M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, autant annoncer la couleur : la commission des affaires sociales a émis un avis défavorable sur les orientations budgétaires définies par le Gouvernement pour la mission « Santé ».

Les contraintes croissantes qui pèsent sur les agences sanitaires à un moment où celles-ci doivent assurer des missions toujours plus denses et la progression non maîtrisée des crédits de l’AME lui paraissent, en effet, appeler une position plus que réservée.

S’agissant du programme 204, les opérateurs sanitaires de l’État sont invités à approfondir les efforts d’efficience et de productivité auxquels ils s’astreignent depuis maintenant plusieurs exercices. Le projet de loi de finances pour 2015 prévoit de diminuer de 4,4 % le montant total des subventions qui leur sont allouées et de réduire leurs plafonds d’autorisations d’emplois d’environ 2 %.

Il semble tout à fait légitime à la commission des affaires sociales que les agences sanitaires prennent leur part dans les mesures de redressement des finances publiques. La poursuite de la démarche de rationalisation suscite cependant aujourd’hui des inquiétudes d’autant plus fortes qu’elles s’ajoutent à l’attribution de missions nouvelles et aux incertitudes liées au projet de loi relatif à la santé dont nous débattrons prochainement.

Je ne prendrai qu’un seul exemple : l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM. Malgré une subvention en baisse de plus de 3 % et une diminution de vingt équivalents temps plein par rapport à 2014, l’Agence devra non seulement organiser la montée en puissance de son département de pharmaco-épidémiologie, mais également s’assurer de la mise en œuvre du nouveau règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments. Elle devra, en outre, garantir l’application des mesures de la prochaine loi de santé, concernant notamment la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement en médicaments ou encore la création d’un accès ouvert aux données de santé.

Toutes les agences du programme 204 ont souligné la nécessité de garder une taille critique suffisante pour maintenir une expertise de qualité. De ce point de vue, notre assemblée devra être attentive à l’article 42 du projet de loi relatif à la santé qui entend habiliter le Gouvernement à agir par ordonnances pour réformer le système d’agences sanitaires. L’étude d’impact reste en effet relativement sibylline sur la façon dont sont envisagés l’articulation des missions des différents opérateurs et les moyens qui leur seront attribués. Pouvez-vous d’ores et déjà, madame la secrétaire d’État, nous donner quelques éclairages à ce sujet ?

En ce qui concerne le programme 183, la commission des affaires sociales relève que les dépenses liées à l’AME se caractérisent par une augmentation très soutenue : leur rythme de croissance - plus de 12 % - est bien supérieur à celui des dépenses d’assurance maladie. Néanmoins, ces dépenses souffrent surtout d’une absence totale de fiabilité des prévisions budgétaires.

Pour 2015, les crédits ouverts au titre de l’AME de droit commun s’élèveraient à 633 millions d’euros, alors que la dépense tendancielle est de 717 millions d’euros. Comme chaque année, le Gouvernement est ainsi conduit à ouvrir des crédits supplémentaires dans le collectif budgétaire de fin d’exercice. Parallèlement, les restes à charge de l’État à l’égard de l’assurance maladie se maintiennent ; la dette s’élevait à 52 millions d’euros à la fin de 2013.

La Cour des comptes a considéré que cette situation faisait peser un risque d’insoutenabilité sur le programme 183. Dans ces conditions, la commission des affaires sociales estime que des mesures complémentaires aux ajustements en cours sont nécessaires.

Elle a adopté, sur ma proposition, un amendement venant compléter celui de la commission des finances et visant à instituer pour les bénéficiaires de l’AME une contribution forfaitaire annuelle comparable à la participation plafonnée de droit commun à laquelle sont soumis les assurés lorsqu’ils recourent à des soins médicaux, soit un forfait de 50 euros.

Tout en envoyant un signal responsable, cette mesure ne remet en cause ni la nécessité de protéger les personnes concernées ni la capacité à éviter que des affections non soignées ne s’étendent. Elle nous permet donc de rester fidèles au double objectif sanitaire du dispositif.

La commission des affaires sociales a donc émis un avis défavorable sur le programme 204, car le Gouvernement prévoit d’agir par ordonnances. Elle est également défavorable au programme 193, en raison de l’insoutenabilité des propositions budgétaires le concernant. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Roger Karoutchi. Remarquable !

M. le président. Je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je vous rappelle également que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, chers collègues, je ne suis pas un spécialiste des questions de santé. Toutefois, en tant que vice-président de la commission des finances, je peux certifier que la mission « Santé » est devenue un symbole de tous les défauts de notre droit budgétaire contemporain.

Non pas que, s’agissant de la mission « Santé », un recours à des ordonnances m’étonne - il me semblerait plutôt naturel, monsieur le rapporteur pour avis (Sourires.) -, mais, plus sérieusement, parce que cette mission, dont je ne mets absolument pas en cause le bien-fondé, me semble soulever plusieurs problèmes particuliers quant à sa gestion.

Dotée de 1,2 milliard d’euros de crédits, la mission « Santé » progresse en volume de 3,3 % cette année. Autant le dire tout de suite, elle ne participe pas du tout à l’effort d’économie affiché par le Gouvernement. Avec 3,3 % de hausse de crédits, il n’y a pas d’économies « sur la tendance », dont on parle assez souvent, et il y en a encore moins sur le volume. Bref, il n’y a pas d’économies du tout, ce qui visiblement ne pose de problème à personne !

Ce qui est vrai de la dépense budgétaire l’est aussi de la dépense fiscale. Notre excellent rapporteur spécial dénombre dix niches fiscales associées à cette mission. Seules cinq d’entre elles ont été jugées efficaces par l’Inspection générale des finances. Je rappelle que le rapport Guillaume sur les niches fiscales date du mois d’aout 2011. C’était il y a plus de trois ans et, depuis, rien n’a été fait. C’est tout le problème : rien n’est fait et, finalement, personne ne veut vraiment faire grand-chose !

Nous sommes sur un bateau qui avance du fait de sa propre inertie. Il n’y a plus de capitaine à la barre pour rectifier la trajectoire. D’un côté, nous avons le programme 204, dont les crédits diminuent de 5,8 % par rapport à cette année. Il y a manifestement un effort des opérateurs sanitaires pour améliorer leur gestion, en dépit des difficultés inhérentes à l’administration d’un établissement hospitalier. En revanche, et c’est le principal point d’achoppement de cette mission, les crédits du programme 183, qui financent l’aide médicale d’État, explosent : ils augmentent de 14 % en un an !

Qui plus est, notre rapporteur spécial estime que cette enveloppe est sous-budgétisée et mal documentée ! Là encore, le Parlement fait face aux défauts non corrigés par la loi organique relative aux lois de finances : nous n’avons aucune prise sur les dépenses de guichet et, dès que le guichet est ouvert librement à tous, la dépense explose.

Derrière le problème financier de la sous-budgétisation de l’AME se cache en réalité la question du fonctionnement même de ce dispositif.

Créée en 2000 sous le gouvernement de Lionel Jospin, l’AME permet aux étrangers en situation irrégulière, mais aussi aux personnes placées en rétention administrative ou en garde à vue lorsque leur état de santé le justifie, de bénéficier d’un accès aux soins. Ce droit d’accès est accordé également aux ayants droit de ces personnes.

La France s’honore de sa propre générosité. Malheureusement, pour reprendre cette phrase bien connue de l’ancien Premier ministre Michel Rocard, « La France n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre sa juste part ».

M. Yves Daudigny. Qu’est-ce que cela vient faire là ?

M. Vincent Delahaye. Quelle est cette « juste part » ? L’AME était conditionnée au paiement d’un droit de timbre de 30 euros depuis l’adoption des dispositions proposées par le gouvernement Fillon, en 2011. L’objectif était de freiner la dynamique de la dépense tout en gardant un accès ouvert aux soins.

Ce droit de timbre a été supprimé lors du projet de loi de finances rectificative de l’été 2012 par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

Quel est le bilan ? Créditée de 233,5 millions d’euros en 2005, l’AME dépasserait aujourd’hui les 700 millions d’euros, d’après le rapport de Francis Delattre, rapporteur spécial. D’autres, comme moi, estiment que nous serions proches du milliard d’euros…

La suppression du droit de timbre a sans doute trop largement ouvert l’accès à un dispositif accusé de favoriser le tourisme médical et la fraude. Mais un problème d’équité se pose également, car l’AME est plus favorable que la CMU ! Où est l’équité dans l’accès au soin entre les étrangers en situation irrégulière et les personnes en situation régulière ?

Bien évidemment, nous ne pouvons pas nous passer d’un tel dispositif pour des raisons à la fois sanitaires, mais aussi morales. Toutefois, la France tend à prendre à sa charge une part de la misère du monde plus grande que celle qui devrait justement lui revenir.

Il n’y a pas de solution simple au problème de l’AME. Couper dans des crédits sous-budgétisés aurait le mérite d’envoyer un signal, mais ne résoudra pas le problème.

Idem pour le droit de timbre. Faire payer une fois 30 euros ne permettra pas pour autant de financer le dispositif et ne dissuadera pas spécialement d’y avoir recours. Pour autant, cela ne m’a pas empêché de déposer par deux fois un amendement visant à rétablir cette mesure. Au-delà de la question financière, il nous faut lutter contre les filières qui font la promotion du tourisme médical en France en profitant des failles administratives du système de fonctionnement de l’AME.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Vincent Delahaye. Pour ma part, je crois que l’instauration d’un ticket modérateur – c'est-à-dire le paiement d’une somme réduite, mais à chaque prestation, pour accéder à un panier de soins défini limitativement – serait une voie intéressante à suivre.

Toutefois, n’étant pas un spécialiste des questions de santé, j’appelle le Sénat à prendre ce sujet à bras-le-corps et à créer une mission d’information ou un groupe de travail afin que nous puissions, au-delà des signaux politiques envoyés au Gouvernement, trouver de véritables solutions. Avec notre rapporteur spécial, Francis Delattre, et de nombreux autres collègues qui partagent cette position nous sommes prêts à aider le Gouvernement à agir. Je peux en témoigner, il y a au moins deux ans – je ne siégeais pas au Sénat auparavant - que nous abordons cette question lors des débats budgétaires. À chaque fois, le Gouvernement s’engage à prendre des dispositions pour limiter la dérive du dispositif, mais nous ne voyons toujours rien venir !

Aussi les sénateurs du groupe UDI-UC ne feront-ils pas obstacle à l’adoption des crédits de cette mission, en dépit de tous les défauts dont elle est accablée, à condition que le Sénat suive les positions de son rapporteur spécial. Il importe en effet, au travers de l’amendement que la commission des finances va nous proposer, d’interpeller le Gouvernement, de l’appeler à mener une action énergique afin de mettre un terme à la dérive des crédits de l’AME, qui, nous le savons, sont aujourd'hui sous-budgétisés. Il faut vraiment prendre le sujet à bras-le-corps et nous espérons que ce sera fait dans les semaines à venir. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, deux impératifs me semblent devoir guider l’examen de la mission « Santé » de ce projet de loi de finances pour 2015.

En premier lieu, cette mission nécessite, pour être appréhendée dans sa réalité, un effort de recul particulier, puisqu’elle ne constitue qu’une part des financements de notre protection sociale. Cet effort d’appréhension globale est d’autant plus nécessaire que la santé ne doit plus se décliner de manière cloisonnée par secteur, mais doit être analysée de manière transversale autour des trois piliers définis par la stratégie nationale de santé, en matière de prévention, d’organisation des soins et de démocratie sanitaire.

Il nous faut donc tenir compte des mesures de restructuration et de clarification des financements déjà engagées et de celles qui sont à venir, dans le cadre du projet de loi de santé publique.

Ce budget constitue, dans cette perspective, une étape de transition.

Il s’inscrit, en second lieu, dans l’effort collectif de redressement des comptes publics et de maîtrise des dépenses.

Ces deux considérations préalables nous permettent d’apprécier à sa juste valeur le montant global des crédits de la mission, portés à 1,2 milliard d’euros en 2015, soit, à périmètre constant par rapport aux crédits inscrits en loi de finances initiale pour 2014, une progression de 3 %.

Cependant, les deux programmes concernés par ces crédits recouvrent des réalités différentes. L’un s’inscrit dans le moyen et le long terme ; l’autre répond, pour l’essentiel, à un impératif immédiat de santé publique. Ils ne sont donc absolument pas comparables.

Le programme 204, relatif à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l’offre de soins, connaît, pour l’ensemble de ses huit actions, une augmentation de crédits de 0,87 %, avec, toutefois, une certaine disparité, en raison des modifications de périmètres réalisées ou à venir et l’engagement d’une première étape de rationalisation pour 2015, conformément aux recommandations de la Cour des comptes.

Par exemple, la réunion des centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles – les CIDDIST – avec les centres de dépistage anonyme et gratuit du virus de l’immunodéficience humaine et des hépatites – CDAG – permet leur intégration dans les structures financées par l’assurance maladie et la création d’un service unique. Cette mesure figurait à l’article 33 du projet de loi de financement de la sécurité sociale et nous l’avons largement approuvée, de même qu’elle a recueilli l’accord des associations.

Le Gouvernement a également entendu marquer prioritairement son soutien à la politique de prévention. Celui-ci se traduit par une dotation aux projets régionaux de santé dans le cadre du Fonds d’intervention régional, le FIR, par une dotation de plus de 130 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 247 millions d’euros de l’assurance maladie.

Par ailleurs, la nouvelle convention d’objectifs et de gestion de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, assure au fonds de prévention une progression de 7,3 % de ses crédits entre 2013 et 2017, soit 455,4 millions d’euros.

Le réseau d’opérateurs sanitaires, en partie financé sur le programme 204, dont la réorganisation est nécessaire, comme le relève à juste titre le rapporteur pour avis de notre commission des affaires sociales, fait l’objet d’une restructuration et participe à la maîtrise des coûts.

L’article 42 du projet de loi de santé, outre des mesures de simplification de certaines procédures, prévoit à cet égard la création d’un nouvel établissement public, l’institut national de prévention de veille et d’intervention publique, qui fusionnera l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, l’Institut de veille sanitaire, l’INVS et l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, l’EPRUS. La voie de l’ordonnance s’impose-t-elle ? Nous aurons l’occasion d’en débattre.

Globalement, les charges de service public pour les agences se réduisent de plus de 4 % en 2015, notamment grâce à des efforts de gestion, qui ont permis à l’EPRUS des économies sur le programme de renouvellement des produits et le dispositif de stockage, ainsi que sur ses dépenses de fonctionnement.

L’action n° 19, Modernisation de l’offre de soins, connaît également un changement de périmètre. Deux opérateurs de l’État, le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière, le CNG, et l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, l’ATIH, pour partie financés par l’action n° 19 sur la part de subventions pour charges de service public, seront financés par l’assurance maladie à partir de 2015.

De la même manière, le financement de la formation médicale initiale est transféré de la part des dépenses d’intervention à l’assurance maladie.

Les autres dépenses d’intervention de l’offre de soins restent stables pour les subventions allouées à l’Agence des systèmes d’information partagés de santé, ASIP Santé, et augmentent de près de 2,5 millions d'euros pour l’agence de santé de Wallis-et-Futuna.

Nous ne pouvons donc nous en tenir à la seule lecture comparée du montant global de subvention par action sans décomposer les crédits et examiner les raisons de certains écarts.

J’en viens au second programme de la mission, dédié à l’accès aux soins des personnes les plus défavorisées.

Est prévue pour 2015 une dotation de 632,6 millions d’euros pour l’aide médicale d’État dite « de droit commun », de 40 millions d’euros pour l’AME pour soins urgents, de 4,9 millions d’euros pour l’AME « humanitaire », accordée sur décision individuelle.

Sont également couvertes les évacuations sanitaires vers d’autres hôpitaux de personnes étrangères résidant à Mayotte, ainsi que les frais pharmaceutiques et les soins infirmiers des personnes gardées à vue.

Une ouverture de 155,1 millions d’euros complémentaires est également prévue en loi de finances rectificative pour 2014, mais la dette de l’État envers l’assurance maladie n’est pas totalement couverte.

Le Gouvernement a par ailleurs rétabli, ce qui est une excellente décision, sa participation au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, à hauteur de 10 millions d’euros.

Chers collègues, nous allons, dans quelques instants, sur l’amendement n° II-1 adopté par la nouvelle majorité de la commission des affaires sociales, rouvrir un débat récurrent, et un débat, je me dois de le dire, nécessairement malsain.

En effet, quelle que soit l’intention des signataires de cet amendement, qui a pour objet de restreindre l’accès aux soins pour les personnes les plus défavorisées, quitte à mettre la population en danger et quitte à ce que retards ou renoncements à se soigner coûtent au final bien plus cher à la collectivité, cette proposition ne peut être dissociée de la surenchère médiatique à laquelle se livrent aujourd’hui certains candidats à la candidature, jusqu’à proposer la suppression pure et simple de l’aide médicale d’état.

Je le dis d’une façon solennelle, il est donc des femmes et des hommes politiques qui se disent responsables et qui sont prêts à laisser sans soins les étrangers irréguliers qu’il faudra bien pourtant hospitaliser lorsqu’ils seront au plus mal. C’est une absurdité, et c’est une honte.

Tel était d'ailleurs le système suédois, avant le déplacement en 2006 du rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à la santé. Choqué par les méthodes discriminatoires d’un pays se targuant par ailleurs de sa tradition d’accueil, Paul Hunt a, par son rapport, permis, avec l’appui notamment de la Croix-Rouge, de changer la législation.

Vous avez certes simplement souhaité, monsieur le rapporteur pour avis – je vous cite –, « envoyer un signe ». Mais à qui ?

M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Au Gouvernement !

M. Yves Daudigny. Aux demandeurs d’asile ou simples clandestins poussés par les guerres, les traitements inhumains, la crise ? Pensez-vous réellement qu’ils percevront ce signe et resteront là où ils sont ? S’il s’agit de filières qui monnayent les passages, croyez-vous que 30, 50 ou même 100 euros les arrêteront ?

M. Vincent Delahaye. Continuons de ne rien faire !

M. Yves Daudigny. Ce signe auquel vous semblez tant tenir, puisque vous y revenez, est bien reçu, mais par d’autres, ici, pour nourrir des fantasmes et des haines qui risquent de vous dépasser.

Nous reviendrons, sur l’article, aux raisons de fond, c’est-à-dire de santé publique, qui s’opposent absolument à une telle mesure, mais aussi aux coûts qu’elle engendrerait.

Vous vous placez malheureusement de nouveau, avec cet amendement, sur le terrain de l’exclusion, alors que nous aurions pu nous retrouver sur le terrain de la rationalisation, pour améliorer, si besoin et si possible, les nombreuses mesures d’ores et déjà prises. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, chers collègues, je ferai deux séries de remarques sur les deux programmes contenus dans cette mission « Santé ».

Concernant le programme 183, « Protection maladie », en hausse de 13,7 %, madame la secrétaire d'État, tout d’abord, nous saluons la prise en compte de la réalité des besoins concernant l’aide médicale d’État et l’augmentation de ce budget, car il ne sert à rien, mais nous en reparlerons, de fermer les yeux et d’ignorer cette réalité.

Nous nous félicitons également que l’amélioration des délais de traitement des dossiers du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, dont la durée était préoccupante, voilà peu encore, ait été prise en compte par une contribution spécifique de 10 millions d’euros de l’État.

Cet effort est à saluer, mais nous restons vigilants, car, à la suite des travaux que j’ai pu mener sur le sujet avec mes collègues du Sénat au sein du comité de suivi sur l’amiante, je crains que nous n’ayons bientôt à prendre en compte une nouvelle génération de victimes de l’amiante, liée, cette fois, aux conditions dans lesquelles s’organisent trop souvent les activités de désamiantage, si des mesures énergiques ne sont pas prises rapidement.

Le budget prévisionnel du programme 183 nous convient donc tout à fait, et nous voterons contre les amendements qui prévoient de limiter l’accès à l’aide médicale d’État tel qu’il est actuellement réglementé. Je rappelle en effet que l’AME est attribuée sous condition de ressources. Les personnes dont les revenus sont inférieurs à 780 euros par mois doivent, par ailleurs, répondre à un certain nombre d’autres conditions et contrôles.

Aux collègues qui comptent soutenir ces amendements, je voudrais rappeler, au nom de notre groupe, ce que plusieurs rapports soulignent.

L’instauration d’un droit de timbre de 30 euros dû par les bénéficiaires de l’AME a certes contribué au ralentissement de l’augmentation de la dépense liée au dispositif en 2011. Mais c’est une économie en trompe-l’œil : les personnes concernées ont en effet reporté leurs soins, et leur état de santé s’est dégradé. In fine, elles ont dû se tourner vers des soins hospitaliers beaucoup plus lourds et donc beaucoup plus coûteux, ce que soulignent d’ailleurs très bien deux rapports rendus à ce sujet par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et par l’Inspection générale des finances, l’IGF.

Ces amendements renvoient à une conception des économies en santé publique totalement court-termiste et contre-productive. Certaines études récentes, telles que l’étude du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique de 2013, montrent, à l’inverse, que l’ouverture de droits et d’accès à la santé pour des populations précaires permet, assez rapidement, de réduire les maladies et donc les dépenses publiques.

Derrière ces amendements s’exprime une position qui ne nous paraît pas responsable pour ce qui est de la sécurité sanitaire. Des épidémies comme la tuberculose, par exemple, épidémie liée à la misère, n’ont malheureusement pas disparu de notre pays.

Sur un plan plus politique, nous décelons également des considérations électorales. Cette volonté de stigmatiser des personnes particulièrement fragiles est une façon de diviser le pays, en faisant croire à certains de nos concitoyens en difficulté que les étrangers sont responsables de tous les maux.

Nous pensons, nous aussi, que ces propositions ne procèdent pas d’une attitude responsable. Attention à ne pas alimenter des fantasmes, des haines qui, là encore, pourraient nous dépasser !

Le second programme de la mission, le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », accuse une baisse de 25 % de ses crédits, ce qui nous inquiète.

Apparemment, d’autres actions seront menées sur d’autres budgets, mais je n’ai pas bien compris lesquels. La situation me semble particulièrement inquiétante, car les baisses concernent essentiellement des budgets consacrés aux structures et à des actions de prévention.

Il semble que, dans la prochaine loi relative à la santé, il devrait être mis davantage l’accent sur la prévention, ce qui est une bonne chose, et sur le rééquilibrage de la politique de santé entre actions curatives et actions préventives.

Baisser ces budgets nous paraît donc être en contradiction totale avec la nécessité de développer la prévention. Encore une fois, quand on regarde dans le détail, il s’agit d’actions portant sur la santé des populations en difficulté, du programme contraception et des actions de lutte contre les violences faites aux femmes, contre les mutilations sexuelles, contre les risques infectieux – VIH, tuberculose et autres –, contre les maladies chroniques, contre les risques liés à l’environnement, ainsi que du financement du plan national santé environnement, qui vient d’être adopté. Ces arbitrages nous paraissent dommageables.

Nous déterminerons la position de notre groupe après l’examen des amendements.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le budget de la mission « Santé » n’échappe pas, hélas, aux politiques de restriction budgétaire.

En effet, les crédits du programme « Prévention, sécurité sanitaire et offres de soins » diminueront de 25 % en 2015.

Cette réduction des moyens consacrés à la prévention nous paraît extrêmement préjudiciable pour la population, alors même que les associations et les organismes de prévention rencontrent des difficultés pour organiser leurs missions.

Ainsi, en diminuant les crédits consacrés à la prévention des maladies chroniques de 5,6 %, le risque est grand de voir se développer certaines d’entre elles. Cette baisse est d’autant plus étonnante que ces maladies chroniques représentent les deux tiers des dépenses de l’assurance maladie.

Madame la secrétaire d'État, quand à La Réunion, par exemple, le diabète touche près de 10 % de la population, ne croyez-vous pas que le rôle joué par la prévention est primordial pour mener une politique efficace contre cette maladie ? Quand les crédits consacrés à la prévention des risques liés à l’environnement, au travail et à l’alimentation diminuent de 1,4 %, ne croyez-vous pas que les travailleurs peuvent légitimement s’inquiéter, alors même que les maladies liées au travail représentent un cinquième des dépenses de santé ? En diminuant les crédits consacrés à l’éducation à la santé de 4,2 %, ce sont des missions aussi essentielles que les actions de prévention bucco-dentaire en milieu scolaire que l’on fait disparaître, ce qui entraîne un risque sanitaire pour les jeunes.

Cette baisse concerne également les actions menées pour lutter contre les pratiques addictives et à risques. Là aussi, je suis inquiète de la réduction des crédits, alors même que le tabac, l’alcool, les drogues continuent à faire des ravages parmi toutes les catégories de la population. Je ne manquerai pas de développer plus avant mon propos lors de l’examen des crédits dédiés à la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la MILDECA.

On nous renvoie souvent à la future loi relative à la santé, mais, au vu de la baisse des crédits, cela ne suffit pas à apaiser nos fortes inquiétudes quant à l’engagement du Gouvernement dans la prévention des maladies.

Puisqu’une ligne budgétaire est consacrée à la santé mentale, notamment pour soutenir les acteurs associatifs, j’en profite pour dire ici que ce volet est très insuffisamment traité dans le projet de loi relatif à la santé. Vous le savez, madame la secrétaire d'État, certains professionnels demandent d’ailleurs une loi spécifique, avec des moyens à la hauteur des problèmes.

En résumé, nous considérons que les politiques de prévention sont un investissement pour l’avenir, car elles permettent de réduire les risques avant la survenue des maladies. Or, pour être efficaces, les politiques de prévention des maladies et de promotion de la santé doivent être considérées de manière globale, en agissant sur les facteurs de risques sanitaires, sociaux, économiques. Cela est d’autant plus vrai que la pauvreté a encore explosé avec l’approfondissement de la crise.

J’en termine avec ce programme en exprimant toute mon inquiétude au regard des efforts également demandés à l’ANSM, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, qui, en 2015, dans un contexte de rationalisation des effectifs, est « appelée à contribuer aux efforts d’efficience et de productivité demandés aux opérateurs de l’État ». Cette recherche d’efficience se traduit par la perte de vingt emplois équivalents temps plein. Membre du conseil d’administration de cette agence et convaincue de l’importance de son rôle pour éviter de nouveaux scandales sanitaires, je ne peux qu’être perplexe à la lecture de ces lignes.

Venons-en au programme 183.

L’effort de la solidarité nationale en faveur de l’accès aux soins et de l’indemnisation des publics les plus défavorisés complète l’intervention de la sécurité sociale. À ce titre, l’État intervient pour garantir l’accès aux soins pour les étrangers en situation irrégulière et procède à la juste indemnisation des victimes de l’amiante.

Or les crédits affectés au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante demeurent inchangés par rapport à 2014, alors que le nombre de demandes d’indemnisation a progressé de 18 %. Cet écart entre le nombre de demandeurs et le montant versé par le fonds d’indemnisation doit nous amener à raccourcir les délais de traitement des demandes et à renforcer les moyens des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, les CARSAT, notamment celle de Nord-Picardie, qui connaît des difficultés pour répondre rapidement aux demandeurs.

Enfin, permettez-moi d’aborder le sujet de l’aide médicale d’État, l’AME, dont nous aurons l’occasion de débattre lors de la discussion des amendements déposés par des sénateurs de droite.

En effet, je voudrais rappeler les raisons qui ont poussé l’État à intervenir en complément de l’assurance maladie pour les personnes vivant sur notre territoire. Historiquement, la politique d’accueil et d’asile en France a conduit à la création d’une aide médicale gratuite pour financer les dépenses liées aux soins des personnes non affiliées à l’assurance maladie, sans distinguer si leur situation était régulière ou non.

La droite et son extrême n’ont jamais cessé de s’attaquer à ce dispositif, en stigmatisant les étrangers qui bénéficieraient de prestations indues. Je souhaiterais rappeler certaines vérités au sujet du coût de l’AME et des risques qu’entraînerait la réduction du niveau de couverture des étrangers sans papiers, car en période de crise, la politique du « bouc émissaire » rencontre, hélas, un écho favorable !

Selon le rapport de 2010 de l’Inspection générale des affaires sociales sur l’aide médicale d’État, l’augmentation des dépenses de l’AME ne s’explique pas par une croissance massive du nombre de bénéficiaires, puisque celui-ci n’a pas connu de progression notable. Ainsi, près de 50 % des bénéficiaires de l’AME ne recourent pas aux prestations dont ils pourraient bénéficier. Il n’y a donc pas, contrairement à ce que répète Nicolas Sarkozy, une augmentation du nombre des étrangers qui viennent en France pour profiter de notre générosité.

Par ailleurs, si le coût global de l’AME augmente, il faut rappeler que le bénéficiaire de l’AME consomme en moyenne 1 741 euros de soins, tandis que le bénéficiaire de la CMU-C, la CMU complémentaire, consomme 2 606 euros. Les prestations servies aux bénéficiaires de l’AME sont ainsi inférieures à celles dont bénéficient les assurés au titre de la CMU-C, alors même que ces derniers ont droit au bénéfice d’un panier de soins.

Réduire le périmètre de couverture des étrangers sans papiers est une proposition populiste, dont la mise en œuvre conduirait à des risques sanitaires certains.

Enfin, la proposition tendant à instaurer un droit d’entrée pour l’AME conduirait, selon le rapport de l’IGAS, au retardement de la prise en charge médicale, et donc à un recours tardif à l’hôpital, nettement plus coûteux. Quand on fait une proposition, il faut bien en mesurer le coût !

Le groupe communiste républicain et citoyen votera contre les crédits de l’ensemble de la mission « Santé », qui entérinent malheureusement la diminution des moyens attribués à la santé en termes de prévention et d’éducation à la santé, ne sont pas suffisamment ambitieux et ne répondent pas aux besoins de notre pays.