Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, j’ai la chance d’habiter depuis longtemps dans un département rural. Je crois qu’Auvergnats et Bretons ont beaucoup en commun, notamment la pugnacité.

Aujourd’hui, nous sommes face à une situation complexe. Nous voulons améliorer l’action publique et le service public rendu à nos populations. Depuis un peu plus de deux ans que je parcours la France et que je rencontre l’ensemble des associations d’élus, je constate qu’il nous incombe de remédier à la forte inégalité qui existe entre les territoires.

Les structures territoriales fonctionnent bien, mais elles souffrent de l’inégalité de leurs bases fiscales. Ainsi, au sein d’un même département, la grande richesse peut côtoyer l’extrême pauvreté.

Vous avez eu raison, monsieur le sénateur, de rappeler le rôle des communes, que nous avons fait le choix de garder. Nous avons voulu qu’elles aient des moyens. C’est pourquoi, nous inscrivant dans une continuité républicaine qui perdure depuis 2010, nous avons décidé ensemble de renforcer les établissements publics intercommunaux, afin qu’ils puissent répondre aux besoins des citoyens.

Quelle est, dans ce contexte, la place des départements ? Le débat que nous avons eu ici le 7 janvier 2014 sur la base du rapport de MM. Raffarin et Krattinger a été fort riche ; des propositions nombreuses et variées ont été émises sur toutes les travées, sans esprit partisan. Ensemble, nous avons affirmé qu’il fallait renforcer les compétences des régions en matière de stratégie économique.

Mais, nous le voyons bien, il reste encore un échelon à définir entre les communautés de communes rurales, notamment, et la région, qui sera plus éloignée qu’auparavant. S’agira-t-il des départements dans leur forme actuelle ? À cet instant, je vous le dis franchement, je l’ignore.

Comment définir ce qu’est un département rural ? Ce matin, mon collègue André Vallini me confiait avoir traversé des zones rurales très étendues dans le département du Nord, pourtant considéré comme urbain. De la même façon, le nord du Val-d’Oise est une zone rurale, tout comme une partie de l’Essonne. Nous aurons donc beaucoup de difficultés à établir une définition de ce qu’est un département rural.

Nous devons nous demander ensemble quel échelon de proximité nous voulons garder. L’aire géographique des départements va demeurer. La solidarité territoriale peut-elle s’exercer sur cet espace ? Je le crois. Faudra-t-il, à l’avenir, conserver les conseillers départementaux ? Je ne sais pas, mais je pense que l’on peut demander à ceux qui seront élus en mars 2015 de travailler avec nous pendant deux ans afin d’élaborer ensemble une solution.

Avec les sénateurs, les députés et les futurs élus départementaux, je suis persuadée que nous réussirons à définir la qualité de l’échelon de proximité et le contenu de la compétence de solidarité entre les territoires. Nos communautés de communes rurales, même les plus grandes, manquent souvent d’ingénierie pour répondre aux appels à projets de la région ou de l’État ou pour soutenir l’activité économique.

Monsieur le sénateur, le milieu rural a un rôle essentiel à jouer pour l’avenir de la France. Si nous ne prenons pas garde à préserver la terre agricole, nous courrons le risque de perdre notre souveraineté à compter de 2030. En effet, nous passerons à cet horizon de 0,5 hectare à 0,8 hectare de terre agricole par habitant dans le monde. En outre, notre modèle d’importation de protéines végétales pour produire des protéines animales est en grande difficulté, alors même que nous avons besoin de sauvegarder notre indépendance alimentaire.

Monsieur le sénateur, vous ouvrez un débat que je ne peux clore aujourd’hui en vous apportant une définition précise de ce qu’est un département rural. Il nous faut du temps pour discuter avec les futurs conseillers départementaux, avec le Sénat, avec l’Assemblée nationale. Je pense que nous trouverons ensemble des solutions pour que l’action publique porte le redressement de la France partout, en milieu urbain comme en milieu rural.

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Madame la ministre, je le dis très sincèrement, j’ai apprécié votre conviction et votre détermination. J’ai également apprécié que vous nous fassiez part de la volonté du Gouvernement qu’une commune reste une commune. Un clocher, une école, un monument aux morts, un cimetière, un coq chantant sur un tas de fumier : c’est cela, la France rurale !

Madame la ministre, vous le savez, vous qui connaissez bien la France : les départements ruraux ne demandent pas la tour Eiffel ou une plage méditerranéenne ! Ils aspirent en revanche, à défaut de parité économique ou géographique, à une forme de parité sociale. (Mme la ministre marque son approbation.) Les évolutions dont nous venons de parler inquiètent : tel est le message que je souhaitais, madame la ministre, vous faire passer.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Très bien !

conséquences du retrait du dispositif des politiques de la ville pour certaines villes du Douaisis

M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly, auteur de la question n° 829, adressée à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

M. Dominique Bailly. Monsieur le ministre, j’ai souhaité attirer votre attention sur les conséquences de la réforme de la politique de la ville qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2015 et introduira une certaine simplification de la géographie des quartiers prioritaires.

Si cette réforme a des fondements légitimes – je pense notamment à l’objectif de recentrer les critères sur le niveau de revenu des habitants –, elle peut créer un certain nombre de difficultés pour les communes concernées par le retrait du dispositif.

En effet, les aides attribuées permettent de mettre en place, par exemple, des politiques locales d’insertion, de soutien à la réussite éducative ou de rénovation urbaine, en finançant un certain nombre d’emplois. La baisse des dotations aux collectivités, et l’arrêt de certaines subventions en résultant, rendra plus difficile la poursuite de ces politiques.

Dans l’arrondissement de Douai, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, ce sont treize communes qui cesseront de relever du dispositif. S’il faut voir un signe positif dans la progression des revenus de certains habitants, des difficultés persistent néanmoins.

Aussi souhaiterais-je savoir, monsieur le ministre, quelles mesures complémentaires permettraient d’accompagner les communes concernées, au moins pour une période transitoire, afin de garantir la pérennité des politiques de redynamisation des quartiers en difficulté.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur, vous avez souhaité attirer mon attention sur la situation particulière des communes de l’arrondissement de Douai, au vu de la réforme de la géographie prioritaire de la politique de la ville découlant de la mise en œuvre de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite « loi Lamy ».

Cette loi pose le principe d’une redéfinition de la géographie prioritaire de la politique de la ville en considération d’un critère unique, simple et objectif : la concentration urbaine de bas revenus. Concrètement, il s’agit d’identifier, partout sur le territoire, des quartiers d’au moins 1 000 habitants dont le revenu de la moitié au moins de la population est inférieur à 60 % du revenu médian.

Cette méthodologie, qui a été adoptée à une large majorité par les deux assemblées et dont les modalités ont été précisées par un décret en Conseil d’État paru le 5 juillet dernier, a permis de définir à l’échelon national 1 300 quartiers au sein de 700 communes, dans quelque 350 intercommunalités. Les quartiers retenus remplaceront au 1er janvier prochain les 700 zones urbaines sensibles et les 2 400 contrats urbains de cohésion sociale qui avaient été mis en place au cours des dernières années. Vous l’aurez compris, simplification, lisibilité et efficacité sont les mots d’ordre.

Ainsi que vous l’avez indiqué, treize communes de l’arrondissement de Douai jusqu’à présent concernées par la politique de la ville ne le seront plus à partir du 1er janvier 2015. Cette évolution s’explique par deux types de facteurs : certains quartiers connaissent aujourd’hui une situation économique et sociale moins fragile qu’auparavant et présentent des niveaux de revenus supérieurs au seuil légal ; d’autres sont de taille beaucoup trop modeste au regard des critères de concentration de pauvreté qui ont été définis dans la loi.

Si le premier enjeu de la mise en œuvre de la réforme de la politique de la ville, dont les bases ont été posées par la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, est la concentration des moyens sur les territoires prioritaires, il nous revient également de veiller avec beaucoup de soin à ce que la sortie de la géographie prioritaire ne soit pas le signe d’un abandon des quartiers concernés par les pouvoirs publics et ne vienne pas remettre en cause les dynamiques locales positives qui ont été engagées. Il ne faudrait évidemment pas que nous soyons amenés à devoir réintégrer ces quartiers dans la géographie prioritaire de la politique de la ville d’ici cinq à dix ans, parce qu’ils auraient été ainsi « abandonnés »…

Dans ces territoires, ainsi que dans les 300 communes appelées, à l’échelon national, à sortir de la géographie prioritaire, il nous appartient de mettre en place les conditions de la pérennisation des investissements et des efforts consentis par l’État et les collectivités territoriales. Nous devons collectivement considérer les efforts engagés dans les territoires sortants, notamment les opérations de renouvellement urbain, non pas comme des dépenses qui auraient été inutiles, mais comme des investissements que nous devrons demain faire fructifier et pérenniser.

C’est pourquoi je suis très attaché à la mise en œuvre des dispositions de la loi qui permettront d’intégrer, à la demande des élus concernés, les territoires de « veille active » au sein des contrats de ville, dans le cadre d’une discussion qui s’est engagée localement dès la rentrée entre les maires, les présidents d’établissement public de coopération intercommunale et les préfets.

Loin d’être abandonnés par les pouvoirs publics, les territoires concernés feront au contraire l’objet d’un accompagnement spécifique, articulé selon deux priorités.

La première priorité, c’est la mise en place d’un cadre d’action pour la mobilisation des pouvoirs publics. Les territoires sortants ne disparaîtront pas du champ du « radar » de la politique de la ville. Les acteurs locaux se retrouveront autour de la même table, et le ministre compétent mobilisera l’ensemble des services de l’État, notamment les préfets, les recteurs et les procureurs, en ce sens.

La seconde priorité, c’est la mobilisation, selon des modalités financières à discuter localement, des moyens spécifiques de la politique de la ville. S’il faudra revoir le financement des programmes de réussite éducative, cette « invention » de la politique de la ville, qui est plébiscitée à la fois par les élus, les parents d’élèves et l’éducation nationale, devra être préservée, au service de la réussite de tous les élèves. Je m’engage également sur le maintien jusqu’à leur terme des conventions d’adultes-relais en cours aujourd’hui, afin de maintenir une attention particulière pour le tissu associatif de proximité.

Vous le voyez, plutôt qu’un cadre unique défini depuis Paris, nous proposons à ces territoires des réponses qui seront définies localement par le dialogue entre les acteurs locaux et les préfets, afin de pérenniser et de consolider les dynamiques en place, tout en assumant résolument la nécessité de concentrer les crédits sur les territoires et les populations de notre pays les plus en difficulté. L’ensemble de ces engagements, à l’instar de ceux qui ont été pris en direction des quartiers prioritaires, ont vocation à figurer au sein des futurs contrats de ville, qui seront conclus d’ici au mois de juin 2015.

M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly.

M. Dominique Bailly. Monsieur le ministre, je me félicite de la volonté politique affichée par le Gouvernement : l’essentiel est de pérenniser l’engagement public et local, même si le dispositif évolue.

Au-delà de l’accompagnement transitoire auquel je faisais référence, il faudra veiller à préserver la proximité, le lien social fondamental qui est l’un des éléments du socle républicain. Le principe d’un remodelage de la géographie des zones prioritaires ne me choque pas, mais il faut garder la volonté politique de répondre au plus près du terrain, avec les acteurs locaux, aux difficultés, notamment financières, que certaines communes risquent de connaître au cours de la période transitoire.

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : projet de loi relatif à la désignation des conseillers prud'hommes
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

Désignation des conseillers prud'hommes

Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la désignation des conseillers prud’hommes (projet n° 423 rectifié [2013-2014], texte de la commission n° 770 [2013-2014], rapport n° 769 [2013-2014]).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous soyez nouvellement ou anciennement élus, je vous salue chaleureusement.

« Affaiblir les prud’hommes, c’est affaiblir les plus faibles », écrivait Pierre Joxe. Je suis convaincu de la justesse de cette maxime.

Affaiblir les prud’hommes, ce serait aussi aller contre notre modèle social, qui permet un règlement des litiges par les pairs – salariés et employeurs – s’inscrivant dans le droit fil de la confiance que nous faisons aux partenaires sociaux.

Vous le savez, les prud’hommes sont une institution singulière, reflétant la spécificité du monde du travail. Ils sont frappés du sceau du paritarisme, mais aussi d’une forme de reconnaissance de l’égalité dans l’effort puisque, je tiens à le rappeler ici, les femmes sont devenues électrices aux élections prud’homales en 1907 et éligibles en 1908, soit presque quarante ans avant que ces droits ne leur soient reconnus au niveau politique.

Mais une institution doit rester vivante, et il importe que la juridiction prud’homale évolue avec son temps. L’ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, M. Lacabarats, a rendu cet été à la garde des sceaux un rapport proposant des réformes pour remédier à certains dysfonctionnements qui ont été observés au sein de cette juridiction si particulière.

Une réforme d’ampleur est possible pour améliorer la procédure devant les conseils de prud’hommes, qui doivent gagner en efficacité, dans le respect de leur spécificité. Il faudra y travailler, et je le ferai, en concertation, bien sûr, avec les partenaires sociaux.

Cela étant, ce sujet n’est pas celui qui nous occupe aujourd’hui. Avec ce projet de loi, nous nous intéressons à quelque chose de plus limité, mais de fondamental, à savoir le changement du mode de désignation des conseillers prud’homaux.

Deux raisons justifient le changement proposé par le Gouvernement, changement qui vise à passer d’une élection directe à une désignation inscrite dans la mesure de l’audience.

La première raison tient au constat suivant : 75 % des inscrits n’ont pas participé à l’élection des conseils de prud’hommes en 2008. Si une telle situation n’est pas propre aux élections prud’homales, force est de noter qu’elle se dégrade d’élection en élection. Ainsi, alors que la participation atteignait 63 % en 1979, elle n’était plus que de 25 % en 2008. Le taux d’abstention ne cessant d’augmenter,…

M. Jean Desessard. Comme pour les autres élections !

M. François Rebsamen, ministre. … c’est la légitimité même des juges et de l’institution qui est rongée.

Un tel raisonnement ne peut valoir uniquement pour un seul type d’élections : il vaut pour toutes les élections !

La deuxième raison réside dans l’évolution qui s’est produite au cours des années passées. Une réforme fondamentale de la démocratie sociale a en effet été menée en deux temps, d’abord par la droite, ensuite par la gauche, de manière à mesurer finement, en 2008, la représentativité syndicale, puis, en 2014, la représentativité patronale. Nous pouvons en être fiers.

Aujourd’hui, il faut inscrire les élections prud’homales dans ce cadre nouveau et prometteur. Le changement de mode de désignation des conseillers est la suite logique, la conséquence cohérente et légitime des réformes de la représentativité.

Ni le caractère paritaire de la juridiction prud’homale, ni le nombre de conseils et de conseillers, ni la carte des conseils de prud’hommes ne sont concernés ou affectés. Ce projet de loi vise avant tout à renforcer la légitimité démocratique des conseils de prud’hommes, aujourd'hui légèrement pâlissante.

C’est pourquoi une réponse très forte est apportée par ce projet de loi : il s’agit d’adosser cette légitimité aux 5,4 millions de votants dans le cadre de la mesure de l’audience, soit un nombre supérieur à celui des participants à la dernière élection prud'homale de 2008, qui n’a mobilisé que 4,9 millions d’électeurs.

Quoi de mieux, de plus fort, solide, représentatif, incontestable et démocratique ?

Car, je tiens à le souligner, il y a bel et bien élection à un moment donné du processus.

En tant qu’ancien sénateur, je me sens autorisé à rappeler que la Haute Assemblée est bien placée pour savoir que le suffrage universel direct n’est pas le seul gage de la légitimité démocratique.

Qu’est-ce que la mesure de l’audience ? C’est l’expression consolidée du suffrage, puisqu’elle prend en compte les suffrages exprimés aux élections professionnelles, ceux recueillis lors des élections professionnelles des salariés des TPE et des élections aux chambres d’agriculture. Le suffrage est partout !

La justice prud’homale, pour être l’émanation du monde du travail, se doit d’être le reflet de cette mesure de l’audience. Tel est le sens de la réforme.

Toutefois, si nous connaissons déjà la représentativité des syndicats de salariés, celle des organisations patronales ne sera connue qu’en 2017, le processus ayant débuté avec la loi du 5 mars 2014.

Procéder à l’élection aujourd’hui, ce serait élire pour deux ans les deux collèges selon des mécanismes différents : cela n’aurait guère beaucoup de pertinence.

C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de proposer une dernière prorogation de deux ans des mandats des conseillers actuels. Ainsi, l’ordonnance pourra fixer le régime définitif des nouvelles modalités de désignation des conseillers, qui s’appliquera en 2017. Ce régime sera fondé sur la représentativité des organisations syndicales et patronales, les deux étant connues en 2017.

Ce dispositif, je le souligne, a franchi l’épreuve de la constitutionnalité : le Conseil d’État a été consulté, ainsi que le Conseil constitutionnel. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité au sujet d’une autre juridiction dont les membres étaient naguère élus, mais ne le sont plus aujourd’hui, le Conseil constitutionnel a estimé que la conformité à la Constitution était respectée. À mon sens, il n’y a donc pas de doute sur ce point.

Je voudrais à présent évoquer rapidement le recours aux ordonnances.

Je sais que le Parlement ne les aime guère, et il a raison. Toutefois, en l’occurrence, ce recours se justifie pleinement, et d’abord au regard de la grande complexité technique du sujet : nous n’allions pas, ici, déterminer précisément le nombre de sièges non seulement par conseil prud’homal, mais aussi par collège et par section. La loi instaurera le principe et le cadre, c’est-à-dire ce qui est primordial.

Surtout, il est essentiel de pouvoir construire la réforme en lien direct avec les partenaires sociaux, puisque c’est avec eux qu’ont été adoptées les précédentes évolutions. L’ordonnance est donc le véhicule le mieux adapté.

Si le texte qui vous est soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, est adopté, nous mènerons, dès publication de la loi, une large consultation associant toutes les parties prenantes, afin d’établir le régime définitif fondé sur l’audience des organisations des salariés comme des employeurs et qui sera mis en œuvre lors du renouvellement de 2017.

Cette réforme contribuera au renforcement des moyens de la démocratie sociale. Les élections prud’homales, il n’est pas déplacé de le rappeler, ce sont 100 millions d’euros, sans compter les coûts supportés par chaque organisation syndicale.

Il ne s’agit pas ici de réformer la justice prud’homale pour faire des économies.

M. François Rebsamen, ministre. On ne supprime pas une élection parce qu’elle coûte. La démocratie n’a pas de prix, nous en sommes tous ici convaincus. (M. Jean Desessard fait mine de s’étonner.)

Il s’agit d’utiliser efficacement cet argent. Ces sommes ne seraient-elles pas mieux employées à financer, notamment, la démocratie sociale ou la formation des conseillers prud’hommes, dans la mesure où nous disposerons désormais d’une vraie mesure de la représentativité de chacun ?

Les nouvelles modalités de financement des organisations patronales et syndicales ont d’ailleurs été récemment définies et le fonds paritaire chargé de financer les organisations, prévu par la loi du 5 mars 2014, sera très prochainement mis en place.

Quand la mesure de l’audience n’existait pas et que les élections étaient éparpillées, l’élection prud’homale jouait, par substitution, un rôle de mesure. Ce temps est désormais révolu et l’élection prud’homale n’a plus à remplir cette fonction.

Je crois aussi qu’une telle évolution des conseils de prud’hommes dit quelque chose de notre démocratie sociale : comme si un cap avait été franchi, celui de la maturité. Car une mesure pertinente de la représentativité est un gage de la maturité de notre démocratie sociale, de la même manière qu’un financement rationalisé et transparent, ou la capacité de se donner le temps de la concertation pour une réforme d’ampleur des prud’hommes.

Des évolutions ultérieures sont sans doute souhaitables. Si la loi ne va pas au-delà du mode de désignation des juges, c’est que d’autres difficultés existent, personne ne l’ignore. Sur ce point, je vous renvoie à la lecture du livre de Pierre Joxe Soif de justice.

On ne peut se satisfaire de ce que la durée moyenne de traitement des affaires au fond et en référé soit de douze mois, ni que les condamnations de l’État pour lenteur de la justice soient de plus en plus nombreuses. Avec 71 condamnations en 2012 relatives aux délais des conseils de prud’hommes, nous manquons à notre « devoir de protection juridique de l’individu et notamment du justiciable en droit de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable », selon les termes d’une décision du juge se référant à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Je prends l’engagement devant vous, comme devant les partenaires sociaux, que ce débat vivra.

Il faut avoir à l’esprit que 99 % des demandes introduites devant les prud’hommes sont le fait de salariés – licenciement contesté, relations de travail dégradées, CDD à répétition, etc. Nous ne sommes pas là pour les affaiblir. Or le temps est l’argument des forts et, pour reprendre la formule de Pierre Joxe que j’ai citée au début de mon propos, il affaiblit les faibles.

Les salariés comme les employeurs ont besoin de prud’hommes qui fonctionnent mieux.

Cependant, vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, tel n’est pas du tout l’objet de la réforme que je vous soumets aujourd’hui. Tout processus d’ampleur se construit pierre après pierre. Et, à la base de tout, il y a les conditions de la démocratie. Là est l’objet du présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.