M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, président du groupe socialiste et apparentés.

M. Didier Guillaume, président du groupe socialiste et apparentés. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, l’année 2015 a commencé dans le sang. Dix-sept morts, dix-sept morts pour la France ! Ils étaient agent de maintenance, journaliste, dessinateur, policier, psychiatre, économiste, correcteur, cadre commercial, employé de supermarché, étudiant, retraité. Ils représentaient la France, dans toute sa diversité sociale, d’origines, de croyances et d’opinions.

L’odieux attentat commis contre la rédaction de Charlie Hebdo, c’est une véritable atteinte à la liberté de la presse que nous condamnons. Ils ont été tués parce qu’ils dessinaient librement.

L’assassinat de la policière municipale et la lâche exécution dans la rue du policier, c’est une véritable atteinte à la République que nous condamnons. Ils ont été tués parce qu’ils représentaient l’État.

L’attaque antisémite et la prise d’otage sanglante du magasin Hypercacher, c’est une véritable atteinte à la religion juive que nous condamnons. Ils ont été tués parce qu’ils étaient juifs.

C’est la nation tout entière qui a été visée. La France a été attaquée pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle fait. La France, pays des Lumières. La France qui a su faire la Révolution. La France qui a toujours réussi à combattre l’obscurantisme d’où qu’il vienne et où qu’il soit. C’est cette France-là que nous aimons. Oui, nous sommes fiers d’être Français ! Oui, nous sommes fiers de la France !

L’objectif des terroristes est d’instiller le doute dans nos consciences, de nous faire peur. Mais la France n’a pas peur. C’était déjà le sens du message du général de Gaulle lors de l’appel du 18 juin. La France doit rester digne, debout, fière de son héritage.

La mobilisation des citoyens, d’une ampleur inconnue jusqu’alors, a été une réponse à une tragédie qui a touché la France dans sa chair et la République laïque dans ses symboles.

Le peuple français a répondu à la barbarie par la fraternité dans les rues de tout le pays, de toutes nos villes et de tous nos villages.

Il faut malheureusement des événements dramatiques pour que nous prenions conscience collectivement de ce que nous sommes, pour que nous nous fédérions derrière le drapeau tricolore, en chantant La Marseillaise. Oui, nous aimons ce que nous sommes, et nous l’avons clamé haut et fort à la face du monde.

Gloire à nos forces de l’ordre, à ces hommes et à ces femmes de sacrifices !

Oui, la France a un État, un État fort. Les Français l’ont vu à l’œuvre. Je rends hommage à tous ceux qui ont agi et qui agissent encore pour nous défendre : policiers, gendarmes, forces du renseignement qui nous protègent au quotidien, responsables politiques qui prennent les décisions. L’État a été efficace.

Le chef de l’État a été à la hauteur de cet événement à la fois national et mondial. Il a été le garant, la première incarnation de l’unité nationale. Il représentait la France.

Le Premier ministre a coordonné l’action du Gouvernement avec exemplarité et sérénité. Il a été le moteur efficace de la cohérence gouvernementale.

Le ministre de l’intérieur a agi avec rapidité et fermeté. Il a démontré son sang-froid et son efficacité, d’immenses qualités. Mes sincères félicitations, cher Bernard Cazeneuve ! (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent longuement et les membres du groupe socialiste ainsi que MM. Claude Kern, Daniel Dubois et Christian Namy se lèvent.) Vous avez fait honneur à la République, monsieur le ministre. Nous pouvons tous ressentir une fierté particulière.

En ces périodes agitées, il nous faut garder la tête froide. Ne sombrons pas dans la tentation du tout sécuritaire, mais ne soyons pas naïfs pour autant.

Le groupe socialiste n’est pas favorable à un Patriot Act à la française à l’instar de celui qu’ont adopté les États-Unis d’Amérique en 2001, parce que nous sommes la France.

Des voix se sont élevées pour réclamer la restauration de la peine de mort. Or l’abolition de la peine de mort, c’est notre patrimoine républicain, c’est notre identité, c’est notre civilisation. La peine de mort ne sera jamais rétablie dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – MM. Robert del Picchia et Philippe Bas, ainsi que Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)

Mais ne sombrons pas pour autant dans l’angélisme. Si des mesures exceptionnelles doivent être prises contre le terrorisme, nous les voterons. Les Français attendent des réponses à la hauteur de ces attentats odieux. Des mesures exceptionnelles, oui ; des mesures d’exception, non !

Assurer la liberté et la sécurité, voilà comment nous entendons travailler aux côtés du Gouvernement. Notre identité, c’est la liberté, c’est la République, c’est l’humanisme. La sécurité est un droit fondamental pour chacun de nous, notamment pour ceux qui sont les plus exposés. Notre jeunesse l’espère, nos quartiers l’attendent, nos concitoyens la réclament, notre nation tout entière y a droit.

Nous ne sommes pas en guerre contre une civilisation. Nous ne sommes pas en guerre contre une religion. À cet instant, je veux avoir une pensée pour tous les musulmans de France et leur dire que nous ne faisons pas d’amalgame.

La France ne serait rien sans les juifs, les musulmans, les athées, les croyants et les non-croyants. Mais la France ne serait rien non plus sans la laïcité – oui, la France est laïque. Cette laïcité, qui permet à chacun de pratiquer ou de ne pas pratiquer un culte. La laïcité, ce ciment des différences qui permet l’égalité dans la République. La laïcité, qui est le fondement de notre pacte républicain, celui du vivre ensemble.

Nous sommes tous et toutes attendus, mes chers collègues. Notre mobilisation a été saluée par les Français.

Travaillons à la mise en avant de nos valeurs fondamentales que sont la liberté, l’égalité, la fraternité, gages d’une meilleure prise de conscience de notre appartenance à une nation commune.

Partageons ensemble optimisme et détermination pour la République et pour la France ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste.

M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste. Monsieur le président du Sénat, au nom de mon groupe, je tiens à vous remercier des mots que vous avez eus, qui sont à la hauteur des circonstances tragiques qui nous rassemblent ce jour.

Je veux également saluer l’action du Président de la République et du Premier ministre, la vôtre aussi, monsieur le ministre de l’intérieur, qui, dans cette épreuve, fut efficace ; vos paroles ont permis le rassemblement et votre comportement a été d’une grande dignité.

Par ailleurs, je félicite l’ensemble des formations politiques républicaines de leur sens profond des responsabilités en ces temps si tragiques pour le pays. C’était indispensable durant ces trois jours terribles au cours desquels la liberté d’expression, l’autorité de l’État et la laïcité ont été touchées au cœur. En un mot, la République.

Tout d’abord, j’évoquerai la liberté d’expression. Certains membres de mon groupe connaissaient bien les journalistes de Charlie Hebdo qui étaient pacifiques et généreux. Avec leur disparition, c’est un pays qui est sous le choc. L’attentat dont ils ont été victimes nous oblige à affronter une réalité épouvantable : on risque de mourir en France pour avoir fait un dessin irrévérencieux sur Mahomet. C’est une réalité inacceptable, cruelle, insoutenable !

Liberté fondamentale, la liberté d’expression est indissociable de la liberté d’opinion, de la liberté de pensée. C’est la raison pour laquelle nous ne céderons jamais rien sur ce droit. Je le dis haut et fort, nous tous sénateurs, pas seulement les écologistes, nous sommes tous Charlie !

Par ailleurs, pour ce qui concerne l’autorité de l’État, nos forces de sécurité ont payé un lourd tribut au cours de ces jours sombres : deux policiers et une policière municipale assassinés. Notre reconnaissance, profonde, va aux agents du GIGN, du Raid, de la BRI qui ont mis leur vie en péril ; certains ont été blessés pour sauver des otages et mettre un terme à la cavale des meurtriers. Notre reconnaissance va aux gendarmes, aux policiers, aux militaires, aux agents de la protection civile mobilisés encore en ce moment même dans le cadre du plan Vigipirate écarlate ; ils méritent tout notre respect : nous sommes tous des policiers !

J’évoquerai enfin la laïcité. Quatre personnes sont mortes uniquement parce qu’elles étaient juives. Nous devons toujours lutter inlassablement contre l’antisémitisme.

Chacun de nos concitoyens, quelle que soit sa confession, son origine, doit pouvoir vivre libre et en sécurité en France. Ce droit, cette liberté, c’est à l’État, c’est à la France de les garantir. C’est ça la vraie laïcité !

Cela étant, il y a un temps pour le recueillement. Nos pensées les plus bouleversées vont à ceux qui ont perdu la vie, aux blessés – certains le sont encore grièvement –, à leurs familles, à leurs proches. Nous ne les oublierons jamais !

Il y a un temps pour la mobilisation. Le peuple qui s’est dressé dimanche, crayon au poing, a été à l’initiative d’une manifestation inédite et digne, soutenue dans le monde entier. Cette mobilisation ne doit surtout pas retomber. C’est à nous, responsables politiques, de la faire vivre.

Et il y a, il y aura un temps pour la réflexion. Chacun sait que le drame ne s’est pas terminé vendredi. Nous sommes en droit de craindre d’autres violences. Comment protéger notre République ? Quelles actions immédiates conduire ? Quelles politiques mener dans la durée ?

Le président Gérard Larcher, dans son intervention, a posé les bonnes questions, auxquelles il nous faudra effectivement apporter des réponses.

Face au terrorisme, les réponses ne peuvent être que globales, collectives, solidaires.

Il nous faudra continuer, jour après jour, à mobiliser le pays dans toutes ses composantes politiques, religieuses – en particulier nos compatriotes musulmans –, philosophiques et citoyennes, tous nos amis et alliés en Europe et dans le monde venus si vite manifester leur solidarité ce dimanche auprès du chef de l’État. Qu’ils en soient remerciés chaleureusement.

Cette attaque en règle contre nos valeurs appelle à l’unité nationale et à la défense de valeurs que nous croyions intouchables.

L’unité du pays, le rassemblement des Français, voilà une condition sine qua non, pas seulement aujourd’hui, mais également demain, et après-demain.

On le sait, cette unité nationale est si fragile. Je forme le vœu aujourd’hui, à la tribune du Sénat de la République, que nous sachions la préserver chaque instant comme notre bien commun le plus précieux.

Je forme le vœu que nous tous, sénatrices et sénateurs de la République française, nous sachions nous élever, comme l’ont fait le Gouvernement et le peuple français, à la hauteur des enjeux et des dangers auxquels nous devons faire face tous ensemble.

Nous sommes tous Charlie, nous sommes tous policiers, nous sommes tous juifs. Vive la France ! Vive la République ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Nouveaux applaudissements.)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est dans une immense émotion partagée que je m’exprime devant vous aujourd’hui.

Cette émotion, je l’ai ressentie, monsieur le président, dans vos propos, très justes, très profonds, qui rappelaient ce que nous sommes, ce que sont les valeurs de la République, ce qui nous rassemble dans cet hémicycle et, par-delà, dans le pays.

J’ai retrouvé cette émotion, cette force dans les interventions de tous ceux qui se sont succédé à la tribune, quelle que soit la formation politique à laquelle ils appartiennent.

J’ai ressenti cette émotion aussi dans le discours qu’a prononcé le Premier ministre avec une force exceptionnelle tout à l’heure à l’Assemblée nationale.

Nous avons tous ressenti cette émotion dimanche dans les rues de Paris, alors que, derrière les victimes rassemblées dans la dignité, étaient présents des chefs d’État et de gouvernement venus de toute l’Union européenne et bien au-delà.

Autour du Président de la République française, ils étaient venus dire leur amour de la France et leur attachement aux valeurs que nous incarnons, qui sont des valeurs universelles, dont ils se sont parfois inspirés pour mettre en place leurs institutions.

Nous étions nombreux dimanche – représentants des institutions, des corps constitués, mais aussi simples citoyens – à dire que nous n’avions pas peur, que, face au terrorisme, nous étions debout, déterminés à défendre fermement ce que nous sommes, exigeant qu’à chaque instant prévalent les valeurs de la République et exprimant la volonté que, à tout moment, la sécurité des Français, notamment des plus exposés d’entre eux, soit assurée.

Nous avons tous à l’esprit – vos propos, mesdames, messieurs les sénateurs, en témoignent – l’importance du drame qui s’est produit la semaine dernière.

Ce drame a touché des journalistes, des caricaturistes, des dessinateurs, parce que, par leur crayon, ils étaient les héritiers de l’esprit de Voltaire. À l’instar de Micromégas venu de Sirius, ils regardaient notre pays d’un autre point de vue et, par la distance qu’ils créaient parfois, parvenaient à déceler ce qui en nous méritait d’être corrigé ou dénoncé. Le crayon de ces caricaturistes était leur manière à eux de témoigner de leur impertinence et de créer, entre leur regard et la réalité, cette distance dont nous avons besoin parfois pour nous changer nous-mêmes.

Cette impertinence, cette liberté, c’est ce qu’on a voulu atteindre. Cette impertinence, cette liberté, c’est la France de Daumier à Wolinski, à Cabu, et à tant d’autres qui, par leur talent, témoignent de notre amour pour la liberté.

On a voulu atteindre des policiers, nationaux et municipaux, parce que, dans la République, ils incarnent le droit et l’ordre. Quand je dis « l’ordre », je ne parle pas d’une fermeture, d’une rigueur, d’une rigidité. Non, je veux parler de l’amour de la République, du droit, de l’État de droit qui constituent notre patrimoine commun.

Je vais vous parler de ces policiers, parce qu’ils ont été en première ligne durant ces événements et, comme vous l’avez justement souligné les uns et les autres, ils méritent notre estime et notre considération.

Je vais vous parler des camarades membres du service de protection des hautes personnalités de Franck, qui assurait la protection de Stéphane Charbonnier, dit « Charb », et qui est tombé, quelques minutes après l’entrée des terroristes dans les locaux de Charlie Hebdo, la main sur son pistolet, afin de protéger courageusement celui dont il avait la charge. Je n’oublierai jamais leurs larmes, eux qui connaissaient le courage, la droiture et la valeur de leur collègue. Je n’oublierai jamais non plus le regard de la mère de Franck ce matin lors de la cérémonie disant sa détermination à résister à la peur dans la dignité.

Je n’oublierai jamais l’effroi des camarades de la jeune policière municipale de Montrouge qui venaient d’assister au crime abject dont elle avait été victime – on lui a tiré dans le dos ; par-delà les larmes, il y avait la colère et l’indignation.

Je n’oublierai jamais non plus les visages et les regards des policiers du commissariat du XIe arrondissement, camarades du policier Ahmed, qui a tenté de s’interposer, après que le crime eut été commis dans les locaux de Charlie Hebdo, afin que la fuite funeste s’arrête. Il y avait dans ces regards une tristesse incommensurable et la fierté d’être policier.

Je n’oublierai pas davantage les regards, parfois derrière le masque qui assure leur protection – il ne faut pas qu’on les reconnaisse, qu’on les distingue, qu’on les identifie –, des policiers de la BRI et du Raid qui sont intervenus et ont sauvé toutes les vies qui pouvaient l’être à l’épicerie Hypercacher. Ces regards témoignaient non pas de la peur après l’engagement, non pas de l’effroi – qui dut pourtant à un moment être rencontré –, mais simplement de la fierté d’avoir sauvé des vies.

À ces hommes, à ces femmes qui constituent nos forces de l’ordre que j’ai eues sous ma responsabilité pendant ces événements tragiques, je veux, de cette tribune hautement symbolique, leur dire, du fond du cœur, mon immense gratitude. (Applaudissements prolongés.) Et je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’elle est l’expression de ce que chacune et chacun d’entre vous éprouvez, car nombreux ont été vos témoignages, vos lettres, vos appels, vos SMS en ce sens.

Je n’oublierai jamais non plus à quel point, au cours de cette période, vous avez été proches de celles et de ceux qui assurent la sécurité des Français. À vous aussi, sénateurs et sénatrices de France, je veux exprimer ma gratitude et mes remerciements pour cette solidarité, pour cet amour de la République.

Je n’oublierai pas plus les propos qui ont été tenus par les représentants de la communauté juive française, notamment par ceux des institutions juives de France, qui nous ont dit leur lassitude et leur tristesse d’avoir peur : ils voient en effet l’antisémitisme ressurgir dans des formes qui donnent le sentiment que jamais les choses ne s’arrêteront, que jamais il ne sera mis fin à l’abjection.

Comme l’a fait le Premier ministre tout à l’heure à la tribune de l’Assemblée nationale avec force, je veux, avec vous, leur dire que nous mettrons tout en œuvre pour que plus jamais un seul juif de France n’ait peur d’aller dans une école ou dans un lieu de culte parce que des barbares et des assassins veulent s’attaquer à ce qu’il y a de plus précieux dans notre pays, le droit de croire ou de ne pas croire. Dès lors que l’on a fait le choix d’une religion, on doit pouvoir la pratiquer en sécurité et librement. (Applaudissements.)

Dimanche, lorsque nous étions ensemble dans les rues de Paris, nous avons ressenti l’élan du peuple de France qui prenait dans ses bras, par-delà les proches des victimes qui conduisaient le cortège, tous les journalistes de France qui incarnent la liberté et qui la font vivre dans la République, tous les policiers de France, nationaux et municipaux, les gendarmes qui assurent l’ordre et font respecter l’État de droit, tous les juifs de France qui aiment profondément la République et n’entendent pas qu’on l’atteigne, mais aussi tous les autres qui peuvent avoir honte, qui peuvent avoir peur et qui n’admettent pas que, dans la République, on crée la division, l’effroi et la peur.

Bien entendu, comme l’ont dit le Premier ministre à l’Assemblée nationale, le Président de la République ce matin encore avec beaucoup de force, les orateurs qui viennent d’intervenir à l’instant, nous devons maintenant regarder l’avenir et tirer tous les enseignements des événements qui se sont déroulés.

Je veux vous indiquer, en vertu de la responsabilité qui est la mienne en tant que ministre de l’intérieur – mais le Premier ministre a précisé tout à l’heure que c’était un devoir pour l’ensemble du Gouvernement –, que je tiens à la disposition des assemblées pour expliquer, pour rendre compte. Cette exigence de rendre compte fait partie de la démocratie ; elle doit être encore plus forte aujourd’hui que par le passé, lorsque des événements difficiles se sont produits, non seulement en raison de la dimension du drame, de la tragédie que nous venons de vivre, mais aussi parce que c’est ensemble que nous devons tirer les enseignements de ce qui s’est passé pour apporter les justes corrections, pour entamer les évolutions adéquates, afin d’être plus forts et mieux armés encore face au risque terroriste.

À l’instar du Premier ministre à l’Assemblée nationale, je voudrais esquisser devant vous rapidement – nous aurons prochainement l’occasion de revenir sur ce sujet – les quelques pistes que nous avons retenues afin d’avancer ensemble.

D’abord, il y a l’urgence qui, selon moi, se rapporte à deux sujets.

Le premier concerne les enquêtes qui se poursuivent. Nous avons mis en place – et ce fut l’une des raisons du succès des opérations qui ont été conduites – une cellule interministérielle de crise destinée à assurer le bon déroulement des enquêtes placées sous l’autorité du parquet antiterroriste et à mettre hors d’état de nuire tous ceux qui avaient commis certains actes ou pouvaient en commettre encore. À la demande du Président de la République et du Premier ministre, nous avons décidé de ne pas la désarmer. Cette cellule rassemble plusieurs fois par jour autour de moi les hauts responsables du ministère de l’intérieur qui travaillent ensemble, échangent des informations, de manière que les enquêtes progressent rapidement et permettent de déterminer toutes les complicités et l’identité de ceux qui ont participé ou contribué aux actes tragiques de la semaine dernière afin qu’ils soient mis hors d’état de nuire.

Vous comprendrez, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il ne serait pas responsable de ma part de donner des éléments sur les enquêtes en cours, qui sont placées sous l’autorité du procureur de la République de Paris et de la section antiterroriste du parquet.

Néanmoins, je veux vous assurer que tout est mis en œuvre pour que, d’une part, ces enquêtes progressent et soient concluantes et, d’autre part, l’ensemble des services placés sous ma responsabilité, notamment la direction générale de la sécurité intérieure, puissent identifier ceux qui représentent un danger pour notre pays.

Car, et il faut dire les choses et y faire face avec sang-froid et détermination, nous sommes confrontés à un terrorisme d’un nouveau type.

Il y a ces combattants, dont le nombre a augmenté de près de 80 % depuis le début de l’année, qui partent sur le théâtre des opérations terroristes, notamment en Irak et en Syrie, et en reviennent après avoir procédé à des exactions, des exécutions, des décapitations, animés par le seul instinct de la haine.

Il y a tous ceux qui sont organisés au sein de structures – je pense notamment à Al-Qaïda – et qui peuvent, par d’autres moyens, frapper encore et à tout moment.

Il y a ceux qui n’appartiennent à aucune structure, mais qui, dans une relation exclusive de toute autre, « fréquentent » la violence sur internet et qui peuvent, seuls, sans avoir été commandés par personne, passer à l’acte et commettre des crimes ; ce sont d’ailleurs les plus difficiles à détecter.

Il y a les cellules dormantes. Il y a aussi les réseaux organisés du crime, du trafic d’armes et du trafic de drogue, qui alimentent financièrement ces structures terroristes organisées, qu’il faut démanteler.

Je veux vous dire clairement et fermement la détermination du Gouvernement à agir sans trêve ni pause pour que la France ne devienne pas un sanctuaire pour ces acteurs du crime, quelles que soient les activités auxquelles ils se livrent.

Les services qui sont placés sous ma responsabilité sont résolus à atteindre ces derniers en multipliant les actions et les initiatives, comme ils le font depuis des mois. (Applaudissements.) Je vous demande solennellement de leur transmettre toutes vos questions, car ils sont déterminés à y répondre. Dans le même temps, il faut bien comprendre que, face au risque auquel nous sommes confrontés, nous devons faire preuve d’une grande mobilité, d’une constante capacité d’adaptation et d’une totale détermination.

Au-delà de la poursuite des enquêtes et de la garantie de la sécurité des Français par l’action de nos services de renseignement, il convient d’assurer la protection des lieux et des institutions qui peuvent se trouver frappés par ces assassins et ces barbares.

C’est la raison pour laquelle nous avons pris la décision de protéger l’ensemble des écoles et des lieux de culte de la communauté juive, à sa demande et en liaison étroite avec elle, mais aussi d’autres, car les actes islamophobes se sont multipliés au cours des derniers jours. Il est du devoir de la République de protéger tous ses enfants et de traquer ceux qui veulent s’attaquer à ses valeurs et à ses principes. Pour cela – plusieurs orateurs l’ont dit –, nous devons être intransigeants, comme l’a indiqué aujourd'hui le Premier ministre avec force, à l’égard du respect du principe de laïcité.

Parallèlement, nous devons nous armer davantage. À cette fin, nous devons traiter au fond trois questions évoquées précédemment, en très étroite concertation avec l’ensemble des groupes représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat. C’est l’esprit de la réunion que j’ai tenue hier place Beauvau ; d’autres suivront très rapidement, car la réponse, comme vous l’avez dit les uns et les autres, ne saurait trop attendre.

Le Premier ministre a proposé que nous engagions une réflexion collective et que je travaille, avec d’autres membres du Gouvernement, sur trois sujets.

Il s’agit d’abord de la question des moyens.

Nous sommes dans une période d’unité et de concorde nationales. Espérons qu’elle dure le plus longtemps possible, car, comme vous l’avez tous relevé, l’unité nationale est la condition d’une réponse forte aux attaques terroristes.

Alors, il n’est pas temps, pas plus aujourd'hui qu’ultérieurement, de faire le bilan des décisions prises par les uns et les autres à tel ou tel moment. Nos forces de sécurité ont perdu des moyens, et nous sommes tous déterminés à faire en sorte qu’elles en retrouvent. C'est l’esprit de la décision du Gouvernement au début du quinquennat de procéder à des recrutements nouveaux dans la police et la gendarmerie. Au sein de la direction générale de la sécurité intérieure, dont 50 % des effectifs se consacrent à la lutte antiterroriste, sur les 432 postes envisagés, la moitié a d’ores et déjà créée. Il en faudra sans doute plus.

Le Premier ministre m’a demandé de lui faire des propositions. Nous avons besoin d’ingénieurs, de techniciens et d’informaticiens pour mieux détecter les filières qui agissent sur internet et mieux résister aussi à des cyber-attaques dont nous pourrions faire l’objet.

Nous avons également besoin de conforter nos moyens hors personnels. Dans le cadre du budget triennal, 12 millions d’euros par an ont été affectés à la direction générale de la sécurité intérieure pour lui permettre d’améliorer ses capacités technologiques d’intervention. J’ai récemment indiqué au Premier ministre qu’il me paraissait nécessaire d’aller plus loin dans la modernisation des infrastructures informatiques du ministère de l’intérieur, des réseaux et des applications, car les défaillances constatées, notamment celles du système CHEOPS à l’occasion du retour de trois combattants étrangers ayant transité par la Syrie, sont le signe d’un sous-investissement chronique dans les moyens informatiques nécessaires pour assurer la sécurité. Nous allons procéder, là aussi, à des investissements significatifs dans le cadre du plan que je présenterai au Premier ministre dans quelques jours.

Les moyens concernent aussi ceux qui permettent à nos forces d’être rapides et réactives lorsque des incidents graves se produisent. La question des véhicules a été évoquée : ce n’est pas un sujet mineur. D’ores et déjà, 40 millions d’euros sont affectés pour permettre l’achat de 2 000 véhicules par an. Cet effort doit se poursuivre et s’intensifier.

Au-delà des moyens pour la police, la gendarmerie et la direction générale de la sécurité intérieure, il faut évoquer les moyens de l’administration pénitentiaire. On le sait, la radicalisation s’effectue aussi en milieu carcéral. Nombre de délinquants de droit commun incarcérés sont confrontés en prison à l’islamisme radical. Certains, à l’issue de leur emprisonnement, ont la tentation de commettre des crimes qu’ils n’avaient pas envisagés. Tout doit être mis en œuvre pour apporter la juste réponse, comme a commencé à le faire, avec beaucoup de force et de détermination, Mme le garde des sceaux. (Mouvements de doute sur les travées de l'UMP.)

Nous devons aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, nous attaquer aux insuffisances ou aux inadaptations de notre système juridique. Je me souviens très bien, à cet égard, des débats que nous avons eus à l’occasion de l’examen de la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, voilà deux mois seulement.

Depuis le début du quinquennat, deux lois antiterroristes ont été adoptées : la première soutenue par le Premier ministre lorsqu’il était ministre de l’intérieur, la seconde par moi-même il y a quelques semaines, au mois de novembre dernier.

Je me souviens donc des débats que nous avons eus. Il ne faut d’ailleurs pas les revisiter pour nous faire grief les uns aux autres de nos positionnements de l’époque. Il est normal en démocratie – je n’en ai pas été choqué au moment où des discussions – que l’on cherche constamment le juste équilibre entre la nécessité de renforcer la sécurité des Français et celle de ne pas porter atteinte à leurs libertés.

Lors de ces débats, j’avais insisté sur le rôle déterminant joué par internet, et sur la nécessité de prévoir davantage de régulation et d’intervention pour que les messages de haine qui s’y déploient sans limites soient enfin cantonnés. Une discussion s’était alors engagée sur la nécessité de trouver le bon équilibre entre, d’un côté, cette exigence de régulation et, de l’autre, la neutralité d’internet et la liberté d’expression sur la Toile.

Je me souviens que la proposition d’interdiction administrative de sortie du territoire pour les individus dont on savait qu’ils allaient s’engager dans des opérations terroristes et dont on était, à juste titre, convaincu qu’ils reviendraient habités par le seul instinct de la haine, avait donné lieu à des discussions sur la liberté d’aller et venir.

Nous avions présenté, lors de l’examen de l’article 15 de la loi, une disposition qui permettait à mon ministère de conserver au-delà de trente jours le contenu des interceptions de sécurité, de manière à aller au bout de l’exploitation des renseignements. Or je me souviens que, à l’issue des débats, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, cette mesure, qui devait nous permettre de disposer de la totalité des éléments dont nous avons besoin pour mener les opérations de surveillance, n’a pas pu être adaptée.

Cela étant, dans le contexte nouveau résultant des événements qui viennent de se produire, nous ne devons pas mettre en place des lois d’exception, car elles constitueraient une première victoire des terroristes sur nous-mêmes, sur la démocratie. (Mme Esther Benbassa applaudit.) Nous devons, au contraire, regarder lucidement la réalité et prendre toutes les mesures, notamment au travers de la future loi sur le renseignement, qui permettront à nos services de se doter de moyens de lutte efficaces contre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Enfin, je voudrais insister sur l’importance des organisations et des coopérations. Certes, nombre de sujets qui devront être traités dépendent de nous, les représentants du Gouvernement, et de vous, les législateurs. Face à la situation nouvelle à laquelle nous sommes confrontés, nous allons devoir, ensemble, prendre nos responsabilités. Mais beaucoup dépend aussi d’un cadre qui associe d’autres institutions et d’autres États. Je pense notamment aux enjeux européens sur lesquels nous devons nous mobiliser et que nous avons de nouveau mis sur le métier dimanche dernier, lors du rassemblement à Paris des ministres de l’intérieur non seulement de l’Union européenne, mais aussi d’autres grandes puissances. Nous devons travailler étroitement ensemble pour être plus efficaces en termes de renseignement et de démantèlement des grandes filières du crime organisé, en particulier terroristes.

Je veux parler, tout d’abord, de ce qui doit être fait pour démanteler de façon volontariste tous les réseaux de trafic d’armes. Ce trafic international dépasse largement les frontières de l’Europe ; il mobilise des organisations criminelles qui ont parfois une dimension multinationale et conduit les acteurs concernés à utiliser des sociétés-écrans, des comptes dans des paradis fiscaux pour alimenter le terrorisme. Il faut que nous soyons capables, par des actions plus puissantes sur internet, par des échanges plus réguliers entre services de renseignement, de démanteler rapidement ces filières organisées du crime, notamment dans le domaine susvisé.

Nous devons ensuite mieux identifier les trajets des membres de ces réseaux terroristes. Le système d’information Schengen, doté d’un dispositif de signalement, doit ainsi nous permettre d’interrompre à tout moment les parcours des individus susceptibles de commettre des crimes dans l’un de nos États après avoir traversé l’Europe, ou même dans plusieurs États après avoir fait escale dans différents aéroports.

Je veux parler, ensuite, de la mise en œuvre du PNR, ou passenger name record. Comme l’a fait le Premier ministre aujourd'hui devant l’Assemblée nationale, je veux profiter de ce débat au Sénat pour dire à l’ensemble des parlementaires européens que nous ne pourrons pas gagner la lutte contre le terrorisme si nous ne mettons pas rapidement en place le PNR (Applaudissements.), ce qui est possible sans préjudice pour les libertés publiques. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne vient de prendre une position sur la durée de détention des données grâce à laquelle un équilibre peut être trouvé entre la protection des données et une meilleure sécurité au plan européen.