M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui a pour but de faire évoluer le mode de désignation des conseillers prud’homaux. Enfin ! serais-je tenté de dire. L’examen de ce dossier, en instance depuis près d’un an, a en effet été maintes fois repoussé.

Si les salariés et les employeurs sont particulièrement attachés à cette institution chargée de faire respecter les dispositions du droit du travail, force est d’observer qu’ils sont de moins en moins nombreux à participer aux scrutins. Ce constat a été rappelé : le taux de participation a chuté de 63 % en 1979 à 23 % lors des dernières élections, en 2008.

À l’évidence, le mode actuel de renouvellement des conseillers prud’homaux connaît aujourd’hui ses limites.

Déjà en 2010, la question était posée par le rapport de Jacky Richard et Alexandre Pascal, intitulé « Le renforcement de la légitimité de l’institution prud’homale : quelle forme de désignation des conseillers prud’hommes ? » Y étaient mises en exergue les trois difficultés dont souffre cette institution, l’une des plus anciennes de notre pays.

Ce rapport dénonçait notamment la grande complexité de l’organisation de l’élection, qui implique de nombreux acteurs, notamment les communes. L’Association des maires de France, cela a été dit, avait d’ailleurs demandé en 2010 que ces élections soient faites par correspondance et que les communes soient déchargées de leur organisation.

Ce rapport pointait également – les précédents orateurs en ont beaucoup parlé – le coût élevé que représentent ces scrutins : près de 100 millions d’euros. Comme l’a rappelé Michel Sapin en janvier dernier dans cet hémicycle, si ce coût ne justifie pas à lui seul une réforme, il n’est toutefois pas anodin.

L’institution souffre surtout d’un fort taux d’abstention aux élections prud’homales. Pourtant, d’importants moyens ont été engagés en 2008 pour assurer un taux de participation plus élevé. Des campagnes publicitaires ont été organisées en vue de sensibiliser les électeurs. Les modalités de vote ont en outre été diversifiées afin de faciliter le suffrage : vote par correspondance ou par internet, bureaux de vote au sein des entreprises, etc.

En dépit des efforts déployés, le scrutin de 2008 a confirmé la baisse constante du taux de participation, l’abstention ayant alors atteint un niveau inédit.

Plusieurs raisons ont été identifiées par la mission dirigée par Jacky Richard et Alexandre Pascal.

Tout d’abord, les électeurs, qui connaissent rarement les candidats, se sentent assez peu concernés par ces élections. Pour beaucoup d’entre eux, toutes les candidatures se valent.

M. François Rebsamen, ministre. Eh oui !

M. Gilbert Barbier. Par ailleurs, certains salariés craignent encore de s’absenter pour aller voter.

Enfin, l’élection prud’homale ne semble pas faire exception parmi les scrutins organisés en France qui, M. Desessard l’a souligné, sont pour la plupart marqués par une abstention croissante. Aussi une réforme du mode de désignation s’imposait-elle naturellement.

J’entends bien les inquiétudes de certains de nos collègues, qui craignent un affaiblissement de l’institution et un recul de la démocratie sociale. Pour ma part, je crois bien au contraire que l’abstention croissante à ces élections peut, à terme, menacer l’institution des conseils de prud’hommes. Le recours à la désignation fondée sur la mesure de l’audience des organisations syndicales des salariés et des organisations professionnelles d’employeurs devrait permettre, en revanche, de renforcer la légitimité de l’institution.

Au reste, monsieur le ministre, vous l’avez rappelé en avril dernier devant la commission des affaires sociales : « Le principe électif demeure car le système sera fondé sur l’audience des organisations syndicales appréciée par le suffrage de 5,4 millions de salariés, soit davantage de votants que lors de la dernière élection prud’homale ».

Vous l’aurez compris, je souscris au but visé. Je note toutefois que ce projet de loi suscite quelques réserves.

Par souci de simplicité, vous avez souhaité proroger une nouvelle fois le mandat des conseillers actuels.

Les mandats de neuf ans ont certes été en vigueur dans d’autres institutions… (Sourires et exclamations sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. Jean Desessard. Dans une assemblée parlementaire tout entière ! (Nouveaux sourires.)

M. Gilbert Barbier. Mais cette durée me semble bien trop longue, et son application risque d’engendrer nombre de démissions, ce qui serait préjudiciable au bon fonctionnement de la justice prud’homale.

Par ailleurs, compte tenu de la prorogation du mandat des conseillers actuels, est-il vraiment nécessaire de leur octroyer six jours de formation en plus pour chacune de leurs quatre années supplémentaires de mandat ? S’agissant, par définition, d’anciens conseillers, on peut considérer qu’ils sont à peu près formés au moment de la prolongation de leur mandat. Ces six jours me paraissent donc un peu superflus…

Sur la forme, le RDSE est toujours réticent à ce qu’un projet de loi habilite le gouvernement à légiférer par ordonnance, dépossédant ainsi le Parlement de son rôle de législateur. En outre, était-il réellement nécessaire d’engager la procédure accélérée sur un texte dont l’échéance est repoussée à 2017 ?

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, je soutiendrai personnellement votre texte, mais une grande majorité des membres du RDSE aura une approche… diversifiée. (Rires. – Mme Françoise Laborde applaudit.)

Mme Annie David. Comme cela est joliment dit !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, je n’ai entendu personne ici remettre en cause le conseil des prud’hommes, et ce n’est certainement pas au sein de notre groupe qu’une telle idée pourrait être exprimée.

Mme Annie David. Vous souhaitez seulement la suppression des élections ! C’est incroyable !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ce point étant rappelé, que nous propose-t-on ici ? D’autoriser le Gouvernement à supprimer par ordonnance l’élection prud’homale, pour la remplacer par un système de désignation.

Autant le dire tout de suite : nous ne nous opposerons pas à ce projet, qui répond à des considérations purement pragmatiques dont la pertinence nous semble devoir l’emporter sur les objections que l’on a pu entendre s’élever ici ou là.

En revanche, les trois principales raisons invoquées à l’appui de cette mesure ne nous semblent pas les plus convaincantes.

La première, que M. le ministre a lui-même évoquée, se trouve dans le taux d’abstention, qui a avoisiné 75 % aux élections de 2008. C’est considérable, et c’est préjudiciable à l’exercice de la démocratie.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Mais l’abstention ne peut, à elle seule, justifier la suppression d’un scrutin.

La deuxième raison avancée est que l’organisation de cette élection serait trop complexe. L’argument semble également léger : on ne supprime pas un scrutin pour cela ; le cas échéant, on le simplifie ! L’un des scénarios proposés dans le rapport de MM. Richard et Pascal, rendu en avril 2010, tendait d’ailleurs à faire de l’élection prud’homale une consultation entièrement électronique.

Troisième raison : l’élection serait coûteuse. Bien sûr, les chiffres mentionnés par notre rapporteur interpellent : le coût de cette procédure atteint presque la moitié de celui de l’élection présidentielle. Toutefois, il peut paraître choquant de mesurer la démocratie à l’aune de son coût.

Pris isolément, ces motifs n’emportent pas d’emblée la conviction. Cumulés, peut-être un peu plus.

Il nous semble cependant que la justification de la suppression de l’élection prud’homale est à chercher ailleurs : les réformes intervenues en matière de représentativité syndicale depuis 2008 pourraient tout simplement avoir rendu cette élection obsolète.

La représentativité syndicale a été en effet substantiellement démocratisée par trois lois. Pour l’audience syndicale, il s’agit des lois du 20 août 2008 et du 15 octobre 2010. Cette dernière, en particulier, a institué une mesure de l’audience syndicale dans les entreprises de moins de onze salariés, qui n’élisent donc pas de délégués du personnel. En application de ces réformes, l’audience des organisations syndicales auprès des salariés a été mesurée pour la première fois au niveau interprofessionnel en mars 2013.

Les scores des centrales syndicales aux élections professionnelles pour les entreprises de plus de onze salariés, ceux des salariés des TPE et des employés à domicile ainsi que ceux des salariés agricoles, notamment aux élections aux chambres d’agriculture, ont été agrégés. Tous les éléments sont ainsi réunis pour disposer d’une bonne mesure de la représentativité syndicale.

Concernant l’audience patronale, c’est la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale qui l’a modernisée. Ce texte a, en particulier, ouvert la voie à une meilleure représentation patronale du secteur dit « hors champ », dont font partie des organisations telles que l’UDES, l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, l’UNAPL, l’Union nationale des professions libérales, ou la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles.

Il est donc faux de prétendre que la suppression de l’élection prud’homale porterait aujourd’hui une atteinte fatale à la démocratie sociale. Avant ces réformes, cet argument était sérieux, puisque cette consultation était alors la seule élection professionnelle véritablement universelle, c’est-à-dire ouverte à tous les actifs. Aujourd’hui, il ne vaut plus que pour les demandeurs d’emploi. Cependant, là encore, les faits parlent d’eux-mêmes : en 2008, seuls 5 % d’entre eux ont voté.

Dans ces conditions rénovées, la désignation des délégués prud’homaux par les syndicats peut apparaître comme une sorte d’élection indirecte. Cela est d’autant plus vrai que, ainsi qu’il a été précisé, et ce n’est pas anodin, les candidatures elles-mêmes seront ouvertes à tous les actifs, mêmes les non-syndiqués ; les centrales pourront présenter sur leurs listes des travailleurs qui n’en seront pas adhérents.

Si la réforme semble donc se justifier sur le plan démocratique, restait à en organiser concrètement les modalités. La première mouture du présent projet de loi prévoyait un système transitoire pour la période allant de 2015 à 2017, le temps que la réforme de l’audience patronale entre pleinement en vigueur. Nous ne pouvons que soutenir la lettre rectificative qui a supprimé ce système en proposant de proroger de deux ans le mandat des actuels conseillers. On gagne ainsi en simplicité.

Je ne m’étendrai pas sur l’argument de l’éventuelle inconstitutionnalité de cette disposition, qui semble avoir été écartée tant par le Conseil d’État que par le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Demeure l’éternelle question des ordonnances. Vous savez à quel point nous sommes prompts à dénoncer leur utilisation systématique et le dessaisissement du Parlement qu’elles impliquent. Mais rien de tel en l’occurrence : le sujet est à la fois technique et, pour une part au moins, réglementaire. Dans ce cas de figure, le recours aux ordonnances nous semble pouvoir se justifier, ne serait-ce que pour ne pas encombrer inutilement l’agenda du législateur.

En effet, si ce sujet est important sur le plan des principes, il ne figure pas au nombre des réformes prioritaires et vitales pour la France qui mériteront, j’en suis certain, des débats au sein de cette assemblée. Le groupe UDI-UC soutiendra donc le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – MM. Claude Dilain et Roland Courteau applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet.

M. Jean-Pierre Caffet. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame le rapporteur, mes chers collègues, je tiens avant tout à rendre hommage à la tâche accomplie sur ce projet de loi par son rapporteur initial, Jacky Le Menn.

Je souhaite également remercier notre collègue Anne Emery-Dumas, qui poursuit ce travail depuis la rentrée parlementaire au nom de la commission des affaires sociales.

Enfin, je veux saluer d’emblée Alain Milon, nouveau président de cette commission.

Le projet de loi qui nous est présenté répond à un double objectif : apporter une solution satisfaisante au problème récurrent de la montée de l’abstention aux élections prud’homales tout en poursuivant, et j’insiste sur ce point, le développement d’un dialogue social de qualité.

L’abstention des salariés lors de ces élections est en augmentation constante : elle est passée de 37 % en 1979 à presque 75 % en 2008. Pour le collège employeurs, malgré une légère remontée de la participation en 2008, elle reste proche de 70 %.

Afin d’enrayer cette spirale, des mesures de simplification ont été mises en œuvre, notamment le vote par correspondance ou par internet, et des campagnes de communication ont été menées, avec un budget en augmentation de 25 %. L’abstention a néanmoins continué de progresser. Des problèmes d’organisation y ont peut-être contribué, mais l’essentiel des causes s’inscrit plutôt dans le cadre du déclin global de la participation électorale.

Dans le cas précis des élections prud’homales, l’enjeu ne semble pas toujours très clair pour les électeurs, particulièrement pour les salariés qui n’ont pas encore eu recours à la juridiction, et qui espèrent peut-être une solution individuelle en cas de conflit.

S’y ajoute également, sans doute, le sentiment que toutes les candidatures sont équivalentes, le juge étant perçu comme un arbitre impartial et neutre, dont les décisions sont rendues en droit, plutôt qu’en fonction de l’appartenance syndicale. Dès lors, l’élection peut paraître dénuée d’enjeu particulier.

Ces élections mobilisent aussi de nombreux acteurs : les services de l’État, centraux et déconcentrés, pour l’organisation générale, les communes, pour établir les listes électorales et organiser les bureaux de vote ainsi que le dépouillement, les partenaires sociaux, enfin, pour constituer les listes et faire campagne.

Par ailleurs, nous ne devons pas négliger, dans un contexte budgétaire contraint, le coût de cette consultation si peu mobilisatrice : il s’élève à environ 100 millions d’euros, qu’il faut programmer tous les cinq ans.

L’ensemble de ces éléments a conduit les partenaires sociaux et les services de l’État à rechercher une solution à la fois opérationnelle et respectueuse du dialogue social. Des rapports ont été préparés par d’éminents magistrats, qui ont permis d’envisager plusieurs dispositifs. Celui qui a été retenu, et qui nous est proposé aujourd’hui, a été initié grâce à l’adoption de la loi du 20 août 2008, laquelle a permis l’organisation d’élections établissant la représentativité des organisations de salariés.

J’ouvre ici une courte parenthèse pour rappeler que les élections prud’homales ont longtemps été, pour les organisations syndicales, un moyen quelque peu détourné de mesurer leurs audiences respectives.

M. Jean Desessard. Et alors ?

M. Jean-Pierre Caffet. Cette pratique est désormais caduque.

La question de la représentativité patronale n’a pas été réglée par la loi de 2008. Elle l’est aujourd’hui avec l’adoption de la loi du 5 mars 2014, qui prévoit une représentativité patronale mesurée par le nombre d’adhérents aux organisations représentatives.

M. Jean Desessard. Ce ne sont pas des élections !

M. Jean-Pierre Caffet. Ce projet de loi comporte donc deux articles.

L’article 1er tend à autoriser le Gouvernement à prendre dans un délai de dix-huit mois, par ordonnance, les dispositions prévoyant la désignation des conseillers prud’homaux en fonction de l’audience des organisations syndicales telle qu’elle aura été mesurée lors des élections de représentativité.

Il concerne, pour l’essentiel, la désignation des conseillers, la répartition des sièges entre les collèges, les modalités d’établissement des listes de candidatures, les procédures de nomination, la durée de mandat et le régime des autorisations d’absence. Comme l’orateur précédent, je nourris quelques interrogations sur la capacité du Parlement à régler par la loi toutes ces questions éminemment complexes.

M. Jean-Pierre Caffet. L’article 2 est issu de la lettre rectificative du 16 juillet 2014 visant à proroger le mandat des actuels conseillers prud’homaux jusqu’au 31 décembre 2017 au plus tard.

Il fixe en outre le plafond d’autorisations d’absence pour les conseillers salariés, afin qu’ils puissent suivre une formation liée à leur mandat.

II est vrai que plusieurs inquiétudes ont été exprimées devant la nouveauté de ce dispositif.

Tout d’abord, se pose la question de la participation des demandeurs d’emploi à la désignation des conseillers salariés.

Comme l’avait souligné le Gouvernement le 16 janvier dernier, « les organisations syndicales sont légitimes pour représenter aussi bien les salariés que les chômeurs »,…

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Pierre Caffet. … une appréciation que nous faisons nôtre. De plus, le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social est, à mon avis, le plus à même de rappeler que les demandeurs d’emploi ont vocation à trouver le plus rapidement possible un emploi.

M. François Rebsamen, ministre. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Caffet. L’autre question concerne les salariés non syndiqués, qui pouvaient jusqu’à présent constituer des listes.

Le dispositif proposé n’est pas si nouveau puisqu’il existe dans le cadre des tribunaux des affaires de sécurité sociale. En effet, les assesseurs sont désignés par ordonnance du président de la cour d’appel sur une liste établie par la sécurité sociale et la MSA – mutualité sociale agricole –, sur proposition, notamment, des organisations représentatives d’employeurs et de salariés. Nous ne sommes donc pas en terre inconnue !

Saisi en 2010, le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs estimé que « le pouvoir de présentation des candidats reconnu aux organisations professionnelles ne méconnaît pas le principe d’égal accès aux emplois publics ». Il a aussi considéré qu’il n’y a pas de risque objectif qu’un justiciable syndiqué soit jugé différemment d’un justiciable non syndiqué dans la mesure où le droit français proscrit tout mandat impératif.

Voilà qui répond clairement, à notre avis, aux inquiétudes exprimées ici ou là, ainsi qu’à cette tribune il y a quelques minutes.

En définitive, ce projet de loi apporte des réponses aux questions urgentes posées par l’abstention massive aux élections prud’homales, aux difficultés et au coût de leur organisation, et ce dans le respect du dialogue social, en prenant appui sur le caractère incontestable des élections de représentativité.

Au-delà de ce texte, c’est vers l’avenir des juridictions prud’homales que nous devons maintenant nous tourner. Les difficultés ne doivent pas être niées. Elles sont d’ailleurs clairement décrites dans le rapport que Mme la garde des sceaux a demandé à M. Lacabarats, président de chambre de la Cour de cassation. Dans sa lettre de mission, Mme Taubira citait notamment « la nécessité d’entreprendre les réformes nécessaires dans leur intérêt pour préserver les particularismes des conseils de prud’hommes ». Dieu sait si le sujet est d’actualité !

Un certain nombre de constats montrent qu’il convient de porter un regard attentif sur cette juridiction.

Le taux de conciliation n’est plus que de 5 %, en lien direct et évident avec la dureté des rapports sociaux dans un contexte de chômage aigu.

Plus problématique, le taux d’appel est de 60 %, ce qui constitue un taux de contestation beaucoup plus élevé que celui qui est enregistré pour les autres juridictions de première instance.

Enfin – et c’est sans doute le point le plus ennuyeux –, les dysfonctionnements de la justice prud’homale, qui sont d’abord préjudiciables aux justiciables, le sont aussi pour l’État, régulièrement condamné à ce titre. En tête des motifs de condamnation, et donc de pénalisation financière, figurent les délais de procédure, qui peuvent atteindre cinq ans dans les conseils les plus sollicités. Il est bien évident que le manque de moyens en est une cause majeure.

Même si cette question n’est pas l’objet direct de notre débat, qui est circonscrit au mode de désignation des conseillers, il semble évident que les greffes doivent être renforcés, que les conseillers doivent disposer d’un temps suffisant pour instruire les dossiers et rédiger les conclusions et que ce temps doit être indemnisé à hauteur du travail accompli.

De plus, la formation des conseillers prud’hommes doit être étoffée, avec la création d’une formation initiale et d’une formation continue sans doute supérieure aux trente-six jours aujourd’hui octroyés sur cinq ans. Ce sujet est central, comme l’ont d’ailleurs souligné les partenaires sociaux lors des auditions menées par notre commission.

C'est la raison pour laquelle je tiens à reprendre ici une proposition du premier rapporteur, Jacky Le Menn, qui avait souhaité explicitement que « les sommes économisées par le remplacement des élections prud’homales par une désignation fondée sur l’audience des partenaires sociaux servent essentiellement à financer la démocratie sociale » – je préciserai : son fonctionnement plus que sa visibilité – « ou la formation des conseillers prud’hommes ».

Monsieur le ministre, en écoutant votre intervention liminaire, j’ai compris que vous étiez particulièrement réceptif à cette proposition. Nous serons donc attentifs aux suites qui pourraient y être données.

Les moyens et la formation sont des points absolument fondamentaux : ils sont la traduction concrète de notre attachement très profond au paritarisme et à une justice du travail qui conserve toute sa spécificité.

Il n’y a pas lieu aujourd’hui de diminuer le rôle des conseils de prud’hommes. Le contexte social que nous affrontons nous fait, bien au contraire, obligation de veiller à ce que ceux-ci soient en mesure de remplir pleinement leur mission, dans l’intérêt majeur du monde du travail.

Pour conclure, il ne nous semble pas que l’évolution vers la désignation des conseillers prud’hommes porte atteinte à la démocratie. C’est même probablement l’inverse. (M. Jean Desessard s’exclame.) La réforme qui nous est proposée constitue un progrès démocratique puisque la loi du 20 août 2008 permet de tenir compte du vote des salariés à des élections qui les concernent au premier chef et qui ont vocation à mesurer la représentativité.

Dès lors, quoi de plus démocratique que d’attribuer les sièges de conseillers prud’hommes, en fonction des résultats, à telle ou telle organisation ?

Selon nous, la démocratie sociale se mesure non pas au nombre d’élections proposées aux salariés, mais à la cohérence d’ensemble de celles-ci. C’est bien parce que cette réforme est cohérente et qu’elle constitue, à nos yeux, un progrès démocratique que le groupe socialiste votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens, à mon tour, à saluer M. Milon, nouveau président de la commission des affaires sociales. Je salue également, après plusieurs orateurs, le travail remarquable qu’avait réalisé Jacky Le Menn, sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, d’ailleurs.

Monsieur Desessard, vous avez évoqué le coût des élections prud’homales de 2008 et les emplois ou les suppléments de revenu qu’elles induisent. Sachez que, parmi les principaux postes de dépenses, figure l’acheminement, qui coûte plus de 30 millions d’euros. Or l’acheminement ne donne pas beaucoup de travail…

Mme Annie David. Si, à La Poste !

Mme Laurence Cohen. Un service public !

M. François Rebsamen, ministre. Sauf aux postiers, en effet.

Mmes Annie David et Laurence Cohen. Eh oui !

M. François Rebsamen, ministre. On s’en occupe !

Les dépenses liées à la constitution des listes électorales se sont élevées à 28 millions d’euros. Plus de 11 millions d’euros ont été consacrés à la communication, qui a été renforcée en vue d’obtenir une meilleure participation, avec le succès que l’on sait…

Pour le reste, le remboursement de la propagande aux partenaires sociaux a représenté plus de 10 millions d’euros, et les opérations de vote proprement dites ont coûté 6 millions d’euros.

J’ajoute que la généralisation du vote électronique coûterait environ 20 millions d’euros.

Je tenais à vous livrer ces éléments d’information, que je tiens à la disposition de tous, car ils intéressent, me semble-t-il, tout le monde.

Les conseillers prud’homaux bénéficient aujourd'hui de la même protection que les délégués syndicaux – depuis la candidature jusque dans les douze mois suivant l’exercice du mandat –, et il en sera de même après la réforme que nous proposons. De plus, nous ne remettons pas en cause leur indépendance.

Mme Laurence Cohen. Nous sommes rassurés…

M. François Rebsamen, ministre. Cette protection vaut pour les salariés comme pour les employeurs.

Ainsi que l’a indiqué M. Caffet, il est clair que les organisations syndicales sont légitimes pour représenter les demandeurs d’emploi, contrairement à ce qui a été dit par certains. Rien ne s’oppose à ce que des demandeurs d’emploi figurent sur leurs listes, bien au contraire !

Mme Laurence Cohen. C’est le minimum !

M. François Rebsamen, ministre. Je tiens à remercier l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés. Je sais que le Parlement n’est pas favorable aux ordonnances, et je le comprends aisément. Mais, en l’occurrence, il est vraiment nécessaire d’engager une concertation rapide avec les partenaires sociaux. En la matière, le recours à l’ordonnance se justifie par le degré de détail requis : il faut définir, pour chaque section, chaque territoire, le nombre de conseillers prud’hommes, ce qui ne me semble pas relever du domaine de la loi. Cela étant, bien entendu, chacun est libre de porter sa propre appréciation !

De plus, l’échéance de 2017 n’est pas si lointaine. Le « rétroplanning » est donc assez resserré. Une concertation sera organisée au cours du premier semestre de 2015 avec les partenaires sociaux sur les règles de gestion, le dispositif de désignation, les règles de conversion et d’affectation sectorielle et territoriale, et les chiffres de l’audience. La publication des ordonnances devrait avoir lieu durant le second semestre. L’année 2016 sera mise à profit pour engager la préparation technique du dispositif.

Je remercie M. Jean-Baptiste Lemoyne de son intervention intéressante, notamment dans son volet historique. Il reste que, à l’abstention de son groupe j’aurais bien sûr préféré un vote positif.

Je le répète, la concertation a eu lieu ; aucune atteinte n’est susceptible d’être portée au caractère paritaire de la juridiction. Tel n’est pas l’objet du texte qui vous est proposé. Si, demain, des réformes doivent être engagées, elles seront faites sur la base du rapport Lacabarats.

Monsieur Desessard, vous avez argué du fait que les chômeurs ne peuvent pas voter. Certes, mais on n’est pas chômeur toute sa vie ! Ils peuvent figurer sur les listes. D’ailleurs, l’objectif est justement qu’ils restent chômeurs le moins longtemps possible. (M. Jean Desessard s’esclaffe.)

Enfin, concernant le hors-champ – cette question a également été évoquée par d’autres orateurs, notamment Mme la rapporteur –, l’économie sociale et solidaire sera prise en compte par l’ordonnance, avec la FNSEA, l’UDES, etc.

Monsieur Watrin, j’ai apprécié votre défense de l’institution. Personne n’entend y porter atteinte. Nous essaierons, demain, peut-être ensemble, d’en améliorer le fonctionnement, car celui-ci, aujourd'hui, pénalise assurément, par sa complexité et sa lourdeur dans le processus de prise de décision, les plus fragiles et les plus faibles des salariés.

Mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’un recul pour la démocratie, et je vous sais gré de ne pas m’avoir fait de procès d’intention en la matière.

L’indépendance des salariés sera, bien sûr, respectée. Les conseillers prud’hommes bénéficieront de la même protection qu’auparavant.

Monsieur Barbier, je vous remercie de votre soutien personnel, car j’ai cru comprendre que le vote de votre groupe serait divers. Chacun le sait, nul système n’est parfait, mais la réforme s’imposait et le système que nous proposons est sans doute celui qui présente le moins de faiblesses et le plus de cohérence.

Je remercie également M. Jean-Marie Vanlerenberghe de son intervention, marquée par le pragmatisme, et de sa démonstration. Pris isolément, chaque argument n’est certes pas suffisant en soi, mais les trois réunis permettent d’adhérer à la solution qu’offre une meilleure représentativité syndicale, telle qu’elle a été définie par la mesure de l’audience dans les lois de 2008 et 2010, pour ce qui concerne les organisations syndicales de salariés, et dans la loi du 5 mars 2014, pour ce qui est des organisations patronales.

Je terminerai en remerciant M. Jean-Pierre Caffet. Les précisions que vous avez apportées, monsieur le sénateur, concernant la représentativité sont très importantes. Vous avez ouvert le débat plus largement sur l’avenir de cette juridiction sociale, qui est fondamentale pour l’application du droit social. Et c’est bien pourquoi il n’est pas question pour nous de porter atteinte à cette institution.

Enfin, je rappellerai simplement que la démocratie ne se mesure pas au nombre des élections, mais plutôt à leur cohérence.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi relatif à la désignation des conseillers prud’hommes