PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’entends examiner la proposition de loi visant à supprimer le régime étudiant de sécurité sociale de manière constructive et sans aucun esprit de polémique.

J’ai déjà eu l’occasion de vous l’indiquer en commission, madame Procaccia : votre texte n’est pas dénué de qualités.

Tout d’abord, et c’est sans doute le point le plus important pour le nouveau sénateur que je suis, cette proposition de loi démontre que l’initiative parlementaire peut être le relais d’inquiétudes présentes chez nos concitoyens.

En effet, la qualité de service du régime étudiant de sécurité sociale constitue un sujet d’actualité récurrent. Vous l’avez rappelé à de nombreuses reprises : les rapports de la Cour des comptes, les actions d’organisations de consommateurs ou encore, de manière plus directe, les remontées concernant les régimes étudiants sur les réseaux sociaux témoignent sans conteste de l’importance de ce sujet dans l’esprit de nos concitoyens.

Les mutuelles ont déjà réalisé des efforts incontestables ces dernières années et ces derniers mois, mais ces efforts doivent être poursuivis.

Votre deuxième point d’entrée sur le sujet s’avère aussi dans l’air du temps : il s’agit du coût du dispositif existant. Dans un contexte de maîtrise des dépenses de l’État, vouloir examiner l’économie générale du système des mutuelles étudiantes constitue, à n’en pas douter, une intention louable pour les parlementaires que nous sommes.

Cependant, il n’est pas acquis, selon moi, que les difficultés financières de la LMDE soient dues seulement à un souci de gestion ; elles tiennent sans doute tout autant aux conditions financières de constitution de cette mutuelle, fondée avec des fonds propres négatifs.

Madame Procaccia, vous avez raison de vouloir tourner la page du fonctionnement actuel du régime étudiant de sécurité sociale. Mais votre proposition de loi, trop radicale, crée plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Vous vous êtes félicitée de ce que l’administration n’ait pas pensé à votre solution, que vous présentez comme facile. Je crains que ce ne soit surtout une solution de facilité. Vous avez affirmé en commission « vouloir sauver l’existence d’un statut social étudiant ». Je ne vois rien dans ce texte qui réponde à cet objectif.

Je comprends bien la nécessité de calmer rapidement les inquiétudes qui pourraient exister dans la population. Pour autant, est-il nécessaire d’étudier votre proposition de loi dans des termes aussi définitifs ? Le contexte médiatique, porteur, facilite la mise sur la table de solutions en apparence simples et efficaces. Cependant, en matière de protection sociale, il faut se méfier des évidences.

D’ailleurs, lors des travaux que vous aviez menés avec M. Kerdraon, trois scénarios avaient été à l’époque envisagés. Les conclusions de votre mission ont été approuvées par bon nombre de parlementaires, représentant quasiment tous les groupes de notre chambre. Je regrette que vous n’ayez pas poursuivi dans la recherche d’une autre voie. Vous avez in fine opté pour la solution la plus radicale et la moins rassembleuse. Vous voulez jeter le bébé, le régime étudiant de sécurité sociale et l’ensemble de ses acteurs, avec l’eau du bain, la LMDE et les difficultés qu’elle a traversées.

Je crois deviner les postulats de départ qui vous ont poussée dans cette voie.

La question de l’existence même du régime étudiant de sécurité sociale a été posée par certains ; il faut relever que nombreux sont ceux qui auraient intérêt à supprimer ce régime, notamment pour profiter d’un nouveau marché. J’observe à l’inverse qu’une majorité des acteurs de terrain soutient le régime étudiant et est prête à le faire évoluer.

Vous vous appuyez aussi sur une volonté de simplification louable. Mais on peut douter dans les faits que la suppression de la LMDE et d’emeVia simplifie réellement la vie des étudiants. Nombre de nos concitoyens relevant du régime général subissent aussi quelques tracasseries administratives !

Vous mettez en avant le souhait d’assurer une égalité de traitement entre jeunes étudiants et jeunes non-étudiants. En apparence, c’est une bonne intention, mais cela revient à nier les spécificités des étudiants, que vous aviez pourtant constatées lors de votre travail avec Ronan Kerdraon.

Vous pensez que la disparition des mutuelles étudiantes supprimerait les dysfonctionnements, notamment en ce qui concerne l’attribution des cartes Vitale. C’est oublier que ce ne sont pas les mutuelles étudiantes qui sont à l’origine de ces dysfonctionnements !

Vous prétendez enfin, et c’est là mon plus grand point d’inquiétude, maintenir l’intimité, le droit au secret et la confidentialité, évidemment nécessaire s’agissant de la santé des étudiants. Dans les faits, votre proposition de loi reviendrait en réalité à les considérer comme des majeurs sous tutelle. Cette confidentialité n’est pas qu’une question de principe : les acteurs que j’ai rencontrés m’ont tous fait part de leurs interrogations s’agissant des conséquences concrètes dans des cas d’IVG ou d’accès à la contraception, comme de leurs doutes sur notre capacité à faire vivre réellement un régime d’ayants droit autonome.

Mon dernier point concerne le calendrier de votre proposition de loi.

Vous avez d’abord déclaré dans la presse : « Si on ne trouve pas une solution dans deux ou trois mois, l’année prochaine, les étudiants ne pourront pas s’inscrire. » Dans le même temps, les amendements que vous avez déposés en commission et qui repoussent l’entrée en vigueur du dispositif démontrent clairement qu’il subsiste des incertitudes sur l’applicabilité immédiate de votre texte. Vous proclamez l’urgence d’agir, tout en préconisant des solutions que vous ne souhaitez voir s’appliquer que dans trois ans. C’est pour le moins paradoxal…

Plutôt que la solution radicale que vous proposez, il existe des possibilités, portées par de nombreux acteurs de la sécurité sociale étudiante, pour sauvegarder le régime. Je pense ici au double adossement – CNAMTS pour le régime obligatoire et MGEN pour le régime complémentaire de la LMDE –, qui pourrait largement assurer l’avenir.

Sur le modèle de la mutuelle générale de la police, il y a dix ans, le transfert du back office des mutuelles étudiantes à la CNAMTS peut également être envisagé, sans remise en cause nécessaire du duopole de gestion du régime obligatoire, ni de leur activité en régime complémentaire.

La LMDE et les sociétés mutualistes étudiantes régionales – SMER – qui constituent le réseau emeVia conserveraient un rôle pour l’affiliation, la prévention et l’éducation à la santé et au système de soin et l’activité de front office nécessaire pour cela. Elles pourraient également poursuivre leur activité complémentaire grâce au maintien du fichier d’affiliation au régime obligatoire. Le régime obligatoire et le régime complémentaire sont en effet étroitement liés dans le modèle étudiant.

L’infogérance informatique permettrait la réalisation d’une économie d’environ 15 millions d’euros par an pour les deux réseaux étudiants, dont 7 à 8 millions d’euros pour la seule LMDE. Le transfert du back office aux CPAM permettrait d’aller plus loin. Il convient d’ailleurs de noter, comme l’a relevé Mme la secrétaire d’État, que le coût de gestion des services informatiques réclamé par la MGEN à la LMDE, lequel représente près de 9 euros par étudiant affilié, soit 17 % du montant de la remise de gestion, est une des explications des difficultés rencontrées actuellement par la mutuelle étudiante.

Ce scénario limite l’impact social et peut s’appuyer sur la reprise d’environ 700 emplois en équivalent temps plein par la branche maladie, selon le périmètre exact de l’infogérance qui serait retenu, à un rythme soutenable. Les syndicats de la LMDE n’y semblent pas opposés.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si je reconnais à notre rapporteur le mérite d’avoir braqué les projecteurs sur un sujet qui en vaut la peine, je ne partage pas ses conclusions et voterai donc contre cette proposition de loi.

Si le statu quo n’est ni possible ni acceptable en matière de sécurité sociale étudiante, cela ne signifie pas que nous devions effacer tous les principes qui ont régi sa gouvernance depuis 1948. Cela ne signifie pas davantage que nous devions passer outre l’avis des étudiants, très majoritairement satisfaits de ce système. Comme le prouve une étude récente commandée par le réseau emeVia, 67 % des étudiants se disent satisfaits de leur mutuelle étudiante.

Hier, des organisations étudiantes de sensibilités différentes, sinon opposées, se sont unies. Grâce à vous, madame Procaccia, je dois le reconnaître ! Pour la première fois, les acteurs de la vie étudiante s’unissent pour organiser collectivement « les premières assises pour la défense du régime étudiant et de la santé des étudiants », en janvier 2015.

En attendant, ils appellent les pouvoirs publics et le Gouvernement à ne pas profiter de prétextes fallacieux pour renier leur engagement sur le régime et à ne pas brader un acquis étudiant sur l’autel d’intérêts politiques à la veille des élections universitaires. Ils ont raison.

J’ajouterai que, sur ce sujet central de la santé des étudiants, nous ne pouvons pas nous contenter d’une approche uniquement comptable.

Le régime étudiant de sécurité sociale, en développant un accompagnement par les pairs dans la maîtrise du parcours de soins, en produisant une expertise et en menant des actions de prévention au plus près des lieux de vie étudiants permet une acquisition progressive de l’autonomie sanitaire des jeunes et garantit une proximité vis-à-vis des assurés sociaux.

Une politique de prévention en direction des jeunes est d’autant plus efficace qu’elle s’appuie sur l’implication d’étudiants engagés.

Dans une période où la jeunesse est confrontée à des difficultés économiques et sociales, nous ne pouvons pas nous contenter de dispositifs administratifs de prévention. La prévention par les pairs et les solidarités humaines doivent donc être renforcées.

Je crois que, avec l’aide du Gouvernement et en s’appuyant sur les acteurs du régime étudiant de sécurité sociale et sur les propositions qu’ils formulent pour son évolution, on peut mettre en œuvre d’autres solutions pour assurer l’avenir de la santé étudiante. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’accès aux soins des étudiants, et plus largement des jeunes, est un sujet dont nous devons nous préoccuper de façon urgente.

En effet, 17,4 % des étudiants déclarent avoir renoncé à des soins pour des raisons financières au cours des six derniers mois, selon une étude réalisée par le réseau emeVia et le CSA à la fin de 2013. D’autres études donnent même des chiffres allant jusqu’à 35 %. Ces chiffres ne font que s’aggraver. Un jeune sur six et 19 % des étudiants n’ont pas de complémentaire, contre 5 % pour le reste de la population.

Tout cela témoigne bien d’un problème qui, loin de concerner un nombre minime de jeunes, est de grande ampleur.

Nous partageons les conclusions du rapport rédigé par Mme Procaccia et M. Kerdraon en 2013 sur la sécurité sociale et la santé des étudiants : le système de couverture santé des étudiants ne fonctionne plus.

Attentes interminables pour recevoir sa carte Vitale ou pour entrer en contact avec un conseiller, longueur des procédures de remboursement, difficulté à faire valoir son droit au tiers payant chez certains professionnels de santé qui redoutent de ne pas être remboursés par les mutuelles ou dans des délais trop longs, flou du statut même des organismes de sécurité sociale étudiants : tout cela contribue à accroître les difficultés des étudiants à accéder aux soins. Et c’est sans compter les problèmes de gestion financière des organismes mutualistes étudiants, qui dépensent notamment une proportion à mes yeux démesurée de leur budget pour la publicité, au détriment de tout le système de santé des étudiants.

Ces derniers sont victimes de la complexité du système actuel, qui n’a pas été prévu pour traiter autant de dossiers et qui doit gérer 1 700 000 jeunes, lesquels changent régulièrement de statut et doivent se réaffilier tous les ans.

Les changements de statut tout au long de la scolarité dans l’enseignement supérieur sont nombreux. Ils sont même multipliés par l’allongement de la durée des études, par la nécessité de faire des stages ou d’être en apprentissage ou encore par le besoin de travailler pour financer ses études devant la montée de la précarité dans de nombreuses familles. Cela concerne, selon de récentes études de l’Observatoire national de la vie étudiante, près de 40 % des étudiants ! Avec l’augmentation du coût de la vie étudiante, cette proportion risque encore d’augmenter.

Ces changements de statut impliquent autant de changements d’affiliation, qui créent davantage de complexité et renforcent l’illisibilité du système actuel.

La simplification des procédures administratives figure donc clairement parmi les réponses à apporter au plus vite pour que ces changements de statut soient réduits au maximum et que tous les étudiants aient facilement accès aux soins et à la santé.

Si nous rejoignons le constat de Mme Procaccia sur la nécessité de réformer promptement le système, nous ne sommes cependant pas partisans de la principale mesure inscrite dans sa proposition de loi, l’affiliation des étudiants au régime de leurs parents, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, ce système ne réduit que partiellement la complexité du système, en raison de l’existence de nombreux régimes spéciaux, auxquels peuvent être affiliés les parents. Nous sommes en revanche favorables à ce que soit menée une réflexion sur l’affiliation de tous les étudiants au régime général dès leur entrée dans l’enseignement supérieur. Une telle affiliation engendrerait d’importantes économies de gestion et éviterait une rupture des droits au moment du transfert d’un régime à un autre. La transition entre la situation d’étudiant et l’accès à la vie active serait également grandement fluidifiée.

Ensuite, nous sommes pour que l’on donne aux étudiants, ainsi qu’à tous les jeunes d’ailleurs, la plus grande autonomie possible dans la gestion de leur santé, comme dans le reste de leur vie. Nous voulons les considérer comme des individus indépendants, responsables, et non comme les enfants de leurs parents.

L’affiliation au régime général de tous les étudiants dès leur entrée dans l’enseignement supérieur tendrait à affirmer cette autonomie en leur permettant d’être les responsables de leur propre santé, sans risque d’intrusion de la part des parents.

Enfin, nous souhaitons qu’une réforme d’une telle ampleur soit préparée en gardant bien en tête toutes les conséquences de la disparition de la délégation de gestion de la couverture santé aux mutuelles étudiantes.

La proposition de loi dont nous discutons ne répond pas à la question du nécessaire renouvellement des mutuelles étudiantes en France. Nous sommes partisans du maintien et du développement de l’économie sociale et solidaire. Au-delà de la couverture maladie générale, il faut réfléchir sérieusement au redéploiement des mutuelles étudiantes dans une logique coopérative et de solidarité. Nous risquons, sinon, de glisser vers des dérives assurantielles qui correspondent, nous le savons bien, à une logique tout à fait différente et dont pourraient pâtir les étudiants, en particulier ceux qui sont dans les situations sociales les plus difficiles.

Comme vous l’avez indiqué, madame la rapporteur, se pose en outre la question de la transition : comment déverser 1,7 million de dossiers vers un régime général de sécurité sociale déjà très engorgé ? Cela ne peut pas se faire à coût constant. Il est nécessaire de bien anticiper cette transition pour ne pas avoir besoin de refaire une nouvelle réforme très rapidement et ne pas créer une situation finalement pire pour les étudiants que la situation actuelle. À cet égard, les orateurs précédents ont d’ailleurs indiqué des pistes. En tout cas, cela mérite réflexion.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, même si nous partageons le constat qui a conduit Mme Procaccia à nous soumettre cette proposition de loi et son souci de trouver vite une solution à cet important problème, nous ne pouvons pas voter ce texte en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la situation sanitaire et sociale des étudiants est particulièrement préoccupante.

Les étudiants, qui représentent plus de la moitié d’une classe d’âge, sont très fortement touchés par la précarité : 200 000 d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 400 euros par mois, et 50 % exercent une activité salariée pendant leurs études.

Cette situation sociale dégradée a des conséquences sur leur situation sanitaire. Ainsi, la santé est l’un des premiers postes de dépense sacrifiés par les étudiants : 20 % des étudiants ne possèdent pas de complémentaire santé, soit trois fois plus que l’ensemble de la population, et plus d’un tiers d’entre eux renonceraient à se soigner pour des raisons économiques.

La crise économique a, certes, contribué à dégrader leur situation, mais elle n’est pas seule responsable. Les mesures de déremboursement de médicaments qui se sont succédé ou la hausse du forfait hospitalier ont contribué à l’augmentation des frais de santé et alimenté cette dégradation.

C’est pour traiter cette population particulière et particulièrement sensible qu’a été créé, en 1948, un régime spécifique de sécurité sociale pour les étudiants. Ce régime a permis de reconnaître leur autonomie et de leur donner un droit à une prévoyance sociale particulière, au sein de laquelle ils sont représentés. Grâce à cette représentativité, ils peuvent participer et décider directement de la gestion du régime et valoriser les problématiques qui sont les leurs, dans leur intérêt et par la reconnaissance de leurs spécificités.

Nous ne songeons nullement à nier les difficultés de gestion que rencontrent les mutuelles étudiantes. Il est vrai que les modalités d’affiliation peuvent être complexes et que la variété des situations nuit parfois à la lisibilité du dispositif. Cela est d’autant plus vrai que le secteur est géré par plusieurs acteurs, La Mutuelle des étudiants et des mutuelles régionales, qui s’affrontent sur la gestion du régime général, mais également sur les couvertures santé complémentaires facultatives.

La complexité est encore accrue par le fait que le régime étudiant est un régime de transition entre l’affiliation au régime des parents et le régime professionnel. Les changements de régime peuvent se révéler compliqués et se traduire par de longues périodes sans affiliation et sans carte de sécurité sociale, même si, rappelons-le, c’est la CNAM, et non les mutuelles, qui a la charge de la délivrance des cartes vitales.

Il en résulte d’indéniables problèmes dans la qualité du service rendu : longues files d’attente, difficultés à contacter les mutuelles en cas de problème, etc.

Face à ce constat et à ces difficultés objectives, quelle réponse apporter ? Telle est, en fin de compte, la question que l’on doit se poser à l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi. Si cette dernière a des qualités, la solution que présentent ses auteurs ne doit sûrement pas être retenue. Elle consiste à supprimer purement et simplement les mutuelles étudiantes et, avec elles, le principe d’un régime de sécurité sociale étudiante spécifique, pour créer, à la place, une affiliation au régime de sécurité sociale des parents, avec un statut particulier, dont on voit mal les contours, qui permettrait une affiliation prétendument « indépendante ». On voit mal comment pourrait, en droit, être créé un tel statut, et c’est la raison pour laquelle nous ne souscrivons pas à cette proposition.

Je le répète, les membres du groupe communiste, républicain et citoyen n’entendent pas nier les problèmes du système actuel. Les difficultés, réelles, sont d’ailleurs héritées du passé ; je pense à la situation financière compliquée des mutuelles, mais aussi à la création, en 2010, de la taxe spéciale sur les conventions d’assurances, la TSCA, qui n’a pas amélioré cette situation, ainsi qu’à la diminution en cours de la remise de gestion, qui continue d’aggraver les problèmes.

Parce que les étudiants sont particulièrement fragilisés en termes d’accès aux soins, il nous semble, au contraire, qu’ils méritent le maintien d’une attention spécifique et le renforcement des moyens qui leur sont alloués. C’est pourquoi le régime de sécurité sociale étudiant, rare outil pensé pour cette population sensible et exposée, a, selon nous, son utilité.

Il va, du reste, dans le sens de l’autonomisation des étudiants que nous appelons de nos vœux. Nous militons en effet pour l’octroi aux étudiants d’une allocation d’autonomie qui leur permettrait de s’assumer entièrement, sans dépendre financièrement de leurs parents ni compromettre la réussite de leurs études avec un travail étudiant.

À cet égard, la suppression des mutuelles et l’affiliation des étudiants au régime de leurs parents ne peuvent nous satisfaire : non seulement cette solution consisterait à nier à la fois l’autonomie et l’intimité des étudiants, mais elle reviendrait, en outre, à se priver de l’expertise sur la situation sanitaire des étudiants à laquelle les mutuelles sont attachées pour mener des actions de prévention, de sensibilisation et d’accompagnement adaptées aux spécificités de ce public.

D’autres solutions sont envisageables et nous semblent préférables.

Ainsi, l’adossement des mutuelles à la CNAM doit être examiné. La gestion administrative – le traitement des feuilles de soin, etc. – serait confiée à la caisse, qui est compétente en la matière. Du reste, cette organisation permettrait d’améliorer la lisibilité du parcours et de gagner du temps dans le traitement des dossiers. Quant aux mutuelles, elles pourraient alors mieux se consacrer à leurs missions de régime complémentaire de prévention, d’accompagnement et d’expertise.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons contre cette proposition de loi, non amendable, et souhaitons, au contraire, que toutes les propositions alternatives de maintien et d’amélioration de la gestion des mutuelles étudiantes, y compris les pistes dessinées par le groupe de travail sur la sécurité sociale et la santé des étudiants, soient examinées d’urgence. À cet égard, urgence ne doit pas vouloir dire précipitation à imposer une solution dangereuse, qui conduirait à liquider purement et simplement le régime étudiant de sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.

Mme Hermeline Malherbe. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, les sujets faisant l’objet d’un consensus, dépassant le clivage gauche-droite, ne sont pas légion. La nécessaire réforme de la sécurité sociale des étudiants en fait partie.

Je tiens tout d’abord à féliciter Mme Catherine Procaccia ainsi que notre ancien collègue M. Ronan Kerdraon pour leur excellent rapport, qui constitue la base de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Le constat qu’ils dressaient à la fin de l’année 2012 est toujours d’actualité. Il est finalement bien résumé dans l’exposé des motifs de la présente proposition de loi : le système institué en 1948 n’a que peu évolué depuis ; il est source de complexité, de confusion et de lourdeur administrative.

Sa complexité tient au fait que la gestion des prestations obligatoires est déléguée à deux organismes, l’un, national, la LMDE, l’autre, régional, le réseau des onze sociétés mutuelles étudiantes régionales, ou SMER. Ces deux ensembles gèrent, dans un système concurrentiel, le régime de sécurité sociale obligatoire des étudiants.

Cette situation soulève plusieurs interrogations : qu’apporte un système concurrentiel dans le cadre d’un service public obligatoire ? Les étudiants bénéficient-ils réellement de cette concurrence ? Concrètement, qu’est-ce qui, aujourd'hui, pousse un étudiant à adhérer à telle mutuelle plutôt qu’à une autre ?

Mes chers collègues, permettez-moi de décrire très concrètement à ceux d’entre vous qui n’ont pas eu récemment l’occasion d’accompagner un étudiant lors de son inscription à l’université comment les choses se passent pour lui à ce moment.

Après plusieurs heures passées dans des files d’attente, ponctuées par de nombreuses étapes, telles que la constitution du dossier administratif, l’édition de la carte d’étudiant, le règlement de l’inscription à l’université, l’inscription au bureau des bourses, l’étudiant arrive dans un énième couloir ou dans une énième salle, avec, face à lui, deux stands : l’un aux couleurs de la LMDE, l’autre aux couleurs de la SMER régionale. À cet instant, un représentant de chaque mutuelle l’aborde, en lui indiquant que l’inscription à la sécurité sociale étudiante est obligatoire.

Imaginez ce jeune de 18 ans, puisque c’est l’âge moyen de la première inscription dans l’enseignement supérieur : il découvre un nouveau monde, dans lequel, entre mille informations qu’on lui délivre, on lui parle de la sécurité sociale, dont s’occupaient jusqu’alors ses parents.

Et à peine prend-il connaissance de son obligation d’adhérer au régime étudiant qu’on lui indique qu’il a le choix entre deux structures… Comment va-t-il choisir entre elles ? Tout simplement en allant s’asseoir à côté ou en face de celui qui l’aura le mieux « baratiné » ou qui aura été le plus prompt à l’accrocher ! (Sourires.) Et, voulant se débarrasser rapidement d’une contrainte administrative obligatoire, neuf fois sur dix, l’étudiant signera avec l’organisme représenté par celui avec lequel il aura commencé à discuter.

Je ne vois pas vraiment où est le bénéfice de la concurrence !

Et c’est aussi à ce moment que la confusion devient encore plus grande. Ce nouvel étudiant, sortant du lycée, à qui le système de sécurité sociale est peu familier – peut-être même ignore-t-il complètement ce qu’est une complémentaire santé ! –, ne risque-t-il pas de souscrire une complémentaire qu’il croit obligatoire ? A-t-il bien saisi que l’organisme qu’il a face à lui exerce une mission de service public tout en proposant une offre commerciale ?

On peut m’opposer que l’étudiant n’a qu’à prendre le temps de la réflexion et s’informer avant de signer avec une mutuelle, voire qu’il peut en changer ultérieurement. Mais, concrètement, l’étudiant va vouloir tout régler le plus vite possible pour en finir avec la paperasserie administrative. D'ailleurs, les transferts d’une mutuelle à l’autre en cours de scolarité sont complètement rarissimes.

Quant à la lourdeur administrative, elle se traduit par des retards de remboursement, des dossiers perdus, voire par une incapacité à maintenir un standard téléphonique efficace. C’est, en tout état de cause, ce que fait apparaître le rapport de Catherine Procaccia et Ronan Kerdraon.

Il me semble également nécessaire de réformer ce système dans une perspective correspondant à l’engagement du Président de la République, François Hollande, de procéder au choc de simplification.

Comment faire pour rendre le système plus simple, plus fluide et plus clair pour les étudiants ? Pourquoi éradiquer complètement, sans autre forme de procès, les mutuelles étudiantes ? Pourquoi ne pas avancer par étapes et suivre la première des solutions envisagées dans le rapport que je viens de citer, à savoir le transfert des compétences de back office au régime général ? Selon le rapport de Catherine Procaccia et Ronan Kerdraon, « il serait tout à fait envisageable que les mutuelles étudiantes conservent l’accueil physique, les courriers et les réclamations, mais que l’assurance maladie liquide les prestations, assure les contrôles et la gestion des fraudes, voire gère les affiliations en ce qui concerne le répertoire national interrégimes des bénéficiaires de l’assurance maladie ou les cartes Vitale ».

Les mutuelles conserveraient ainsi un rôle de front office, et donc de proximité. Elles pourraient alors se recentrer plus efficacement sur leurs offres de complémentaire santé. Je crois que tout le monde aurait à y gagner.

Si elle part d’un constat juste, la présente proposition de loi ne va pas dans le bon sens en retirant aux étudiants la possibilité d’avoir des mutuelles gérées par leurs pairs. Aussi, la majorité du groupe du RDSE ne votera pas ce texte. Pour autant, madame la secrétaire d'État, nous souhaitons que vous preniez en compte les constats, largement partagés, que Catherine Procaccia et Ronan Kerdraon ont établis dans leur rapport et qui montrent la nécessité de répondre aux problèmes rencontrés par les étudiants en matière de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)