compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Philippe Adnot,

Mme Colette Mélot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures vingt.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le procès-verbal de la séance du jeudi 18 décembre 2014 a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’un sénateur

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le très profond regret de vous faire part du décès de notre collègue Jean-Yves Dusserre, survenu le 27 décembre dernier.

Il avait été élu sénateur des Hautes-Alpes le 28 septembre 2014.

Je prononcerai son éloge funèbre ultérieurement, mais je tiens d’ores et déjà à saluer sa mémoire.

Au nom du Sénat, je souhaite exprimer notre sympathie et notre profonde compassion à sa famille, à ses proches et au groupe UMP.

3

Remplacement d’un sénateur décédé

M. le président. Conformément aux articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l’intérieur a fait connaître que, en application de l’article L.O. 319 du code électoral, Mme Patricia Morhet-Richaud est appelée à remplacer, en qualité de sénatrice des Hautes-Alpes, notre regretté collègue Jean Yves Dusserre, décédé le 27 décembre 2014.

Son mandat a débuté le dimanche 28 décembre, à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite une cordiale bienvenue.

4

Remplacement d’un sénateur nommé membre du Gouvernement

M. le président. Conformément à l’article 1er de l’ordonnance du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution, j’ai pris acte de la cessation, le dimanche 21 décembre 2014, à minuit, du mandat sénatorial de M. Jean-Marc Todeschini, nommé secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, par décret du 21 novembre 2014.

Il est remplacé par M. Patrick Abate, dont le mandat de sénateur de la Moselle a commencé le lundi 22 décembre 2014, à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue.

5

Démission et remplacement d'un sénateur

M. le président. J’ai reçu une lettre de M. Philippe Marini par laquelle il s’est démis de son mandat de sénateur de l’Oise, à compter du mercredi 7 janvier 2015, à minuit.

Il est remplacé par M. Alain Vasselle, dont le mandat de sénateur de l’Oise a commencé le jeudi 8 janvier 2015, à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue.

6

Candidatures à des commissions

M. le président. J’informe le Sénat que :

- le groupe Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Jean-Yves Dusserre, décédé ;

- le groupe communiste républicain et citoyen a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, dont le mandat de sénateur a cessé ;

- le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, dont le mandat de sénateur a cessé.

Ces candidatures vont être publiées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.

7

Candidature à une délégation sénatoriale

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la délégation sénatoriale aux entreprises en remplacement de M. Jean-Yves Dusserre, décédé.

Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

8

Renvoi pour avis multiples

M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (n° 16, 2014-2015), dont la commission des affaires économiques est saisie au fond, est envoyé pour avis, à leur demande, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire et à la commission des finances.

Mes chers collègues, le débat à l’Assemblée nationale sur les attaques terroristes dont la France a été victime s’étant quelque peu prolongé, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

9

Hommage aux victimes des attentats

M. le président. Mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, « je préfère mourir debout que vivre à genoux ». Tels étaient les propos de Charb, au mois de septembre 2012.

Ils sont morts debout : Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, Bernard Maris et leurs camarades, Elsa Cayat, Michel Renaud, Mustapha Ourad, Frédéric Boisseau. Eux qui n’avaient que leur crayon, leur carton, leurs convictions, leur vie, ils ont été frappés par les balles du fanatisme, qui croit que l’on peut aussi tuer les idées, la liberté.

Oui, liberté, celle de penser, celle de s’exprimer, celle de dessiner, y compris quand cela nous dérange…

Clarissa Jean-Philippe, policière municipale, Franck Brinsolaro, Ahmed Merabet, policiers, sont morts dans l’exercice de leurs fonctions. Ils sont morts pour l’État de droit, pour l’ordre républicain, victimes de leur devoir.

Yohan, Yohav, Philippe, François-Michel, leurs vies innocentes se sont arrêtées par la haine nourrie dans l’ignorance de l’autre, à la veille de la journée consacrée par eux à la prière.

L’antisémitisme, celui de la porte de Vincennes, après celui de Créteil, de Bruxelles, de Toulouse, c’est l’antithèse du visage de la France.

Notre pays s’est rassemblé. Je voudrais saluer l’action du Président de la République, du Gouvernement, la vôtre, monsieur le ministre de l’intérieur, saluer l’esprit de responsabilité des mouvements politiques, de la majorité comme de l’opposition.

La République vient de se dresser dans cette épreuve, elle a cheminé dans un long cortège de dignité, de refus et de silence.

Oui, liberté, « J’écris ton nom ! […]

Et par le pouvoir d’un mot, je recommence ma vie ».

Oui, vivre ensemble, c’est tellement plus fort que nos différences !

Oui, « fraternité » n’est pas qu’un mot du triptyque républicain.

Samedi, dimanche, ils étaient des milliers, ils étaient des millions, partout, à Paris, dans chacune de nos villes et chacun de nos bourgs, pour crier que la France qui est la nôtre, c’est celle de la fraternité, celle qui jamais ne se laissera aller aux complaisances de la haine, du rejet, du fanatisme.

Mais cette levée en masse, cette levée de citoyens nous oblige ! Ces drames nous obligent à l’unité ; ils nous obligent au courage ; ils nous obligent à l’action.

Nos mains, nos esprits ne peuvent trembler. Il nous faut lucidement faire notre devoir d’exigence absolue.

Il nous faut analyser en profondeur comment, dans le pays des Lumières, peut se construire une telle expression de la barbarie et du crime.

Il nous faut traiter plusieurs questions concrètes, car ce sont celles auxquelles nos concitoyens attendent des réponses : la question de l’organisation du renseignement, la question du prosélytisme dans nos prisons, la question des réseaux sociaux utilisés pour véhiculer des messages de haine que l’on continue à voir bourgeonner tels des bubons, la question de l’éducation, qu’elle soit à la citoyenneté ou à la connaissance de l’autre, au travers de ses origines, de sa religion.

Ces questions-là, et d’autres encore, nous avons le devoir de les entendre et d’y répondre.

Mes chers collègues, la compassion, la tristesse vont nous étreindre encore : ce matin, elles ont été exprimées à la préfecture de police et à Jérusalem, dans quelques jours, elles le seront aux Invalides.

Mais pour que la paix soit mieux qu’une incantation répétée avec ferveur, il nous faut agir. Agir en nous écoutant les uns les autres, agir aussi dans l’exigence et sans faiblesse. C’est notre devoir de parlementaire ; et le Sénat fera son devoir ! J’y veillerai, et je prendrai les initiatives qui m’incombent.

Je vous propose maintenant de nous lever, d’observer un moment de silence et de le conclure par cet hymne qui nous a rassemblés si nombreux ces jours derniers et qui est toujours le ciment de la République. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que les membres du Gouvernement observent une minute de silence, puis entonnent l’hymne national.)

10

Débat sur les attaques terroristes dont la France a été victime

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les attaques terroristes dont la France a été victime.

La parole est à Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste, républicain et citoyen.

Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste, républicain et citoyen. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, aujourd'hui, le Parlement est réuni pour rendre hommage à toutes les victimes des actes terroristes perpétrés le mercredi 7 janvier au siège de Charlie Hebdo et le vendredi 9 janvier avec l'agression antisémite meurtrière du magasin Hypercacher.

Les sénateurs du groupe CRC qui ont chevillé au corps le combat non seulement pour la liberté de la presse et pour la liberté d’expression, mais aussi contre toutes les censures, contre l’antisémitisme, la xénophobie et le racisme, s’inclinent devant ces morts pour la liberté.

Nous apportons notre soutien et notre compassion aux familles, aux proches et à ceux qui, blessés parfois très gravement, seront meurtris à vie par ces actes insensés et criminels.

Dans cette France soudainement plongée dans la violence et la peur, la formidable mobilisation populaire de samedi et de dimanche derniers soulève un immense espoir.

Uni, le peuple a lui aussi rendu hommage aux victimes. Il a manifesté sa peine et affirmé, au-delà de la diversité bien naturelle des messages, une profonde aspiration à vivre ensemble, à vivre en paix et à faire respecter la devise de la République française : « liberté, égalité, fraternité ».

Cette vague humaine qui a déferlé dans tout le pays était digne, profondément pacifique ; nul message de haine n’a pris le dessus.

Vivre libre, penser librement, écrire librement, dessiner librement fut le message dominant.

« Je suis Charlie » a fait écho au « j’écris ton nom […] liberté » de Paul Éluard. Notre peuple, de la Libération à aujourd’hui, a su se lever pour défendre les valeurs de la République. Il s’agit donc d’un événement majeur, qui ne pourra pas être oublié.

Ces millions de femmes et d’hommes qui sont descendus dans la rue ont lancé un immense appel aux dirigeants de notre pays, au Gouvernement et aux élus, pour que cela ne se reproduise plus, pour que des mesures fortes soient prises, afin que notre société se reconstruise là où la République vacille, et pour que les idéaux affichés sur les frontons redeviennent réalité pour tous et partout sur le territoire de la République.

Le débat démocratique commence, et il y va de notre responsabilité de contribuer à faire fructifier ce qu’il peut produire de meilleur.

Cela suppose de condamner et de combattre toutes les formes de stigmatisation ; de condamner et de combattre le racisme ; de condamner et de combattre la haine du musulman ; de condamner et de combattre l’antisémitisme.

Oui, nous devons faire en sorte que ce débat soit poursuivi avec nos concitoyens, mais aussi sur le fond.

Avec nos concitoyens, nous voulons parler de liberté, de laïcité, d’égalité, de fraternité, de paix, de solidarité. Avec eux, nous voulons aussi bien entendu débattre non seulement de sécurité, car sans sécurité, il ne peut y avoir de liberté, mais également du monde de la prison, de l’école et de la culture.

Mais, mes chers collègues, pour résoudre la crise profonde que traversent notre pays et ses quartiers populaires, nous vous le disons clairement, il faudra changer de logique politique.

En effet, c’est uniquement en donnant les moyens aux services publics, et ce en premier lieu à l’école à travers l’engagement d’un vaste plan d’éducation populaire, que la République pourra réinvestir des zones de misère sociale.

Tout cela aura un prix et nécessitera des investissements. Ce n’est pas le dogme de l’austérité qui permettra d’apporter une réponse, ni même un début de réponse.

Aujourd’hui, le temps est encore au recueillement, à l’émotion, à la solidarité, mais, très vite, il faudra passer à l’action, donner du contenu, un sens au vivre ensemble.

Après des décennies de dérégulation libérale, d’individualisme, au détriment de l’intérêt général, il faut marcher ensemble vers une société plus juste, une société plus solidaire, qui place en son cœur le travail, l’éducation, la culture et non plus l’argent roi.

Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen mèneront ce combat en mémoire de celles et ceux qui sont tombés pour la liberté.

Ce jour, au sein de cet hémicycle, nous pensons fortement à eux, à leurs familles, à leurs proches, à leurs collègues. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.

M. Jacques Mézard, président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, la France et la liberté sont blessées.

Parce que le premier mot de la devise nationale est « liberté », parce que, depuis plus de deux siècles, en dépit des guerres, des crises, des souffrances et de nos erreurs, liberté et France sont indissociablement unies aux yeux du monde, parce que l’attentat a frappé ceux qui incarnaient au plus haut degré cette liberté, ceux qui la protégeaient ainsi que des otages martyrs, la nation s’est levée, criant, face à la sauvagerie et à la barbarie, une seule réponse : ignorer la peur, faire face, combattre.

Le choc est d’autant plus fort que les victimes pleurées sont des hommes de liberté, capables de rire de tout et d’abord d’eux-mêmes, rendant tous les jours l’intolérance ridicule.

La force de ce cri impose aux responsables de ce pays de toutes sensibilités d’être à la hauteur du message transmis, car le temps de la colère suivra de près le temps de l’émotion si le temps de l’action ne vient pas rapidement.

Il le faut pour châtier les assassins – cela a déjà été fait –, mais aussi pour poser les bases d’une politique de nature à assurer la sécurité de nos concitoyens dans une République apaisée.

Le 11 septembre 1848, Victor Hugo devant l’Assemblée nationale constituante déclarait : « Les véritables amis de l’ordre ont toujours été les plus sérieux amis de la liberté. »

Oui, mes chers collègues, il n’est de démocratie sans autorité, sinon c’est toujours le plus faible qui sera victime de l’insécurité.

L’heure n’est point à un quelconque laxisme ni à un angélisme béat. Il appartient en premier lieu au pouvoir exécutif de restaurer l’État et son autorité, de ne jamais céder à quelque violence que ce soit quand il s’agit d’appliquer la loi et les décisions de justice.

Voilà quelques semaines, dans cette enceinte même, je saluais et défendais l’action de M. le ministre de l’intérieur lorsqu’il était injustement dénigré, tout comme d’ailleurs les forces de l’ordre, qui ont été justement applaudies par le peuple ce dimanche.

Si la loi n’est plus adaptée, on la change : c’est notre devoir de législateur ; sinon, on l’applique. « Mais que doit faire le législateur ? Il doit concilier ce qui convient aux principes et ce qui convient aux circonstances » ; c’est du Danton dans le texte.

Aujourd’hui, nous sommes face à des phénomènes terroristes rendus en partie inédits par la mondialisation, le numérique, internet et les réseaux dits « sociaux », qui bouleversent les comportements et facilitent le recrutement direct par les sectes de toute nature. Cela doit inéluctablement nous amener à adapter la loi à cette révolution que connaissent les relations humaines. Internet ne saurait être le monde du non-droit, un monde hors-la-loi.

Cela n’occulte aucunement la nécessité de donner aux forces de l’ordre les moyens de leur action sur le terrain, sur tout le territoire. Pour mémoire, monsieur le ministre de l’intérieur, Chérif Kouachi a fait un séjour dans mon département en 2010, auprès de son mentor, à quelques dizaines de kilomètres d’une gendarmerie qui vient d’être supprimée…

Je dis au gouvernement, à cette assemblée, qu’il nous appartient d’examiner rapidement nos responsabilités sur les causes de ces drames.

Causes endogènes, d’abord, dans nos quartiers, dans le développement d’un communautarisme incompatible avec nos principes républicains, facilité par nombre de discours et de médias, mais aussi dans un système éducatif débordé. Comment lutter contre l’illettrisme dans des classes où une majorité d’élèves ne parle pas le français ?

Causes exogènes, ensuite, dues à la politique extérieure au Moyen-Orient et au Maghreb, et à la politique d’ingérence dans les pays tiers ; en 2003, Jacques Chirac et son Premier ministre avaient vu juste.

L’homme sait faire mal à l’homme depuis un temps immémorial. À toutes époques, quels que soient les civilisations et les continents, les massacres ont ponctué l’histoire. Ce qui change, mes chers collègues, ce ne sont que les méthodes. Ces crimes ont été commis au nom de Dieu, comme cela est récurrent depuis des siècles ; c’est l’apanage des extrémistes de toutes religions. C’est en 1209, sur notre sol, qu’a été prononcée cette phrase : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens » ; les djihadistes d’aujourd’hui sont de la même veine. Attenter à la vie terrestre pour mériter la vie éternelle : quelle absurdité !

Qualifié dans cette enceinte de « laïc intégriste », président du groupe pour lequel la République laïque est l’essence même du combat politique, je le dis ici, oui, la République laïque est toujours plus nécessaire pour garantir les valeurs de la France ; aucun gouvernement ne doit céder en rien à toute dérive communautariste. Plus que d’un observatoire de la laïcité, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, nous avons impérativement besoin d’une politique laïque à tous les niveaux. La religion doit demeurer dans la sphère privée, ce qui la protégera. Tel est le vrai moyen de rejeter le sectarisme et l’intolérance, pour que vivent la démocratie et la République ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Philippe Adnot, délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, je souhaite m’associer à l’hommage qui a été rendu par l’ensemble des citoyens français aux victimes de l’agression dont la France a été l’objet ; aux victimes innocentes qui n’avaient comme tort que de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment ; aux policiers, dont nous ne soulignons jamais assez le dévouement, alors qu’ils ont un rôle difficile et dangereux ; aux membres de la rédaction de Charlie Hebdo qui n’ont jamais renoncé à être ce qu’ils étaient malgré le danger. On a le droit d’aimer ou de ne pas aimer ce qu’ils faisaient, mais on n’a pas le droit de s’en prendre à la liberté d’expression par la violence. Au-delà des personnes, en effet, c’est bien ce qu’ils symbolisaient avec talent : la liberté d’expression.

Ce drame doit nous conduire à réfléchir. Au fil des lois, des comportements, nous constatons bien qu’il y a de plus en plus d’ayatollahs de la pensée unique, du politiquement correct. Tous les jours, nous voyons croître la liste de ce qu’il n’est plus possible d’exprimer.

Cette liberté d’expression que des millions de Français ont soutenue comme une valeur fondamentale est tous les jours remise en cause, et pas seulement par des intégristes religieux. Je pense que chacun doit faire son examen de conscience et, malheureusement, je crains que nous ne voyions refleurir rapidement les interdits.

Au-delà de cet examen de conscience, au sein de cette enceinte, de la société française, il faudra bien que la communauté internationale se penche un jour sur le conflit israélo-palestinien, lequel, en plus de la souffrance infligée aux deux peuples concernés, nourrit tous les fantasmes dans nos banlieues et sert de paravent au terrorisme international.

Soyons lucides : rien n’est résolu par la grande manifestation des Français ; il faudra bien examiner les dysfonctionnements entrevus, non pas pour désigner des coupables, mais pour identifier des manquements. Le tueur de Vincennes a été libéré au bout d’un an et demi de détention, alors qu’il avait écopé d’une peine de cinq ans.

Partout, la République, dans son exigence de laïcité, recule ; l’exemple de la minute de silence dans les établissements scolaires est flagrant.

Je ne suis pas sûr qu’il y ait besoin de nouvelles lois ; il faudrait plutôt revoir les conditions de l’application de celles qui existent. Songeons à ce policier qui a déclaré avoir eu les frères Kouachi dans le viseur pendant dix secondes et n’avoir pas tiré car il n’était pas en situation de légitime défense.

Je pense aussi qu’il y a un problème de moyens. Nous voyons parfois, dans nos territoires, des véhicules de gendarmerie immobilisés, faute d’essence.

Je voudrais terminer mon propos en rendant hommage aux forces de l’ordre. Leur courage, leur détermination, leur sang-froid forcent notre admiration ; nous sommes fiers d’elles, et c’est la raison pour laquelle nous devons les soutenir, aujourd’hui comme demain. Dès lors, mes chers collègues, ce sont elles, et non pas mon intervention, que je vous demande d’applaudir. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, président du groupe Union des démocrates et indépendants-UC.

M. François Zocchetto, président du groupe Union des démocrates et indépendants-UC. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, assassinés pour s’être exprimés, assassinés pour avoir choisi de défendre leurs concitoyens, assassinés pour leur confession religieuse : tel est le sinistre bilan des attentats de la semaine dernière.

Face à cette violence, je tiens à saluer le sang-froid, le professionnalisme de tous les agents de nos forces de sécurité.

Je salue aussi l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement qui nous ont témoigné leur solidarité et celle de leurs compatriotes.

Évidemment, je salue au plus haut le peuple français et sa réaction de dignité, d’unité, de sagesse. L’objectif des barbares est d’instaurer leur loi en créant la peur et l’insécurité. Mes chers collègues, nous sommes debout, ensemble ; nous le crions, nous l’avons même chanté !

Il nous faut, en tant que parlementaires, être désormais à la hauteur de nos compatriotes. Nous sommes confrontés à la nécessité d’agir. Le travail du Parlement sur ce sujet doit être rappelé. Une commission d’enquête sénatoriale est à l’œuvre depuis plusieurs mois, créée d’ailleurs à la demande du groupe UDI-UC. S’il faut en accroître les moyens, nous devons, me semble-t-il, tous y être favorables. Nos collègues qui en sont membres nous feront des propositions.

Mais n’oublions pas que la loi ne règle pas tout. Pensons surtout à donner aux services chargés de protéger les Français les moyens requis : les moyens juridiques, bien sûr, mais aussi, plus que jamais, les moyens humains et matériels. Face à la contrainte budgétaire, tant rappelée, sachons assumer cette priorité.

La réflexion qui s’engage devra aborder la question pénitentiaire. Il est primordial que nos prisons ne deviennent pas des centres de radicalisation. On ne peut pas tolérer qu’un délinquant soit incarcéré à la suite d’une décision de justice et que son séjour en prison fasse de lui un terroriste en puissance. Il nous faut donc accepter que les moyens de l’administration pénitentiaire soient largement renforcés si l’on veut endiguer de telles dérives.

La lutte contre le terrorisme commence cependant bien en amont. Elle commence en refusant de laisser tout espace aux fondamentalistes. Notre lutte contre le fanatisme et l’obscurantisme doit évidemment être un rappel incessant de nos grands principes, mais elle doit, d’abord et surtout, être un combat de terrain quotidien. Plus que jamais, il nous faut être aux côtés des enseignants, des médecins, des personnels de nos hôpitaux, des gardiens de prison, des agents de nos mairies et de nos collectivités, malheureusement confrontés au quotidien à l’intolérance, au négationnisme, à la misogynie, à l’antisémitisme, sur tout le territoire.

Il nous faut être suffisamment fiers des valeurs de la République pour refuser les compromis, voire les compromissions, du quotidien, par lesquels se répand la radicalité.

Plus en amont encore, il nous faut nous poser les questions qui vont gêner. Quels sont les ressorts qui poussent certains de nos enfants, certains Français, à basculer dans une telle haine de notre société et de notre pays, de leur pays ? Sans céder, bien sûr, à la culture de l’excuse, et tout en étant fermement attachés aux notions d’autorité rappelées à cette tribune, il nous faut examiner quelles frustrations, quelles humiliations, quelles lacunes familiales et sociétales sont à l’œuvre pour aboutir à un tel résultat.

Les réponses ne seront pas simples, mais il est indispensable qu’elles soient apportées rapidement, si nous voulons que les victimes de la semaine dernière ne soient pas mortes pour rien. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, président du groupe Union pour un mouvement populaire.

M. Bruno Retailleau, président du groupe Union pour un mouvement populaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, depuis dimanche dernier, plus que jamais, nous sommes fiers d’être Français. Nous en sommes fiers, car la République française s’est révélée plus forte que le terrorisme. Nous en sommes fiers, car la nation française n’est jamais aussi belle et aussi grande que lorsque les Français sont réunis.

Dimanche dernier, les Français sont redevenus un peuple, un grand peuple, à la face du monde, uni dans cette émotion nationale, uni dans l’hommage à ses morts : ceux de Charlie Hebdo, ceux qui ont été pris en otage parce qu’ils étaient juifs, les policiers. Cette mobilisation nationale, qui a rassemblé tant de Français, de toutes origines, de toutes conditions, ressemble tant à la France !

Dimanche dernier, nous avons tous marché contre le terrorisme, mais nous avons aussi marché pour la France, pour cette grande passion française qu’est la liberté.

Cette liberté, les Français la revendiquent pour eux-mêmes. La liberté d’expression est d’abord et avant tout l’affirmation d’un droit fondamental : la liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire.

Cette liberté, les Français la revendiquent aussi pour le monde. Comme l’indiquait le général de Gaulle, « il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. » C’est au nom de ce pacte que la France est aujourd’hui attaquée, que notre pays est aujourd’hui en guerre. Il faut le dire car « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », comme l’écrivait si bien Camus. Après cette tragédie, les représentants de la nation que nous sommes n’ont pas le droit d’ajouter au malheur de la France.

Bien sûr, cette guerre n’est pas une guerre conventionnelle, une guerre entre les nations. C’est une guerre radicalement nouvelle. Notre ennemi se moque des frontières ; il frappe en Orient, en Occident, au cœur même de Paris.

Ce n’est pas non plus une guerre de religion, car la barbarie n’a pas de religion ! Jamais ceux qui professent la haine de l’autre ne pourront parler au nom d’une espérance.

Mais c’est bien d’une guerre qu’il s’agit, d’une guerre nouvelle, qui prospère eu égard à une situation inédite, à l’échelle nationale et internationale.

Nationale d’abord, car notre société est aujourd'hui aux prises avec de nouvelles formes de radicalité. J’en veux pour preuve cette jeunesse déboussolée, fanatisée, hypnotisée et fascinée, de façon morbide, par l’absolue radicalité du mal, cette jeunesse qui a grandi chez nous, sur le sol français, et qui part faire le djihad !

Internationale ensuite, car toutes les grandes puissances peinent aujourd'hui à combattre le terrorisme islamiste, lequel a changé de nature en se glissant dans les habits de la mondialisation. Il est déterritorialisé, mais il cherche en même temps à s’enraciner. Il est diffus et à la fois connecté. C’est un terrorisme qui a également changé de mode d’expression, puisqu’il ne se contente plus de livrer une guerre militaire ; il mène aussi une guerre de l’information au travers de la révolution numérique.

Nous devons donc nous donner les moyens non seulement juridiques, budgétaires, mais également politiques de conduire et de gagner cette guerre.

Tout d’abord, monsieur le ministre, nous devons nous doter de moyens juridiques en adaptant tout notre arsenal juridique à l’évolution de la menace. C’est la raison pour laquelle la commission d’enquête sénatoriale sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe doit être renforcée, qu’il s’agisse de son périmètre ou de ses missions, afin d’apporter des réponses concrètes aux interrogations de millions de Français. Comment ces attentats ont-ils été possibles ? Quelles mesures efficaces devons-nous prendre pour que cela ne se reproduise plus ?

Tous nos moyens doivent être réévalués par rapport à cette menace, qui pourrait encore frapper. Sur toutes ces questions, je souhaite que le Sénat, bien au-delà des clivages traditionnels, fasse des propositions au Gouvernement, car les Français exigent la vérité. Ils veulent de la fermeté et ils demandent à être protégés. Ils en ont le droit et nous en avons le devoir. Voilà pourquoi, par-delà les moyens juridiques et budgétaires, nous avons également besoin de moyens politiques !

Après cette tragédie, il n’y a plus de place pour l’angélisme. La mobilisation nationale ne doit pas occulter ce qui s’est passé ces derniers jours dans des écoles et sur internet. Je veux parler du refus de participer à la minute de silence à la mémoire des victimes et de toutes les réactions qui ont fait écho à d’autres refus, communautaires, identitaires, dans l’espace public, au mépris de toutes nos valeurs de liberté et, bien sûr, de laïcité.

Non, mes chers collègues, la France ne sera jamais un archipel de tribus, de communautarismes. La France n’est pas non plus une juxtaposition d’individus. Il nous faut redonner le goût de la France à tous ces jeunes Français. Cependant, nous devons regarder les choses en face, car si nous baissons les yeux devant le communautarisme, nous baisserons aussi les bras devant l’islamisme. Or nous n’en avons pas le droit, car il s’agit de la France. Dans ce combat pour la liberté, notre pays doit rester ce « soldat de l’idéal » évoqué par Georges Clemenceau à la tribune de l’Assemblée nationale le 11 novembre 1918. C’est parce que nous sommes ce soldat que nous devons mener cette guerre et la gagner, pour la République, pour la sécurité des Français et pour la liberté des hommes. Vive la République et vive la France ! (Applaudissements.)