’ailleurs fait allusion.

Dans ce pays, en matière de découpage électoral, nous avons un problème qui concerne, non pas la nature du découpage, mais l’absence de révision du découpage ! Entre 1958 et 2015, soit en cinquante-sept ans, les circonscriptions législatives n’ont été découpées que trois fois. Si l’on compare notre pratique à cet égard à celles des autres grandes démocraties ayant recours au scrutin uninominal majoritaire, les États-Unis et le Royaume-Uni, la différence est flagrante.

Les observations du Conseil constitutionnel n’ont pas manqué pour demander un redécoupage des circonscriptions, à intervalles réguliers, afin de tenir compte des évolutions démographiques. Mais on n’a jamais tenu compte de ces avis. Un premier découpage a donc été réalisé en 1958, au moment de l’institution du mode de scrutin, un second en 1986, au moment de son rétablissement, et un troisième en 2010, au moment où l’on a introduit une représentation des Français de l’étranger à l’Assemblée nationale ; on a alors été obligé de découper, et encore ne l’a-t-on fait qu’à la marge.

Cela vaut aussi pour les autres découpages, notamment celui des cantons. Nous savons très bien qu’il aurait fallu intervenir bien plus souvent sur la carte cantonale. Dès lors, le jour où il faut s’atteler à la tâche, on se trouve devant une situation ingérable et l’on repousse les décisions. Quand, in fine, on se soucie de régler le problème, cela donne ce qui s’est passé la dernière fois !

Les difficultés rencontrées par le Conseil constitutionnel sont donc parfaitement compréhensibles. Mais la solution qui est la sienne n’est pas pour autant acceptable.

Il s’en tire avec un bémol qu’il apporte à sa jurisprudence : le motif d’intérêt général.

Celui-ci, on l’a vu, est interprété de façon très restrictive : sont invoqués des motifs essentiellement d’ordre géographique. De fait, il apparaît tout à fait nécessaire d’introduire un correctif à la règle des 20 % dans le cas d’une île ! En dehors de ce type de considérations géographiques, le motif d’intérêt général est très peu utilisé.

Le Conseil constitutionnel aurait pu avoir recours à un argument d’une autre nature, qu’il a d’ailleurs développé de manière systématique, jugeant tout à fait envisageable d’adopter des règles différentes face à des situations différentes. Dans le cas présent, il ne l’a pourtant jamais fait !

Cette proposition de loi constitutionnelle consiste donc à lui tendre une perche, en mettant en exergue l’existence de situations diverses en matière électorale. Certaines élections sont nationales, d’autres sont locales ; il y a la représentation de la Nation et il y a la représentation des territoires locaux !

Face à des situations fondamentalement différentes, nous devons nous adapter !

La révision constitutionnelle de 2003 a fourni un premier élément en ce sens, en introduisant dans la Constitution la notion d’organisation décentralisée de la République. La révision de 2008 a ajouté un deuxième élément, dont les auteurs de la présente proposition de loi se sont saisis : elle a introduit – à la demande, d’ailleurs, d’un parti qui appartient à l’actuelle opposition sénatoriale – une notion d’équité s’agissant de la représentation des partis.

Si l’on a accepté, en 2008, l’introduction d’une telle notion s’agissant de la représentation des partis, il me semble que l’on peut faire de même s’agissant de la représentation des territoires, lesquels ont au moins autant de légitimité que les partis pour figurer dans la Constitution de la République !

Avant d’en venir au contenu même de la proposition de révision constitutionnelle, je voudrais faire observer que, si l’on s’est beaucoup appesanti sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cela vaut la peine, aussi, de s’arrêter un instant sur celle du Conseil d’État.

Après tout, le Conseil d’État est le juge des élections locales, et c’est également lui qui examine le découpage des cantons. Or la lecture attentive des décisions qu’il a rendues à l’occasion du redécoupage cantonal de 2014 est très intéressante.

Bien sûr, tous les découpages ont été validés. Mais l’étude des motifs avancés pour ces validations fait apparaître que le Conseil d’État s’est abstenu de remettre en cause tant des découpages qui étaient contestés parce qu’ils induisaient une représentation insuffisante de certains territoires, notamment ruraux, que d’autres qui l’étaient pour le motif exactement inverse.

Comment le Conseil d’État a-t-il motivé ses décisions ?

Il a tout d’abord estimé que la fameuse règle des 20 % était une simple ligne directrice, et non un principe fondamental. Puis il a ajouté, dans un arrêt du 30 décembre 2014 concernant la communauté de communes du Plateau-Vert - un des plus récents sur le sujet -, qu’aucun principe ni aucune règle jurisprudentielle ne conférait à cette double marge de 20 % un caractère absolu. Dès lors, il s’agissait simplement d’une ligne directrice et que l’on pouvait choisir de ne pas la respecter.

Vous le voyez donc, mes chers collègues, le juge des élections locales, qui est également celui du découpage cantonal, est beaucoup moins rigide que le Conseil constitutionnel dans son appréciation sur d’éventuels cas de dépassement de la limite des 20 %.

Venons-en maintenant aux propositions des auteurs du texte que nous examinons, consistant à modifier les articles 1er et 72 de la Constitution.

L’idée est tout d’abord d’introduire, dans l’article 72, qui définit les pouvoirs et compétences des collectivités territoriales, la notion de représentation équitable des territoires et de lui donner un contenu, en prévoyant un écart de représentation égal au tiers de la moyenne de représentation constatée en rapportant, pour la collectivité concernée, le chiffre de la population au nombre des élus. Après l’alinéa concernant la libre administration des collectivités par des conseils élus, serait donc ajouté ce double dispositif : représentation équitable des territoires, d’une part, règle du tiers, d’autre part.

Toutefois, comme le président de la commission vient de l’expliquer, les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle ne se sont pas contentés de cette évolution et ont également proposé une modification de l’article 1er de la Constitution.

Cette modification a donné lieu à une discussion intéressante au sein de la commission des lois, qui s’est conclue positivement. L’introduction de la notion de représentation équitable des territoires dans leur diversité à l’article 1er a donc été approuvée. Cette notion apparaîtrait juste après celle d’organisation décentralisée de la République, dont l’ajout date de 2003.

Pourquoi, du point de vue de la commission et de son rapporteur, cette disposition est-elle nécessaire ?

La Constitution comporte deux sortes de dispositions : des dispositions fixant des principes fondamentaux, qui figurent notamment aux articles 1er à 4, et des dispositions plus opérationnelles et techniques, que l’on retrouve dans la suite du texte constitutionnel, par exemple à l’article 72.

Ainsi, cet article fixe un principe de libre administration des collectivités territoriales, mais la disposition renvoie à l’article 34, selon lequel le législateur est seul compétent pour définir la mise en œuvre de ce principe.

Je voudrais, à ce stade, évoquer aussi l’exemple de la péréquation. Cette notion, introduite dans la Constitution en 2003, a donné lieu à des questions prioritaires de constitutionnalité déposées par des collectivités territoriales qui contestaient tel ou tel dispositif législatif au motif que celui-ci ne respectait pas le principe de péréquation. Le Conseil constitutionnel a systématiquement rejeté ces recours lorsque la notion de péréquation était présentée seule, estimant que cette dernière constituait un objectif de valeur constitutionnelle, mais en aucun cas un principe en lui-même.

À la suite de ces rejets successifs, les requérants ont changé de stratégie et adossé ladite notion à un autre principe, plus « important » du point de vue de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : celui de libre administration des collectivités territoriales. Dès lors, le Conseil a accepté d’examiner les recours et de déterminer dans quelle mesure le principe de libre administration avait été violé, ou non.

C’est le même type de raisonnement qu’il faut suivre s’agissant de cette notion nouvelle de représentation équitable des territoires. Pour s’assurer que le Conseil constitutionnel examinera attentivement les recours susceptibles d’être présentés sur ce fondement, il ne faut pas s’en tenir au seul article 72. Le principe doit être aussi clairement affiché dans le bloc constitué par les quatre premiers articles de la Constitution ; d’où la modification proposée à l’article 1er de la Constitution par les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle et son approbation par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous débattez aujourd’hui d’une proposition de loi constitutionnelle portée par deux signataires éminents : le président de la Haute Assemblée, Gérard Larcher, et le président de la commission des lois, Philippe Bas.

Comme l’a exposé votre rapporteur, la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État sur l’égalité devant le suffrage prévoit que chaque élu doit représenter un nombre équivalent de personnes et ouvre la possibilité de déroger à ce principe dans la limite de plus ou moins 20 %.

Des dérogations supplémentaires existent également dans des cas particuliers, tels ceux des zones de montagne, des enclaves ou des territoires insulaires.

Les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle estiment que cette marge de manœuvre est insuffisante et proposent plusieurs modifications.

En premier lieu, ils souhaitent inscrire le principe de représentation équitable à l’article 1er de notre Constitution.

En second lieu, ils proposent que l’existence d’un possible écart de représentation, qui résulte aujourd’hui de la jurisprudence et de la loi, soit explicitement prévue par l’article 72 de la Constitution.

En troisième lieu, ils souhaitent que l’écart maximal par rapport à la moyenne démographique pour les élus d’une même assemblée locale soit porté à un tiers du nombre moyen d’habitants par élu.

La question de la représentation des territoires les moins peuplés dans les assemblées locales s’est posée avec une acuité particulière lors de la discussion de la loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral. Nombre d’entre vous se sont en effet inquiétés du sort réservé aux cantons les plus ruraux dans le cadre du redécoupage découlant nécessairement de la mise en place du mode de scrutin binominal

Je tiens à rappeler qu’au cours de ce débat Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, avait été réceptif aux remarques de l’ensemble des sénateurs. Il avait ainsi rappelé que la loi et la jurisprudence constitutionnelle permettent d’ores et déjà des exceptions à la règle des 20 %, lorsque la géographie ou les particularités locales le justifient.

Il avait aussi souligné – et je m’associe pleinement à ces propos – que, même si des éléments territoriaux devaient être pris en compte dans les découpages de circonscriptions, chacun devait garder à l’esprit que « les élus, à n’importe quel échelon, représentent des citoyens avant de représenter des hectares ».

Je souhaiterais formuler quelques remarques en réponse aux propos tenus par Philippe Bas et par le rapporteur, et d’abord rappeler que la jurisprudence du Conseil constitutionnel n’est pas un carcan qui nous interdit de tenir compte des réalités territoriales. J’ai évoqué à l’instant la loi du 17 mai 2013, qui permet d’apporter des dérogations à la règle des 20 % lorsqu’elles sont « justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques ou par d’autres impératifs d’intérêt général ».

Tel est le cas, par exemple, pour le canton de l’île d’Yeu, en Vendée, qui s’écarte de 87 % de la moyenne départementale. Autre exemple : le canton de Valréas, dans le Vaucluse, s’écarte de 55 % de la moyenne de son département.

À l’inverse, pour les territoires ne présentant pas de particularité géographique, nous avons rétabli l’égalité entre les citoyens : alors que les écarts de population entre les cantons pouvaient aller de 1 à 40 dans certains départements avant la réforme, ils sont aujourd’hui compris dans le « tunnel » de 20 %. Il s’agit un progrès dont tous les démocrates peuvent se féliciter.

D’autres textes récents ont montré la volonté du Gouvernement et du législateur de prendre en compte le fait territorial. Dans la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, il a ainsi été prévu, dès le projet de loi initial, d’instituer une règle de représentation minimale de chaque département au sein des conseils régionaux.

De même, la proposition de loi d’Alain Richard et de Jean Pierre Sueur, qui devrait bientôt être définitivement adoptée, précise que chaque commune doit obtenir au moins un siège de conseiller communautaire au sein de sa communauté de communes ou de sa communauté d’agglomération.

Il n’y a donc pas de contradiction entre la démographie et la géographie, entre les habitants et les hectares, entre la représentation et les territoires.

Je voudrais mettre en avant un autre point essentiel. Actuellement, l’écart maximal de 20 % n’est pas inscrit dans la Constitution ; comme je l’ai dit au début de mon intervention, il résulte de la loi et de la jurisprudence. C’est justement parce qu’il n’est pas inscrit dans la Constitution que cet écart n’est pas un droit absolu pour celui qui découpe les circonscriptions. C’est une simple possibilité, qui n’existe que pour permettre la conciliation entre deux impératifs : l’égalité des électeurs devant le suffrage et la prise en compte des particularités locales.

C’est pourquoi, en l’état de notre droit, le Conseil d’État peut annuler un découpage présentant un écart de 10 % ou 15 % dès lors que cet écart n’est pas justifié par l’intérêt général.

La proposition de loi constitutionnelle que vous examinez aujourd’hui remettrait en cause cet état de fait. Si ce texte était adopté, l’écart maximal par rapport à la moyenne démographique ne serait plus une faculté, mais un droit acquis pour le pouvoir réglementaire, lequel pourrait en faire usage sans aucune justification d’intérêt général. Voilà qui ouvrirait la voie à tous les excès, à toutes les injustices, aux découpages les plus arbitraires.

Ma dernière remarque portera sur la représentation des citoyens au sein des assemblées locales. Déjà aujourd’hui, la règle des 20 % peut entraîner une distorsion dans la représentation des électeurs. Prenons un exemple simple : dans l’hypothèse où le nombre d’habitants dans une circonscription est supérieur de 20 % à la moyenne d’une collectivité, tandis que le nombre d’habitants d’une autre circonscription est inférieur de 20 % à la même moyenne, l’élu de la première circonscription représente 1,5 fois plus d’habitants que son collègue. On atteint donc un écart de représentation de 50 % entre deux élus, qui vont pourtant siéger pendant cinq ou six ans dans la même assemblée.

On peut se livrer au même exercice avec un écart d’un tiers, tel qu’il est proposé dans le texte de Gérard Larcher et de Philippe Bas. Prenons une hypothèse identique : une circonscription où le nombre d’habitants est supérieur d’un tiers à la moyenne et une seconde où il serait inférieur d’un tiers. Dans un tel cas, l’élu de la première circonscription représenterait deux fois plus d’habitants que celui de la seconde.

Ce constat m’amène à poser deux questions. Premièrement, comment pourrions-nous justifier, auprès de nos concitoyens, que la voix d’un électeur pèse deux fois moins que celle de son voisin ? Deuxièmement, comment pourrions-nous soutenir une règle dont le corollaire est non pas l’égalité entre les territoires, mais l’inégalité entre les citoyens ?

J’ajouterai une troisième question : si l’écart peut aller du simple au double dans une zone ne présentant aucune particularité géographique, qu’en sera-t-il dans les zones de montagne et dans les zones enclavées ? Pourra-t-on aller du simple au triple, au quadruple ? Pourra-t-on aller encore plus loin, sous prétexte que la représentation « équitable » des territoires l’impose, au mépris de l’égalité entre les électeurs ?

La notion d’équité, que l’on trouve dans le dispositif de la proposition de loi constitutionnelle à deux reprises, est certes une notion importante et digne d’intérêt. Toutefois, elle ne saurait faire échec à la justice et à l’égalité. Or force est de constater que, sous couvert d’équité, vous proposez la mise en place d’un système injuste, d’une démocratie à deux vitesses.

Mesdames, messieurs, notre attachement aux territoires structure notre action ; il s’agit là d’un point de convergence entre le Parlement et le Gouvernement. Mais cet attachement ne doit pas nous faire oublier le principe essentiel qui fonde la démocratie représentative et que l’on peut résumer ainsi : les élus de la République, au niveau national comme au niveau local, tirent leur légitimité d’une seule chose, le suffrage de leurs concitoyens.

En remettant en cause les bases démographiques de l’élection, vous pensez défendre les territoires. Je ne doute pas de votre sincérité, mais il est de mon devoir de souligner que cette proposition de loi constitutionnelle ne pourra, à terme, que mettre à mal la légitimité des élus. Ce faisant, loin d’aider les territoires fragiles, elle risque au contraire de les desservir.

En conséquence, le Gouvernement est défavorable à l’adoption de la proposition de loi constitutionnelle.

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’une véritable proposition sénatoriale.

En effet, la proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires est présentée par le président de la Haute Assemblée et par le président de la commission des lois. Elle est inscrite non pas dans un espace réservé, mais à l’ordre du jour d’une semaine d’initiative du Sénat et concerne, comme son titre l’indique, la représentation de nos territoires.

Je veux ici saluer cette initiative, qui montre, en ces tristes temps de « Sénat bashing », que notre institution est capable de se réunir et de débattre de manière transpartisane de ce qui est notre raison d’être : nos territoires.

La proposition de loi de MM. Larcher et Bas vise deux objectifs : d’une part, introduire la notion de territoire dans notre Constitution, et ce dès l’article 1er, dont le premier alinéa, une fois révisé, serait ainsi rédigé : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. La République garantit la représentation équitable de ses territoires dans leur diversité. » ; d’autre part, modifier, l’article 72 de notre Constitution, premier article consacré aux collectivités territoriales, afin d’assurer à ces dernières une représentation équitable en introduisant une nouvelle limite maximale d’écart de représentation égale au tiers de la moyenne de représentation constatée pour l’assemblée concernée, au lieu des 20 % imposés par le Conseil constitutionnel.

Ce bref préambule permet malgré tout de mesurer tout l’enjeu de cette proposition de loi constitutionnelle, qui mêle les questions fondamentales de l’égalité devant le suffrage, de la représentation et de la démocratie.

À première vue, le principe d’égalité devant le suffrage, bien connu de nous tous, peut paraître très simple à envisager. Comme l’écrivait Hans Kelsen dans sa Théorie générale du droit et de l’État, « l’influence qu’un électeur exerce sur le résultat de l’élection doit être égale à celle qu’exerce chacun des autres électeurs : chaque suffrage doit avoir un poids égal à celui de tous les autres » ou, comme l’exprime encore plus simplement l’adage : « un homme, une voix » – il faudrait plutôt dire : « un homme ou une femme, une voix ». (Sourires.)

Si le principe est simple, il se heurte à une réalité qui l’est nettement moins. En pratique, lorsque deux circonscriptions élisent un même nombre d’élus, alors qu’ils n’ont pas le même nombre d’habitants, le poids du vote des électeurs de chacune des deux circonscriptions sera différent et l’égalité sera ainsi rompue.

Fort de ce constat, le Conseil constitutionnel a souvent invité le législateur à corriger le désajustement résultant des évolutions démographiques. On peut ainsi lire, dans sa décision du 6 juillet 2000 : « les dispositions combinées de l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution imposent au législateur de modifier la répartition par département des sièges de sénateurs pour tenir compte des évolutions de la population des collectivités territoriales dont le Sénat assure la représentation ».

Depuis, la Constitution a bien été modifiée, et encore récemment par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la VRépublique.

Cependant, la représentativité démographique est parfois concurrencée par la représentativité des territoires. Ainsi, dans la saisine qui précéda la décision du 6 juillet 2000, les requérants soutenaient que la loi déférée, relative à l’élection des sénateurs, était contraire à la Constitution en ce que notamment « l’abaissement à 300 habitants du seuil pour désigner les délégués des communes bouleverse complètement la représentation des collectivités territoriales : les petites communes sont écrasées, tout comme les départements et les régions ».

Le seuil de 300 habitants leur apparaissait arbitraire et n’était justifié, à leurs yeux, par aucun autre argument que celui de la démographie.

Le Conseil constitutionnel estimait alors que, pour respecter le principe d’égalité devant le suffrage, « la représentation de chaque catégorie de collectivités territoriales et des différents types de communes doit tenir compte de la population qui y réside ». En substance, « si le nombre des délégués d’un conseil municipal doit être fonction de la population de la commune et si, dans les communes les plus peuplées, des délégués supplémentaires, choisis en dehors du conseil municipal, peuvent être élus par lui pour le représenter, c’est à la condition que la participation de ces derniers au collège sénatorial conserve un caractère de correction démographique ».

Bien que les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État soient convergentes et reposent toutes deux sur des exigences essentiellement démographiques, les décisions de ces deux institutions ont pu différer.

Ainsi, le Conseil constitutionnel, en tant que juge des élections législatives, s’intéresse à l’égalité des suffrages au niveau national. Son souci constant est de veiller à la répartition des sièges en contrôlant que l’écart de population entre deux circonscriptions à l’intérieur de chaque département ne dépasse pas 20 %.

Selon les auteurs de la présente proposition de loi constitutionnelle, si cette limite « garantit [...] l’égalité de représentation des habitants et le respect du critère démographique pour l’exercice de la souveraineté nationale », dans le cadre de l’élection des parlementaires, elle est « trop étroite pour les assemblées locales ».

Le 21 octobre 2014, dans son allocution prononcée à la suite de son élection à la présidence du Sénat, M. Gérard Larcher déclarait : « Le critère démographique, mes chers collègues, est-il le critère exclusif de représentativité ? » Vous plaidiez pour une amélioration de la représentation des citoyens en combinant « la démocratie du nombre et celle du territoire ».

Combiner « la démocratie du nombre et celle du territoire », telle est donc l’ambition de cette proposition de loi constitutionnelle.

Le groupe écologiste partage tout à fait cet objectif, mais la question se pose de savoir si le présent texte constitue un moyen efficace de l’atteindre. Afin d’apporter une réponse concrète à cette question, il me semble important de rappeler certaines positions défendues de longue date par les écologistes.

Nous avons longtemps milité en faveur de la suppression du conseiller territorial et de la modification du mode de scrutin des conseils généraux pour assurer une représentation équitable des territoires et des forces politiques.

Afin de clarifier le rôle de chacun des échelons, nous préconisions qu’une « conférence régionale des compétences », réunissant dans chaque région l’État et les différents niveaux de collectivités territoriales décide de la répartition des compétences non régaliennes, autorise l’expérimentation de nouvelles compétences pour les pouvoirs locaux et permette d’assurer la qualité des services publics locaux. Ces conférences pourraient également proposer des modifications institutionnelles soumises à l’approbation du Parlement.

Nous souhaitons que la démocratisation des intercommunalités soit engagée avec la mise en œuvre d’un scrutin assurant une représentation directe de la population et garantissant celle des communes.

L’autonomie financière et de gestion des collectivités, ainsi qu’une péréquation bénéficiant aux territoires défavorisés doivent être rendues possibles par une réforme de la fiscalité locale.

Enfin, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler il y a peu dans cet hémicycle, face aux crises politiques et institutionnelles, il faut refonder profondément nos institutions, à tous les niveaux, pour affronter démocratiquement les temps qui viennent et bâtir ensemble une nouvelle société. C’est une VIe République qu’il convient d’inventer : il ne suffit pas de « réparer » la Ve. C’est pourquoi, si nous partageons l’ambition de cette proposition de loi constitutionnelle, modifier la Constitution par petits bouts n’est pas une solution satisfaisante à nos yeux.

Parce que, nous en sommes convaincus, c’est le modèle de nos institutions qu’il faut réinventer dans son entier, c’est à la construction de la VIe République qu’il faut s’atteler maintenant. Et parce que la représentativité des territoires ne peut être envisagée uniquement en termes de population, la préservation de la nature et de la biodiversité doit être tout à fait intégrée dans les politiques publiques.

En conclusion, mes chers collègues, le groupe écologiste ne soutiendra pas ce texte. (M. Philippe Kaltenbach applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner une proposition de loi constitutionnelle présentée par M. le président du Sénat et par M. le président de la commission des lois. Celle-ci vise à « assurer la représentation équilibrée des territoires » de la République.

Vaste et ambitieux programme !

D’abord, pourquoi une telle proposition ? Comme l’a très clairement dit M. Philippe Bas, il s’agit pour les auteurs de contrer la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

En effet, dans sa décision de 1985 relative à la Nouvelle-Calédonie – et en aucun cas à un scrutin national –, le Conseil constitutionnel a affirmé la règle selon laquelle une élection doit être organisée « sur des bases essentiellement démographiques ». Il avait toutefois apporté des précisions : il ne résultait pas de cette règle l’obligation de recourir à un scrutin proportionnel non plus que l’interdiction de prendre en compte des impératifs d’intérêt général pour y déroger, ces derniers ne devant toutefois intervenir que dans une mesure limitée.

Cette limite, a statué le Conseil, c’est le fameux « tunnel » des 20 % : le nombre d’habitants représenté par un élu local ne peut donc en principe s’écarter de plus de 20 %, en plus ou en moins, du nombre moyen d’habitants représenté par chaque élu au sein de l’assemblée territoriale concernée.

Cette règle a encore été récemment rappelée par le Conseil constitutionnel à propos des accords locaux dans nos intercommunalités. En effet, saisi le 11 avril 2014 d’une question prioritaire de constitutionnalité, il a été amené à se prononcer sur l’article du code général des collectivités territoriales qui prévoit les modalités de répartition des sièges au sein des communautés de communes et des communautés d’agglomération.

Dans sa décision, le Conseil a estimé qui n’était pas suffisant qu’il soit simplement « tenu compte » de la population et il a rappelé que le critère démographique devait demeurer à la base du calcul de répartition. Il a alors censuré l’alinéa de l’article du code général des collectivités locales permettant l’accord local.

En réponse à cette censure, nos éminents collègues Alain Richard et Jean-Pierre Sueur ont immédiatement déposé une proposition de loi que nous serons amenés à examiner en seconde lecture dans deux jours. Cette proposition de loi, selon ses auteurs, « prévoit tout ce qu’il est possible de prévoir, eu égard à la jurisprudence du Conseil constitutionnel ».

Force est donc de constater, mes chers collègues, que nous devons nous inscrire dans un cadre contraint, fixé et maintenu par le Conseil constitutionnel. C’est précisément ce cadre contraint que la présente proposition de loi constitutionnelle entend assouplir.

Nous avons plusieurs fois relevé sur toutes les travées de cet hémicycle les difficultés qui découlent de ce tunnel des 20 %. Ce fut le cas lorsque nous nous sommes penchés sur le découpage des nouveaux cantons. Le groupe socialiste avait d’ailleurs formulé des propositions pour que le tunnel soit élargi à plus ou moins 30 %.

Ce fut encore le cas récemment, lors de l’examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions, dans le but d’assurer un nombre suffisant de conseillers régionaux aux départements à la population numériquement modeste.

En chacune de ces occasions, c’est vrai, nous avons été contraints par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Pour autant, des solutions ont toujours été trouvées, et il convient les citer.

Dans le cadre du redécoupage des cantons, des dérogations sont prévues pour certains territoires de nature insulaire, pour les zones de montagne et pour les départements à la population réduite. Un nombre minimal de conseillers régionaux a été fixé à deux pour les départements de moins de 100 000 habitants – seule la Lozère est concernée – et à quatre pour les départements de plus de 100 000 habitants.

M. Jacques Mézard. Mais les départements n’existent plus !

M. Philippe Kaltenbach. Certes, de telles solutions ne sont peut-être pas satisfaisantes aux yeux de certains,…

M. Jacques Mézard. On veut nous étouffer !

M. Philippe Kaltenbach.…. mais je crois qu’elles ont montré la volonté du Gouvernement et du groupe socialiste – dans le respect, bien sûr, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel – d’aller vers des solutions qui prennent vraiment en compte la représentation des départements, des petites communes, des territoires ruraux afin que personne ne soit oublié et que nous parvenions à une représentation équilibrée de nos territoires.

Que nous proposent le président du Sénat et le président de la commission des lois ? Comme celui-ci l’a rappelé, la présente proposition de loi constitutionnelle vise à opérer deux modifications dans le texte de la Constitution. D’une part, elle tend à compléter l’article 1er par une phrase ainsi rédigée : « La République garantit la représentation équitable de ses territoires dans leur diversité ». D’autre part, elle tend à modifier l’article 72.

J’ai déposé un amendement qui vise à dissocier ces deux modifications.

Autant le groupe socialiste considère qu’il serait utile de modifier l’article 72 de façon à ne toucher qu’à la « largeur » du tunnel – c’est une idée qui peut faire consensus –, autant nous sommes résolument opposés à la modification de l’article 1er.

Il s’agit en effet d’un article fondamental : c’est le socle sur lequel s’appuie notre Constitution.

Tout à l’heure, M. le rapporteur a cité la révision constitutionnelle de 2003 qui a vu l’inscription à l’article 1er du principe selon lequel l’organisation de la République française est décentralisée. Or, lors des débats qui se sont tenus au Sénat à l’occasion de cette révision, notre regretté collègue Pierre Mauroy, qui est pourtant le père de la décentralisation, s’était élevé contre cette modification au motif qu’il fallait être extrêmement prudent lorsqu’on touchait à cet article 1er et que, en l’espèce, une telle modification était superflue, la France étant déjà un État décentralisé. Il considérait que « le cap » fondamental – l’égalité – était fixé dans l’article 1er et qu’il ne fallait pas en « dévier » avec des modifications qui ne faisaient qu’y introduire de la confusion.

C’est pourquoi nous allons tâcher de vous convaincre que, si vous voulez que cette proposition de loi constitutionnelle ait une chance de prospérer, il faudrait la scinder, pour ne retenir que la modification de l’article 72.

En effet, je le répète, non seulement l’article 1er touche aux fondements de la République, mais la formule proposée dans le présent texte est floue et ambiguë Est-il opportun d’adjoindre aux fondamentaux de l’article 1er de la Constitution que la « République garantit la représentation équitable de ses territoires dans leur diversité » ?

Les termes de « représentation équitable » sont-ils d’une précision suffisante ou d’une clarté incontestable ? Je ne le crois pas et, d’ailleurs, le fait qu’il faille modifier l’article 72 en fixant un tunnel de 33 % montre bien que cette expression ne donne pas par elle-même les éléments suffisants au juge constitutionnel pour lui permettre d’apprécier le caractère constitutionnel ou non des textes de loi.

De surcroît, cette formule introduit un principe qui risque de nuire au grand principe républicain de l’égalité. Dans sa décision du 17 janvier 1979 relative à l’élection des conseils de prud’hommes, le Conseil constitutionnel a précisé que l’égalité devant le suffrage n’est qu’un corollaire de l’égalité devant la loi. Aucun texte constitutionnel, en effet, ne mentionne explicitement le principe d’égalité devant le suffrage, et c’est sur la seule égalité devant la loi que s’est appuyé le Conseil constitutionnel dans cette décision.

Et voilà que nous, une petite trentaine de parlementaires, après trois quarts d’heure de débat en commission et deux heures de discussion en séance plénière, nous irions modifier l’article 1er de la Constitution, article fondamental dont les principes figuraient déjà dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789…

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Philippe Kaltenbach. Combien de Français se sont battus, combien de Français sont morts pour ce principe d’égalité de tous devant la loi ?

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. Philippe Kaltenbach. Et nous, réunis en petit comité, nous introduirions, à côté du principe d’égalité, voire en concurrence et même en contradiction avec lui, un principe d’équité dans la représentation des territoires ?...

M. Philippe Kaltenbach. Deux principes, de force équivalente, figureraient donc dans le même article de la Constitution. Pour ma part, je considère que le principe d’égalité devant le suffrage, qui assure aussi l’égalité devant la loi, ne figure pas pour rien à l’article 1er de la Constitution : il est au sommet de la hiérarchie constitutionnelle, les autres principes étant seconds.

Certains voudraient nous faire croire que cette modification est seulement cosmétique et vise à régler un problème technique de découpage cantonal ou de représentation des petites communes au sein des intercommunalités. Or, j’y insiste, tel n’est pas le cas.

Si nous ne sommes pas opposés à ce que l’on essaie de régler un problème qui se pose effectivement, nous considérons que la modification de l’article 1er, telle que je l’ai présentée, va bien au-delà d’une réforme technique ; elle remet en cause une valeur fondamentale de la République, à savoir l’égalité, sans qu’un travail vraiment approfondi ait été mené.

Nous pouvons naturellement continuer à réfléchir sur la manière de concilier égalité et justice dans la représentation électorale, mais il est certain que ce n’est pas en quelques heures de débat que nous pourrons élaborer une solution qui fasse consensus.

Cela m’amène à une autre remarque ; je regrette d’ailleurs que Gérard Larcher ne soit plus là pour l’écouter. J’ai le plaisir et l’honneur d’être associé à la réflexion actuellement en cours sur les méthodes de travail de la Haute Assemblée, qui est à l’origine de nombreuses réunions et d’intenses discussions.

M. Philippe Kaltenbach. Certains ici présents assistent à ces débats, le mardi à huit heures du matin, et tentent d’élaborer des propositions très techniques, par exemple sur la réduction éventuelle du temps de parole ou encore sur l’organisation de la semaine sénatoriale. Beaucoup de temps est pris, donc, pour réfléchir à ces questions, auxquelles tout le monde est associé.

En revanche, pour modifier l’article 1er de la Constitution, personne n’est consulté, et surtout pas les citoyens ! Ceux-ci sont complètement tenus à l’écart de ce travail, alors qu’ils se sont déjà prononcés par référendum en faveur de notre texte fondamental, et ce à plusieurs reprises.

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Philippe Kaltenbach. Par ailleurs, qu’est-ce que cette « représentation équitable » dont fait mention l’article 1er du présent texte ? S’agit-il du tunnel des plus ou moins 33 %, qui apparaît en son article 2 ? Là aussi, je m’étonne ; j’ai en effet entendu à cette même tribune un orateur brillant, qui préside le groupe parlementaire auquel appartiennent les auteurs du présent texte, nous expliquer qu’il fallait se dégager d’une conception arithmétique de la politique, et que les principes étaient au-dessus des réalités purement mathématiques…

Je ne suis pas opposé aux seuils, mes chers collègues. Je les ai défendus lors de nos débats sur la fusion des intercommunalités et, par souci de cohérence, je ne les combattrai pas aujourd’hui. Cela dit, à mon sens, traduire un grand principe, proclamé dans un article, en un simple chiffre, apparaissant dans un autre, montre bien que cette question doit rester technique ; il faut donc se contenter d’y apporter une réponse technique.

J’ajoute, sans esprit de polémique, que cette proposition de loi constitutionnelle me paraît très opportuniste.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oh !

M. Philippe Kaltenbach. Personne n’en est dupe. Nous sommes, après tout, une assemblée politique, et loin de moi l’idée d’en faire le reproche aux auteurs du présent texte.

Néanmoins, à mon sens, cette proposition de loi constitutionnelle relève surtout d’une logique d’affichage politique. Tout le monde a noté, en effet, que sa discussion intervenait à quelques semaines seulement des élections départementales, dont la tenue a requis un redécoupage qui a provoqué de nombreux débats.

M. Jean Bizet. C’est un hasard, cher collègue ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Est-il défendu de légiférer à cette période ?

M. Philippe Kaltenbach. Ce redécoupage a fait l’objet de très nombreuses contestations, et d’autant de recours devant le Conseil d’État, tous rejetés d’ailleurs. Cela montre que ce travail a été très bien réalisé ; monsieur le secrétaire d’État, je compte sur vous pour adresser mes félicitations au ministre de l’intérieur.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Ce fut un merveilleux charcutage, plutôt !

M. Philippe Kaltenbach. Non, ma chère collègue, le charcutage était l’apanage de MM. Marleix ou Pasqua ! Le redécoupage dont je parle a au contraire corrigé des inégalités très fortes de représentation.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Le groupe socialiste aussi sait manier le scalpel !

M. Philippe Kaltenbach. Comme à chaque fois, chers collègues de la majorité, vous affirmez vouloir défendre les territoires ruraux.

Or aucune disposition dans le présent texte ne précise que le tunnel des plus ou moins 33 % s’appliquera spécifiquement à ces territoires. Si le présent texte était adopté, d’abord par le Parlement, puis par référendum – cela fait beaucoup de conditions ! –, il se pourrait même que l’on assiste à une distorsion de son application entre les zones urbaines, où le tunnel des plus ou moins 33 % serait respecté, et les zones rurales, où il serait beaucoup plus étroit.

La défense des territoires ruraux n’est donc pas clairement affirmée, ce qui montre bien que la réflexion n’est pas aboutie. Vous êtes allés beaucoup trop vite, chers collègues, pour traiter de ce sujet.

En outre, un référendum sur ce texte est plus qu’improbable. M. le président de la commission des lois l’a lui-même noté : il faudrait que l’Assemblée nationale vote la proposition de loi constitutionnelle, puis que le Président de la République la soumette au référendum. Est-ce la préoccupation actuelle des Français ? Je vous laisse juges de l’opportunité de cette décision…

Pour conclure, je citerai Montesquieu, qui déclarait qu’il ne fallait « toucher aux lois que d’une main tremblante » ; j’ajouterai que c’est encore plus vrai quand il s’agit de l’article 1er de la Constitution, qui proclame ce principe fondamental de notre République qu’est l’égalité.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Regardez ma main, cher collègue : elle tremble ! (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Vous n’êtes pourtant pas Montesquieu ! (Nouveaux sourires.)

M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président de la commission, je ne puis donc que vous encourager à suivre la position du groupe socialiste, qui votera pour la suppression de l’article 1er de la présente proposition de loi constitutionnelle et pour le maintien de son article 2, laquelle modifie l’article 72 de la Constitution.

Ainsi pourrons-nous nous concentrer sur l’aspect purement technique de la question, ce fameux tunnel, qui peut en effet être élargi. Toutefois, par pitié, ne touchons pas à l’article 1er de la Constitution, à ce principe fondamental de la République !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous faites la moitié du chemin, cher collègue !

M. Philippe Kaltenbach. Faites l’autre moitié, monsieur le président de la commission, et nous pourrons peut-être nous retrouver ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier Mme Assassi, qui a très gentiment accepté de me laisser m’exprimer avant elle ; en effet, un impératif m’oblige à quitter bientôt la séance. Pour la récompenser, je serai le plus bref possible et n’épuiserai même pas les cinq minutes de temps de parole auxquelles j’ai droit ! (Sourires.)

Je n’ai pas eu besoin de préparer mon intervention. En effet, si ce texte avait existé au moment du récent redécoupage des cantons, nombre de problèmes auraient été résolus. J’indique en outre que, lors de nos débats sur le sujet, nous avions adopté de nombreux amendements à une très large majorité, exprimée par l’ensemble des groupes parlementaires du Sénat.

Nous pourrions donc nous arrêter là et considérer que le texte que nous examinons aujourd’hui, dont je voudrais d’ailleurs remercier ses auteurs, le président du Sénat et le président de la commission des lois, est très simple et d’une très grande clarté.

Cela dit, adopter un tunnel de plus ou moins 33 % ne signifie pas que tout se passera parfaitement sur le terrain. On l’a vu avec la règle des plus ou moins 20 %, le ministère de l’intérieur peut très bien accepter une distorsion de moins 20 % en milieu urbain et de plus 20 % en milieu rural !

M. Philippe Adnot. C’est un peu original : l’esprit de la loi était de permettre une meilleure représentation du milieu rural, et non pas le contraire.

Or presque tous les départements comprennent des cantons plus petits en milieu urbain et plus étendus en milieu rural. Cela montre bien que la lettre de ces nouvelles dispositions n’aura de valeur que le jour où leur esprit – utiliser le tunnel pour mieux représenter le milieu rural – trouvera réellement application.

Je précise d’ailleurs que la marge de plus ou moins 33 % prévue par la présente proposition de loi constitutionnelle est une fourchette à l’intérieur de laquelle il est possible d’évoluer.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Absolument !

M. Philippe Adnot. Je voterai donc ce texte, que je trouve de grande qualité.

Avant de terminer, je voudrais, monsieur le secrétaire d’État, vous interroger sur un tout autre sujet. Vous le savez, la loi relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral a provoqué l’apparition de cantons beaucoup plus étendus qu’auparavant.

De plus, le bureau centralisateur est désormais situé dans la commune la plus importante du département – parfois à son extrémité, donc –, et non plus en son chef-lieu, lequel est pourtant relativement central. Dans certains départements – dans le mien, par exemple – cela implique que les maires devront traverser tout le territoire pour y déposer les résultats !

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est une décision prise par des Parisiens !

M. Philippe Adnot. Ne pourrait-on pas décider que les maires les remettent plutôt à la gendarmerie, qui les transmettra ensuite à la préfecture ?

Il s’agirait d’une mesure extraordinairement simple. Puisque nous discutons d’un texte qui ne manque pas de bon sens, je fais appel au vôtre sur ce point, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’UDI-UC et du RDSE.)

M. Jean Bizet. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, notre assemblée est saisie, dans une certaine précipitation, d’une proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires.

J’évoque une certaine précipitation, car ce texte, déposé au Sénat le 19 décembre 2014, c’est-à-dire pendant la suspension des travaux parlementaires, a été inscrit par la conférence des présidents du 22 janvier dernier à l’ordre du jour d’aujourd'hui.

Pour la petite histoire, la commission s’étant réunie le 28 janvier dernier, le dépôt d’amendements en commission a été fixé au lundi 26 janvier, soit trois jours seulement après l’inscription du texte à l’ordre du jour, week-end compris.

En clair, sans aller jusqu’à parler de débat d’initiés, un sénateur qui n’aurait pas été tenu informé de manière préalable, ce qui n’était pas mon cas, ne pouvait s’être préparé pour l’examen du texte en commission. Vu l’importance du sujet et sa complexité, il lui était en tout cas difficile de mener une réflexion aboutie pour nos discussions d’aujourd’hui.

J’arrêterai là ces quelques remarques de forme, mais il est tout de même curieux, à l’heure où le Sénat réfléchit à ses méthodes de travail, de débattre dans ces conditions d’une proposition de loi constitutionnelle présentée par le président du Sénat et le président de la commission des lois. Modernité ne veut pas dire précipitation, chers collègues. Manquer de temps pour s’imprégner d’une telle problématique, c’est, en réalité, réserver son examen aux spécialistes.

J’en viens au fond de la proposition de loi constitutionnelle, qui vise à introduire dans la Constitution le principe de « représentation équitable » des territoires. Ses auteurs, ainsi que la majorité des membres de la commission des lois, contestent, de fait, la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle se fonde, depuis 1985, sur l’appréciation démographique du principe d’égalité devant le suffrage.

En effet, le Conseil constitutionnel a fixé une limite maximale d’écart de proportionnalité à 20 % par rapport à la moyenne. Nous le savons tous, dans les faits, ce principe de proportionnalité – entre répartition des sièges, délimitation des circonscriptions et population – est appliqué de manière plus simple qu’il n’y paraît, au nom de motifs d’intérêt général. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel a accepté sans sourciller la création de deux sièges de sénateurs, l’un à Saint-Martin, l’autre à Saint-Barthélemy, représentant chacun une poignée d’électeurs.

Cela dit, cette proposition de loi constitutionnelle pourrait apparaître, à première vue, comme une avancée démocratique. Qui, dans cette assemblée, ne souhaite pas voir les territoires représentés dignement ?

M. Bruno Sido. Eh oui !

Mme Éliane Assassi. Qui ne souhaite pas un lien étroit entre la population et les élus ?

Toutefois, la précipitation que j’évoquais d’emblée montre bien le caractère opportuniste – je regrette de le dire – de cette initiative,…

M. Philippe Kaltenbach. Elle est même électoraliste !

Mme Éliane Assassi. … qui est prise à quelques semaines des élections départementales.

Elle se fonde, en effet, sur l’inquiétude, certes légitime, de nombreux élus ruraux, qui craignent qu’une désertification démocratique ne s’ajoute à une désertification économique et sociale.

Nous notons toutefois une contradiction manifeste entre le constat actuel de cette difficulté de représentation des territoires et l’acceptation, dans le passé, de textes importants, qui ont réécrit l’architecture institutionnelle de notre pays.

En effet, dans l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, on peut lire : « Si l’égalité de suffrage constitue l’un des principaux piliers de notre démocratie, son application ne peut ignorer le fait territorial qui, à travers la géographie et l’histoire, est au cœur de l’identité de notre Nation. Il en est ainsi particulièrement des territoires ruraux qui, faiblement peuplés, doivent conserver dans les collectivités territoriales une représentation suffisante pour que le lien entre les élus et la population qu’ils représentent puisse être maintenu malgré les distances. »

Les auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle semblent donc regretter l’importante réorganisation du territoire mise en œuvre depuis quelques années !

Certes, une distance croissante apparaît entre les institutions locales et les citoyens. De fait, la multiplication quelque peu anarchique des établissements publics de coopération intercommunale, ou EPCI, l’apparition des métropoles et de pôles métropolitains, l’incitation à la création de communes nouvelles, l’établissement de grandes régions déconnectées de la réalité des territoires et, dans de nombreux cas, l’éloignement, parfois physique, des centres de décisions et des assemblées délibérantes, amplifient, de manière considérable, la crise de la représentation politique locale.

Nous l’avons dit et répété – peut-être avons-nous prêché dans le désert –, le rabaissement du rôle de la commune et les attaques incessantes contre les départements, deux structures intimement liées aux concepts de démocratie de proximité à la française et de maillage démocratique, portent un coup dur à la démocratie.

M. Bruno Sido. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. La création des métropoles est, nous l’avons souligné, un acte de soumission institutionnelle au marché. C’est la mise en concurrence des territoires : chaque pôle métropolitain exerce une puissance d’attraction sur la vie économique et sociale et sur la population elle-même.

On peut s’apitoyer sur la désertification des zones rurales, à l’image des auteurs de la présente proposition de loi constitutionnelle, tout en acceptant ou en laissant faire des politiques qui l’organisent institutionnellement.

Oui, la compétitivité économique et la course à la rentabilité du territoire condamnent des pans entiers de notre pays à la régression économique et sociale, au vieillissement de la population et à un isolement progressif !

La création des grandes régions, des super-régions, n’a pas été précédée du grand débat national qui s’imposait.

M. Bruno Sido. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. L’éloignement entre les citoyens et les institutions territoriales est ainsi poussé jusqu’à la caricature. (M. Jacques Mézard applaudit.) Il faudra désormais faire parfois des centaines de kilomètres pour aller d’une extrémité à l’autre d’une région. Quelle proximité y aura-t-il entre élus et citoyens dans de telles conditions ?

M. Bruno Sido. Bonne question !

Mme Éliane Assassi. Les présidents Gérard Larcher et Philippe Bas souhaitent maintenir un lien entre population et élus, malgré la distance. Néanmoins, ils s’exonèrent un peu facilement des responsabilités de leur parti et de leurs prises de position antérieures quant aux décisions qui ont mené à la situation actuelle !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. À tout péché miséricorde… (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. La démocratie régionale n’était déjà pas simple à faire vivre ; la création de ces super-régions est un contresens démocratique !

Sans aller jusqu’à évoquer l’image de l’arroseur arrosé, je trouve étonnante la soudaine inquiétude relative à la représentation des territoires dans les assemblées territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale. Ce problème était évident pour l’acceptation dans les grandes lignes de la profonde modification de l’architecture institutionnelle de notre pays.

Par ailleurs, mes chers collègues, la Constitution ne se réforme pas tous les jours. Engager une réforme institutionnelle nécessite d’examiner dans sa globalité la problématique de la représentation politique. Selon moi, représenter les territoires, c’est représenter la population de ces territoires. Sinon, cela n’a pas de sens.

La question de la démocratie ne peut pas se limiter à celle de la représentation des territoires. Il faut parler du pluralisme et de l’exigence de la proportionnelle, qui est liée au respect de ce grand principe : l’absence de diversité professionnelle, sociale ou d’origine est patente. La question du scrutin proportionnel est cruciale. Il apparaît de plus en plus évident que le scrutin majoritaire bloque une évolution démocratique et empêche le renouveau.

Le mode de représentation actuel n’est fondamentalement pas juste. Nous n’avons eu de cesse de le dire ; là encore, nous sommes de nouveau très cohérents. Il est d’ailleurs frappant de noter que, plus l’élu est éloigné, plus il est mal perçu par la population ! C’est pour cela que le maire est toujours autant apprécié. Et, contrairement à ce que l’on prétend dans les cercles parisiens, les citoyens sont très attachés au département.

M. Bruno Sido. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. La notion de représentativité doit donc être reposée dans le cadre d’un débat global sur nos institutions locales et nationales.

Comment répondre à cette exigence citoyenne de participation et de contrôle ? Alors que des millions de personnes sont descendues dans les rues le 11 janvier dernier, n’est-il pas impressionnant de constater, par exemple, la faible participation à l’élection législative du Doubs, pourtant si médiatisée ? Le Sénat pourrait jouer un rôle nouveau dans ce domaine et s’ouvrir à la citoyenneté.

Cette proposition de loi constitutionnelle, qui aborde un thème important, celui de la représentation des territoires, nous paraît bien éloignée des exigences démocratiques actuelles, face à la réelle sclérose de nos institutions.

Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des lois, les citoyens ne demandent pas seulement une juste représentation de leurs territoires ; ils réclament aussi du pouvoir ! En effet, ce dernier leur échappe de plus en plus, en raison de la domination de l’économie sur la politique, d’une complexification croissante des normes ou de la tutelle de la Commission européenne sur les décisions de notre pays.

Oui, nous partageons l’idée de respecter les territoires par une juste représentation politique, mais aussi par le biais de leur développement. Nous ne voulons pas de leur extinction progressive.

Respecter les territoires, c’est aussi relancer une véritable politique de décentralisation, et non pas de déstructuration permettant une recentralisation autoritaire.

Respecter les territoires, et c’est pour cela que nous ne sommes pas favorables à la modification proposée de l’article 1er de la Constitution, c’est respecter l’unicité de la République, qui doit permettre un développement harmonieux et égalitaire des territoires. Or les choix politiques que vous soutenez tournent le dos à ce principe républicain fondamental.

Nous ne souhaitons pas l’inscription dans la Constitution d’un principe susceptible de systématiser une surreprésentation des zones rurales.

Pour toutes ces raisons, et malgré les inquiétudes réelles, exprimées par de nombreux élus ruraux, qu’une désertification démocratique ne s’ajoute à une désertification économique et sociale, nous ne pouvons pas voter en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Legendre. Quelle surprise !

Mme Éliane Assassi. Mais vous auriez pu être surpris, monsieur Legendre ! (M. Bruno Sido s’esclaffe.)

La question d’une éventuelle modification de la Constitution mérite, me semble-t-il, d’être posée dans un cadre plus large que celui qui nous est proposé aujourd'hui.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Et demain ?

Mme Éliane Assassi. Cette raison, aussi, fonde notre refus de voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Philippe Kaltenbach applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cela ne vous surprendra pas, nous voterons la présente proposition de loi constitutionnelle.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jean Bizet. Voilà qui commence bien !

M. Jacques Mézard. Je remercie tout d'abord M. le président du Sénat et M. le président de la commission des lois d’avoir pris une telle initiative. Ce texte a l’avantage d’adresser un certain nombre de messages, en particulier à destination de nos concitoyens qui habitent dans ce qu’il est convenu d’appeler les « territoires ruraux ».

Monsieur le secrétaire d’État, votre approche de la relation avec le Sénat est très « bartolonienne ». (Sourires sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et de l’UMP.) Vous avez indiqué clairement que le Gouvernement ne pouvait pas souscrire à un tel projet.

Pourtant, il me paraît nécessaire d’introduire une référence aux territoires dans la Constitution. Nous ne serions d’ailleurs pas les seuls ; de nombreux pays l’ont fait, de manière juste et équilibrée.

Il est proposé de compléter – il s’agit bien d’un ajout, d’une amélioration, et non d’une suppression – l’article 1er de la Constitution par les mots : « La République garantit la représentation équitable de ses territoires dans leur diversité. » Oui, mes chers collègues, il est nécessaire de parler des territoires !

Il est également juste de modifier l’article 72 de la Constitution en prévoyant la règle du tiers. Au cours de son intervention, notre excellent collègue Philippe Kaltenbach a indiqué qu’il était d’accord pour un tunnel de plus ou moins 30 %, mais qu’il ne voulait pas d’une telle règle. Je trouve cela pour le moins original !

Soyons clairs : au sein de nos assemblées, en matière d’urgence ou d’arrière-pensées électoralistes, personne n’a de leçon à donner. Tout cela me paraît fort bien partagé, y compris par nous ! (Sourires.) Pour ma part, comme je le rappelle chaque semaine, je crois à la nécessité de tenir un discours loyal et de parler franchement.

Venu défendre le texte instituant le binôme, parfois en agitant quelques menaces, M. le Premier ministre, alors ministre de l’intérieur, avait déclaré : « J’ai dit ici même que le Gouvernement serait favorable à ce que nous desserrions la contrainte représentée par le tunnel, ou pour le dire simplement, par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, si cela était possible. »

Or, mes chers collègues, c’est tout à fait possible, s’il y a un Parlement, s’il y a une République, et si le Parlement le veut !

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. C’est cela, l’important : il faut rendre un peu de pouvoir au Parlement, au lieu de le mépriser constamment et considérer que ce qu’il fait n’a guère de sens ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

La présente proposition de loi constitutionnelle concerne les collectivités territoriales, non les élections législatives ou sénatoriales. Toujours à propos de constance, j’aimerais vous rappeler – c’est toujours utile – ce que ce même ancien ministre de l’intérieur déclarait lors de l’examen en deuxième lecture du texte sur les départements : « Ces derniers incarnent, mieux que tous les autres niveaux de collectivités, la diversité de nos territoires, urbains, périurbains ou ruraux, montagnards, littoraux ou insulaires, en métropole ou dans les outre-mer. […] Il convient de prolonger fidèlement cet héritage ». Nous avons vu ce qu’il en est advenu dans les mois suivants...

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jacques Mézard. Ces derniers temps, les cas d’école relatifs au fameux tunnel des plus ou moins 20 % se sont multipliés.

D’où sort cette règle, qui ne figure pas dans la Constitution ? De la jurisprudence du Conseil constitutionnel ! Elle est devenue un argument d’autorité, permettant, nous l’avons constaté, de rejeter sans autre forme d’examen toute disposition législative susceptible de déroger à l’égalité arithmétique, au nom de la représentation équilibrée des territoires.

L’argument a maintes fois été avancé : lors de l’examen, en 2010, du projet de loi de réforme des collectivités territoriales ou lors de l’invalidation, le 20 juin 2014, des règles de l’accord local de représentation des intercommunalités. D’ailleurs, les problèmes considérables que cela pose sur le terrain ne sont toujours pas réglés, malgré la légère amélioration que nous devons à nos collègues Jean-Pierre Sueur et Alain Richard.

M. Jacques Legendre. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. C’est la réalité du terrain !

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez indiqué tout à l’heure que le tunnel avait fait l’objet d’adaptations en zone de montagne. Sachez que, dans mon département rural de zone de montagne, tout a été intégralement tenu dans le tunnel des plus ou moins 20 %, voire des plus ou moins 15 %.

Certes, il y a eu une amélioration. Les écarts antérieurs étaient absolument inadmissibles ; le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel les condamnaient à juste titre. Le Gouvernement a eu raison de dire que les écarts d’un à quarante-cinq dans certains départements n’étaient pas acceptables.

Monsieur le secrétaire d'État, vous avez mentionné l’île de Sein. Évidemment, il y a des écarts pour les îles. Néanmoins vous ignorez totalement la constitution des îles de l’intérieur. Pis, vous avez aggravé la situation ! Je me tue à le répéter au fil des textes dont nous débattons : cette marginalisation des territoires ruraux est devenue absolument insupportable.

Cela fut le cas également lors de l’examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions, quand je m’escrimais ici même à vous dire que, dans de grandes régions, nos départements ruraux se retrouveraient complètement écartés et marginalisés. Vous nous avez répondu, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement en avait tenu compte, puisque, dès le projet de loi initial, il avait prévu une garantie de représentation.

Dois-je vous rappeler que, dans ce projet de loi initial, la garantie de représentation était d’un représentant dans la région ? Voilà quelle était la vision initiale du Gouvernement de la représentation des départements ruraux dans les grandes régions !

Certes, au fil des débats, grâce à un effort considérable, que je reconnais, du ministre de l’intérieur, nous sommes passés à quatre représentants. Sachez toutefois, car c’est une réalité, que dans nos territoires, quelles que soient nos sensibilités politiques, en dehors des grandes déclarations et surtout à l’approche des élections départementales, nous avons le sentiment d’être totalement marginalisés par ces textes qui se succèdent. Marginalisés et inexistants ! Pour nous, la représentation des territoires est donc devenue un impératif.

J’entends que les électeurs sont nombreux dans les zones urbaines et les métropoles…

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. C’est la démocratie !

M. Jacques Mézard. … et que, politiquement, ces zones sont peut-être plus favorables pour vous, ou pour nous d'ailleurs.

Néanmoins, il est une autre réalité : des territoires existent et désirent être entendus. Ce n’est que justice ! Le terme d’équité, en l’occurrence, est essentiel. La notion d’égalité démographique ne suffit pas à représentation de la République. En effet, à la limite, dans l’article 1er de la Constitution, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est question non pas des habitants, mais des citoyens. Je crains que, à l’avenir, certains ne pensent à utiliser cette disposition en vue de modifications électorales.

M. Jacques Mézard. Ce ne sera pas vous, ce ne sera pas nous, mais restons prudents !

En tout cas, monsieur le secrétaire d'État, il est vraiment nécessaire que vous entendiez que nos territoires veulent exister, y compris dans leur représentation politique. Ce que vous avez fait en matière de fusion de régions et de représentation dans les grandes régions empêche l’expression des diverses sensibilités qui existent dans les petits départements.

Quand vous n’aurez, monsieur le secrétaire d’État, que deux conseillers régionaux en Lozère, si je ne peux pas encore vous donner le nom des élus – mais il suffirait pour cela de consulter la permanence de l’UMP et celle du parti socialiste –, je peux d’ores et déjà vous en annoncer le résultat : un UMP et un PS !

Est-ce cela la représentation des diverses sensibilités prévue par l’article 4 de la Constitution de 1958 ? Est-ce cela votre approche de la représentation des sensibilités ? En tout cas, ce n’est pas la mienne, au nom des principes que nous défendons depuis très longtemps. Et la situation est la même à quatre conseillers : je peux là aussi vous donner le résultat !

Il est indispensable de réviser la Constitution. Si vous ne voulez pas entendre que nos territoires, quelles que soient d’ailleurs les sensibilités politiques de ceux qui les représentent, ne supportent plus cette marginalisation, ils le feront savoir différemment. Sachez que leur révolte est profonde, parce qu’elle répond à un immense sentiment d’injustice.

Vous avez voulu de grandes régions ; vous écartez les capitales régionales des territoires de quelque trois cents ou quatre cents kilomètres ; vous supprimez la proximité ; vous voulez supprimer les départements, quelques mois après avoir indiqué qu’ils étaient essentiels à la République… Eh bien, laissez-moi vous dire que ce n’est pas une bonne vision de l’aménagement du territoire, que ce n’est pas une bonne vision de l’équilibre républicain, que ce n’est pas une bonne vision de l’équité républicaine !

C’est la raison pour laquelle ce texte, même s’il semble arrivé précipitamment, est réfléchi. Il apporte, de notre point de vue, un progrès à nos institutions. En conséquence, nous le voterons unanimement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en tant que législateurs, nous ne pouvons modifier la Constitution qu’en usant d’une grande prudence et en étant poussés par la nécessité. C’est dans cet état d’esprit que les auteurs de la proposition de loi ont rédigé le texte dont nous débattons ce soir.

La Constitution est un instrument devant lequel nous faisons toujours preuve de révérence. Néanmoins, il est permis de dire qu’elle peut souffrir de quelques imperfections, comme toute construction humaine, surtout dans la mesure où, entre 1958 et aujourd’hui, notre pays a connu de nombreux changements, ne serait-ce que la décentralisation.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui a vocation à combler le silence quant à la juste représentation électorale au sein des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Notre droit électoral repose sur le principe de l’égalité devant le suffrage, qui trouve sa source dans l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le principe est simple : un homme, une voix ; la loi est la même pour tous et s’applique ainsi sur l’ensemble du territoire.

Tel est le principe, mais chacun sait que son application connaît déjà une certaine diversité ; cela a déjà été rappelé à cette tribune. La représentation territoriale impose, en effet, dans le cadre de circonscriptions particulières, une nécessaire adaptation à la réalité du terrain. Dès lors, comment adapter une règle aussi unique et limpide que celle de l’égalité devant le suffrage à la multitude de situations locales ?

Prenons deux départements ruraux, que je connais bien, la Lozère et la Mayenne. Chacun d’entre eux ne compte pas du tout le même nombre d’électeurs par conseiller départemental qui sera élu au mois de mars prochain. Faut-il alors considérer que certains conseillers départementaux seront plus légitimes que d’autres ? Faut-il penser que d’aucuns seront moins bien élus qualitativement que leurs homologues d’autres départements ? Le même raisonnement peut être tenu pour les élections régionales.

À mon avis, dans l’esprit du constituant, l’égalité devant le suffrage n’a de sens que dans un contexte donné, qui est celui de la circonscription et qui s’inscrit lui-même dans des équilibres démographiques régionaux. Il est dès lors impossible d’appliquer raisonnablement une mesure similaire pour l’ensemble du territoire.

Le Conseil constitutionnel partage, de fait, cette analyse. La jurisprudence du Conseil autorise une fluctuation ; c’est le fameux tunnel des 20 %. Toutefois, il faut le souligner, il s'agit d’une norme jurisprudentielle récente et ce principe est prétorien : le choix des 20 % est absolument arbitraire, déterminé par les conditions de l’espèce et, comme le rappelait M. le rapporteur, le Conseil d’État reconnaît cette échelle non pas comme une obligation incontournable, mais comme une ligne directrice.

Il y a donc un impératif reconnu de tous, sur toutes les travées de cet hémicycle : il convient assortir l’égalité devant le suffrage d’un principe de juste représentation territoriale et de combler une carence en la matière, celle que la jurisprudence du Conseil constitutionnel s’attache à corriger depuis quatre années.

C’est pourquoi notre groupe salue cette proposition de loi constitutionnelle. Elle représente une étape supplémentaire dans la réflexion que nous menons au Sénat sur les notions de territoire et de représentation du territoire.

Comme l’a montré M. le rapporteur en resituant cette initiative dans son contexte, la proposition introduit la notion de « représentation équitable des territoires dans leur diversité ». Il n’est pas anodin d’introduire ainsi, dès l’article 1er de la Constitution, ces notions d’équité et de diversité. Nous estimons que cette modification permettra de donner des bases juridiques plus solides à l’appréciation du juge administratif, face à la jurisprudence, certes innovante, mais rigide et peu évolutive, du Conseil constitutionnel.

Le présent texte apporte ainsi une réponse concrète et un éclairage important à nos concitoyens, et ce dans le sens d’une démocratie mieux affirmée, par des élections plus représentatives de la réalité des territoires sur lesquels elles se déroulent. Sans racines adaptées, la démocratie se vide de son sens. Jacques Mézard l’a rappelé juste avant moi.

Pour ces différentes raisons, qui sont très claires, le groupe UDI-UC, fidèle à l’esprit de la Constitution, mais aussi à l’intelligence des territoires, ainsi qu’à celle du Sénat, votera unanimement pour la présente proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido.

M. Bruno Sido. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, à l’heure où certains s’interrogent sur le rôle du Sénat et demandent une profonde réforme de cette institution, en souhaitant qu’il soit procédé à sa fusion avec le Conseil économique, social et environnemental, voire à sa suppression pure et simple, je crois nécessaire de rappeler, faits à l’appui, la plus-value apportée par notre assemblée.

L’examen de cette proposition de loi constitutionnelle en offre une belle démonstration. En complémentarité avec l’Assemblée nationale, qui se préoccupe – c’est naturel – du respect du principe démographique, c’est-à-dire de réduire au maximum les écarts de représentation entre les circonscriptions d’élection, nous veillons, nous, à une représentation équitable et efficace des territoires.

Représentant des territoires de la République, dans leur diversité, le Sénat dispose d’une connaissance fine de la réalité des régions, des départements, des intercommunalités et des communes, de leurs actions, de leurs moyens, de leur apport au bien commun et, surtout, de l’importance du lien de confiance qui unit les élus locaux à nos concitoyens.

Les collectivités locales sont le socle de notre démocratie au quotidien. La proximité, l’écoute et la disponibilité des élus de terrain font partie de l’acquis républicain. Ils permettent à notre démocratie, malgré la crise terrible qui frappe le pays, de mieux résister aux assauts populistes, qu’ils viennent de droite comme de gauche.

Alors que notre pays n’a jamais compté autant de personnes au chômage, situation qui met à mal la cohésion nationale, l’action publique doit renforcer le lien entre les élus et les citoyens. Au vu des circonstances présentes, je dirais même que c’est vital.

Comment faire ? Refuser l’uniformité, qui est non pas l’égalité républicaine, mais le déni des différences, c’est tenir compte du principe de réalité.

Tel est précisément l’apport du Sénat, qui, par sa compréhension fine des équilibres territoriaux, loin de l’effervescence qui anime parfois nos collègues de l’Assemblée nationale, propose, par la voix de son président, de M. le président de la commission des lois et de M. le rapporteur, un texte parfaitement adapté au monde rural.

Les médias évoquent ces temps derniers, à juste titre, le sentiment de nombreux habitants des banlieues, lassés d’être laissés au bord du chemin et d’être exclus de la République et du vivre-ensemble. Or ce sentiment d’abandon est très fort aussi dans les départements ruraux, même s’il s’exprime moins. Le désespoir est parfois muet, mes chers collègues !

Mettons-nous à la place de celles et ceux qui vivent au quotidien la désertification : après la fermeture par l’État des écoles, des perceptions, des casernes de gendarmerie, pour ne citer que trois exemples, ce sont les commerces de proximité et les bureaux de poste qui disparaissent, tandis que les médecins et les infirmières libérales se font de plus en plus rares.

Face à cette fracture territoriale, les élus locaux, notamment les maires, sont en première ligne, avec le conseiller général. Leur disponibilité est aussi exceptionnelle que leur modestie. Leur rôle est déterminant pour la cohésion de notre pays. Pourtant, la réforme territoriale conduite par le Gouvernement risque d’éloigner les élus des électeurs.

En effet, le redécoupage cantonal a divisé par le deux grosso modo le nombre de circonscriptions pour mettre en place le binôme. Ce faisant, il a inscrit son action dans un tunnel de plus ou moins 20 % autour de la moyenne départementale, de telle sorte que le canton le plus peuplé d’un département peut compter au maximum 20 % de plus que la moyenne départementale, tandis que le canton le moins peuplé ne saurait avoir un nombre d’habitants inférieur de plus de 20 % à cette même moyenne départementale.

Au nom de l’égalité devant le suffrage, le Conseil constitutionnel est vigilant, et la marge étroite, trop étroite d'ailleurs, pour les collectivités territoriales en milieu rural.

Concrètement, cette réforme a parfois créé, en Haute-Marne comme dans nombre de territoires ruraux, des cantons de près de soixante-dix communes, voire plus, qui s’étendent sur des dizaines de kilomètres du nord au sud et d’est en ouest.

L’article 2 de la présente proposition de loi constitutionnelle permettra de desserrer le cadre, en autorisant des variations pouvant aller jusqu’à 30 %, voire plus dans certains cas. C’est un très net progrès, à même de permettre la création de cantons plus petits en milieu rural, synonymes de capacité pour l’élu à rester proche de nos concitoyens, au quotidien.

Surtout, mes chers collègues, ce qui me tient à cœur et que je voudrais dire avec force relève des modalités d’application. D’aucuns disent parfois que le diable se cache dans les détails.

C’est un point clef qui a échappé à beaucoup d’observateurs : le Gouvernement n’a pas toujours utilisé la marge de 20 % conformément à l’esprit de la loi, c'est-à-dire pour créer des cantons à taille humaine en milieu rural. Au contraire, selon certains esprits chagrins, il l’a utilisée pour augmenter dans les villes le nombre de circonscriptions gagnables, ou plutôt « sauvables », par la gauche aux élections de mars prochain. Cela s’est notamment produit en Haute-Marne pour les cantons urbains de Chaumont.

C’est la raison pour laquelle il me semble important que les auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle rappellent avec force l’esprit du texte, de sorte que l’application des lois et la prise de décrets respectent cette approche équilibrée, que l’on pourrait résumer ainsi : sauf exception justifiée par des motifs d’intérêt général et étayée par des éléments concrets, la marge de plus ou moins 30 % autour de la moyenne départementale a pour objectif la définition de circonscriptions de proximité, notamment pour ce qui concerne la superficie et du nombre de communes concernées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly.

M. Gérard Bailly. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de joie que j’avais répondu présent pour intervenir dans ce débat, notamment pour féliciter Gérard Larcher, président du Sénat, et Philippe Bas, président de la commission des lois, de leur excellente et judicieuse initiative, en l’occurrence avoir déposé une proposition de loi constitutionnelle permettant d’assurer une représentation équilibrée des territoires.

J’étais heureux jusqu’à ce que je reçoive, voilà un quart d’heure, un coup de massue, lorsque j’ai appris avec tristesse que le Gouvernement était opposé à cette proposition de loi.

M. Philippe Kaltenbach. Quelle surprise ! (Sourires.)

M. Gérard Bailly. Une fois de plus, nos territoires ruraux sont mis à mal !

Cette proposition de loi était pourtant vraiment la bienvenue, car les élus de ces territoires ruraux, et plus encore ceux des territoires hyper-ruraux, lancent un cri d’alarme face à l’abandon de leurs circonscriptions dans la nouvelle organisation en cours.

Ces élus ont déjà constaté à quel point les grands électeurs en zone urbaine ont vu leur représentation progresser dans les villes de plus de 30 000 habitants, puisque nous sommes passés d’un grand électeur pour 1 000 habitants à un grand électeur pour 800 habitants. La ruralité a donc perdu du poids au Sénat dans tous les départements composés d’une ou plusieurs villes de 30 000 habitants.

Il en va de même de la représentativité des petites communes dans les compositions des comités des syndicats des communautés de communes d’agglomération, le Conseil d’État ayant remis en cause les accords amiables qui fixaient le nombre de délégués par communes. Désormais, ce dernier doit être fixé proportionnellement au seul nombre d’habitants. Pauvres petites communes ! Comment se feront-elles entendre à l’avenir avec un seul délégué dans ces grandes assemblées ?

Que dire aussi de la représentativité du monde rural et de ces territoires après cette découpe cantonale de l’absurde – et encore, le mot est bien faible par rapport la réalité !

Aujourd’hui, dans le monde rural, monsieur le secrétaire d’État, nous avons, selon la presse, des « cantons XXL ». Je voudrais à cet égard prendre l’exemple de mon ex-canton, au sein duquel je ne me représente pas. Il représentera 702 kilomètres carrés et comprendra 74 communes, pratiquement toutes situées en zone de montagne. Et celles-ci, demain, seront représentées seulement par deux élus, un homme et une femme.

M. Bruno Sido. C’est presque un petit département !

M. Gérard Bailly. Par ailleurs, les cantons de Lons-le-Saunier 1 et 2 – je précise qu’il ne tombe pas de neige sur cette ville aujourd'hui ! –, comptent quatre élus sur une superficie de 103 kilomètres carrés et seulement 21 communes, avec moins d’habitants chacun que dans le canton XXL. Est-ce cela la justice ?

Désormais, dans le Jura, les cantons ruraux XXL comprennent plus d’habitants que les cantons urbains ! Où est la justice ? Comment deux élus seulement pourront-ils correctement représenter ce grand territoire de 702 kilomètres carrés, avec ses 74 communes distantes de plus de 60 kilomètres, alors qu’ils seront quatre élus, au lieu de deux précédemment, à se marcher sur les pieds dans un territoire de seulement 103 kilomètres carrés, avec des communes distantes, tout au plus, de 15 kilomètres ? C’est cela, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous annoncez vouloir maintenir.

Hier, il y avait quatre élus sur ce canton XXL en zone de montagne, et ils ne chômaient pas ! C’est pourquoi les habitants et les élus des territoires ruraux et hyper-ruraux se sentent considérés comme des « insignifiants », alors que ces territoires sont sources de richesses agricoles, d’appellations d’origine contrôlée, de forêts productrices de résineux, de lieux d’accueil touristique, de PME performantes.

Les élus doivent, et c’est heureux, accompagner tous ces porteurs de projets de développement économique, s’occuper des dessertes routières, importantes par leur kilométrage, des transports scolaires et être à l’écoute des 74 maires et conseils municipaux. Ces élus départementaux, comme vous le savez, mes chers collègues, sont aussi souvent sollicités par le monde associatif et par leurs concitoyens sur la possibilité d’obtenir une place dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, un EHPAD, sur la présence médicale ou sur l’arrivée du haut débit dans tel ou tel village, alors que, en ville, les opérateurs ont souvent déjà réalisé tous ces équipements.

Ces élus départementaux devront parcourir quatre fois plus de kilomètres non indemnisés, voire davantage, à l’intérieur de leurs cantons, avec des temps de parcours beaucoup plus longs ; venez voir aujourd’hui la neige qu’il y a dans le Haut-Jura, monsieur le secrétaire d’État, et vous verrez concrètement quelles sont les différences avec les villes !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Mais que fait le Gouvernement ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Bailly. Vous ne voulez pas en tenir compte, et c’est pourquoi vous me voyez quelque peu énervé ! Car tout cela exaspère, à juste titre, les élus de ces territoires. Cette sous-représentation du monde rural s’organise sous le seul prétexte que le critère retenu est celui d’un écart maximum de 20 % de population.

Ce ne sont là que quelques exemples. J’ai déjà pu constater, monsieur le secrétaire d’État, l’exaspération des territoires ruraux, lorsque j’ai rédigé, avec notre ancienne collègue Renée Nicoux, le rapport sur l’avenir des campagnes. Et nous en avons, à notre tour, témoigné ici, au Sénat, lorsque nous avons eu, à la demande du groupe du RDSE, un débat sur l’hyper-ruralité : tous les intervenants, sur toutes les travées, ont exprimé leur profonde inquiétude au vu de l’abandon du monde rural et de la diminution de sa représentativité.

Il y avait certes des écarts trop grands d’un canton à l’autre : il fallait les corriger, et cela était prévu. Mais vous verrez les abstentions et les expressions de mécontentement que nos concitoyens exprimeront lors des prochaines élections départementales. Et ce mécontentement risque d’être plus fort encore quand ils connaîtront la position du Gouvernement, exprimée ce jour.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Hélas !

M. Gérard Bailly. C’est pourquoi je me réjouis de cette proposition de loi, qui doit permettre de corriger les absurdités de la situation actuelle que je viens de décrire, afin de reconnaître l’immense diversité des territoires, du fait de leur géographie physique, humaine et économique.

Les ruraux attendent à présent du Sénat des mesures et des décisions. Cette proposition de loi est un signe. Elle sera, je pense, largement approuvée par notre assemblée. J’aurais aimé qu’elle soit soutenue sur toutes les travées ; ce ne sera manifestement pas le cas, et je le regrette, mais je crois que notre combat doit être poursuivi, mes chers collègues, car il s'agit d’une question de justice ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

(M. Claude Bérit-Débat remplace Mme Jacqueline Gourault au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de l’examen par le Sénat, en octobre dernier, de la proposition de loi autorisant l’accord local de répartition des sièges de conseiller communautaire, j’avais souligné, comme le président du Sénat l’avait lui-même fait lors de son discours du 21 octobre, qu’il n’était pas satisfaisant que la dimension démographique soit le seul critère pris en compte en matière électorale.

J’avais alors souhaité que nous puissions examiner une proposition de loi constitutionnelle permettant de sortir de cette approche très réductrice. C’est ce que nous faisons aujourd’hui, avec cette proposition de loi « sénatoriale ».

Cette initiative, que je salue, est sénatoriale, car elle revient au premier d’entre nous, le président Gérard Larcher, et au président de la commission des lois, notre collègue Philippe Bas. Elle est également sénatoriale, car elle témoigne concrètement de la spécificité et de l’utilité constitutionnelle qui font des membres notre assemblée les représentants des territoires.

À l’heure où le Sénat bashing n’est pas seulement l’apanage de quelques journalistes peu scrupuleux, mais touche également les plus hauts responsables politiques de l’État-PS, cette proposition de loi contribue utilement, me semble-t-il, à rappeler le rôle essentiel de notre assemblée en matière de représentation et de défense de nos territoires.

À cet égard, je veux assurer le président Gérard Larcher de notre soutien dans le combat qu’il mène pour défendre notre assemblée et les territoires qu’elle représente.

M. Hervé Maurey. Comme il l’a dit le 29 janvier dernier, « le bicamérisme, c’est plus de démocratie, plus de liberté, plus de représentation des territoires ». C’est exact !

Au Sénat, nous avons à cœur de défendre les territoires, ce qui semble gêner certains, pas seulement parce que c’est notre rôle constitutionnel, mais aussi parce que nous avons la conviction que les crises que notre pays traverse – crise économique, sociale, politique et morale – ne trouveront de solutions que par les territoires.

Le texte qui nous est soumis prévoit donc d’inscrire dans la Constitution que « la République garantit la représentation équitable de ses territoires dans leur diversité ». C’est une bonne chose. Au fil des années, en effet, la jurisprudence constitutionnelle et administrative a érigé l’impératif de « l’égalité devant le suffrage » en principe unique d’appréciation des lois électorales, au détriment de la représentation des territoires dans leur diversité.

Le tunnel des 20 % d’écart à la moyenne admis par le juge administratif a fini par s’imposer au détriment du bon sens le plus élémentaire. Nous l’avons vu lors du récent découpage cantonal, qui a mis au grand jour l’absurdité du diktat des chiffres, surtout lorsqu’il est guidé par des considérations électoralistes ou politiciennes. Nos territoires ont été privés d’une représentation respectant leur diversité, fruit de leur histoire et de leur géographie.

Ainsi, dans le département de l’Eure dont je suis élu, et qui n’est pourtant pas situé en zone de montagne, certains cantons comptent plus de soixante communes, s’étendent sur plus de 500 kilomètres carrés et nécessitent plus d’une heure pour être traversés. Qui peut considérer qu’un tel canton constitue un espace cohérent ou une cellule pertinente d’expression de la démocratie ? Comment peut-on ainsi privilégier de manière aussi absurde les chiffres à la réalité ?

J’ajoute que, en procédant à de tels découpages, on ne peut qu’augmenter le fossé entre nos concitoyens et les institutions, même locales, qui les représentent. Nous risquons de le voir avec encore plus d’acuité dans quelques semaines.

En ce qui concerne les EPCI, nous avions voté à une très large majorité en 2012 la proposition de loi de notre collègue Alain Richard, qui autorisait, sous réserve d’un accord à la majorité qualifiée, de déroger au seul critère démographique. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 juin 2014, a censuré ce dispositif ; je le regrette. Une nouvelle proposition de loi de notre collègue permettra d’atténuer les effets de cette décision.

Toutefois, pour aller au-delà, l’intervention du constituant est nécessaire. Certes, il s’agit non pas d’abandonner le principe d’égalité devant le suffrage, mais de lui donner un peu de souplesse, un peu de réalisme, un peu d’humanité : c’est le sens de cette proposition de loi, qui fait de la représentation équitable des territoires dans leurs diversités un nouveau principe.

J’ai entendu les objections à la modification de l’article 1er de la Constitution prévue par cette proposition de loi constitutionnelle.

Oui, la France est une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Oui, elle « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Mais, comme citoyen, comme élu local et comme sénateur, je crois également en nos territoires, espaces de vie, de solidarité et de projets, creusets d’histoires et bases de l’avenir. Il me paraît donc tout à fait pertinent d’inscrire à cet article 1er que la République « garantit la représentation équitable de ses territoires dans leur diversité ».

Enfin, au-delà de la Constitution, je veux plaider de nouveau pour que nous adoptions au Sénat un réflexe « territorial », comme nous le faisons par exemple en matière de parité entre hommes et femmes. Nous devons avoir à cœur d’imprimer à chaque texte la marque territoriale de notre assemblée et de mesurer l’impact des textes que nous votons sur nos territoires.

Cette proposition de loi constitutionnelle y contribue. Je la voterai donc avec enthousiasme, en espérant qu’elle ne tombera pas dans les oubliettes de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de saluer l’initiative prise par le président du Sénat, Gérard Larcher, et le président de la commission des lois, Philippe Bas, de déposer cette proposition de loi constitutionnelle, qui prend en compte les réalités territoriales perçues, vécues et relayées par les élus locaux, ceux-là mêmes que nous représentons ici.

Le territoire s’apprend, se défend, s’invente et se réinvente. Il est un lieu d’enracinement ; il est au cœur de l’identité. Le territoire est un ensemble de lieux où s’exprime la culture, un espace de vie, de pensée et d’action. Le territoire est marqué par une identification. « La loi du nombre, c’est la loi de l’idiotie. » Voilà une phrase que j’ai retenue du brillant discours de Bruno Retailleau sur le projet de réforme territoriale en octobre dernier. Un nombre ne raisonne pas. Dépassons cette règle arithmétique ! Les territoires sont riches, les territoires sont le visage de la France, et les critères de représentativité doivent évoluer.

Je salue cette proposition de loi constitutionnelle, car qui mieux que le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales de la République, peut se permettre de faire une telle proposition ?

M. Charles Revet. C’est vrai !

Mme Nicole Duranton. Heureusement, même, que le Sénat met en débat la question des critères de représentativité ! Nous devons tous être fiers de ce rôle, nous devons tous le défendre.

Lorsque Claude Bartolone, certainement en manque de visibilité, insulte notre Haute Assemblée en voulant la faire disparaître, ce sont tous les élus locaux qu’il insulte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) En examinant cette proposition de loi constitutionnelle, nous répondons de la plus belle des manières à ses propos.

Mme Nicole Duranton. Le texte permet de dépasser un obstacle jurisprudentiel imposé par le Conseil constitutionnel, qui applique le principe d’égalité devant le suffrage au seul regard de la démographie. Le seul correctif qu’il admet est le motif d’intérêt général. Nous ne pouvons plus appliquer ce seul critère au seul prétexte que le Conseil Constitutionnel souhaite se protéger, afin d’éviter des études de cas systématiques lorsqu’il est saisi.

La France est composée de territoires différents ; elle est riche de leur diversité. Chaque territoire doit être étudié avant d’être délimité. Introduire la notion de territoire dans la Constitution, et ce dès l’article 1er, qui définit la République, permet de reconnaître la diversité des territoires du fait de leur géographie physique, humaine ou économique. Nous allons enfin – j’y insiste – respecter les bassins de vie qui font la force de la France.

La notion de représentation équitable est également introduite. Il est prévu d’assurer cette dernière par une nouvelle limite maximale d’écart de représentation, fixée au tiers de la moyenne de représentation constatée pour l’assemblée concernée, au lieu des 20 % imposés par le Conseil constitutionnel.

La notion d’équité figure déjà à l’article 4 de la Constitution, relatif aux partis et groupements politiques. Il s’agit donc de l’appliquer aux territoires. Cette limite maximale devrait d’ailleurs faire consensus, et je serai attentive à ce que diront l’opposition au Sénat et la majorité à l’Assemblée nationale, car elle est très proche de la limite évoquée par le groupe socialiste pour le découpage cantonal lors de la discussion du texte relatif aux élections départementales.

Le découpage cantonal, parlons-en ! Le Gouvernement a décidé de réduire de moitié le nombre de cantons. Sous couvert de parité, la création du binôme de conseillers départementaux n’avait qu’un seul objectif : engager un redécoupage cantonal national sur mesure pour les candidats socialistes,…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On va voir le résultat !

Mme Nicole Duranton. … en rayant de la carte des centaines de cantons, pour affaiblir la représentation des territoires ruraux, et en multipliant les nouveaux cantons dans certaines zones urbaines, alors même que l’avenir des conseils départementaux est incertain.

Le découpage cantonal me permet de citer un exemple concret, qui concerne mon département, l’Eure. Celui-ci, je l’espère, vous permettra de vous rendre compte, mes chers collègues, des découpages incohérents réalisés à partir du seul critère démographique. Je suis certaine qu’un bon nombre d’entre vous est capable de citer un exemple similaire, tant il y a eu de recours déposés devant le Conseil d’État sur ce redécoupage cantonal réalisé dans l’urgence entre Solférino et les permanences socialistes locales.

M. Philippe Kaltenbach. Aucun recours n’a abouti ! Le Conseil d'État a tout validé.

Mme Nicole Duranton. À l’ouest du département de l’Eure, quatre cantons ont été regroupés en un seul. Ce canton est le plus grand du département, avec 64 communes. Plus de 55 kilomètres séparent Berville-sur-Mer, au nord, de Saint-Germain-la-Campagne, au sud. Faut-il que je sois plus précise ? Je crois que nous ne pouvons faire plus clair : les noms de ces deux communes montrent bien que le mode de vie des habitants littoraux, au bord de la Manche et dans le bassin de la Seine, est totalement différent du mode de vie à la campagne, en plein Pays d’Auge !

Voilà un exemple concret de ce que peut provoquer un découpage des territoires qui ne tient pas compte de leurs diversités et se fonde sur le seul critère démographique. Je connais évidemment quelques autres exemples dans mon département, et je suis certaine, mes chers collègues, que vous en connaissez tous dans les vôtres.

Je terminerai en indiquant que, avec cette proposition de loi constitutionnelle, le Sénat se fait l’écho de la préoccupation des territoires relativement aux règles qui restreignent la possibilité d’une représentation équitable. Se faire l’écho de la préoccupation des territoires et des élus locaux, n’est-ce pas réaffirmer le rôle du Sénat ? Ce texte respire le bon sens, tant il tient compte des disparités territoriales et « décorsète » le système jurisprudentiel.

Cette proposition de loi constitutionnelle a le mérite d’être efficace sans pour autant remettre en cause la représentation de la nation et le principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage. Pour anticiper certains discours, qui seront tenus ici ou ailleurs, je tiens également à signaler que l’argument selon lequel ce texte modifierait les équilibres électoraux est faux et inaudible, surtout face à un gouvernement qui n’a cessé de modifier les modes de scrutin et les dates des élections.

Je salue donc l’esprit et le caractère novateur de cette proposition de loi constitutionnelle. Oui, le Sénat est novateur. Oui, c’est être novateur que de vouloir inscrire de telles notions dans la Constitution. Oui, c’est une réalité, avec cette proposition de loi constitutionnelle, le législateur que nous sommes reprend la main. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Charles Revet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.

M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires est une excellente initiative, que je salue. Je tiens à remercier le président du Sénat, Gérard Larcher, et le président de la commission des lois, Philippe Bas, de l’avoir déposée.

J’espère que ce texte sera adopté, car il introduit plusieurs éléments fondamentaux susceptibles de faire évoluer certaines situations bloquées jusqu’alors. Pardonnez-moi, mais je vais citer l’exemple du pays dans lequel je vis, le Pays basque. Je vous livrerai ainsi un exemple grandeur nature.

La création d’une collectivité à statut particulier a été rejetée par le Gouvernement. Actuellement, sous la pression, excessive à mes yeux, du représentant de l’État, le Pays basque est prié de réfléchir à une solution d’EPCI unique.

Dans le cadre de la loi de 2010, voici l’architecture à laquelle aboutissent les projections pour cet EPCI unique : population : 289 000 habitants ; nombre d’élus : 232. Agglomération bayonnaise : 122 000 habitants ; nombre d’élus : 56, soit un élu pour 2 200 habitants. Population globale du Pays basque : 289 000 habitants ; nombre d’élus : 232, soit un élu pour 1 200 habitants. Côte basque : 170 000 habitants et 80 élus ; reste du territoire : 119 000 habitants et 150 élus. Autrement dit, le dispositif risquerait bien entendu d’être jugé contraire à la Constitution.

Dans une situation comme celle que nous rencontrons, et qui risque de ne pas être unique en France, il convient de trouver localement une solution partagée par le plus grand nombre d’élus, et surtout d’essayer de la rendre applicable, en respectant le choix des élus.

Nous devons également disposer d’un outil législatif permettant le choix des élus ; c'est la raison pour laquelle je voterai cette proposition de loi constitutionnelle.

Il faut enfin essayer de supprimer le risque d’inconstitutionnalité auquel les élus seront exposés si le texte n’est pas voté. Cette proposition de loi permettrait en effet de résoudre en partie le problème, puisqu’elle prend en compte les situations particulières.

Les territoires ne sont pas uniformes, ils sont tous singuliers ; la représentativité doit prendre en compte ce paramètre. L’égalité devant le suffrage doit être compatible avec la représentation équitable des territoires, bien entendu, mais aussi – c’est un rural qui le dit – des zones agglomérées. Cela doit se faire au cas par cas, chaque collectivité, chaque entité locale étant singulière.

Le texte revient sur la fameuse notion du tunnel des plus ou moins 20 %, tant débattue, notamment lors de l’examen en première lecture de la proposition de loi autorisant l’accord local de répartition des sièges de conseillers communautaires, dite « proposition de loi Sueur-Richard » ; nous y reviendrons.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à ce tunnel des plus ou moins 20 % suscite manifestement des difficultés sur le terrain. La proposition de loi constitutionnelle, en allant à l’encontre ou en rectifiant et atténuant les effets de cette jurisprudence, en donnant au législateur la possibilité de s’écarter de la moyenne de représentation constatée pour l’assemblée visée en passant à une amplitude de 30 %, ouvre de nouvelles perspectives, dans les deux sens. Revenons au choix des élus en matière de représentativité des territoires.

Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d'État, il existe actuellement d’importants freins législatifs au projet que j’ai l’honneur de défendre ; je parle du Pays basque, mais ce projet est transposable dans d’autres territoires. J’espère que le Gouvernement sera réceptif à cette proposition de loi constitutionnelle, qui permettrait de résoudre, au moins en partie, le problème.

Je serais également très heureux, monsieur le représentant du Gouvernement, que vous m’apportiez une réponse sur la situation du Pays basque. J’ai besoin de connaître le point de vue de l’État sur la démarche que nous engageons sous la pression du représentant de l’État dans le territoire, afin de savoir quelles sont ses chances d’aboutir en l’état actuel d’un droit qui, je l’espère, sera modifié. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme beaucoup d’entre vous, je fais partie de ceux qui considèrent que la vocation du Sénat réside notamment dans sa capacité à rendre opérationnelle la notion de territoire.

Or il me semble que cela passe aujourd'hui par un assouplissement du principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage, ou en tout cas par une application moins étroite ou moins stricte que celle qui en est faite par le juge constitutionnel. J’estime en effet que le principe d’égalité devant le suffrage ne peut être appréhendé, y compris par le juge suprême, au travers du seul prisme de la démographie.

La proposition de loi constitutionnelle qui nous occupe aujourd’hui a la vertu de donner corps à la notion de territoire, si souvent invoquée pour fonder l’une des singularités fortes de la Haute Assemblée. Au demeurant, le Conseil d’État semble mieux inspiré que le juge constitutionnel, puisqu’il admet la notion de territoire, qu’il utilise explicitement dans sa jurisprudence.

J’en viens au fameux tunnel. On pourrait en dire, pour paraphraser une formule célèbre : « Trop de démographie, pas assez de géographie. » Dans ce contexte, la proposition de loi de Gérard Larcher et Philippe Bas introduit une souplesse bienvenue.

Le Sénat, en tant que constituant, entend sortir du « tout arithmétique », se faisant ainsi le défenseur des territoires et s’attaquant à des règles qui restreignent la possibilité d’une représentation équitable. En tenant mieux compte des disparités territoriales, il s’agit de desserrer le carcan jurisprudentiel actuel.

Entendons-nous bien : nous ne souhaitons pas remettre en cause la logique arithmétique fondée sur le principe « un homme, une voix », sur lequel est fondé tout notre système démocratique représentatif. Encore faut-il que ce principe fondamental s’articule et se construise sur la réalité territoriale, faute de quoi l’absence de correctif suffisant aggravera insensiblement la marginalisation d’une France périphérique par rapport à une France « métropolisée », avec les effets politiques que nous connaissons parfaitement.

À l’occasion de l’adoption en commission de cette proposition de loi constitutionnelle, beaucoup se sont interrogés, à raison, sur l’absence de prise en compte des bassins de vie, tout au moins en matière électorale, malgré les discours apaisants des ministères de l’intérieur, du logement ou de la ville, qui nous assurent que ces territoires sont véritablement un principe directeur de leurs politiques publiques.

Mais voilà, monsieur le secrétaire d’État, toutes les décisions, annonces ou affichages des derniers mois, à commencer par le changement des scrutins départementaux et les découpages cantonaux auxquels ils ont donné lieu, procèdent de la logique inverse et montrent que vous avez tourné le dos aux territoires !

Il est tout de même paradoxal, et même inquiétant, de voir les conditions, sinon baroques, en tout cas inédites, dans lesquelles les prochaines élections départementales vont se dérouler.

Tout d’abord, le projet de loi sur les compétences n’étant toujours pas définitivement adopté, les campagnes électorales vont se dérouler sans que l’on connaisse précisément les compétences redistribuées ou nouvelles.

Par ailleurs, je vous rappelle que les promoteurs de la réforme territoriale engagée voulaient, avant l’examen au Sénat, supprimer les départements et imposer un seuil couperet à 20 000 habitants pour les intercommunalités.

Enfin, force est de constater que ces scrutins vont se dérouler avec un mode d’élection confus, au sein de cantons redécoupés selon un charcutage jamais vu. Pourtant, les rédacteurs du projet de loi sur les nouveaux modes de scrutin départementaux expliquaient avec le plus grand sérieux que l’élection des conseillers départementaux au sein des cantons devait permettre d’assurer l’ancrage territorial des élus, ainsi qu’un lien de proximité fort entre ces derniers et leurs électeurs.

S’agissant du redécoupage, ou plutôt du charcutage, chacun se souvient sans doute de ce que nous disait ici le ministre de l’intérieur de l’époque, promu depuis, lors du débat parlementaire sur le nouveau mode de scrutin départemental : il s’insurgeait alors contre les accusations concernant un « prétendu tripatouillage ».

Le moins que l’on puisse dire est que nous n’avons pas été déçus. Monsieur le secrétaire d’État, ce charcutage ferait même rougir de jalousie ou d’envie Charles Pasqua…

M. Philippe Kaltenbach. C’est impossible ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. François Bonhomme. Oh que si ! À côté, il fait même figure d’amateur.

Quand je parle de charcutage, monsieur Kaltenbach, j’emploie d'ailleurs un terme impropre, et même peu respectueux du travail des charcutiers et des métiers de bouche qui leur sont associés, tant il a été réalisé à la hache et sans discernement (Applaudissements sur les travées de l'UMP.), si ce n’est celui qui procède d’une vision purement électoraliste, dépourvue de toute considération des territoires et des bassins de vie.

M. Philippe Kaltenbach. Les arrêtés ont été validés par le Conseil d’État !

M. François Bonhomme. Enfin, que dire de la situation d’innombrables d’intercommunalités, fondées précisément sur des bassins de vie, qui se sont construites patiemment des politiques territoriales et se trouvent désormais divisées en trois ou quatre cantons, en totale négation du fait intercommunal ?

On pourra toujours dire que l’article 24 de la Constitution dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » et que la Haute Assemblée est l’émanation des collectivités par le vote des représentants de celles-ci. Toutefois, avec votre réforme, monsieur le secrétaire d’État, vous avez affaibli la représentation des territoires ruraux.

Concernant les bassins de vie, justement, en élargissant l’écart par rapport à la moyenne de représentation d’un élu au sein de la circonscription, le texte proposé, s’il était adopté, aurait pour effet de favoriser la convergence entre bassins de vie et cantons en permettant de maintenir au sein d’un seul et même canton un bassin de vie beaucoup plus ou beaucoup moins peuplé que la moyenne départementale. Tel est l’objectif de cette proposition de loi constitutionnelle.

On nous rétorquera sans doute qu’il est délicat de faire apparaître les bassins de vie dans la Constitution, la notion étant d’ordre réglementaire et ses contours susceptibles d’évolution. Peut-être, mais encore faut-il rappeler que ce critère intègre par essence ces éléments constitutifs que sont la géographie, la démographie ou l’histoire, ainsi que, indirectement, les limites des EPCI. Cette proposition de loi constitutionnelle apporte aussi, de ce point de vue, un correctif salutaire.

Monsieur le secrétaire d’État, il ne suffit pas de donner le change par une espèce de compensation sémantique ou par un artifice de communication. N’y a-t-il pas un ministère en charge de l’égalité des territoires, dont la plupart des gens, d'ailleurs, ignorent l’identité de la titulaire ?

N’avez-vous pas lancé des « assises de la ruralité », présentées ni plus ni moins comme « l’acte fondateur d’une nouvelle politique », et dont il ne reste déjà plus rien, sinon une collection de banalités et de pieux objectifs généraux ? (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)

Il est paradoxal de voir en même temps se déliter le lien avec nos territoires et se développer tout un fourbi communicationnel, aussi inutile que grandiloquent. À moins que ce ne soit du cynisme…

Que reste-t-il des États généraux de la démocratie territoriale, qui étaient censés « libérer la parole des territoires » - rien que ça ?

M. Bruno Sido. On n’en parle plus !

M. François Bonhomme. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez accoler toutes les épithètes que vous voulez au titre des ministères ou des machins institutionnels, cela ne fait pas une politique, et les incantations ne font pas un contenu.

Laissez-moi vous dire que, en vous opposant à cette proposition de loi, vous manquez une fois de plus l’occasion de corriger les effets dévastateurs de votre politique d’affaiblissement des territoires. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Genest.

M. Jacques Genest. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle déposée par les présidents Larcher et Bas nous offre aujourd’hui l’occasion de débattre sereinement, sans être soupçonnés de dégainer la machine à calculer les voix,…

M. Philippe Kaltenbach. Certainement ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jacques Genest. … d’une question à laquelle les élus de la ruralité, au titre desquels je suis fier de compter, sont très attachés.

Il s’agit, comme l’annonce l’intitulé de ce texte, de défendre une juste représentation des territoires, donc de rendre un peu d’espace à certaines collectivités marginalisées du fait de l’application d’une jurisprudence tout à fait discutable.

Il ne fait de doute pour personne que les citoyens citadins et leurs élus, de par leur nombre, bénéficient d’une plus grande capacité à être entendus. Ils peuvent davantage se mobiliser, par toutes sortes de moyens de pression, pour obtenir la satisfaction de leurs légitimes attentes en matière d’équipement, de voirie et autres.

Il en est tout à fait autrement des citoyens et des élus des zones rurales, pour qui il sera toujours plus difficile d’obtenir, par exemple, des travaux sur une petite route ne desservant que quelques villages isolés. Or on ne peut vouloir enrayer la désertification de nos campagnes, encourager les jeunes agriculteurs à reprendre des exploitations et tenter de maintenir une activité économique et des services publics sans donner à ceux qui vont porter ces projets une représentation politique leur permettant de se faire entendre et de peser sur les choix.

Et puisque nous ne sommes pas en train d’examiner une énième initiative gouvernementale visant à modifier les règles du jeu électoral, je peux illustrer mon propos, sans arrière-pensée, à l’aide de quelques exemples tirés de ma modeste expérience d’élu local ardéchois, afin d’éclairer le Sénat, mais surtout le Gouvernement, sur les réalités du terrain qui justifient que l’on s’intéresse au bien-fondé de cette proposition de loi constitutionnelle.

Parmi les dix-sept cantons ardéchois issus du nouveau charcutage électoral, je me permettrai de vous en citer deux, qui sont emblématiques : les cantons de Cheylard et de Thueyts, situés à l’ouest de notre département et classés en zone de montagne, ce qui se traduit par de faibles densités démographiques. Mes chers collègues, sachez que ces cantons représentent, à eux deux, plus de 28 % du territoire de l’Ardèche et un quart de ses communes, mais qu’ils devront, avec leurs quatre futurs représentants, se contenter de 11 % des élus de l’assemblée départementale.

La représentation des collectivités de la montagne ardéchoise sera donc diluée, alors qu’elles occupent une part proportionnellement beaucoup plus importante du territoire.

Par ailleurs, s’il neige les 22 et 29 mars prochains et que la Burle se lève, les maires des communes situées en zone de montagne, à plus de soixante kilomètres du chef-lieu de canton, Thueyts, situé dans la vallée, ne pourront même pas apporter les résultats à la mairie.

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Jacques Genest. Pourtant, même si, avec le regretté Jean Ferrat, tout le monde s’accorde à dire que, en Ardèche, « la montagne est belle », et même si chacun est fier de ce qu’elle apporte à l’identité et à l’activité touristique de notre département, les citoyens ont besoin d’élus locaux pour rappeler les dures réalités qu’elle représente au quotidien et les besoins spécifiques créés par le relief.

Ce problème se pose d’ailleurs pour de très nombreuses terres rurales françaises : l’isolement, l’altitude, l’insularité créent des besoins en infrastructures qui deviennent des freins au développement s’ils ne sont pas satisfaits.

Nous savons bien que les investissements qui seront réalisés sur le territoire de ces communes représenteront un coût par habitant supérieur à celui des zones plus densément peuplées, mais nous avons un choix à faire pour l’aménagement de notre pays et son occupation : soit nous continuons dans la voie de la périurbanisation, qui étire de plus en plus les villes en gagnant sur les terres agricoles, cumulant les défauts de la campagne sans apporter les services de la ville, soit nous souhaitons exploiter et rendre attractif tout le potentiel qu’offre un pays de 550 000 kilomètres carrés.

Mes chers collègues, je pense qu’il est temps de rendre leur juste place à la représentation des collectivités locales de la ruralité. En découvrant les préconisations publiées hier par le Commissariat général à l’égalité des territoires, lequel propose de vider de leurs compétences et de leurs moyens les communes au profit des EPCI pour les transformer en collectivités fantômes, je me suis même dit qu’il y avait urgence.

Si le Conseil constitutionnel ne veut ou ne peut entrer dans une logique qui dépasse ses prérogatives ou son entendement, il nous appartient, comme les présidents Larcher et Bas nous invitent à le faire, de proposer l’inscription de ce principe dans la Constitution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires
Article 2

Article 1er

(Non modifié)

Le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :

« La République garantit la représentation équitable de ses territoires dans leur diversité. »

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Kaltenbach, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Je me suis déjà longuement exprimé à la tribune pour expliquer que les socialistes étaient sensibles à la défense des territoires ruraux et qu’ils s’y associaient chaque fois que c’était possible. Toutefois, s’il faut défendre la ruralité, il ne faut pas non plus oublier les habitants des zones urbaines, qui ne doivent pas être abusivement opposés aux populations des zones rurales. Quoi qu’il en soit, nous avons pris position pour défendre la ruralité à de nombreuses reprises.

Par ailleurs, nous sommes prêts à travailler à un élargissement du « tunnel ». Nous avons déjà pris position pour un tunnel de plus ou moins 30 %. Cher Jacques Mézard, nous accepterions même sans difficulté qu’il soit porté à plus ou moins 33,33 % !

En revanche, nous ne souhaitons pas que l’article 1er de la Constitution soit modifié. Nous considérons que la modification de l’article 72 est amplement suffisante. Puisque le Conseil constitutionnel a estimé que le principe d’égalité devant le suffrage pouvait souffrir une distorsion de plus ou moins 20 %, nous pouvons tout à fait ne modifier que l’article 72 de la Constitution, pour indiquer que cette distorsion peut atteindre jusqu’à 33,33 %.

Les sénateurs socialistes ont donc déposé un amendement visant à supprimer l’article 1er de la présente proposition de loi constitutionnelle, qui tend à modifier l’article 1er de la Constitution. En revanche, ils sont prêts à voter l’article 2 de la proposition de loi, qui modifie l’article 72 de la Constitution.

Ainsi, il serait possible d’apporter une réponse technique à un problème technique, sans toucher à un article fondamental de la Constitution qui affirme le principe d’égalité devant la loi, avec son corollaire, l’égalité devant le suffrage.

Je le répète, modifier cet article, dans les conditions précipitées – c’est le moins que l’on puisse dire – qu’a rappelées Mme Assassi, sans en peser les éventuelles conséquences, ne nous paraît pas nécessaire. Surtout, placer la représentation équitable des territoires au même niveau que l’égalité devant la loi, principe fondamental pour lequel nos ancêtres se sont soulevés en 1789, mérite bien plus qu’un débat d’une heure en commission et de deux heures en séance publique !

J’ajoute que nous prenons le risque de modifier un article fondamental, sans même qu’un débat avec nos concitoyens soit au préalable organisé. Je salue le travail réalisé par M. le rapporteur, mais il faut bien reconnaître qu’il n’a procédé qu’à très peu d’auditions – deux seulement –, et qu’aucun constitutionnaliste n’a été entendu.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe socialiste souhaite que l’amendement n° 1 soit adopté. Si tel était le cas, son vote sur l’ensemble du texte pourrait évoluer. Mes collègues et moi-même serons donc sensibles aux réponses de M. le rapporteur et des auteurs de la proposition de loi.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hugues Portelli, rapporteur. En 2003, lorsque le titre XII de la Constitution a été modifié de façon substantielle, on a introduit dans l’article 1er de la Constitution la référence à l’organisation décentralisée de la République. En 2008, lorsque le champ de la parité a été élargi, l’affirmation du principe de parité est passée de l’article 4 de la Constitution à l’article 1er.

À deux reprises, l’article 1er de la Constitution a donc été modifié à l’occasion de révisions constitutionnelles importantes. Nous proposons, par parallélisme des formes, qu’il en soit ainsi en ce qui concerne le principe de représentation équitable des territoires.

Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Le Gouvernement est évidemment favorable à cet amendement, puisque, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, il est opposé en tout point à cette proposition de loi, qui remet en cause l’un des fondements de la République, à savoir l’égalité des citoyens devant le suffrage.

J’émets donc un avis favorable sur cet amendement de suppression.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(L’article 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 2

L’article 72 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Au troisième alinéa, les mots « et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences » sont supprimés.

2° Après le troisième alinéa, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« Les territoires d’élection des membres des conseils des collectivités territoriales et de leurs groupements sont représentés équitablement dans le respect de l’égalité devant le suffrage.

« La population représentée par les élus de chaque territoire ne peut, sauf impératif d’intérêt général, s’écarter de plus d’un tiers de la population moyenne représentée par les élus du conseil.

« Dans les conditions prévues par la loi, les collectivités territoriales disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences. » – (Adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires, dans le texte de la commission.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 90 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 345
Pour l’adoption 205
Contre 140

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires
 

11

Dépôt de documents

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la contre-expertise de l’évaluation socio-économique du projet de réhabilitation des quartiers scientifiques du campus « Lyon-Tech-La Doua », accompagnée de l’avis du commissariat général à l’investissement sur ce projet.

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis à la commission des affaires économiques, à la commission des finances, ainsi qu’à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

12

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 4 février 2015 :

De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

1. Suite de la proposition de loi relative à l’instauration d’une journée des morts pour la paix et la liberté d’informer (n° 231, 2013-2014) ;

Rapport de M. Jeanny Lorgeoux, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 576, 2013-2014) ;

Résultat des travaux de la commission (n° 577, 2013-2014) ;

2. Proposition de résolution relative à la préservation des insectes pollinisateurs, de l’environnement et de la santé et à un moratoire sur les pesticides de la famille des néonicotinoïdes, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution (n° 643, 2013-2014) ;

3. Proposition de loi autorisant l’usage contrôlé du cannabis (n° 317, 2013-2014) ;

Rapport de M. Jean Desessard, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 250, 2014-2015) ;

Résultat des travaux de la commission (n° 251, 2014-2015).

À dix-huit heures trente :

2. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 12 et 13 février.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART