Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.

Mme Élisabeth Lamure. Madame la ministre, j’entends bien les précisions que vous apportez quant à l’instruction du 3 septembre dernier.

Néanmoins, je suis déçue, puisque vous m’indiquez très clairement que les collectivités ne peuvent pas avoir recours à un prestataire privé pour aider à l’instruction des dossiers d’urbanisme relevant du droit des sols. C’est extrêmement regrettable. Une telle facilité aurait pu leur être accordée.

Au demeurant, les communes font régulièrement appel à des prestataires privés, bureaux d’étude ou maîtres d’œuvre, pour la plupart des actes touchant à l’urbanisme.

Par ailleurs, madame la ministre, il serait bon de fournir les mêmes éléments d’information à vos directions départementales, qui n’en disposent visiblement pas toujours : il leur est arrivé de mal informer certaines collectivités sur ce point précis du droit…

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions orales.

L’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à quatorze heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

6

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

7

Modification de l’ordre du jour

Mme la présidente. Mes chers collègues, par un arrêté du 12 novembre dernier, le bureau du Sénat a créé une délégation sénatoriale aux entreprises.

La délégation comprendra quarante-deux membres désignés par le Sénat de manière à assurer la représentation proportionnelle des groupes politiques et une représentation équilibrée des commissions permanentes.

Cette désignation interviendra le mercredi 26 novembre 2014, à 14 heures 30.

Les candidatures devront être remises à la direction de la séance avant le mardi 25 novembre 2014, à 17 heures.

Il n’y a pas d’observation ?...

Il en est ainsi décidé.

En conséquence, l’ordre du jour du mercredi 26 novembre 2014 s’établit comme suit :

À 9 heures 30, à 14 heures 30 et, éventuellement, le soir :

Suite du projet de loi de finances pour 2015.

En outre, à 14 heures 30 :

Désignation des quarante-deux membres de la délégation sénatoriale aux entreprises.

8

Mise au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Navarro.

M. Robert Navarro. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 23 sur les amendements nos 9 rectifié bis, 84 rectifié, 197 rectifié et 234 tendant à supprimer l’article 14 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, Mme Jouve, MM. Amiel et Guérini ont été déclarés comme n’ayant pas pris part au vote, alors qu’ils souhaitaient voter pour ces amendements.

Par ailleurs, lors du scrutin public n° 7 du 30 octobre 2014, je souhaitais voter contre les amendements nos 2 rectifié, 48 et 144 du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique des scrutins.

9

Débat sur le thème « Ruralité et hyper-ruralité : restaurer l’égalité républicaine »

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème « Ruralité et hyper-ruralité : restaurer l’égalité républicaine », organisé à la demande du groupe du RDSE.

La parole est à M. Alain Bertrand, au nom du groupe du RDSE.

M. Alain Bertrand, au nom du groupe du RDSE. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 13 décembre 2012, lors de l’examen de la proposition de résolution relative au développement par l’État d’une politique d’égalité des territoires présentée par le groupe du RDSE – il y a donc presque deux ans –, je disais mon rêve d’une grande loi sur l’égalité des territoires, dont ont besoin les zones rurales défavorisées. Madame la ministre, chers collègues, les membres de mon groupe et moi-même en rêvons encore (Sourires.), mais je dois admettre que les choses progressent : lentement, mais elles progressent !

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité. Tout à fait !

M. Alain Bertrand. Les assises des ruralités voulues par le gouvernement de Manuel Valls en sont une preuve. L’appel à manifestation pour les centres-bourgs lancé par votre ministère, madame la ministre, marque une prise de conscience et un engagement dans l’action. En outre, l’adaptation aux territoires ruraux des mesures de la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte permet un espoir.

J’ai eu grand plaisir, madame la ministre, à vous remettre et à vous présenter, le 30 juillet dernier, un rapport sur l’hyper-ruralité, dont l’élaboration a été rendue possible par l’écoute manifestée successivement par les Premiers ministres Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls. Vous m’avez d’ailleurs assuré, à cette occasion, de l’intérêt de certaines de mes propositions ; je vous en remercie.

Si ce rapport a une qualité, c’est celle de démontrer que la question de l’égalité des territoires, notamment de la prise en considération des territoires ruraux fragiles, n’est pas la simple lubie d’un vieux sénateur lozérien ! (Sourires.)

Ce rapport montre, en s’appuyant sur les études récentes d’éminents scientifiques – ce n’est pas parce que nous sommes ruraux que nous ne les écoutons pas ! –, qu’il existe en France des territoires ruraux, parfois des départements entiers, ayant littéralement disparu de l’écran radar de la République et se trouvant aujourd’hui au seuil de l’effondrement. Ces territoires ruraux « en marge » de la République sont pourtant une partie de l’hinterland indispensable aux métropoles et aux grandes villes.

Cette disparition, cette mise à l’écart résultent à mon sens de trois défauts de notre système républicain : le premier, c’est son organisation autour de la notion de métropole, de grande ville et de capitale régionale ; le deuxième, corollaire du premier, c’est la sacro-sainte loi du chiffre qui terrorise les campagnes ; le troisième, c’est le traitement de la ruralité, qui constitue 80 % du territoire français, comme un seul et même territoire relevant de l’application des mêmes remèdes et des mêmes politiques.

Les acteurs publics que nous sommes considèrent que la métropole, la grande ville, l’agglomération, l’urbain est leur seule planche de salut, la seule organisation capable de faire réussir la France dans l’économie mondialisée qui est la nôtre, parce qu’elle porte les grandes masses, en termes de population, de chiffre d’affaires, et que, par conséquent, elle seule est susceptible d’apporter des solutions massives en matière d’emploi, de revenu, de remèdes à tous les maux de notre société.

Nous considérons de fait tout ce qui est hors zone d’influence des pôles urbains, des métropoles, des grandes agglomérations comme une part secondaire, voire insignifiante, de notre développement économique, et donc de notre organisation territoriale.

Les politiques publiques, calibrées depuis et pour ces grandes zones urbaines, passent totalement à côté des besoins des zones les plus rurales, qui subissent alors une double peine : peu d’habitants, peu de moyens donc peu de services, peu d’infrastructures, peu de commerces, peu de politiques publiques en leur faveur, peu de solutions proposées !

C’est là le deuxième défaut de notre système : la sacralisation du plus fort chiffre. Combien d’usagers au bureau de poste ? Deux cents ? On ferme ! Combien de dossiers, d’euros, de clients ? On réduit, on ferme ! Combien de voyageurs quotidiens sur votre ligne ? Cinquante? Cent ? On supprime des trains ! On suspend les travaux !

Vous n’avez pas d’aéroport, pas de TGV, pas d’autoroute, mais vous avez quatre téléphones portables en poche : un pour chaque opérateur, dans l’espoir d’avoir du réseau ! (Sourires.)

Vous avez besoin, pour être enfin désenclavé, d’une route à deux fois deux voies ou de travaux d’amélioration sur une route nationale ? Oui, mais combien de véhicules passent par jour sur la route actuelle ? Environ 3 000, 4 000, 5 000 ? Malheureusement, ailleurs, c’est 30 000 ou 50 000 ! On réalisera donc les travaux ailleurs : circulez, il n’y a rien à voir !

Les pouvoirs publics, par la mise en place de critères normés, chiffrés, standardisés, ont constamment éloigné nos territoires ruraux de la République.

Attention, il ne s’agit pas ici d’opposer la France urbaine et la France rurale. J’observe d’ailleurs que nous, ruraux, sommes solidaires des grandes villes, soucieux des problématiques métropolitaines, qui emportent des conséquences importantes pour nos concitoyens. Nous ne nions pas le fait métropolitain, moteur essentiel de la croissance et de l’avenir, mais les dernières études chiffrées de Laurent Davezies, éminent scientifique, sur lesquelles je me suis appuyé pour élaborer mon rapport, montrent que le premier facteur d’attractivité d’une métropole, d’une capitale régionale ou d’une ville est la qualité de son hinterland, constitué des territoires ruraux et hyper-ruraux qui l’entourent. C’est un facteur essentiel.

Soyons clairs, la ruralité et l’hyper-ruralité ne font pas la mendicité. J’estime qu’elles ont des droits et qu’il nous appartient, à nous républicains de tous bords, de demander à ce qu’ils soient respectés, au nom du principe républicain d’égalité.

La métropole et les territoires ruraux ne s’opposent pas : ils font système, ils sont interdépendants !

Prenez un ingénieur toulousain – j’aurais pu aussi prendre l’exemple d’un chef d’entreprise lillois ou marseillais, ou encore celui d’un médecin lyonnais –, qui contribue largement à la croissance française en travaillant au quotidien dans une entreprise fleuron de l’aéronautique européen. Cet ingénieur, qui profite de l’économie mondialisée, va éviter le burn-out par la fréquentation régulière de la campagne, des montagnes ariégeoises, catalanes ou tarnaises. Sa vie d’urbain inclut d’autres espaces que la seule ville où il réside. Il aura donc créé de la richesse comptabilisée à Toulouse, mais, de fait, produite aussi dans l’hyper-ruralité ariégeoise, catalane ou tarnaise.

Ce que je souhaite rendre tangible, au travers de cet exemple, c’est le fait que les territoires hyper-ruraux, par leur potentiel de ressourcement et leurs aménités, qui s’ajoutent à ce qu’ils produisent par ailleurs dans les secteurs de l’agriculture, de la forêt, de l’énergie, de l’artisanat, participent directement aux résultats économiques et chiffrés des zones urbaines. La ruralité n’est pas un monde où il ne se passe rien : c’est un espace où l’on répond aux problématiques du développement de l’activité, de l’emploi, de la richesse…

Il convient de comprendre les ruraux, à tout le moins de les écouter ! Leur mode de vie n’est pas si différent de celui des urbains. Les préoccupations des uns et des autres sont désormais similaires : transports, bonne couverture téléphonique, internet, connectabilité, accès à un système de soins performant, à un enseignement de qualité pour leurs enfants… Les métropolitains et les ruraux ont les mêmes envies, les mêmes droits, les mêmes devoirs. Certes, les habitants des métropoles, des grandes villes, des agglomérations, des capitales régionales semblent pourtant avoir plus de droits que ceux des zones rurales et hyper-rurales. Pourtant, tous sont assujettis à la même TVA et au même impôt sur le revenu.

Enfin, le dernier défaut de notre système est de considérer la ruralité comme un ensemble uniforme. Or tout le monde constate que la ruralité est diverse. La ruralité de la proche banlieue albigeoise, lyonnaise, marseillaise ou lilloise n’est pas la même que celle des villages creusois, par exemple.

Mohamed Hilal, géographe à l’Institut national de la recherche agronomique, a, dans une étude qui fait foi, commandée par la DATAR, la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, distingué trois types de ruralités : les ruralités situées à proximité ou en périphérie des grandes villes, qui sont assez riches – les fameuses zones périurbaines –, et celles des zones riches de montagne, où l’on trouve les stations de ski, ou des littoraux riches ; la ruralité agricole et industrielle ou post-industrielle, en souffrance, qui regroupe les régions d’agriculture productive et les bassins miniers de l’Ouest, de l’Est et du Nord ; enfin, la ruralité constituée de zones à faible densité et à faibles revenus, avec peu de services.

Je n’écarte, pour ma part, aucune de ces ruralités. Toutes ont des qualités culturelles, patrimoniales, naturelles. Toutes connaissent des difficultés, mais qui relèvent de problématiques différentes. Je pense qu’une politique uniformisée ne permettra pas d’éviter leur déclin ; seule une politique différenciée, ciblée et adaptée aux singularités de chacune de ces trois catégories de territoires y parviendra.

L’hyper-ruralité, dont j’ai choisi de traiter, représente une partie de la troisième catégorie décrite par Mohammed Hilal. Elle souffre, en plus des autres handicaps, de l’éloignement : éloignement des individus entre eux, à cause de la faible densité, éloignement des services du quotidien –transports, enseignement, santé –, éloignement des bassins d’emploi – agglomération, métropole … –, éloignement des centres de décision.

L’hyper-ruralité, que l’on pourrait qualifier de ruralité de l’éloignement, se caractérise en outre par l’absence de centralités fortes. Elle représente 26 % du territoire, 250 bassins de vie, 3,4 millions de Français, et concerne cinquante-neuf départements – certains entièrement, tels le Lot, le Cantal, la Creuse, la Corse-du-Sud, la Haute-Corse, la Lozère, les Hautes-Alpes –, des territoires de moyenne montagne faiblement équipés et peu riches, comme l’est des Pyrénées, les Alpes du Sud et le Massif central, ou encore des territoires de plaine situés aux confins de départements ruraux où l’influence des centralités, c’est-à-dire des villes-centres, est trop faible pour assurer leur développement.

La cartographie que nous avons réalisée avec l’aide des scientifiques est objective, et caractérise des zones hyper-rurales dont personne n’aurait pensé, de prime abord, qu’elles constituaient des territoires extrêmement fragiles. C’est le cas du bassin de vie de Casteljaloux, dans le Lot-et-Garonne, de celui de Banyuls-sur-Mer, dans les Pyrénées-Orientales, ou encore de celui de Suippes, dans la Marne.

Quand vous arrivez dans l’hyper-ruralité, par exemple au moment des vacances, vous en prenez tout de suite conscience : vos charmants enfants, à peine descendus de voiture, vous disent que l’on ne peut pas se connecter à internet ou à un réseau de téléphonie et qu’il faut repartir très vite, pour ne plus jamais revenir. Là, vous êtes dans l’hyper-ruralité ! (Sourires.) Si vous avez quatre téléphones portables, vous parviendrez peut-être à vous raccorder au réseau de l’un des opérateurs, qui ne remplissent d'ailleurs pas leurs obligations en matière de service universel, puisque l’État ne leur a pas imposé de couvrir les zones les plus faiblement peuplées et que, commercialement, ils n’y trouvent pas d’intérêt.

Dans l’hyper-ruralité, il n’y a pas non plus de distributeurs automatiques de billets et la station-service la plus proche est à vingt ou vingt-cinq kilomètres, voire à quarante, comme en Lozère !

Si vous envisagez de vous y rendre en train, vous apprenez qu’il faut huit ou dix heures pour effectuer le trajet, soit quatre fois plus de temps qu’en voiture : le développement durable, la croissance verte, la transition énergétique, tout cela va au talus ! Quand vous discutez avec l’autochtone, celui-ci vous explique que, il y a vingt ans, il fallait deux heures de train pour se rendre à la capitale régionale, contre plus de six heures aujourd’hui ! C’est ça, l’hyper-ruralité ! C’est aussi une population visiblement vieillissante, l’impossibilité de suivre des études supérieures, la grande difficulté à vivre et travailler au pays. Dans le bourg-centre, trois des quatre hôtels ont déjà fermé, le dernier n’est pas loin de mettre la clé sous la porte à son tour, et sur les cinq ou six commerces, un seul n’a pas baissé le rideau !

Si vous décidez malgré tout de rester dans l’hyper-ruralité, il vous faut savoir que l’accident vasculaire cérébral –personnellement, ne fumant pas, ne buvant pas et étant mince (Sourires.), je ne suis pas un sujet à risque ! –, y est beaucoup plus souvent mortel qu’ailleurs.

Quand vous rencontrez un élu, le brave homme se tient souvent courbé, comme tous les hyper-ruraux, parce qu’il a pris l’habitude de revoir à la baisse tous les projets ou à y renoncer, que sa lourde tâche est seulement d’essayer d’éviter la fermeture d’un service public, le départ d’une entreprise. Cet élu, semblable à nous tous et qui aime l’hyper-ruralité, a malheureusement la culture de la reculade, alors que sa vocation est de bâtir et de proposer un avenir à ses concitoyens.

Ce que les habitants de ces territoires revendiquent, au travers de leur vote, très fortement protestataire ces derniers temps, ce n’est pas la création d’un métro à Guéret, à Saint-Flour, à Duras, à La Broque, à Aubusson, à Forcalquier ou à Tonnerre, c’est simplement l’accès à un socle de services minimum et la création d’outils législatifs nouveaux, ici à Paris, rendant possible la concrétisation de leurs initiatives, là-bas dans leur village, les mettant en situation de rebondir !

Il est urgent de donner de nouveaux droits à ces territoires. L’inaction les ferait entrer en complète récession et agir dans dix ou vingt ans coûterait beaucoup plus cher à la nation que mettre en place aujourd'hui des mesures de bon sens, adaptées à leur réalité.

Nombre des mesures proposées dans le rapport sur l’hyper-ruralité ne coûtent rien, madame la ministre ! Ce sont des mesures de bon sens, qui concernent 26 % du territoire et n’engendrent pas de coûts supplémentaires : c’est tout de même remarquable ! Elles sont de nature à rétablir l’égalité républicaine, dont l’État est seul garant.

Rétablir l’équilibre républicain ne sera possible que par un volontarisme à toute épreuve, une prise de conscience ; j’appelle l’ensemble de mes collègues ici présents à s’unir pour peser sur l’avenir.

Nous pouvons tous nous entendre sur le principe suivant : pas de sous-territoires, pas de sous-citoyens ! Il est temps que l’État engage une politique claire et assumée en faveur de ces territoires. Ce peut être à travers un pacte national en faveur de l’hyper-ruralité, comme je le propose dans mon rapport, ou par une loi portant sur l’égalité des territoires. Je suis certain, mes chers collègues, que vous saurez faire bloc.

Il est urgent que l’État assume l’échec des politiques nationales dans les territoires les plus ruraux. Certains disent qu’il n’y a plus d’aménagement du territoire. Nous devons accepter de repenser notre conception de l’égalité, car l’uniformité de traitement pour tous les territoires ruraux ne serait pas productive.

L’obligation de traiter de l’hyper-ruralité dans toutes les lois est l’objet de deux des propositions que je formule dans mon rapport. Cela ne coûte pas un euro, mais s’il était obligatoire de faire référence à l’hyper-ruralité dans toute loi, qu’elle porte sur l’enseignement supérieur, sur les infrastructures ou sur la défense, cela permettrait certainement des implantations nouvelles et la prise en compte des besoins de ces territoires. Prendre en compte l’hyper-ruralité dans toutes les lois, tous les actes de planification et de programmation, serait un acte fort. Je pense en particulier aux schémas régionaux d’aménagement du territoire et aux contrats de plan État-région : si la loi ne l’impose pas, ils ne traiteront pas de l’hyper-ruralité ! (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

Cette mesure aurait deux vertus : empêcher que l’on oublie les territoires hyper-ruraux en les ramenant sur l’écran radar de la République et permettre l’adaptation de la loi à leurs spécificités. Elle ne coûterait pas un euro de plus, parce que tout cela se ferait à moyens égaux.

Grâce à une simple étude d’impact, cette mesure aurait, par exemple, évité l’application de la tarification à l’activité aux territoires ruraux, en matière de santé, ou l’adoption d’un plan national « France très haut débit » pénalisant encore davantage les territoires hyper-ruraux, qui seront les derniers couverts.

L’ouverture d’un droit à l’expérimentation et à la pérennisation des expérimentations qui ont marché est nécessaire.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Alain Bertrand. Madame la présidente, nous, les hyper-ruraux, avons été si maltraités que l’on peut bien nous laisser un peu plus de temps de parole ! (Sourires.)

Mme la présidente. Je ne sais pas pourquoi, mais je m’attendais à cette réflexion ! (Nouveaux sourires.)

M. Alain Bertrand. Un grand nombre de mesures seraient très faciles à mettre en œuvre sur le terrain.

L’État doit s’engager à la non-décroissance de la présence républicaine dans ces territoires, au maintien des services publics par mutualisation. L’employé du centre des impôts de Foix peut traiter une partie des dossiers des contribuables de Toulouse. L’agent de la direction départementale de l’équipement de Guéret peut être le spécialiste des zones humides pour toute la France. Cela s’appelle la mutualisation intelligente, cela s’appelle le travail déporté. Mais il faut, une fois pour toutes, que l’on trace un trait, que l’on arrête de réduire tous les services.

On peut aussi mettre en œuvre la démétropolisation. Il faut arrêter de tout entasser dans les grandes villes, dans les agglomérations ! Pourquoi l’hyper-ruralité n’a-t-elle jamais droit à la création d’une école d’ingénieurs ou d’un cycle d’enseignement supérieur ?

Il faut lever tous les obstacles à l’initiative dans les territoires hyper-ruraux. Pourquoi ne pas mettre en place un guichet unique en rendant fongibles la dotation d’équipement des territoires ruraux, le fonds d’intervention pour la sauvegarde de l’artisanat et du commerce, le FISAC, les fonds de la DATAR, le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, le FNADT, etc. ? J’appelle de mes vœux une troisième décentralisation « intelligente », qui accompagnerait la démétropolisation. Les élus ruraux sont prêts, eux, à s’engager.

Mme la présidente. Est-ce votre conclusion, mon cher collègue ?

M. Alain Bertrand. Oui, madame la présidente, mais vous m’avez volé du temps, ce n’est pas possible autrement ! (Rires.)

M. Alain Bertrand. Madame la ministre, mettre en œuvre ces mesures serait efficace et ne coûterait pas cher !

L'hyper-ruralité est une terre de merveilles, mais elle est en train de crever ! Rappelons le credo de notre République : liberté, égalité, fraternité. L’égalité doit conduire le Gouvernement, madame la ministre, à engager une action immédiate et peu coûteuse. L’enjeu est énorme : il s’agit de 26 % du territoire. L’hyper-ruralité recèle des énergies, du bon sens, une partie de la solution des problématiques urbaines.

Décider l’inscription de l'hyper-ruralité dans toutes les lois, l’instauration de la règle de non-décroissance des services, la création d’un guichet unique, la mise en œuvre de la démétropolisation : voilà, madame la ministre, une belle et simple aventure républicaine, qui rassemblerait tous les Français à un moment où ils sont éminemment divisés et que vous pourriez promouvoir avec M. Valls, pour le bénéfice de plusieurs millions de nos concitoyens et de 26 % de notre territoire. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Navarro.

M. Robert Navarro. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer la combativité hors norme d’Alain Bertrand et son travail exceptionnel sur un sujet essentiel pour l’avenir de notre pays : l’aménagement d’un tiers de notre territoire, en situation d’hyper-ruralité. Ces territoires sont sur la ligne de crête : ils peuvent devenir un véritable désert ou bien, au contraire, être les moteurs d’une croissance harmonieuse de notre pays.

Cette question est majeure. Alors que la concentration urbaine ne cesse de s’accentuer et que les pouvoirs publics prennent des mesures pour accompagner ce phénomène et ses externalités négatives, des territoires vieillissent et se vident, ce qui a pour conséquence leur mise à l’écart.

Non seulement cette mise à l’écart des territoires hyper-ruraux est insupportable d’un point de vue moral, mais elle constitue aussi une faute politique. On ne le dit pas assez, plus un territoire se vide, plus son coût augmente pour la société et le pays.

Le cercle vicieux de la désertification est connu : faible densité, faibles ressources financières, manque d’équipements et de services, éloignement et isolement.

Pourtant, si nous suivons les recommandations de notre collègue, de nombreuses chances de développement peuvent non seulement profiter à ces territoires, mais également au pays dans son ensemble. L’hyper-ruralité recèle des trésors indispensables et peut aider à résoudre le problème de la congestion des villes. Le « toujours plus grand » des métropoles ne fera qu’accentuer le mal-être des villes, lié aux difficultés de logement et de transports. Nous ne sommes pas là pour opposer les modes de vie, bien souvent imposés.

Il faut que ces territoires offrent un cadre de vie propice à la réinstallation : en effet, le manque criant de services publics et de santé, le retard flagrant en matière de desserte numérique et de téléphonie mobile, l’insuffisance persistante des infrastructures de transports ou encore la faiblesse des ressources financières au regard des besoins sont des freins à la relance de ces territoires.

Dans son rapport, notre collègue Alain Bertrand présente six mesures et quatre recommandations pour mettre un terme aux politiques « urbano-centrées » : à nous de les faire vivre dans chaque texte de loi. La loi NOTRe, portant nouvelle organisation territoriale de la République, sera une première occasion de faire cesser la discrimination territoriale qui règne dans notre pays ! J’espère que le Gouvernement saura saisir la balle au bond. Ne rien faire reviendrait à abandonner nos valeurs républicaines, à faire d’un tiers de notre pays un désert à l’horizon 2100, enfin à accentuer les maux des métropoles. Mes chers collègues, il est donc temps d’agir ! (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. Gérard Bailly applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.