Sommaire

Présidence de Mme Françoise Cartron

Secrétaires :

MM. François Fortassin, Philippe Nachbar.

1. Procès-verbal

2. Événements d'Ottawa

M. André Gattolin, Mme la présidente.

3. Conférence des présidents

4. Dépôt de documents

5. Renvoi pour avis unique

6. Débat sur le rôle et la stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'internet

Mme Catherine Morin-Desailly, au nom du groupe UDI-UC

M. André Gattolin

M. Michel Billout

M. Jean-Claude Requier

M. Olivier Cadic

M. Philippe Marini

Mme Joëlle Garriaud-Maylam

M. Gaëtan Gorce

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique

7. Prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales – Renvoi à la commission d’une proposition de loi

Discussion générale :

M. Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi

M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale

M. Michel Le Scouarnec

M. Jean-Claude Requier

M. Mathieu Darnaud

M. René Vandierendonck

Mme Jacqueline Gourault

Clôture de la discussion générale.

Demande de renvoi à la commission

Motion n° 1 de M. Yves Détraigne (commission des lois). – Adoption de la motion renvoyant à la commission des lois la proposition de loi.

8. Communication d’un avis sur un projet de nomination

9. Demande d’avis sur un projet de nomination

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille

10. Questions cribles thématiques

accords de libre-échange

Mme Bariza Khiari, M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

MM. Joël Guerriau, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État.

MM. Jean Bizet, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État

Mme Françoise Laborde, M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État

MM. André Gattolin, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État

MM. Éric Bocquet, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État

Mme Marie-Noëlle Lienemann, M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État

MM. Jean-Claude Lenoir, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État.

MM. Antoine Karam, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État

11. Décision du Conseil constitutionnel

12. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Secrétaires :

M. François Fortassin,

M. Philippe Nachbar.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Événements d'Ottawa

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en tant que membre de l’Association interparlementaire France-Canada et des groupes interparlementaires d’amitié France-Canada et France-Québec, je tiens aujourd'hui à faire part de ma très vive émotion à la suite des événements survenus hier à Ottawa, à l’extérieur et à l’intérieur du Parlement canadien.

Ces événements tragiques touchent tout particulièrement les membres de notre groupe, mais également l’ensemble de notre assemblée. Je tiens donc à témoigner de la solidarité du Sénat à nos amis parlementaires canadiens, ainsi qu’aux membres du personnel du Parlement, que certains d’entre nous, de même que Mme la secrétaire d’État, connaissent très bien.

Enfin, je salue la mémoire du jeune soldat canadien de vingt-quatre ans qui a été tué aux abords du monument aux morts hier et j’adresse nos profondes et sincères condoléances à sa famille.

Mme la présidente. Monsieur Gattolin, nous nous associons tous à l’hommage que vous venez de rendre à ce jeune soldat.

3

Conférence des présidents

Mme la présidente. Mes chers collègues, la conférence des présidents, qui s’est réunie hier soir, mercredi 22 octobre, a établi comme suit l’ordre du jour des prochaines séances du Sénat :

SEMAINE SÉNATORIALE DE CONTRÔLE (suite)

Jeudi 23 octobre 2014

De 9 heures à 13 heures :

Ordre du jour réservé au groupe UDI-UC :

1°) Débat sur les conclusions du rapport de la mission commune d’information sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’internet

(La conférence des présidents a :

- attribué un temps d’intervention de vingt minutes au groupe UDI-UC ;

- fixé à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.)

2°) Proposition de loi tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales, présentée par M. Henri Tandonnet et plusieurs de ses collègues (n° 292, 2013–2014)

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.)

À 15 heures :

3°) Questions cribles thématiques sur les accords de libre-échange

(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)

SEMAINES RÉSERVÉES PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT

Mardi 28 octobre 2014

À 14 heures 30 :

1°) Éloge funèbre de Christian Bourquin

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

À 16 heures 15 :

2°) Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50–1 de la Constitution, sur la réforme territoriale

(La conférence des présidents a fixé à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 27 octobre, à 17 heures.)

Le soir :

3°) Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (texte de la commission, n° 43, 2014–2015)

(La conférence des présidents a fixé :

- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 27 octobre, à 17 heures ;

- au mardi 28 octobre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission spéciale se réunira pour examiner les amendements de séance le mardi 28 octobre à la suspension de l’après-midi.)

Mercredi 29 octobre 2014

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

À 14 heures 30 et le soir :

1°) Scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République et scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

(Ces scrutins secrets se dérouleront dans la salle des conférences. Les candidatures devront être remises à la division de la séance et du droit parlementaire au plus tard le mardi 28 octobre, à 17 heures.)

2°) Suite de la deuxième lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral

En outre, à 14 heures 30 :

Désignation :

- des 18 sénateurs membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ;

- des 36 membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ;

- des 36 membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ;

- des 36 membres de la délégation sénatoriale à la prospective ;

- et des 21 membres de la délégation sénatoriale à l’outre-mer autres que les 21 sénateurs d’outre-mer, membres de droit.

(Les candidatures présentées par les groupes à ces instances devront être remises à la division de la séance et du droit parlementaire au plus tard le mardi 28 octobre, à 17 heures.)

Jeudi 30 octobre 2014

À 9 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

1°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification du protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (texte de la commission, n° 28, 2014–2015)

2°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part (texte de la commission, n° 20, 2014–2015)

3°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord euro-méditerranéen relatif aux services aériens entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Royaume hachémite de Jordanie, d’autre part (texte de la commission, n° 22, 2014–2015)

4°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification du protocole modifiant l’accord de transport aérien entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et les États-Unis d’Amérique, d’autre part (texte de la commission, n° 24, 2014–2015)

5°) Projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République tchèque sur la coopération dans le domaine de la protection civile, de la prévention et de la gestion des situations d’urgence (texte de la commission, n° 26, 2014–2015)

6°) Projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc (texte de la commission, n° 18, 2014–2015)

(Pour ces six projets de loi, la conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée. Selon cette procédure, les projets de loi sont directement mis aux voix par le président de séance. Toutefois, un groupe politique peut demander, au plus tard le mardi 28 octobre, à 17 heures, qu’un projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle.)

7°) Suite de la deuxième lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral

À 15 heures :

8°) Questions d’actualité au Gouvernement

(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)

À 16 heures 15, le soir et, éventuellement, la nuit :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

9°) Suite de l’ordre du jour du matin

Mardi 4 novembre 2014

À 9 heures 30 :

1°) Questions orales

L’ordre d’appel des questions sera fixé ultérieurement.

- n° 837 de M. Antoine Lefèvre à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

(Pénurie de médicaments)

- n° 858 de Mme Claire-Lise Campion à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

(Modernisation des transports du quotidien en Île-de-France)

- n° 859 de M. Jean-Claude Leroy à M. le ministre de l’intérieur

(Redéploiement de l’hélicoptère de la sécurité civile Dragon 62)

- n° 860 de Mme Catherine Procaccia à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

(Plan de redressement de la Mutuelle des étudiants)

- n° 869 de Mme Marie-Françoise Perol-Dumont à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

(Mise en sécurité et modernisation du centre hospitalier universitaire de Limoges)

- n° 872 de M. Christian Cambon à M. le ministre de l’intérieur

(Piétonisation des voies sur berges)

- n° 875 de Mme Corinne Imbert à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

(Financement de l’aide individuelle de solidarité par les départements et compensation de l’État)

- n° 879 de M. Roland Courteau à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

(Ligne à grande vitesse Montpellier-Perpignan)

- n° 882 de M. Pierre Laurent à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité

(Enfants et familles sans logement en Île-de-France)

- n° 884 de M. Thierry Foucaud à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

(Agences Carsat de Normandie)

- n° 885 de M. Richard Yung à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice

(Effectifs du service de la nationalité des Français nés et établis hors de France)

- n° 886 de Mme Brigitte Gonthier-Maurin à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité

(Encadrement des loyers dans les communes des Hauts-de-Seine)

- n° 888 de M. Jean-Claude Lenoir à M. le ministre des finances et des comptes publics

(Transfert du prélèvement au titre du fonds national de garantie individuelle des ressources à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité additionnelle)

- n° 889 de M. Christian Favier à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice

(Conditions de répartition territoriale des mineurs isolés étrangers)

- n° 891 de M. Jacques Chiron à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

(Dispositifs de rénovation thermique des bâtiments portés par les collectivités territoriales)

- n° 892 de M. Rachel Mazuir à M. le ministre de l’intérieur

(Mesures pour recenser les faux résidents secondaires suisses)

- n° 894 de M. Gilbert Barbier à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

(Rapport sur l’utilisation des tubulures contenant du DEHP)

- n° 897 de Mme Françoise Laborde à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

(Conditions de la privatisation de l’aéroport de Toulouse Blagnac)

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

À 14 heures 30 et le soir :

2°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (texte de la commission, n° 38, 2014–2015)

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 3 novembre, à 17 heures.)

3°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la simplification de la vie des entreprises (n° 771, 2013–2014)

(La commission des lois se réunira pour le rapport le mercredi 29 octobre matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 octobre, à 12 heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 3 novembre, à 17 heures ;

- au lundi 3 novembre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mardi 4 novembre matin.)

Mercredi 5 novembre 2014

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

À 14 heures 30 et le soir :

- Projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne (Procédure accélérée) (n° 482, 2013–2014)

(La commission des lois se réunira pour le rapport le mercredi 29 octobre matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 octobre, à 12 heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 4 novembre, à 17 heures ;

- au lundi 3 novembre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 5 novembre matin.)

Jeudi 6 novembre 2014

À 9 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

1°) Projet de loi autorisant l’approbation des amendements de Manille à l’annexe de la convention internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (convention STCW) et au code de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (code STCW) (n° 269, 2013–2014)

2°) Projet de loi autorisant l’adhésion de la France au protocole à la convention d’Athènes de 1974 relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages (n° 270, 2013–2014)

3°) Projet de loi autorisant la ratification de l’accord relatif aux services de transport aérien entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République gabonaise (n° 371, 2013–2014)

4°) Projet de loi autorisant la ratification de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Turkménistan relatif aux services aériens (n° 370, 2013–2014)

5°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord établissant une association entre l’Union européenne et ses États membres d’une part, et l’Amérique centrale d’autre part (n° 806, 2013–2014)

6°) Projet de loi autorisant l’approbation du cinquième avenant à la convention du 19 janvier 1967, modifiée par l’avenant du 6 juillet 1971 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne sur la construction et l’exploitation d’un réacteur à très haut flux et modifiée ultérieurement par la convention du 19 juillet 1974 entre les deux Gouvernements susmentionnés et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relative à l’adhésion de ce dernier Gouvernement à la convention et par l’avenant du 27 juillet 1976, le deuxième avenant du 9 décembre 1981, le troisième avenant du 25 mars 1993 et le quatrième avenant du 4 décembre 2002 entre les trois Gouvernements susmentionnés (Procédure accélérée) (n° 570, 2013–2014)

7°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu (Procédure accélérée) (n° 4, 2014–2015)

(Pour ces sept projets de loi, la conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée. Selon cette procédure, les projets de loi sont directement mis aux voix par le président de séance. Toutefois, un groupe politique peut demander, au plus tard le mardi 4 novembre, à 17 heures, qu’un projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle.)

8°) Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 (Procédure accélérée) (n° 45, 2014–2015)

(La commission des finances se réunira pour le rapport le mercredi 29 octobre matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 octobre, à 12 heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 5 novembre, à 17 heures ;

- au lundi 3 novembre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des finances se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 5 novembre matin.)

De 15 heures à 15 heures 45 :

9°) Questions cribles thématiques sur le logement étudiant

(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)

À 16 heures :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

10°) Suite de l’ordre du jour du matin

Lundi 10 novembre 2014

À 14 heures 30

Mercredi 12 novembre 2014

À 14 heures 30 et le soir

Jeudi 13 novembre 2014

À 9 heures 30, à 16 heures 15 et le soir

Vendredi 14 novembre 2014

À 9 heures 30, à 14 heures 30, le soir et, éventuellement, la nuit

Éventuellement, samedi 15 novembre 2014

À 9 heures 30, à 14 heures 30, le soir et la nuit

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 (A.N., n° 2252)

(La commission des affaires sociales se réunira pour le rapport le mercredi 5 novembre matin.

La conférence des présidents a fixé :

- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le vendredi 7 novembre, à 17 heures ;

- au vendredi 7 novembre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 12 novembre matin.)

En outre, jeudi 13 novembre 2014

À 15 heures :

Questions d’actualité au Gouvernement

(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)

SEMAINE SÉNATORIALE DE CONTRÔLE

Mardi 18 novembre 2014

À 9 heures 30 :

1°) Questions orales

De 14 heures 30 à 18 heures 30 :

Ordre du jour réservé au groupe RDSE :

2°) Débat sur le thème « Ruralité et hyper-ruralité : restaurer l’égalité républicaine »

(La conférence des présidents a :

- attribué un temps d’intervention de vingt minutes au groupe RDSE ;

- fixé à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 17 novembre, à 17 heures.)

3°) Proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du Président de la République et à le rendre non renouvelable, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues (n° 779, 2013–2014)

(La commission des lois se réunira pour le rapport le mercredi 12 novembre matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 10 novembre, à 12 heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 17 novembre, à 17 heures ;

- au lundi 17 novembre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mardi 18 novembre matin.)

De 18 heures 30 à 19 heures 30 et de 21 heures 30 à 0 heure 30 :

Ordre du jour réservé au groupe UMP :

4°) Proposition de loi tendant à réformer le système de sécurité sociale des étudiants, présentée par Mme Catherine Procaccia et plusieurs de ses collègues (n° 622, 2013-2014)

(La commission des affaires sociales se réunira pour le rapport le mercredi 12 novembre matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 10 novembre, à 12 heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 17 novembre, à 17 heures ;

- au lundi 17 novembre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements de séance le mardi 18 novembre en début d’après-midi.)

Mercredi 19 novembre 2014

De 14 heures 30 à 18 heures 30 :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste et apparentés :

1°) Proposition de loi tendant à favoriser le recrutement et la formation des sapeurs-pompiers volontaires, présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste et apparentés (n° 553, 2013-2014)

(La commission des lois se réunira pour le rapport le mercredi 12 novembre matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 10 novembre, à 12 heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 18 novembre, à 17 heures ;

- au lundi 17 novembre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 19 novembre matin.)

2°) Débat sur l’action de la France pour la relance économique de la zone euro

(La conférence des présidents a :

- attribué un temps d’intervention de vingt minutes au groupe socialiste et apparentés ;

- fixé à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 18 novembre, à 17 heures.)

De 18 heures 30 à 19 heures 30 et de 21 heures 30 à 0 heure 30 :

Ordre du jour réservé au groupe écologiste :

3°) Proposition de loi relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles, présentée par Mme Aline Archimbaud et plusieurs de ses collègues (n° 802, 2013–2014)

(La commission des finances se réunira pour le rapport le mercredi 12 novembre matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 10 novembre, à 12 heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 18 novembre, à 17 heures ;

- au lundi 17novembre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des finances se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 19 novembre matin.)

4°) Proposition de loi relative à l’instauration d’une journée des morts pour la paix et la liberté d’informer, présentée par Mme Leïla Aïchi (n° 231, 2013–2014)

(La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 18 novembre, à 17 heures ;

- au lundi 17 novembre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 19 novembre matin.)

5°) Proposition de résolution relative à la préservation des insectes pollinisateurs, de l’environnement et de la santé et à un moratoire sur les pesticides de la famille des néonicotinoïdes, présentée par M. Joël Labbé et plusieurs de ses collègues, en application de l’article 34–1 de la Constitution (n° 643, 2013–2014)

(La conférence des présidents a :

- attribué un temps d’intervention de vingt minutes à l’auteur de la proposition de résolution ;

- fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 18 novembre, à 17 heures.

Les interventions des orateurs vaudront explications de vote.)

Du jeudi 20 novembre au mardi 9 décembre 2014

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances pour 2015 (A.N., n° 2234)

(Le calendrier et les règles de la discussion budgétaire seront établis par la conférence des présidents lors de sa réunion du 5 novembre 2014.)

En outre, jeudi 20 novembre 2014

De 15 heures à 15 heures 45 :

- Questions cribles thématiques sur le thème « Quel financement pour les transports collectifs en France ? »

Y a-t-il des observations sur les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances et à l’ordre du jour autre que celui résultant des inscriptions prioritaires du Gouvernement ?...

Ces propositions sont adoptées.

ANNEXE

CALENDRIER DES RÉUNIONS CONSTITUTIVES DES DÉLÉGATIONS

Mardi 4 novembre

À 16 heures 30 :

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

À 17 heures 30 :

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Mercredi 5 novembre

À 16 heures 30 :

Délégation sénatoriale à la prospective

Jeudi 6 novembre

À 9 heures 30 :

Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Jeudi 20 novembre

À 15 heures :

Délégation sénatoriale à l’outre-mer

(Les bureaux des délégations [hors Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques] seront constitués selon les règles applicables aux bureaux des commissions permanentes.)

4

Dépôt de documents

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :

- d’une part, la convention entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations, relative au programme d’investissements d’avenir, action « Quartiers numériques » - « French tech » ;

- d’autre part, la convention entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations, action « Transition numérique de l’État et modernisation de l’action publique ».

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires économiques.

5

Renvoi pour avis unique

Mme la présidente. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 (n° 45, 2014–2015), dont la commission des finances est saisie au fond, est envoyée pour avis, à sa demande, à la commission des affaires sociales.

6

Débat sur le rôle et la stratégie pour l’union européenne dans la gouvernance mondiale de l'internet

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UDI-UC, le débat sur les conclusions du rapport de la mission commune d’information sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’internet (rapport d’information n° 696, tomes I et II [2013-2014]).

La parole est tout d’abord à l’orateur du groupe qui a demandé ce débat, Mme Catherine Morin-Desailly, qui fut la rapporteur de la mission commune d’information sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’internet.

Mme Catherine Morin-Desailly, au nom du groupe UDI-UC. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’internet a vu le jour dans les années 1960 aux États-Unis, mais si son succès est devenu planétaire, c’est grâce au web, né en Europe. L’internet a donc pris racine sur les deux rives de l’Atlantique. Pourtant, celui que, nous, Européens, consommons aujourd'hui en 2014 est très américain. Pendant trop longtemps, notre vieux continent n’a pas pris la mesure des enjeux qui s’y attachent. Or cette technologie encore jeune est en train de s’étendre aux objets, et partout elle déploie sa puissance transformatrice, y compris dans les pays en développement.

Heureusement, oserai-je dire, en 2013, les révélations d’Edward Snowden, ancien consultant pour la NSA, la National security agency, sur la surveillance en ligne, ont transformé l’internet en sujet politique. Je me félicite d’avoir convaincu mon groupe politique d’y consacrer son droit de tirage annuel, et je remercie mes collègues de leur confiance.

C’est ainsi que le Sénat a créé, à la fin de l’année 2013, une mission commune d’information sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’internet. J’ai eu l’honneur d’en être rapporteur ; notre collègue Gaëtan Gorce en fut le président. Je suis heureuse de pouvoir aujourd’hui lui rendre publiquement hommage. J’ai en effet pu apprécier sa sensibilité et sa hauteur de vue sur ce sujet qui touche à ce qu’il y a de plus précieux, notre vision de l’homme dans le monde de demain. Nous avons beaucoup travaillé ensemble, entendu plus de soixante personnes, effectué des déplacements notamment à Bruxelles, Berlin, Washington et Boston. Merci à tous ceux de nos collègues, dont certains assistent à notre débat aujourd'hui, qui ont participé à nos travaux ! L’heure est venue de partager plus largement les conclusions de ces travaux.

Le concept de gouvernance de l’internet reste délicat à définir. Il résulte de la traduction de l’anglais « internet governance », notion ambivalente qui recouvre aussi bien la gouvernance de l’internet – entendue comme la gestion technique de ce réseau de réseaux, de son architecture, de ses ressources critiques – que la gouvernance sur internet, à savoir les voies et moyens pour faire respecter certaines règles en ligne, sur ce réseau qui ignore les frontières

Je rappellerai simplement la définition retenue lors du Sommet mondial sur la société de l’information, qui s’est tenu sous l’égide des Nations unies en 2005 : « Il faut entendre par "gouvernance de l’internet" l’élaboration et l’application par les États, le secteur privé et la société civile, dans le cadre de leurs rôles respectifs, de principes, normes, règles, procédures de prise de décisions et programmes communs propres à modeler l’évolution et l’utilisation de l’internet, évolution dans le sens technologique, utilisation au sens des pratiques. »

Cette définition reflète bien l’ambivalence intrinsèque de l’internet, dont le fonctionnement repose sur une imbrication de normes, issues de la technique comme de la loi. Quel ordonnancement peut-on y donner, dans quelles instances, et avec quels instruments ? Comment concilier la liberté sur l’internet avec les défis que sont la cybercriminalité, la fin de la vie privée, la marchandisation des données personnelles, les menaces sur la protection de la diversité culturelle et de la propriété intellectuelle, les atteintes à l’ordre public et à la sécurité des États ? Comment prévenir le risque d’une fragmentation de l’internet en blocs régionaux, voire nationaux ? Car, si l’internet bouleverse les souverainetés, c’est aussi cela – le fait qu’il soit un espace partagé – qui fait sa grande richesse.

Au terme de ses travaux, la mission a souhaité d’abord souligner que la gouvernance de l’internet est devenue un nouveau terrain d’affrontement mondial. Les révélations d’Edward Snowden ont fait tomber le mythe originel de l’internet, réseau accessible à tous, support d’innovations, porteur de progrès immenses en matière de santé, d’énergie, d’éducation, de transport, et qui révolutionne la relation de l’être au monde. Désormais, l’internet apparaît aussi comme un instrument de puissance qui échappe largement à l’Europe : le net facilite la surveillance massive et engendre, il faut bien le constater, de nouvelles vulnérabilités.

Surtout que, du fait de l’effet de réseau, l’internet connaît une hypercentralisation au profit de grands acteurs privés, qui en viennent à défier les États. L’Europe, « colonie du monde numérique », pour reprendre le titre du rapport que j’ai présenté l’an dernier au nom de la commission des affaires européennes, se trouve largement distancée dans cette redistribution des pouvoirs ; elle vit sous domination commerciale, et donc juridique, de géants américains.

L’affaire Snowden a provoqué un véritable séisme : elle a transformé la gouvernance de l’internet en enjeu géopolitique mondial. Aussi, notre mission a tenté de décrypter ce système de gouvernance, ce qui constitue une contribution importante et inédite au débat public.

La gouvernance de l’internet présente le même caractère distribué que le réseau : aucune autorité centrale ne gouverne l’internet. En revanche, une pléthore d’enceintes participent à une forme d’autorégulation du réseau : l’ICANN – Internet Corporation for Assigned Names and Numbers –, mais aussi l’IETF – Internet Engineering Task Force –, l’IAB – Internet architecture board –, l’ISOC – Internet Society –, le W3C – Word wide web consortium –, les registres internet régionaux... Ce système informel a fait la preuve de son efficacité. Il fonctionne sur un mode ascendant et consensuel, que certains ont ainsi résumé : « Nous refusons les rois, les présidents et les votes. Nous croyons au consensus approximatif et au code qui marche. »

Pour des raisons qui tiennent essentiellement à l’histoire, cette gouvernance est américaine de facto : ces enceintes, souvent liées aux universités américaines, sont très proches des géants américains de l’internet ; dix des treize serveurs racine sont aux États-Unis.

Surtout, l’ICANN est une société de droit californien, qui gère le fichier racine du système des noms de domaine, forme d’annuaire central de l’internet. Et tout cela s’effectue sous la supervision du département du commerce américain, qui doit valider tout changement apporté à ce fichier racine.

Or, la gestion des noms de domaine, et notamment la création de nouvelles extensions génériques, a d’importantes conséquences économiques, voire politiques. Le cas du « .vin » et du « .wine » en est une illustration.

De surcroît, l’ICANN, en proie aux conflits d’intérêts, fonctionne de manière trop opaque. Finalement, elle ne rend de comptes qu’au seul gouvernement américain. Les autres États ne sont représentés à son conseil d’administration que par une voix consultative. Depuis sa création en 1998, c’est donc le gouvernement des États-Unis qui a, de fait, joué le rôle de pourvoyeur de confiance dans le système.

Cette domination américaine a été de plus en plus contestée ces dernières années : en 2005, le Sommet mondial de la société de l’information s’est conclu en reconnaissant le rôle de tous les acteurs – États, secteur privé, société civile – dans la gouvernance de l’internet. C’est alors qu’a été fondé l’Internet Governance Forum, ou IGF : il s’agit d’un forum multi-parties prenantes – multistakeholder dans le jargon américain –, qui est onusien mais n’est pas interétatique. Doté d’un rôle seulement consultatif, ce forum se réunit chaque année, mais, il faut bien le reconnaître, son bilan est médiocre.

En outre, en décembre 2012, à l’occasion de la conférence organisée par l’Union internationale des télécoms – UIT –, à Dubaï, l’opposition s’est cristallisée entre deux camps : d’un côté, les tenants d’une reprise en main étatique de la gouvernance de l’internet, de l’autre, les tenants du multistakeholderism, c’est-à-dire de la gouvernance multi-acteurs.

Dans ce contexte, la parole européenne reste peu audible : portée par la seule Commission européenne, elle n’est pas assumée par le Conseil. Et les États-Unis présentent tous ceux qui s’interrogent sur le statu quo comme des ennemis de la liberté.

Quand Edward Snowden révèle en juin 2013 que les États-Unis ont volontairement affaibli la sécurité sur le net pour mieux surveiller les internautes, le discours américain ne tient plus. À Montevideo, en octobre 2013, ce sont les enceintes de gouvernance de l’internet elles-mêmes qui appellent à une mondialisation de la supervision du fichier racine de l’internet.

Les États-Unis, « garants » de la liberté en ligne, ont ainsi perdu leur magistère moral sur l’internet, au risque d’accélérer la fragmentation de l’internet, qui est déjà à l’œuvre, soit par stratégie souveraine dans les États autoritaires, comme la Chine ou la Russie, soit par stratégie commerciale des grands acteurs qui évoluent en silos.

C’est finalement le 14 mars, juste avant la conférence mondiale convoquée par le Brésil, que l’administration américaine fait un pas significatif : elle annonce son intention d’abandonner sa tutelle sur le système, l’ICANN se voyant confier la transition vers une privatisation de sa supervision d’ici à septembre 2015.

La conférence NETmundial, qui a ensuite rassemblé tous les acteurs fin avril à São Paulo, a consacré certains principes et valeurs fondamentaux pour l’internet et sa gouvernance. Elle condamne la surveillance en ligne, sans renoncer pour autant à l’unicité et à l’ouverture de l’internet. Le rôle des États doit néanmoins être encore précisé : la réforme de la gouvernance de l’internet reste clairement à faire.

S’offre donc aujourd’hui à l’Europe une occasion historique pour garantir un avenir de l’internet conforme à ses valeurs.

Dans ce contexte, notre mission invite l’Union européenne à se poser en médiateur pour faire émerger une nouvelle gouvernance : l’Europe doit réaffirmer son attachement au modèle multi-parties prenantes de gouvernance de l’internet ; mais elle doit aussi soutenir la nécessité de le rendre plus démocratique, en assurant une meilleure représentativité des parties prenantes et en reconnaissant mieux le rôle des États comme garants des droits et des libertés.

La mission invite donc les États membres de l’Union européenne à proposer de consacrer dans un traité international, ouvert à tous, les principes identifiés par la conférence NETmundial. La gouvernance de l’internet pourra ensuite être globalisée sur le fondement de ces principes.

C’est pourquoi nous proposons aussi de transformer le Forum pour la gouvernance de l’internet en Conseil mondial de l’internet, devant lequel toutes les enceintes de gouvernance du réseau devraient rendre des comptes. Il s’agit bien sûr d’éviter que ne se répètent les graves dysfonctionnements déjà constatés, qui mettent en péril la sécurité en ligne.

Concernant l’ICANN spécifiquement, il est indispensable de la refonder pour restaurer la confiance. Il s’agirait d’en faire une WICANN – World ICANN : une supervision internationale des noms de domaine viendrait se substituer à la tutelle américaine.

Un mécanisme de recours indépendant et accessible qui permette la révision de ses décisions doit également être mis en place. Des critères d’indépendance devraient aussi être définis afin de réduire les conflits d’intérêts au sein du conseil d’administration.

Pour défendre ce nouveau schéma de gouvernance, Gaëtan Gorce et moi-même, au nom des trente-trois membres de la mission, avons déposé une proposition de résolution européenne.

Tout cela étant dit, pour que l’Europe soit crédible dans cette réforme de la gouvernance de l’internet, il faut qu’elle reprenne en main son propre destin numérique.

À cette fin, la régulation des acteurs du numérique en Europe doit se faire offensive, pour mieux répartir la valeur. Les acteurs de l’Union européenne ne peuvent être laissés pour compte.

La mission n’entend pas sacrifier, bien sûr, le principe de neutralité du net, mais celui-ci n’interdit pas que les fournisseurs de contenus et d’applications – les Over The Top, ou OTT – fassent l’objet d’une régulation concurrentielle plus forte.

De même, la fiscalité européenne doit évoluer pour assurer une croissance du numérique qui soit soutenable.

Enfin, nous devons inventer de nouvelles modalités pour faire vivre la culture européenne sur l’internet.

L’Union européenne doit par ailleurs se doter d’un régime exigeant et réaliste de protection des données, à l’ère du cloud et du big data.

Nous sommes rentrés des États-Unis avec la conviction que l’approche européenne, reposant sur l’affirmation d’un droit fondamental à la protection des données personnelles, est valide. Elle peut même donner un avantage comparatif à notre industrie, qui serait ainsi incitée à être plus innovante.

M. Jean Bizet. Très bien !

Mme Catherine Morin-Desailly. Si notre régime de protection des données doit être conforté, il faut aussi le moderniser et donc adopter sans délai la proposition de règlement européen en cours de négociation.

Enfin, nous devons promouvoir cette approche européenne à l’international, ce qui implique d’encadrer le transfert de données personnelles vers les États tiers et de renégocier le safe harbor pour s’assurer que les entreprises américaines respectent nos règles. Il faut veiller aussi à tenir cette négociation distincte de celle qui porte sur le traité transatlantique – sujet qui sera débattu cet après-midi même dans notre hémicycle –, car cette question de principe fondamentale ne saurait faire l’objet d’une monnaie d’échange.

L’Union européenne doit également catalyser son industrie numérique autour d’une ambition affichée. Cela veut dire : encourager l’émergence de « champions européens » du numérique ; faciliter l’accès au financement des entreprises européennes ; développer des clusters européens du numérique ; veiller à nos intérêts et à nos valeurs dans les négociations commerciales ; promouvoir le big data comme enjeu industriel européen ; lancer avec l’Allemagne des projets industriels concrets et stratégiques pour notre avenir numérique, à commencer par un cloud européen, sécurisé mais ouvert ; promouvoir les extensions en « .fr » et « .eu », pour plus de sécurité juridique ; ou encore préparer l’internet de demain en renforçant la présence européenne dans les grandes instances internationales de standardisation de l’internet.

Autre point essentiel, l’Union européenne, à commencer par la France, doit promouvoir une appropriation citoyenne de l’internet. Cela passe par une plus grande sensibilisation des citoyens au numérique dès l’école, pour en faire des personnes libres, éclairées et responsables, et par une formation accrue d’un nombre suffisant d’ingénieurs. Cela passe également par un nouvel encadrement légal et un meilleur contrôle politique des activités de renseignement.

La gouvernance des questions numériques doit aussi être mieux structurée en France et en Europe, pour dépasser les cloisonnements administratifs. La mission propose ainsi de créer une commission du numérique au Sénat, composée de membres issus des commissions permanentes.

Enfin, le modèle européen de l’internet doit être promu par une véritable diplomatie numérique, dotée de moyens, qui s’appuie sur une doctrine claire et sur une véritable politique industrielle européenne ambitieuse.

À cet égard, madame la secrétaire d’État, je regrette que le Quai d’Orsay, avant l’été, ait allégé les maigres moyens consacrés à ce dossier. Notre diplomatie doit mettre à profit les instruments existants tels que les politiques européennes de voisinage, la francophonie ou encore la convention 108 du Conseil de l’Europe sur les données personnelles.

En effet, les données sont la ressource de demain et se trouvent au cœur de la stratégie de tous les grands pays qui se projettent comme puissance. Est-ce maintenant le cas de l’Union européenne ?

Dans cette compétition mondiale, le numérique doit devenir une priorité européenne. Nous avons noté que le président Juncker semble en être convaincu. Pour notre part, nous serons extrêmement vigilants sur cette question.

L’internet nous invite à repenser la souveraineté sous une forme dynamique, non pas autour d’un territoire, mais autour de communautés de valeurs. Je souhaite que la France, à travers le Sénat, joue véritablement un rôle moteur dans cette réflexion.

Je regrette d’ailleurs que le gouvernement français, à la différence de l’Allemagne et naturellement du Brésil, ait été silencieux sur l’affaire Snowden, car, ne nous y trompons pas, l’enjeu est bien sûr la protection des grandes libertés – et déjà, sur ce point, il aurait fallu protester énergiquement – mais c’est aussi, surtout, notre souveraineté économique. Sur place, aux États-Unis, notre mission a bien constaté que les Américains en font la priorité numéro un de leur diplomatie.

Mes chers collègues, le moment présent est d’une importance stratégique, vous le savez comme nous, madame la secrétaire d’État, entre le Conseil Télécoms fin novembre et l’activisme de l’ICANN qui prépare sa prochaine indépendance. C’est maintenant que tout se joue.

Aussi, nous vous invitons à vous appuyer sur les travaux du Sénat, qui ont largement défriché le chemin depuis deux ans, qu’il s’agisse des travaux de cette mission commune d’information – à cet égard, je remercie encore une fois tous mes collègues pour les efforts partagés – ou des travaux que j’ai également eu l’honneur de conduire au sein de la commission des affaires européennes, dont je salue le président, qui est aussi membre de la mission d’information, M. Jean Bizet, ici présent. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en préalable à mon propos, je souhaite saluer ici l’impressionnant travail mené par cette mission commune d’information et tout particulièrement par son président, Gaëtan Gorce, et sa très impliquée rapporteur, Catherine Morin-Desailly. En matière de réflexion et d’engagement parlementaire sur les nouvelles technologies de l’information, ils sont d’ailleurs, l’un et l’autre, loin d’en être à leur coup d’essai.

Membre de cette mission au titre du groupe écologiste du Sénat, j’ai eu la chance d’assister, sinon à la totalité des très nombreuses auditions conduites de décembre 2013 à juin 2014, du moins à un grand nombre d’entre elles.

Cela a été, je dois le dire, l’un des chantiers les plus passionnants de mes trois premières années passées dans cette assemblée. Et le résultat final est là : un rapport de près de 400 pages, riche de soixante-deux propositions, sans compter les plus de 400 autres pages d’annexes transcrivant une grande partie des entretiens conduits au cours des six mois de travaux !

Je reviendrai très vite sur quelques-unes des conclusions de cette mission, en me focalisant principalement, par manque de temps, sur la dimension industrielle d’internet, même s’il y aurait bien sûr énormément à dire aussi sur des questions comme celles des libertés numériques ou de la protection des données personnelles. D’autres collègues, je pense, s’en chargeront.

Mais avant d’évoquer la question de l’indispensable développement d’un « internet européen », je voudrais d’abord, et de manière plus impressionniste, témoigner de deux des nombreux moments forts qui ont jalonné nos travaux et qui, je crois, illustrent bien l’importance des enjeux soulevés par cette mission.

En premier lieu, j’évoquerai l’audition extrêmement stimulante et particulièrement éclairante du philosophe Michel Serres, une des toutes premières personnalités entendues par la mission, le 14 janvier dernier.

Michel Serres s’attacha alors à replacer le numérique dans l’histoire des échanges humains, qui ont structuré et continuent de faire évoluer notre civilisation commune : communication orale, puis écrite, puis imprimée, avant d’être à nouveau dématérialisée, avec chaque fois, à la clé, une transformation radicale de l’organisation politique et sociale, rendue possible par les nouveaux rapports entretenus par les individus avec l’information et le savoir.

La question posée par internet et par sa gouvernance dépasse de loin son apparente nature technique et technologique ! Elle englobe tous les champs et tous les acteurs de notre société, désormais très largement globalisée et planétarisée.

Nous sommes aujourd’hui au cœur d’un cycle de transformation, venu par la connaissance et qui bouleverse l’ensemble de nos connaissances.

Le second moment fort de cette mission, que je voudrais ici mettre en relief, se rapporte au déplacement que nous avons conduit à Berlin les 12 et 13 mars dernier.

Je n’évoquerai ici qu’un seul de ces échanges, notre rencontre avec Hans-Christian Ströbele, député écologiste allemand, avocat et membre de l’organe parlementaire en charge du contrôle des services de renseignement allemands. C’est l’une des rares personnes ayant pu, à ce jour, rencontrer longuement Edward Snowden depuis ses fameuses révélations sur les agissements de la National Security Agency, la NSA.

Nous étions alors peu de temps après les révélations concernant les interceptions dont Angela Merkel avait été la cible, et les déclarations que le scandale avait inspirées à la chancelière allemande.

En entrant dans la salle de réunion du Bundestag où Ströbele nous accueillait, nous lui avons, sans doute un peu naïvement, demandé si nous devions éteindre nos portables pour garantir la confidentialité des échanges qui allaient suivre.

La réponse de l’intéressé fut négative : « Cela ne servirait à rien. Les services de renseignement américains sont vraisemblablement informés de cette rencontre et n’ont nul besoin de passer par le réseau pour capter nos échanges. L’ambassade des États-Unis est située à moins de cinq cents mètres du Bundestag et du bureau de la Chancelière. Leurs équipements de surveillance sont braqués sur ces deux bâtiments. Comment croyez-vous sinon qu’ils auraient pu capter la quasi-totalité des conversations de la Chancelière au cours de ces derniers mois ? »

Le constat est pour le moins édifiant !

M. Jean Bizet. Et inquiétant !

M. André Gattolin. Je vous l’accorde, mon cher collègue.

Dire que la gouvernance actuelle de l’internet n’est pas satisfaisante est une évidence indiscutable. Sous prétexte d’une gouvernance prétendument dégagée des influences étatiques, c’est bien une prédominance états-unienne sur la quasi-totalité du secteur que nous pouvons constater.

Si, dans les premiers temps, le réseau mondial a effectivement fait émerger un mode de co-élaboration et de neutralité alimenté par la richesse, la diversité et la vigilance de ses usagers, force est aujourd’hui de constater que les États-Unis, en tant qu’État et aussi au travers de la puissance de leurs industries du numérique, ont su s’assurer une part excessive du contrôle direct et indirect du réseau.

Le seul exemple de l’ICANN, l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, dont le processus de décision est assez discutable et dont le board est largement dominé par les grandes entreprises américaines du numérique, permet de le souligner !

Depuis peu, d’ailleurs, face à la contestation croissante de leur prédominance dans les instances de gestion et de régulation du net, et devant les risques croissants d’une balkanisation de l’internet, les États-Unis commencent enfin à mettre un tout petit peu d’eau dans leur vin. Mais il ne s’agit là pour l’heure que d’une goutte d’eau dans l’océan !

Disons-le clairement, il ne s’agit pas pour moi ici de vouer aux gémonies notre partenaire et allié américain, même si de très sérieuses critiques peuvent lui être faites.

Mais avouons que les Français, les Européens, et plus généralement l’ensemble des utilisateurs du net n’ont aucun intérêt à la balkanisation de ce dernier.

Et il me semble que personne parmi nous n’a envie de vivre dans un internet à la chinoise.

Il s’agit donc de faire entendre et comprendre que l’Europe n’est pas, et ne doit plus être, une colonie d’un monde numérique dont les instruments de contrôle et de régulation, ainsi que les richesses, seraient accaparés avec plus ou moins de finesse par une ou plusieurs puissances anciennes ou émergentes de ce monde.

C’est peu de dire qu’en la matière nos institutions européennes, et tout particulièrement la Commission, auront été d’une passivité coupable au cours des vingt dernières années ! Et même si celle-ci semble commencer à se réveiller, nous restons encore loin du compte si nous voulons faire de l’Europe l’acteur qu’elle devrait être au sein d’une gouvernance renouvelée d’internet. D’où l’intérêt, notamment, des propositions nos 27 et 28 formulées par la mission, qui rebondissent sur les déclarations d’Angela Merkel en faveur d’un internet européen : l’une veut faire émerger, sur l’initiative de la France et de l’Allemagne, une véritable politique européenne de l’industrie numérique ; l’autre veut articuler et faire évoluer les règles européennes de la concurrence, aujourd’hui approchées de manière terriblement dogmatique, afin de favoriser la naissance de grands acteurs européens dans les principaux secteurs concernés par le développement d’internet.

À notre sens, l’Europe et ses citoyens ne pourront pleinement tirer parti de la révolution numérique que nous vivons ni faire vivre le meilleur de leurs valeurs dans la régulation d’internet sans se doter de semblables objectifs et des moyens concrets permettant de les atteindre. (Applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme mon collègue André Gattolin, je souhaite saluer l’excellent travail de la mission d’information, conduit sous la direction de M. Gaëtan Gorce, président, et de Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur.

Cette mission, aux travaux de laquelle j’ai eu également beaucoup d’intérêt à participer, et le rapport impressionnant qui en découle apportent des éléments extrêmement utiles sur ce qu’est internet aujourd’hui, son mode de fonctionnement, sa place et ses incidences, pour faire un état des lieux des modes de régulation actuels et, surtout, pour réfléchir à ceux de demain et leur permettre d’aboutir.

Internet, qui s’est imposé dans nos vies en quelques décennies au point d’en être désormais un élément incontournable, a profondément transformé notre société, et va la transformer encore bien davantage, à un rythme effréné, sans pour autant être accompagné de l’élaboration d’une régulation adaptée.

La gouvernance d’internet se trouve de fait entre les mains de grands acteurs privés, essentiellement américains, puisque, parmi les cinquante premières entreprises en matière de médias numériques, trente-six sont américaines, quand l’Europe n’en présente que huit parmi les cent premières contre douze voilà deux ans. Le déséquilibre est donc considérable.

Il n’existe pas d’autorité centrale qui gouverne internet ; il s’agit d’acteurs privés qui créent une forme d’autorégulation informelle du réseau, non contrôlée et essentiellement américaine.

Voilà l’un des constats effectués par cette mission, dont les membres partagent la volonté d’impulser une véritable gouvernance d’internet, qui ne serait pas de fait mais de volonté, et au sein de laquelle l’Europe prendrait toute sa place.

La gouvernance d’internet ne doit pas être privatisée et devenir prisonnière d’un dialogue technique complexe confisqué par des experts seuls habilités à se prononcer ; elle doit au contraire être envisagée comme un véritable sujet politique sur lequel les citoyens et leurs représentants doivent intervenir.

Par exemple, la gestion des noms de domaine a des conséquences économiques et politiques et devrait être gérée par un organisme international public, au lieu de l’être par une société américaine privée, l’ICANN, supervisée par le département du commerce américain, où les États n’ont qu’une voix consultative au sein du conseil d’administration.

Cette « autorégulation » d’internet, qui signifie en réalité l’absence de régulation, est extrêmement dangereuse. Elle défie les États, puisqu’elle ampute les moyens de l’action publique par l’optimisation fiscale, elle menace les modèles économiques et industriels, juridiques et culturels, mais elle constitue aussi une menace pour les libertés individuelles, en devenant un véritable outil de surveillance.

S’il existe une volonté internationale de créer une véritable gouvernance et une coopération renforcée de tous les acteurs, cette volonté n’a pour l’instant pas été suivie d’effets. Il aura fallu attendre novembre 2013 et le scandale de l’affaire Snowden pour que soit enfin adoptée une résolution à l’ONU, réaffirmant le droit à la vie privée à l’ère numérique !

Prise de conscience et premier pas, cette convention est importante, mais insuffisante. Il est donc nécessaire de faire émerger une nouvelle gouvernance, afin d’avancer précisément en Europe sur cette question des libertés, mais aussi pour se saisir de cette question d’un point de vue fiscal et économique.

Le stockage de milliards de données personnelles et son utilisation à des fins commerciales et d’hyper-surveillance à but sécuritaire se heurtent au principe de respect de la vie privée.

L’Europe a déjà avancé dans ce domaine, mais elle doit être plus volontariste et accélérer le processus de reconnaissance d’une protection des données personnelles à l’heure d’internet, par l’adoption d’une réglementation appropriée.

La décision de la Cour de justice de l’Union européenne de mai 2014 a enfin consacré un droit à l’oubli numérique, en affirmant que « tout internaute doit pouvoir obtenir la suppression des liens vers les pages web contenant des données qui le concernent », à condition toutefois que l’information soit « non pertinente, obsolète ou inappropriée » et qu’elle ne présente aucun intérêt « historique, statistique ou scientifique ».

La conciliation du droit à l’information, de l’intérêt public et du droit à la vie privée, en consacrant la responsabilité de ceux qui traitent les données, est au cœur de cette jurisprudence.

Ces principes doivent figurer dans le texte de l’Union européenne, en cours de négociation, sur la régulation des données personnelles, qui devrait être adopté en 2015.

Le principe de neutralité du net aux réseaux et aux services doit également être consacré en droit, pour éviter toute tentative de censure. Ainsi, les opérateurs de télécommunications ne peuvent discriminer les communications de leurs utilisateurs et doivent traiter à égalité tous les flux de données, quels que soient la source, la destination ou le contenu de l’information.

Mais au-delà des enjeux de libertés fondamentales, les questions fiscales et économiques se trouvent au cœur de nos préoccupations.

La fiscalité se heurte à la révolution numérique. L’optimisation fiscale est au cœur de la stratégie de développement des grandes entreprises américaines du net telles que Google, Amazon, Facebook, Netflix et bien d’autres. Leurs activités dématérialisées leur permettent de se baser dans des pays à fiscalité réduite, comme le Luxembourg ou l’Irlande, sans incidence sur leur fonctionnement. Ces grandes entreprises élaborent ainsi des montages fiscaux complexes pour échapper à toute forme d’impôt.

Il existe donc une fuite des recettes fiscales liées à l’impôt sur les sociétés au sein même de l’Union européenne.

Une harmonisation des règles fiscales est par conséquent indispensable pour valoriser l’espace européen dans la gouvernance d’internet.

Une réflexion européenne concernant la TVA sur les services électroniques et de télécommunications en Europe est en passe d’aboutir. Actuellement perçue en fonction du lieu où le prestataire est établi, elle sera due au pays du consommateur final à partir de 2015.

C’est une bonne chose, mais nous regrettons qu’entre 2015 et 2019 un régime transitoire soit prévu, retardant d’autant l’application réelle du dispositif et permettant aux entreprises dominantes de conforter leur position ou de s’adapter.

Nous rejoignons donc la conclusion du rapport de la mission d’information dans sa volonté de faire évoluer la fiscalité européenne, mais aussi de trouver de nouvelles modalités pour faire vivre la culture européenne, avec un alignement des taux de TVA des biens et services culturels numériques et physiques.

En effet, la fiscalité numérique doit aussi s’envisager sous l’angle culturel, en abordant la question du financement de la culture sur internet, du respect des droits d’auteur, de la récupération et de la captation de la valeur des œuvres sans contrepartie financière. En ce qui concerne l’industrie européenne, ce rapport fait état de la volonté de faciliter l’accès au financement des entreprises européennes et le développement de clusters dans le secteur numérique : s’il s’agit là d’une nécessité, il convient néanmoins d’être très prudent et de se demander à qui profiteront ces aides, sachant qu’actuellement les petites structures innovantes du web sont rapidement rachetées et absorbées par les géants du net.

L’attribution d’aides publiques ne peut se concevoir que sous conditions et avec exigence de contreparties, qui en l’occurrence ne peuvent se satisfaire du rachat par les multinationales américaines.

Je voudrais conclure mon intervention en mettant les recommandations de ce rapport en parallèle avec les accords commerciaux qui sont en cours de négociation entre l’Europe et les États-Unis. Comment, dans le cadre d’un grand marché transatlantique ouvert sans entraves ni garanties, l’Europe pourrait-elle espérer renforcer sa position face aux États-Unis et réaffirmer sa place dans un secteur où la domination nord-américaine est installée ?

Si nous ne voulons pas que les très bonnes recommandations de ce rapport, que le groupe communiste, républicain et citoyen partage pour l’essentiel, ne restent un vœu pieu, il sera nécessaire de s’opposer avec force à un accord de libre-échange où seuls les intérêts des grands groupes industriels et financiers sont pris en compte, parfois même au détriment de la souveraineté des États. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. André Gattolin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (M. André Gattolin applaudit.)

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, chacun d’entre nous peut mesurer au quotidien les bouleversements apportés par internet. Comme l’invention de l’imprimerie le fit en son temps, la révolution numérique a ouvert de nouveaux horizons en termes de diffusion du savoir et d’accès à la connaissance.

Mais avant tout, ce qui rend unique internet, c’est son mode de fonctionnement en réseaux ouverts, à l’image de la toile d’araignée qui lui est souvent associée. Sa puissance est ainsi exponentielle. Ses applications, que ce soient par exemple la messagerie électronique, le transfert de fichiers ou encore la téléphonie, semblent rendre infini le champ des possibles.

Par son ingéniosité, qui lui a permis d’atteindre une dimension planétaire, internet est devenu un enjeu à la fois économique et politique. Si cet outil a été pensé, à ses origines, comme un vaste forum de discussion, empreint de liberté, son potentiel commercial a rapidement explosé.

L’économie numérique tirerait déjà un quart de la croissance mondiale ; pas loin de 40 % de la population mondiale est connectée ; le commerce électronique a représenté un chiffre d’affaires de 1 221 milliards de dollars en 2013.

Dans ce contexte, il est bien évident que tout le monde souhaite profiter de la manne créée par le web.

Hélas ! comme le pointe le rapport d’information de nos excellents collègues Gaétan Gorce et Catherine Morin-Desailly, l’Europe s’est fait distancer dans le monde de l’internet, laissant sa gouvernance se développer de l’autre côté de l’Atlantique.

En effet, nous le savons, les États-Unis dominent cette gouvernance, notamment par l’intermédiaire de la société de droit californien ICANN – ce sigle se traduit en Français par « société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet » –, société qui gère le fichier racine des noms de domaine. Alors qu’internet est né sur le principe d’un espace ouvert et décentralisé, nous sommes de plus en plus enfermés dans un cadre trusté, disons-le, avec le soutien du Département du commerce américain, puisque celui-ci n’est pas sans lien avec l’ICANN.

Au fil de l’histoire d’internet, l’Europe s’est vu imposer un monopole qui n’est plus tenable actuellement, et ce pour plusieurs raisons.

En matière économique, nous constatons des abus de position dominante qui mettent en danger des secteurs de notre économie. Je pense, en particulier, à une question qui a déjà été évoquée, ici au Sénat, à savoir celle qui porte sur les extensions en « .vin » ou « .wine ».

En réponse à la saturation des noms de domaine de premier niveau générique, il est demandé à l’ICANN d’ouvrir de nouveaux noms. Mais la France a très bien mesuré les risques de ces nouvelles extensions ; en l’occurrence, les suffixes que je viens d’évoquer pourraient fragiliser la filière viticole française. Je sais le Gouvernement très mobilisé sur ce sujet, puisque trois ministres se sont saisis du dossier, dont vous, madame la secrétaire d’État, ce dont je vous remercie. Néanmoins, il semblerait, à l’heure actuelle, que la bataille soit loin d’être gagnée. Peut-être pourrez-vous nous apporter tout à l’heure quelques précisions quant à l’évolution de ce bras de fer au sujet de cette question que l’Italie, qui assure la présidence de l’Union européenne depuis le 1er juillet 2014, considère comme étant de la plus haute importance.

Je citerai un autre dommage collatéral lié à des positions dominantes, dommage auquel il doit être mis un terme grâce à un consensus : je veux parler de la possibilité de pratiquer de l’optimisation fiscale par des sociétés ayant des chiffres d’affaires faramineux. Internet étant transfrontalier, il y a, comme le souligne un récent rapport du Conseil d’État, d’un côté, le pays de l’internaute, et, de l’autre, le pays de l’internet, ce qui permet toutes les dérives, dont certaines ont nourri l’actualité.

Comme vous le savez, mes chers collègues, Google, Amazon, Facebook ou Apple sont régulièrement au cœur de polémiques fiscales. Là aussi, nous pouvons nous réjouir que le G20 ait pris la mesure des enjeux, puisque, à l’issue du sommet qui se tiendra à Brisbane le mois prochain, devrait être proposé un plan d’action pour tenter de lier les taux d’imposition aux volumes réels d’activité. Il s’agit d’une question d’équité, de surcroît lorsque certains de ces géants du net concurrencent le commerce traditionnel.

Enfin, c’est bien sûr l’affaire Snowden qui a également mis en lumière, l’année dernière, le danger d’une gouvernance prétendument autorégulée, mais en réalité bien captée par les États-Unis.

Alors que l’Europe a manqué de clairvoyance quant à la dimension stratégique d’internet – il faut bien le dire –, les Américains ont en revanche bien identifié les possibilités de surveillance, pour ne pas dire d’hyper-surveillance, qu’offrait cette technologie.

Le « Big Brother vous regarde » d’un monde orwellien ne semble plus relever aujourd’hui de la science-fiction. À cet égard, le témoignage d’André Gattolin, tout à l’heure, est inquiétant.

Dans ces conditions, il est temps, comme le préconise le rapport de la mission d’information, que l’Union européenne « reprenne en main son destin numérique pour peser dans la gouvernance du net ». Un tel sujet de préoccupation me paraît plus important que les normes sur le lait cru ou sur la puissance des aspirateurs !

M. Jean Bizet. Très juste !

M. Bruno Sido. Effectivement !

M. Jean-Claude Requier. Avec nos partenaires européens, nous devons en effet avoir une stratégie à la fois industrielle, juridique et politique pour rééquilibrer la gouvernance mondiale de l’internet. Le rapport de la mission d’information contient 62 propositions, pour la plupart pertinentes et auxquelles nous pouvons souscrire. Consacrer les principes fondateurs du NETmundial de São Paulo, rendre légitimes et responsables les enceintes de gouvernance, répondre aux abus de concurrence et limiter l’optimisation fiscale, affirmer le droit fondamental à la protection des données personnelles : toutes ces préconisations vont naturellement dans le bon sens. Elles sont de nature à repositionner l’Europe dans la gouvernance d’internet. Il y a urgence et nous avons peut-être un atout : les valeurs démocratiques partagées par l’ensemble de nos partenaires européens peuvent nous donner l’avantage du leadership moral qu’ont perdu les États-Unis avec l’affaire Snowden.

Je terminerai en ajoutant que, au-delà du souci d’une gouvernance intègre et ouverte, nous devons penser à développer l’économie numérique européenne par l’innovation et la formation. Il nous faut absolument anticiper les prochains défis technologiques liés à internet, afin que l’Europe ne soit plus le Vieux Continent, au sens propre et dépassé du terme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, dont je salue la première intervention dans cet hémicycle.

M. Olivier Cadic. « Au sommet de la pyramide est placé Big Brother. Big Brother est infaillible et tout-puissant. » Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cet extrait de 1984, célèbre roman de George Orwell, date de 1949. Avec l’affaire Snowden, Big Brother n’est plus de la science-fiction ; Big Brother est une réalité.

En 2013, les révélations de ce jeune informaticien publiées par le quotidien britannique The Guardian sur les pratiques de la NSA, l’agence de sécurité américaine, ont mis en lumière un système qui s’apparente à celui qu’avait imaginé Orwell voilà soixante-cinq ans.

C’est dans le prolongement de cet événement majeur qu’il faut replacer l’initiative de ma collègue Catherine Morin-Desailly sous l’impulsion de laquelle le groupe UDI-UC a demandé au Sénat la création d’une mission commune d’information sur le rôle de l’Union européenne dans la gouvernance de l’internet.

Mes chers collègues, ce sujet est crucial, car la prédominance américaine sur la gouvernance d’internet est un phénomène que l’on ne peut ignorer.

Plus largement, dans la bataille mondiale du numérique, nous sommes, pour l’instant, les grands vaincus. Nous pouvons le regretter, mais c’est un fait. Quand je dis « nous », je parle bien entendu des pays européens et pas seulement de la France.

Nous en sommes arrivés là pour une raison simple : dans cette bataille, tous les États membres sont partis en ordre dispersé, c’est-à-dire avec des stratégies nationales. Or, quel est aujourd’hui notre poids face aux géants américains ? La réponse objective est assez évidente : notre poids, notre influence dans la gouvernance mondiale de l’internet sont quasiment nuls.

Catherine Morin-Desailly a été guidée dans sa réflexion par l’idée que, dans le numérique, tout doit être imaginé et mis en œuvre à l’échelle européenne. Réfléchir à cette problématique à une échelle nationale n’a pas de sens. En effet, seule une approche européenne nous permettra d’avoir la taille critique pour mener une discussion équilibrée avec les États-Unis. Cette domination américaine n’est pas une fatalité, mais seule une action menée au niveau européen nous autorisera à peser dans la gouvernance d’internet.

Personne ne sera surpris que les centristes prônent une approche résolument européenne et militent en faveur d’une politique innovante de l’Union européenne en la matière. Autrement dit, madame la secrétaire d’État, dans la vision que nous défendons, ce n’est pas avec un simple secrétariat d’État chargé du numérique en France que nous pourrons peser dans quelque négociation visant à imaginer la gouvernance d’internet de demain ! Cela ne peut s’envisager qu’au travers d’un interlocuteur européen unique qui défendrait les intérêts des vingt-huit États membres.

L’affaire Snowden, par la crise de confiance qu’elle a engendrée dans l’économie numérique, nous impose un rééquilibrage des forces en présence.

Espionnage des câbles sous-marins transatlantiques, implantation généralisée de logiciels espions sur les ordinateurs, collecte massive de nos SMS : ces pratiques ne sont pas acceptables !

Dans 1984 d’Orwell, en dessous de Big Brother venait le parti intérieur, c’est-à-dire le cerveau ; en dessous du parti intérieur venait le parti extérieur, c’est-à-dire les mains de l’État.

Dans l’affaire Prism, les accords passés entre la NSA et les grandes entreprises américaines de l’internet reflètent dangereusement cette articulation. La NSA est le cerveau, mais elle ne se contente pas d’espionner ; elle s’appuie également sur la fourniture de données par les grands groupes américains du numérique, tels que Google, Facebook, Apple, conformément au cadre légal américain posé par le Patriot Act et le Foreign Intelligence Surveillance Act.

Contraints par cet arsenal juridique très efficace, les grands groupes américains du numérique deviennent en quelque sorte, parfois contre leur volonté, le bras armé des agences de renseignement américaines. Orwell les aurait baptisées « les mains de l’État ».

Dans un tel contexte, il nous est apparu indispensable que le Sénat soit un moteur de la réflexion et réaffirme l’impérieuse nécessité d’une réponse à l’échelle européenne, qui est la seule à pouvoir peser face à cette domination américaine.

Les travaux de la mission commune d’information ont abouti, en juillet dernier, à la présentation de pas moins de soixante-deux propositions abordant l’ensemble des sujets liés à la gouvernance, tels que le rôle de l’ICANN, autorité qui attribue les noms de domaines, la protection des données personnelles, ou encore l’encadrement des activités de renseignement.

Internet conduit à une modification radicale du paysage économique. Je rappelle qu’en France, selon un rapport de l’Inspection générale des finances, c’est près de 80 % de l’économie qui est concernée par l’économie numérique. Chaque jour, dans le monde, plus de 300 milliards de mails s’échangent. La dématérialisation des données, l’augmentation exponentielle des capacités de stockage et la possibilité de les transmettre de façon instantanée en s’affranchissant des contraintes physiques ont rebattu les cartes dans tous les secteurs d’activité économique.

Face à cette évolution, le rôle et la place de l’Union européenne paraissent singulièrement faibles. La cartographie mondiale de l’internet échappe à l’Europe. La menace est réelle que l’Europe devienne « une colonie du monde numérique », pour reprendre le titre du précédent rapport de Catherine Morin-Desailly. Déjà, en mars 2013, ma collègue apportait la recommandation suivante : « C’est en misant sur son unité que l’Union européenne pourra peser de tout son poids dans le cyberespace, orienter la gouvernance mondiale de l’internet […] et reprendre la main sur les données personnelles des Européens ».

Je souhaiterais insister sur trois catégories de propositions de la mission qui me paraissent fondamentales.

Tout d’abord, le rapport pointe la nécessité de refonder la gouvernance d’internet autour d’un traité international. Plusieurs évolutions récentes témoignent d’une maturation des esprits qui pourrait préparer l’adoption d’une telle convention. Le concepteur du web, Tim Berners-Lee, a récemment appelé à l’adoption d’une Magna carta d’internet : il estime qu’un traité international est aujourd’hui nécessaire pour protéger le caractère neutre et ouvert d’internet, ainsi que le droit à la vie privée et à la liberté d’expression.

Ensuite, la mission a insisté sur la nécessité de renforcer la législation européenne de la protection des données personnelles. Le pouvoir, aujourd’hui, est dans les mains de ceux qui les détiennent : elles sont devenues une réelle richesse pour les acteurs économiques du net et font l’objet de toutes les convoitises. Le big data a permis aux données, notamment personnelles, de devenir la ressource essentielle de l’économie numérique. Elles font donc l’objet d’une collecte tous azimuts, laquelle peut être volontaire, comme sur Facebook, mais aussi opérée à l’insu des individus, notamment via des cookies.

Nos concitoyens commencent tout juste à mesurer l’enjeu que représente la protection de ces données personnelles et, par extension, de leur vie privée. En effet, nous communiquons chaque jour un peu plus de données personnelles, de plus en plus détaillées et de plus en plus sensibles.

Demain, l’essor des objets connectés va amplifier ce phénomène de manière exponentielle. Prenons un exemple concret : votre montre connectée centralise de nombreuses données sur votre activité physique journalière, votre fréquence cardiaque, etc. Ces éléments, particulièrement sensibles, peuvent révéler en partie votre état de santé ou d’éventuelles pathologies : s’ils ne sont pas correctement protégés, ils pourraient tomber entre les mains, par exemple, d’un organisme de crédit ou d’un assureur peu scrupuleux utilisant ces informations pour moduler le prix de ses prestations en fonction du risque sur votre état de santé qu’il anticipe.

Il faut donc que l’Europe réagisse dès aujourd’hui.

Comme le préconise la mission d’information dans son rapport, cela passe par l’adoption de la proposition de règlement européen sur la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel.

Enfin, le troisième et dernier aspect des propositions de la mission sur lequel je souhaite insister est le contrôle des activités des services de renseignement. Il s’agit d’éviter une activité débridée, comme celle qui a été révélée par l’affaire Snowden, qui a porté une atteinte évidente et inacceptable à notre vie privée et aux libertés fondamentales. Toutefois, gardons à l’esprit que l’échange de données entre les services de renseignement est justifié par la lutte contre de nouvelles formes de terrorisme et de criminalité organisée. C’est pourquoi nous soutenons l’émergence d’un cadre européen de contrôle des échanges d’informations entre les services de renseignement.

Mes chers collègues, face aux défis du numérique, la France seule ne peut rien ! Dans cette période de doute, la famille centriste réaffirme donc son attachement à l’Europe. Le défi du numérique constitue une formidable occasion de présenter concrètement à nos concitoyens la construction européenne comme une source de progrès et de protection collective. Tel est le sens du travail de notre collègue Catherine Morin-Desailly dont je tiens, encore une fois, à saluer la qualité. Nous croyons à une Europe renouvelée, une Europe modernisée, une Europe renforcée sur la scène internationale, et nous pensons qu’internet et, plus largement, les défis du numérique permettront d’aller dans ce sens. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. –M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Marini. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Marini. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les technologies du numérique font exploser beaucoup de choses, si j’ose ainsi m’exprimer. Elles remettent en cause des habitudes intellectuelles, des concepts, mais c’est leur véritable vocation. Elles remettent également en cause les conditions habituelles dans lesquelles sont bâties les fiscalités des États, plus spécialement pour ce qui concerne le rattachement des résultats d’une entreprise aux différents territoires sur lesquels elle peut être amenée à travailler.

Ces technologies du numérique posent des problèmes multiformes qui relèvent de différents champs de réflexion. Je voudrais insister sur la très grande difficulté de ce sujet et sur le caractère tout à fait vital des analyses réalisées et des propositions formulées dans ce domaine, car il appartient aux États et à l’Union européenne de reprendre l’initiative. De quoi s’agit-il, sur quel plan devons-nous nous situer et que faudrait-il faire ?

À mon sens, les nations ne sont pas totalement hors du jeu, parce que c’est dans le cadre des nations que s’expriment les opinions publiques. Nos collègues qui m’ont précédé à cette tribune le disaient : le G20 progresse dans la lutte contre l’optimisation fiscale des grandes sociétés mondiales de l’internet. Pourquoi progresse-t-il ? Parce que les opinions publiques, sur le plan national, se sont emparées de ce sujet.

C’est notamment le cas au Royaume-Uni, que vous connaissez bien, madame la secrétaire d’État, de même que notre collègue sénateur représentant les Français établis hors de France qui s’est exprimé pour la première fois à cette tribune. Quand les Britanniques ont manifesté devant les établissements de l’enseigne Starbucks, c’est parce qu’ils avaient le sentiment d’une très grande injustice face à la différence de traitement fiscal réservé au pub du coin, qui paie l’impôt sur ses résultats au taux de droit commun, et à cette enseigne, qui peut, grâce à des montages, minimiser singulièrement sa charge fiscale.

Se posent aussi – et c’est essentiel d’un point de vue communautaire – des questions de droit de la concurrence. Vous le savez, madame la secrétaire d’État, dans ce domaine, la Commission sortante a été assez hésitante. J’avais eu l’occasion de m’exprimer à plusieurs reprises sur ces sujets, tant vis-à-vis de Mme Pellerin que de Mme Filippetti. Nous partagions au demeurant la même approche en matière de droit de la concurrence : il faut que la jurisprudence s’exprime !

Les consultations auprès des acteurs de marché réalisées à plusieurs reprises par le commissaire à la concurrence sortant, M. Joaquín Almunia, ont montré, de la part des prestataires de l’internet, une aspiration à l’équité et à la justice que l’on ne peut mettre de côté, et les propositions de la Commission européenne ont été, à ma connaissance, très largement repoussées par les milieux professionnels. Or l’Union européenne est bâtie, dans une très large mesure, sur un droit communautaire de la concurrence. Les positions dominantes qui sont assumées par les multinationales américaines minent nos certitudes et posent un singulier problème à la machine communautaire, problème qui ne pourra être traité un jour que par la Cour de justice de l’Union européenne.

J’en viens enfin à un sujet auquel notre commission de la culture sera certainement encore plus sensible, je veux parler de la protection des contenus (Mme Catherine Morin-Desailly acquiesce.), ce qui m’amène à rappeler les approches jusqu’ici très divergentes de différents États européens et leurs réponses en ordre dispersé.

L’Allemagne a adopté en août 2013 une loi, baptisée lex Google, obligeant les agrégateurs ou moteurs de recherche commerciaux à reverser une commission aux éditeurs de presse pour l’utilisation d’articles d’actualité, les éditeurs devant à leur tour rémunérer les auteurs de ces articles. En réalité, l’application de cette loi est difficile, compte tenu de manœuvres de contournement imaginées par le groupe Google, mais nous savons que les éditeurs allemands et la société de gestion collective de droits intellectuels VG Media ont porté plainte contre Google. L’Allemagne, il faut le reconnaître, a adopté une politique innovante sur le plan juridique et en matière de protection légale des auteurs de contenus.

Tel est aussi le cas de l’Espagne. Le gouvernement espagnol, pour sa part, s’est focalisé sur la question de la captation de valeur publicitaire des moteurs de recherche sur les contenus éditoriaux offerts par les sites de presse, en proposant un dispositif s’inspirant de l’exemple allemand et en instaurant un mécanisme de négociation de compensations entre les agrégateurs de contenus et les organismes de gestion collective de droits, sous l’égide d’une agence administrative. En d’autres termes, l’Allemagne comme l’Espagne se sont efforcées d’imaginer un droit commun dans ce domaine.

Qu’a fait la France ?

M. Philippe Marini. Non ! La France a préféré négocier directement avec Google, dans le cadre d’un accord conclu en présence du Président de la République au palais de l’Élysée le 13 juin 2013 entre le moteur de recherche et l’association de la presse d’information politique et générale. Elle a obtenu une sorte d’aumône, 60 millions d’euros pour soutenir la numérisation du marché de la presse répartis sur trois ans : c’est un fusil à un seul coup, alors que le problème est structurel ! (MM. Jean Bizet et Bruno Sido acquiescent.) L’État n’est pas partie prenante à l’accord, mais il veille à son application dans l’intérêt du pluralisme de la presse. Ainsi est née une association placée sous le régime de la loi de 1901, le Fonds Google-AIPG pour l’innovation numérique de la presse. À ma connaissance – cette information date de la fin du premier semestre de cette année –, 16 millions d’euros avaient été répartis entre 23 projets en 2013 ; pour l’année en cours, 17 dossiers auraient été retenus sur les 23 déposés à ce jour. L’application de cet accord s’achève en 2016, il serait temps de penser à la suite ! (M. Jean Bizet acquiesce.)

Les approches beaucoup plus structurelles et juridiquement étayées de l’Allemagne et de l’Espagne ne peuvent être assimilées au résultat d’un jeu d’influences. Encore une fois, la recherche d’un système juridique de droit commun reposant sur des principes accessibles à tous me paraît évidemment préférable.

J’insiste sur les trois éléments qui me paraissent importants : les opinions publiques sont nationales, comme je l’ai indiqué au début de mon intervention, car l’opinion publique européenne, qu’on le regrette ou non, n’existe pas encore ; la responsabilité communautaire est éminente dans ce domaine, notamment en ce qui concerne le respect de la propriété intellectuelle et du droit de la concurrence ; au-delà de l’Europe, il faut prendre en compte le niveau global et les initiatives qui vont s’imposer de plus en plus dans le domaine fiscal, avec l’évolution des conventions interétatiques, bilatérales ou multilatérales, qui régissent les conditions dans lesquelles le résultat d’une entreprise peut être localisé sur tel ou tel territoire.

Madame la secrétaire d’État, je terminerai mon intervention en évoquant deux points.

D’une part, j’ai déposé, voilà quelques mois, une proposition de loi sur la rémunération des auteurs d’images fixes et photographiques, puisqu’il me semble que, si l’on doit s’intéresser aux contenus éditoriaux, on doit aussi s’intéresser aux auteurs d’images.

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Philippe Marini. La commission de la culture a désigné notre collègue Jean-Pierre Leleux comme rapporteur de ce texte, et j’espère, madame la présidente de la commission, qu’il sera possible d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de la séance publique dans les prochains mois, car elle s’inscrit dans la droite ligne des sujets que vous avez traités et des recommandations que vous avez émises, avec l’ensemble de nos collègues, dans le cadre des travaux de la mission commune d’information sur la gouvernance de l’internet.

D’autre part, je voudrais signaler l’initiative très judicieuse de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, en d’autres termes la HADOPI. Celle-ci m’a récemment présenté ses travaux sur la rémunération proportionnelle du partage : il s’agit de travaux d’analyse et de recherche visant à étudier la faisabilité d’un dispositif de rémunération proportionnelle des usages de partage des œuvres pratiqués sur les réseaux électroniques. Sans entrer dans les détails techniques de cette proposition, celle-ci me semble bienvenue, car elle est à mon avis porteuse d’équité et de sécurité juridique. Le rapport intermédiaire dont j’ai eu connaissance montre que le dispositif envisagé est complexe, mais que les difficultés doivent pouvoir être surmontées.

Au total, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le président de la mission commune d’information, mes chers collègues, cet ensemble de sujets revêt, me semble-t-il, un caractère essentiel pour le Sénat. Dans ce domaine, nous devons pouvoir être des novateurs, des précurseurs, des auteurs de propositions, car le monde d’aujourd’hui est bien le monde d’internet : tâchons de le maîtriser un peu ! (Applaudissements.)

MM. Jean Bizet et Bruno Sido. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est un débat particulièrement opportun qui est organisé ce matin dans notre hémicycle. La question de la gouvernance d’internet, aussi vaste et mouvante que le web lui-même, est en effet maintenant au cœur de nos sociétés.

Fruit d’une innovation d’abord militaire – cela démontre une fois de plus combien l’investissement dans la recherche et développement en matière de défense est primordial –, l’internet fut – et reste – une promesse de communication, d’échange, d’information, d’éducation et de progrès.

Dire que l’internet consiste en une véritable révolution pour l’humanité est un euphémisme.

C’est d’abord une révolution spatio-temporelle au sens propre, puisque le web s’est affranchi des frontières matérielles et géographiques pour établir une immédiateté et une proximité qu’il nous faut in fine nous approprier, maîtriser mais aussi réglementer.

En moins d’une génération, internet a explosé par le nombre d’utilisateurs, la mobilité, les volumes de données, l’importance économique et son aspect international. Je n’en veux pour preuve que l’introduction en Bourse, voilà quelques semaines, du site marchand chinois Alibaba, qui aura marqué l’histoire du New York Stock Exchange en levant 25 milliards de dollars auxquels s’ajoute la vente de 48 millions de titres supplémentaires. Ce site représente un accès à 300 millions d’utilisateurs connectés à la même interface, ce qui donne la mesure des nouvelles échelles auxquelles nous devons faire face.

S’agissant du thème central de notre débat, il importe de comprendre que le modèle de gouvernance est multi-acteurs. Les évolutions en cours, notamment le suivi du sommet NETmundial d’avril 2014 et la transition de l’intendance des fonctions de l’Internet Assigned Numbers Authority, ou IANA, présentent tout à la fois une opportunité et une responsabilité communes.

Dans ce cadre, la France devrait contribuer, par son expertise et son soutien, à l’amélioration du système international multi-acteurs de gouvernance de l’internet, notamment dans le cadre de la transition des fonctions IANA, afin de renforcer la diversité et la stabilité de l’internet ainsi que de pérenniser ses retombées sociales et économiques.

Elle devrait également créer une structure nationale pérenne, indépendante et multi-acteurs, chargée de contribuer au développement des politiques de l’internet en France et de renforcer la participation française aux instances internationales de l’internet. De telles structures existent déjà, du Brésil au Liban, et sont actuellement en développement ailleurs en Europe, comme en Italie.

Ce nouveau processus, ce « New Deal » inspiré par la France en Europe, contribuerait à encourager les États dans le choix d’un internet sûr par un haut niveau de garantie des droits et à faciliter l’accès aux données tout en sachant préserver la confidentialité des données personnelles.

Pour ce faire, il faudrait absolument parvenir à la rédaction d’une nouvelle convention internationale garantissant ces règles du jeu, convention qui compléterait utilement les règles existantes des traités d’entraide juridique entre les États.

Par exemple, si les autorités d’un pays pensent qu’il y a menace réelle et que celle-ci peut être combattue notamment par l’accès aux données d’un citoyen d’un autre pays, ce nouveau processus pourrait éventuellement être utilisé. Cependant, pour ce faire, cette procédure devrait absolument satisfaire aux règles et garanties du pays visé. Ce sujet a été abordé lors de la récente discussion du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

Par ailleurs, il est temps que l’Europe prenne ses responsabilités et la direction des opérations. De manière concrète, cette nouvelle forme de coopération pourrait être amorcée avec les pays qui, à la fois, satisfont aux règles existantes et respectent les normes et standards internationaux.

Cela éviterait le risque, pour les gouvernements usant de procédures exceptionnelles, d’être soumis à une violation des droits de l’Homme. Ils seraient alors enclins à rejoindre le cadre international renouvelé.

Accroître la transparence, réduire l’incertitude juridique, harmoniser le droit, telles sont les trois manières de ne pas ralentir les formidables progrès qu’offre la technologie, notamment en matière de cloud computing. Ainsi, nous devons tout faire pour permettre à nos entreprises de se déployer à l’international, par exemple en hébergeant des services et des données dans un pays pour le citoyen d’un autre pays.

Ces questions sont parfois délicates et techniquement complexes. Il est néanmoins évident que l’usage des nouvelles technologies par les consommateurs, les entreprises et les gouvernements a engendré la nécessité de reformuler notre approche des règles du jeu internationales pour les rendre tout à la fois loyales et efficaces, conciliant les libertés civiles et la sécurité publique.

C’est pourquoi il est essentiel qu’aboutisse le projet de règlement européen sur la protection des données afin de mettre en place un cadre clair et lisible pour les citoyens, les entreprises utilisatrices du cloud et du big data et les opérateurs proposant de tels services. Cela permettra assurément de favoriser davantage de croissance grâce à la révolution numérique. Plutôt que de vouloir inventer des « lignes Maginot » sans effet, créons un cadre juridique propice à l’innovation et fondé sur la confiance !

Cependant, ne nous y trompons pas : la question de la gouvernance de l’internet, c’est aussi celle de la lutte contre les monopoles qui pervertissent l’idéal du web et qui, au-delà de l’optimisation fiscale, érigent des barrières à l’entrée pour les acteurs français et européens innovants.

Les travaux de Jean Tirole, consacrés par le prix Nobel d’économie, montrent d’ailleurs que la structure biface a des implications majeures sur la concurrence. La presse a largement cité ce prix Nobel qui a démontré les risques que Google fait peser sur la libre concurrence.

La question de la gouvernance de l’internet pose plus largement la question de la neutralité de certaines plateformes : celles qui organisent du contenu d’information, de loisir ou de nature commerciale et le monétisent à leur profit.

Le récent rapport annuel du Conseil d’État, consacré au numérique et aux droits fondamentaux, contient des développements importants à cet égard. Il propose notamment de travailler sur cette notion de « loyauté » des plateformes.

Ainsi se rejoignent les analyses des régulateurs et celles du prix Nobel de l’économie, Jean Tirole. Or, force est d’admettre que les outils classiques du droit économique ont échoué à régler la question. La longueur de la procédure engagée à Bruxelles montre qu’une régulation ex ante est désormais nécessaire pour anticiper les effets de réseaux qui font qu’un acteur peut s’emparer d’un marché et le réduire à sa main, laquelle est non la main invisible du marché mais celle du contrôleur de l’information qu’il prétend devenir urbi et orbi.

Le commissaire sortant à la concurrence, M. Joaquín Almunia, après avoir tenté de négocier, a finalement reconnu que les propositions de Google n’étaient pas à la hauteur. Récemment, M. Almunia convenait que les questions posées par Google étaient d’une intensité inédite et bien plus importante que celles qui avaient été posées en son temps par Microsoft.

C’est pourquoi il faut soulever le problème de la régulation d’un acteur qui s’apparente à une infrastructure essentielle. Nous savons que cette notion est discutée et que le Conseil d’État préfère fonder une possible régulation ex ante sur d’autres principes. Pourtant, nombreux sont ceux qui considèrent, y compris en Allemagne, que doit être réalisé un dégroupage de Google entre son activité de moteur horizontal et ses moteurs verticaux concurrents d’autres acteurs.

Nos opérateurs historiques, tel France Télécom, y ont été contraints. Dans le monde des médias, des règles limitant la concentration ont été érigées pour préserver le pluralisme.

Alors, pourquoi devrions-nous en cet instant rester immobiles ? Il nous faut être créatifs pour défendre l’innovation et son écosystème, ainsi que la liberté sur internet ! L’Europe, colonie du monde numérique ? Oui, elle l’est très probablement avec cette situation inédite de monopole d’un acteur dont le slogan est : « Notre ambition est d’organiser toute l’information du monde » !

Madame la secrétaire d’État, nous voyons l’intense lobbying du géant de la Silicon Valley. Votre agenda le prouve et le Wall Street Journal a récemment révélé que vous-même et le Premier ministre aviez longuement rencontré ses dirigeants. À moins qu’il ne se soit agi pour eux de confirmer qu’ils allaient enfin honorer leur immense dette fiscale à l’endroit de notre pays, il est à craindre qu’ils n’aient longuement essayé de vous convaincre de ne rien faire pour les réguler. Ils ont sans doute évoqué comme un mantra les vertus immenses de l’innovation qu’il ne faut surtout pas brider.

Nous espérons bien sûr que vous ne céderez pas à ces sirènes. En effet, l’innovation sans respect des règles porte un nom : la dérégulation. Or l’économie de marché n’est pas la soumission aux monopoles. Elle est son exact contraire !

À une économie numérique de la prédation, nous répondons par un appel à une économie numérique de la loyauté, de la transparence et du pluralisme.

Je voudrais maintenant concentrer mon propos sur un deuxième point qui concerne plus particulièrement le rôle des législateurs et leur nécessaire mobilisation et organisation.

La mise en place d’une mission commune d’information a été une première pierre dont je vous félicite, madame la rapporteur : la première pierre d’un édifice que les parlementaires doivent bâtir rapidement, dans le sens où il est impératif de se saisir, en amont et de façon systématique, des problématiques que posent l’internet et l’ère numérique. Cela vaut pour les législateurs nationaux et européens, toutes commissions et toutes appartenances politiques confondues.

Au Sénat, il serait plus que dommageable que nous nous arrêtions là, au seul stade du constat des enjeux, lequel est néanmoins très exhaustif et même effrayant tant il y a à faire !

J’en profite pour remercier très chaleureusement tous ceux qui ont participé à cette mission. Les réflexions qui en sont issues, tout particulièrement celles du rapporteur, Mme Catherine Morin-Dessailly, qui a réalisé un remarquable travail et un excellent rapport dont nous pouvons tous être extrêmement fiers, doivent constituer pour nous un socle commun à partir duquel il nous faut avancer – et vite ! – car il y a urgence. La place de l’Europe, comme en témoigne l’expression « colonie du monde numérique » que j’ai mentionnée tout à l’heure, nous le prouve une fois de plus.

À ce titre, l’initiative allemande devrait nous inspirer. Au Bundestag, une commission « Agenda numérique » a été mise en place sur l’initiative de l’ensemble des quatre groupes politiques – CDU/CSU, SPD, Die Linke et Bündnis 90/Die Grünen – par un vote au Bundestag le 13 février 2014. Elle est la traduction de l’une des principales recommandations de la commission d’étude ad hoc « Internet et société numérique ». Elle s’est penchée sur les conséquences de l’introduction du numérique dans tous les aspects de la vie économique, politique et sociale.

Cette commission « Agenda numérique » s’est fixé pour objectif de développer au sein du Parlement une expertise et un savoir-faire sur les enjeux du numérique afin de mieux contrôler l’action du Gouvernement en la matière.

En effet, bien que cela ait fait l’objet de nombreux débats, cette commission n’est pas législative. Elle travaille non en concurrence mais en complémentarité des autres commissions permanentes. Elle se pose donc en aiguillon des autres commissions afin d’éviter que des sujets numériques ne soient traités que partiellement en raison d’un manque de transversalité.

Selon ses membres, la plus-value de cette nouvelle commission réside dans sa capacité à faire inscrire les sujets numériques à l’ordre du jour, à les aborder sous divers angles et à lancer le débat, sans pour autant prétendre mieux traiter la question au fond.

Enfin, la création de cette commission est aussi un signal fort envoyé à l’opinion publique qui s’inquiète de plus en plus de l’utilisation des données personnelles mais aussi de l’enregistrement des comportements des consommateurs via les sites marchands et leur synchronisation avec les réseaux sociaux.

En effet, aujourd’hui, nous vivons à l’heure de Facebook et de son principe : « En conservant ce que tu “likes”, je te dirai qui tu es, ce que tu achèteras et pour qui tu voteras ».

À l’Assemblée nationale, le 11 juin dernier, a été créée une commission ad hoc de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique. À titre d’exemple, cette commission s’est prononcée sur sept articles du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, examiné par l’Assemblée nationale en septembre dernier.

Si je refuse le parallélisme des formes systématique entre nos deux assemblées – le Sénat n’est évidemment pas un clone de l’Assemblée nationale ! –, je pense que nous devons aussi continuer à nous mobiliser. En réalité, il s’agit, pour les législateurs que nous sommes, de nous adapter à la révolution qu’est internet.

Je vous rassure, il n’est pas question, dans mon esprit, de créer une autre commission permanente, avec postes de dignitaires. Je pense plutôt à une délégation, à un comité ou à un groupe de travail et d’experts qui offrirait assistance et expertise scientifiques, et serait saisissable et mobilisable en temps et en heure.

À cet égard, on peut se référer au modèle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST.

La possibilité pour les parlementaires d’avoir une expertise scientifique est à mon sens très importante, en particulier à l’heure où, dans la Silicon Valley, Google et d’autres géants investissent non plus dans la réalité augmentée, mais sur et dans le « corps connecté ».

Quand on voit que Peter Thiel, investisseur dans Facebook, fondateur et CEO de PayPal, finance largement des organisations telles que la Singularity University, qui est un centre d’échanges et de recherches au cœur du NASA Research Park, il importe de bien comprendre le champ des réalités auxquelles nous ne cesserons d’être confrontés. Dans cette structure, fondée par Ray Kurzweil, gourou du « transhumanisme » et théoricien de la singularité technologique, se rencontrent biologistes, ingénieurs, professeurs de médecine et spécialistes de l’intelligence artificielle du plus haut niveau. Ces chercheurs, tels que Daniel Kraft, travaillent activement sur la médecine du futur, les nanotechnologies comme l’optogénétique.

Cela nous concerne, car ces progrès médicaux et scientifiques reposent sur l’alliance de l’homme et de la machine. Rien de nouveau, me direz-vous, si ce n’est que ces machines sont connectées, et pour certaines d’entre elles, déjà gérables via des applications. On sait que certains pacemakers disposent d’une adresse IP intégrée. Quid, à terme, de l’exploitation et du stockage de ces données dont certaines sont relatives au génome humain ? C’est ce qu’on appelle la mobile health, ou la médecine numérique, sur laquelle se sont déjà penchés les principaux investisseurs, qui sont pour une grande partie les géants du net. Apple et Google ont lancé leurs plateformes paramédicales ; force est de constater qu’ils se sont déjà positionnés sur le marché de la santé.

De même, aujourd’hui, il est possible d’imprimer en 3D des objets. Ces innovations n’ont pas échappé aux chercheurs qui travaillent sur le bioprinting. Il s’agit d’imprimer en 3D des médicaments personnalisés à partir de diagnostics personnels réalisés à partir d’applications capables d’analyser votre code génétique.

Il ne s’agit pas d’être réfractaire au progrès, à ces innovations fondées sur la connexion ; il s’agit simplement pour nous de ne pas être submergés par cette révolution, mais d’anticiper à nouveau.

En conclusion, je tiens à féliciter Catherine Morin-Desailly pour son excellent rapport et pour sa proposition de résolution européenne que, bien évidemment, je soutiendrai. (Applaudissements sur la plupart des travées.)

M. Jean Bizet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, qui fut le président de la mission commune d’information.

M. Gaëtan Gorce. Je vous remercie, madame la présidente, de rappeler ces responsabilités, qui furent pour moi très agréables à exercer, même si elles nous ont occupés, avec mes collègues, près d’un semestre entier.

Cette mission commune d’information a été constituée sur l’initiative de Catherine Morin-Desailly, avec l’aide active de plusieurs de nos collègues, parmi lesquels Michel Billout, André Gattolin et Jean Bizet, qui se sont mobilisés pour essayer de clarifier les enjeux d’une question qui était restée un peu trop en retrait du débat public ces dernières années.

Il a fallu qu’éclate l’affaire Snowden pour que l’on commence à mesurer les conséquences de l’évolution d’internet, des techniques de surveillance et du poids de certains monopoles. Il a aussi fallu que cet événement soit relayé par une volonté politique – c’est indispensable, et on la retrouve dans cet hémicycle. Ce point est d’importance, car c’est à nous qu’il revient aujourd’hui, en partenariat avec l’ensemble des acteurs, d’exprimer une orientation, une ligne autour de laquelle mobiliser tous ceux qui sont attachés à la démocratie, à l’évolution de ces technologies et à la liberté que représente internet. C’est d’autant plus important qu’internet n’est, hélas ! plus vraiment l’affaire de l’Europe depuis de nombreuses années, non pas que celle-ci n’ait pas joué un rôle considérable dans la conception du réseau ; au contraire, grâce à ces ingénieurs, elle a souvent été au premier plan. Je pense, par exemple, au rôle crucial joué par Louis Pouzin, que nous avons auditionné ; il est par ailleurs nivernais, ce qui constitue selon moi une qualité supplémentaire. (Sourires.)

Dans les années soixante-dix, nous étions, d’une certaine manière, maîtres des événements. Si les États-Unis ont repris la main sur l’ensemble du dispositif, ce n’est pas tant parce qu’ils ont fait preuve d’une compétence ou d’une inventivité supérieure, mais parce qu’ils ont su organiser une véritable stratégie autour d’objectifs. La faiblesse de l’Europe, en particulier de la France, tient au fait qu’elle n’a pas su se donner les moyens d’atteindre les ambitions qui sont naturellement les siennes, au regard des compétences et des savoir-faire qu’elle contrôle et maîtrise. Il s’agit donc aujourd’hui de savoir comment l’Europe peut, non pas reprendre la main, mais faire en sorte qu’internet redevienne ce qu’il était dans l’esprit de ses fondateurs, c’est-à-dire un système économique, social et technologique sur lequel chacun – d’abord les citoyens et les démocraties – ait un droit de regard. C’est le débat qui nous est proposé.

L’Europe a des atouts considérables pour y parvenir. Nous ne devons donc pas aborder les discussions qui s’amorcent avec le sentiment que nous sommes faibles, même si le rapport de force est évidemment en faveur de nos amis américains. Ces atouts sont d’abord liés au fait que le marché européen est indispensable aux grandes entreprises américaines en raison du pouvoir d’achat et du niveau d’éducation de ceux qui le composent. Les règles dont nous nous doterons auront par conséquent une influence importante sur l’activité de ces entreprises.

Abordons ces sujets avec la conscience de ce que nous sommes et des valeurs que nous défendons. À cet égard, la discussion qui s’engage sur le règlement européen est particulièrement utile puisqu’elle nous permettra, au-delà des points de vue exprimés par chaque gouvernement, de nous doter d’un système juridique susceptible d’influencer fortement le reste du monde et de modifier nos rapports avec les entreprises américaines. Il est donc souhaitable, et j’espère que vous nous en direz un mot, madame la secrétaire d’État, que la question du règlement européen – laquelle ne dépend pas seulement de nous – soit traitée rapidement et que ce texte soit adopté dans de brefs délais, car il sera tout à fait utile à la négociation qui s’engage sur d’autres sujets ; j’en citerai quelques-uns auxquels nous devons rester attentifs, et sur lesquels il sera nécessaire que le Gouvernement, profitant de ce débat, puisse nous informer.

Tout d’abord, s’agissant du safe harbor  l’accord passé, à la demande d’entreprises américaines, entre l’Union européenne et les États-Unis sur le transfert de données en direction des États-Unis –, sujet abordé par plusieurs orateurs, et notamment par Catherine Morin-Desailly, la négociation a été rouverte après l’affaire Snowden. Cet accord, qui date de 2000, reposait au fond sur une sorte de confiance réciproque qui, à l’évidence, a été trahie, au point d’ailleurs que le Parlement européen avait conseillé de suspendre les transferts de données, rappelant que nos autorités de contrôle pouvaient également prendre cette décision si elles le jugeaient utile. Nous ne sommes pas allés jusque-là ! Pour autant, nous devons veiller à ce que, dans le cadre de la négociation du safe harbor, nos principes soient mieux respectés. Par exemple, un citoyen européen dont les données ont été utilisées contre son gré aux États-Unis, ce qui va à l’encontre des règles fixées par l’Union européenne, doit pouvoir disposer des voies de recours adéquates, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Je ne sais pas, madame la secrétaire d’État, où en est la discussion sur le safe harbor, mais il serait très utile que vous nous l’indiquiez. On parle en effet beaucoup des autres négociations, mais assez peu de celle-ci, alors même que ses conséquences sont très importantes.

La seconde négociation qui a son importance dans cette affaire est celle menée sur le traité transatlantique de libre-échange, qui fera l’objet d’une séance de questions cribles cet après-midi au Sénat. Il est nécessaire de rappeler qu’il n’est pas souhaitable de confondre cette négociation avec celle, que je viens d’évoquer, relative au respect des règles sur la protection des données. Nous disons clairement dans le rapport que ces deux discussions doivent être distinctes. Néanmoins, la question des normes sera soulevée au cours de la négociation du traité transatlantique, ne serait-ce que sur certains aspects particuliers, comme l’internet des objets. L’enjeu est donc très important au regard de nos valeurs. Or je suis très inquiet de la façon dont les choses se passent, à la fois parce que nous ne disposons pas d’informations suffisantes – il semble à cet égard qu’une évolution se profile, notamment à la demande de la France ; tant mieux ! – et parce que l’organisation de cette négociation dénote nos faiblesses traditionnelles en face de négociateurs bien formés et intégrés.

Quand on interroge de grandes entreprises françaises qui ont des intérêts dans cette négociation, s’agissant notamment du numérique, celles-ci nous disent qu’elles ne sont pas associées de manière étroite à la discussion par les négociateurs européens. Les Américains, eux, ont mis en place des comités spécifiques au sein desquels sont discutés les enjeux ; de notre côté, nous ne l’avons pas fait, ce qui signifie que nous nous préparons à vivre une situation très délicate. Je tiens donc à exprimer mes craintes pour ce qui concerne l’aspect industriel de cette question, même si cette négociation comporte également des enjeux diplomatiques, économiques et sociaux et, bien sûr, d’image. La mission commune d’information a essayé de mettre le doigt sur ces différents sujets.

Je ne reviendrai pas sur les divers aspects abordés depuis le début de la présente discussion : la nécessité d’une stratégie industrielle européenne, que je viens d’évoquer en creux à propos du safe harbor ; la nécessité de se doter d’un cadre juridique solide et offensif, lequel nous permettra d’être bien campés sur nos appuis, comme on dit en sport, pour avancer ; la nécessité de réfléchir à une coopération renforcée entre les nations européennes sur un certain nombre de sujets. Je regrette, de ce point de vue, que les propositions du gouvernement allemand n’aient pas toujours été entendues et reprises du côté français, comme la constitution d’un cloud européen et la réflexion sur la mise en place d’un internet européen des sécurités qui doivent l’accompagner...

M. Jean Bizet. Exactement !

M. Gaëtan Gorce. Nos partenaires allemands ont fait leurs propositions de manière peut-être un peu rapide et précipitée, du fait de l’émotion liée à la découverte des écoutes dont avait été notamment victime la Chancelière, mais il y a là des axes de coopération sur lesquels nous devons avancer.

Lorsque nous nous sommes rendus en Allemagne, nous avons entendu des points de vue parfois différents, voire contradictoires, mais ils traduisaient tous, en tout cas de la part de la Chancellerie, la volonté de trouver une base commune d’action, laquelle nous permettrait d’agir avec plus de force et d’impact.

J’achèverai ce rapide tour d’horizon de cette question, laquelle a été très largement défrichée et explicitée par les précédents intervenants, en insistant sur deux points.

Le premier n’est pas d’ordre seulement formel. Je veux en effet redire le plaisir qui a été le mien d’animer les travaux de la mission commune d’information, souligner la qualité des interventions que nous avons entendues et rappeler les opportunités qui nous ont été offertes, lors de nos déplacements, de rencontrer des acteurs importants de ce domaine afin de mieux en comprendre les enjeux. Nous en avons retiré la certitude, y compris aux États-Unis lors de nos rencontres avec des représentants de l’industrie américaine, que notre volonté de défendre des règles de protection de la vie privée est entendue par un certain nombre d’entreprises, lesquelles souhaitent que ces règles soient clairement fixées. Nous devons en effet avoir conscience que les intérêts d’Amazon et de Google ne sont pas ceux de l’ensemble de l’industrie et du secteur des services américains. Il est donc nécessaire que nous poursuivions cette discussion au sein de cet hémicycle, comme nous le faisons au travers de la proposition de résolution.

Il nous faudrait également créer, comme l’a dit Mme Garriaud-Maylam – je crois que le rapporteur partage également cette idée et qu’une proposition de résolution sera déposée en ce sens –, sinon une commission, du moins une délégation qui puisse travailler sur tous ces sujets, afin que nous en ayons une vision transversale, tant les questions de souveraineté, de protection des droits des personnes, ainsi que les enjeux industriels et technologiques sont mêlés. Cette vision globale nous évitera de commettre des erreurs ou de nous tromper de perspective lorsque nous serons amenés à débattre et à légiférer.

Le second point renvoie d’une certaine manière au débat que nous avons eu au Sénat, la semaine dernière, sur la lutte contre le terrorisme et l’intervention des juges en vue de contrôler les éventuels blocages d’accès à des sites internet.

Nous sommes en permanence perturbés lors de nos discussions par l’idée que nous nous faisons d’internet, laquelle correspond effectivement au message de ses fondateurs : un espace de liberté fondé sur le partage et la gratuité. Ce message serait censé perdurer, en théorie sans doute...

L’idée selon laquelle la Toile serait un espace permettant de promouvoir de telles valeurs, nous devons y rester attachés, même si elles ne sont plus vraiment d’actualité. Ceux qui ont repris la main dans ce domaine cherchent au contraire à exploiter nos données personnelles avec avidité, comme en témoignent les agissements de certaines entreprises. Cela doit nous inciter à écarter toute naïveté.

Nous ne sommes plus dans une situation où il suffirait de laisser aller les choses. Il convient au contraire que la volonté politique, s’appuyant sur des valeurs de démocratie, reprenne la main. Nous ne devons pas avoir d’état d’âme ou de doute sur la nécessité d’introduire dans le débat public ces sujets, qui étaient jusqu’à présent réservés à des initiés, pour ne pas dire à des « supporters ». Nous devons nous en saisir, mais pas avec le souci de transformer internet en un champ de bataille clos entre les États ou d’en revenir à un État qui imposerait des règles ou construirait des lignes Maginot.

Ces sujets mettent en jeu une certaine idée de la société et de l’homme. La société, au travers de ses représentants, doit donc pouvoir s’exprimer et, lorsque c’est nécessaire, fixer un cadre. C’est ce que nous demandons s’agissant de l’ICANN et ce que nous souhaitons voir se réaliser dans d’autres domaines. C’est ce que nous pourrons faire dans les prochaines années si la prise de conscience qui s’est amorcée prend toute sa dimension. Pour ma part, au vu de l’intérêt que suscitent ces débats, je suis optimiste. (Applaudissements.)

M. Jean Bizet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de commencer par remercier M. Gattolin d’avoir évoqué la tuerie qui a eu lieu hier à Ottawa. Au nom du Gouvernement, j’adresse mes condoléances à la famille du soldat tué. Le Président de la République aura l’occasion de s’entretenir des suites de cette affaire lors de son déplacement officiel au Canada dans quelques jours.

Madame Morin-Desailly, je vous remercie du rapport d’information que vous avez rendu, et je tiens à saluer la qualité et le sérieux du travail des membres de la mission commune d’information. Ce travail parlementaire est très utile au Gouvernement. Sachez qu’à Berlin, où j’étais voilà quelques jours, j’ai rencontré les parlementaires allemands membres de la nouvelle commission parlementaire « Agenda numérique » et j’ai cité les travaux menés par le Sénat français. Je le fais également avec d’autres de mes interlocuteurs lors de discussions relatives à des enjeux d’ordre commercial ou privé.

Je partage très largement les constats dressés dans ce rapport d’information et, tout d’abord, son postulat de base. Oui, nous avons péché par naïveté vis-à-vis des grands acteurs de l’internet et, probablement, des stratégies que le gouvernement américain a déployées dans les dix dernières années, avec l’avènement d’un internet de grande ampleur ! Cette erreur a fait prendre du retard à l’Europe par rapport aux États-Unis et à la Chine. De ce point de vue, la France n’a pas été en reste, et cela n’a pas commencé avec la signature d’un accord avec Google sur la presse. Non, cette naïveté s’est exprimée avec beaucoup de force au moment du premier G8 en 2011, où nous avons déroulé le tapis rouge aux géants de l’internet, sans nous poser la question du rôle que pouvait jouer notre pays dans cette nouvelle configuration internationale. Toujours est-il que nous sommes plus lucides aujourd’hui. Le temps de la reconquête et de la contre-offensive est venu.

Beaucoup l’ont souligné, la France ne peut pas être seule dans ce combat. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement cherche activement à convaincre ses partenaires européens de la nécessité d’agir ensemble à l’échelle européenne.

Cela a également été rappelé, les outils opérationnels en matière de droit de la concurrence en vigueur à l’échelon européen ont été beaucoup trop concentrés sur la levée des barrières au sein de l’Union européenne. Il a manqué une véritable stratégie industrielle qui puisse prendre en compte les avantages et les inconvénients des acteurs nationaux et européens. Là aussi, il est largement temps de réagir.

La France, au même titre que l’Europe, se caractérise par un socle très solide de valeurs concernant sa vision d’internet. Celles-ci ont sans doute été trop peu mises en avant politiquement dans les débats, si bien que, contrairement à d’autres gouvernements, nous n’envisageons pas suffisamment à l’échelon européen internet comme un outil de géopolitique et de soft power.

Enfin, nous nous heurtons à une difficulté récurrente qui est propre à notre continent, celle d’unir les entreprises, les pouvoirs publics et la société civile dans un message commun. Il est facile de tirer sur le gouvernement français ou sur les institutions européennes. Le contraste est assez frappant avec les tactiques menées par les acteurs américains, chinois ou japonais, par exemple lorsqu’il s’agit de défendre certaines valeurs à l’échelle internationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, maintenant qu’il est établi que vos observations sont largement partagées, je tiens à vous expliquer comment le Gouvernement agit. Car, oui, le Gouvernement agit, et même très activement, à l’échelon européen ! Je dirais même que la France est désormais perçue comme l’État qui porte le plus haut la voix dans les enjeux sur la gouvernance de l’internet au sens large.

Vous avez envisagé la problématique de manière large, puisque vous avez évoqué la concurrence, la fiscalité, les données personnelles, la politique d’attractivité en matière d’écosystème numérique, la politique industrielle et culturelle. Cela tranche totalement – c’est une avancée notable – avec la vision plus classique, qui s’attachait à parler d’infrastructures, de télécommunications ou du strict secteur culturel. Cette position est l’exact reflet de l’approche ambitieuse que défend le Gouvernement.

En matière de fiscalité – je sais que c’est une préoccupation des parlementaires et, en ce sens, mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous faites l’écho des préoccupations de nos concitoyens –, la France mène le combat pour rétablir l’équité, qui a été détournée par des mécanismes que permet l’économie numérique : redevances immatérielles, absence d’établissement stable, optimisation fiscale au moyen de sandwiches divers et variés...

Vous savez sans doute que l’OCDE a publié au mois de septembre dernier un premier rapport d’étape de son groupe de travail sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, dit « BEPS ». Ce document, qui compte plusieurs centaines de pages, montre à quel point les questions sont complexes. L’objectif est de réviser les règles internationales en la matière. Les travaux avancent, sans doute trop lentement, et la France maintient une position très ferme dans ces négociations. Notre pays se fait également entendre dans les instances internationales, tel le G20. Ce sera prochainement le cas en Australie où le sujet de la fiscalité et de la lutte contre l’optimisation fiscale sera au cœur des discussions.

La France a des contentieux avec plusieurs grandes plateformes numériques, comme Google ou Amazon. Leur issue est regardée de très près en Europe. En effet, une brèche juridique qui s’ouvrirait en France pourrait sans doute inverser le rapport de force qui s’est établi jusqu’à présent à l’avantage des géants de l’internet.

M. Philippe Marini. Très bien !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Il est clair que, sur le sujet de la fiscalité, les intérêts des États-Unis et de la France divergent.

Madame Garriaud-Maylam, vous avez évoqué mon agenda. Sachez que le Wall Street Journal a cité tout récemment les propos que j’avais tenus à l’égard des pratiques fiscales de Google, les dénonçant comme « outraging » – « révoltantes » – au regard du montant de l’impôt payé en France.

Sur les données personnelles, la France a aussi porté un message ambitieux et pragmatique dans la discussion européenne qui est en cours. Je me réjouis de constater que les négociations portant sur le règlement communautaire concernant les données personnelles ont repris et avancent plus vite qu’auparavant. Le sujet, qui a été évoqué dans le cadre des auditions des commissaires en charge de ce dossier, est inscrit comme une priorité dans la lettre de mission du président de la Commission européenne. Nous avons obtenu satisfaction sur le thème de la loi applicable, et nous continuons à travailler sur le mécanisme d’un guichet unique.

Je partage l’analyse des risques qui figure dans le rapport d’information du Sénat concernant le safe harbor, qu’il est urgent de réformer en profondeur. Si, sur cette question, nous ne parvenions pas à un accord avec les États-Unis, j’espère que l’Europe n’hésitera pas à imposer ses règles, y compris aux entreprises extra-européennes, quitte à dénoncer cet accord. C’est en tout cas une option qui n’est pas exclue.

M. André Gattolin. Très bien !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez raison de demander aux gouvernements d’être vigilants au sujet de la question des données dans le cadre des négociations sur le traité transatlantique. Le rapport du Conseil national du numérique montre bien qu’il s’agit d’un enjeu stratégique. Les négociateurs français, à l’échelon européen, en sont pleinement conscients.

Vous avez évoqué les problèmes de concurrence, en particulier le contentieux qui oppose Google à la Commission européenne. L’abus de position dominante de ce moteur de recherche lui permettrait de gagner d’importantes parts de marché. Sur ce sujet, vous savez sans doute que l’ancien ministre de l’économie français et son homologue allemand ont fait des déclarations communes, afin de dissuader le commissaire européen Almunia d’accepter des propositions d’engagement de Google. Il semble que leur prise de position ait été efficace,…

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. … puisque, pour la première fois, voilà quelques semaines, le commissaire Almunia a exprimé des hésitations quant à l’issue à donner à ce contentieux.

La nouvelle commissaire européenne, Mme Vestager, a naturellement été saisie de cette question. Je m’entretiendrai prochainement avec elle, après ma rencontre avec des responsables allemands du secteur privé, notamment ceux du groupe Axel Pringer, très engagé dans ce domaine.

La France demande que la question de la régulation des plateformes numériques soit inscrite à l’ordre du jour des travaux du Conseil européen, notamment du prochain Conseil « Transports, télécommunications et énergie » qui se tiendra le 27 novembre à Bruxelles. Il s’agit là d’une demande constante que nous lions à d’autres négociations en cours, notamment celles qui concernent le marché unique des télécommunications. Nous souhaitons avancer de manière constructive sur certains sujets, en particulier pour faire reconnaître la neutralité du net dans le droit européen. Cette avancée doit aller de pair avec la priorité donnée à la régulation des plateformes dans l’agenda européen.

J’en viens à un sujet qui n’a pas été abordé, si ce n’est peut-être par Mme Garriaud-Maylam, la directive sur la sécurité des réseaux et des systèmes d’information, dite « directive SRI ». Sur ce sujet, la France a une vision forte, considérant qu’il faut inclure les grands services de l’internet dans ce que l’on dénomme « les infrastructures vitales » de notre économie, au même titre que les centrales d’énergie ou les réseaux d’eau ou de télécommunications. Le Gouvernement négocie pour que cette possibilité soit laissée aux États membres de l’Union européenne dans le texte de la directive qui est en cours de négociation et qui devrait aboutir assez rapidement.

Il a beaucoup été question de réglementation. Il va de soi que, pour rétablir l’équité dans le rapport de force, il faut aussi faire émerger en France et en Europe des acteurs économiques puissants. C’est tout l’enjeu de l’action du Gouvernement en matière économique, action qui est très soutenue par les écosystèmes numériques. C’est pourquoi nous avons créé un label unique, un emblème fédérateur, la French tech. Dans quelques jours, j’annoncerai le nom des premières métropoles qui seront labellisées et qui serviront de tête de réseau à l’ensemble des territoires français, pour que nos écosystèmes numériques soient attractifs à l’échelon international. Nous parlons donc d’une voix unie sur ce sujet, et l’inauguration par la pose de la première pierre numérique de la Halle Freyssinet hier aidera à porter le message d’une économie numérique française forte dans cette compétition internationale.

Nous travaillons sur la question du financement. Le rôle de la Banque publique d’investissement est absolument fondamental pour la phase d’amorçage des start-up. L’enjeu économique consiste désormais à faire croître nos entreprises sur le sol français et en Europe afin qu’elles y créent des emplois. Le scale up – pardon pour l’emploi de ce terme anglais –, le changement d’échelle doit se faire ici plutôt qu’aux États-Unis, où elles partent aujourd’hui s’installer faute de financement en France. C’est la raison pour laquelle nous prenons une série de dispositions pour assouplir et vitaliser le marché du capital investissement en France. Nous encourageons l’État, les collectivités locales, les hôpitaux publics à ouvrir leurs achats aux entreprises innovantes. C’est un potentiel qui est encore sous-utilisé, ce qui explique en partie la faiblesse des acteurs économiques français par rapport aux Américains.

Vous connaissez tous les dispositifs existants concernant la recherche et le développement en France. Ils sont inégalés à l’échelon européen et expliquent pour beaucoup la force de nos écosystèmes numériques.

En ce qui concerne la gouvernance de l’internet par le biais des instances techniques, notamment de l’ICANN – c’est un sujet qui peut sembler complexe à nos concitoyens, mais qui n’est pas si ésotérique qu’il y paraît –, les choses avancent très vite. D’ailleurs, certains débats ont déjà été tranchés. Ainsi, l’Europe ne défend pas un modèle intergouvernemental, mais un système multipartite. Simplement, elle considère – ce point a été bien souligné dans le rapport parlementaire – que ce système doit être ouvert, transparent, véritablement international et non pas laissé aux mains de certains acteurs.

Je rappelle que, aujourd'hui, à l’ICANN, 80 % des entreprises composant la business constituency, le groupe représentant les entreprises, sont non seulement américaines, mais aussi issues du secteur de l’internet. C’est pourquoi il est difficile aux entreprises venant d’autres secteurs économiques, notamment non technologiques – je pense à la viticulture –, de se faire représenter et de défendre leurs intérêts au sein de telles instances techniques. Dans le groupe sur la transition IANA, par exemple, onze des trente membres sont américains.

J’ai défendu avec beaucoup de force ; vous le savez, la question de la délégation des noms de domaine en « .vin » et « .wine » au sein des instances de l’ICANN. Quelques jours après ma nomination, je me suis rendue au Brésil pour le sommet NETmundial, où la France a défendu une position en étant quelque peu isolée au départ. Nous avons plaidé en faveur d’un modèle alternatif de gouvernance de l’internet, véritablement ouvert à tous, en particulier aux pays en voie de développement. Peu à peu, la France a été entendue, à commencer par l’Europe puisque, en l’espace de six mois, la présidence italienne de l’Union a décidé de faire de cette question la priorité de son mandat. Lors du Conseil informel des ministres chargés des communications électroniques qui s’est tenu à Milan il y a quelques semaines, nous sommes parvenus à une déclaration commune très consensuelle, au point que l’ICANN et le gouvernement américain s’en inquiètent. Les États européens ont compris qu’il fallait s’exprimer d’une même voix sur le sujet.

J’ai mesuré l’opacité du système de délégation des noms de domaine lorsque je me suis rendue à Londres, il y a quelques mois, à la réunion du GAC, le Governmental Advisory Committee, c'est-à-dire le comité consultatif gouvernemental, de l’ICANN, où j’ai négocié au milieu de la nuit la délégation « .vin » avec la délégation américaine. J’ai alors compris à quel point la règle du rough consensus, d’un consensus qui se voudrait unanime, est en réalité un droit de veto octroyé au gouvernement américain et à ses partenaires, lesquels sont toujours les mêmes sur ces questions.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. L’ICANN a ouvert un agenda de réformes, ce qui est heureux : il existe une réelle volonté de se moderniser et d’obéir à des standards juridiques internationaux plus conformes à nos exigences de droit. Seulement, il ne faut pas que les États européens et les autres zones géographiques qui les rejoignent – l’Afrique, l’Asie, les grands pays émergents – se laissent enfermer dans un débat sur une réforme se limitant à celle de l’ICANN par l’ICANN ! C’est la raison pour laquelle la France demande qu’une conférence sur internet soit organisée l’année prochaine, notamment dans le cadre des dix ans du Sommet mondial sur la société de l’information, lesquels seront célébrés à l’ONU à la fin de 2015.

Vous l’aurez compris, sur ce sujet, les choses avancent vite et plutôt bien. Il y a six mois, la suspension de la délégation « .vin » n’était pas possible et nos viticulteurs se préparaient à se heurter directement à des pratiques qui leur auraient beaucoup nui. Aujourd'hui, de facto, la délégation a été suspendue puisque les fédérations viticoles non seulement françaises, mais aussi américaines, car nous avons été rejoints par plus de 2 000 viticulteurs américains partout aux États-Unis, négocient avec la société délégataire une liste d’indications géographiques qui pourra être annexée au contrat de délégation et obligera toutes les compagnies traitantes à respecter ces indications.

Madame Morin-Desailly, vous avez regretté l’absence de diplomatie numérique du Gouvernement. Sur ce point, je ne partage pas votre analyse. La diplomatie, notamment d’influence, par le biais des outils numériques est une priorité du gouvernement français. Nos diplomates sont désormais très présents sur les réseaux sociaux, car ils ont mesuré l’importance d’établir un dialogue direct entre l’État français et la société civile, y compris l’opinion publique internationale. De plus, nous avons lancé un projet appelé « Diplomatie », qui intègre en open source, c'est-à-dire avec des logiciels libres, une gestion électronique des documents.

Cette année, notamment à ma demande, la France a rejoint l’OGP, l’Open Government Partnership, une organisation internationale informelle qui promeut des qualités comme la transparence, l’open data, l’utilisation des données publiques par les gouvernements et la lutte contre la corruption. C’est une enceinte dans laquelle il est possible de défendre les valeurs françaises, et nous jouons complètement le jeu de la diplomatie d’influence.

Enfin, j’exprime le souhait que les principes élaborés au NETmundial, qui ont été partagés par l’ensemble des acteurs présents, non seulement par les gouvernements, mais aussi par les représentants de la société civile et du monde des affaires, soient un jour inscrits dans un traité international. C’est la raison pour laquelle la France plaide pour que la déclaration du NETmundial soit intégrée dans un document européen, pour commencer. Je rappelle quelques-uns de ces principes : la liberté d’expression, la liberté d’association, la liberté d’information, le droit au respect de la vie privée, l’accessibilité, l’architecture ouverte d’internet, une gouvernance qui soit multipartite, ouverte, transparente, redevable, un système qui soit inclusif, équitable et qui promeuve des standards ouverts.

Vous avez raison de vous référer à des philosophes, car c’est effectivement un débat d’ordre philosophique et éthique qui se joue ici. Je constate d’ailleurs qu’aux États-Unis des intérêts capitalistes rejoignent paradoxalement une vision qui se veut souvent libertarienne et transhumaniste. Ces positionnements se retrouvent donc dans la défense d’intérêts économiques. La France doit promouvoir ses valeurs dans ce débat. Je dis d’ailleurs aux Anglo-Saxons pour mieux me faire comprendre que nous sommes une Digital Republic. Nous sommes une République numérique et nos principes de liberté, d’égalité et de fraternité doivent être réaffirmés sous forme numérique. C’est en ce sens que je m’exprimerai la semaine prochaine lors des journées du Wall Street Journal puisqu’il m’a été demandé de traiter de la question de l’impérialisme américain en matière d’internet.

Je terminerai par l’enjeu qui est sans doute le plus fondamental, à savoir celui de nos enfants, de l’école et de la formation. Pour que les natifs d’internet – nous n’en sommes que les migrants – soient autonomes et indépendants dans l’environnement numérique d’aujourd'hui, qui le sera plus encore demain, il est important de les former aux outils numériques et de leur apprendre à s’y retrouver. C’est l’ambition que promeut au plus haut sommet de l’État le Président de la République. Nous travaillons à l’élaboration d’un grand plan numérique pour l’école française. Là aussi, le Gouvernement sera en avance et fera office de pilote pour préparer nos enfants à la révolution numérique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport de la mission commune d’information sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’internet.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la protection des chemins ruraux
Discussion générale (suite)

Prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales

Renvoi à la commission d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UDI-UC, la discussion de la proposition de loi tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales, présentée par M. Henri Tandonnet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 292, résultat des travaux de la commission n° 32, rapport n° 31).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la protection des chemins ruraux
Discussion générale (fin)

M. Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, nous avons l’occasion de nous intéresser aux territoires très ruraux. Tout le monde notera d’ailleurs le contraste avec la discussion précédente. (Sourires.) Cela étant, débattre d’internet n’interdit pas d’évoquer la modernisation du patrimoine privé des collectivités territoriales, tout particulièrement des chemins ruraux.

M. Jean Germain. C’est vrai !

M. Henri Tandonnet. La proposition de loi que je vous soumets aujourd’hui a deux objets : protéger le domaine privé immobilier des collectivités territoriales en introduisant un principe d’imprescriptibilité et permettre l’aliénation, jusque-là interdite par la jurisprudence du Conseil d’État, des chemins ruraux par voie d’échange. Cette dernière mesure vise à faciliter la conservation et le redéploiement de nos voies rurales.

J’ai été conduit à déposer cette proposition de loi non seulement en raison du constat que j’ai pu faire tout au long de ma vie professionnelle d’avoué à la cour d’appel d’Agen, cour spécialisée dans les questions rurales et dont la compétence s’exerce sur le Lot, le Gers et le Lot-et-Garonne, mais aussi au travers de mon investissement au sein de la commission des maires ruraux du Lot-et-Garonne.

Qu’ai-je pu constater depuis ces points d’observation privilégiés durant de nombreuses années ? J’ai relevé un contentieux récurrent et aigu entre les communes et différents propriétaires privés sur des questions patrimoniales, ayant pour origine la prescription acquisitive opposée au conseil municipal qui prend l’initiative de remettre en valeur une partie de son patrimoine. Les exemples sont aussi divers que la consistance du patrimoine rural qui compose notre territoire. Cela va du puits au lavoir, en passant par le jardin du presbytère, le glacis des remparts, les dégagements autour des églises, les places ou encore les espaces de jardins. Cette problématique vient du fait que, pendant près d’un demi-siècle, ce patrimoine a vu ses fonctions disparaître, notamment en raison de l’exode du milieu rural.

Dans certains départements tels que le Gers ou le Lot, des villages entiers ont été abandonnés. Je peux vous citer le cas de la commune de Lagarde-Fimarcon, village castral laissé aux mains de deux ou trois habitants, qui, au fil du temps, se sont approprié l’essentiel des lieux privés et publics de la commune. Il s’en est suivi des procès sans fin avec la municipalité lorsque cette dernière a repris la main et a voulu reconstituer ses biens et mettre en valeur son patrimoine.

La question de la prescription acquisitive est très sensible sur l’ensemble des chemins ruraux, qui est d’évidence le plus grand patrimoine privé communal. Ces chemins ruraux desservent les exploitations agricoles et les communes rurales entre elles. Ils ont fait l’objet de nombreuses appropriations pour des raisons simples : bien souvent, ils gênaient les exploitations et, avec l’agrandissement de celles-ci, les nouveaux modes de culture ; ils ont été labourés, clôturés et donc soumis à une prescription acquisitive.

Ce n’était pas un problème jusqu’en 1959, date à laquelle a été redéfinie la voirie communale dans son ensemble, avec la nouvelle classification des chemins ruraux incorporés dans le domaine privé des communes.

À partir des années quatre-vingt-dix, soit trente ans après, on a alors vu des particuliers s’opposer à la réouverture de ces chemins. Dès lors, les contentieux ont explosé, d’autant que les territoires se sont attachés à l’aménagement et à la réouverture de ces chemins ruraux dans un but touristique. C’est l’exemple des sentiers de grande randonnée, notamment sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Plus localement, dans mon département, sur un chemin à thème clunisien de 104 kilomètres allant de Moissac à Moirax, nous nous sommes retrouvés face à ce type de difficulté, le chemin étant interrompu par une prescription acquisitive au milieu d’un bois.

Le principe de l’imprescriptibilité que je préconise pour ce patrimoine privé des collectivités locales heurte-t-il des principes généraux qui justifieraient son rejet ?

Deux objections sont apparues dans les débats : d’une part, la protection de la propriété privée ; d’autre part, la distinction entre domaine public et privé.

Il convient tout d’abord de noter que le code civil protège la propriété privée et que son article 2277 énonce que le droit de propriété est imprescriptible, entérinant le fait que ce droit ne peut être éteint par non-usage. Il fixe les modalités de son aliénation. La prescription acquisitive est conçue comme une exception à ce principe. Cette exception est fondée uniquement sur la possession trentenaire, qui doit notamment remplir des conditions de durée et de continuité.

L’article 2258 du même code précise que ne peut être opposée l’exception déduite de la mauvaise foi.

Vous conviendriez avec moi qu’écarter cette exception de prescription pour le domaine privé d’une collectivité, ce n’est pas faire injure au principe de protection de la propriété privée, bien au contraire. En effet, je pense que l’on peut faire un distinguo entre propriété privée d’un particulier et celle d’une collectivité territoriale, qui, en fait, n’est pas une propriété privée au sens strict du terme, mais une propriété collective dont on peut concevoir que la protection soit supérieure.

Il est plus facile à un particulier de défendre son bien, détenu par une seule personne qui en connaît les limites et les contours et qui se transmet par succession ou par vente avec des titres, qu’à une collectivité de défendre sa propriété, dont l’espace est plus étendu, et qui n’a pas, au fil du temps, l’occasion d’être déterminée par des transmissions dans un cadre familial ou hors de la famille. D’ailleurs, le second alinéa de l’article 537 du code civil précise que les personnes publiques gèrent librement leur domaine privé selon les règles qui leur sont applicables.

Des différences existent déjà entre ces deux types de propriété privée : l’une, bien connue et significative, est l’insaisissabilité des biens administratifs du domaine public ou privé. Pourquoi ne pas y ajouter l’imprescriptibilité ? En effet, la possession acquisitive apporte une exception non équitable à cette propriété collective.

Il ne paraît pas non plus inutile d’en améliorer le statut si l’on souligne que le code général de la propriété des personnes publiques définit en creux, a contrario, le domaine privé, se contentant d’énoncer : « font partie du domaine privé les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1 qui ne relèvent pas du domaine public par application des dispositions du titre Ier du livre Ier. »

Je pense que ce renvoi pur et simple au code civil est un peu court et que le patrimoine, notamment rural, dans sa grande diversité mérite mieux. L’intérêt touristique, architectural, environnemental qui se manifeste tous les jours de façon plus pertinente justifie la pérennisation de ce patrimoine, certes du domaine privé, mais tout de même patrimoine collectif, pour ne pas dire public.

Retenir le principe d’imprescriptibilité, qui s’ajouterait à celui de l’insaisissabilité, ne remet pas en cause l’ensemble des autres règles du droit privé – il n’y a aucune crainte à avoir en ce domaine – qui sont fort nombreuses et concernent l’aliénation, la gestion, la juridiction judiciaire compétente, et j’en passe. Ce n’est donc pas un grand bouleversement que je préconise.

Ce principe, s’il peut être utile, concerne essentiellement les chemins ruraux du fait de leur définition fixée par l’article L. 161-1 du code rural : « Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l’usage public, qui n’ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune. »

La simple lecture de ce texte met en évidence la contradiction qu’il contient : alors qu’il est question d’une destination à l’usage du public, destination directe qui recouvre pratiquement la notion de domaine public, cet article prévoit une classification par la loi dans le domaine privé, avec la conséquence pratique non négligeable, à l’heure où l’argent public est rare, que la commune n’a pas une obligation d’entretien. Toutefois, les conséquences de cette classification font que les chemins ruraux sont prescriptibles, et les riverains ne se privent pas de tenter d’en tirer avantage. Les nombreuses réactions que j’ai recueillies de la part de mes collègues sénateurs ou des géomètres sont là pour en témoigner.

Cette partie particulière du domaine privé est d’ailleurs soumise à des règles mixtes entre droit public et droit privé, telles que les conditions d’aliénation.

Je pense qu’il est grand temps d’arrêter l’hémorragie provoquée par cette exception que constitue la prescription acquisitive, faite bien souvent de mauvaise foi, et de protéger ce patrimoine, qui constitue pour nos communes rurales un levier touristique et d’accès à l’environnement, donc de qualité de vie.

Propriété privée, certes, mais avant tout collective, il convient de la protéger des captations abusives que permet le renvoi par le code général de la propriété des personnes publiques au code civil.

Comme je l’ai déjà indiqué, ce même code n’est pas hostile à une différenciation entre propriété des particuliers, c’est-à-dire des personnes privées, et celle des collectivités publiques. L’essence de la propriété n’est pas de même nature : l’une vise un but privé au sein d’un patrimoine privé, l’autre est au service d’une communauté et est constitutive d’un bien commun.

Cette proposition de loi a donc pour objet de mettre fin à cette hémorragie, et j’ai compris que la commission des lois en était assez convaincue. Je crains qu’en voulant réduire ma proposition aux seuls chemins ruraux on ne limite inutilement sa portée.

M. Henri Tandonnet. Pour terminer, je voudrais vous convaincre d’adopter l’article 3 de ma proposition de loi, qui vise à introduire la pratique de l’échange en matière d’aliénation des chemins ruraux. Le Conseil d’État s’y est montré hostile. Pourtant, comme l’a fait remarquer le rapporteur, cette pratique est courante sur le terrain.

La plupart du temps, le maire qui essaie de redresser les chemins de sa commune ou de les restructurer doit procéder par voie de ventes. Il en résulte souvent deux actes successifs : une vente et un achat engendrant des frais inutiles, des discussions sans fin sur la valeur des terrains. Or un simple échange permettrait de conserver ou même de récupérer le chemin déjà prescrit ou en voie de prescription, parce que son nouveau tracé évitera de passer au bord d’une ferme, de couper un champ labouré, de gêner un système d’irrigation ou d’interdire la réalisation d’un lac collinaire, tous exemples que j’ai moi-même vécus. Bien entendu, cette procédure d’échange serait soumise aux mêmes règles de publicité, d’enquête publique que celles qui sont requises pour l’achat et la vente.

Cette simplification permettra non seulement de réduire les frais, mais aussi de sécuriser l’opération, car le projet de rétablissement sera conçu en une seule opération avec le propriétaire concerné, ce qui évitera de nombreux contentieux.

Comme l’a souligné le rapporteur, la prohibition de l’échange va à l’encontre des dispositions applicables au domaine public. On peut d'ailleurs s’interroger sur la jurisprudence du Conseil d’État, puisque, dans le code général des collectivités territoriales ou le code général de la propriété des personnes publiques, l’échange est prévu. Selon ces textes, il tend à « permettre l’amélioration des conditions d’exercice d’une mission de service public ». C’est exactement le but visé puisque l’échange pratiqué est fait pour améliorer le tracé du chemin afin d’en garder la fonction d’origine, à savoir desservir le territoire rural en s’adaptant aux nouveaux usages et à son environnement, notamment celui des exploitations qu’il est censé desservir.

Mes chers collègues, voilà beaucoup de raisons qui justifient de mettre en chantier le principe d’imprescriptibilité du domaine privé des collectivités territoriales ; il est également urgent de l’appliquer au statut des chemins ruraux et d’en faciliter le redéploiement par la procédure de l’échange. Je crois porter devant vous une mesure fortement attendue par nos collègues maires des territoires ruraux en pleine mutation. Je vous fais confiance pour que le renvoi du texte à la commission qui est annoncé soit un moyen d’approfondir ce double objectif et non d’engager cette proposition de loi dans une impasse. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons, qui a été déposée par Henri Tandonnet et neuf autres de nos collègues, tend à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser les échanges en matière de voie rurale.

Son origine s’explique par les difficultés croissantes auxquelles sont confrontées les collectivités qui, voulant notamment reconstituer ou remettre en état des chemins ruraux quelque peu oubliés, des jardins ou des bâtisses appartenant au domaine privé de la commune, s’aperçoivent qu’elles n’en disposent plus parce que le voisin qui l’occupe depuis plus de trente ans – sans que, il est vrai, personne s’en soit jamais inquiété jusqu’à présent – en est tout simplement devenu propriétaire par prescription acquisitive. Il peut s’agir, par exemple, d’anciens moulins dont la collectivité s’était désintéressée mais qui reprennent aujourd’hui, comme en a lui-même parlé Henri Tandonnet, un intérêt nouveau, avec le développement du tourisme rural et la mise en valeur de villages de caractère.

Cette situation pourrait paraître anecdotique et ne pas mériter que le Parlement s’y intéresse, mais c’est aujourd’hui devenu une vraie difficulté, en termes d’aménagement et de développement touristiques notamment, pour un certain nombre de collectivités qui ne l’avaient évidemment pas anticipé quand les principes juridiques afférents au domaine privé – tout particulièrement aux chemins ruraux – s’étaient dégagés.

Permettez-moi de revenir en quelques mots sur ce qui fait la différence essentielle entre le domaine public et le domaine privé d’une commune avec le cas particulier du chemin rural.

Comme le rappelait en commission notre collègue René Vandierendonck, l’imprescriptibilité est inhérente à la domanialité publique. C’est simple, c’est clair. On pourrait dire que l’on ne touche à rien.

À l’inverse, les règles du droit privé dans l’ensemble de ses prérogatives, y compris la prescription acquisitive, s’appliquent au domaine privé des collectivités locales. Tout cela est donc parfaitement cohérent et bien établi. Toutefois, s’agissant des chemins ruraux, on a affaire à un objet hybride. Les chemins ruraux – on en compte plusieurs centaines de milliers de kilomètres en France, la question n’est donc pas anecdotique – font bien partie du domaine privé de la commune. À ce titre, ils peuvent faire l’objet d’une prescription acquisitive, mais sont, dans le même temps, « affectés à l’usage du public », aux termes de l’article L. 161-1 du code rural.

Il y a donc bien là une contradiction. Quand un particulier riverain d’un chemin rural peut, au bout de trente ans de « possession » ou d’occupation, se l’approprier et le clôturer, on est bien dans une procédure de droit privé. Pourtant, on ne trouve curieusement rien à redire au fait que cela fait disparaître la caractéristique spécifique de cette parcelle : son affectation à l’usage du public. Même si cette procédure de possession est fort ancienne, elle n’en reste pas moins surprenante.

Comment peut-on concilier l’acceptation de ce processus avec l’impossibilité, découlant d’une jurisprudence constante du Conseil d’État, d’échanger des chemins ruraux précisément parce qu’ils sont affectés à l’usage du public et ouverts à la circulation générale ?

On voit bien qu’il y a là deux raisonnements contradictoires à propos d’un même objet : les chemins ruraux. Même si l’on ne doit toucher que d’une main tremblante au principe selon lequel l’imprescriptibilité n’est l’apanage que du domaine public, la proposition de loi d’Henri Tandonnet soulève une véritable question, surtout aujourd’hui où, comme il l’a souligné, les chemins ruraux retrouvent un regain d’intérêt avec le développement des nouveaux usages de l’espace rural et une perception moderne de l’espace naturel. Elle mérite donc d’être examinée sous tous ses aspects.

Au regard des problèmes posés, le temps dont j’ai disposé pour examiner le texte de notre collègue a été particulièrement court, puisque j’ai été désigné rapporteur la veille de la présentation du rapport en commission.

J’ai d’abord examiné la possibilité d’un basculement des chemins ruraux dans le domaine public des collectivités, ce qui serait assez simple à prévoir pour le législateur et emporterait l’imprescriptibilité de ces chemins, tout en permettant les échanges, conformément aux prescriptions du code général de la propriété des personnes publiques.

Au-delà de l’aspect juridique, cette mesure aurait une conséquence non négligeable pour les communes, puisqu’une obligation renforcée d’entretien de leurs chemins leur serait imposée. La situation actuelle des finances publiques me laisse penser que ce n’est peut-être pas la meilleure solution pour les collectivités locales… C’est pourquoi j’ai proposé à la commission une formule « médiane » tendant à rapprocher le régime des chemins ruraux – je ne parle que des chemins ruraux du domaine privé des collectivités territoriales, et non des bâtiments privés – de celui du domaine public sans les y faire entrer, en les rendant imprescriptibles, d’une part, et en facilitant l’échange des chemins ruraux pour garantir leur continuité, d’autre part. L’intervention de M. Tandonnet l’a bien montré, ce type d’échanges « pour la bonne cause » témoigne de la bizarrerie de l’imprescriptibilité des chemins ruraux.

Sur le premier point – l’imprescriptibilité –, il me semble que si l’affectation au public des chemins ruraux justifie un régime dérogatoire d’aliénation – il faut une désaffectation préalable, avec enquête publique, avant d’envisager l’aliénation du chemin rural –, cela peut aussi légitimer leur imprescriptibilité. On a affaire à une partie du domaine privé qui a déjà un régime spécial d’aliénation, protecteur. Pourquoi ne pourrait-elle pas bénéficier de cette autre mesure de protection qu’est l’imprescriptibilité ?

Sur le second point – permettre et faciliter les échanges de chemins ruraux –, il est aujourd’hui possible d’échanger des propriétés du domaine public avec des biens appartenant à des personnes privées ou relevant du domaine privé d’une personne publique, sans autre forme de procès. Il est donc possible, me semble-t-il, de concilier l’échange et la protection de l’intérêt général, s’agissant des chemins ruraux. On considère qu’il n’y a pas de problème pour concilier l’échange et la protection de l’intérêt général pour les propriétés du domaine public. Pourquoi en irait-il autrement avec les chemins ruraux, qui appartiennent au domaine privé des collectivités ? Pourquoi serait-on plus exigeant pour l’échange d’un élément du domaine privé de la commune que pour celui d’un élément de son domaine public ? C'est une vraie question ! Vous conviendrez, mes chers collègues, que ce point mérite d’être revisité, toiletté, modernisé et mis juridiquement en phase avec les réalités de l’économie d’aujourd'hui et les usages qui sont faits de ces chemins.

Dans sa grande sagesse, face notamment à la remise en cause de principes juridiques bien établis et à la crainte, si l’on acceptait l’imprescriptibilité des chemins ruraux, d’accorder à un élément du domaine privé une caractéristique propre au domaine public de nature à apporter une certaine confusion dans le régime de la propriété des personnes publiques, la commission des lois a préféré ne pas se prononcer en l’état, plutôt que de rejeter la proposition de loi. Il reste en effet des contradictions et des problèmes à régler.

Toutefois, eu égard au regain d’intérêt que suscitent aujourd’hui les chemins ruraux du fait de l’évolution des modes de vie et de la nouvelle perception de l’espace naturel et de son usage économique, la nécessité de mieux assurer la protection des chemins ruraux a été largement admise par la commission. C’est pourquoi, à l’issue d’un débat nourri et intéressant, elle a jugé nécessaire d’approfondir sa réflexion sur le meilleur moyen d’assurer la protection des chemins ruraux et vous propose d’adopter une motion tendant au renvoi à la commission du texte.

Je voudrais dire à titre personnel et, me semble-t-il, avec l’assentiment de la majorité des membres de la commission et de son président qu’il ne s’agit pas d’opposer une fin de non-recevoir à la proposition de loi de notre collègue Henri Tandonnet.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Absolument !

M. Yves Détraigne, rapporteur. Les travaux de la commission vont se poursuivre, et l’examen de ce texte en séance publique pourra être de nouveau programmé, avec une issue certainement différente de celle que je vous propose aujourd'hui. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée entame aujourd’hui l’examen en première lecture de la proposition de loi tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales.

Le droit de la propriété des personnes publiques se fonde sur la distinction entre domaine public et domaine privé, l’appartenance d’un bien à l’un ou à l’autre déterminant le régime juridique qui lui est applicable, ainsi que la compétence juridictionnelle en cas de litige. Cependant, les caractéristiques propres à certains biens justifient que leur régime déroge, sur certains points, à cette distinction. Tel est le cas des chemins ruraux, comme l’a expliqué, avec beaucoup de pertinence, Henri Tandonnet, dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi et dans son intervention à cette tribune.

La France compte près de 750 000 kilomètres de chemins ruraux, dont l’importance est souvent méconnue, alors qu’il s’agit d’un réseau dont l’histoire est séculaire et qui est considérable si on le compare à ceux des pays voisins de taille comparable.

La définition des chemins ruraux est contenue dans l’article L. 161-1 du code rural, aux termes duquel les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l’usage public, qui n’ont pas été classés comme voies communales ; ils qui font partie du domaine privé de la commune. Il en résulte un droit parfois qualifié d’« hybride », qui alimente un contentieux nourri.

Les deux premiers critères – appartenir aux communes et être affectés à l’usage du public – suffiraient, à eux seuls, à faire appartenir ces voies au domaine public, mais la loi en a décidé autrement, puisqu’elle dispose que ces chemins font partie du domaine privé de la commune.

Ces conditions sont importantes, puisque la propriété de la commune distingue ces chemins ruraux des chemins d’exploitation, qui servent exclusivement à la communication ou à l’exploitation de fonds privés et qui sont présumés appartenir aux riverains. Cela les distingue aussi des autres voies qui appartiennent à des particuliers, même si elles sont ouvertes à la circulation publique.

L’article L. 161-2 du code rural établit que l’affectation à usage du public est présumée, notamment par l’utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de l’autorité municipale en matière de surveillance ou de voirie.

Il existe donc un principe de présomption d’affectation à l’usage du public, et un certain nombre d’éléments de fait sont vérifiés par le juge en cas de contentieux. Ainsi, une circulation exercée par la majorité des habitants peut être la preuve d’une utilisation comme voie de passage. Cependant, de nombreuses communes connaissent des difficultés à vérifier la propriété de ces voies dans leurs archives, et le cadastre n’est pas toujours clair.

La loi établit une autre présomption : l’article L. 161-3 du code rural prévoit que « tout chemin affecté à l’usage du public est présumé, jusqu’à preuve du contraire, appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé ». C’est au propriétaire, en général un propriétaire privé, qui revendique la propriété d’un chemin affecté à la circulation générale, de renverser la présomption, puisque c’est lui qui doit apporter la preuve, par un titre ou par des éléments permettant d’établir une prescription acquisitive, de sa propriété sur ce chemin.

Ainsi, pour qu’un particulier puisse prescrire la propriété d’un chemin rural, le code civil pose un certain nombre d’exigences, notamment en termes de délais.

L’article 2265 fixe la durée à dix ans, dans l’hypothèse où le particulier aurait acquis son chemin « de bonne foi et par juste titre ».

L’article 2262 précise que « toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi ».

Cette dernière disposition empêche les communes de récupérer le chemin qu’elles avaient momentanément délaissé, le plus souvent par simple ignorance de son existence. Elles ne disposent d’aucun recours lorsque le délai de trente ans se trouve révolu.

En outre, l’article L. 161-10 du code rural prévoit que lorsqu’un chemin rural cesse d’être affecté à l’usage du public, la vente peut être décidée, après enquête, par le conseil municipal. La jurisprudence fait une lecture stricte de cet article, qui n’envisage que l’hypothèse d’une vente des chemins ruraux. Elle considère de surcroît que cette disposition exclue toute possibilité d’échanges.

Ainsi, le domaine privé ne bénéficie pas de l’imprescriptibilité, réservée au domaine public, et il peut donc faire l’objet d’une usucapion, le terme utilisé en droit civil pour évoquer la prescription acquisitive – nous sommes un certain nombre à avoir profité de l’examen de la proposition de loi de M. Tandonnet pour rafraîchir nos mémoires d’étudiants en droit civil (Sourires.) –, de la part de particuliers qui, au terme d’un délai de trente ans de possession d’un chemin rural, pourront légitimement se l’approprier. Cette « vulnérabilité » des chemins ruraux a été souvent dénoncée, en particulier ici, au Sénat, ainsi qu’en témoignent les questions de plusieurs sénateurs interpellant les gouvernements successifs sur la nécessité de renforcer la protection de ces chemins.

Face à cette situation, la proposition de loi poursuit deux objectifs : rendre imprescriptibles les biens du domaine privé des collectivités territoriales pour empêcher l’application à leur encontre de la prescription acquisitive et permettre l’échange de terrains sur lesquels se situent des chemins ruraux.

Réunie la semaine dernière par son nouveau président, M. Philippe Bas, dont je veux saluer l’élection, votre commission des lois a examiné cette proposition de loi, sur le rapport de M. Yves Détraigne, dont je salue la qualité du travail.

Face aux difficultés soulevées par l’application à tous les immeubles du domaine privé des collectivités territoriales du principe d’imprescriptibilité, votre rapporteur s’est concentré sur le problème spécifique des chemins ruraux, en écartant l’hypothèse d’un basculement des chemins ruraux dans le domaine public des communes, en raison notamment du coût qu’engendrerait l’obligation d’entretien de ces chemins par les communes. Il a proposé à la commission de privilégier une formule médiane tendant, d’une part, à rapprocher le régime des chemins ruraux de celui du domaine public, sans les y faire entrer pour autant, et, d’autre part, à faciliter leur échange.

Si les membres de la commission ont approuvé cette démarche visant à recentrer la proposition de loi de M. Tandonnet sur la seule question des chemins ruraux, ils se sont en revanche montrés perplexes quant à l’instauration d’une imprescriptibilité des chemins ruraux. C’est pourquoi, au terme d’un débat nourri et riche sur un sujet qui, si l’on n’y pense pas chaque matin en se rasant (Sourires.), se révèle passionnant, votre commission des lois a jugé nécessaire d’approfondir sa réflexion en la matière, comme l’a expliqué à l’instant son rapporteur.

Le Gouvernement rejoint, pour l’essentiel, l’analyse de la commission.

S’agissant de la proposition consistant à rendre imprescriptibles les biens du domaine privé des collectivités territoriales pour empêcher l’application à leur encontre de la prescription acquisitive, le Gouvernement estime qu’attribuer à l’ensemble des biens du domaine privé le caractère d’imprescriptibilité remettrait en cause la frontière entre le régime de la domanialité publique et celui de la domanialité privée.

Concernant la proposition de limiter l’imprescriptibilité aux seuls chemins ruraux, le Gouvernement estime qu’elle créerait une confusion en accordant à un élément du domaine privé une caractéristique propre au domaine public.

Quant à la possibilité d’un échange de parcelles, le principe même de l’autoriser apparaît intéressant et la reconnaître permettrait de combler un « vide » juridique incontestable. Votre rapporteur a proposé, en commission, un dispositif qui s’écarte de celui qui était prévu dans la proposition de loi. Il s’agit non plus d’intégrer l’échange dans le dispositif applicable en cas de vente de chemins ruraux, mais de créer un dispositif ad hoc, avec deux éléments distinctifs : premièrement, une désaffectation préalable du chemin ne serait plus nécessaire et, deuxièmement, l’acte d’échange devrait comporter des clauses permettant de garantir la continuité du chemin rural. Tel qu’il est conçu, ce dispositif d’échange n’aura vocation à être mis en œuvre que dans une hypothèse : lorsqu’il s’agira de faire perdurer le chemin rural, en ajustant son tracé par échanges de parcelles. Ce resserrement du champ d’application du dispositif est une bonne solution, car il garantit que celui-ci ne sera pas un biais pour abandonner un chemin rural.

En conclusion, la réflexion sur la domanialité privée à laquelle invite la proposition de loi de M. Tandonnet est très intéressante, mais, comme l’illustrent les débats de votre commission des lois, elle soulève de nombreuses questions.

Actuellement, les chemins ruraux connaissent un regain d’intérêt, en raison de l’évolution des modes de vie et d’une nouvelle perception de l’espace rural et de l’usage économique qui peut en être fait. La nécessité d’assurer leur protection est donc largement admise, y compris, bien sûr, par le Gouvernement. Dans ce contexte, la position de la commission, tendant à approfondir sa réflexion sur le meilleur moyen d’assurer la protection de ces chemins ruraux, apparaît comme la meilleure solution. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi déposée par nos collègues du groupe UDI-UC pour régler un problème dont j’ignorais pour l’essentiel jusqu’à cette semaine : n’ayant pas étudié le droit, je ne connaissais pas la prescription acquisitive… De ce point de vue, cette semaine aura donc été utile. (Sourires.)

Si le sujet peut sembler secondaire au regard des enjeux fondamentaux auxquels sont confrontées les collectivités, il mérite, en réalité, tout notre intérêt. En effet, derrière l’aspect extrêmement juridique de cette proposition de loi, liée au régime de domanialité des collectivités, se pose une véritable question, celle de la capacité des collectivités à maîtriser le développement de leur territoire et l’évolution de leur patrimoine. Cela est particulièrement vrai pour les communes rurales, qui sont très étendues par rapport aux villes et, souvent, beaucoup moins peuplées.

Le texte soulève la question du domaine privé des collectivités territoriales, lequel peut être affecté à un usage public. Il en va ainsi des chemins ruraux, aux termes de l’article L. 161-1 du code rural.

Parce qu’ils sont, justement, à l’usage du public et qu’ils remplissent une mission d’intérêt général, un certain nombre d’associations font pression sur les communes pour assurer l’entretien de ces chemins. Or celles-ci n’ont aucune obligation de les entretenir puisqu’ils appartiennent à leur domaine privé. Mais la pression va croissant...

Nous devons être très vigilants : changer le régime de domanialité nous conduirait à créer une obligation d’entretien de ce patrimoine. C’est un engrenage dangereux, d’autant que les collectivités sont financièrement exsangues – de plus en plus, hélas ! Nous sommes, à ce titre, satisfaits que la commission n’ait pas fait le choix de revenir sur ce régime privé de domanialité : nous nous y serions clairement opposés.

Reste la question de la prescriptibilité s’appliquant à ces biens, ce qui est finalement l’objet de notre débat. Aujourd'hui, ce régime est clairement lié à la nature du domaine concerné : si ce domaine est public, alors les biens sont imprescriptibles. Confier les attributs du domaine public au domaine privé et donc changer les règles de jurisprudence administrative pose des questions juridiques lourdes. Cela risque de créer de la confusion et, sûrement, de multiples contentieux. C’est ce qui justifie la prudence affichée par notre très éclairée commission des lois, prudence que nous partageons.

Nous reconnaissons que le régime actuel, qui permet que le non-entretien des chemins ruraux justifie qu’ils deviennent la propriété exclusive de particuliers, est contestable. Ce régime conduit en effet à priver les communes de capacités d’intervention sur leur patrimoine, au bénéfice d’intérêts privés, si légitimes soient-ils, et les condamne, pour l’avenir, au développement de leur tourisme ou à une meilleure préservation de leur patrimoine naturel, voire au développement de liaisons douces, comme des voies vertes.

Une telle situation ne peut pas nous satisfaire pleinement : une politique publique ne se mène pas par défaut ; elle se mène avec volontarisme. Aujourd’hui, pour protéger ces chemins, les collectivités peuvent les inscrire dans leur document d’urbanisme. Or la perte d’ingénierie publique ainsi que le passage au niveau intercommunal d’un certain nombre de plans locaux d’urbanisme ne sont pas sans susciter des inquiétudes sur l’avenir de la capacité de nos communes à protéger leur patrimoine.

La baisse des dotations risque également de peser sur leur budget et donc de les obliger à réduire leurs projets d’investissements, notamment concernant ce type d’espaces, qui, bien souvent, ne sont pas classés dans les priorités de la commune et font l’objet de reports d’année en année. Dans la ville dont j’ai été maire pendant dix-sept ans, on attendait des années et des années avant de rénover les fontaines et les lavoirs, au nom d’urgences supérieures – les écoles, le logement… La situation me semble être la même pour ce qui concerne les chemins ruraux.

Rappelons par ailleurs que la prescription acquisitive a été instaurée en droit pour pénaliser le propriétaire d’un bien qui laisse une tierce personne exercer une possession sur celui-ci et n’intervient pas pour l’en empêcher. Compte tenu des charges afférentes aux collectivités, ce cadre juridique nous semble tout à fait inacceptable et injuste. En effet, les ressources financières des collectivités et, par là même, leurs capacités d’investissements diminuent loi de finances après loi de finances. Elles ont donc de moins en moins les moyens d’entretenir tous les chemins ruraux, comme, du reste, bien d’autres éléments patrimoniaux à rénover du domaine privé : les moulins, les granges, les fontaines, les fours à pain… L’acquisition prescriptive constitue, alors, un vrai danger, une bombe à retardement. Par conséquent, il est urgent de légiférer pour éviter qu’elle n’explose.

À cet égard, l’intérêt de cette proposition de loi est de laisser à la seule collectivité le choix de la destination d’un chemin rural affecté à l’usage du public : soit elle le déclasse et le vend selon une procédure particulière, soit elle l’échange contre un autre terrain, soit elle le conserve dans son patrimoine privé sans qu’aucune obligation ne pèse sur elle. Nous regrettons donc de ne pas avoir eu le temps nécessaire pour approfondir ce débat intéressant.

Pour finir, je rappellerai tout de même que, s’il est important que les propositions de lois soient juridiquement solides, le renvoi à la commission nous a, de prime abord, interpellés. En effet, nous considérons que le renvoi à la commission de propositions de loi examinées dans le cadre des niches doit rester l’exception. À défaut, l’initiative parlementaire risquerait d’être régulièrement bafouée.

Cependant, et compte tenu du fait que les auteurs du texte ont donné leur accord sur ce renvoi, nous voterons la motion qui nous sera proposée tout à l'heure. Nous la voterons d’autant plus aisément que nous considérons unanimement que ce sujet mérite d’être approfondi et développé, afin de donner naissance à un texte de loi plus pertinent, répondant aux attentes de nos collectivités et adapté à la réalité, qui a évolué au fil du temps. Mes chers collègues, cela pourrait constituer une piste de travail pour la délégation aux collectivités territoriales, laquelle pourrait apporter sa contribution, de manière à aller au bout de la réflexion et à avancer sur ce chemin, certes un peu cahoteux, mais qui ne doit pas devenir une impasse. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. – Mme Marie-Annick Duchêne applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les préoccupations du groupe UDI-UC sont vraiment éclectiques. Tout à l'heure, nous surfions sur internet et évoquions la révolution numérique planétaire. Maintenant, nous allons au plus profond de nos territoires, en nous penchant sur le statut des chemins ruraux, ces nombreux petits chemins qui, comme le dit la chanson, sentent bon la noisette… (Rires.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Et la framboise !

M. Jean-Claude Requier. L’imprescriptibilité du domaine privé des personnes publiques, que vise à établir la proposition de loi de notre collègue Henri Tandonnet, est intéressante, mais ne nous paraît pas un dispositif adapté à la difficulté, pourtant réelle, que pose la situation des chemins ruraux.

Il faut revenir aux sources de ce principe. Les propriétés des personnes publiques bénéficient d’une protection forte, justifiée par le fait qu’elles sont affectées à l’usage de tous. Le principe d’inaliénabilité du domaine public signifie que les biens appartenant à ce domaine sont insusceptibles d’une appropriation privative. Il s’agissait, à l’époque de l’Édit de Moulins, au XVIe siècle, de « préserver l’intégrité du patrimoine royal » et d’éviter que le roi ou ses conseillers ne dilapident le domaine de la couronne. L’inaliénabilité, corollaire de l’imprescriptibilité, signifie que les biens de ce domaine ne peuvent être cédés d’aucune manière, de façon volontaire ou contrainte, à titre onéreux ou à titre gratuit.

Ainsi, le domaine public est constitué et reconnu en raison de l’intérêt public auquel il est destiné, tandis que le domaine privé, même s’il correspond toujours à un intérêt public, présente plutôt un intérêt patrimonial.

Prenant acte de « l’hypertrophie pathologique du domaine public », les auteurs du code général de la propriété des personnes publiques de 2006 ont retenu une définition qui reprend les deux conditions posées par la jurisprudence antérieure, à savoir l’appartenance à une personne publique et l’affectation à certaines destinations, s’attachant, par là même, à réduire l’étendue du domaine public. La rigueur des règles relatives au domaine public, notamment l’imprescriptibilité et l’inaliénabilité, apparaît en effet souvent en décalage avec la gestion et la valorisation nécessaires des propriétés publiques. C’est dire si la solution proposée par la présente proposition de loi va à l’encontre de la modernisation de la gestion des propriétés publiques…

De nombreuses réflexions, émanant du Conseil constitutionnel, des auteurs de la doctrine, en passant par les gestionnaires que sont les élus locaux, ont souligné l’intérêt d’une « échelle de la domanialité ». À cet égard, le groupe du RDSE ne peut que recommander que l’on travaille sur la base de cette notion clé, afin d’adapter et de moderniser les normes de l’administration, de manière à faciliter la gestion locale.

Concernant la problématique particulière des chemins ruraux, il faut noter que ces derniers faisaient autrefois partie du domaine public de la commune, en tant que propriétés des communes ouvertes à la circulation générale. Le législateur considéra que le régime de domanialité publique était une protection trop lourde, et l’ordonnance du 7 janvier 1959 procéda à leur transfert vers le domaine privé. Le régime du domaine public était en effet inadapté à des biens dont l’importance économique n’était pas considérable et pour lesquels les conséquences de la domanialité publique devenaient une gêne, dans le contexte d’une agriculture en pleine transformation du fait des restructurations et remembrements, lesquels rendaient inutiles, et même gênants, certains chemins ruraux.

Il faut ajouter que les chemins ruraux ont une vocation avant tout agricole : ils permettent aux exploitants d’accéder aux diverses parcelles composant leur exploitation. Depuis que la randonnée pédestre s’est développée, ils en facilitent également la pratique dans nos campagnes. Ce n’est pas peu appréciable ! Trois petits tours dans les bois, et ces chemins partent au hasard, pour le plus grand bonheur des flâneurs, en particulier à l’époque des cèpes et des champignons… (Sourires.) II ne peut donc être question de revenir sur cette facilité de gestion.

Notre rapporteur avait proposé une solution médiane : le renforcement de la protection des chemins ruraux, en les préservant de l’usucapion – terme que, moi aussi, j’ai découvert – et en permettant dans le même temps leur échange.

L’imprescriptibilité appliquée aux seuls chemins ruraux constitue une meilleure réponse. Les biens du domaine privé sont soumis aux règles de la prescriptibilité acquisitive consignées dans le code civil : dix ans, au cas où le possesseur est de bonne foi et possède un titre ; trente ans, au cas où le possesseur ne peut exciper d’un titre et où l’exception de mauvaise foi est inopposable. En réalité, l’usucapion par un particulier est impossible pour les chemins ruraux fréquentés, mais le problème demeure pour les nombreux autres.

Concernant la procédure d’échange, l’hypothèse d’un revirement de jurisprudence avait été avancée, à tort, en 2004. Cela est regrettable, car la position excessivement rigide du juge administratif entraîne des difficultés. Les opérations d’échange sont en effet courantes. Elles permettent, par exemple, un nouveau traçage des parcelles communales. Pourtant, elles ne sauraient être régularisées que par le jeu de la prescription acquisitive.

Parce que les chemins ruraux jouent un rôle essentiel dans le paysage champêtre de la France et parce qu’ils modèlent largement notre appréhension de la géographie de nos campagnes, le groupe du RDSE considère, à l’instar des membres de la commission des lois, que leur protection nécessite une réflexion approfondie, au regard des enjeux multiples qu’ils recouvrent. Mon groupe approuvera ainsi la motion tendant au renvoi à la commission. Les chemins ruraux de nos campagnes valent bien ce petit détour ! (Applaudissements.)

M. Claude Dilain. Vive la poésie !

Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Darnaud.

M. Mathieu Darnaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les élus des collectivités territoriales de la ruralité, en particulier les maires, sont confrontés à des situations qui, souvent, ne rentrent pas ou ne rentrent plus dans le cadre prévu par le législateur. C’est à nous qu’il appartient d’y remédier, en cherchant à faciliter l’exercice de ces mandats. Voilà pourquoi je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Henri Tandonnet. Sa proposition de loi nous donne l’occasion de nous pencher sur la question de la prescription acquisitive, qui, comme il l’a parfaitement démontré dans son intervention, a une forte résonance sur nos territoires. J’ai moi-même en mémoire quelques exemples dans mon département de l’Ardèche…

Ce texte a d’abord le grand mérite de s’attaquer à une situation à laquelle de nombreux élus, notamment des maires de petites communes, se sont déjà retrouvés confrontés. Il aborde également un sujet d’avenir, car la question de la prescription acquisitive va se poser avec de plus en plus d’acuité dans les années à venir. En effet, nos chemins ruraux sont davantage empruntés, pour des activités liées à l’exploitation agricole et forestière, mais aussi, de plus en plus, comme des itinéraires de promenade.

Il est souvent difficile pour une municipalité rurale dont les moyens sont, par nature, limités d’avoir une connaissance exhaustive des centaines de kilomètres de chemins ruraux jalonnant son territoire. Il est parfois complexe de détenir une liste à jour de l’ensemble des biens immobiliers du domaine privé, entre telle parcelle, tel ancien moulin ou telle grange oubliée. D’ailleurs, il arrive que ce soit le jour où la commune prend l’initiative de mettre un de ces biens en valeur qu’elle découvre qu’un tiers est fondé à lui opposer la prescription acquisitive.

La philosophie de ce texte repose donc sur une volonté d’aider les collectivités et les élus qui les administrent dans leurs efforts de mise en valeur, d’investissement, voire tout simplement de sauvegarde de leur patrimoine historique ou de la physionomie de leur terroir. Pour autant, comme l’a indiqué notre rapporteur, à qui je veux ici rendre hommage pour la qualité de son analyse, verser dans le domaine public l’ensemble des biens immobiliers des collectivités aurait des conséquences juridiques considérables, créant sans doute des situations inextricables.

La réflexion que notre rapporteur a menée sur un sujet complexe en un minimum de temps me semble donc aller dans le bon sens. Nous ne pouvons aussi radicalement modifier la nature des biens immobiliers du domaine privé des collectivités et, je le rejoins aussi sur ce point, sans doute devons-nous concentrer cette réforme sur la nature des seuls chemins ruraux.

Là aussi, légiférer sans prendre le recul ni mener les études nécessaires risque de créer des situations inextricables. Trop de cas différents sont en cause : un chemin viticole acquis au terme de la durée de prescription n’a pas la même utilité publique qu’un sentier de randonnée. Je pense aussi à ces exploitants de bonne foi, qui ont bâti des activités économiques, notamment agricoles, ou poursuivi des activités préexistantes et qui se trouveraient du jour au lendemain dans une situation intenable.

L’adoption de ce texte dans sa rédaction actuelle poserait donc plus de problèmes que ses auteurs ne voudraient en résoudre, sans parler des contradictions qu’il ferait naître avec notre droit de la propriété. Les dispositions qu’il vise à instaurer auront un impact dont, me semble-t-il, nous n’imaginons pas la portée, avec, notamment, des conséquences sur des situations souvent ignorées par les protagonistes eux-mêmes.

Le groupe UMP souhaite donc exprimer des réserves, non pas sur l’ambition salutaire du texte, mais sur les réponses juridiques qu’il tend à apporter.

Je tiens également à souligner que, malgré ces divergences, le rejet pur et simple de la proposition de loi nous semblerait tout aussi dommageable, car il enterrerait toute idée de réforme. Ce serait là un terrible message de résignation et d’abandon à l’endroit des élus des collectivités territoriales, quand notre mission est de les soutenir et de chercher les moyens de faciliter l’exercice de leur mandat.

Les élus de nos collectivités sont les premiers à affronter des textes trop vite adoptés. Au premier chef d’entre eux, se trouvent les maires de communes rurales, dont les moyens limitent le soutien juridique sur lequel ils peuvent s’appuyer. Nous devons donc prendre le temps de nous pencher sereinement et en profondeur sur cette question. C’est pourquoi le groupe UMP soutiendra la motion tendant au renvoi à la commission, présentée par notre rapporteur, sur proposition du président de la commission. (Applaudissements.)

M. Claude Kern. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. René Vandierendonck.

M. René Vandierendonck. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, rassurons, pour commencer, Henri Tandonnet et apportons-lui des preuves : son assiduité aux travaux du Sénat lui aura certainement permis de voir comment notre collègue Évelyne Didier, à travers une proposition de loi, est parvenue, contre toute attente, à faire bouger les lignes en matière de partage des responsabilités et de prises en charge financières de la gestion des ouvrages d’art.

S’il y a aujourd’hui 750 000 kilomètres de chemins ruraux, comme l’a indiqué M. le secrétaire d’État, je peux vous dire que 200 000 kilomètres ont disparu durant les trente dernières années. C’est dire, mon cher collègue, que nous ne discutons pas la pertinence du débat que vous nous proposez. Croyez-le, nous avons la volonté d’aboutir à une solution. Je tenais d’entrée de jeu à vous en donner l’assurance la plus formelle.

Cela étant, aussi légitime que soit l’objectif, l’emprunt de l’ensemble des caractéristiques de la domanialité publique pour protéger les chemins ruraux pose un problème de construction juridique. Le risque constitutionnel est réel : plusieurs articles de la Constitution garantissent le caractère inviolable et sacré de la propriété privée.

La jurisprudence du Conseil d’État qui interdit le recours à l’échange, des dispositions du code rural assez complexes, voire parfois contradictoires en matière d’aliénation – je pense aux modalités d’enquête publique, aux conditions d’intervention des associations syndicales, notre collègue Le Scouarnec en a parlé, ou aux conditions dans lesquelles intervient la mise en demeure d’acquérir au profit des riverains – montrent que votre proposition de loi est pertinente. Pour une fois, nous n’allons pas simplement nous gargariser de la ruralité ou de l’hyper-ruralité, nous allons pouvoir faire progresser concrètement une question significative pour les élus locaux.

Chacun ici vous remercie, monsieur Tandonnet, d’avoir identifié le problème. Tel est le sens qu’il faut donner au positionnement, tous bords politiques confondus, de la commission des lois. Il est d’ailleurs tout à fait remarquable que M. Détraigne, qui a été nommé rapporteur la veille de la remise de son rapport, comme il l’a lui-même indiqué, ait pu élaborer un rapport complètement dans le cœur du sujet.

Pour pouvoir légiférer, il nous semble vraiment nécessaire d’approfondir la démarche. Je suis, pour ma part, déterminé à le faire. S’il vous faut une raison supplémentaire d’attendre, je dirais aussi qu’il y a, aux franges de ce débat, la question de la compétence. Nous sommes d’ailleurs en plein dans l’actualité puisque, dans quelques jours, le Premier ministre viendra dans cette enceinte en vue d’une déclaration du Gouvernement sur la réforme territoriale. Vous le savez très bien, monsieur le secrétaire d’État, l’Isère en étant un brillant exemple, il y a une compétence départementale en matière de plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée. Notre collègue Michel Mercier y a très explicitement fait allusion dans le cadre des travaux en commission.

Toutes ces problématiques doivent être examinées. Reste qu’il y a un point qui ne soulève aucune discussion : il est éminemment nécessaire, dans l’intérêt général, de parvenir, tout en améliorant la transparence du dispositif, à limiter et encadrer les conditions dans lesquelles la prescription acquisitive – l’usucapion, pour ceux qui aiment le droit romain – peut intervenir dans ce domaine. Je suis donc favorable à ce que nous poursuivions le travail, mais il me semble vraiment indispensable de respecter la summa divisio que constitue la distinction entre domaine public et domaine privé. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il n’est pas aisé d’intervenir en dernier. Néanmoins, je veux indiquer, au nom du groupe UDI-UC, les éléments qui nous semblent essentiels.

Cher Henri Tandonnet, je tiens avant toute chose à saluer votre initiative. Le dépôt de votre proposition de loi en janvier dernier nous permet d’aborder aujourd'hui, en séance publique, un problème affectant de très nombreuses communes rurales dans notre pays. Certes, l’adoption d’une motion tendant au renvoi à la commission allongera un peu les délais d’examen de votre texte, mais n’oubliez pas que vous l’avez déposé il y a six mois, ce qui est finalement très court au regard du calendrier habituel d’examen des propositions de loi. (Sourires.)

Suivant l’orientation que souhaite prendre notre rapporteur, je centrerai mon propos sur la problématique des chemins ruraux. Si le champ de la proposition de loi de notre collègue est plus vaste, il reconnaît lui-même que sa réflexion part de la question des chemins ruraux.

Comme l’a rappelé notre rapporteur, il existe des centaines de milliers de kilomètres de chemins ruraux. Ces chemins, bien qu’affectés à l’usage du public, ne sont pas classés comme des voies communales. Ils appartiennent donc au domaine privé des communes. Relevant du droit privé, ils peuvent, comme tout immeuble, après trente ans de « possession » ou d’occupation par un particulier, devenir la propriété de celui-ci, par le jeu de la prescription acquisitive prévue par le code civil.

Cette réalité juridique n’est bien sûr pas sans poser de problème. Il existe un contentieux abondant engendré par l’appropriation par des particuliers d’éléments importants du domaine privé des collectivités tels que des chemins ruraux ou des jardins. Notre collègue Détraigne cite même dans son rapport des cas concernant des moulins ou des presbytères. Dans toutes ces hypothèses, les collectivités se retrouvent lésées ou privées de la possibilité d’aménagements futurs.

Pendant de nombreuses années, les chemins ruraux ne suscitaient que peu d’intérêt. Aujourd’hui, les choses ont changé compte tenu de l’évolution de la société. Les plans départementaux des itinéraires de promenade et de randonnée se sont notamment multipliés. Ces chemins ruraux sont aussi utilisés pour des activités économiques comme le débardage du bois. Cet usage est très important dans ma région, par exemple.

Ces chemins sont donc un élément du développement de nos collectivités que l’on ne doit pas ignorer.

Les statistiques sont apparemment difficiles à obtenir sur le sujet. À cet égard, le cas de la Picardie, rappelé par Yves Détraigne, est frappant : 40 000 kilomètres de chemins ruraux figurent au cadastre, dont 30 000 kilomètres seulement pourraient encore être parcourus aujourd’hui. Que sont devenus les 10 000 kilomètres manquants ?

Cet exemple démontre que nous ne pouvons pas nous désintéresser de ce problème, qui deviendra de plus en plus incontournable à mesure que le tourisme rural se développe, ce qui est une orientation souhaitée dans beaucoup de nos départements.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très juste !

Mme Jacqueline Gourault. Aussi, je tiens à saluer une fois encore l’initiative d’Henri Tandonnet. Le sujet qu’il nous soumet aujourd’hui touche beaucoup de communes. Moi-même, dès le lendemain de l’examen du rapport en commission des lois, la semaine dernière, j’étais interrogée par un maire de mon département sur cette question. Le hasard fait bien les choses et montre l’utilité de la démarche de notre collègue.

Tout en reconnaissant l’existence d’une vraie problématique, plusieurs membres de notre commission ont invoqué la nécessité de se laisser plus de temps avant de toucher aux concepts fondamentaux de notre droit. C’est la raison pour laquelle il faut prendre le temps et admettre que le calendrier d’examen a été pour le moins ramassé, cela a été souligné, le rapporteur ayant été nommé la veille de la présentation de son rapport.

Nous souscrivons donc à la proposition suggérée par le président de la commission, Philippe Bas, de renvoyer temporairement ce texte en commission pour que la réflexion puisse aboutir à une solution qui garantisse la sécurité juridique et la protection des intérêts de nos collectivités territoriales. C’est la raison pour laquelle le groupe UDI-UC votera la motion de renvoi, tout en rappelant la nécessité que cette proposition de loi revienne rapidement en discussion dans cet hémicycle. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.

Demande de renvoi à la commission

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Détraigne, au nom de la commission, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, la proposition de loi tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales (n° 292, 2013-2014).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.

M. Yves Détraigne, rapporteur. Mon intervention sera brève, car tout le monde sait que l’objet de cette motion est de renvoyer à la commission des lois l’examen de la proposition de loi de notre collègue Henri Tandonnet. J’ai d’ailleurs noté avec intérêt que l’ensemble des groupes comme M. le secrétaire d’État ont parfaitement compris l’importance du sujet ainsi que les difficultés juridiques que nous devons régler.

Cette demande de renvoi à la commission n’est pas un enterrement. Au contraire, elle traduit notre volonté partagée de creuser la question afin de trouver une solution aux difficultés que tend à régler, peut-être un peu rapidement, la présente proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Comme le rapporteur vient de le dire, cette motion tendant au renvoi à la commission est destinée à nous permettre d’approfondir le travail.

La commission, qui s’est réunie dans les conditions qui ont été rappelées, a considéré que l’objet de la proposition de loi de notre collègue Tandonnet était justifié par la réalité des difficultés rencontrées dans les communes et les intercommunalités par rapport à la prescription acquisitive de portions du domaine privé communal. Par conséquent, la commission, qui a eu un débat très riche sur le sujet, chacun ayant eu à connaître de ce type de difficultés, a souhaité que le travail puisse se poursuivre.

Je sais que les motions tendant au renvoi à la commission sont très souvent destinées à couper court à la discussion d’un texte. Cela n’est pas du tout l’intention de notre rapporteur, il l’a bien précisé. Je veux vous dire, au nom de la commission, que c’est même l’intention contraire qui nous anime. Nous voulons permettre à cette proposition de loi de prospérer, mais nous voulons nous assurer que toutes ses implications juridiques auront été traitées et que sa rédaction permettra réellement de remplir l’objet qu’elle s’assigne.

Si cette motion tendant au renvoi à la commission est adoptée, notre rapporteur, qui s’est pleinement investi dans l’étude de la proposition de loi, pourra poursuivre son travail pour, le moment venu, dans des délais qui ne devraient pas être trop longs, revenir devant vous afin que notre assemblée puisse, je l’espère, adopter des solutions pertinentes à ce problème.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. André Vallini, secrétaire d'État. Le Gouvernement est favorable à cette motion.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

(La motion est adoptée.)

Mme la présidente. En conséquence, le renvoi de la proposition de loi à la commission est ordonné.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la protection des chemins ruraux
 

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Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. En application de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de l’article 10 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983, la commission des finances, lors de sa réunion du 22 octobre 2014, a émis un vote favorable – dix-sept voix pour, deux bulletins blancs – à la nomination de Mme Stéphane Pallez aux fonctions de président-directeur général de La Française des jeux.

Acte est donné de cette communication.

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Demande d’avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et en application de l’article 11 du décret n° 2004-123 du 9 février 2004, M. le Premier ministre, par lettre en date du 22 octobre 2014, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente sur le projet de nomination de M. Nicolas Grivel aux fonctions de directeur de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine.

Cette demande d’avis a été transmise à la commission des affaires économiques.

Acte est donné de cette communication.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)

PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Questions cribles thématiques

accords de libre-échange

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques posées à M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, sur les accords de libre-échange, thème choisi par le groupe UMP.

Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

La parole est à Mme Bariza Khiari, pour le groupe socialiste.

Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours de cette séance de questions cribles thématiques consacrée aux accords de libre-échange, il sera souvent question du traité que la Commission européenne et le Canada ont dévoilé le mois dernier. Permettez-moi de profiter de l’occasion qui m’est donnée, en tant que première oratrice, pour exprimer notre entière solidarité avec le Canada, dont le Parlement fédéral a été hier pris pour cible par un tireur, pour faire part de notre profonde tristesse et faire preuve de compassion à l’égard tant de la famille du soldat tué que de l’ensemble du peuple canadien.

Monsieur le secrétaire d’État, voilà presque un mois, le 26 septembre dernier, la Commission européenne et le Gouvernement fédéral du Canada ont dévoilé le contenu du traité de libre-échange, le CETA – Comprehensive Economic and Trade Agreement. Les négociations avaient commencé en 2009 entre la Commission et le Canada et, à l’instar de celles qui concernent les autres traités de libre-échange, elles ont été menées pour le moins dans une très grande opacité.

Ce mode de négociation pose une réelle question démocratique, d’autant que ce traité porte, entre autres, sur les produits, les services, les investissements et les achats publics, domaines qui touchent de près le fonctionnement de notre économie et de nos territoires.

Mais surtout, ces secteurs sont abordés dans un document de 521 pages, assorties de 1 000 pages d’annexes : après la stratégie de rétention d’information, voici celle de la profusion ! Dans un cas comme dans l’autre, la question de l’accessibilité et de la lisibilité du texte ne permet pas le fonctionnement de règles démocrates saines et vient nourrir plus que de raison l’euroscepticisme.

Les orateurs qui me succèderont vont sans doute vous interroger sur le mécanisme de règlement des différends, mécanisme qui revient à créer une justice arbitrale privée dont la finalité est de protéger les investisseurs, mais qui entrave la capacité de régulation des États.

M. Éric Bocquet. Très bien !

Mme Bariza Khiari. Aussi ma question ne portera-t-elle pas sur cet aspect essentiel, mais sur un thème qui intéresse aussi au plus haut point le Sénat : les indications géographiques protégées.

Celles-ci sont, en fait, un label européen désignant un produit dont les caractéristiques sont liées au lieu géographique de production, comme, par exemple, le riz de Camargue. Si ces indications géographiques protégées ont en Europe une dimension publique liée au territoire, en Amérique du Nord, cette appellation recouvre des marques qui appartiennent aux entreprises. Ainsi, une société canadienne peut dénommer sa production locale « jambon de Parme ». Depuis plusieurs années, cette asymétrie juridique est l’objet d’intenses débats, car il ne saurait être question que, au nom d’un traité, soient commercialisés en Europe du « jambon de Parme », du « riz de Camargue » ou du « champagne » produits hors des territoires européens.

À l’occasion d’une séance de questions d’actualité à l’Assemblée nationale, Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, a annoncé des avancées importantes concernant les indications géographiques et leur prise en compte dans le CETA. Pourriez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous donner davantage de précisions ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de mon collègue Matthias Fekl, qui se trouve aujourd’hui en Chine.

Avant de répondre à votre question, madame Khiari, je souhaite m’associer à votre déclaration, témoigner à mon tour notre sincère solidarité envers le peuple, le Parlement et le Gouvernement canadiens, leur dire combien notre émotion est grande, et leur faire part de notre volonté commune de faire face à de telles menaces terroristes, dont nous connaissons, malheureusement, la réalité.

Madame le sénateur, vous avez abordé le sujet de façon globale. Je partage vos préoccupations générales, mais permettez-moi, dans les deux minutes qui me sont imparties, de répondre le plus précisément possible à votre question relative aux indications géographiques. Sur ce point, le résultat obtenu avec le Canada nous semble satisfaisant.

Vous le savez, initialement, ce pays était réticent à cette problématique. L’accord qui a été conclu marque donc un réel progrès, tout comme celui qui était intervenu avec la Corée du Sud en 2011.

Les indications géographiques relatives aux vins et spiritueux, déjà protégées par l’accord conclu entre l’Union européenne et le Canada au mois de septembre 2003, voient leur protection renforcée, car elle figure de nouveau dans l’accord en cause. Quarante-deux indications géographiques françaises bénéficieront d’une protection totale, un recours administratif étant possible. Je pense notamment à des spécialités comme les pruneaux d’Agen, les canards à foie gras du Sud-Ouest, ou encore le piment d’Espelette. Vous-même avez cité le riz de Camargue.

Quelques exceptions à la protection donnée ont néanmoins été octroyées. Le système canadien de marque déposée pourra, dans certains cas, coexister avec certaines indications géographiques européennes, mais la mention « sorte de », « type de », ou encore « style canadien » devra être apposée.

L’avancée enregistrée présente l’avantage de démontrer que les indications géographiques et les marques déposées peuvent coexister, formant ainsi un précédent positif, en vue, notamment, des négociations dans le cadre du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Elle sera, en tout cas, un point d’appui important.

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour la réplique.

Mme Bariza Khiari. Monsieur le secrétaire d'État, j’avais effectivement noté ces progrès qui avaient été annoncés par Matthias Fekl.

Toutefois, en tant que socialistes, nous nous situons au juste milieu : nous nous opposons tant au libre-échange généralisé qu’au protectionnisme. Au regard de cette position, il me semble qu’il conviendrait d’examiner le traité à l’aune du « juste échange », tel qu’il a pu être défini par notre éminent ancien collègue Henri Weber : réciprocité, équilibre, équité, respect des normes internationales et intégration des normes non marchandes. Mais ce débat aura lieu, puisque ce traité doit, bien évidemment, être validé par le Parlement.

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe UDI-UC.

M. Joël Guerriau. Au mois de décembre dernier, le Gouvernement s’est réjoui d’avoir signé l’accord avec les États membres de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, lors de sa neuvième conférence ministérielle.

Cet accord allège les procédures de passage des frontières des marchandises dans l’objectif de réduire sensiblement le coût d’une opération de commerce international. Selon le Gouvernement, il devait bénéficier en premier lieu aux petites et moyennes entreprises.

En France, un millier de PME seulement réalisent à elles seules 70 % des exportations. Elles sont respectivement deux fois et trois fois moins nombreuses qu’en Italie et qu’en Allemagne.

Les PME françaises ont sans nul doute un potentiel important de croissance à l’export. Toutefois, la mondialisation des échanges n’a de sens que si elle s’accompagne d’un cadre juridique précis, faute de quoi nous offrons une position avantageuse aux entreprises de pays qui ne s’imposent ni contrainte fiscale, ni règles de protection sociale, ni ambition environnementale.

Le libre-échange a fait de la Chine l’atelier du monde à moindre coût. Il a favorisé la libre circulation des capitaux pour échapper à l’impôt. Au sein de l’Europe, les flux de main-d’œuvre Est-Ouest ont contribué à créer des distorsions de compétitivité entre États membres dont nous constatons parfois les conséquences dans nos propres régions.

C’est un fait, le libre-échange inquiète nos citoyens.

Échanger avec des pays qui ne respectent pas les mêmes normes sociales revient à commercer sur le dos de la pauvreté. Un libre-échange dépourvu de fondement humaniste encourage l’exploitation de l’homme par l’homme.

Monsieur le secrétaire d’État, je continue de croire que l’on ne prospère véritablement que lorsque l’on tire l’humain vers le haut. À cette fin, tout doit être mis en œuvre pour lutter contre la concurrence déloyale dont font preuve les pays qui entretiennent volontairement de bas niveaux de salaires et de protection sociale au seul profit de bénéfices immédiats.

Quel est l’intérêt d’importer aujourd’hui ce que nous produisions hier à meilleure qualité ? Les nouvelles puissances commerciales assument-elles véritablement leurs responsabilités pour, par exemple, lutter contre le réchauffement climatique, contribuer au progrès social ou agir en faveur de la sécurité alimentaire ? Dans le cadre de la négociation des accords transatlantiques et des travaux de l’OMC, quelles mesures le Gouvernement prend-il afin de défendre nos exigences sociales et environnementales ?

Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, quels bénéfices réels la France a obtenu depuis l’accord de 2013 au sein de l’OMC ? Quelles sont les mesures prises par le Gouvernement pour encourager et accompagner nos PME à l’exportation ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, votre question est double : d’une part, l’OMC et, d’autre part, les problèmes liés à ce que l’on appelle le « dumping social ».

Vous le savez, le Conseil général de l’OMC, qui s’est réuni le 21 octobre à Genève, n’a pu que constater le blocage de l’Inde, empêchant la mise en œuvre des différentes décisions prises lors de la conférence ministérielle de l’Organisation à Bali à la fin de l’année dernière, en particulier la finalisation de l’accord sur la facilitation des échanges.

S’ouvre ainsi au sein de l’Organisation mondiale du commerce une période de réflexion. C’est un euphémisme, car nous considérons que la situation est grave pour l’OMC et pour le multilatéralisme commercial, lequel répond à notre vision de l’organisation et de la régulation du monde et reste une priorité nationale et européenne. Le G20 des chefs d’État de Brisbane sera sollicité sur ce sujet, afin de tenter de trouver une solution. Une certaine inquiétude se fait jour, car la succession de traités bilatéraux ou transcontinentaux n’est pas l’objet premier de la politique diplomatique et commerciale que nous voulons mettre en œuvre au plan international.

Quant à la question du dumping social, les accords de libre-échange incluent, vous le savez également, monsieur le sénateur, un chapitre sur le développement durable qui reconnaît les principes généraux issus des conventions internationales – conventions de Rio, de l’Organisation internationale du travail et autres. Les parties s’engagent à développer leurs relations commerciales dans le respect tant des normes sociales et environnementales que des accords internationaux dans ce domaine.

De façon générale, la France et l’Europe portent des exigences environnementales et sociales fortes en matière de politique commerciale. En témoigne, par exemple, le schéma de préférences généralisées de l’Union européenne. Ce dernier récompense par des baisses de droits de douane les pays en développement ayant ratifié les principales conventions internationales relatives aux sujets précités, mais nul ne doute qu’il y a matière à réaliser bien des progrès dans ce domaine.

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.

M. Joël Guerriau. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de votre réponse, qui montre que nous tentons de résister aux débordements qui se produisent au titre du libre-échange.

Lors de l’élaboration de l’accord sur la facilitation des échanges, la Chambre de commerce internationale avait affirmé que, de ce fait, le commerce mondial allait être stimulé de l’ordre de 1 000 milliards de dollars et que 21 millions d’emplois seraient créés. Nous restons dubitatifs.

Je ne voudrais pas que, derrière ce leurre, le libre-échange devienne le cheval de Troie visant à démanteler nos ambitions sociétales, en particulier en matière environnementale et sociale. Nous avons une coresponsabilité en la matière. Nous devons faire en sorte que les droits humains demeurent un élément indiscutable et non négociable des accords, afin que nos échanges s’effectuent dans le respect de l’humanité.

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe UMP.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question porte sur le système d’arbitrage investisseurs-État, sujet qu’a évoqué brièvement tout à l’heure notre collègue Bariza Khiari.

Avant même l’adoption du mandat de négociation sur le traité transatlantique, le Sénat avait fait part de son inquiétude sur ce point précis. Un tel système soulève en effet de nombreuses questions, en matière d’indépendance des arbitres, d’accessibilité de la justice, et in fine de droit des États à faire respecter les normes.

J’observe que, actuellement, les États-Unis sont les premiers investisseurs directs dans l’Union européenne, et réciproquement, sans aucun traité bilatéral.

M. Jean Bizet. Il est donc permis de s’interroger : en quoi ce système d’arbitrage investisseurs-État est-il si nécessaire ?

M. Jean Bizet. Je relève aussi que les États-Unis ont déjà conclu des accords de libre-échange sans un tel mécanisme d’arbitrage avec l’Australie, Singapour et Israël. C’est aussi ce que font valoir nos partenaires allemands, par la bouche du ministre fédéral de l’économie, Sigmar Gabriel, et du ministre de la justice, Heiko Maas.

Pourtant, le mandat de négociation finalement adopté par le Conseil prévoit explicitement l’inclusion d’un tel mécanisme. Il assortit malgré tout son activation de conditions strictes. C’est ce qui a permis hier au président Juncker d’être très ferme devant le Parlement européen. Il a affirmé que l’accord final ne comporterait « aucun élément de nature à limiter l’accès des parties aux juridictions nationales ou qui permettrait à des juridictions secrètes d’avoir le dernier mot dans des différends opposant investisseurs et États. » Il concluait : « L’État de droit et le principe de l’égalité devant la loi doivent s’appliquer aussi dans ce contexte. »

Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux que me féliciter de ces paroles, mais je reste inquiet. Croyez-vous possible de conclure un accord ambitieux avec les États-Unis qui ne prévoit pas d’arbitrage entre investisseurs et États ?

J’ajouterai, d’une façon beaucoup plus générale, que les traités commerciaux ne prévoient que l’information du Parlement européen sur la négociation d’un accord commercial par l’Union. Pourtant, le traité de libre-échange transatlantique, le TTIP, parce qu’il sera un accord mixte, devrait être ratifié non seulement par le Parlement européen, mais aussi par les parlements nationaux. Il serait donc légitime de tenir ces derniers pleinement informés à toutes les étapes de la procédure. Quels engagements pourriez-vous prendre aujourd’hui à cet égard envers le Sénat ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, votre question est importante, je dirai même stratégique, et porte sur deux points, dont le premier est la transparence.

Vous le savez, le Gouvernement a demandé à la nouvelle Commission européenne de travailler dans la plus grande transparence par rapport aux États lui ayant donné mandat. Ceux-ci, du moins la France, ont bien l’intention de faire en sorte que leur soient communiqués, étape après étape, les divers éléments d’information. Au final, évidemment, le Parlement national aura son mot à dire sur la validation ou non du traité en cause.

J’en viens maintenant au mécanisme de règlement des différends.

Comme vous le savez également, la France a déjà conclu plus de cent accords bilatéraux de protection des investissements avec des pays tiers comportant un mécanisme d’arbitrage international afin de préserver les intérêts de nos entreprises qui investissent à l’étranger. Chaque fois, ces accords ont évidemment été soumis au Parlement, qui n’a trouvé en la matière aucun risque de perte de souveraineté. Encore fallait-il que les choses soient dûment calibrées et précisées.

Ces accords peuvent être un enjeu de compétitivité et de développement de nos entreprises à l’international.

S’agissant plus particulièrement du traité avec les États-Unis, ce sujet fait débat depuis le début, et vous ne l’ignorez pas, la France n’était pas demandeuse en la matière. Le mandat de négociation prévoit que les États membres peuvent décider d’inclure ou non le mécanisme précité dans le TTIP au regard des critères de transparence, d’impartialité et de respect des droits des États à réguler.

Par conséquent, au cours de la négociation et jusqu’au terme de celle-ci, nous gardons la totale souveraineté de nos décisions sur ce point, notamment en ce qui concerne le contrôle des investissements.

J’ai noté avec satisfaction, comme vous, les propos tenus hier par le nouveau président de la Commission européenne, M. Juncker. Il a posé des conditions très strictes à l’introduction d’un tel mécanisme dans l’accord avec les États-Unis. Je souhaite que, au Conseil, les débats sur le maintien ou non de l’ISDS – investor-state dispute settlement – dans le TTIP s’engagent sur cette base, qui comporte à la fois un mandat d’exigence pour notre négociateur et un enjeu de souveraineté pour notre pays.

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour la réplique.

M. Jean Bizet. Monsieur le secrétaire d’État, je prends note des informations que vous avez bien voulu nous livrer.

D’abord, en ce qui concerne l’information du Parlement et le débat qui pourrait avoir lieu en son sein, je me permets de vous le rappeler, j’apprécie la façon dont ce type de discussions peut s’engager avec les parlements nationaux dans les pays d’Europe du Nord. Une telle pratique permettra in fine, sans doute dans un certain nombre d’années, de cristalliser quelque peu les négociations. Je souhaite que les parlements nationaux puissent définir un mandat qui sera ensuite exécuté par le commissaire européen chargé du commerce extérieur, à l’heure actuelle Mme Cecilia Malmström. Nous faillirions à notre mission si nous n’adoptions pas une telle architecture.

Ensuite, s’agissant de l’ISDS, vous avez souligné, en réponse à la question posée par Joël Guerriau, que le multilatéralisme ne se portait malheureusement pas bien au sein de l’OMC. En revanche, l’organisation et le fonctionnement de l’organe de règlement des différends ont jusqu’à présent toujours donné satisfaction. Nous pourrions peut-être nous en inspirer, au lieu de créer un système supplémentaire par le biais des ISDS.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du RDSE.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le secrétaire d’État, voilà un mois, la Commission européenne est parvenue à un accord de libre-échange avec le Canada. À l’instar de mes collègues, mes pensées vont vers le peuple canadien qui a subi hier des violences inacceptables.

Cet accord prend acte de l’ouverture d’un contingent à droits de douane nuls de 50 000 tonnes en faveur des viandes bovines canadiennes. Prochainement, plusieurs centaines de milliers de tonnes de viandes bovines en provenance des États-Unis et des pays du Marché commun du Sud, le Mercosur, pourraient arriver, dans les mêmes conditions douanières, sur le sol européen et dans l’assiette de nos consommateurs.

Il s’agit bien évidemment d’une viande extrêmement compétitive, puisqu’elle est produite selon des systèmes fondés sur la seule rentabilité et bénéficiant d’une quasi-absence de réglementation des conditions de production, ce qui n’a rien à voir avec les normes en vigueur de ce côté de l’Atlantique.

On mesure l’incidence considérablement négative qu’auraient de telles importations sur la production européenne et sur le revenu des éleveurs.

Monsieur le secrétaire d’État, dans les accords de libre-échange, il ne suffit pas de classer la viande bovine au sein de la catégorie des produits sensibles ! Il faut faire davantage pour protéger nos producteurs et pour maintenir une viande bovine de qualité pour nos consommateurs.

En clair, la viande bovine ne doit pas servir à l’Europe de monnaie d’échange pour obtenir mieux ou plus dans d’autres secteurs considérés comme prioritaires. Il faut bien le mesurer, ce qui est en jeu, c’est le maintien d’une filière bovine européenne et française rentable et d’excellence. C’est aussi de l’emploi des éleveurs français qu’il est question !

Le Gouvernement français a-t-il pris la mesure de ce qui se joue pour la filière bovine française avec les accords de libre-échange ? A-t-il l’intention de s’engager auprès de la Commission européenne en faveur d’une exclusion de la viande bovine de ces accords ? (Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. André Gattolin applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Madame le sénateur, votre question est très importante pour nos agriculteurs, dans un pays comme le nôtre, défenseur de la filière bovine. Il est parfaitement légitime que la représentation nationale, à travers vous, soit exigeante à l’égard du Gouvernement. Toutefois, vous le savez, Stéphane Le Foll a eu l’occasion à plusieurs reprises de démontrer sa mobilisation en faveur de la défense de cette filière, dont le rôle est stratégique pour notre agriculture et nos agriculteurs. Croyez bien à l’engagement très sincère et puissant du Gouvernement, au plan tant national, qu’européen et international.

Vous l’avez dit, dans les traités de libre-échange, cette question est essentielle. Nous voulons défendre la filière de production française lors de chaque négociation. Vous avez eu raison de souligner que le bœuf est un produit sensible, comme la viande de porc, le sucre et l’éthanol. C’est entendu avec la Commission, nous refusons que soient abaissés les tarifs douaniers européens à zéro sur ces marchandises. Ce point fait partie du mandat de négociation.

En revanche, des quotas à droit zéro peuvent être octroyés à nos partenaires commerciaux pour de la viande de bœuf, bien sûr exclusivement sans hormones, ce qui…

Mme Françoise Laborde. … est déjà beaucoup !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. … apporte une clarification importante par rapport à la production nord-atlantique.

Dans le cas du Canada, l’Union européenne a octroyé un quota en franchise de droits de 45 780 tonnes de viande de bœuf sans hormones. Ce quota sera atteint progressivement en cinq ans. En échange, le Canada a attribué un nouveau contingent sans droits de douane pour les fromages européens – cette demande émane évidemment aussi de la France – de 18 500 tonnes qui concerne donc largement la filière bovine.

Ces quotas ne perturberont pas le marché européen. Je vous l’affirme, ce que nous avons négocié avec le Canada ne servira pas de base à la discussion avec les États-Unis. La négociation avec le Canada est une chose ; celle que nous aurons avec les États-Unis en est une autre, si le processus se poursuit. Je ne veux pas anticiper sur les résultats d’une discussion dont, je le rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, vous aurez, en tant que parlementaires, à juger.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour la réplique.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre engagement. Je saurai m’en souvenir.

Ma réplique sera à dominante locale. La Haute-Garonne est trop souvent classée parmi les départements dits « urbains » en raison de la présence de la métropole toulousaine et de la place importante de son industrie aéronautique. Pourtant, le secteur agricole est bien présent sur ce territoire. Il peut s’appuyer notamment sur le pôle d’excellence Agrimip.

Or ce secteur souffre. Il est pris en étau entre une zone urbaine qui se développe et des contraintes réglementaires qui poussent de nombreux exploitants à cesser leur activité. Entre 2006 et 2012, il est important de le signaler, 25 % des éleveurs ont disparu, soit 556 élevages. Vous comprendrez aisément la crainte des éleveurs. Nous serons particulièrement vigilants lors du processus de ratification des accords européens à venir.

M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.

M. André Gattolin. Monsieur le secrétaire d’État, les discussions sur un traité de libre-échange entre l’Europe et le Canada sont déjà anciennes – elles ont commencé voilà près de dix ans –, mais elles sont beaucoup moins connues que celles qui ont été entamées l’an passé avec les États-Unis.

Pourtant, il y aurait beaucoup à en apprendre, notamment quant à la manière dont elles ont été menées de part et d’autre.

Du côté canadien, un dialogue a été entrepris avant l’ouverture des négociations officielles entre Gouvernement fédéral et gouvernements provinciaux et territoriaux, y compris avec les municipalités et les groupes d’entreprises. Les provinces et territoires ont ainsi pu pleinement participer aux négociations quand celles-ci se rapportaient à leurs domaines de compétences.

Du côté européen, les choses se sont faites de façon très centralisée et parfois excessivement secrète autour de quelques services de la Commission. À l’inverse des territoires canadiens, nous n’avons disposé d’aucune étude d’impact précise permettant d’évaluer, pays par pays, région par région, secteur par secteur, les effets d’un tel accord au sein de l’Union européenne. Même nos gouvernements nationaux ont souvent peiné à connaître l’état précis des discussions et les options privilégiées par les négociateurs de la Commission.

Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien entendu votre réponse précédente relative à la procédure de ratification. Je connais votre détermination à impliquer les parlements nationaux. Mais à l’heure actuelle, nous n’avons aucune certitude sur la procédure qui sera finalement retenue.

Au-delà de ce que l’on peut penser du projet de traité lui-même, cette totale dissymétrie observée sur le plan de la méthode illustre bien la très grande méconnaissance que nous avons, nous, Européens, du mode de fonctionnement fédéraliste de nos partenaires. Pourtant, nous ferions bien de nous en inspirer : ce sont notamment ces défauts dans nos pratiques démocratiques qui, chaque jour, alimentent un peu plus la crise de confiance de nos peuples à l’égard de nos institutions et de l’Union européenne.

Monsieur le secrétaire d’État, ne jugez-vous pas urgent de repenser les procédures encadrant ce type de négociations, au moment même où la Commission négocie, et ce à marche forcée, je le souligne, de nouveaux accords de libre-échange, très décriés par l’opinion, avec les États-Unis ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Monsieur Gattolin, je vous remercie de votre question qui, elle aussi, est très politique.

L’organisation fédérale de nos partenaires, notamment américains et canadiens, peut, dans le cadre d’une négociation commerciale, leur conférer un avantage évident : leurs négociateurs doivent obtenir l’aval de chacune des provinces ou de chacun des États avant de prendre des engagements qui les concernent. Voilà sans doute de quoi relativiser les analyses sur le fameux « libéralisme américain »…

Cette rigidité institutionnelle n’existe pas au sein de l’Union européenne, en raison de la compétence des institutions communautaires en matière de politique commerciale, découlant des traités, du mandat de négociation conféré par les États membres à la Commission et de l’effet direct du droit de l’Union européenne et des conventions auxquelles celle-ci est partie.

Toutefois, les États membres sont pleinement associés à la définition et à la conduite des négociations, conformément aux traités, notamment via les réunions d’experts qui se tiennent chaque semaine à Bruxelles.

En outre, je vous confirme que les deux accords respectivement négociés avec les États-Unis et le Canada seront des accords de compétence mixte, ce que le commissaire au commerce a reconnu publiquement. Ils devront donc être également ratifiés par le Parlement français.

De surcroît, le Gouvernement est résolu à renforcer la transparence des négociations commerciales, tant vis-à-vis des assemblées parlementaires que de la société civile et des collectivités territoriales.

S’agissant du Canada, le négociateur européen a su obtenir des résultats que nous jugeons satisfaisants dans des domaines relevant, pour tout ou partie, de la compétence des provinces canadiennes. Je songe, par exemple, aux marchés publics : l’accord aboutit à une amélioration importante pour ce qui est de l’accès aux marchés publics des provinces.

Dans d’autres domaines relevant de la compétence des provinces, comme le commerce des vins et spiritueux ou la reconnaissance des qualifications professionnelles, l’accord consacre également des avancées notables. Notre but est bien entendu d’obtenir des résultats de même nature avec les États-Unis, si nous devions conclure avec eux un accord commercial similaire.

M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour la réplique.

M. André Gattolin. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, qui vient préciser et clarifier encore les indications que vous nous avez précédemment données.

Permettez-moi cependant d’insister. J’ai assez souvent l’occasion d’aller au Canada. Le Québec, dont nous avons reçu ici même, la semaine dernière, le président de l’Assemblée nationale, M. Chagnon, a consacré plusieurs millions à des études destinées à mesurer l’impact précis qu’aura le traité entre l’Union européenne et le Canada.

M. André Gattolin. À l’inverse, nous ne disposons pas aujourd’hui, au niveau des États membres, de la France ou des régions, d’éléments de cette nature.

Certes, en amont, la Commission nous promet que le traité TAFTA garantira un demi-point de croissance supplémentaire et assurera la création de 300 000 emplois. Mais où ?

Pour m’être récemment rendu aux Pays-Bas, je sais que, là-bas, tout le monde, à gauche comme à droite, est favorable à cet accord. Et pour cause : le port de Rotterdam, qui, je le relève au passage, bénéficie depuis 2006 d’avantages absolument incroyables – les droits de douane y ont été quasiment abolis et n’ont de droits que le nom –, profitera pleinement de ce traité.

Comment donc se répartira la richesse nouvelle créée au sein de l’Union européenne ? Malheureusement, force est d’admettre que nous l’ignorons en grande partie. Il serait important que nous lancions des études précises en amont, pour éclairer les représentations nationales et les opinions publiques. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.

M. Éric Bocquet. Avant tout, je tiens à saluer l’excellente initiative de nos collègues du groupe UMP, qui ont proposé que cette question fondamentale des accords de libre-échange soit abordée aujourd’hui dans l’hémicycle. Espérons que cette séance de questions permettra de sortir ce débat de l’obscurité dans laquelle il est plongé, loin des yeux et loin des têtes.

Rappelons ici que l’accord de partenariat transatlantique, qui, sous son acronyme anglais « TAFTA », pour Transatlantic Free Trade Agreement, est peut-être un peu moins inconnu, représente un enjeu majeur. En effet, il prévoit que les législations en vigueur des deux côtés de l’Atlantique se plient aux normes du libre-échange établies par et pour les grandes entreprises européennes et américaines, sous peine de sanctions commerciales pour le pays contrevenant ou d’une réparation de l’ordre de plusieurs millions d’euros au bénéfice des plaignants.

Ces dispositions visent à brader des pans entiers du secteur non marchand. Or les discussions et les négociations autour de cet accord se déroulent derrière des portes closes. Les délégations américaines comptent plus de six cents consultants mandatés par les multinationales, qui disposent d’un accès illimité tant aux documents préparatoires qu’aux représentants de l’administration. Et rien ne doit filtrer.

À cela s’ajoute une autre préoccupation de taille, dont plusieurs de nos collègues se sont déjà fait l’écho.

Le texte stipule d’ores et déjà que les pays signataires assureront « la mise en conformité de leurs lois, de leurs règlements et de leurs procédures avec les dispositions du traité ». En cas de non-respect de cette clause, les États pourraient être poursuivis devant les tribunaux d’arbitrage, spécialement créés pour trancher les litiges entre les investisseurs, d’une part, et les États, de l’autre. Le cas échéant, ces instances pourraient même prononcer des sanctions commerciales à leur encontre.

Chacun le sait, il y va de nos intérêts économiques, mais aussi de la démocratie et de la souveraineté des États.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles initiatives le Gouvernement compte-t-il prendre afin de créer, dans notre pays, les conditions d’un large débat, transparent et démocratique ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Bariza Khiari et M. Joël Guerriau applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Monsieur Bocquet, j’ai déjà eu l’occasion d’apporter un certain nombre d’éclairages sur cette question. Je vais tenter d’être plus précis encore.

Dans le cadre des négociations menées au titre de l’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis, la France a des exigences précises, qui doivent être entendues.

La transparence est une nécessité absolue. Nous avons progressé dans cette direction, et nous irons encore plus loin. À ce titre, nous pouvons nous féliciter de la publication du mandat de négociation donné à la Commission européenne : voilà qui permet à tout un chacun de se forger un jugement quant aux objectifs visés en la matière.

C’est une étape très importante. Je le répète, nous voulons aller plus loin. Matthias Fekl réunira le comité stratégique de suivi les 28 et 29 octobre prochains. Cette instance réunit, d’une part, des représentants de la société civile, et, de l’autre, des élus.

Au sujet du mécanisme de règlement des différends, le fameux ISDS, vous le savez, la France a exprimé des réserves. Dans le cadre de l’accord avec les États-Unis, l’utilité de ce dispositif n’est pas avérée.

Par ailleurs, les critères de transparence et d’impartialité ainsi que le respect du droit des États à réguler sont pour nous des lignes rouges.

Il faudra respecter la consultation publique lancée par la Commission ; nous en connaîtrons les résultats en novembre. Je précise, à ce propos, que plus de 150 000 réponses ont été envoyées, dont 10 000 françaises.

Enfin, je rappelle que, pour la France et les autres États membres de l’Union européenne, les accords conclus avec les États-Unis et le Canada sont mixtes, et qu’ils devront, en cette qualité, être soumis à la ratification des parlements nationaux, donc au débat démocratique.

Monsieur Bocquet, sur toutes les travées de cet hémicycle, et notamment sur celles du groupe auquel vous appartenez, s’expriment des inquiétudes et des appréhensions. Elles sont très largement légitimes. Néanmoins, il faut valoriser les préventions qui sont les vôtres pour en faire une force dans la négociation. On ne peut se satisfaire de l’idée selon laquelle on ne pourrait pas avancer !

Le Gouvernement en est persuadé, il est possible d’obtenir des avancées, tout en restant ferme sur un certain nombre de principes. Nous sommes ouverts : ni contraints d’accepter nécessairement cet accord, ni contraints de le refuser ! C’est ce qui, à mon sens, fait la force de la position du gouvernement français.

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.

M. Éric Bocquet. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de reconnaître que l’enjeu économique de cet accord est énorme, mais, vous en conviendrez, l’enjeu démocratique l’est tout autant.

Lors d’une conférence de presse tenue au cours de sa visite officielle aux États-Unis, en février dernier, le Président de la République a eu cette phrase très surprenante : « Nous avons tout à gagner à aller vite, sinon nous savons bien qu’il y aura une accumulation de peurs, de menaces, de crispations. » Nous avons pu évoquer, lors de cette séance, ce sujet essentiel pour notre avenir commun, mais nous pensons qu’il exigerait, à lui seul, plusieurs heures de discussion en séance publique – la possibilité reste ouverte, du moins je l’espère, monsieur le président !

L’un de nos collègues députés l’a récemment souligné, cet accord négocie des règles qui sont autant de choix de société. Souvenons-nous du mot de Condorcet : « Même sous la Constitution la plus libre, un peuple ignorant est esclave. »

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour le groupe socialiste. (Applaudissements sur quelques travées du RDSE.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le secrétaire d’État, je tiens à insister à mon tour sur la transparence. Je reviendrai en outre sur les formes de ratification qui garantissent la souveraineté nationale et, je l’espère aussi, la souveraineté européenne.

Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez bien indiqué que votre collègue Matthias Fekl avait écrit à la Commission. C’était le 17 septembre. Que répond la Commission ? Quels outils nouveaux seront mis en œuvre pour garantir l’information de chaque État ? En effet, dans la mesure où les cycles de négociations sont associés à des thèmes, il serait tout de même assez légitime qu’à l’issue de chaque thème les différents parlements nationaux soient informés.

Comme tous mes collègues, je m’associe bien sûr aux messages de sympathie qui ont été adressés au peuple canadien, aujourd’hui dans l’angoisse et la peine. Je constate cependant que, s’il a été beaucoup question du traité CETA avec le Canada, nous n’avons pas parlé d’un traité qui se prépare, avec ce même pays, dans le domaine des services. Cette négociation est menée dans le plus grand secret à Genève, à quelques rues de l’OMC, mais en dehors de l’OMC, avec la participation de l’Union européenne et des États-Unis, sous l’égide de l’ambassade d’Australie.

Nous devons être informés non seulement des étapes suivies et des sujets traités, mais aussi du champ de ces négociations. WikiLeaks a publié des documents classés « secret », dans lesquels on pouvait lire que la négociation sur les services était ouverte à des sujets aussi sensibles que la libéralisation de la sécurité sociale ou du champ éducatif. Il y est en outre question de l’instance de règlement des différends, dont nous avons parlé, mais aussi de l’interdiction qui serait imposée aux États signataires de renationaliser tel ou tel secteur ou de le restaurer comme service public. Parallèlement, obligation leur serait faite de verser les mêmes subventions aux opérateurs, publics ou privés, d’un même domaine intervenant dans le champ des services publics.

Inutile de vous dire que c’est tout un pan du modèle historique de la France, et, je l’espère, de son modèle futur, qui risquerait d’être menacé par des décisions de cette nature.

On nous oppose en général, pour chasser nos inquiétudes, d’une part que la transparence sera accrue, de l’autre que les traités conclus devront être ratifiés par les parlements nationaux. Or rien n’est moins sûr.

M. Bizet l’a rappelé, le nouveau président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a pris position contre la présence, dans le futur traité, de la fameuse clause sur le mécanisme de règlement des différends. On peut certes y voir la prise de conscience du refus exprimé par les États membres, mais il y a une autre réalité : dans les couloirs de la Commission, on murmure que, si cette clause était supprimée, l’accord perdrait son caractère mixte et ne serait plus que purement commercial ; dès lors, il ne serait soumis qu’à la ratification du Parlement européen, et non à celle des États membres !

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous garantir qu’en tout état de cause tous ces grands traités dont nous parlons seront qualifiés de « mixtes », justifiant de ce fait une ratification par les États membres ?

L’ampleur et la diversité des sujets abordés aujourd’hui par les uns et les autres le montrent bien, derrière la question du libre-échange commercial demeure celle du juste échange, loin d’être réglée, elle. Comme l’ont dit M. Guerriau, Mme Khiari et d’autres collègues, le juste échange, c’est celui qui, respectueux des normes mais aussi des ambitions, sait faire vivre l’humain avant l’argent ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Françoise Laborde et M. Joël Guerriau applaudissent également.)

M. Roger Karoutchi. Tout est dit !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Madame Lienemann, un tel programme ne peut que vous rallier la quasi-unanimité du Sénat et, sans doute, de l’Assemblée nationale. Voilà qui est, à mon sens, de très bon augure pour bien cadrer les discussions techniques que nous consacrerons à ce sujet ! (Sourires.)

Vous le savez, je suis moi-même un militant politique, j’ai exercé des fonctions parlementaires et j’ai donc une certaine expérience. Des remarques similaires aux vôtres avaient été formulées en d’autres temps, non pas à propos de traités transatlantiques, mais tout simplement au sujet de la construction européenne.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Que n’ai-je entendu à l’époque! La construction européenne allait remettre en cause notre modèle républicain, notre sécurité sociale, nos services publics...

Il est vrai que certains États sont, de par le monde, moins avancés que la France. Nous sommes même – vous le savez, et, d’ailleurs, vous le rappelez fréquemment – l’un des pays dont la dépense sociale est la plus élevée et dont les structures publiques sont les plus étoffées. (M. Éric Bocquet acquiesce.) Si nous nous comparons au reste du monde, nous devons reconnaître que, sur ce point, nous sommes bien en avance sur beaucoup d’autres.

Je comprends, dès lors, pourquoi, dès que nous franchissons une frontière ou que nous discutons avec un autre pays, c’est tout notre modèle républicain ou notre modèle social qui, pour vous, risque d’être mis en cause.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Roger Karoutchi. Mieux vaut fermer toutes les frontières ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Mais ce gouvernement est particulièrement mobilisé autour des valeurs qui nous rassemblent, ainsi que cela a été constaté dans cet hémicycle il y a quelques instants. Les négociations secrètes, ou discrètes, dont vous parlez, ont lieu à l’OMC. Certes, et je m’en faisais l’écho à l’instant, la situation est grave pour l’OMC et malheureusement on ne voit pas trop prospérer ces discussions ; cela n’empêche pas, toutefois, de discuter !

Je vous confirme que nous avons très précisément exclu du mandat le modèle éducatif, la sécurité sociale et les services publics, questions qui sont, d’ailleurs, également exclues des champs de compétence classiques de l’Union européenne.

Pour le reste, je vous confirme que, s’il n’y a pas d’accord mixte, il n’y aura pas d’accord du tout ! Je ne sais pas si cette affirmation suffira à lever tous les doutes, mais, selon nous, il n’y a plus de motif d’inquiétude : il n’y aura pas de traité sans accord mixte, c'est-à-dire sans la possibilité, pour le Parlement français, de ratifier les engagements pris en son nom. Que dire de plus ?

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour la réplique.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je prends d’abord acte du fait que cet accord ne sera pas ratifié par la France s’il ne s’agit pas d’un accord mixte. C’est essentiel, mais cela n’avait jamais été clairement dit à nos concitoyens. Je ne suis pas certaine, d’ailleurs, que cela ait été dit plus clairement aux autorités européennes, si j’en crois les récentes déclarations sur le sujet.

Je n’ai, ensuite, jamais prétendu que le libre-échange ne pouvait pas être encadré. Je souhaite seulement avoir la certitude qu’il n’y aura pas d’extension de concept en cours de mandat, comme c’est déjà le cas. La sécurité sociale et les retraites peuvent en effet être réintroduites par ce biais, à partir d’une extension du concept de liberté des fonds de pension. Le texte sur ce sujet évoque tous les mécanismes assurantiels relatifs à la santé et aux retraites, qu’ils soient publics ou privés. S’il ne s’agit pas de sécurité sociale ou de système de retraites, de quoi s’agit-il, monsieur le secrétaire d’État ?

Mais je suis rassurée, car vous ne laissez pas la moindre place au doute sur la question de l’extension de ces concepts. Pour autant, je serais tout à fait rassurée si une information régulière nous était adressée, pour que nous puissions prendre acte des désaccords à chaque étape. Comme vous, je n’exclus jamais un bon accord, mais, pour qu’il soit bon, encore faut-il que les points négatifs puissent être évacués à chaque étape ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Françoise Laborde et M. Joël Guerriau applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour le groupe UMP.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le secrétaire d’État, je m’associe également aux messages de sympathie qui ont été adressés au Canada, un pays que j’aime beaucoup. Je m’y suis d’ailleurs rendu le mois dernier avec une délégation de la commission des affaires économiques. Nous avons rencontré des responsables politiques fédéraux et provinciaux avec lesquels nous avons évoqué ce traité.

Je souhaite vous poser quatre questions à ce sujet.

La première concerne la ratification du traité. Pour l’Union européenne, j’ai bien entendu votre propos s’affermir au fur et à mesure de vos réponses, les premières étant plus floues : vous avez donc précisé que le Parlement français serait associé à la ratification, car il s’agirait bien d’un traité mixte.

Du côté canadien, nous avons observé une certaine distance entre les positions des gouvernements provinciaux et celles du gouvernement fédéral, dépositaire du mandat, je le rappelle. Avez-vous d’ores et déjà des assurances concernant la manière dont le Canada ratifiera ce traité ?

M. Philippe Bas. Très bonne question !

M. Jean-Claude Lenoir. Deuxième question, qu’en est-il des garanties pouvant être accordées à des entreprises, françaises mais aussi européennes, pour ce qui est de l’accès à la commande publique, notamment dans le domaine financier, dans les télécommunications et les transports ?

Troisième question, qu’en est-il des déplacements temporaires des cadres et salariés d’entreprises européennes qui vont au Canada ? Il y a là un vrai problème, qui nous a été exposé à plusieurs reprises.

Enfin, ma quatrième question touche à l’agriculture et aux menaces réelles qui pèsent, notamment, sur l’élevage français, menaces qui valent d’ailleurs aussi pour les États-Unis. L’Orne, que je représente, est un département de Normandie particulièrement concerné à deux titres : l’élevage laitier et la viande.

Pour ce qui concerne le lait, les réticences de certains milieux américains à l’égard de nos produits sont connues. Elles s’expliquent simplement : nos produits sont les meilleurs, je pense notamment au camembert ! (Sourires. – MM. André Gattolin et Roger Karoutchi applaudissent. )

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et le chaource ?

M. Jean-Claude Lenoir. Toutes les normes réglementaires et sanitaires imposées aux produits au lait cru, et d’une façon générale, à l’élevage, font naître des risques de distorsion de concurrence. En effet, l’élevage américain recourt, on le sait, à certains produits qui valorisent la viande et améliorent le goût. Certains éleveurs français s’inquiètent à juste titre de cette distorsion de concurrence et redoutent que ces productions n’inondent le marché européen.

Pour qu’un traité soit signé, monsieur le secrétaire d’État, il doit être « gagnant-gagnant ». Beaucoup aujourd’hui estiment qu’il pourrait être « gagnant-perdant » ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, votre question est très générale,…

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Elle est très précise !

M. Jean-Claude Lenoir. Elle appelle une réponse précise !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. … au sens où elle part des services financiers pour finir sur le camembert ! (Sourires.)

M. Philippe Bas. C’est très français ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. C’est au reste parfaitement légitime : un élu de terrain, comme vous l’êtes, appréhende la négociation dans sa globalité. Vous mettez ainsi en avant des sujets qui, les uns autant que les autres, méritent d’être pris en considération.

Je vous rappelle d’abord que le dernier mot appartiendra au Parlement français. Ensuite, on ne peut pas assimiler les deux négociations, canadienne et américaine. J’ai montré dans quelle mesure la négociation avec les États-Unis revêtait d’autres enjeux. Je m’étonne d’ailleurs qu’aucun d’entre vous n’ait évoqué les questions géopolitiques.

M. Jean-Claude Lenoir. Nous l’aurions fait si nous en avions eu le temps !

M. André Gattolin. Nous n’avions que deux minutes !

M. Éric Bocquet. Il faudrait organiser un débat !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Géopolitique et commerce vont évidemment ensemble !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Je ne développerai pas ce point pour ne pas allonger le débat, encore que tout cela soit passionnant, nous aurons l’occasion d’y revenir.

Nous devons donc aborder la question à la fois dans sa globalité et dans ses différents aspects. À cet égard, nous avons le sentiment d’avoir obtenu, dans la discussion avec le Canada, d’une part, un accord globalement équilibré et, d’autre part, des avancées susceptibles de nous servir dans l’hypothèse de la conclusion d’un accord avec les États-Unis. C’est donc une sorte d’accord en deux temps.

Sur l’aspect global, cet accord sera-t-il remis en cause par certaines provinces canadiennes ? Ce n'est pas impossible, ce qui deviendrait un problème non pas pour l’Union européenne, mais pour le Canada. Personne ne peut nier que, dans cette négociation, certains secteurs ont gagné plus que d’autres. Si les deux parties sont, comme je l’espère, l’une et l’autre gagnantes, il est vraisemblable que des inquiétudes se feront jour dans certains secteurs de l’économie canadienne, ou, comme vous en témoignez, européenne. L’essentiel reste de s’assurer que l’intérêt général et l’intérêt national sont sauvegardés, ce dont personne dans cet hémicycle ne se désintéressera. Telle est notre vision.

Les réticences que vous avez constatées au Canada sont peut-être l’expression de ce que, dans cette négociation, l’Union européenne, si critiquée habituellement dans notre pays, a réussi à obtenir quelques avancées satisfaisantes, sinon pour le secteur financier, en tout cas pour des secteurs industriels comme les télécommunications et les grands travaux.

Pour le reste, je crois avoir détaillé les différents secteurs, évoquant la filière bovine ou l’agroalimentaire. Les alcools, vins et spiritueux, par exemple, représentent une part importante de notre commerce extérieur et de notre activité.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais ces producteurs n’ont pas besoin d’un accord pour vendre !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Ce n’est peut-être pas le cas dans votre département, monsieur le sénateur, mais je vous sais sensible à cette réussite collective.

Je suis certain également que les produits que vous avez mis en avant bénéficieront de la reconnaissance de certaines indications géographiques, qui leur permettra de développer une marque sur le marché international, et plus seulement français. Quoi que l’on en pense, nous nous situons dans un monde désormais globalisé et il est important que des références majeures à l’échelle nationale, comme le camembert, puissent prospérer à l’international. Nous souhaitons que cet accord rende cela possible.

Pour le reste, le contrôle démocratique est assuré par le Parlement, donc par vous, monsieur le sénateur, dans votre activité quotidienne de parlementaire, et vous avez l’engagement du Gouvernement de revenir devant vous pour vous soumettre cet accord, ainsi que celui que nous pourrions conclure avec les États-Unis.

Dans la situation où nous nous trouvons, il est parfaitement légitime de se montrer préoccupé. Cependant, nous pouvons juger cet accord positif pour notre économie, pour la coopération, pour la croissance. Car tout cela n’a de sens que si un tel accord nous apporte de la croissance et de la valeur ajoutée pour les produits français.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour une brève réplique.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, vous me connaissez, je serai bref ! (Sourires.)

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez eu tort de dissocier les services financiers du camembert. Les banques ne publient-elles pas leurs résultats à l’aide d’un outil pédagogique reconnu : le camembert ? (Sourires.) Finalement, vous le voyez, le camembert est omniprésent !

Cela étant, je ne partage pas tout à fait votre optimisme enthousiaste. Nous devons garder à l’esprit que l’activité agricole en France est surchargée de taxes, de contraintes de toutes sortes, de normes environnementales, etc.

M. Jean Desessard. Et de pesticides ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. Jean-Claude Lenoir. La question de la concurrence est donc de toute façon posée, mais c’est au ministre de l’agriculture d’y répondre.

Je me suis rendu hier au SIAL, le grand salon français de l’alimentation, en compagnie d’une délégation de la commission des affaires économiques. Sur les 6 000 exposants, 1 000 sont français. Sur les 5 000 restants, un certain nombre de pays sont assez bien représentés, notamment d’Amérique du Nord, des pays avec lesquels il va falloir compter, sans parler de la Chine, qui occupe dans ce salon une place incroyable.

On nous a confirmé à cette occasion, et je pense faire l’unanimité ici en le rappelant, que nos produits étaient les meilleurs du monde. Pouvons-nous pourtant lutter à armes égales avec ceux qui nous envoient de pâles reflets de nos produits locaux ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Éric Bocquet et André Gattolin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Karam.

M. Antoine Karam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question des accords commerciaux doit être pour nous une priorité, compte tenu du niveau de déficit commercial de la France, qui reste supérieur à 60 milliards d’euros.

En 2013, la balance commerciale entre la France et le Brésil était positive en notre faveur de plus de 400 millions d’euros. La question d’un nouvel accord pour favoriser davantage les échanges entre les deux pays se pose aujourd’hui à nous.

On parle de cet accord depuis 2010. Rien, pourtant, ne semble aboutir. La présidente du Brésil annonçait, en août dernier, que la proposition du Mercosur en vue de préparer un nouvel accord était prête. Il semble que, de notre côté, cela n’avance pas ! Dilma Rousseff n’a pas hésité à montrer du doigt la France pour ses réticences.

La Guyane, territoire français d’Amazonie, dotée d’une frontière de plus de 700 kilomètres avec le Brésil, est un espace stratégique qui peut permettre de renforcer les échanges à tous les niveaux, y compris du point de vue économique et commercial.

Nous sommes favorables à un accord qui ferait de la Guyane un territoire d’économie dynamique plutôt qu’un comptoir sans production réelle.

Nous sommes favorables à un accord qui aurait des incidences réelles sur notre secteur privé, afin de réduire le chômage qui frappe particulièrement notre jeunesse.

L’énergie, la recherche scientifique ou la fabrication et la mise en orbite de satellites sont autant d’atouts de la Guyane susceptibles de favoriser l’émergence de nouveaux partenariats.

Cet accord doit se faire sur la base d’une liste de produits, de manière à ne pas mettre en danger nos économies par l’introduction d’une nouvelle concurrence.

J’appelle donc à prévoir, dans le cadre de cet accord, la création d’une zone de juste échange entre nos deux continents, dont la France pourrait fortement tirer profit en raison de la situation géographique et géopolitique de la Guyane.

Aussi, pouvez-vous nous préciser, monsieur le secrétaire d'État, la position du Gouvernement quant au renforcement des liens commerciaux avec le Brésil, ainsi que l’état d’avancement des négociations en vue de parvenir à un accord de juste échange entre l’Union européenne et le Mercosur ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Au préalable, permettez-moi, monsieur le président, de vous remercier de la tolérance dont vous avez fait preuve à mon égard quand je répondais, il est vrai un peu longuement, à M. Lenoir, que j’ai connu dans une autre enceinte. Son interpellation…

M. Jean-Claude Lenoir. … méritait de longs développements ! (Sourires.)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. … était justifiée. Aussi étais-je obligé de lui transmettre tous les éléments d’information dont je dispose.

J’en viens à la question de M. Karam.

Lancées en 1999, puis interrompues en 2004, les négociations pour un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur ont été relancées en 2010, mais aucun échange d’offres permettant un véritable redémarrage des discussions n’a été possible depuis lors.

En janvier 2013, la présidente brésilienne et le président de la Commission européenne avaient pris l’engagement d’échanger ces offres avant la fin de l’année 2013. Cette échéance n’a pas été respectée. Il peut être de bonne politique de mettre en cause la position de la France, mais, de notre point de vue, la partie brésilienne notamment n’a peut-être pas totalement tenu son engagement. En tout cas, les pays du Mercosur – je ne saurais préciser lequel d’entre eux en porte la responsabilité ! – peinent à présenter une offre commune respectant les principes de la négociation fixés en 2002, à savoir un niveau de libéralisation minimal de 90 % du commerce birégional.

Le Mercosur a, en effet, rencontré des difficultés pour consolider son offre sur la base des propositions de chacun de ses pays membres, notamment celle de l’Argentine, dont la participation reste, vous le savez, incertaine à ce jour.

Sachez, monsieur le sénateur, que nous sommes très attentifs à la conclusion de cet accord, car nous savons l’importance que peut avoir ce dernier pour la Guyane. Nous suivons donc cette question de très près.

De son côté, l’offre de l’Union européenne est prête, mais il faut attendre d’avoir la confirmation que l’offre du Mercosur est finalisée pour consulter les États membres.

Cet accord entre l’Union européenne et le Mercosur est important pour notre pays, notamment, bien sûr, pour la Guyane. Nous veillerons tout particulièrement à ce que cet accord soit équilibré lorsqu’il y aura des échanges d’offres. Nous avons des intérêts offensifs considérables dans l’industrie, les services et les marchés publics, eu égard aux importantes barrières locales.

Cette négociation ne peut aller de l’avant que si les pays du Mercosur acceptent des contributions ambitieuses en matière d’industrie, de services et de marchés publics. Mais l’accord devra également nécessairement préserver les sensibilités agricoles françaises, ce qui nous renvoie aux questions précédemment abordées des viandes, du sucre et de l’éthanol.

Monsieur le sénateur, le développement de cette région est au cœur des préoccupations du Gouvernement : la Guyane profitera très largement du futur accord.

M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, pour la réplique.

M. Antoine Karam. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, pour cet éclairage.

Permettez-moi de rappeler à la Haute Assemblée que les Brésiliens éliront, dimanche prochain, le président de la République fédérative du Brésil. La France devra profiter de la nouvelle mandature pour reprendre les discussions, afin que la Guyane puisse – enfin ! – bénéficier des retombées économiques qui découleront de ces échanges commerciaux. Je le rappelle, la Guyane est la porte d’entrée de l’Union européenne en Amérique du Sud, donc cruciale dans nos relations avec le Mercosur.

Et pourtant…

Alors que le monde spatial se félicitait la semaine dernière du lancement, depuis Kourou, d’un satellite de télécommunications au profit du gouvernement argentin, de nombreuses zones blanches subsistent en Guyane et, à moins de cinquante kilomètres du centre spatial, il n’y a ni eau ni électricité, et je ne dirai rien de la téléphonie et d’internet !

J’invite donc le Gouvernement à être attentif au développement de notre territoire, afin que la Guyane puisse pleinement être partie prenante de nos échanges commerciaux avec le Brésil et le Surinam.

Enfin, pour ma première intervention dans cet hémicycle, permettez-moi en cet instant d’avoir une pensée pour notre illustre compatriote Gaston Monnerville, qui marqua l’histoire de la Haute Assemblée et, au-delà, l’histoire de la République ! (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur les accords de libre-échange.

11

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat une décision en date du 23 octobre 2014, prise en application de l’article 12 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, sur une demande du président de la Polynésie française tendant à ce qu’il constate que sont intervenues dans une matière ressortissant à la compétence de la Polynésie française certaines dispositions de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal (n° 2014-5 LOM).

Acte est donné de cette communication

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Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 28 octobre 2014 :

À quatorze heures trente :

1. Éloge funèbre de notre regretté collègue Christian Bourquin.

À seize heures quinze :

2. Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur la réforme territoriale.

Le soir :

3. Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (n° 6, 2014-2015) ;

Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission spéciale (n° 42, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 43, 2014-2015).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à seize heures cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART