M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les chefs d’État et de Gouvernement du G20, réunis à Brisbane les 15 et 16 novembre, ont mis au cœur de leurs travaux, avec notamment l’impératif de la transparence fiscale et le climat, les mesures destinées à stimuler la croissance.

En effet, les indicateurs économiques mondiaux sont préoccupants, et ceux de la zone euro le sont encore plus. Au troisième trimestre, malgré le léger rebond de la croissance française, qui s’établit à 0,3 %, l’investissement des entreprises a chuté de 0,1 %, après connu un recul de 0,5 % au trimestre précédent. Dans le même temps, l’Allemagne, qui caracolait en tête, fait face à un ralentissement incontestable de son économie, après avoir évité de peu la récession.

Notre continent est sous la menace d’un risque déflationniste, combinant une croissance atone et une faible inflation, ce malgré la politique très souple de la BCE, qui a récemment abaissé son principal taux directeur à 0,05 %.

C’est dans ce climat morose que la Commission présidée par Jean-Claude Juncker a pris ses fonctions, au début du mois de novembre. Dès le 15 juillet, alors que sa nomination était confirmée par le Parlement européen, l’ancien Premier ministre luxembourgeois avait pour ambition de mobiliser 300 milliards d’euros d’investissements publics et privés dans l’économie réelle au cours des trois prochaines années.

Le 12 octobre dernier, le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, M. Macron, invoquait, au sujet de ce plan européen de relance par l’investissement, une formule presque magique en déclarant : « L’Europe a besoin d’un New Deal. »

Les détails de ce plan ne sont pas encore précisément connus. C’est ce que nous avons retenu de votre réponse, monsieur le ministre, lorsque vous fûtes interrogé, le 30 octobre dernier, dans le cadre de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, par Jacques Mézard.

Cependant, vous avez alors relevé l’un des freins au retour de la croissance en Europe, à savoir le manque d’investissements publics et privés, indiquant que leur montant avait diminué de 20 % environ depuis la crise de 2008.

Une inquiétude existe au plan européen, mais elle est présente aussi à l’échelon local. C’est ainsi que nous appréhendons le plan d’économies que le Gouvernement entend imposer aux collectivités locales qui, nous le savons tous, sont une force d’investissement dans nos territoires. Nous aurons l’occasion d’en reparler demain, lors de l’examen du projet de loi de finances.

Revenons maintenant à l’Europe.

Comme l’a déclaré M. Juncker à l’occasion de sa prise de fonction, la Commission est celle « de la dernière chance ». L’euroscepticisme n’a jamais été aussi fort, notamment parce que l’Europe a très peu montré jusqu’à présent qu’elle pouvait être une puissance et que, reconnaissons-le, elle ne fait pas grand-chose pour emballer les foules.

Le plan en cause n’est pas le premier du genre. En 1993, peu avant de quitter la présidence de la Commission, Jacques Delors avait mis sur pied un grand plan d’investissement pour la croissance, resté lettre morte.

Plus récemment, en 2012, les pays européens se sont accordés autour d’un pacte pour la croissance et l’emploi, qui n’a pas eu les effets escomptés.

Aujourd’hui, la zone euro a un besoin urgent – je dirais presque vital – d’investissements, et la relance de la croissance doit se faire prioritairement à l’échelon européen. Ce plan suscite donc de l’espoir, mais également des interrogations, que vous contribuerez, nous l’espérons, monsieur le ministre, à dissiper.

S’agissant de son montant tout d’abord, si 300 milliards d’euros représentent une somme importante, est-ce pour autant suffisant ? Pour certains observateurs, ce montant ne permettrait pas, à lui seul, de relancer la croissance du continent.

Pour ce qui est du financement, ensuite, M. Juncker a annoncé que ce plan ne contribuerait pas à alourdir la dette des États. Nous souscrivons à cette déclaration. De ce fait, c’est la Banque européenne d’investissement qui devrait se trouver au cœur du dispositif. Quel sera son rôle ? Comment s’articulera la relation entre la BEI et la Commission ? Quels investissements seront concernés ?

Le Président de la Commission européenne a défini quatre orientations prioritaires : les chantiers d’infrastructures dans les domaines de l’énergie, des transports, les réseaux numériques, ainsi qu’un volet social aux contours encore flous.

Monsieur le ministre, pouvez-nous nous éclairer ou, à défaut, nous informer sur la méthode que le Gouvernement entend privilégier au cours de la préparation du prochain Conseil européen des 18 et 19 décembre, à propos du pilotage au plan tant communautaire que national et du choix des projets ?

Par ailleurs, comment ces projets s’articuleront-ils avec le déploiement des fonds européens, dont la programmation a été lancée récemment pour les années 2014 à 2020, et qui seront majoritairement pilotés par les régions ? Ces fonds devraient correspondre en France à des subventions à hauteur de 7,7 milliards d’euros en faveur de l’innovation, du soutien aux PME et aux infrastructures de très haut débit dont nous avons tous besoin, et à près de 10 milliards d’euros en faveur de l’économie verte et de la transition énergétique.

Comment ce plan s’articulera-t-il également avec les project bonds, ces obligations de projets que M. Yung a évoqués tout à l’heure et dont l’émission est garantie par la Banque européenne d’investissement ? Le premier project bond à l’échelle française a vu le jour au mois de juillet dernier et porte sur les infrastructures numériques et le très haut débit.

Enfin, monsieur le ministre, comment ce programme d’investissements sera-t-il complété, à l’échelon national, avec la BPI, ou dans le cadre de propositions communes, avec l’Allemagne notamment ? Ce plan d’investissements doit – ce ne sera pas la moindre de ses ambitions – permettre de restaurer la confiance.

L’Union européenne représente la première économie du monde en termes de PIB. C’est aussi la première région exportatrice mondiale et la première destination des flux d’investissements, ne l’oublions pas.

Face à la concurrence internationale, afin de conserver cette place de tête, l’Union européenne, plus précisément la zone euro, doit se doter d’une politique économique commune et avancer vers plus d’harmonisation sociale et fiscale, notamment au titre de l’impôt sur les sociétés. Nous savons que ce dossier est particulièrement épineux, mais les révélations récentes relatives au « Luxleaks », lesquelles éclaboussent au passage M. Juncker, rendent son traitement incontournable.

M. Éric Bocquet. Absolument !

M. Jean-Claude Requier. Aux yeux des membres du RDSE, cette évolution doit nous mener vers la construction d’une Europe fédérale protégeant son économie et les droits de ses citoyens. Il nous faut une Europe puissante pour maîtriser et affronter la mondialisation, pour peser de nouveau dans le monde ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Sapin, ministre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à saluer l’initiative des membres du groupe socialiste, grâce auxquels nous pouvons évoquer aujourd’hui en séance publique le rôle de la France dans la relance économique de la zone euro. Bien sûr – je l’ai compris ainsi –, ce débat n’a pas vocation à faire l’apologie de l’action du Gouvernement en la matière.

Au reste, comment le pourrait-on ? Si je voulais faire du mauvais esprit, j’avancerais qu’il aurait été plus pertinent de débattre de l’inaction du Gouvernement…

M. Vincent Delahaye. L’impulsion politique du Gouvernement en faveur d’une véritable relance économique de la zone euro est à la fois trop mince et trop peu lisible pour mériter un véritable débat.

Avant de passer en revue les initiatives qui se sont succédé depuis deux années et demie, établissons le diagnostic économique de la zone euro.

Notre zone monétaire fait face à un véritable paradoxe historique. Construite pour assurer notre prospérité en transformant nos économies, elle est aujourd’hui devenue un pôle de stagnation de la croissance mondiale.

L’euro a été conçu pour permettre aux pays européens de sortir de la spirale de la dévaluation compétitive qui a ravagé les relations économiques européennes dans les années quatre-vingt.

En outre, la monnaie unique avait vocation à favoriser les échanges entre les États membres en annulant le risque de change dans les relations commerciales. D’un trait, la zone euro devait devenir le phare d’une prospérité enfin débarrassée de la guerre monétaire, d’une part, et du risque inflationniste, d’autre part.

Le bilan des dix premières années de mise en circulation de l’euro était plutôt flatteur : Jean-Claude Trichet se plaisait à répéter que la zone euro avait connu pendant dix ans une dynamique de croissance comparable à celle des États-Unis. Il affirmait qu’elle avait même créé plus d’emplois sur son territoire que ce qu’il était possible de mesurer outre-Atlantique.

Pourtant, notre zone monétaire est aujourd’hui frappée par la stagnation économique. Le chômage y touche plus de 11 millions de personnes, la croissance économique y est à peu près nulle et les déficits publics des États membres peinent à se résorber, alors que le pacte de stabilité avait vocation à nous imposer des règles de saine coordination budgétaire.

La situation est pire encore si l’on observe les dynamiques internes à la zone euro : les pays du nord, ou du moins ceux qui gravitent dans l’orbite économique de l’Allemagne – je pense par exemple à l’Autriche ou aux Pays-Bas –, ont connu de bonnes performances à l’exportation, des résultats notables en matière de déficits. L’Allemagne est ainsi à l’équilibre budgétaire. Inversement, les pays du sud du continent, notamment ceux qui ont été frappés par la crise de la dette souveraine, ont vu leurs performances à l’exportation stagner ou s’effriter à mesure que leurs déficits explosaient, parfois du seul fait du financement des plans de relance économique conduits entre 2008 et 2009.

Cette dichotomie témoigne du caractère hétérogène de la zone euro. Nous avons, au nord, des pays compétitifs, tournés vers l’innovation, l’industrie et l’exportation, de surcroît rigoureux sur le plan budgétaire. Au sud, nous trouvons a contrario des États atrophiés par un secteur public hypertrophié, des gains de productivité en baisse et des déficits publics non maîtrisés.

Cette situation a évolué sous l’effet des plans d’assainissement conduits par la troïka composée de la Commission européenne, de la BCE et du Fonds monétaire international, le FMI. Désormais, l’Espagne et l’Italie regagnent en compétitivité-prix du fait des efforts importants accomplis, notamment, quant au coût du travail.

Dans ce contexte, la France apparaît de plus en plus comme l’homme malade de l’Europe, comme une menace pour la reprise économique de la zone et non comme le fer de lance politique d’une ample stratégie budgétaire européenne.

En deux ans, les gouvernements de Jean-Marc Ayrault, puis de Manuel Valls n’ont pas su trouver la voie de la reprise économique. Aucune réforme structurelle n’a été menée, excepté la conclusion, en 2013, de l’accord national interprofessionnel.

M. Michel Sapin, ministre. Accord qui n’était pas si mauvais que cela !

M. Vincent Delahaye. Voilà quelques semaines, nous avons eu l’occasion de débattre du crédit d’impôt compétitivité emploi, le CICE. Ce dispositif s’est révélé non seulement mal ciblé, mais aussi moins intéressant économiquement qu’une véritable TVA compétitivité.

Aussi, on devine bien le sujet implicite de ce débat.

Sauf erreur de ma part, les élus socialistes comme les membres du Gouvernement misent sur le financement, par l’Europe, d’un plan de relance de grande échelle sur l’ensemble de la zone euro. À défaut d’avoir su trouver des sources de croissance sur les marchés émergents extérieurs, qui souffrent eux aussi du retournement progressif de la politique monétaire américaine, vous attendez désormais que l’Union Européenne prenne sur elle, sur son budget, sur sa capacité éventuelle à s’endetter auprès des marchés financiers, la responsabilité de financer une politique qui a laissé nos finances publiques exsangues.

Cette situation n’a rien de nouveau. En arrivant au pouvoir, le Président de la République s’était engagé à renégocier le traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ratifié au nom de la France par Nicolas Sarkozy, autour d’un pacte de croissance.

François Hollande avait promis d’arracher à la rigueur budgétaire allemande un plan de financement de la croissance économique pour la zone euro : ce sont les 120 milliards d’euros de 2012, qui n’étaient en réalité que la reconfiguration comptable de fonds déjà existants.

À toutes fins utiles, je rappelle que le plan de relance français de 2009 comptait 30 milliards d’euros de dépenses budgétaires ou fiscales, le jeu de nos stabilisateurs automatiques n’étant pas pris en compte. Les 120 milliards d’euros annoncés n’équivalaient donc qu’à quatre plans français, échelonnés sur plusieurs années et, qui plus est, englobant l’ensemble de l’Union européenne, donc de la zone euro.

Monsieur le ministre, convenez que c’était un peu court ! D’ailleurs, cette stratégie n’a pas fonctionné, puisque la situation économique de notre pays n’a cessé de se dégrader depuis sa mise en œuvre.

Le plan de 300 milliards d’euros d’investissements annoncé par Jean-Claude Juncker n’est pas censé nous dispenser des efforts de restructuration économique que nous n’avons pas accomplis, à la différence d’un grand nombre de nos voisins.

Emmanuel Macron a beau jeu de déclarer qu’il attend 30 milliards d’euros d’investissements en France par l’effet de ce plan : le président de la Commission européenne ne sait pas lui-même comment il pourra financer ce programme à cadre normatif et budgétaire constant !

J’ajoute que cette politique se résumerait à arroser du sable. Injecter des deniers publics dans une économie dont les gains de compétitivité s’effritent sous le poids de son secteur public, c’est la dédouaner de ses responsabilités budgétaires et lui faire miroiter une reprise facile et sans effort.

Shakespeare a écrit dans sa pièce Jules César que nous ne devions pas reprocher aux astres notre condition, qu’elle n’était imputable qu’à nous-mêmes. J’invite le Gouvernement à ériger cette formule en maxime personnelle.

Une seule voie raisonnable permettrait à la France de participer à la relance économique de notre zone monétaire.

En premier lieu, nous devons éviter de sombrer à notre tour dans la crise de la dette souveraine. Notre dette avoisine dangereusement les 100 % du PIB, soit près de 2 000 milliards d’euros. Notre exposition au retournement des taux d’intérêt est trop systémique pour que nous puissions attendre de bénéficier des subsides européens pour financer les efforts que vous ne voulez pas réaliser au titre de la dépense publique.

En second lieu, pour assurer une véritable politique française de relance économique, il faudrait saisir à bras-le-corps, une bonne fois pour toutes, le chantier de la compétitivité. La philosophie sous-jacente de l’euro est de permettre à nos économies de se tourner vers l’extérieur, vers le commerce international. Elle exige dès lors une attention constante à notre compétitivité-prix ou produit. Il faut innover à défaut de baisser nos prix, c’est la contrepartie de la stabilité monétaire offerte par l’euro.

J’entends d’ici les remarques : notre inflation étant très faible et le risque de déflation devenant de plus en plus menaçant, il faudrait creuser davantage encore nos déficits pour soutenir le niveau de nos prix et donc l’activité. Mais c’est ce que le Japon fait depuis plus de dix ans ! Or la dette publique de ce pays dépasse les 200 % du PIB, du fait de l’aversion au risque financier de son secteur privé. Parallèlement, cette mécanique infernale n’a pas permis de dégager des gains de croissance substantiels.

M. François Marc. Quant à vous, vous proposez d’augmenter la TVA…

M. Vincent Delahaye. De plus, cette situation n’est pas viable à long terme dans un espace monétaire composé de plusieurs pays aussi différents que ceux qui constituent la zone euro. En effet, substituer la dépense publique à la dépense privée reviendrait, dans nos économies ouvertes et monétairement unies, à appuyer les économies les moins touchées de la zone, l’Allemagne par exemple, sans soutenir substantiellement notre propre reprise économique.

Voilà résumé, en quelques mots, ce qu’il me semble nécessaire de retenir de l’inaction du Gouvernement sur ce front. Nous n’avons pas de solution miraculeuse à attendre pour échapper à cette crise qui frappe notre économie, nos entreprises et nos concitoyens. Dans ces conditions, la France ne saurait imposer à l’Europe de financer sur ses deniers les efforts que l’actuel gouvernement n’a su lui inspirer. Dès lors, avant de débattre de l’action de la France pour la relance de la zone euro, peut-être devrions-nous veiller à ne pas être ceux qui conduiront l’euro à sa perte. Ce débat, nous l’aurons dès demain, en ouvrant l’examen du projet de loi de finances pour 2015.

Puisqu’il me reste un peu de temps,…

M. Michel Sapin, ministre. Pas tant que cela !

M. Vincent Delahaye. … je tiens à répondre à mon collègue Richard Yung, même s’il n’est plus en cet instant dans cet hémicycle. À ses yeux, c’est la croissance qui réduira les déficits en France. Je suis en complet désaccord avec lui sur ce point. Certes, la croissance nous aiderait ; mais elle ne pourra revenir dans l’Hexagone tant que le niveau de dépenses publiques sera si élevé qu’aujourd’hui. Il atteint les 57 % du PIB. La croissance ne pourra procéder que de réformes structurelles,…

M. Éric Doligé. Tout à fait !

M. Vincent Delahaye. … grâce auxquelles nous mènerons l’assainissement budgétaire absolument nécessaire et même indispensable aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.

Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est sur l’initiative de nos collègues socialistes que nous discutons aujourd’hui de l’action de la France pour la relance économique de la zone euro. Il s’agit là d’un sujet capital. Toutefois, je dois vous avouer qu’il est à mon sens un peu trop tôt pour en débattre avec efficacité.

En effet, nous préemptons aujourd’hui le débat qui aura lieu le 10 décembre prochain, préalablement au Conseil européen. (M. le ministre opine.) Ce Conseil aura à se prononcer, dans un cadre qui sera peut-être quelque peu précisé d’ici là, sur le fameux plan de 300 milliards d’euros annoncé par M. Juncker. D’autres orateurs l’ont relevé avant moi : nous ne savons pas encore comment ce dispositif sera financé, dans quelles proportions il pèsera pour chacun des États membres, et quels seront, enfin, les principaux axes retenus.

Nous n’avons pas davantage d’informations quant au conseil franco-allemand, lequel est d’autant plus stratégique qu’il précédera le Conseil européen – il aura lieu le 1er décembre prochain.

Il est donc à mes yeux regrettable que la Haute Assemblée s’exprime sans pouvoir tenir compte de ces deux étapes importantes. C’est bien sûr le rôle du Parlement de parler, et c’est ce que je vais faire moi-même ! (Sourires.) Mais peut-être la majorité gouvernementale pourrait-elle veiller à ce que la parole ne se disperse pas trop.

Par ailleurs, à l’heure où la très légère reprise de la zone euro semble s’essouffler, le véritable sujet est de savoir quelle est la meilleure politique économique et d’assurer une bonne coordination à l’échelle européenne. À cet égard, je le dis franchement, je ne suis pas certaine que l’on puisse donner un satisfecit au Gouvernement. Nos débats sur les projets de loi de programmation des finances publiques, de financement de la sécurité sociale et de finances en attestent ou en témoigneront.

Monsieur le ministre, je suis obligée de vous le dire, la majorité de gauche s’est souvent trompée depuis 2012. La hausse de la fiscalité, pesant sur les entreprises comme sur les ménages, s’est faite à contretemps de nos partenaires européens. La majorité gouvernementale a porté atteinte à la confiance de nos entrepreneurs et de nos concitoyens

On en mesure aujourd’hui le résultat : malgré la hausse de la fiscalité, le rendement du recouvrement des impôts est en diminution d’une bonne dizaine de milliards d’euros cette année par rapport à vos prévisions. Voilà de quoi s’interroger sur le caractère contre-productif de votre politique !

Vous décidez ensuite tardivement de mettre en place un ersatz de TVA sociale ou de TVA anti-délocalisation, le CICE, dont vous commencez à vous rendre compte – nos débats le prouvent – qu’il fonctionne mal, puisque vous révisez à la baisse la provision budgétaire correspondante. Ce dispositif a suscité un effet d’aubaine mais reste inefficace en termes d’encouragement au recrutement.

Vous avez aussi compté sur le fait que la croissance mondiale tirerait l’économie française, ce qui vous dispensait, croyiez-vous, d’entreprendre des réformes nécessaires pour notre pays. Vous espérez aujourd’hui que les mesures du pacte de responsabilité et de solidarité auront un effet rapide. Ce n’est pourtant pas assuré.

Tout cela s’apparente à une véritable fuite en avant, monsieur le ministre !

Vous nous expliquez avoir découvert la gravité de la situation économique de notre pays, alors que plusieurs éminentes personnalités avaient déjà décrit la France comme étant au bord de la faillite.

Ce qui se passe dans la zone euro met en évidence les limites de vos choix économiques.

Ce sont en effet les pays qui ont courageusement, et parfois brutalement, choisi un ajustement rapide, dont l’économie redémarre : l’Allemagne, l’Espagne – c’était douloureux –, l’Irlande, ou encore le Portugal.

À cause de vos hésitations incessantes depuis plus de deux ans, votre stratégie a nourri le pessimisme et la prévention à investir. En conséquence, la France est en train de décrocher par rapport non seulement à l’Allemagne, mais aussi, désormais, à l’Espagne.

Votre marge de manœuvre est très étroite. Même la dépréciation de l’euro, dont un précédent ministre, M. Montebourg, était un fervent défenseur, est une option aléatoire. D’abord, elle ne se décrète pas, car la valeur de l’euro résulte de très nombreuses interactions ; ensuite, même si on l’oublie à force de payer l’essence toujours moins cher, un euro fort garde un effet positif sur les importations, dont le prix grimperait si cette monnaie s’affaiblissait.

Monsieur le ministre, le gouvernement socialiste a déjà épuisé le délai supplémentaire de deux ans octroyé par l’Union européenne à la France pour respecter les critères fixés. Vous l’avez consommé non pour rééquilibrer nos comptes, mais pour réduire beaucoup trop lentement la dépense publique, alors que notre niveau d’endettement continuait à augmenter. En choisissant de ne pas diminuer le déficit, vous hypothéquez l’avenir et vous nourrissez une longue période de croissance faible, voire de déflation.

L’échec de votre politique économique explique que le Gouvernement demande des investissements publics financés au plan européen. C’est d’ailleurs bien votre majorité qui évoque aujourd’hui une action pour la relance économique de la zone euro. C’est votre dernier mantra !

Mais ce chemin n’est pas aisé, et il peut se transformer rapidement en mirage. Une politique d’investissements publics, même transférée à l’échelle européenne, doit être pesée au trébuchet, si nous voulons qu’elle aboutisse vraiment à son objectif : créer des emplois.

Nous ne sommes pas en situation de dilapider l’argent public, fût-il européen. D’ailleurs, l’Europe ne s’endettant pas, l’argent européen est celui des pays membres, donc le nôtre. Certes, les taux d’intérêt étant bas, il est théoriquement aisé de trouver des investissements dont la rentabilité leur sera supérieure. Pour autant, s’agissant d’investissements publics, il faudra s’en assurer. En outre, il existe un risque réel si les taux d’intérêt venaient à remonter : la commission des finances estime qu’une hausse d’un point en 2017 coûterait 7,6 milliards d’euros au budget national.

Ensuite, il vous faut convaincre nos partenaires européens. Vraisemblablement, les négociations aboutiront à un accord donnant-donnant et ces financements profiteront à des pays qui mènent une politique de réforme. Sur quoi le Gouvernement français va-t-il alors s’engager ?

Dans cette perspective, la relation que vous entretenez avec l’Allemagne paraît particulièrement ambiguë. Pourquoi exiger d’elle 50 milliards d’euros d’investissements ? Pourquoi ne pas essayer de comprendre les vrais impératifs qui s’imposent à nos voisins ?

Mes chers collègues, l’Alsacienne que je suis, amie de Wolfgang Schäuble, peut en témoigner : l’Allemagne doit composer avec une croissance potentielle affaiblie par un impressionnant vieillissement démographique, perceptible dans les villes de ce pays. Elle doit en outre faire face à une concurrence internationale plus affûtée, à des salaires réels qui augmentent plus vite que la productivité et, par conséquent, à un recul de la légendaire profitabilité de ses entreprises qui inquiète déjà les dirigeants de celles-ci. Enfin, même si la demande intérieure progressait plus vite en Allemagne, il n’est pas vérifié que les entreprises françaises en bénéficieraient.

Vous l’aurez compris, nous doutons de l’efficacité d’un plan de relance et nous nous demandons s’il ne serait pas préférable d’envisager de soutenir l’investissement, par exemple par une fiscalité favorable aux entreprises, harmonisée avec nos partenaires européens. Permettez-moi de vous le rappeler, tous prélèvements confondus, les impôts acquittés par les entreprises de taille intermédiaire – les ETI – et les PME françaises sont supérieurs de 60 % à ceux que paient leurs homologues allemandes.

Selon nous, si une politique de relance devait être mise en œuvre, elle ne pourrait que prendre la forme d’un soutien à l’investissement des entreprises, en visant un effet multiplicateur élevé de l’investissement privé. Un tel soutien ne pourrait être réalisé qu’en menant en parallèle les indispensables réformes du pays. Il devrait, enfin, être conçu comme un levier pour faire converger les économies européennes.

Ce n’est pas parce que les récentes informations relatives aux perspectives économiques de la zone euro sont plus négatives que celles du printemps que le Gouvernement est fondé à demander une politique de relance.

Le manque de croissance s’explique aussi par la permanence de nos déficits publics et par le fait que notre épargne est principalement canalisée vers le financement de la dette publique. La consolidation budgétaire demeure donc une étape déterminante, de même que la réforme de l’État et de l’action des acteurs publics.

Effectivement, quelle croissance peut-on bien espérer avec un niveau de dépenses publiques s’établissant à 57 % du PIB, un niveau de prélèvements obligatoires historique atteignant 44,7 % du PIB cette année, et un niveau de dette qui va prochainement approcher les 100 % du PIB ?

Selon nous, monsieur le ministre, ce qui fera démarrer la croissance en France, c’est avant tout la confiance et la clarification de votre stratégie comme de la trajectoire de votre politique économique, de la politique fiscale et du prix de l’énergie ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)