Sommaire

Présidence de Mme Bariza Khiari

Secrétaires :

M. Gérard Le Cam, Mme Catherine Procaccia.

1. Procès-verbal

2. Question prioritaire de constitutionnalité

3. Débat sur le bilan annuel de l’application des lois

MM. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois ; Claude Dilain, au nom de la commission des affaires économiques ; Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères ; Mmes Catherine Génisson, vice-présidente de la commission des affaires sociales ; Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture ; MM. Michel Teston, vice-président de la commission du développement durable ; Philippe Marini, président de la commission des finances ; Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.

Mmes Éliane Assassi, Nathalie Goulet, Philippe Kaltenbach, Mme Corinne Bouchoux, M. Christophe-André Frassa.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

Suspension et reprise de la séance

4. Débat sur la Corse et la réforme territoriale

M. Nicolas Alfonsi, au nom du groupe du RDSE.

Mmes Éliane Giraud, Anne-Marie Escoffier, M. Ronan Dantec, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Jacques Lasserre, Thierry Foucaud.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.

5. Clôture de la session ordinaire

compte rendu intégral

Présidence de Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Secrétaires :

M. Gérard Le Cam,

Mme Catherine Procaccia.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 26 juin 2014 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Question prioritaire de constitutionnalité

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 27 juin 2014, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le premier alinéa de l’article L. 651-2 du code de commerce (liquidation judiciaire d’une personne morale) (2014-415 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

3

Débat sur le bilan annuel de l’application des lois

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le bilan annuel de l’application des lois, organisé à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois (rapport d’information n° 623 [session parlementaire 2012-2013]).

La parole est à M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mesdames, messieurs les présidents des commissions permanentes, mes chers collègues, le débat qui nous réunit cet après-midi se déroule à un moment où beaucoup ont les yeux tournés vers une échéance importante pour notre pays et chère aux amateurs de sport, dont je sais que M. Karoutchi n’est pas. (Sourires.)

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Quoi qu’il en soit, nous sommes au travail pour traiter d’un sujet essentiel : le bilan annuel de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. D’année en année, ce débat est devenu l’un des temps forts de l’activité de contrôle du Sénat. Je remercie le Gouvernement d’avoir accepté de l’inscrire à l’ordre du jour de cette dernière séance de la session ordinaire, témoignant ainsi de l’intérêt qu’il y porte.

À l’approche du prochain renouvellement triennal du Sénat, cette discussion me donne aussi l’occasion de dresser un rapide bilan des trois premières années d’activité de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Vous en trouverez les données détaillées dans mon rapport écrit, où vous constaterez que, depuis sa mise en place effective en janvier 2012, cette nouvelle commission a beaucoup travaillé et a trouvé sa place au sein des institutions du Sénat. Partant de rien, elle a inventé ses méthodes de travail en bonne harmonie avec les commissions permanentes, avec la conférence des présidents et avec le Gouvernement.

Je tiens à souligner le soutien que nous avons trouvé auprès de chacun de nos interlocuteurs naturels : les présidents des commissions permanentes, même s’il n’est pas évident pour tous d’engager ce type de collaboration, les différents ministres chargés des relations avec le Parlement – M. Le Guen, son prédécesseur ou M. Ollier auparavant – et le secrétaire général du Gouvernement, que je salue, qui est son « bras armé » pour toutes les questions relatives à l’application des lois.

Finalement, la commission s’est installée sans heurt dans le paysage institutionnel du Sénat, favorisant de nouvelles approches et de nouveaux réflexes, en acquérant ce que j’ai coutume d’appeler la « nouvelle culture du contrôle et de l’évaluation ».

Comme je l’ai souvent dit à cette tribune, le Parlement ne peut plus se contenter aujourd’hui de voter des lois. Il doit aussi contrôler la manière dont ces lois s’appliquent, en vérifiant qu’elles répondent non seulement aux attentes de nos concitoyens, mais aussi à la volonté du législateur. C’est un enjeu de démocratie, une question de crédibilité de l’action publique et de confiance dans l’institution parlementaire.

En outre, je vois une continuité logique évidente entre la fonction de contrôle et la fonction législative : en faisant le bilan des législations en vigueur, nous pouvons identifier leurs faiblesses ou leurs lacunes et envisager les améliorations nécessaires lorsque leur application s’est avérée contraire aux attentes ou, comme cela se produit parfois, lorsqu’elles ont emporté des effets qui n’avaient pas été anticipés. De ce fait, le contrôle débouche de lui-même sur une amélioration de notre environnement normatif, que nous essayons de rendre plus simple, plus lisible et plus proche des besoins réels.

Mme Nathalie Goulet. Ce n’est pas gagné !

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. En tout cas, c’est une volonté affirmée par l’ensemble des parlementaires aujourd’hui.

Certes, nos moyens de contrôle sont limités par rapport à d’autres assemblées, comme le Sénat américain par exemple, mais nous savons que les deux systèmes institutionnels sont différents. En France, c’est le Gouvernement qui dispose des moyens matériels et politiques du contrôle. C’est l’un des paradoxes institutionnels de la Ve République : les assemblées sont obligées de demander au Gouvernement les moyens et les informations qui leur sont nécessaires pour contrôler son action...

Par ailleurs, la recherche de la qualité de la législation ne doit pas faire tomber dans le travers inverse, qui consisterait à évaluer cette qualité uniquement selon des critères de performance ou de rentabilité, termes que j’entends parfois en matière d’élaboration de la loi ! Le critère qui définit une bonne loi dépend avant tout de la perception politique de chacun. Il est de la nature de la loi et de l’action du Parlement d’exprimer des projets politiques et des options de société qui seront déclinés en textes juridiques au service d’une politique publique. Il revient au Parlement de trouver la meilleure voie entre une démarche trop strictement politique, dont la qualité juridique pourrait pâtir, et une approche trop technique, qui limiterait l’expression des choix politiques.

Pour en venir au bilan annuel de l’application des lois, dont vous trouverez les statistiques détaillées dans mon rapport écrit, je retiendrai quatre grandes tendances.

Première grande tendance : la production législative a été soutenue. Sur la période de référence, cinquante lois ont été promulguées, hors conventions internationales, signe d’un haut niveau d’activité législative durant cette première année pleine du quinquennat.

Sur ces cinquante lois, dix-neuf sont issues de propositions de sénateurs ou de députés. Presque 40 % de la législation est donc d’initiative parlementaire. Le Sénat, avec onze propositions de loi, a été l’an dernier à l’origine de plus d’une loi sur cinq. La montée en puissance de l’initiative parlementaire est l’un des effets positifs de la révision constitutionnelle de juillet 2008. Ceux-ci sont trop rares pour qu’on ne les signale pas !

Deuxième grande tendance : les pourcentages de mise en application des lois se sont maintenus cette année au niveau élevé de l’exercice précédent. Pour faire simple, retenons cet indicateur : le taux global de mise en application des mesures législatives adoptées en 2012-2013 a atteint 64 %, soit deux à trois fois plus que ceux constatés jusqu’en 2010, dernière année du quinquennat précédent, sous l’impulsion, alors, de M. Ollier, que j’ai souvent salué.

L’application des lois a été une priorité forte des deux derniers gouvernements. Nous devons leur en donner acte. Dès son entrée en fonctions, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait confirmé l’objectif affirmé en 2008, mais rarement respecté jusque-là, de faire paraître les décrets d’application des lois nouvelles dans un délai de six mois maximum. Quant au gouvernement de Manuel Valls, vous nous avez indiqué en commission, monsieur le secrétaire d’État, qu’il maintiendrait ce cap.

Troisième grande tendance : si l’on raisonne en nombre de lois, on constate que 90 % des lois de la session 2012-2013 ont été appliquées partiellement ou totalement.

Enfin, quatrième grande tendance : sur l’ensemble des textes de la XIVe législature, c’est-à-dire ceux de l’actuelle majorité, la pente est la même. Ainsi, 88 % des lois ont déjà été appliquées partiellement ou totalement, même s’il est bien sûr trop tôt pour en tirer des enseignements définitifs.

Au final, si nous n’avons pas encore atteint 100 %, un chiffre que le Parlement est pourtant en droit d’attendre, ces résultats traduisent toutefois une réelle prise de conscience : aujourd’hui, plus personne n’accepterait les taux calamiteux des années précédentes. Je suis convaincu que la création de notre commission a favorisé cette évolution, car elle a porté la question de l’application des lois dans le débat politique, ce qui a mis le Gouvernement sous pression.

Le bilan est donc positif. Pourtant, on relève quatre éléments moins favorables que je veux décliner.

Le premier a trait à la mise en application des textes issus de l’initiative parlementaire, qui est moins bonne que celle des textes d’origine gouvernementale, notamment pour ce qui concerne les amendements. Circonstance aggravante, le Gouvernement montre plus d’empressement pour les textes de l’Assemblée nationale que pour ceux du Sénat. (Murmures sur diverses travées.) Autrement dit, les décrets d’application sont pris moins vite pour les textes d'initiative parlementaire que pour les projets de loi et, dans ce cadre, les textes issus du Sénat sont moins bien traités que ceux de l’Assemblée nationale.

Cette année, les taux atteignaient 67 % pour les amendements du Gouvernement, 48 % pour ceux de l’Assemblée nationale et seulement 24 % pour ceux du Sénat. Le Sénat est en droit d’exprimer un certain mécontentement, voire de la colère !

Le deuxième élément concerne l’application des lois votées après l’engagement de la procédure accélérée. Celle-ci n’a pas été plus rapide que celle des autres lois. À quoi bon imposer au Parlement des cadences rapides si l’urgence invoquée en amont bute, en aval, sur des délais incompressibles ? Je ne remets pas en cause la nécessité de cette procédure quand il y a effectivement urgence pour la société, mais si les décrets sont publiés tardivement, le bénéfice pour nos concitoyens en est annulé et seul le travail parlementaire en pâtit.

Le troisième élément porte sur le taux de mise en application du « stock ancien », c’est-à-dire des lois antérieures à 2007, qui végète sans aucun progrès notable.

On peut comprendre qu’un gouvernement, quel qu’il soit, n’ait pas parmi ses priorités la mise en application de lois issues d’une autre majorité parlementaire. Je rappelle que, entre 2007 et 2012, la majorité politique d’alors, identique à celle à qui elle a succédé, ne s’était pas empressée de faire appliquer les textes de la précédente législature. L’ancienne majorité ne peut donc pas totalement critiquer l’actuelle majorité pour son manque de zèle.

Toujours est-il que, sur le plan des principes, je trouve choquant que des lois restent inappliquées pendant des années et finissent par devenir obsolètes, sans que cette situation soit l’objet d’une explication formelle qui pourrait conduire à régler la question ou que ces textes soient abrogés.

Enfin, quatrième élément, on ne constate aucun progrès significatif dans la remise des rapports d’information : cette année encore, beaucoup des rapports attendus n’ont pas été présentés, et ceux qui l’ont été n’apportaient pas toujours des informations très exploitables. Ce constat vaut aussi bien pour les rapports à présenter en vertu d’une disposition législative ponctuelle que pour les rapports dits « de l’article 67 », dans lesquels le Gouvernement doit faire le point sur la mise en application de toute nouvelle loi six mois après sa promulgation.

Je parle bien là de deux types de rapports.

Je parle de ceux qui, classiquement, lors de la discussion des articles, sont demandés par le Sénat au travers d’un amendement, en vue, très souvent, de l’organisation d’un débat, et qui sont rarement réalisés. Aussi, il convient que les parlementaires ne tombent pas dans l’excès concernant cette demande…

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. … et ne détournent pas la procédure en demandant un rapport avec, pour unique objectif, la tenue d’un débat.

M. Philippe Kaltenbach. Les sénateurs ne sont pas comme ça ! (Sourires.)

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Pour ce qui nous concerne, soyons donc plus sérieux !

Toutefois, si un amendement visant à prévoir l’élaboration d’un rapport a été adopté par les deux assemblées parlementaires, le Gouvernement doit respecter la volonté du législateur et rédiger un rapport sérieux.

Quant aux rapports relatifs à l’application de l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004, ils sont trop inégaux et très peu exploités par les commissions. Dans ces conditions, le secrétariat général du Gouvernement ne s’empresse pas d’en publier de meilleurs. Il est donc souhaitable que tout le monde les lise.

Monsieur le secrétaire d'État, j’avais déjà appelé l’attention du ministre délégué chargé des relations avec le Parlement sur cette question l’an dernier, et vous avez reconnu, lors de votre audition, que celle-ci reste un point faible, sur lequel nous devons réfléchir de concert. En effet, les parlementaires ont une part de responsabilité en la matière : nous demandons trop de rapports, souvent comme « lot de consolation » en échange du retrait d’un amendement. Ma conviction est que nous devrions en réclamer moins et mieux tirer parti de ceux qui nous sont remis.

Je quitte le terrain des statistiques pour en venir à quelques considérations plus générales sur l’amélioration de l’environnement normatif, dont j’ai rappelé l’importance au début de mon propos.

Chaque pas dans cette direction renforcera la confiance dans l’institution parlementaire, en particulier dans le Sénat, moins tenu par la logique majoritaire que l’Assemblée nationale.

Mme Nathalie Goulet. Ça, c’est sûr !

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. À cet effet, nous devons renforcer l’efficacité des procédures existantes pour que nos pratiques et le suivi de nos actions de contrôle débouchent sur des améliorations de la législation en vigueur.

J’ai formulé dans mon rapport écrit plusieurs propositions concrètes, notamment pour tirer un meilleur parti des questions parlementaires et de leur suivi, au service de l’application des lois.

Vous avez indiqué, monsieur le secrétaire d'État, que vous étiez prêt à vous joindre à cette réflexion, en relayant les « alertes » que ma commission pourrait désormais donner si une question écrite concernant l’application d’une loi n’a pas obtenu de réponse dans les délais requis, en vue d’accélérer, parfois, ces délais. C’est l’un des chantiers concrets sur lesquels nous pourrons travailler dès la prochaine rentrée parlementaire.

Je préconise également de mieux réguler la pratique du renvoi à un décret en Conseil d’État, qui est l’une des causes de l’engorgement du processus réglementaire. Il faut éviter les abus ! Dans la plupart des cas, on obtiendrait les mêmes garanties avec un renvoi à un décret simple, voire en ne prévoyant pas de renvoi du tout.

Dans cet ensemble, je voudrais souligner certaines mesures prises cette année afin de faciliter le dialogue normatif entre l’État et les collectivités territoriales. Ces mesures font écho aux souhaits exprimés par les états généraux de la démocratie territoriale, organisés sur l’initiative du président Jean-Pierre Bel.

Nous le savons tous, les collectivités territoriales rencontrent de grandes difficultés dans la mise en œuvre des normes, surtout les petites et moyennes communes. En la matière, le choc de simplification, qui doit succéder au choc de complication que nous vivons en permanence, doit être une avancée significative. À cet égard, il faut saluer la création, sur l’initiative du Sénat, d’un conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, issu d’une proposition de loi présentée par nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur.

Je tiens aussi à saluer la nomination de Thierry Mandon, qui est chargé, au sein du Gouvernement, de la simplification de notre environnement normatif notamment. Je me félicite également de l’installation d’un médiateur spécialisé pour faciliter le dialogue normatif entre l’administration et les collectivités, fonction qui vient d’être confiée à notre ancien collègue Alain Lambert.

Mme Nathalie Goulet. Excellent médiateur !

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Pour conclure, je veux dire que le Sénat a amplifié la mission nouvelle qui lui était dévolue, avec la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Les rapports montrent que les résultats sont là, mais qu’il ne faut pas baisser la garde. Nous devons avant tout assumer notre fonction de contrôle de l’exécutif, inscrite dans la Constitution. Notre manque de moyens est compensé par notre forte volonté politique et l’attention particulière que portent tous les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, à cette fonction. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP et de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Dilain, au nom de la commission des affaires économiques.

M. Claude Dilain, au nom de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser le président de la commission des affaires économiques Daniel Raoul, qui n’a pas pu se libérer cet après-midi. Il me fait le grand honneur de vous transmettre ses conclusions.

Le rapport établi cette année par la commission des affaires économiques que préside Daniel Raoul, après, vous le savez, la scission de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire en deux commissions, prend en compte vingt-six lois.

L’étude de certains textes trop anciens n’étant plus jugée pertinente, le bilan dressé en 2014 mesure l’application des lois promulguées de 2003 jusqu’au 30 septembre 2013.

Sur les vingt-six lois dont l’application est suivie cette année par la commission des affaires économiques, neuf d’entre elles sont totalement applicables. On remarque même que trois des quatre lois promulguées entre le 1er octobre 2012 et le 30 septembre 2013, examinées, de ce fait, pour la première fois cette année dans le bilan de la commission des affaires économiques, sont d’ores et déjà totalement applicables. Je veux parler de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, de la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social et de la loi du 1er juillet 2013 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction. Cette situation est totalement satisfaisante.

S’agissant de la loi n° 2013-569 du 1er juillet 2013 habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour accélérer les projets de construction, celle-ci est considérée – formellement – d’application directe. Toutefois, il est intéressant de relever que non seulement les sept ordonnances prévues ont été adoptées dans les délais, mais également que six d’entre elles ont d’ores et déjà été ratifiées par l’article 174 de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR ». À cet égard, nous nous félicitons que Cécile Duflot, alors ministre de l’égalité des territoires et du logement, ait pris la peine de venir spécifiquement, par deux fois, présenter ces textes devant notre commission.

Néanmoins, et en sortant des bornes de l’examen du bilan d’application des lois, le président de la commission souhaite relever la longueur des délais pris pour l’adoption d’un décret relatif aux pouvoirs de sanction de l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

Dans une décision du 5 juillet 2013, le Conseil constitutionnel a jugé contraires à la Constitution les dispositions de l’article L. 36-11 relatif au pouvoir de sanction de l’ARCEP, considérant que la séparation des pouvoirs d’instruction et de sanction n’était pas respectée. Cela a eu pour conséquence de priver cette autorité de son pouvoir de sanction, qui constitue l’un des moyens fondamentaux de son action, ce qui est particulièrement problématique dans un secteur à fort taux de contentieux.

Afin de combler cette carence, le Gouvernement a introduit, à l’article 1er de la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, une disposition, adoptée par le Parlement, l’autorisant à prendre par ordonnances les mesures de nature législative propres à sécuriser, au sein du code des postes et des communications électroniques, le pouvoir de sanction de l’ARCEP à l’encontre des opérateurs concernés. L’ordonnance du 12 mars 2014 relative à l’économie numérique instaure, dans les secteurs des postes et des communications électroniques, une nouvelle procédure de sanction selon le modèle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, dont la constitutionalité a été validée par le Conseil d’État. Toutefois, le décret devant venir préciser les modalités d’application de ces dispositions n’a, à ce jour, toujours pas été publié, ce qui est fort regrettable, compte tenu de l’urgence. Pour quelles raisons, monsieur le secrétaire d'État, ce décret n’a-t-il pas été publié et à quel horizon le sera-t-il ?

En outre, l’étude des dix-sept lois partiellement applicables dont l’application est suivie cette année par la commission des affaires économiques aboutit à un bilan mitigé.

Exception faite de deux lois – la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion et la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche –, pour lesquelles ont été pris respectivement un décret en Conseil d’État et deux décrets simples, aucune mesure réglementaire n’a été prise depuis le bilan établi en 2013. Ainsi en est-il, par exemple, de la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, applicable à 85 %, et de la loi du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés, applicable à 50 %.

Par ailleurs, il est regrettable de constater que, parmi le stock des lois examinées par la commission des affaires économiques, l’unique loi d’initiative sénatoriale, la loi du 8 décembre 2011 relative aux certificats d’obtention végétale, soit celle qui affiche le taux d’application le plus faible, à savoir 12 %. Les décrets encore attendus pour ce texte issu d’une proposition de loi présentée par Christian Demuynck et plusieurs de ses collègues, annoncés pour la fin du premier semestre de 2013, n’avaient toujours pas été publiés au 31 mars 2014.

Sur les vingt-six lois dont l’application est suivie cette année par la commission des affaires économiques, quatorze d’entre elles ont été adoptées selon la procédure accélérée. On relève que les quatre lois examinées pour la première fois cette année dans le bilan de la commission ont été adoptées selon cette procédure.

Cependant, nous ne pouvons que nous étonner de constater que huit lois promulguées entre 2004 et 2011 après engagement de la procédure accélérée ou après déclaration d’urgence ne sont encore que partiellement applicables.

Sur les vingt-six lois dont je viens de parler, une seule a fait l’objet de la remise d’un rapport en vertu de l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit, depuis le bilan établi en 2013. Le rapport sur la mise en application de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer a été présenté au Parlement le 14 mars 2014, mais avec un certain retard.

Cette absence de rapport est regrettable pour la bonne information des parlementaires sur le suivi des textes qu’ils adoptent. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous en dire plus sur cet état de fait ?

Comme l’année dernière, le président Raoul déplore la défaillance dont fait preuve l’administration en ce qui concerne la remise des rapports au Parlement. Les chiffres sont éloquents : sept rapports prévus par certaines dispositions des lois dont la commission des affaires économiques assure le suivi ont été rendus au cours de la période nouvellement étudiée cette année, à savoir du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, alors que trente-cinq d’entre eux sont encore attendus ! Aussi, il se pose la question d’opposer parfois l’article 40 de la Constitution à la demande de rapports, qui sont toujours coûteux, alors même qu’ils ne sont pas toujours consultés.

Pour conclure, je veux me féliciter de la coopération mise en place entre la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et les commissions permanentes.

Après le rapport d’information sur le tourisme rédigé par nos collègues Luc Carvounas, Louis Nègre et Jean-Jacques Lasserre et publié en octobre dernier, qui dressait un bilan en demi-teinte de la loi du 22 juillet 2009, un rapport contrôlant l’application de la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services est en cours de rédaction par nos collègues Claude Bérit-Débat, au nom de la commission des affaires économiques, et Jean-Claude Lenoir, en tant que membre de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Ce rapport sera examiné par nos deux commissions en réunion conjointe le 9 juillet prochain.

Au-delà d’un bilan purement quantitatif, ces rapports permettent d’apprécier l’effectivité de l’application des lois au regard des objectifs fixés par le législateur. N’oublions pas, mes chers collègues, que c’est ainsi que s’entend la fonction de contrôle du Parlement, reconnue par la réforme constitutionnelle de 2008. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères.

M. Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mes chers collègues, le président de la commission des affaires étrangères, Jean-Louis Carrère, est retenu par d’autres obligations, mais c’est avec beaucoup de plaisir que je m’exprime à sa place dans ce débat sur l’application des lois.

Tout d’abord, notre commission tient à saluer l’excellent travail accompli par la commission présidée par David Assouline. Ce travail témoigne de la grande importance que le Sénat attache au suivi de l’application des lois qu’il adopte.

Avant de vous présenter le bilan de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour la session parlementaire 2012-2013, je ne résiste pas au plaisir de vous dire avec quelle profonde satisfaction notre commission a reçu, la semaine dernière, le rapport sur l’entrée en programmation militaire 2014-2019, alors que le Gouvernement, aux termes de la loi, n’était tenu de nous le remettre qu’un an après le début de la période de programmation, c’est-à-dire en juin 2015.

Recevoir un rapport qu’on n’a pas vraiment demandé, cela peut arriver : la preuve ! (Sourires.)

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Très bien !

M. Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères. J’entre maintenant, mes chers collègues, dans le vif du sujet.

Comme chaque année, l’essentiel de l’activité législative de notre commission a consisté à examiner des projets de loi autorisant la ratification ou l’approbation de traités ou d’accords internationaux. Au total, au cours de la session parlementaire 2012-2013, ce sont cinquante-cinq accords internationaux relevant de la compétence de la commission des affaires étrangères qui ont été adoptés par le Sénat en séance publique.

Certains de ces accords n’ont pas encore été examinés par l’Assemblée nationale, de sorte que les lois n’ont pas été promulguées, mais cela n’a pas grande importance, dans la mesure où ces conventions et ces accords ne sont pas pris en compte dans le contrôle de la mise en application des lois.

Mme Nathalie Goulet. C’est dommage !

M. Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères. Outre ces conventions et ces accords, notre commission a examiné au fond, entre le 1er octobre 2012 et le 30 septembre 2013, un seul projet de loi intéressant les questions de défense ou d’affaires étrangères.

Il s’agissait du projet de loi portant application du protocole additionnel à l’accord entre la France, la Communauté européenne de l’énergie atomique et l’Agence internationale de l’énergie atomique, relatif à l’application de garanties en France, signé à Vienne le 22 septembre 1998 – son approbation, par conséquent, a pris quinze ans.

Toutefois, ce texte ne compte pas au nombre des lois promulguées pendant la période sur laquelle porte notre débat, puisque l’Assemblée nationale ne l’a pas encore examiné à ce jour. Je vous rappelle que ce projet de loi, examiné par notre commission en juin 2013 et adopté par le Sénat en première lecture au début de juillet 2013, a été transmis à l’Assemblée nationale le 23 juillet 2013.

Au 31 mars 2014, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées continuait de suivre l’application de onze lois adoptées au cours de la session 2012-2013 et inapplicables à des degrés divers.

En ce qui concerne le stock des lois suivies par notre commission qui ne sont pas applicables dans leur intégralité, il faut signaler que, dans le cours de la session sur laquelle porte ce débat, aucun texte d’application n’a été publié ni aucune loi rendue totalement applicable.

J’ajoute que, parmi les mesures d’application prises entre le 1er octobre 2012 et le 31 mars 2014, on compte un décret simple modifiant un décret déjà pris relatif à l’attribution d’une indemnité d’accompagnement de la reconversion et le rapport annuel au Parlement sur l’exécution de la loi de programmation militaire pour les années 2009-2014, ainsi que deux autres rapports d’évaluation dont je reparlerai dans quelques instants.

Pour le reste, aucune loi relevant de la compétence de notre commission n’ayant été promulguée au cours de la session 2012-2013, je me contenterai de présenter quelques observations.

S’agissant du stock antérieur, il faut remarquer que la majorité des onze lois en attente d’application sont partiellement applicables ; cinq d’entre elles présentent même des taux d’application relativement élevés.

En revanche, notre commission continue de regretter que la loi du 28 juillet 2011 tendant à faciliter l’utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure demeure totalement inapplicable, car aucune des quatre mesures d’application prévues n'a été prise trois ans après la promulgation de la loi. Cette situation mérite une explication (M. Jacques Gautier acquiesce.), d’autant que la loi en question fera l’objet, l’année prochaine, d’un rapport d’information de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, dont nous prendrons connaissance avec un grand intérêt.

À propos des travaux de cette commission, qui sont toujours excellents, je tiens à mentionner son rapport d’information intitulé L’indemnisation des victimes des essais nucléaires français : une loi qui n’a pas encore atteint ses objectifs. Cette étude, publiée en septembre 2013, dresse un constat « pour le moins réservé », selon les termes du communiqué de presse du 19 septembre 2013, de l’application de la loi du 5 janvier 2010.

Notre commission en partage d’autant plus volontiers les conclusions que le ministre de la défense – nous tenons à le signaler – a été interrogé à quatorze reprises sur ce sujet pendant la période de référence, après l’avoir été tout aussi régulièrement au cours de la session précédente.

Entre octobre 2012 et mars 2014, outre le rapport annuel sur l’exécution de la loi de programmation militaire pour les années 2009-2014, le Parlement a reçu deux rapports d’évaluation sur la loi du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État, conformément à l’échéancier mis en place pour suivre les résultats de l’expérimentation du rattachement à l’Institut français du réseau culturel de la France à l’étranger.

Tout n’est cependant pas parfait, puisque, au 31 mars 2014, nous attendions encore quatre rapports portant sur des lois fort anciennes, puisqu’elles datent respectivement de 1994, 1997, 1998 et 2000. Peut-être, monsieur le secrétaire d’État, pourrions-nous avoir quelques explications sur la raison de ce retard ?

Mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a parfaitement conscience de l’importance du travail d’évaluation accompli par le Sénat ; elle entend continuer à y prendre sa part avec le souci que les lois adoptées deviennent applicables, si possible dans des délais raisonnables ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, vice-présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Génisson, vice-présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi, tout d’abord, de vous transmettre les regrets d’Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, qui n’a pu prendre part à ce débat. Elle m’a chargée d’exposer les principales observations que notre commission, que je représente en ma qualité de vice-présidente, souhaite verser au débat annuel sur l’application des lois.

En premier lieu, nous tenons, cette année encore, à souligner tout l’intérêt de ce débat, qui s’appuie sur le rapport extrêmement documenté de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Celle-ci a réalisé une synthèse des constats dressés par chaque commission permanente, en l’enrichissant des enseignements tirés de ses propres travaux. Je vous remercie de ce texte, monsieur Assouline !

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Merci à vous, ma chère collègue !

Mme Catherine Génisson, vice-présidente de la commission des affaires sociales. Nous apprécions également l’intérêt que le Gouvernement, qui a participé, avec ses services, aux réunions organisées par le président David Assouline, porte à la question de l’application des lois.

Durant la session parlementaire 2012-2013, le Parlement a adopté quatorze lois examinées au fond par la commission des affaires sociales : un nombre particulièrement élevé, qui n’avait pas été atteint depuis la session 2007-2008.

Ces lois, dont cinq résultaient d’une initiative gouvernementale et neuf d’une initiative parlementaire, avaient des implications extrêmement variables du point de vue des mesures d’application. Six d’entre elles pouvaient s’appliquer directement, sans texte réglementaire. Pour les huit autres, 132 mesures d’application étaient attendues au total, dont 77 pour la seule loi de financement de la sécurité sociale. Globalement, un peu plus de 100 mesures avaient été prises au 31 mars 2014, soit un taux proche de 80 %, donc nettement supérieur à celui qui avait été constaté les années précédentes.

Près de 40 % des mesures attendues avaient été prises dans les six mois suivant la promulgation de la loi à laquelle elles se rapportent, c’est-à-dire dans le délai fixé par la circulaire gouvernementale de 2008 ; près des trois quarts l’avaient été dans un délai d’un an. Ce résultat est plutôt satisfaisant par rapport aux expériences passées.

La commission des affaires sociales se félicite que la tendance à l’amélioration, lente, mais continue, de l’édiction des mesures réglementaires d’application se soit confirmée au cours de la session parlementaire 2012-2013. Toutefois, cette appréciation générale positive ne doit pas masquer une réalité très contrastée.

Le Gouvernement s’efforce de mettre en œuvre rapidement les dispositifs qu’il juge prioritaires, en particulier les lois adoptées dans le domaine du travail et de l’emploi ; nous ne pouvons que nous en féliciter. C’est ainsi que la loi du 26 octobre 2012 portant création des emplois d’avenir et la loi du 1er mars 2013 portant création du contrat de génération ont reçu 100 % de leurs mesures d’application. Pour la première, le premier décret est même paru six jours après qu’elle eut été promulguée. Quant à la seconde, les dix mesures attendues avaient été prises deux semaines après sa promulgation.

S’agissant de la loi relative à la sécurisation de l’emploi, promulguée en juin 2013, plus de 70 % des mesures d’application avaient été prises au 31 mars dernier. La principale mesure en attente est cependant très importante, puisqu’elle concerne l’article 1er de cette loi, relatif à la couverture complémentaire santé.

Nous savons que la préparation du décret fixant le niveau minimal de garanties des contrats collectifs concernés est affectée par les mesures de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 relatives aux contrats solidaires et responsables. Les projets de textes sont actuellement dans leur phase ultime de finalisation. Même si la généralisation des contrats collectifs en entreprise ne sera applicable qu’au 1er janvier 2016, notre commission insiste sur un point : la parution des textes d’application est indispensable au lancement des négociations de branche, qui ont pris du retard.

En ce qui concerne la loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement a fait en sorte de promulguer rapidement les textes d’application : de fait, près de 90 % d’entre eux étaient parus au 31 mars dernier.

À l’inverse, quatre lois, toutes issues d’une initiative parlementaire, n’ont fait l’objet d’aucune mesure d’application, alors qu’elles prévoyaient quinze décrets ou arrêtés. Au nombre de celles-ci figure la loi du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale. Certes, l’un des principaux objets de la loi – ratifier l’ordonnance du 13 janvier 2010 – a été atteint, mais cette loi a également introduit des dispositions nouvelles nécessitant dix décrets ou arrêtés, dont aucun n’a été pris. Elle est pourtant le fruit d’une procédure parlementaire particulièrement longue et qui a donné lieu à des concertations nombreuses avec les acteurs concernés ; tout ce travail aurait dû permettre une parution rapide des textes réglementaires, notamment des arrêtés.

Pour sa part, la loi du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge nécessitait trois mesures d’application, qui n’ont pas non plus été prises, alors qu’elles portent sur des questions importantes pour la prise en charge des malades et pour la procédure d’expertise psychiatrique.

Il s’agit, plus précisément, de trois décrets en Conseil d’État qui, à ce jour, n’ont pas encore été soumis aux sections compétentes. Il est souhaitable qu’ils soient pris dans les meilleurs délais ; nous comptons, monsieur le secrétaire d’État, que vous y serez particulièrement attentif !

La loi du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer voit également son article 1er rendu inopérant faute de mesure d’application ; une telle lacune est grave en matière de santé publique.

Enfin, s’agissant de la loi du 24 décembre 2012 visant à suspendre la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A, ce sont plutôt des enjeux de conformité au droit de l’Union européenne qui retardent la parution d’un décret d’application et créent des incertitudes sur l’effectivité de la loi elle-même.

En effet, une phase précontentieuse a été ouverte contre la France ; la Commission européenne attend pour se prononcer une nouvelle évaluation, confiée à l’Autorité européenne de sécurité des aliments, des risques associés au bisphénol A utilisé dans les conditionnements alimentaires. On peut se féliciter de l’intransigeance de la France sur ce sujet !

Par ailleurs, au cours de la période étudiée, près d’une vingtaine de mesures réglementaires sont intervenues en application de lois votées sous la précédente législature. Notre commission se félicite particulièrement de la parution du décret organisant la transmission des informations entre départements afin d’assurer le suivi des enfants en danger en cas de déménagement des familles, même si cette publication est intervenue plus d’un an et demi après la promulgation de la loi.

À l’inverse, la loi du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine est encore privée d’une partie notable de ses effets. Les mesures réglementaires mettant en place la structure nationale chargée de la répartition aléatoire des protocoles de recherche entre les comités de protection des personnes manquent toujours. Cette lacune-ci aussi est grave, monsieur le secrétaire d’État !

Je rappelle que ce dispositif, défendu par nos deux rapporteurs successifs, Marie-Thérèse Hermange et Jean-Pierre Godefroy, était un sujet essentiel de consensus de notre commission et du Sénat ; la commission des affaires sociales regrette donc fortement que les mesures réglementaires nécessaires se fassent encore attendre.

Notre bilan, comme celui qui a été présenté par les autres commissions, s’intéresse également aux rapports devant être remis au Parlement. Les demandes de rapport, sans doute en nombre excessif, sont d’intérêt inégal. Certaines correspondent à une attente légitime, et nous souhaitons vivement qu’il y soit donné suite ; c’est le cas, notamment, de la demande d’un bilan annuel d’évaluation des emplois d’avenir et de la demande d’un rapport sur l’accès à la justice prud’homale, que le Sénat avait souhaité pour la fin de l’année 2013, sur l’initiative de notre collègue Claude Jeannerot.

Monsieur le secrétaire d’État, vous constatez que les membres de notre commission se sont interrogés, parfois avec irritation, sur la non-application de nombreuses dispositions d’origine parlementaire. Notre présidente a d’ailleurs saisi les ministres concernés sur ce point.

Reste que ces interrogations ne remettent pas en cause le bilan positif que nous tirons de la tendance continue à l’amélioration de l’application des textes législatifs, telle que notre suivi statistique la fait apparaître. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mes chers collègues, comme chaque année à cette période, nous dressons le bilan de l’application des lois pendant la session parlementaire écoulée – cette fois, la session 2012-2013.

Seules trois lois relevant de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ont été adoptées au cours de cette session, contre cinq au cours de la précédente.

Toutefois, autant la loi du 31 janvier 2013 tendant à abroger la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, issue d’une proposition de loi de notre collègue Françoise Cartron, était un « petit texte » sur le plan du travail législatif, autant la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche se sont placées parmi les textes majeurs, avec de nombreux d’amendements et une discussion approfondie.

Les projets dont la commission de la culture est saisie tendent toujours à se concentrer au début de chaque législature. De ce point de vue, l’activité constatée au cours de la session 2012-2013 est tout à fait comparable à celle de la session 2007-2008, qui, elle aussi, suivait une année d’élections présidentielle et législatives.

La loi tendant à abroger la loi visant à lutter contre l’absentéisme scolaire était d’application directe et elle est donc applicable. La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite « loi ERS », sont partiellement applicables : pour mémoire, la loi sur la refondation de l’école compte 89 articles et la loi ESR 129 articles.

Un certain nombre de ces dispositions ne sont pas encore applicables et ne le seront pas avant plusieurs mois, voire avant quelques années.

Je pense, par exemple, au rapport annuel des organismes créés par la loi, tel le Conseil supérieur des programmes, ou à la procédure de nomination des présidents d’organisme de recherche. Sans que soit intégralement mise en œuvre la méthode prévue par la loi, il a néanmoins été procédé à l’audition du candidat pressenti en commission du Sénat pour l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, les décrets relatifs au statut des organismes de recherche n’ayant pas encore été modifiés.

On peut considérer qu’un quart des dispositions de la loi ESR sont mises en application alors que trois quarts des dispositions de la loi pour la refondation de l’école sont mis en œuvre. Ces deux textes ont été adoptés à la même date, la loi ESR après application de la procédure accélérée, la loi pour la refondation de l’école au terme du vote conforme du Sénat en deuxième lecture. Choisir la procédure accélérée, plutôt que de laisser la navette se poursuivre, est sans aucun effet sur le rythme de publication des mesures d’application de la loi.

Pour la refondation de l’école, sur les dix-huit mesures prévues, douze ont été prises dans un délai de six mois et deux existaient déjà. Manquent donc encore quatre mesures d’application prévues dans la loi. En outre, quinze mesures non prévues ont été prises, dont le décret du 7 janvier 2014 portant expérimentation d’une procédure d’orientation des élèves dérogeant à l’article L. 331-8 du code de l’éducation, disposition introduite sur l’initiative de notre commission, et les circulaires non prévues relatives au dispositif d’initiation aux métiers en alternance, au fonds d’amorçage ou à la prévention et la lutte contre le harcèlement à l’école.

S’agissant de la loi ESR, sur les vingt-neuf mesures prévues, sept seulement ont été prises dans un délai de six mois. Vingt-deux manquent donc à l’appel. Par ailleurs, quatre mesures non prévues ont été prises. C’est avec stupéfaction, monsieur le secrétaire d'État, que j’ai découvert dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt un amendement du Gouvernement qui, entre vaches et cochons, visait à modifier les arbitrages du Parlement sur la loi ESR !

Parmi les mesures attendues, et pour faire écho à un rapport remarqué de nos collègues Dominique Gillot et Michel Magras, je mentionnerai l’ordonnance qui devrait être prise, d’ici au 22 juillet 2014, afin de définir les nouveaux contours du système universitaire aux Antilles et en Guyane.

Par ailleurs, sur les treize rapports prévus par la loi, le Gouvernement a pris du retard pour l’un d’entre eux déjà, qui lui aussi concernait une disposition introduite par le Sénat : dans un délai de six mois après la promulgation de la loi, soit avant le 22 janvier 2014, le Gouvernement devait remettre un « rapport formulant des propositions en vue d’améliorer le mode de sélection et de formation des futurs médecins et d’élargir les origines sociales et géographiques des étudiants ». Il s’agissait de donner suite aux recommandations de nos collègues de la commission du développement durable en matière de désertification médicale.

Je ne serais pas complète si je ne mentionnais pas que deux des lois promulguées au cours de la précédente session sont entrées totalement en application au cours de l’année parlementaire 2012-2013. Il s’agit de la loi relative à la rémunération pour copie privée et de la loi tendant à faciliter l’organisation des manifestations sportives et culturelles.

De surcroît, toutes les mesures d’application de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision promulguée lors de la précédente législature sont désormais parues. Autre signe encourageant, la parution d’un décret d’application de la loi de février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs.

Enfin, le 8 juillet 2013 a été publié un décret d’application de la loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, en clair la loi HADOPI. Ce texte a supprimé la peine contraventionnelle complémentaire de suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne. C’est une inflexion notable, qui appelle néanmoins une vraie loi sur la société numérique, le partage et la rémunération de la création.

En conclusion, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle et l’application des lois, malgré une assiduité étiolée et quelques présidents de commission absents parce qu’ils sont retenus ailleurs, je salue ici votre motivation et votre sérieux pour mener à bien ce travail et élaborer chaque année le rapport.

Cependant, il nous faudra des moyens démocratiques d’alerte de nos concitoyens plus lisibles : je pense à un portail internet grand public de type Légifrance. En effet, il ressort aujourd'hui d’une lecture attentive du rapport que celui-ci est un peu le miroir de notre impuissance. Nous avons besoin de la mobilisation populaire pour exiger que les lois soient appliquées.

Je vous encourage donc, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle et l’application des lois, à utiliser la capacité d’indignation dont vous savez faire preuve pour faire savoir à Mme Fioraso que la loi agricole n’est pas le lieu pour modifier des arbitrages intervenus au Parlement.

À titre personnel, je vous invite également à signifier au Gouvernement que quatorze mois d’attente pour une loi sur les lanceurs d’alerte, afin d’éviter les conflits d’intérêts en matière sanitaire,…

Mme Nathalie Goulet. Notamment !

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. … cela sent un peu la protection des intérêts ! (Vifs applaudissements sur les travées groupe écologiste et du groupe CRC.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Teston, vice-président de la commission du développement durable.

M. Michel Teston, vice-président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mesdames, messieurs les présidents et vice-présidents de commission, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Raymond Vall, président de la commission du développement durable, qui ne peut malheureusement être présent parmi nous aujourd'hui.

Je tiens à saluer le travail de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, sous l’impulsion de son président David Assouline, qui a parfaitement synthétisé dans son rapport les différentes observations formulées par les commissions permanentes du Sénat. Ce travail est fondamental, car il revient bien au Parlement de s’assurer de la correcte mise en œuvre, par le Gouvernement, des dispositions législatives que nous votons.

C’est la deuxième fois, mes chers collègues, que la commission du développement durable dresse le bilan d’application des lois dont le suivi lui incombe.

Sur les six lois promulguées au cours de l’année parlementaire 2012-2013 dans les secteurs relevant de la compétence de la commission, deux sont issues de propositions d’origine sénatoriale : la loi du 24 avril 2013 relative à la prorogation du mécanisme de l’éco-participation répercutée à l’identique et affichée pour les équipements électriques et électroniques ménagers, issue d’une proposition de loi déposée par notre collègue Gérard Miquel, et la loi du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, issue d’une proposition de loi déposée par Marie-Christine Blandin et les membres du groupe écologiste.

Vingt-deux mesures d’application portant sur ces six lois ont été publiées entre le 1er octobre 2012 et le 31 mars 2014, dont huit décrets en Conseil d’État, sept décrets simples, cinq arrêtés et une ordonnance.

Par ailleurs, neuf mesures d’application portant sur les lois plus anciennes, c’est-à-dire promulguées avant le 1er octobre 2012, ont été publiées au cours de la même période.

Notre commission a relevé avec satisfaction que trois lois étaient devenues totalement applicables entre le 1er octobre 2012 et le 31 mars 2014, grâce à l’adoption d’une ou de plusieurs mesures d’application qui étaient attendues : la loi du 24 avril 2013 renforçant l’information des voyageurs lors de la commercialisation de titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l’Union européenne ; la loi du 15 juin 2011 visant à faciliter la mise en chantier des projets des collectivités locales d’Ile-de-France ; la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports.

Autre motif de satisfaction, aucune des lois suivies par la commission du développement durable n’était totalement inapplicable au 31 mars 2014, ce qui est certes normal, mais mérite d’être souligné compte tenu de certains errements passés.

Enfin, je mentionnerai la mise en œuvre d’une bonne pratique qui a permis d’associer efficacement le Parlement au suivi de l’application des lois. La loi du 27 décembre 2012 relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement prévoyait une ordonnance, en son article 12, pour transposer les procédures de participation du public aux collectivités territoriales et aux décisions administratives individuelles. Il fallait adapter, dans ces deux cas, les formes et le niveau d’exigence de la participation, afin de ne pas alourdir excessivement les procédures.

À l’occasion de l’examen du texte en séance publique, nous nous étions émus que la définition des règles applicables aux collectivités territoriales échappe à tout contrôle du Parlement et à tout débat avec les élus. La ministre de l’écologie d’alors, Delphine Batho, avait pris l’engagement de transmettre aux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat le projet d’ordonnance avant sa publication, afin de nous permettre de formuler d’éventuelles observations.

Cet engagement a été tenu : le projet d’ordonnance nous a bien été communiqué. Son examen a donné lieu à une communication, devant la commission du développement durable, de la rapporteur du texte, Laurence Rossignol, et à un débat sur le contenu de l’ordonnance. Les éléments soulevés à l’occasion de cette discussion ont été transmis au Gouvernement.

D’une manière générale, notre commission a noté une amélioration du taux d’application des lois promulguées. Observée depuis quelques années, la prise de conscience par les services ministériels de la nécessité d’assurer une mise en œuvre plus rapide de la législation adoptée se trouve donc confirmée.

Toutefois, plusieurs motifs d’insatisfaction demeurent.

Premièrement, sur les six lois adoptées au cours de l’année parlementaire 2012-2013 et suivies par notre commission, quatre n’étaient encore que partiellement applicables au 31 mars 2014 : la loi du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable ; la loi du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports ; la loi du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte ; enfin, la loi du 27 décembre 2012 relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement.

Notre commission déplore en particulier que, au 31 mars 2014, c’est-à-dire un an après son vote, le premier volet de la loi du 16 avril 2013, qui a créé la commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, n’ait fait l’objet d’aucune mesure réglementaire d’application.

De même, aucune des trente-sept mesures réglementaires d’application de la partie « modernisation du droit social des gens de mer » de la loi du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable, dite « loi DDADUE », n’était publiée au 31 mars 2014. Or nous avons encore en mémoire les déclarations du Gouvernement sur l’urgence qu’il y avait à moderniser ce droit social, et l’administration nous avait indiqué que les décrets étaient déjà en préparation…

Deuxièmement, près de 36 % des lois adoptées au cours des dix dernières années sont encore en attente de mesures d’application.

Troisièmement, il est regrettable de constater qu’aucun rapport sur la mise en application des lois suivies par la commission du développement durable ne lui a été transmis par le Gouvernement dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de ces textes. Le principe de cette transmission est pourtant posé par l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit.

Enfin, cette année encore, nous pouvons déplorer le retard, voire l’absence, de remise de multiples rapports d’information demandés au Gouvernement en application des dispositions législatives que nous votons. Sur les quarante-sept rapports d’information demandés au Gouvernement depuis le 1er octobre 2003 – certes, ils sont nombreux –, à peine un peu plus de la moitié nous a été remise. Au cours de l’année parlementaire 2012-2013, seuls trois rapports intéressant notre commission ont été transmis au Sénat.

Monsieur le secrétaire d’État, messieurs les présidents, mes chers collègues, comme vous le voyez, en dépit d’avancées notables, de nombreux progrès restent donc encore à faire pour respecter l’objectif consistant à prendre toutes les mesures réglementaires nécessaires dans un délai de six mois suivant la publication de chaque loi, objectif que le Gouvernement s’était assigné dans une circulaire de 2008. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la mission de contrôle de l’application des lois est importante pour la commission des finances.

Elle l’a été particulièrement en 2013, car, s’il faut reconnaître que nous sommes saisis au fond de relativement peu de textes par rapport à d’autres commissions – 18 % des lois promulguées cette année –, nous avons dû contrôler 40 % des textes d’application attendus, ce qui a représenté 190 mesures, contre 118 l’année dernière. C’est la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, dite « loi bancaire », qui explique cette augmentation.

Sur ces 190 mesures attendues, 58 % ont été prises, contre 76 % l’année dernière. L’essentiel des mesures attendues, mais qui n’ont pas été prises, se rapporte à la loi bancaire, dont le taux de mise en œuvre, monsieur le secrétaire d'État, n’est que de 20 %. S’agissant des rapports d’application des lois, seuls quatre ont été remis ; il manque notamment celui qui est relatif à la loi bancaire. Sur vingt et un rapports demandés par le Parlement, dix sont toujours en attente.

Mes chers collègues, j’en ai terminé, non pas avec mon propos,…

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Cela aurait été bien ! (Sourires.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … mais avec les chiffres.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je lis une certaine désillusion sur les visages de nos collègues ! (Nouveaux sourires.)

Sur le fond, je souhaite formuler quelques remarques.

En premier lieu, et vous le savez bien, monsieur le secrétaire d'État, vous qui avez été un parlementaire très présent dans l’hémicycle du Palais Bourbon, un gouvernement, quel qu’il soit, met peu d’empressement à faire vivre des dispositifs qui n’ont pas été adoptés sur son initiative.

Mme Nicole Bricq. Tous les gouvernements agissent ainsi !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il en va ainsi, pour ne prendre que cet exemple, de l’intégration des sacs en plastique – plus particulièrement des sacs de caisse – au régime de la taxe générale sur les activités polluantes. Nous avons d’ailleurs l’intention d’y revenir par le biais d’un amendement lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En deuxième lieu, nous avons assisté en 2013 à une innovation extraordinaire : la réintroduction par voie de circulaire – vous avez bien entendu, mes chers collègues : par voie de circulaire ! – d’une disposition de la loi de finances censurée par le Conseil constitutionnel, à savoir la prise en compte de revenus qui ne sont pas réellement perçus par le contribuable pour le calcul du plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune.

Le Conseil constitutionnel a joué son rôle et a immédiatement réagi, mais j’ai voulu mentionner cette pratique, qui se situe à l’extrême limite de ce l’on peut imaginer.

En troisième lieu, certains rapports particulièrement attendus ne sont pas remis en temps utile au Parlement, voire ne sont jamais déposés. Ainsi, le « jaune » budgétaire sur l’application de notre réseau de conventions fiscales, attendu avec le projet de loi de finances pour 2014, n’a été remis que le 4 avril dernier et ne fournit aucune explication sur le retrait de la liste des États et territoires non coopératifs de Jersey et des Bermudes. Notre excellente collègue Nicole Bricq s’en souvient fort bien, qui fut très attentive à ces sujets dans le passé.

Nous attendons toujours l’annexe au projet de loi de finances relative à la mise en œuvre par l’administration fiscale des dispositifs anti-abus – par exemple en matière de prix de transfert – et de leur application aux filiales des entreprises françaises détenues à l’étranger, censée exister depuis 2009.

Je conclurai par quelques considérations relatives à la loi bancaire, dont je disais tout à l’heure que seuls 20 % des textes d’application avaient été pris. Et je formulerai cinq remarques.

Premièrement, comment s’explique ce faible taux, qui contraste avec l’importance politique que ce texte semblait revêtir à l’époque aux yeux du Gouvernement ?

Deuxièmement, les textes sur la résolution bancaire, c’est-à-dire sur la gestion des faillites bancaires, ont été pris rapidement, il faut le reconnaître. Monsieur le secrétaire d'État, est-ce dû à la situation spécifique de Dexia et du Crédit immobilier de France ?

Troisièmement, c’est demain mardi, le 1er juillet 2014, que doit commencer le recensement des activités qui devront être filialisées au sein des groupes bancaires. Or le décret d’application n’a pas été publié.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d'État, sur quelles bases cette filialisation va-t-elle pouvoir se faire ?

Mme Nathalie Goulet. Quel suspense ! (Sourires.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Quatrièmement, nous attendons toujours le texte réglementaire relatif à la publication dès 2014 de certaines données portant sur la transparence des activités pays par pays. Ce texte avait été demandé en particulier par vos amis politiques, par vos collègues et camarades de groupe à l’Assemblée nationale… On l’attend toujours. Quand ces données seront-elles publiées ?

Cinquièmement, et enfin, la loi bancaire comportait une disposition qui préparait les banques à la collecte des informations relatives à la mise en œuvre de l’accord avec les États-Unis relatif à la loi américaine FATCA, c'est-à-dire Foreign Account Tax Compliance Act.

Mes chers collègues, si cette législation américaine prévoit que la première transmission de données aura lieu en septembre 2015, celle-ci portera sur des données collectées à compter du 30 juin 2014, c’est-à-dire aujourd’hui même. Or, à ce jour, lundi 30 juin, le projet de loi de ratification de l’accord n’a toujours pas été présenté en conseil des ministres. Il n’y a donc pas, monsieur le secrétaire d'État, de fondement juridique à la collecte de ces données.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le calendrier de ratification et sur la manière dont pourra être comblé ce vide juridique en matière de collecte des données entre le 30 juin 2014 et la date de ratification de l’accord ?

Cette question, mes chers collègues, n’est pas purement formelle ; elle est hautement politique. (Mmes Nicole Bricq et Nathalie Goulet approuvent.) Je me permets de le souligner. On ne peut pas ne pas appliquer FATCA en raison du risque de retrait de leur licence américaine aux banques françaises. Chacun le comprend, avec la décision qu’attendait aujourd’hui BNP Paribas et que je persiste, à titre personnel, à considérer comme tout à fait scandaleuse.

Mme Nathalie Goulet. Un hold-up !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Toutefois, dans le contexte de ce contentieux, on peut se poser la question : est-ce vraiment le moment, monsieur le secrétaire d'État, de donner tout ce qu’ils veulent aux États-Unis, alors que ce pays se comporte comme s’il avait engagé ce que j’appellerai une guerre monétaire ?

Dès lors qu’ils peuvent imprimer et émettre autant de dollars américains qu’ils veulent, seule véritable monnaie de transaction dans le monde, ce pouvoir monétaire, cette suprématie des États-Unis doit-elle – peut-elle – être détournée à des fins de politique internationale et pour servir la puissance de ce pays, fût-il le plus puissant du monde ? Est-ce concevable, est-ce convenable ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mes chers collègues, je pourrais vous dire que 92 % des lois promulguées au cours de la période de référence sont devenues applicables. Toutefois, bien entendu, ce pourcentage, comme bien d’autres, ne signifie à peu près rien. Pourquoi ? Parce que ces quatorze lois ne comportaient en tout que douze mesures d’application.

En revanche, ce qui a une signification, c’est l’importante charge de travail de la commission des lois. En effet, quoique certains des textes que nous avons examinés n’aient pas été promulgués au cours de la période de référence, si nous comptabilisons toutes les situations possibles, notre commission a examiné au cours de celle-ci 41 textes et produit 27 avis, dont 21 avis budgétaires.

Notre charge de travail est donc importante, mais nous ne nous en plaignons pas compte tenu de l’intérêt que nous prenons à notre tâche.

Mes chers collègues, plutôt que de vous faire un exposé exhaustif sur cette question, j’ai choisi, avec l’approbation de la commission, de ne traiter qu’un seul sujet, à savoir la mise en œuvre de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, un texte important.

Le premier point que je voulais aborder devant vous, parce que ce sont des problèmes extrêmement concrets, est relatif à la célébration d’un mariage entre un Français et un ressortissant d’un pays n’autorisant pas le mariage des personnes de même sexe et lié à la France par une convention bilatérale. Ce point a sans doute constitué la principale difficulté rencontrée au lendemain de l’adoption de cette importante loi.

Afin de garantir le droit de se marier à tout Français, y compris lorsque son futur conjoint est ressortissant d’un État qui ne reconnaît pas le mariage entre personnes de même sexe, la loi a introduit une nouvelle règle de conflit de lois – il s’agit de l’article 202-1, alinéa 2, du code civil – permettant d’écarter la loi personnelle de l’un des futurs époux qui n’autoriserait pas l’union entre personnes de même sexe.

Cependant, cette règle de conflit de lois peut être mise en échec, mes chers collègues, par application du principe de hiérarchie des normes. En effet, comme le rappelle la circulaire du 29 mai 2013, le deuxième alinéa de l’article 202-1 du code civil ne pourrait s’appliquer aux ressortissants des pays avec lesquels la France est liée par des conventions bilatérales qui prévoient que la loi applicable aux conditions de fond du mariage est la loi personnelle de chacun des époux.

Dans la dépêche du 1er août 2013 diffusée aux procureurs généraux, le ministère de la justice a précisé qu’une distinction pouvait être établie entre les conventions renvoyant expressément à la loi nationale de chacun des époux, qui ne pourraient être écartées, et celles qui ne visent que la situation des ressortissants français, qui pourraient donner lieu à une interprétation plus souple. Cette analyse a permis que soit envisagée favorablement la célébration des mariages concernant les ressortissants du Laos, du Cambodge, de l’Algérie et de la Tunisie.

C’est dans ce contexte que sont intervenues les premières décisions judiciaires sur ce sujet.

Le tribunal de grande instance de Chambéry a jugé, le 11 octobre 2013, que le droit au mariage pour les personnes de même sexe faisait désormais partie de l’ordre public international français, qui permet au juge d’écarter l’application d’une loi étrangère incompatible avec les valeurs et les droits fondamentaux français, malgré l’existence d’une convention internationale contraire à laquelle la France est partie.

Il a ainsi écarté l’application de l’article 5 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire, qui prévoit que les conditions de fond du mariage doivent être appréciées au regard de la loi personnelle de chacun des époux, la législation marocaine interdisant le mariage des personnes de même sexe.

La cour d’appel de Chambéry a confirmé ce jugement dans un arrêt du 22 octobre 2013. Elle a considéré qu’il convenait d’écarter l’application de la convention franco-marocaine au profit des principes supérieurs du nouvel ordre public international, instaurés par la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

Cette jurisprudence semble aller plus loin que l’interprétation de la règle de conflit de lois développée dans la dépêche du 1er août 2013. Cependant, sur l’initiative du parquet général, cette décision fait l’objet d’un pourvoi en cassation, dont on peut espérer que l’issue permettra de fixer la jurisprudence sur cette question.

J’appelle donc l’attention sur un problème très délicat : même si la loi française écarte l’application d’une loi étrangère, certains traités et conventions internationales sont en vigueur sur notre sol, ce qui crée un risque de conflit entre deux ordres de légalité.

La seconde question que je voudrais soulever concerne l’adoption par les couples de personnes de même sexe.

En effet, comme vous le savez, mes chers collègues, l’adoption est désormais ouverte sous toutes ses formes, dans les conditions prévues par le titre VIII du code civil, à tous les couples mariés, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels.

À ce jour, les seuls cas d’adoption dont ont eu à connaître les tribunaux concernent des hypothèses d’adoption de l’enfant du conjoint, le cas de figure le plus fréquent étant celui d’une femme se rendant à l’étranger pour faire l’objet d’une insémination artificielle, sa conjointe sollicitant ensuite des juridictions françaises l’adoption de l’enfant.

Ces questions relèvent de l’appréciation des tribunaux, le juge restant seul compétent pour décider d’une adoption, qui, selon l’article 353 du code civil, ne peut être prononcée que si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant.

Le tribunal de grande instance de Lille, en application de la loi du 17 mai 2013, a été la première juridiction française à autoriser par jugement en date du 14 octobre 2013 l’adoption en la forme plénière par une épouse des deux enfants de sa conjointe. Depuis lors, d’autres juridictions ont suivi cet exemple, en particulier celles de Toulouse et de Limoges.

Toutefois, le premier refus d’adoption a été prononcé tout récemment par le tribunal de grande instance de Versailles. Dans une décision du 30 avril 2014, au motif de fraude à la loi, cette juridiction a en effet refusé l’adoption par l’épouse de sa mère d’un enfant conçu selon un protocole d’assistance médicale à la procréation réalisé en Belgique.

Il y a là un véritable problème, d’autant que, si l’on se fonde sur les jugements rendus sur des cas semblables, l’analyse du tribunal de Versailles ne semble pas être partagée par la majorité des juges.

En effet, contrairement à la gestation pour autrui, l’assistance médicale à la procréation ne fait pas l’objet d’une prohibition d’ordre public. Le seul fait de recourir à l’assistance médicale à la procréation à l’étranger ne serait donc pas contraire à un principe essentiel du droit français et ne constituerait pas, en soi, une fraude à la loi susceptible de fonder le refus d’une adoption par le conjoint.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je termine, madame la présidente.

Au demeurant, rien ne permet de savoir qu’un enfant est issu d’une assistance médicale à la procréation et encore moins d’une assistance médicale à la procréation réalisée à l’étranger, aucune mention ne figurant à cet égard sur son acte d’état civil. Si un tribunal de grande instance s’oppose à l’adoption sur ce fondement, c’est que les parents l’ont indiqué au cours de la procédure.

J’ai choisi ces exemples, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour montrer que l’application de la loi est aussi soumise à des décisions de justice qui peuvent être contradictoires entre elles et auxquelles nous devons également prêter attention. Si ce n’est là qu’un aspect du vaste problème de l’application de la loi, il est loin d’être négligeable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre discussion de cette après-midi a le mérite de porter au cœur du débat public cette question de l’application des lois.

Si la démocratie passe par le vote de la loi par les représentants du peuple siégeant au Parlement, il n’y a pas de démocratie effective sans mise en application des lois votées.

C’est dire l’importance des travaux de la commission présidée par notre collègue David Assouline, et c’est la raison pour laquelle, en tant que présidente du groupe CRC, j’ai tenu à être présente cette après-midi.

Du débat de l’année dernière, il était ressorti que le taux de mise en application des lois de la session ordinaire s’élevait à 65 %. Ce taux était alors en progression de 20 % par rapport à l’année précédente. Comme cela a été relevé, il n’a pas évolué depuis lors. Le rapport semble indiquer une progression sur la XIVe législature, avec 88 % de lois mises en application, mais ce chiffre devra être confirmé par le prochain rapport.

Comme l’a dit notre collègue David Assouline, le seul taux d’application dont on pourrait se satisfaire est évidemment celui de 100 %, selon un principe simple : toute loi votée doit être appliquée.

La question de l’application des lois est en lien direct avec le principe démocratique. C’est d’autant plus vrai que l’on constate que le taux d’application des lois d’initiative parlementaire est plus faible que celui des lois d’initiative gouvernementale et que ce taux diminue encore quand l’initiative appartient au Sénat ! Ainsi, la non-application des lois revient à ne pas reconnaître les droits du Parlement et constitue aussi une manière pour les gouvernements de récupérer la main.

Ce phénomène malmène a fortiori les droits des groupes parlementaires qui n’appartiennent pas à la majorité, car, pour valoriser leurs initiatives, ils ne disposent que des espaces dédiés aux propositions de loi. Ces dernières, en plus d’être rares, peuvent être qualifiées d’inutiles si elles ne sont jamais traduites sous forme de décrets !

En ce qui concerne les rapports que le Gouvernement doit remettre au Parlement aux termes de la loi, malheureusement, là encore, la situation n’a pas changé : elle reste affligeante, puisque la remise de ces rapports n’intervient que rarement. Ils sont pourtant utiles, car ils permettent au Parlement d’exercer un contrôle sur l’action du Gouvernement.

Quant aux études d’impact,…

Mme Éliane Assassi. … les fameuses études d’impact, elles sont une obligation constitutionnelle, je le rappelle, et elles doivent figurer en annexe de chaque projet de loi, aux fins de permettre d’apprécier les conséquences concrètes de ces textes et de mesurer leur impact financier.

Grâce à ces études, il est possible de contrôler l’effectivité des textes législatifs, en mettant en relation les lois et les moyens qui leur sont alloués. Pour autant, on peut le constater, elles sont rarement complètes, quand elles ne sont pas erronées, et elles sont trop souvent considérées comme facultatives.

Plus largement, je pense que l’effectivité réelle des lois dépend étroitement des conditions dans lesquelles celles-ci sont présentées et adoptées.

Je voudrais ici revenir sur un point souligné par ce rapport : la procédure accélérée ne favorise nullement une entrée en vigueur plus rapide des textes de loi, pas plus qu’elle n’accroît le nombre de textes appliqués.

Plus encore, cette procédure nuit à la qualité des textes et ne sert que trop souvent des objectifs politiques, qu’il s’agisse d’éviter les deux lectures par les assemblées ou bien de réaliser un gain de temps sur un calendrier trop rempli ; en effet, et cela non plus n’a pas changé, nous continuons de faire face à une avalanche de textes qui peinent à trouver leur place dans un calendrier chargé ; d’où l’ouverture de sessions qui n’ont plus d’extraordinaires que le nom.

Pourtant, il est une exigence essentielle : celle de stabilité, de sécurité et de lisibilité de la loi pour les citoyens.

Notre législation est sur bien des points devenue peu lisible. Cette avalanche des textes, quand ceux-ci entrent en vigueur, compromet ensuite la capacité des magistrats à appliquer la loi. Cette situation met également en cause le principe de l’égalité des concitoyens devant une loi qu’ils sont censés connaître.

Mes chers collègues, le contrôle de l’application des lois est donc une question importante, puisqu’elle sous-tend l’effectivité des principes démocratiques et constitutionnels de notre République. À ce titre, je tiens à remercier notre collègue David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, de tout le travail qu’il entreprend, avec, disons-le, une certaine ténacité.

Pour autant, il me semble que beaucoup reste à faire, et je ne puis qu’appeler le Gouvernement à, enfin, écouter cette commission et à prendre en compte les conclusions de ce rapport pour améliorer l’application des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’appréciation des lois. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ennui vient de l’uniformité !

M. Daniel Reiner. « L’ennui naquit un jour de l’uniformité. »

Mme Nathalie Goulet. Tout à fait. Je vous remercie, cher collègue.

Le bilan annuel de l’application des lois, c’est un peu comme le patinage artistique sur France 2 un dimanche après-midi : il y a les figures obligées et les figures libres ; donc, après les figures imposées exécutées par les présidentes et présidents des commissions, place maintenant aux figures libres ! (Sourires.)

Si le rapport annuel de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois est riche et dense, surtout dans sa deuxième partie, je remarque tout d’abord qu’il est entaché des vices mêmes qu’il dénonce, puisqu’il nous est parvenu seulement le 26 juin dernier, ce qui est un peu tard pour préparer efficacement les débats…

En fait, le problème fondamental est que cette commission semble faire double emploi avec les commissions permanentes. Le premier alinéa de l’article 22 de notre règlement est formel sur ce point : le suivi de l’application des lois est une compétence des commissions permanentes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les présidentes et des présidents des commissions permanentes sont toutes et tous venus nous exposer leur avis.

Dès lors, pourquoi nous encombrer de ce chapitre X bis de l’instruction générale du Bureau pour donner un semblant de légitimité à cette commission ? Je crois que nous serions bien avisés de revoir l’existence de cet article et, par là même, de cette commission. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Souffrez, chers collègues, que j’use de mon droit de parole !

D’ailleurs, puisque nous parlons de commissions et de délégations, je ferai remarquer que le président du Sénat s’est opposé à une demande émanant de l’ensemble des membres de la commission chargée d’examiner les problèmes d’évasion fiscale, sur l’initiative de notre excellent rapporteur Éric Bocquet, de création d’une délégation permanente pour suivre les problèmes d’évasion et de fraude fiscales.

Quoi qu’il en soit, depuis un an, le Gouvernement nous sollicite régulièrement pour l’habiliter à prendre des ordonnances de simplification des normes réglementaires. J’ai d’ailleurs le bonheur et le privilège de représenter un département, l’Orne, qui est présidé par Alain Lambert, lequel nous parle tous les jours de l’avalanche de normes qui nous accable. Nous nous trouvons donc dans une situation assez singulière, où, d’un côté, on veut supprimer des normes, et où, de l’autre, celles qui sont nécessaires ne sont pas appliquées.

Tous ces problèmes me semblent liés à deux questions fondamentales : celle de la qualité de la loi et celle de son application effective.

Je commencerai par la question de la qualité de la loi. C’est un sujet qui est cher à l’excellent président de la commission des lois, notre collègue Jean-Pierre Sueur, qui vient d’ailleurs de présider un colloque sur l’écriture de la loi ; le Conseil constitutionnel nous rappelle aussi très souvent les conditions à respecter pour que la loi soit de bonne qualité.

Néanmoins, tout cela ne nous empêche pas de sombrer dans de véritables naufrages législatifs. À titre d’exemple, j’évoquerai le récent texte sur l’aide au développement, qui n’avait de loi que le nom et qui, si notre commission des affaires étrangères ne s’en était pas mêlée, aurait été un texte exclusivement bavard, aucunement normatif et sans le moindre intérêt, sauf à transformer notre assemblée en relais inefficace de mère Térésa. (Mme Corinne Bouchoux sourit.)

Je le dis avec d’autant plus de conviction qu’il a fallu se battre en commission mixte paritaire pour maintenir les procédures d’évaluation qui avaient été demandées par notre commission et que le Sénat avait adoptées. Le problème de la rédaction de la loi revêt donc une grande importance.

J’en viens maintenant au problème de l’application de la loi.

Entre 2012 et 2013, sur les trente lois qui ont été promulguées, cinq décrets d’application sont au point mort, notamment celui qui porte sur l’interdiction du Bisphénol A dans les produits alimentaires – nous en avons parlé tout à l’heure. Le problème, nous dit-on, est qu’il n’est pas conforme aux réglementations européennes. Certes, mais, en attendant, il crée un problème sanitaire !

Près de 11 % des mesures réglementaires de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 n’ont toujours pas été prises, alors que nous allons peut-être aborder le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative pour l’année 2014.

Nous constatons le même phénomène en matière de lois de finances, puisque sept mesures d’application du collectif de décembre 2012 ne sont jamais sorties, notamment les dispositions réglementaires concernant la traçabilité du tabac, un sujet pourtant relativement important, et je ne parle pas de la réforme essentielle des lanceurs d’alerte.

Sur cette question, non seulement notre réglementation est éparse, non seulement nous n’avons pas de définition précise du lanceur d’alerte, non seulement le dispositif n’est pas efficace, puisque certains lanceurs d’alerte viennent encore d’être licenciés, mais les décrets d’application ne paraissent pas.

Avant de terminer, madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais vous parler de l’action de groupe, que nous avons eu beaucoup de difficulté à imposer.

En tant que vice-présidente de la commission commune d’information sur le Mediator, j’estime que cette action de groupe permettrait tout de même de faciliter un certain nombre de procédures pour ceux qui n’ont pas les moyens de poursuivre individuellement des groupes, notamment pharmaceutiques, car les victimes, vous le savez, rencontrent des difficultés en raison du coût de la justice.

Mes chers collègues, chacun vient ici apporter son petit lot de lamentations liées à ses propres préoccupations. Toutefois, très franchement, cette action de groupe doit, enfin, pouvoir être intégrée à notre droit positif.

J’en viens à la question des conventions internationales. Celle-ci se pose à la marge. Toutefois, ceux qui ont siégé à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le savent parfaitement, le prestige et la reconnaissance de la France dans les institutions internationales supposent, outre de donner des leçons et d’illuminer la planète, de respecter les conventions internationales. Si nous ne les ratifions pas, cela soulève des problèmes !

Or certaines conventions sont dans les limbes entre l’Assemblée nationale et le Sénat, voire entre le Quai des brumes et chacune des deux chambres du Parlement depuis plus de onze ans ! À ce propos, je suis en possession d’une liste, et si vous êtes intéressés, mes chers collègues, je pourrai vous la communiquer.

Pour conclure, je dirai que, parfois, quand les parlementaires demandent des rapports, ils savent très bien pourquoi ils le font.

Monsieur le secrétaire d’État, vous qui avez été parlementaire, vous n’ignorez pas que, depuis 2007, je me bats pour résoudre le problème totalement inintéressant des ambassadeurs thématiques, au sujet duquel nous n’avons toujours pas obtenu le rapport que nous appelons de nos vœux. Non seulement le coût de ce dispositif nous est inconnu, mais les nominations continuent. Nous nous heurtons donc toujours au phénomène permanent du recyclage des amis en mal d’exotisme, des obligés alimentaires de la République dont notre pays ne peut plus supporter le coût.

En revanche, comme l’a mentionné M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, votre collègue Jean-Yves Le Drian a remis à la commission des affaires étrangères un rapport sur la mise en place de la loi de programmation militaire.

Ce rapport est remarquable et tout à fait utile à nos travaux. Nous pourrons ainsi suivre, je l’espère, la progression de l’application de cette loi, en évitant les gels et les surgels dont nous pouvons éventuellement craindre qu’ils ne l’affectent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer ici le travail accompli cette année par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Je tiens également à féliciter son président, David Assouline, qui s’est investi avec force et rigueur dans cette instance depuis sa création. Je veux, enfin, remercier tous les membres de la commission qui œuvrent pour la faire vivre et rendre des rapports qui, je le crois, contribuent à une meilleure application de nos lois.

Le Sénat ne peut considérer son rôle achevé une fois la loi votée. Il doit veiller à la réelle application de la loi, et ensuite, le cas échéant, vérifier les conditions d’application de celle-ci. Nous pouvons tous être d’accord sur ces principes.

Dès 1971, le Sénat s’est doté d’un outil informatique – la base « APLEG » –, qui permet aux commissions permanentes de recenser, au fur et à mesure de leur parution, les décrets et les rapports d’application des lois dont elles ont assuré la préparation.

En 2011, le Sénat a décidé d’aller encore plus loin en mettant en place cette commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, entièrement dédiée à sa mission.

Je tiens d’ailleurs à souligner que nous faisons figure d’exception en Europe, avec le Royaume-Uni, qui a lui aussi mis en place une commission ad hoc commune aux deux chambres. En règle générale, le contrôle de l’application des lois est réalisé par les commissions permanentes, l’administration ou encore le Gouvernement.

Mesurons donc la portée symbolique et institutionnelle de la création en France de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Nous pouvons en être collectivement fiers. D’ailleurs, j’espère – j’en suis même certain – que cette commission perdurera après le renouvellement de septembre prochain.

Mme Nathalie Goulet. Inch'Allah !

M. Philippe Kaltenbach. J’ai compris que Mme Goulet y était opposée, mais elle devrait assez être isolée sur ce point.

Pourtant, je tiens à le rappeler ici, lorsque cette commission a été créée, nombreux étaient les sceptiques. Aujourd’hui, son utilité ne fait plus aucun doute et son action est reconnue. La commission entend contribuer à l’émergence au Sénat d’une véritable « culture du contrôle et de l’évaluation ».

Les sénateurs socialistes considèrent que la bonne mise en application des lois est essentielle pour notre démocratie, afin de redonner à nos concitoyens confiance dans l’activité législative du Parlement et dans notre système politique.

La loi représente la première condition de l’égalité républicaine. De fait, si elle n’est pas appliquée, faute de décrets, faute de moyens, alors le lien qui unit les Français se délite et le discrédit à l’égard de la politique croît. C’est pour cela que le Sénat ne peut plus se contenter de voter la loi : il doit exercer un contrôle sur la manière dont les lois sont appliquées.

Le rapport annuel qui nous a été présenté montre une évolution positive si l’on se fonde sur l’analyse quantitative. En effet, le taux de mise en application des mesures législatives de la session atteint 65 %. À titre indicatif, les taux observés jusqu’en 2009-2010 étaient très faibles : entre 10 % et 35 %.

La progression est donc significative, et les premières statistiques disponibles confirment cette orientation positive pour l’actuelle XIVe législature, dont 88 % des lois font déjà l’objet d’une mise en application partielle ou totale.

La mise en application des lois est une priorité forte du Gouvernement depuis le début du quinquennat. Dès son entrée en fonction, Jean-Marc Ayrault avait confirmé à l’époque l’objectif fixé de faire paraître les décrets d’application de toutes les lois nouvelles dans un délai maximum de six mois. Cet engagement a été repris par le nouveau Premier ministre.

Il faut le rappeler, telle ne fut pas le cas sous la précédente majorité. Je prendrai un seul exemple, celui de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Les premiers décrets d’application sont intervenus un an après l’adoption du texte par le Parlement et se sont par la suite échelonnés sur toute la durée de la fin du quinquennat. Ils n’avaient pas tous été pris en 2012.

La garde des sceaux, Christiane Taubira, qui était présente dans cet hémicycle jeudi dernier, rappelait à cette occasion que, en mai 2012, deux décrets de cette loi n’avaient toujours pas été pris. Comme l’avait d’ailleurs souligné le rapport de notre collègue Jean-René Lecerf, l’insuffisance de moyens, l’inertie administrative, le manque de volonté politique ont été autant de raisons pour lesquelles cette loi n’a pas été à la mesure des espoirs qu’elle avait pu soulever. Il a donc fallu attendre un nouveau garde des sceaux, Mme Taubira, pour que tous les décrets puissent enfin être pris.

Cet exemple n’est malheureusement pas unique. À partir de juin 2012, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a dû mettre en application un certain nombre de lois héritées de la majorité précédente. J’ai donc été très heureux que notre actuel secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, réitère l’engagement du Gouvernement quant à la bonne application des lois, lors de son audition par la commission sénatoriale.

Je profite d’ailleurs de cette occasion pour répondre à une attaque que je qualifierai de quelque peu sournoise : certains voudraient nous faire croire que la multiplication des amendements votés en séance, au Sénat ou à l’Assemblée nationale, entraînerait une avalanche de demandes de textes réglementaires, et que ce sont les amendements votés par les parlementaires qui seraient responsables de l’allongement des délais pour la prise des décrets.

Il ne faut pas chercher de mauvaises excuses, me semble-t-il. Le pouvoir d’amender fait partie des droits et prérogatives des parlementaires. C’est indispensable, d’autant que nous n’avons pas beaucoup de possibilités, il faut bien le dire, de faire évoluer les lois. Nous utilisons donc cette faculté d’amender, qui nécessite parfois des décrets, mais je crois que c’est au Gouvernement de tenir compte de ce que vote le Parlement et de prendre les décrets dans les délais qui s’imposent.

J’ai noté, dans le rapport présenté par David Assouline, deux données sur lesquelles il convient de mettre un accent particulier.

Je citerai tout d’abord les taux et délais de mise en application des textes issus de l’initiative parlementaire qui, cela a été dit à plusieurs reprises à cette tribune, sont pour le moins nettement inférieurs à ceux des textes issus du Gouvernement, bien que la réforme constitutionnelle de 2008 ait permis de saines évolutions.

Par ailleurs, et je le note aussi avec beaucoup de regret, le fait que les textes issus du Sénat soient traités de manière moins favorable que ceux qui sont issus de l’Assemblée nationale n’est pas acceptable. Y aurait-il une discrimination à l’encontre du Sénat ? Je ne veux pas le croire, bien sûr.

D’ailleurs, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, lors de l’audition précitée, nous a rassurés, car il a jugé qu’une telle différence était inacceptable. Néanmoins, même si nous avons l’appui du Gouvernement, c’est à nous, sénateurs, de demeurer extrêmement vigilants.

Contrôler l’application des lois, ce n’est pas simplement une affaire de comptabilité, même si cette dernière est indispensable : il faut en effet tenir le décompte des décrets pris et de ceux qui font défaut. Toutefois, le plus important, c’est l’évaluation.

M. Philippe Kaltenbach. Le travail réalisé par la commission que préside David Assouline est à cet égard remarquable, puisqu’un nombre important de rapports est rendu régulièrement, ces rapports étant confiés chaque fois à un binôme de rapporteurs de sensibilités politiques différentes. Le point de vue adopté est donc élargi et confère plus d’impartialité à ces rapports.

L’objectif est de préparer et de faciliter le travail législatif du Sénat, en lui fournissant des bilans sur l’application de législations en vigueur, notamment celle que le Gouvernement se propose de modifier. J’ai ainsi été rapporteur, avec ma collègue Muguette Dini, sur l’application des dispositions de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie relative à la création de l’auto-entrepreneur. D’ailleurs, le rapport que nous avons rendu a permis, je le crois, une évolution du texte de Mme Pinel : à l’origine défavorable à l’auto-entrepreneur, il a évolué dans un sens plus équilibré.

Actuellement, je travaille avec Jacqueline Gourault sur l’évaluation des dispositions législatives récentes sur la lutte contre la précarité dans la fonction publique et l’intégration des contractuels. Ces rapports ont pour objet de faire le point sur les évolutions législatives et de proposer des recommandations.

Vous le constatez, la commission a adopté une approche résolument qualitative. En effet, l’inapplication de la loi peut aussi résulter de dispositifs mal adaptés, trop ambitieux ou dont les effets n’avaient pas été convenablement anticipés au moment de leur élaboration.

De nombreuses questions se posent. Les moyens nécessaires ont-ils été déployés ? La loi a-t-elle répondu aux attentes qui justifiaient son adoption ? Faut-il aujourd’hui l’abroger, la modifier, et si tel est le cas, dans quelle direction ? Le nombre de ces interrogations est tel que l’enjeu du « mieux légiférer » fait aujourd’hui l’objet d’une prise de conscience croissante de la part de l’ensemble des sénateurs, et je l’espère au-delà.

À ce propos, je me félicite de constater que cette prise de conscience est aussi valable en ce qui concerne l’amélioration des normes des collectivités territoriales. En effet, le 17 octobre dernier, un Conseil national en charge de l’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements a été créé, sur l’initiative du Sénat.

Je tiens à saluer le travail de nos collègues Jean-Pierre Sueur et Jacqueline Gourault, qui avaient déjà déposé une proposition de loi en ce sens en décembre 2012. C’est une très bonne nouvelle, pour résoudre le problème de l’excès de normes, du point de vue aussi bien du volume que de leur complexité, et elle était particulièrement attendue par les maires et les élus locaux.

Pour conclure, je souhaiterais vous dire, mes chers collègues, qu’il est aujourd’hui indispensable de développer des bases de données ouvertes, ce que l’on appelle des open data, pour que l’information soit accessible à tous. Cette évolution va dans le sens souhaité par la commission : permettre à tous, citoyens, associations, de suivre les travaux parlementaires et gouvernementaux.

Nous le savons, aujourd’hui, certains sites recensent notre activité et sont régulièrement consultés. Il ne serait pas illogique que la publication des textes d’application fasse l’objet de la même vigilance citoyenne. Cette innovation pourrait compléter efficacement le travail de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

L’ouverture de l’accès à ces données améliorerait la transparence, renforcerait le contrôle exercé par nos concitoyens et favoriserait leur mobilisation. J’encourage donc le Gouvernement à s’inscrire dans cette dynamique le plus rapidement possible.

Monsieur le secrétaire d’État, pour paraphraser Montesquieu, « les décrets oubliés affaiblissent les lois nécessaires ». Nous comptons sur vous et sur l’ensemble de vos collègues du Gouvernement pour garantir que les lois adoptées par le Parlement entrent bien en application, puis pour tenir compte de l’évaluation législative assurée par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les présidents de commission, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mes chers collègues, les chiffres essentiels ont tous été cités, les remarques pertinentes ont toutes été formulées.

Aussi, je consacrerai les minutes qui me sont imparties à quelques remarques que d’aucuns jugeront peut-être quelque peu iconoclastes. Mon propos viendra appuyer ce que Mme Blandin a dit précédemment sur « le miroir de notre impuissance ».

Nous travaillons énormément : cumulées, nos heures de travail représentent un volume tout à fait colossal. Nous votons nombre de lois et d’amendements. Toutefois, ce constat a été rappelé, seuls 24 % des amendements d’origine sénatoriale sont suivis d’effet. Qu’est-ce que cela signifie ? Que seul un quart de nos amendements a une portée effective !

Prenons l’exemple d’un rapport récemment publié par la commission pour le contrôle de l’application des lois, au sujet de la loi Morin, relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Ce document a été suivi d’effet, puisque la loi de programmation militaire a permis de corriger un aspect de ce texte, qui semblait particulièrement contre-productif. Or, six mois après la modification législative censée améliorer la situation, qui fait doublement écho au travail sénatorial, il ne s’est toujours rien passé ! Les associations de victimes désespèrent de voir un jour une évolution se dessiner.

Au reste, un membre très compétent du cabinet du ministre de la défense me l’a dit en toute franchise : « Nous avons modifié la loi, mais il ne faut pas ouvrir la boîte de Pandore. » Cette réflexion résume assez bien le travail réalisé par le Sénat !

Mes chers collègues, la question n’est pas : « Les lois que nous votons sont-elles efficaces ou non ? », mais tout simplement : « Le travail accompli par la Haute Assemblée est-il utile ou non ? »

À cet égard, je tiens à signaler que les rapports rédigés par notre commission pour le contrôle de l’application des lois sont invoqués de manière extrêmement intéressante par les universités : un certain nombre d’universitaires en déduisent que notre institution ne sert plus à rien. Cette vision mérite, à mes yeux, d’être prise en compte ! (Exclamations.)

En lisant le rapport de cette année, on constate que, dans la moitié des cas, notre travail reste inutile, et que, dans l’autre moitié, une fois sur deux les textes législatifs ne sont pas complétés des décrets d’application nécessaires.

Regardons en face la réalité de notre pays, aujourd’hui : le chômage peine à baisser ; les Français sont les champions du monde pour la consommation des antidépresseurs ; et, en cette fin d’après-midi, tout le monde n’a qu’une hâte, dans cet hémicycle, c’est d’aller regarder le match de football, avec l’espoir que la France gagnera et qu’un miracle s’ensuivra, permettant de remonter le moral des uns et des autres ! (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Notre collègue n’aime donc pas le football ? (Sourires.)

Mme Corinne Bouchoux. Le travail de cette commission est utile, dans la mesure où il permet de réunir des sénateurs appartenant aux diverses commissions permanentes. Le Sénat travaille en silo. Les commissions agissent chacune de leur côté. Ce travail en commun nous permet de constater combien les problèmes sont complexes, combien la transversalité est essentielle.

Je tiens également à saluer l’énergie avec laquelle M. Assouline conduit les travaux de cette commission, qui, je le répète, est intéressante par ses méthodes de travail. Elle repose sur l’échange des expériences, elle traduit les interrogations sur l’utilité et sur le sens de notre action.

Néanmoins, lorsqu’on regarde l’année écoulée avec des lunettes écologistes, on ne peut qu’être désappointé, pour ne pas dire très déçu, par les textes appliqués.

La lenteur avec laquelle les textes sur les lanceurs d’alerte sont entrés en vigueur a été, pour nous, une déception extrême. Les décrets d’application viennent tout juste d’être publiés !

Bref, le bilan de l’année est à tout le moins en demi-teinte. Malgré tout, nous aimerions y voir une promesse pour l’avenir. Nous espérons que les points de vue que nous avons défendus, les idéaux auxquels nous croyons et l’ensemble de nos initiatives seront un peu mieux pris en compte.

Nous en sommes persuadés, le travail de cette commission sénatoriale est tout à fait représentatif de la crise que traverse actuellement notre régime politique. Le Parlement peine à se faire entendre. Sauf à se rouler par terre et à menacer de ne pas voter le budget, les parlementaires n’existent pas !

Mme Corinne Bouchoux. Le sort réservé à ces travaux, de grande qualité, illustre les limites du système actuel. Aussi appelons-nous de nos vœux une réflexion collective quant à l’évolution de la Ve République. Nous espérons que les conclusions formulées par les divers présidents de commission seront entendues. Que l’on passe de l’impuissance à l’efficacité : c’est tout ce que nous attendons ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Christophe-André Frassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre mission d’évaluation des politiques publiques est indispensable. Évaluer le pouvoir exécutif, c’est le contrôler. Il s’agit d’assurer le respect d’un principe fondateur de notre République démocratique : la séparation équilibrée des pouvoirs.

Ainsi, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, je ne peux que me réjouir du travail que vous avez mené. Je reconnais son utilité, même si plus d’objectivité et de neutralité eussent été appréciables. (M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois manifeste son étonnement.)

Quoi qu’il en soit, vos travaux visent à atteindre l’objectif d’amélioration de nos institutions, en mettant en exergue les dysfonctionnements qu’il convient de corriger. Cet objectif est atteint !

Votre rapport pointe plusieurs obstructions gouvernementales ayant pour effet de restreindre les prérogatives parlementaires, d’affaiblir la qualité du travail législatif et de porter atteinte aux droits de nos concitoyens.

Nous ne pouvons tolérer de telles entraves. Nous devons, ensemble, contraindre le Gouvernement à respecter ses obligations constitutionnelles. Nous devons en particulier disposer du temps suffisant pour analyser les textes qui nous sont soumis et les conséquences qu’ils emportent, en bénéficiant de l’ensemble des données existantes, afin que le travail législatif soit respecté.

Pour ma part, j’ai relevé trois catégories de problèmes qu’il faut résoudre de toute urgence, que l’on appartienne ou non à l’opposition d'ailleurs, afin de rétablir l’équilibre de nos institutions démocratiques.

Premièrement, nos droits et nos devoirs de parlementaires sont trop souvent limités. Ce n’est pas tolérable.

Chers collègues de la majorité, vous dénonciez, sous la précédente législature, l’usage excessif de la procédure accélérée. Nous constatons que, sitôt au pouvoir, vous poussez plus loin encore dans cette voie, malgré vos critiques d’autrefois !

De plus, les auteurs du rapport précisent que cette procédure est trop souvent actionnée à mauvais escient. En effet, si le Gouvernement invoque fréquemment l’urgence, il semble que cet impératif disparaisse sitôt le vote passé : on déplore un retard considérable dans la parution des décrets d’application.

J’ai pointé cette incohérence au sujet de la loi du 22 juillet 2013, relative à la représentation des Français établis hors de France. Les décrets d’application de ce texte sont parus huit mois après son adoption, et, surtout – c’est là le plus grave –, six jours avant le délai limite du dépôt des candidatures pour les élections consulaires découlant de cette réforme.

De surcroît, les atteintes portées par le Gouvernement au travail parlementaire se traduisent par la médiocrité des documents qui sont mis à notre disposition.

Certes, le Parlement demande sans doute un trop grand nombre de rapports, mais la qualité de ces documents ne doit pas pour autant en être affectée ! Il en va de même des études d’impact, qui conditionnent le déroulement de nos travaux. À cet égard, je citerai un autre exemple frappant : l’étude d’impact de la prochaine réforme territoriale, dont le contenu est insignifiant et qui n’apporte aucune donnée concrète quant aux effets réels du projet gouvernemental…

Dans ces conditions, comment pouvons-nous prendre position ? Comment pouvons-nous juger du bien-fondé d’une telle réforme, aux objectifs emblématiques, lorsque ses conséquences, faute d’être évaluées, restent inconnues ? Surtout, monsieur le secrétaire d’État, comment le Gouvernement lui-même peut-il être convaincu de son effectivité ? Ce flou complet nous prive des moyens de construire un cadre légal solide et cohérent. Notre droit d’évaluer l’action du Gouvernement s’en trouve entravé.

L’atteinte manifeste aux pouvoirs du législateur se fait également jour via la publication des circulaires ministérielles. Ces textes sont censés se borner à l'interprétation stricte de la loi, mais le pouvoir exécutif en détourne l’esprit. Dès lors, il néglige la hiérarchie des normes, principe qui définit pourtant l’État de droit.

Deuxièmement, le Gouvernement traite les parlementaires de manière inégale, alors même qu’ils sont tous les représentants de la nation.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. C’était pis avant !

M. Christophe-André Frassa. D’une part, cette inégalité s’observe pour la parution des décrets d’application des lois, laquelle est curieusement plus rapide lorsqu’il s’agit de réformes procédant de l’initiative gouvernementale. De fait, le Gouvernement donne la priorité aux lois qu’il soutient par rapport aux autres.

D’autre part, le Gouvernement exprime une préférence entre les lois votées sur l’initiative de l’Assemblée nationale et les lois votées sur l’initiative du Sénat. Ces dernières sont reléguées au second plan. Pourquoi ? Est-ce au nom d’un bicamérisme inégalitaire ?

Troisièmement, le rapport indique que le choc de simplification annoncé s’est transformé en un choc de complexification. Non seulement l’inflation normative se confirme, mais les projets de loi deviennent de plus en plus technocratiques, ambigus et incompréhensibles.

Cette complexité peut s’expliquer par les multiples amendements parlementaires déposés. Néanmoins, ne peut-on considérer que la nécessité de défendre des amendements résulte du fait que, bien souvent, le projet de loi initial manque de fond, qu’il n’est pas assez ambitieux ou qu’il n’atteint pas les objectifs fixés ? La précipitation avec laquelle nous sommes contraints de travailler ne nous permet pas de consacrer une réflexion sereine à la loi.

En conclusion, mes chers collègues, nous aurions fort à faire pour contrôler davantage l’action gouvernementale. Que nous y parvenions : tel est le vœu que je forme pour les prochains mois ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur Karoutchi, je note en préambule que nous étions tous émus, et vous le premier, en entendant subrepticement, il y a quelques instants, les accents de La Marseillaise !

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions, qui étaient d’une très grande richesse et d’une très grande diversité. Le temps nous est compté, et je ne pourrai répondre de manière exhaustive à chacune et à chacun d’entre vous. Toutefois, vous le savez, je suis à votre disposition pour poursuivre nos discussions quand vous le souhaitez.

Dans un premier temps, je tiens à rappeler quelques constats d’ensemble.

Tout d’abord, je salue le bilan de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, en rendant hommage à son président : depuis sa création, cette commission a rédigé quatorze rapports et organisé onze débats en séance publique. Ces chiffres prouvent qu’il s’agit d’une institution vivante au sein de la Haute Assemblée !

Certes, cette commission souligne le faible taux des rapports rendus par le Gouvernement, mais elle met l’accent sur l’explosion des demandes. Pour la XIIIe législature, le nombre de ces documents s’est élevé à 900 ! De tels volumes sont intenables pour le Gouvernement. Ces demandes devront être mieux circonscrites à l’avenir, faute de quoi les rapports les plus éclairants continueront de passer inaperçus, d’être éclipsés par d’autres études parfois moins bien ciblées.

Je souhaite répondre, à présent, aux divers orateurs qui se sont exprimés.

M. Dilain s’est prononcé au nom de la commission des affaires économiques. Je reviendrai, en écho, sur deux textes de loi qu’il a cités.

Premièrement, il a évoqué la loi du 8 décembre 2011 relative au certificat d’obtention végétale. Ce texte résulte d’une proposition de loi sénatoriale. C’est vrai, le Gouvernement a pris du retard à ce sujet, notamment du fait de l’adoption de la loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon. Toutefois, un premier décret a été adopté le 27 juin dernier, en vue de remplacer le Comité pour la protection des obtentions végétales par l’instance nationale définie via ladite loi. Trois autres décrets sont en voie d’achèvement. Ils seront prochainement transmis au Conseil d’État.

Deuxièmement, M. Dilain a évoqué la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR ». La commission des affaires économiques a relevé que ce texte impliquait un très grand nombre de mesures d’application – 177 pour être exact ! Comment voulez-vous que l’exécutif puisse adopter simultanément toutes les dispositions nécessaires ? Il faut bien sûr établir des priorités. Il est certain que les administrations ne pourront pas rédiger tant de décrets en six mois. Il apparaît clairement que, sur ce plan, le travail parlementaire aurait dû mieux hiérarchiser les enjeux.

M. Daniel Reiner a insisté sur les difficultés d’application de la loi du 28 juillet 2011 tendant à faciliter l’utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure. J’indique à son intention qu’un projet de décret fait actuellement l’objet de concertations interministérielles. Ce document a déjà été examiné par la direction générale de la gendarmerie nationale et par le comité technique de la police nationale. Il sera, dès le mois de juillet prochain, proposé au comité technique ministériel et devrait être publié dans la foulée.

Mme Catherine Génisson a relevé, au nom de la commission des affaires sociales, que les lois d’origine parlementaire étaient moins bien traitées, au stade de leur application, que les textes d’origine gouvernementale.

Je l’ai déjà dit devant cette commission : il n’est pas acceptable que certaines lois n’aient fait l’objet d’aucune mesure d’application, alors même qu’elles sont adoptées depuis plusieurs mois. Je tiens à rassurer la Haute Assemblée quant à deux textes relevant, notamment, du champ des affaires sociales.

Pour la loi sur les soins psychiatriques, un sujet sur lequel m’a interrogé Mme Catherine Génisson, un premier décret fixant la procédure applicable devant le juge des libertés et de la détention a été transmis au Conseil d’État le 17 juin dernier ; un second décret relatif aux droits des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques est actuellement examiné par la Haute Autorité de santé, qui rendra son avis en juillet prochain.

Enfin, pour la loi du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale, les derniers décrets sont en cours de finalisation, et la loi sera effectivement applicable à l’automne prochain.

Marie-Christine Blandin, au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, a évoqué deux grandes lois adoptées à l’été de 2013 : la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite « loi ESR ».

Je concentrerai ma réponse sur la loi ESR, qui cristallise, je le sais, de nombreuses interrogations, et sur laquelle je reviendrai. Dix mesures doivent encore être prises pour garantir la mise en application complète de cette loi ; plusieurs d’entre elles entreront en vigueur avant la rentrée universitaire de 2014, nous pouvons nous y engager. Sept projets de décrets sont actuellement soumis à l’avis de certains organismes pour les consultations obligatoires. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous fournirai évidemment la liste complète de ces textes, comme vous le souhaitez.

J’en viens aux remarques formulées par Michel Teston au nom de la commission du développement durable.

Je lui donnerai une information qui sera également appréciée, j’en suis sûr, par la présidente de la commission de la culture : la loi d’avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte devrait bientôt être intégralement applicable. Deux projets de décrets qui portent sur les modalités de tenue du « registre des alertes », d’une part, et sur la composition et le fonctionnement de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, d’autre part, seront publiés très prochainement.

J’en viens maintenant à l’intervention de M. Marini, qui a tout particulièrement insisté sur la loi de séparation et de régulation des activités bancaires. J’ai noté l’approbation que suscitaient, sur différentes travées, les questions non seulement techniques, mais aussi politiques, qu’il posait.

Le Gouvernement est conscient des points que vous avez soulevés, monsieur Marini, et il faudra donc bien que, de ce point de vue, il progresse dans sa réflexion. Vous avez eu raison de souligner l'importance de ce sujet, sur lequel nous avons pris du retard. Je peux toutefois vous rassurer : sur la quinzaine de décrets au moins qui doivent être publiés, dix le seront avant la fin de l’année, et ils sont aujourd’hui soit devant des instances consultatives, soit devant le Conseil d’État, soit dans le circuit des contreseings.

Malgré ce chiffre encourageant, je vous accorde que le Gouvernement doit encore faire des efforts pour favoriser l’application de ce texte. Votre bilan, monsieur Marini, était donc un peu trop sévère, mais il méritait d’être dressé.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Merci, monsieur le secrétaire d’État !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Madame la présidente Éliane Assassi, vous avez évoqué plusieurs principes législatifs généraux qui régissent l’activité de nos assemblées, sur lesquels vous avez fait un certain nombre de commentaires, à l’instar d’ailleurs de l’une de vos collègues du groupe écologiste, même si c’était dans un sens quelque peu différent. Je comprends tout à fait le sens vos remarques, mais elles dépassent la stricte nature de notre débat, même si elles sont importantes dans votre démarche.

Comme d’autres de vos collègues, vous avez abordé la question des études d’impact, peut-être, justement, avec un sens de l’impact lié à la conjoncture… (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Pas seulement !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. J’aimerais tout de même que vous soyez d’accord avec moi pour reconnaître la ténacité de la commission, qui a fait largement progresser le travail parlementaire.

Mme Éliane Assassi. Je l’ai dit !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Vous l’avez en effet noté, et je vous en remercie.

Madame Nathalie Goulet, vous m’avez interrogé sur plusieurs points, notamment les lanceurs d’alerte, sur lesquels je suis déjà intervenu, et sur l’action de groupe. Sur cette dernière question, nous partageons votre préoccupation : c’est un sujet essentiel, et je sais à quel point le Sénat a été précurseur en la matière. Je suis donc heureux de pouvoir vous annoncer que le décret sera publié au début du mois d’octobre prochain. Par conséquent, nous avançons.

Monsieur Kaltenbach, au nom du groupe socialiste, vous avez souligné que le renvoi à des mesures réglementaires était parfois, pour le législateur, un « écran de fumée » qui, dans les faits, retardait la mise en application des lois. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)

Nous gagnerions du temps si nous limitions effectivement les renvois à des textes réglementaires et, a fortiori, à des décrets en Conseil d’État ! Sachez que M. Serge Lasvignes, le secrétaire général du Gouvernement, va tout à fait dans votre sens et qu’il fait tout ce qu’il peut lors de l’examen des avant-projets de loi pour écarter ce type de tentations.

Madame Corinne Bouchoux, représentante du groupe écologiste, vous avez soulevé une interrogation très radicale sur le fonctionnement du Parlement et, plus largement, des institutions de la République. Il ne m’appartient pas de répondre aujourd’hui à une telle question, même si c’est évidemment ce type d’interrogations qui peut nous conduire, les uns et les autres, à poser de façon nouvelle un certain nombre de questions politiques.

Prenons garde toutefois, dans le contexte actuel, à ne pas trop insister sur l’idée que nous serions impuissants. Même si je comprends vos préoccupations, cela pourrait induire chez nos concitoyens le sentiment que nous ne servons pas à grand-chose, ce qui n’est pas forcément très bon et ce qui est sans doute quelque peu exagéré.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Enfin, monsieur Christophe-André Frassa, vous avez évoqué un sujet particulier : la publication tardive du décret portant réforme de l’AFE, l’Assemblée des Français de l’étranger.

Je déplore, comme vous, que ce décret n’ait été publié que le 4 mars dernier, c’est-à-dire très peu de jours avant le scrutin. Néanmoins, je vous rappelle que ce décret avait un périmètre extrêmement large, puisqu’il contenait l’ensemble des règles spécifiques pour l’élection des conseillers consulaires. Comme vous vous en doutez, ce type de décret demande un travail technique très minutieux et de très nombreuses concertations ; il était donc impossible de rédiger un tel texte en quelques semaines.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’ai pas répondu à toutes vos questions. Néanmoins, après le travail en commission, je crois que nous avons pu avoir cet après-midi un bon débat. Vous savez que je suis à votre disposition tout au long de l’année pour compléter mon propos. Je vous remercie, en souhaitant bonne chance à l’équipe de France de football ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan annuel de l’application des lois.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente. Vous avez donc tout le loisir d’aller regarder la retransmission du match de football qui oppose la France au Nigeria ! (Sourires.)

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Débat sur la Corse et la réforme territoriale

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur la Corse et la réforme territoriale, organisé à la demande du groupe du RDSE.

La parole est à M. Nicolas Alfonsi, orateur du groupe auteur de la demande.

M. Nicolas Alfonsi, au nom du groupe du RDSE. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de me réjouir, comme l’ensemble de la communauté nationale, de ce nouveau succès de l’équipe de France de football lors de la Coupe du monde. J’y vois l’expression d’une solidarité que nous souhaiterions voir s’étendre à de nombreux autres domaines !

Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre d’avoir accepté ce débat, même si je me demande s’il est encore d’actualité. Vous devez savoir, mes chers collègues, que nous étions convenus de l’organiser à la fin du mois de mai, mais que nous avons été obligés de le repousser pour ne pas déflorer les propos que devait tenir M. le ministre lors de son voyage en Corse.

Durant ce voyage, monsieur le ministre, vous avez apporté un certain nombre de clarifications nécessaires sur la situation de l’île, mais vous avez, en même temps, laissé quelques zones d’ombre. Il sera donc peut-être nécessaire que vous précisiez votre pensée.

Notre débat d’aujourd'hui porte sur l’organisation territoriale de la Corse, alors que, dans notre esprit, il devait permettre d’évoquer tous les problèmes de l’île, ce que je ne pourrai finalement faire que de manière extrêmement cursive.

Pour bien comprendre le débat, il faut avoir à l’esprit deux éléments qui sont, à mon avis, fondamentaux.

Premier élément, il existe une revendication permanente de « légitimité » de la part de l’Assemblée de Corse et de ses élus. C'est bien entendu une pseudo-légitimité : la revendication permanente de droits qui ne relèvent pas des compétences de l’institution, comme celui de voter des motions, rend le débat extrêmement difficile.

Le second élément est ce sentiment permanent que, en Corse, nous sommes différents. Si je caricaturais, je dirais qu’il suffirait que la République devienne un État fédéral pour que nous nous sentions obligés de demander, au nom de cette différence, l’indépendance de la Corse !

Tant que l’État ne « s’imprègne » pas de cette propension à revendiquer en permanence et une légitimité et une différence, il est évident que le dialogue devient très problématique.

Si l’on regarde en arrière, on constate qu’il y a en quelque sorte une fatalité décennale de la réforme : 1982, puis 1992, puis 2002 et enfin 2012. Il se trouve que l’Assemblée de Corse a été élue, à gauche, en 2010 ; depuis cette date, il ne s’écoule pas un mois sans qu’on remette en chantier la réforme « institutionnelle » ou « constitutionnelle » – ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Ce débat récurrent vient de s’achever par les trois délibérations qu’a adoptées l’Assemblée de Corse et que vous connaissez, monsieur le ministre.

La première porte sur la co-officialité, que j’évacuerai d’un trait : vous avez dit à Ajaccio ce que nous attendions ; n’en parlons plus ! Pour ce qui me concerne, je serai toujours partisan d’une révision constitutionnelle – c'est le fameux engagement 56 du candidat Hollande – qui concernerait toutes les régions. En revanche, j’ai toujours manifesté mon opposition totale, comme vous d’ailleurs, à des dispositions qui seraient spécifiques à la société corse, sans qu’existe aucun dispositif semblable ailleurs sur le territoire de la République.

Je vous lis un extrait de la délibération : « Le corse et le français, en tant que langues officielles sur le territoire administré par la collectivité territoriale de Corse, peuvent être employés indistinctement par les citoyens et citoyennes dans toutes leurs activités privées ou publiques. » N’en parlons plus ! Vous avez dit sur le sujet ce qu’il fallait dire. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’y revenir.

La deuxième délibération porte sur le statut de résident.

Je le rappelle, ne pourront acheter en Corse que des personnes totalisant cinq années de résidence, que ce soit des personnes physiques ou – vous avez à juste titre insisté sur ce point – morales. On sait ce qui risque de se passer avec les personnes morales !

J’ajoute que, dans les contorsions auxquelles on s’est livré sans relâche pour tenter de trouver une place à ce qu’on appelle la « diaspora », a été inventé un dispositif qui devrait vous réjouir, monsieur le ministre : finalement, vous pourriez acheter un petit coin de ce village corse de votre enfance ! En effet, le texte ouvre la possibilité d’acheter à toute personne pouvant justifier que le « centre [de ses] intérêts moraux et matériels » est en Corse. Vous imaginez l’imbroglio juridique que pourrait provoquer cette situation surréaliste que l’on tente de nous imposer ! Mais j’ai trop de respect pour les élus pour leur dire que ce ne sont là que des sottises…

Quoi qu'il en soit, ce texte a été voté. Toutefois, j’observe qu’il le fut à une majorité que je qualifierai de « descendante », puisqu’il n’y a eu que 29 voix pour.

J’en viens au troisième problème, qui me paraît le plus fondamental, à savoir la réforme constitutionnelle. Sur ce point, je dois dire que je n’ai pas réussi à décrypter vos propos, même si, dans le discours que vous avez lu, chaque mot était évidemment pesé.

Une délibération visant à solliciter l’introduction dans la Constitution d’un article 72-5 sur la Corse a été adoptée par l’Assemblée de Corse. Ce n’est pas du fétichisme, mais je note que cette délibération a été votée aussi bien par la droite que par la gauche. C’est l’auberge espagnole ! En effet, pour les nationalistes et une partie de la gauche, il s’agit d’introduire dans la Constitution le statut de résident ; pour la droite, le droit de chasse et le droit de pêche ! Tout cela ne peut pas prospérer, et ce à cause du FLNC.

À lire le texte de la délibération, on voit que l’Assemblée de Corse demande que soit engagée une discussion approfondie avec les élus de la Corse sur la proposition de création d’un article 72-5.

Quant au FLNC, simple question de sémantique, il reprend l’idée de la discussion approfondie entre les élus de la Corse et l’État. En effet, je relève que, dans sa dernière déclaration – je vous rassure tout de suite, mes chers collègues, je ne m’échinerai pas, et je ne l’ai d’ailleurs jamais fait, à commenter les propos de l’organisation clandestine ni à discuter avec elle –, le FLNC demande aux élus insulaires « l’instauration d’un nouveau statut négocié avec l’État français ». Tout est dit !

D’un côté, on a une délibération de l’Assemblée de Corse qui demande l’ouverture d’une discussion avec l’État sur la réforme constitutionnelle et, de l’autre, le FLNC qui veut exactement la même chose ! Pourquoi ? Parce que, depuis dix ans, la question a simplement porté sur la préoccupation des nationalistes – modérés ou non, je n’entre pas dans ce genre de distinction, qui me dépasse – de discuter sur un pied d’égalité avec l’État. L’idée est d’établir un parallèle avec la Nouvelle-Calédonie.

Cependant, pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, l’article 77 de la Constitution approuve les accords de Nouméa et de Matignon et énumère toutes les compétences transférées : il n’y a donc plus de problème constitutionnel ! En Corse, le rapport de force étant ce qu’il est, on ne peut pas aller très loin. Mais il faut prendre acte, monsieur le ministre, du fait qu’il existe une volonté souterraine et constante d’établir des rapports d’égalité – voilà la fameuse légitimité dont je parlais au début de mon propos ! – entre les élus de la Corse et l’État.

Vous avez évoqué l’histoire de la Corse et son insularité. Vous estimez que « l’histoire de la Corse, son insularité, son identité peuvent naturellement justifier cette aspiration à la singularité institutionnelle ». Institutionnelle ou constitutionnelle, monsieur le ministre ? C’est tout le débat !

J’attends encore qu’on nous apporte une réponse. Pendant quatre ans, on a évoqué ce problème en permanence ; il serait peut-être temps, au lieu de toujours invoquer l’absence d’une majorité au Congrès pour différer une réforme constitutionnelle, que, à un moment donné, le Président de la République se forge lui-même une opinion sur le fond et qu’il nous dise s’il est pour ou contre.

Voici ce que j’ai notamment pu lire : « Cette aspiration à la singularité institutionnelle… », « Le Gouvernement sera attentif aux propositions dont vous le saisirez… », « J’observe que le dialogue est engagé dans cette perspective… », « Ces discussions sont sans tabou… », « Notre Constitution admet le droit à l’expérimentation des territoires de la République… » Certes, mais quels territoires ? L’article 72 de la Constitution permet bien que les collectivités territoriales prennent des initiatives pour sortir du cadre général, mais elles ne peuvent le faire que dans un cadre restreint et strictement défini ! J’évoque ici non plus la possibilité d’une expérimentation, mais bien le cadre constitutionnel. Soyons clairs, il s’agit là du seul vrai débat qui subsiste entre nous.

Il serait peut-être nécessaire que toute la lumière soit faite sur ce point : envisagez-vous, oui ou non, que le titre XII de la Constitution puisse être modifié à la demande des élus de la Corse, qui seraient placés sur un pied d’égalité avec l’État ? Un article 72-5 ne changerait strictement rien au principe d’égalité devant la loi, du préambule de la Constitution ou encore des principes fondamentaux invoqués régulièrement par le Conseil constitutionnel. Mais, sur le long terme, l’adoption d’un tel article pourrait poser une difficulté : il nous placerait dans une situation inextricable, car il impliquerait d’autres révisions constitutionnelles qui nous éloigneraient encore un peu plus de la République.

Ce problème nous interpelle. Au bout de quatre ans de palabres et d’échanges mensuels sur ce thème – comme si nous n’avions rien d’autre à faire en Corse ! –, après avoir fait travailler d’éminents juristes, tel Guy Carcassonne, après avoir réuni moult comités et payé de nombreuses études, bref, maintenant que nous arrivons au bout du chemin, il faudrait peut-être clarifier la situation !

Contrairement à Victor Hugo, qui, dans un discours sur l’enseignement, avait commencé par dire ce qu’il voulait, j’ai commencé par dire ce que je ne voulais pas. Maintenant, je peux dire ce que je veux ou, à tout le moins, ce que je souhaite…

Je souhaite que, dans le cadre de la réforme territoriale, nous engagions ensemble le débat sur l’adaptation institutionnelle du statut de la Corse, une adaptation à laquelle je ne me suis jamais opposé. Je sais bien que l’Assemblée de Corse a inspiré des amendements au texte présenté par Mme Lebranchu – à l’article 13, me semble-t-il. Mais ces amendements, discutés en commission, n’apportent que des modifications marginales. Ce qui importe véritablement, c’est que nous nous interrogions sur un certain nombre de problèmes de fond.

Je veux maintenant faire deux ou trois observations qui me paraissent importantes, étant entendu que je suis prêt à apporter mon concours sur les différents points que je soulève.

Les textes qui nous régissent actuellement me semblent devoir être modifiés sur certains aspects.

Premièrement, je veux évoquer le régime électoral.

Je me suis épuisé à obtenir du Congrès le vote d’un amendement constitutionnel visant à consacrer le concept de « statut particulier ». Chose rare, le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin, avait bien voulu, à Versailles, entendre ma préoccupation… Au demeurant, ce dispositif « fait des petits », puisque le Grand Lyon s’accroche maintenant à ce statut particulier.

J’avais obtenu du Sénat – et je lui en sais gré – une seconde réforme : l’augmentation de la prime accordée à la liste qui arrive en tête. Néanmoins, j’ai joué « petits bras », si j’ose m’exprimer ainsi, puisque cette réforme était trop étriquée. D’ailleurs, une des causes du désordre actuel des esprits me paraît résider dans l’absence de majorité.

Actuellement, cette prime à la majorité a été portée à neuf sièges, soit 17 % du nombre total de sièges, contre 25 % dans le régime national. Sur ce point, les Corses ne sont pas traités comme les autres : eux aussi devraient avoir droit à une prime qui leur permette de gouverner ! L’absence d’un tel dispositif rend la constitution de majorités extrêmement difficile. Vous savez mieux que moi que les accords passés ne sont généralement pas respectés !

Deuxièmement, je veux évoquer la disparition des départements.

Si j’ai toujours été fermement attaché au département, je finis par m’interroger… J’ai toujours pensé qu’il fallait éviter la recentralisation dans une collectivité comme la Corse, qui dispose actuellement, au total, d’un budget de 1 milliard d’euros ou un peu plus, ce qui est considérable. J’estimais aussi que les bêtises commises du fait d’une gestion départementale médiocre pouvaient être compensées par la vertu d’élus d’autres collectivités…

Selon la formule célèbre, il faut que le pouvoir arrête le pouvoir. Je pensais, moi aussi, qu’il fallait diviser le pouvoir… Toutefois, avec l’expérience, plus rien ne me semble évident, sinon qu’une réflexion devrait aujourd'hui être menée sur ce point.

Pour terminer, une seule question vaut la peine d’être posée : le nouveau statut de la Corse doit-il être fait « à chaud » – pendant quatre ans, on a débattu de problèmes fictifs, qui ne correspondaient pas à des demandes fortes de l’opinion – et se précipiter pour s’insérer dans la réforme territoriale qui est engagée aujourd'hui ? Ou bien doit-on se donner le temps d’y réfléchir plus longuement, la Corse n’étant pas concernée par la réforme de la carte des territoires ?

Monsieur le ministre, voilà ce que je voulais vous dire avant la venue de Marylise Lebranchu en Corse, ce vendredi.

Cela étant, je pourrais parler encore longtemps…

Je pourrais parler des impôts. La situation fiscale de la Corse me fait un peu penser à celle de ces Napolitains qui meurent de faim, mais n’en sont pas moins saisis d’angoisse à la moindre fumerolle qui s’échappe du Vésuve !

Je pourrais parler de la loi Littoral. C’est bien connu : en Corse, chacun s’emploie à protéger un patrimoine qu’il ne possède pas ! Avec la loi Littoral, les élus sont en permanence sous la pression des associations. Je préside le Conseil des rivages de la Corse et suis le premier vice-président du Conservatoire du littoral depuis quarante ans – j’en suis la mémoire ! Nous avons acheté 200 kilomètres de côtes. Pourtant, dès qu’un élu veut élaborer un plan local d’urbanisme, les associations partent bille en tête ! Mais M. le préfet connaît la question mieux que moi ; il aura l’occasion de vous en parler.

Je pourrais m’interroger sur le programme exceptionnel d’investissements, qui, après avoir été prolongé de deux ans, arrive à échéance dans un an. Que fera-t-on quand il n’y aura plus d’argent ? Quelle sera la situation économique de la Corse quand les travaux publics seront amputés de 30 % de leur activité ?

Autant de questions que l’on pourrait soulever et dont on pourrait parler pendant des heures…

En conclusion, monsieur le ministre, j’attends des réponses. Je ne doute pas que ces réponses seront aussi claires que celles que vous avez livrées à Ajaccio lors de votre récent déplacement. Elles nous permettront de prendre acte de la position du Gouvernement au moment où s’engage la grande réforme territoriale.

Demeure une interrogation : les institutions dont l’île s’est dotée depuis trente ans lui ont-elles permis d’entrer dans la modernité, de provoquer son propre auto-développement ? Si les concours financiers massifs de l’État ont pu donner l’illusion que notre retard social, économique, culturel par rapport à la Nation était comblé, trop de connivences, trop de complicités, trop de non-dits, trop de refus d’assumer n’ont pas permis à la société corse de se libérer d’elle-même. Tous les progrès réalisés, dans quelque domaine que ce soit, tous les changements de comportement auront été accomplis par la société civile – à travers, notamment, la révolution informatique – plus que par les autorités publiques.

Au moment où s’engage une grande réforme territoriale, j’exprime le vœu qu’elle ne soit pas une occasion manquée pour la Corse, qui, vous le savez, monsieur le ministre, mérite sans doute mieux que la mauvaise réputation dont on l’affuble généralement. (Mmes Anne-Marie Escoffier et Colette Giudicelli applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Giraud.

Mme Éliane Giraud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit ce soir porte sur « la Corse et la réforme territoriale ». Il a été inscrit à l’ordre du jour du Sénat à la demande du groupe Rassemblement démocratique et social européen, plus particulièrement à votre demande, monsieur Alfonsi.

Le groupe socialiste et apparentés, au nom duquel j’interviens, se félicite qu’un débat consacré spécifiquement à la Corse ait lieu dans notre assemblée et vous remercie, mon cher collègue, de nous donner ainsi l’occasion de débattre de la réforme territoriale en Corse, même si j’ai bien compris que c’était évidemment la réponse du ministre qui vous importait.

Élue de la montagne, parlementaire de l’Isère et vice-présidente de la région Rhône-Alpes, je suis particulièrement sensible à la beauté et au charme de cette montagne posée sur la mer qu’est la Corse.

Vice-présidente de la Fédération des parcs naturels régionaux de France, j’admire la richesse des paysages et des territoires de la Corse, notamment ceux du merveilleux parc naturel régional, qui comporte d’extraordinaires réserves naturelles – je pense notamment à la réserve de biosphère de la vallée du Fango et à la réserve marine et terrestre de Scandola –, qui sont aussi de formidables réservoirs de biodiversité.

La Corse, sentinelle avancée en Méditerranée, mérite le soutien et l’investissement de la France en reconnaissance de ce qu’elle nous a apporté tout au long de notre histoire, mais aussi pour l’importance stratégique en Méditerranée qu’elle eut hier, qu’elle a aujourd’hui et qu’elle aura demain. La Corse nous concerne tous.

Ce débat s’inscrit dans une actualité parlementaire riche, avec la réforme territoriale et ses deux projets de loi : d'une part, le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, d'autre part, le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, présenté au nom du Premier ministre, M. Manuel Valls, par la ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique, Mme Marylise Lebranchu et le secrétaire d’État à la réforme territoriale, M. André Vallini, que j’ai l’honneur de remplacer au Sénat depuis sa nomination au Gouvernement.

Même si ma présence au Sénat est récente, je sais, monsieur Alfonsi, quels ont été votre engagement et votre travail continus dans la vie publique. Je tiens à rendre hommage à votre conviction et à votre ouvrage, défendant, dans le même temps, l’unicité de la République et la reconnaissance de la spécificité et des singularités de la Corse. Avec ce débat, en ce moment précis où notre pays engage une nécessaire réorganisation territoriale, vous montrez votre implication de responsable politique soucieux de l’avenir de la Corse, en apportant votre vision pour les années à venir.

Le Gouvernement de Manuel Valls, comme, hier, celui de Jean-Marc Ayrault, est particulièrement à l’écoute de la Corse et de ses habitants.

À la suite de l’adoption, le 27 septembre 2013, par l’Assemblée de Corse, d’une délibération comprenant plusieurs points – une proposition de modification de la Constitution, la mise en place d’une gouvernance propre à la collectivité territoriale de Corse, l’amélioration des procédures d’adaptation de la législation à la Corse, des modifications du statut particulier de la Corse –, les ministres Manuel Valls et Marylise Lebranchu ont rencontré, à Paris, le 22 novembre 2013, une délégation de quatorze élus de Corse. Il s’agissait de les entendre et de lancer avec eux un travail commun sur l’amélioration du fonctionnement des institutions.

Le 3 février dernier, Marylise Lebranchu, à Ajaccio, a installé un comité de travail sur l’organisation territoriale de l’île, composé des membres du comité stratégique de la collectivité territoriale et de représentants de l’État.

Le 14 avril dernier, une seconde réunion a permis d’échanger avec les membres du groupe de travail sur l’apprentissage de la langue corse – s'agissant du soutien apporté à la création d’un établissement public territorial –, sur les problèmes du foncier – concernant la création par la loi ALUR, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, d’un établissement public foncier régional qui permettra d’agir efficacement pour augmenter l’offre de logement – ou encore sur la création d’une taxe ou redevance au mouillage dans les réserves naturelles et les parcs marins.

Le 12 juin dernier, monsieur le ministre de l’intérieur, vous vous êtes rendu dans l’Île de Beauté pour poursuivre le travail engagé et élaborer des solutions efficaces, respectueuses du cadre constitutionnel et conformes aux attentes de nos concitoyens corses et des élus.

Ce travail, conduit en partenariat étroit avec les acteurs concernés, illustre bien la volonté du Gouvernement de donner toute leur place aux élus de Corse dans le travail d’élaboration en cours et de prendre la problématique corse à bras-le-corps.

Durant ces quarante dernières années, le statut juridique de la Corse a fait l’objet de nombreuses réflexions et connu des évolutions qui y ont renforcé la montée en puissance des responsabilités locales. Ainsi, avec la loi du 30 juillet 1982, la Corse devient une collectivité territoriale de plein exercice ; avec la loi du 13 mai 1991, de nouvelles compétences et ressources lui sont transférées ; la loi du 22 janvier 2002 amplifie le mouvement de transfert, la collectivité se voyant dotée de nouvelles responsabilités et d’agents appelés à exercer les missions considérées, et traite aussi de la question du patrimoine.

Une double priorité s'impose depuis 2002 : faciliter le développement de la Corse et renforcer ses infrastructures. Cela a notamment été permis par les engagements pris au titre du programme exceptionnel d’investissement mis en œuvre par Lionel Jospin, programme qui représente 2 milliards d’euros, à quoi s'ajoutent 450 millions d’euros au titre des financements européens ayant été mobilisés.

Grâce à ces investissements importants, la vie quotidienne des citoyens a connu de nombreuses améliorations : dans leurs déplacements, au niveau de la qualité de l’eau et de l’accès à celle-ci, pour la gestion et le traitement des déchets et pour les équipements publics. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, dans votre discours prononcé le 12 juin dernier, la Corse est la région française ayant connu la plus forte croissance économique au cours de ces dernières années.

Dans ce contexte, il est important que les efforts collectifs se poursuivent et qu’ils soient soutenus par le Gouvernement et le Parlement.

Les réflexions de Pierre Chaubon, le travail des élus corses et les réformes institutionnelles votées par l’Assemblée de Corse s’inscrivent dans une dynamique positive, faisant apparaître de nouvelles, et nombreuses, volontés.

Le travail doit donc se poursuivre pour parvenir à conforter l’évolution de la Corse et la volonté de ses habitants dans le respect des valeurs de la République, tout en sachant prendre en compte les singularités de ce territoire.

Si le regroupement des régions ne concerne pas la Corse, le calendrier électoral, lui, la concerne. La première élection générale des conseillers départementaux et des membres de l’Assemblée de Corse suivant la publication de la loi relative à ce regroupement se tiendra au mois de décembre 2015.

Donnant suite au rapport préparé par la commission des compétences législatives et réglementaires présidée par M. Pierre Chaubon, le projet de loi relatif à l’organisation territoriale de la République présenté le 18 juin dernier en conseil des ministres et déposé sur le bureau du Sénat reprend plusieurs de ses propositions de nature à améliorer le fonctionnement des institutions en poursuivant le processus de renforcement des responsabilités déjà reconnues à la collectivité territoriale de Corse – CTC.

Ce faisant, le Gouvernement a fait le choix d’une réforme ciblée du statut législatif de la CTC sur la base des recommandations de l’Assemblée de Corse afin d’apporter une réponse immédiate aux attentes des acteurs locaux.

Parmi ces mesures, je mentionnerai d’abord la précision suivant laquelle le droit commun applicable aux régions s’applique à la Corse, afin qu’il ne soit plus nécessaire de mentionner spécifiquement celle-ci dans les lois et règlements applicables aux régions ; cela répond avant tout à un souci de simplification.

Je citerai ensuite : la possibilité donnée à l’Assemblée de Corse de faciliter les délégations de compétences à la commission permanente, afin d’introduire plus de souplesse dans son fonctionnement et dans ses relations avec le conseil exécutif ; la possibilité de faire inscrire une question à l’ordre du jour de l’Assemblée de Corse à la demande d’un cinquième de ses membres, de manière à renforcer la démocratie et le pluralisme ; la modification des règles de fonctionnement du conseil exécutif de Corse, selon les préconisations du rapport précité de la commission des compétences législatives et réglementaires de septembre 2013.

Enfin, je rappelle que, la programmation du plan exceptionnel d’investissement ayant pris du retard, il est proposé d’en prolonger de deux ans la mise en œuvre, en accord avec les partenaires locaux de la convention-cadre.

Le plan exceptionnel d’investissement, qui résulte d’une proposition du Gouvernement aux représentants élus de la Corse formulée au cours de l’été 2000, a été consacré par la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse. Il prévoit une programmation sur quinze ans d’investissements publics destinés à combler les retards d’équipement dont souffrait la Corse dans plusieurs secteurs.

Ces thèmes ne manqueront pas d’être abordés par les membres du comité stratégique sur l'organisation territoriale de la Corse qui doit se tenir à la fin de la semaine, le 4 juillet, en présence de la ministre Marylise Lebranchu.

Comme vous aimez à le répéter, cher Nicolas Alfonsi, en reprenant des propos de Mendès France – votre seule référence, dites-vous, dans la vie publique –, un responsable ne se détermine jamais dans ses décisions par les conséquences, bonnes ou mauvaises, qu’elles pourraient avoir pour lui, mais en fonction de l’intérêt général.

Je crois que c'est ce que nous faisons, que c'est ce que fait le Gouvernement, et c'est cette même logique qui doit toujours prévaloir dans les rapports entre la France et la Corse. (Mmes Michèle André et Anne-Marie Escoffier applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois que je n’aurai pas le même talent que mon ami Nicolas Alfonsi, car, même si j'ai quelques racines corses, je n’ai pas les mêmes « fondamentaux ».

Insularité, marginalité : voilà comment j'ai entendu certains Corses me présenter la Corse à l’occasion d’un déplacement, il y a de cela près de vingt ans. Depuis, on ne peut que se réjouir des changements intervenus…

La Corse est toujours aussi belle et les Corses toujours aussi « hors-norme » ; à nous de mieux les comprendre, de mieux entendre ce qu’ils sont, ce que leur culture et leur histoire leur ont donné d’irremplaçable, de spécifique.

Le déplacement que je viens d’évoquer précédait la promulgation de la loi du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse, qui faisait de l’île une collectivité territoriale à statut particulier entrant dans le champ de l’article 72, premier alinéa, de la Constitution.

Depuis, la Corse et les Corses ont trouvé progressivement un mode de fonctionnement spécifique tout en respectant le droit commun applicable aux régions chaque fois que n’existe pas de dérogation à ce droit.

Ils ont expérimenté une large responsabilité en matière de compétences de leur collectivité, beaucoup plus larges que les compétences transférées aux autres régions du continent. Ils ont connu, avec l’Assemblée de Corse et le conseil exécutif, un mode de fonctionnement nouveau, qui a nécessité de leur part une véritable capacité d’adaptation.

Un peu plus de vingt ans après cette révolution – au sens premier du mot –, après cette réflexion – toujours au sens premier du mot – et cette réorganisation, il n’était pas illégitime que la Corse s'interrogeât sur son fonctionnement. Elle le fait en profitant de la réflexion globale sur la réforme territoriale qui s'impose à notre pays.

La Corse est soumise aux mêmes constats et aux mêmes contraintes que nos autres régions, départements et territoires : le redressement de notre pays, le développement de notre économie, le travail des jeunes et des moins jeunes, le besoin absolu de sécurité.

Mais, il faut bien l’admettre, toutes ces attentes sont formulées dans un contexte qui est compliqué par les problématiques liées à l’insularité. Les déplacements, leur coût, les délais, les approvisionnements, le tourisme, le respect de l’environnement et l’agriculture sont autant d’exemples qui, développés, montreraient bien la spécificité de l’île. Je n’évoquerai que deux problématiques : la réforme territoriale et la sécurité.

Je veux saluer la disponibilité et l’écoute de l’actuel et du précédent gouvernement, qui sont allés à la rencontre des élus de Corse pour entendre leurs besoins et leur apporter une réponse – pour m'être déplacée en compagnie de M. le préfet il n’y a pas très longtemps, je crois pouvoir en témoigner. Je sais fort bien que ni Marylise Lebranchu, ni Manuel Valls – alors ministre de l’intérieur –, ni vous-même, monsieur le ministre, n’avez ménagé votre peine.

Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République consacre son article 13 à la Corse. Chers collègues, il nous reviendra d’examiner ce texte à l’automne et, je n’en disconviens pas, d’y apporter des améliorations, comme on le fait ici régulièrement…

Je veux néanmoins souligner que ce texte est le fruit de nombreux débats et rencontres – notre collègue Mme Giraud les a rappelées à l’instant – nées des propositions du rapport établi par la commission des compétences législatives et réglementaires sur les institutions particulières de la Corse, rapport présenté à la session de l’Assemblée de Corse de la fin septembre 2013.

Chacun s'était alors accordé à reconnaître la nécessité de remédier à des défauts susceptibles d’entraver le bon fonctionnement de l’Assemblée de Corse. À ce titre, le projet de texte prévoit quatre mesures principales, qui ont été énoncées tout à l’heure et que je rappelle très rapidement.

Première mesure : l’affirmation de l’applicabilité à la Corse de toutes les dispositions législatives qui concernent les régions et ne sont pas contraires à celles qui sont spécifiques à la collectivité territoriale de Corse – cette mesure n’a d’autre objectif qu’une simplification.

Deuxième mesure : la possibilité, pour l’Assemblée de Corse, de modifier la liste des compétences déléguées à sa commission permanente en cours de mandat. C'est une flexibilité opportunément reconnue aux membres de l’Assemblée qui en ont émis le vœu, pour remédier à quelques embarras que l’on a connus.

Troisième mesure : l’autorisation et l’organisation du retour à l’Assemblée de Corse de l’ensemble des membres du conseil exécutif, y compris son président, en cas de démission collective ou de vote d’une motion de défiance, celle-ci relevant d’un mécanisme original de responsabilité politique de l’exécutif devant l’Assemblée de Corse.

Quatrième et dernière mesure : le prolongement de deux ans du programme exceptionnel d’investissement pour la Corse, dont la durée avait été initialement fixée à quinze ans. Ce programme, dont il faut se féliciter, personne ne le remettra en cause. Il avait été simplement retardé et interrompu, d’où la nécessité de le prolonger, et je ne peux, avec Nicolas Alfonsi, que m'inquiéter de ce qu’il adviendra à l’issue de ces deux années, une fois le programme terminé…

Monsieur le ministre, pour avoir lu votre discours, je sais que vous donnez votre accord de principe au texte qui va nous être proposé dans quelques mois. Je sais votre volonté d’aller plus loin, s'il le faut, pour obtenir un consensus fort et durable – cela fait partie intégrante de votre vision et de votre manière de procéder, que l’on ne peut que saluer.

Mais il s'agit d’un consensus qui n’a pas besoin, selon moi, d’une révision de la Constitution. Ce consensus doit être respectueux de notre droit national et européen ; cela a d'ailleurs été dit à propos de certaines dispositions souhaitées par quelques élus corses.

Ce consensus doit également être respectueux du triple principe, que nous connaissons bien, d’unité de la République, de diversité et de spécificité des territoires – ce qui s'impose tout particulièrement en Corse –, et de subsidiarité. Ce triple principe, nous avons choisi de l’appliquer au reste du territoire, notamment dans le cadre de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

Monsieur le ministre, au-delà de cette réforme territoriale qui sera appliquée à la Corse avec, je le crois, la juste mesure qui convient, je voudrais ajouter un mot concernant la problématique sécuritaire, qui concerne aussi bien l’organisation de la police et de la gendarmerie que celle des sapeurs-pompiers. Dans les deux cas, il s'agit de la protection des personnes et des biens.

Je tiens à saluer, ainsi que vous l’avez fait lors de votre déplacement en Corse le 12 juin dernier, le dévouement, la disponibilité, le courage de nos forces de sécurité, qui travaillent tous les jours côte à côte, au risque de leur vie, et qui n’hésitent pas à s’exposer, simplement pour faire leur devoir, parce que ce devoir s’impose à elles.

Comme beaucoup d’entre nous, monsieur le ministre, je ne peux ici que former le vœu de voir l’engagement d’apaisement formulé par certaines factions se concrétiser, vite et en totalité : que de drames alors évités, que de tensions apaisées ! Que la Corse sera belle d’une harmonie retrouvée ! (MM. Nicolas Alfonsi et Jacques Gautier applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier M. Nicolas Alfonsi et le groupe du RDSE d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce débat sur l’avenir de la Corse.

Vue à travers les chroniques de faits divers, la Corse apparaît généralement comme un territoire à problèmes, une terre de violence atavique, mais aussi l’un des symboles des impuissances de l’État.

Je ne partage évidemment pas ce point de vue. Je considère que, par bien des aspects, la Corse peut même devenir un laboratoire d’excellence pour construire de nouvelles modernités territoriales, à condition de se dégager des conservatismes et des dogmes idéologiques : la Corse mérite mieux que d’être un terrain d’affrontement entre nationalismes, entre droit à l’autodétermination et républicanisme sourcilleux, affrontement sans fin qui empêche de forger des réponses réelles à des questions concrètes liées aux difficultés de la vie quotidienne.

Il est dans la nature des écologistes de tourner le dos à ces exacerbations, qui cachent souvent des intérêts particuliers, pour s’attaquer aux enjeux réels. Dans les quelques minutes qui me sont imparties, je voudrais en décliner trois.

L’enjeu environnemental, tout d’abord. Dans un bassin méditerranéen dont le littoral a été sacrifié au tourisme de masse, la société corse – et il faut ici lui rendre hommage – a mieux préservé ses paysages que tout autre territoire, de la Sardaigne au Languedoc-Roussillon.

Nous devons l’en remercier et la soutenir dans l’adoption d’un plan d’aménagement et de développement durable de la Corse – le PADDUC – ambitieux qui devra préserver une part de cette beauté du monde, d’un patrimoine participant de l’enchantement collectif, ce qui signifie aussi répondre à un certain nombre d’enjeux sociaux ; nous y reviendrons.

Dans le domaine environnemental toujours, je considère que la Corse peut être l’une des vitrines territoriales de la transition énergétique : elle a les atouts de la révolution des énergies renouvelables : l’eau, le soleil, le vent, la biomasse… Avec le projet d’Areva, par exemple, la Corse accueille déjà des expérimentations prometteuses en matière de stockage d’énergie. Mais il manque encore la volonté politique de franchir un cap.

Il faut un pilotage fin, par les nouvelles technologies des réseaux intelligents, de ce potentiel considérable en énergies renouvelables pour en gérer la variabilité ; il faut des investissements résolus et cohérents... Il convient d’arrêter de tergiverser, monsieur le ministre, et il est de la responsabilité de l’État d’imposer à son opérateur historique de ne plus considérer la Corse comme un territoire juste bon à brûler des fiouls lourds dont plus personne ne veut.

Dans le domaine de la langue, la Corse est aussi en avance puisqu’elle a réussi à mieux préserver sa langue que bien d’autres territoires en France et en Europe. La volonté de reconquête linguistique portée par l’Assemblée de Corse doit donc être soutenue, tant la France, chantre dans les conférences internationales d’une diversité culturelle parfois limitée à la défense de la francophonie, est ici fragilisée dans sa crédibilité internationale par son incapacité à faire vivre sur son sol sa propre diversité linguistique.

Au-delà des vieilles lunes jacobines d’une France menacée par ses propres territoires, le projet de co-officialité de la langue corse est au contraire une véritable opportunité à saisir pour nous recrédibiliser dans le monde alors que la France n’a toujours pas ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, malgré les engagements de campagne de François Hollande.

Après votre visite en Corse, monsieur le ministre, ma question sera extrêmement précise et simple : quels sont donc, du point de vue de l’État, au-delà des postures idéologiques, les éléments de la proposition de co-officialité adoptée par l’Assemblée de Corse qui nécessiteraient d’être amendés pour permettre à l’État de la soutenir ?

J’en viens au troisième point que je souhaitais aborder : le débat sur le statut de résident, dont a également parlé Nicolas Alfonsi. Les instances locales d’Europe Écologie Les Verts en Corse l’ont clairement dit : il ne s’agit pas d’une bonne réponse à un vrai problème, celui de la difficulté des habitants de l’île à se loger en raison de la pression touristique sur le prix du logement.

Nous considérons que nous devons sortir la Corse de sa spécialisation dans une mono-industrie touristique qui la déstabilise, produit des emplois précaires et peu qualifiés, et entraîne une pression insoutenable sur le foncier et le littoral. Les deux facteurs se combinent pour une crise du logement engendrée par l’écart entre ce revenu moyen faible des résidents permanents et le prix de l’immobilier conditionné, lui, par des acheteurs « extérieurs », souvent plus fortunés.

Nous devons donc agir, et d’abord par le soutien à de nouveaux secteurs économiques : la transition énergétique en Corse, par exemple, pourrait constituer une opportunité de créer des emplois durables et qualifiés, notamment dans le secteur solaire.

Ensuite, il faut absolument trouver des réponses pour stopper la spéculation immobilière et garantir l’accès au logement. Les écologistes ont fait plusieurs propositions en ce sens. Étendre la loi Duflot pour encadrer les loyers dans certaines zones touristiques, plafonner le taux de résidences secondaires : voilà des propositions concrètes et faciles à mettre en œuvre.

Monsieur le ministre, là aussi, ma question sera simple : au-delà du caractère très probablement anticonstitutionnel du statut de résident, votre gouvernement serait-il favorable à la mise en œuvre de ces propositions pour faciliter l’accès des habitants de l’île à un logement à coût maîtrisé ? C’est une question centrale pour l’avenir de la Corse.

Un statut de résident qui se fonderait sur un droit du sang, tel que le débat actuel le laisse entrevoir, n’entre pas dans les valeurs de l’écologie politique. Si nous ne sommes pas favorables au statut tel qu’il est aujourd’hui présenté, lié à la question de l’accès à la propriété, nous sommes en revanche favorables à une citoyenneté de résidence.

Ce sont aussi ces questions qui sont posées dans le débat corse. Approfondir l’idée d’une citoyenneté corse de résidence serait promouvoir cette notion de communauté de destin, s’éloigner d’un système clientéliste qui instrumentalise le vote des propriétaires de résidences secondaires, et affirmer ainsi les droits des résidents permanents, dont les étrangers habitant et travaillant en Corse.

À travers ce débat, aujourd’hui, il ne s’agit donc pas de se lamenter ou de craindre que des réponses corses ne détricotent la République ; il s’agit au contraire de soutenir en Corse des propositions et des réponses adaptées aux enjeux d’aujourd’hui et de demain, d’accompagner résolument des politiques publiques modernes au service d’un territoire qui fut parfois en avance sur son temps.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Giudicelli.

Mme Colette Giudicelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en février dernier, Mme Lebranchu, ministre chargée de la décentralisation, installait à Ajaccio un groupe de travail sur la réforme institutionnelle en Corse. Elle parlait alors de réformer l’organisation de l’île à trois niveaux : réglementaire, législatif et même constitutionnel. Sur ce point, elle indiquait en effet aux élus corses que « la porte n’[était] pas fermée ».

En avril, lors d’une deuxième réunion du groupe de travail, elle confirmait sa « volonté d’avancer sur ce chantier de la réforme institutionnelle », allant même jusqu’à donner « au nom du Gouvernement, un avis favorable sur la plupart des demandes faites par l’Assemblée de Corse ».

Ces déclarations ont fait réagir, pour des raisons contraires, bien sûr, les partisans d’une scission nationaliste comme les élus républicains que nous sommes. Car, derrière la demande d’une « place spécifique à la Corse dans la Constitution de la République », soutenue par la majorité de l’Assemblée de Corse, certains sont allés jusqu’à évoquer la co-officialité de la langue, la création d’un statut de résident ou l’autonomie de gestion en matière fiscale. Autant de pistes qui ont créé un débat parmi les élus corses et la société civile, débat qui se poursuit encore aujourd’hui.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle, deux mois seulement après les déclarations de Mme Lebranchu, vous avez décidé, monsieur le ministre, de fermer la porte à toute évolution institutionnelle en Corse. Vous l’avez justifié le 12 juin dernier, lors de votre première visite sur place, en ces termes : « le souci de préserver une spécificité ne doit pas s’inscrire dans une démarche de rupture ». Nous sommes d’accord avec vous.

Personne ne peut s’offusquer que l’on rappelle le sacro-saint principe de notre République, une et indivisible, qui est d’apporter le même sens de justice, d’égalité, de liberté et de fraternité à l’ensemble de nos concitoyens. Pour autant, il nous semble que votre annonce ne saurait suffire.

Elle ne saurait suffire, car elle referme brutalement le livre du processus de réflexion et de dialogue engagé jusqu’ici par les élus corses aux côtés de la population, comme si tout allait bien. Il suffit de regarder les indicateurs économiques, sans parler des actes de violence que les médias n’évoquent que trop, pour savoir que tel n’est pas le cas, malheureusement.

Plus inquiétant encore, et nous le regrettons, votre annonce crée de la désillusion, qui est le terreau du ressentiment. En rayant d’un mot les discussions engagées jusqu’ici comme si elles n’avaient eu aucun intérêt, vous décevez peut-être une population corse attachée à la parole donnée. Vous reprenez cette parole et la déception est à la mesure de l’espoir suscité, espoir dont la Corse a pourtant besoin, au même titre que tous nos compatriotes. On repense alors à la mise en garde du député Laurent Marcangeli, qui déclarait : « Nous devons cesser de susciter de faux espoirs pour ne travailler que sur du possible. »

Il y a donc un monde, monsieur le ministre, entre la rupture que vous redoutez à raison et la fin de non-recevoir que vous opposez, nous semble-t-il à tort. C’est une belle occasion manquée de montrer à la Corse comme à toutes nos régions que la France est capable d’évoluer, de se réinventer en restant le pays qu’elle a toujours été, riche de ses particularités régionales et de ses cultures entremêlées depuis l’Antiquité.

Ironie de l’histoire, cette Corse qu’il faut que vous entendiez fut justement souvent la première en Europe à l’écoute de la démocratie : de sa constitution de 1755, adoptant la séparation des pouvoirs, le suffrage universel et le droit de vote aux femmes – il a fallu attendre 189 ans pour que, grâce au général de Gaulle, nous soit accordé, en 1944, le même cadeau ! – aux dispositions statutaires particulières, avec la bidépartementalisation et la naissance de l’Assemblée de Corse… L’île a toujours pris sa part dans la concertation, comme en 2003, où, sous l’impulsion du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, souhaitant déjà intégrer la « reconnaissance institutionnelle de sa spécificité », la population corse a été consultée, rappelant à cette occasion que la Corse, c’est la France.

Raison de plus pour l’écouter aujourd’hui ! Ainsi que l’a si bien dit Camille de Rocca Serra, « notre rôle n’est pas de freiner toute évolution qui pourrait être bénéfique à la Corse, mais bien de promouvoir une démarche qui soit utile pour l’île, dans le respect de notre appartenance et de notre attachement à la République ».

Plus que jamais, nos territoires ont besoin que l’on sauvegarde leur identité, leur patrimoine et que l’on respecte la richesse de leur diversité. Plus que jamais, ils ont le droit d’exister, de transmettre leur histoire et leur culture aux jeunes générations, toujours dans la « maison France », car chacun grandit auprès de l’autre : ces territoires ont apporté à la France comme la France leur a apporté.

Refuser de regarder l’histoire en face, c’est souvent refuser de se tourner vers l’avenir. C’est plus vrai encore dans le cas de la Corse, puisqu’elle va subir parallèlement, monsieur le ministre, comme beaucoup d’autres régions, la réforme territoriale. Celle-ci pourrait même lui être fatale parce que, en raison de ses spécificités insulaires, la Corse ne bénéficiera pas des leviers de mutualisation dont disposeront les grandes régions. Avec la disparition programmée des départements, elle ne gardera pas non plus l’opportunité de ses arbitrages financiers relatifs à la péréquation, qui sont si importants pour l’activité économique de l’île.

À une époque où l’on supprime les départements, où l’on affaiblit les cantons ruraux, ce nouvel épisode concernant la Corse est important à double titre. Il est important pour les Corses eux-mêmes, bien sûr, pour la défense de leur héritage et de leurs particularités. Il est aussi et surtout crucial pour notre pays. La Corse dans la France est un symbole : celui de la préservation de notre identité millénaire, indivisible, mais plurielle.

Aussi, pour vous permettre de nous expliquer plus en détail votre déclaration du 12 juin dernier en Corse, terre de vos ancêtres, j’aimerais, monsieur le ministre, que vous nous précisiez, si vous le pouvez, la position réelle du Gouvernement sur la question institutionnelle de la Corse, au-delà de la réforme territoriale que vous devez nous présenter.

Je voudrais enfin, à mon tour, remercier M. Alfonsi d’avoir pris l’initiative de ce débat intéressant, car nous aimons tous beaucoup la Corse. (M. Jacques Gautier applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.

M. Jean-Jacques Lasserre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier M. Alfonsi et son groupe d’avoir proposé ce débat dont l’intérêt, au regard des réformes territoriales qui se préparent et de l’histoire particulière de la Corse, semble plus qu’évident.

Ce débat suscite également mon intérêt en ce qu’il peut être rapproché, à certains égards, de celui sur la collectivité basque, qui m’est chère. Tout aussi particulières, tout aussi sujettes à discussion quant à leurs compétences et leur mode de gouvernance : les points communs entre les deux collectivités sont nombreux.

Malheureusement, au Pays basque, ce débat, comparé à celui qui a lieu en Corse, n’en est qu’au stade embryonnaire, et il est bien difficile de lui faire prendre forme tant les obstacles sont nombreux. Le Gouvernement ne me contredira pas sur ce point.

Dans la perspective d’une évolution future de l’organisation de nos territoires, qui reste à décider, il convient de nous concerter, d’entendre les arguments des uns et des autres, sans conservatisme primaire ni réformisme béat.

La Corse est aujourd’hui un territoire particulier, notamment de par son histoire. Elle a d’abord appartenu à la République de Gênes, avant de s’autoproclamer indépendante en 1735 et d’être enfin rattachée à la France. L’histoire est toujours nécessaire pour rappeler qu’il existe des liens singuliers entre la République et la Corse, lesquels ont justifié la création d’un statut spécial.

En effet, la Corse est la seule collectivité territoriale à statut particulier au sens de l’article 72, alinéa 1, de notre Constitution. Les revendications vers plus d’autonomie ou vers plus d’indépendance de l’île ont assurément contribué à cette singularité.

La loi du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région de Corse a créé l’Assemblée de Corse, qui dispose de larges compétences. Ce statut avant-gardiste perdra ce temps d’avance du fait, d’une part, de l’alignement des autres régions sur un fonctionnement semblable à celui de la Corse et, d’autre part, de la réintégration de l’île dans le droit commun électoral avec l’abandon de la proportionnelle pour l’élection des membres de l’Assemblée de Corse.

C’est néanmoins la loi du 13 mai 1991 qui crée la collectivité territoriale de Corse et fait de l’île une collectivité territoriale à statut particulier. Il s’agit d’un modèle unique, d’une structure juridique et administrative sur mesure.

Ce n’était pourtant que la première étape : la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse – cela a été dit – va être source de nouveautés institutionnelles, parmi lesquelles le transfert de nouvelles compétences, la création d’une partie du statut fiscal et l’introduction des dispositions sur la langue corse.

Aujourd’hui, le projet de loi relatif à la nouvelle organisation de la République consacre un chapitre à la Corse. Deux enjeux majeurs sont à prendre à compte.

Le premier est d’assurer le développement de la Corse en tenant compte de sa culture et de son insularité. Vous l’avez compris, nous sommes, et moi le premier, très attachés à la reconnaissance de la spécificité culturelle des territoires.

Le deuxième est de garantir une certaine cohérence économique. En effet, l’esprit de la réforme est de fusionner des régions pour permettre l’émergence d’une logique de développement économique mutuel. Si je ne peux que partager cette volonté, le découpage proposé risque néanmoins de créer des régions à deux vitesses. Face à de grandes régions fortes économiquement, il est nécessaire que l’île dispose enfin des moyens nécessaires à son développement.

Dans le projet de loi figurent des mesures dont l’objectif est d’améliorer le fonctionnement institutionnel de la collectivité, parmi lesquelles l’application à la Corse de toutes les dispositions législatives relatives aux régions, dès lors qu’elles ne sont pas contraires à celles régissant la collectivité territoriale de Corse, ou encore la prorogation du programme exceptionnel d’investissements pour la Corse.

Par ce dernier, près de 2 milliards d’euros ont été mobilisés en dix ans pour assurer la pérennité économique de l’île. Ces investissements ont produit des résultats exceptionnels, dont une forte croissance économique de près de 2,5 % par an, qui dépasse celle de beaucoup d’autres régions.

Je le disais, la singularité de la Corse doit être reconnue et s’inscrire dans la loi : la loi de la République doit s’adapter aux singularités territoriales.

L’Assemblée de Corse, dans une délibération de septembre 2013, a formulé des souhaits pour le futur institutionnel de l’île. Elle a ainsi demandé l’inscription de la Corse dans le cadre de l’article 74 de la Constitution, la co-officialité de la langue corse et l’instauration d’un statut de résident. À cet égard, je partage certaines des analyses qui viennent d’être évoquées.

La mise en place de ces mesures rencontre bien entendu des difficultés, tant au niveau du droit interne que du droit européen. D’une portée symbolique, elles méritent toutes d’être étudiées.

Les questions qui nous sont posées doivent être entendues et traitées.

Première question : peut-on rendre compatibles les revendications régionalistes et les principes républicains auxquels nous sommes tous attachés ? Ne craignons pas de répondre par l’affirmative. L’histoire démontre que la surdité des États aux demandes spécifiques, sous couvert de respect des principes républicains, conforte trop souvent les revendications nationalistes dans leurs excès.

Notre devoir est certes d’affirmer les principes républicains, mais également d’aménager la loi chaque fois que cela possible. Dans les domaines de la langue, de la culture, du développement économique ou de l’aménagement territorial, les spécificités doivent pouvoir se retrouver dans les modes de gouvernance.

Deuxième question : quelle attitude adopter face à la violence ? Une règle devrait être de mise : ne jamais rejeter les perspectives de dialogue. Nous devons certes réaffirmer les obligations républicaines, mais en manifestant, dans le respect, la volonté de dialoguer.

Troisième question : le débat qui va s’engager sur la réforme territoriale laissera-t-il suffisamment de place aux expressions régionalistes ? Monsieur le ministre, égalité ne veut pas forcément dire uniformité. Les discours sur l’égalité sont malheureusement trop souvent simplificateurs, parfois afin d’éviter les questions complexes.

Personne ne conteste l’égalité devant les droits fondamentaux et j’espère que le débat sur la réforme territoriale nous permettra de poser la question des spécificités régionales, qu’il s’agisse des Basques, des Bretons ou des Corses.

J’espère également qu’il nous offrira l’opportunité d’être suffisamment créatifs pour traiter, au cas par cas, des modèles de gouvernance adaptés et responsabilisants.

Nous espérons, enfin, que ce débat fera de nous les artisans de l’apaisement, et ce, tout d’abord, par l’écoute et le traitement de tous les dossiers préoccupants avec l’ensemble des partenaires. (M. Ronan Dantec applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat de ce soir, bien qu’il porte sur un point spécifique et particulier, doit nous interroger sur la cohérence et la logique qui animent cette réforme territoriale, dont l’examen du premier volet devait débuter demain après-midi.

Nous devions en effet aborder, demain, le sujet d’une réorganisation territoriale de la République, mais en commençant à l’envers, c’est-à-dire, à rebours de toute logique, par le plus délicat, le plus compliqué et le plus sensible : une nouvelle délimitation du périmètre des régions dont, pour reprendre l’expression de Claudy Lebreton, « on ne comprend pas les critères objectifs ».

À la suite de ce redécoupage territorial, nous discuterons plus tard, à une période indéterminée en raison du fort mécontentement que provoquent les modalités de votre réforme, monsieur le ministre, du contenu de ces coquilles encore vides que seront les nouvelles régions. Je veux dire par là que ce n’est qu’ultérieurement que nous serons amenés à modifier la répartition des responsabilités et des compétences entre les régions nouvellement créées et les départements, lesquels seront vidés de leur substance et courent le risque, à terme, d’être rendus inutiles.

Ainsi, ce soir, nous anticipons. Nous débattons d’un point tout à fait particulier au sein de la réforme : les futures compétences de la région Corse, dont la collectivité territoriale a d’ailleurs échappé aux effets d’un big-bang prétendant clarifier et simplifier les relations entre chacun des acteurs de la puissance publique.

Après tout, la Corse aurait pu, comme d’autres, être regroupée de façon improbable avec la région Provence-Alpes-Côte d’Azur... Elle a sans doute échappé à ce big-bang, car, comme pour toutes les régions à forte identité – je pense à l’Alsace ou à la Bretagne, par exemple –, ce qui touche aux rapports avec la République est sensible, du fait sans doute de diverses susceptibilités qu’il faut veiller à ne pas froisser.

L’article 13 du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République est donc consacré à la collectivité territoriale de Corse.

Cet article procède aux ajustements rendus nécessaires par le renforcement des responsabilités régionales et l’éventuelle suppression des deux départements. Cela, à notre avis, doit se faire dans le respect du statut actuel de la Corse et n’avoir pour seul objectif que d’améliorer le fonctionnement du dispositif existant.

À cet égard, dans le cadre des discussions et des consultations qui doivent obligatoirement être effectuées préalablement à l’élaboration du projet de loi, l’Assemblée territoriale de Corse a fait part de ses remarques au Gouvernement dans une délibération adoptée le 31 mars dernier.

Je ne commenterai pas le détail de ces remarques ni ce qui en a été retenu dans l’article 13. Nous aurons l’occasion d’avoir un débat approfondi sur le sujet lorsque ce texte viendra en discussion, à l’automne peut-être... Nous dirons alors notre opposition à la suppression programmée de ces échelons de proximité que constituent les départements.

En revanche, de manière plus générale, je voudrais faire part de l’appréciation de mon groupe sur certaines prises de position récentes ayant alimenté le débat.

Monsieur le ministre, le 13 juin dernier, lors de votre visite dans l’île, vous avez eu l’occasion de faire le point sur la poursuite des discussions sur ces sujets et, surtout, de vous prononcer sur quelques réformes de nature institutionnelle votées par l’Assemblée de Corse.

Je voudrais dire d’emblée qu’il serait inopportun, comme le souhaitent certains, de saisir cette occasion pour faire dériver la discussion du projet de loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République en tentant d’entamer des négociations sur un nouveau statut pour la Corse.

Je répète qu’il s’agit bien, à nos yeux, d’en rester à la volonté d’améliorer le fonctionnement du dispositif actuel et non d’ouvrir la voie à des évolutions institutionnelles, selon nous d’une autre nature. Je pense très précisément au transfert de la compétence fiscale, au statut de co-officialité de la langue corse et à la question foncière. Il est d’ailleurs répondu à cette dernière par un statut de résident d’une dangereuse ambiguïté. Autant de sujets soulevant des questions qui n’entrent pas dans le cadre de la réforme territoriale, objet de ce projet de loi.

En évoquant ces questions, je ne pense pas m’éloigner du sujet qui nous occupe ce soir. Il me semble en effet que, ces dernières semaines, le thème de l’évolution du statut de la Corse a de nouveau fait irruption dans le débat public sur l’île. J’en veux pour preuve, par exemple, la façon dont un mouvement indépendantiste en perte de vitesse, ayant depuis longtemps glissé vers un affairisme douteux, a tenté d’expliquer pourquoi il mettait fin à ses activités terroristes : évoquant de récents votes de l’Assemblée de Corse, le FLNC a estimé que la majorité des élus rejoignaient, sur ces thèmes, ses propres sources doctrinales. Non ! À l’instar du président de l’Assemblée de Corse, mon ami Dominique Bucchini, j’estime que tel n’est pas le biais par lequel seront traités les problèmes réels de la Corse et de sa population.

Ces problèmes, ce sont, entre autres, le développement économique, les conditions sociales, le chômage et peut-être, sous un autre aspect, le foncier. Au total, nous souhaitons vivement que l’ensemble de ces questions soient positivement évoquées, le moment venu, lors de la discussion du projet de loi.

Nous souhaitons enfin que la prochaine rencontre, sur place, entre les élus et votre collègue Mme Lebranchu puisse contribuer, par le dialogue, à corriger certains aspects négatifs de la réforme.

Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de ce débat sur la Corse et la réforme territoriale, les quelques appréciations dont le groupe CRC souhaitait vous faire part.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, avant toute chose, je voudrais remercier Nicolas Alfonsi d’avoir organisé ce débat qui lui tenait à cœur. Ce fut, pour lui, l’occasion d’aborder tous les sujets concernant l’avenir de l’île, notamment les questions institutionnelles et constitutionnelles, qu’il a pris soin – à juste titre – de distinguer méticuleusement des autres, par esprit de rigueur juridique.

Dans leur intervention, les orateurs ont évoqué les préoccupations que les Corses ont immédiatement à l’esprit lorsqu’il s’agit d’assurer le développement de leur île : la question du logement, celle de la pression et de la spéculation foncières, mais aussi celle des investissements, auxquels les territoires aspirent toujours pour créer les conditions de la croissance et de l’emploi.

Madame Giudicelli, j’ai bien entendu votre propos, teinté de la satisfaction d’avoir vu le Gouvernement procéder à des clarifications en la matière, mais aussi de l’impatience que ces dernières n’aillent pas plus loin.

La politique, madame la sénatrice, est un exercice itératif, et les débats parlementaires sont là pour préciser des choses qui méritent de l’être, même si j’avais le sentiment d’en avoir déjà beaucoup dit.

Je saisis donc l’occasion du débat de ce soir pour répondre à toutes les interrogations et préciser la pensée du Gouvernement sur ce sujet. Je le ferai avec la même sincérité que celle qui a présidé aux propos que j’ai tenus en Corse il y a quelques semaines.

Pour commencer, je voudrais insister sur la nécessité, si l’on ne veut pas abaisser le débat politique, de respecter ceux à qui l’on s’adresse, et ce en toute circonstance. Cela implique d’abord de convoquer – Nicolas Alfonsi l’a indiqué dans son propos – l’esprit de Pierre Mendès France, de ces grands républicains qui surent faire preuve de modernité et qui furent souvent en situation, alors que l’histoire leur était parfois hostile, de poser les fondements d’évolutions pertinentes et heureuses. Ils le firent toujours avec une exigence de rigueur intellectuelle. Lorsqu’il s’agissait d’enjeux juridiques, ils invoquèrent le droit, mais sans le tordre pour des motifs politiques – le droit, son nom l’indique, ne le supporterait pas – ; ils essayèrent plutôt de le mettre au service d’objectifs politiques qu’ils estimaient nobles, tout en permettant que les désaccords puissent s’exprimer.

Cette nécessité implique aussi de ne pas tout sacrifier aux charmes de la politique. Je ne prétends pas que c’est le cas en Corse ; j’indique seulement qu’il s’agit d’une prévention qu’il faut avoir en toute matière.

La politique a des charmes auxquels il est facile de céder, certes, mais ceux-ci n’ont pas nécessairement de rapport avec la rigueur intellectuelle, même si cela peut arriver...

Cette nécessité implique enfin que le discours politique soit le même, quel que soit le lieu où il est prononcé. Ce serait pour moi très confortable de dire à Ajaccio les choses que les Corses auraient envie d’entendre, tout en tenant à Paris des propos que la représentation nationale est susceptible de vouloir écouter, sans me soucier de cohérence. Mais, moi, j’aime tenir le même discours en tous lieux. C’est aussi l’une des conditions du respect que l’on doit à ses interlocuteurs.

Au reste, je voudrais insister sur un point : la question qui nous occupe ce soir – c’était d’ailleurs un élément sous-jacent de toutes les interventions – fait l’objet d’un débat ancien, aussi ancien que la République elle-même et que la constitution de la nation française.

Nous vivons en effet dans un pays particulier, où l’État a préexisté à la nation, et où la nation s’est incarnée dans l’État. Ces deux processus historiques, il faut le reconnaître, ont été rendus possibles par la centralisation, phénomène grâce auquel le droit a organisé les choses, une langue s’est imposée et des principes convoquant souvent – pour ne pas dire toujours – l’égalité se sont incarnés dans les textes votés par la représentation nationale.

La question qui nous est posée ce soir est donc celle de la compatibilité entre la République telle que nous l’aimons, une et indivisible, et la diversité de ses territoires, de ses cultures, de ses approches.

La République n’a pas à annihiler ou à empêcher cette diversité ; elle doit au contraire la rendre possible, précisément parce que son unité et son indivisibilité sont la garantie que chacun, en son sein, pourra trouver son chemin sans que les principes de l’égalité devant le droit ou devant la charge publique, principes consubstantiels à la République elle-même, soient remis en cause.

Comment rendre tout cela compatible en droit et en politique ? Comment le faire et laisser à la Corse toute sa chance, sans faire perdre à la République ses principes et ses atouts ? Voilà le problème, tel que je le vois : il n’est ni simple ni insurmontable. En politique, dès lors que la bonne foi, la rigueur et l’honnêteté intellectuelle prévalent, il existe toujours un chemin.

Ce chemin est certes exigeant, il implique que l’on prenne le temps du dialogue, que l’on soit scrupuleusement honnête, et que l’on aille au bout du trajet ensemble. C’est ce que je souhaite pour la Corse, et c’est ce que, modestement, je veux essayer de faire en tant que ministre de l’intérieur.

Pour cela, il faut prendre les problèmes les uns après les autres, en commençant par ce qui relève de l’urgence, et les analyser finement de manière à y apporter les réponses les plus pertinentes.

La question principale a trait à l’économie et au droit pour les Corses à vivre en Corse, sur une île prospère, qui puisse mener sa politique du logement, de développement économique, de croissance de ses filières d’excellence et de valorisation de ses atouts agricoles.

Je le rappelle, la politique de la République n’a jamais été de laisser la Corse de côté ; au contraire, elle a toujours été de l’accompagner. Je n’évoquerai pas tout ce qu’ont fait les gouvernements successifs, par-delà les sensibilités politiques, sur ce point. Je me contenterai de signaler que le gouvernement de Lionel Jospin avait mis sur le métier, il y a un peu plus de dix ans, un plan exceptionnel d’investissements pour la Corse. Déployé au cours de la décennie écoulée, il a conduit, madame Giudicelli, à engager près de 2 milliards d’euros, dont 1,7 milliard émanait de l’État, pour des investissements structurants, lesquels ont permis à la Corse de connaître pendant dix ans un taux de croissance d’environ 2 %, bien supérieur à celui d’autres régions du continent.

Ce taux, d’ailleurs, aurait pu faire envie à bien des régions, notamment celles n’ayant pas profité de soutiens aussi significatifs de l’État pour accompagner le développement de leur territoire. Il était normal, néanmoins, que l’État y consentît. Il y a des obstacles et des handicaps consubstantiels à l’insularité, que la Corse n’avait pas vocation à surmonter seule. C’est ce qui a conduit l’État à mettre en place ce plan exceptionnel d’investissements, qui a contribué, entre autres actions, à la croissance de la Corse au cours de cette période.

Aujourd’hui, deux questions essentielles se posent en matière de développement, qui font d’ailleurs l’objet des réflexions menées par l’Assemblée de Corse et des propositions que celle-ci nous adresse : je veux parler de la possibilité pour les Corses d’avoir accès à la propriété et au logement en Corse, ce qui est bien légitime, et de la question, plus spécifique mais ô combien importante aux yeux des locaux, de l’usage de la langue corse.

Je traiterai donc ces trois sujets – la propriété et l’accès au logement entraînant celui du statut de résident –, puis un ou deux autres en conclusion, en essayant de faire en sorte que l’ensemble des questions relatives au droit, à la politique ou à la relation avec la République soient abordées, et sans qu’aucune soit occultée.

La première question, celle de la propriété et de l’accès au logement, recouvre deux sujets différents, connexes et complexes.

Le premier concerne les fameux « arrêtés Miot », lesquels ont doté la Corse d’un dispositif particulier, jusqu’à présent, en matière de droits de succession. Ce dispositif avait été rendu nécessaire par la difficulté pour la Corse de reconstituer ses titres de propriété, qui s’explique par des raisons très anciennes, constatées au début du XIXe siècle – en 1801 très exactement –, et qui, depuis lors, n’a pas été surmontée, fût-ce par des solutions de droit.

Sur ce sujet précis, on ne peut pas dire que le Gouvernement ait été inerte, sourd, autiste, indifférent aux expressions et aux interrogations formulées par les élus corses. J’ai passé suffisamment de temps avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, et avec les députés, au moment de l’examen du projet de loi de finances initiale et du projet de loi de finances rectificative, pour que vous ne vous souveniez pas des nombreux amendements sur ce sujet dont nous avons discuté. Il est parfois arrivé que les dispositifs préconisés par le Gouvernement, les amendements sur lesquels il avait émis un avis de sagesse, fassent l’objet de la réticence des membres de la Haute Assemblée, qui les considéraient non conformes à la Constitution.

Le Gouvernement, malgré tout, a souhaité appuyer ces amendements en contribuant à leur rédaction, en écoutant les acteurs corses, en émettant des avis de sagesse. Il avait parfaitement conscience, en effet, qu’il ne suffisait pas de consacrer des moyens supplémentaires au groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse, le GIRTEC, et qu’il fallait donner le temps à la Corse de reconstituer ses titres de propriété, afin qu’une fiscalité de droit commun puisse, à terme, s’appliquer aux droits de succession.

À l’époque, nombre de juristes appelaient l’attention du ministre chargé du budget que j’étais sur les problèmes constitutionnels que tout cela risquait de poser. D’autres juristes, prétextant que le droit n’était pas une science exacte, m’interpellaient en indiquant que l’avis généralement exprimé par des constitutionnalistes chevronnés et reconnus n’était pas nécessairement le droit, qu’il fallait écouter les juristes de l’île, ceux qui avaient de la sympathie pour elle.

Le Conseil constitutionnel a tranché ; il a dit le droit. Je ne commente pas l’autorité de la chose jugée, je la constate. Il ne reste plus alors qu’une solution : tenir compte des considérants de la décision pour essayer d’élaborer d’autres normes, qui, cette fois, franchiront l’obstacle.

Je veux réaffirmer aux élus de Corse ici présents, comme à ceux qui nous écoutent, la détermination du Gouvernement à trouver, en liaison très étroite avec la représentation nationale, une solution qui ne remette pas en cause le principe d’égalité, afin que des dispositions législatives relatives à la reconstitution des titres de propriété valant pour la totalité du territoire national, et donc pour la Corse, soient adoptées.

En disant cela, je n’ai pas le sentiment, madame Giudicelli, de faire montre d’une quelconque fermeture d’esprit. J’ai, au contraire, l’impression de faire preuve à la fois d’ouverture, de souplesse et de détermination à trouver une solution. C’est d’ailleurs assez cohérent avec ce que nous avons fait jusqu’à présent. Je ne vois pas pourquoi, en effet, à la lecture des considérants de la décision du Conseil constitutionnel, lesquels montrent la voie de droit à emprunter, je fermerais subitement l’accès au chemin que nous avons passé autant de temps à trouver lors de l’examen des projets de loi de finances précédents.

Ce qui compte, lorsqu’il s’agit de politique et de droit, ce n’est pas de prendre des postures ou de se faire plaisir ; ce qui compte, c’est de trouver un chemin qui aboutisse à une solution.

Si la solution n’est pas opportune en droit, le chemin débouche sur une impasse, c’est-à-dire le contraire d’une solution politique. Fermer une porte qui mène à une impasse, ce n’est pas les fermer toutes. Nous préférons ouvrir celles qui donnent sur de vraies solutions…

Le sujet connexe au problème de la propriété et du logement est relatif au statut de résident. La collectivité territoriale de Corse a ouvert un débat en proposant de créer ce statut pour régler le problème de la pression s’exerçant sur le foncier et de la spéculation l’accompagnant.

Ce problème peut en effet être la cause d’un coût de sortie du logement prohibitif, en tout cas pour les Corses qui n’ont pas les moyens d’accéder à la propriété et de se loger. Ce statut ouvrirait à ceux qui résident en Corse depuis longtemps – cinq ans – la possibilité d’accéder à la propriété.

La proposition de la collectivité territoriale de Corse mérite-t-elle le mépris du Gouvernement, de l’Assemblée nationale et du Sénat ? En aucun cas ! Je n’ai jamais considéré que le problème évoqué ne se posait pas ou que la spéculation foncière n’était pas un véritable sujet.

Simplement, puisqu’il s’agit d’un dialogue, ce qui suppose d’être deux, et dès lors qu’une proposition nous était soumise par l’Assemblée de Corse, j’ai souhaité exprimer une réponse étayée et expertisée permettant, dans le cadre de cet échange respectueux, de donner aux élus de Corse notre sentiment, après examen, quant à la voie empruntée.

La proposition de la collectivité territoriale de Corse pose deux problèmes.

Le premier est lié au principe d’égalité face à la propriété, principe éminemment républicain, qui renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et qui, comme l’a rappelé avec justesse le sénateur Nicolas Alfonsi, fait partie du bloc de constitutionnalité. Il faudrait donc changer la Constitution. Si une modification constitutionnelle permettait de régler le problème, je dirais : « Pourquoi pas ? »

Mais, et c’est le second problème, après un éventuel changement constitutionnel, il s’avère que la Corse perdrait le bénéfice du droit européen et des subventions qui l’accompagnent, car elle se retrouverait en contravention avec les principes juridiques de l’Union européenne. Certes, un tel dispositif avait été adopté pour les nouveaux entrants à titre transitoire. Mais la France est membre de l’Union depuis longtemps et, en l’occurrence, la mesure aurait vocation à être appliquée de manière non pas transitoire, mais pérenne.

Nous avons donc un problème de droit constitutionnel et un problème de droit européen.

Indiquer dans un débat qu’une délibération pourrait ne pas être légale – c’est le rôle de l’État, qui est constitutionnellement chargé du contrôle de légalité – en raison du divorce qu’elle instaure avec des principes constitutionnels et de droit européen n’est pas une manière de refermer des portes et de refuser le dialogue. Il s’agit simplement pour l’autorité chargée du contrôle de légalité de dire le droit. Cela s’appelle la République !

Ce n’est pas non plus une manière de dire qu’aucun chemin ne peut être emprunté pour régler le problème. La réflexion juridique peut se poursuivre. Le propre d’un débat et d’un dialogue est d’accepter l’argumentation de l’autre, y compris lorsqu’elle n’est pas conforme à ce que l’on pense soi-même. C’est l’idée que je me fais du dialogue dans la République.

La richesse des débats est d’autant plus grande que les points de vue sont différents et que l’on accepte d’accéder au point de vue de l’autre. C’est cela aussi, la République.

Par conséquent, je propose simplement que, l’État ayant fait connaître sa position en droit sur ce sujet, nous puissions continuer à dialoguer de manière républicaine pour trouver les solutions. Et je pense qu’il en existe.

La mise en place en Corse d’un établissement public foncier permettant à la puissance publique d’acquérir les emprises foncières sur lesquelles la spéculation est la plus grande, pour éviter que le coût du foncier ne continue à augmenter et que la Corse ne continue à se trouver confrontée à l’impossibilité de construire des logements dans des conditions compatibles avec le revenu des Corses, me paraît être une solution possible. Je le dis pour Mme Giudicelli, qui m’invite à ouvrir des portes, après m’avoir presque reproché d’en avoir fermé brutalement. Je les ai fermées avec douceur et esprit de vérité, et je les ouvre en grand vers des solutions qui me paraissent possibles et susceptibles d’être immédiatement mises en œuvre.

Cela appellera évidemment, de la part du Gouvernement, la manifestation d’une volonté d’aller dans cette direction, mais ne justifiera pas de clore la discussion sur tous les autres sujets, y compris celui-ci, dans sa dimension juridique. Mais, si l’on veut agir vite pour trouver des solutions rapidement, il vaut mieux emprunter les chemins les plus courts, surtout si l’on a le souci des solutions efficaces.

Le troisième sujet est celui de la langue.

J’entends nombre d’élus de Corse, mais également des citoyens, exprimer leur tristesse face à l’étiolement de cette langue qu’ils aiment, et qu’ils ont raison d’aimer parce qu’elle est belle, et leur crainte qu’elle ne soit plus parlée. Eh bien, je trouve cette préoccupation légitime !

Ce que je trouve moins légitime ou, en tout cas, ce sur quoi il me semblerait intéressant d’avoir un débat, c’est le chemin que l’on nous propose d’emprunter pour atteindre l’objectif du développement de la langue corse en Corse, c’est-à-dire la co-officialité.

La notion de co-officialité de la langue corse signifie – je le dis à notre ami Ronan Dantec, qui m’invitait à apporter une réponse précise sur le sujet – que l’on ne s’arrête pas au bilinguisme : on pose le principe que, pour accéder à l’emploi public en Corse, il faudrait être capable de répondre en corse à ceux qui, parmi les Corses, décideraient de s’adresser à l’administration dans cette langue.

Pour ma part, l’idée qu’un fonctionnaire réponde en corse à un administré corse qui s’adresserait à lui en corse ne me gêne pas du tout.

Ce qui me gêne, en revanche, c’est que l’on fasse de la maîtrise de la langue corse, même dans ses premiers prolégomènes, une obligation pour accéder à la fonction publique en Corse.

Faire cela signifierait tout simplement remettre en cause le principe d’égalité des citoyens français face à l’exercice des charges publiques, principe fondamental contenu, lui aussi, dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et auquel la fonction publique tient beaucoup. Et je ne suis même pas certain qu’en accédant à une telle demande, nous aurions pour autant la garantie que le corse serait davantage parlé.

En effet, la co-officialité de la langue corse, avec les conséquences que je viens d’indiquer, ne donne aucune assurance quant au fait que l’éducation nationale, de l’école primaire jusqu’à l’université, dotera les universités et les écoles d’enseignants susceptibles de développer l’apprentissage de la langue corse.

Je considère donc que la solution proposée pose un problème de droit, celui que je viens d’exprimer, mais ne remplit pas nécessairement l’office qu’elle prétend remplir. (Mme Colette Giudicelli opine.) Vous pouvez co-officialiser toutes les langues, si vous n’apprenez pas à ceux qui vivent sur le territoire à les parler, faute d’enseignants et de moyens dans le système éducatif, vous ratez la cible !

Pour ma part, je souhaite que l’on parle la langue corse en Corse, car je crois que les langues sont une richesse et que, comme le disait M. Dantec, cette pratique ne fait courir aucun risque à la langue française, à condition qu’elle s’inscrive dans un cadre conforme aux principes de la République, et avec la garantie que la cible sera atteinte grâce à la mobilisation des moyens de l’État dans le système éducatif.

Je le répète ici, au Sénat, avec la même sincérité et la même exigence de rigueur que celles que j’ai voulu exprimer dans mon intervention prononcée en Corse, la volonté du Gouvernement est non pas de fermer les portes, mais d’ouvrir celles qui permettent d’atteindre les bonnes solutions, afin de régler les problèmes auxquels la Corse doit faire face aujourd’hui.

Je conclurai sur deux points.

Tout d’abord, préconiser une réforme constitutionnelle qui impliquerait l’inscription des dispositions concernant la Corse dans la Constitution – encore faudrait-il en définir le contenu ! – supposerait d’être en situation de réunir une majorité qualifiée au Congrès pour la faire voter.

Or réunir une majorité des trois cinquièmes au Congrès pour faire voter une réforme constitutionnelle ne dépend pas de la seule volonté de la collectivité territoriale de Corse. On pourra tordre le problème dans tous les sens : ce n’est pas seulement un problème de droit, même si la règle de la majorité qualifiée est inscrite dans la Constitution ; c’est un problème politique !

Pour faire voter de telles dispositions constitutionnelles, il faut une majorité qualifiée au Congrès, mais je ne suis pas certain que cette majorité existe.

Il me paraîtrait donc hautement aléatoire de conditionner à la réunion de cette majorité la résolution des problèmes de la Corse, dont on nous dit qu’ils relèvent de l’urgence.

Si urgence il y a, réglons ces problèmes sans tarder, dans le cadre juridique existant ! Ne prenons pas le risque d’engager des discussions aléatoires visant à mobiliser des majorités dont on ne sait pas si elles existent, pour régler à long terme des problèmes qui, nous dit-on, relèvent de l’urgence du court terme.

La résolution des problèmes de la Corse à court terme n’obère en rien la possibilité de les régler de manière plus ambitieuse encore à long terme, dès lors qu’il y aurait une possibilité d’approfondir la réflexion juridique et de réunir les conditions politiques nécessaires.

Ensuite, quand les problèmes sont compliqués en droit, techniquement et politiquement, plus on est nombreux à dialoguer avec bonne foi et sincérité, plus on a de chances de les régler ensemble. Pour ce faire, il faut éviter de se faire des procès d’intention, c’est-à-dire non fondés sur des dires effectifs, en oubliant les propos tenus précédemment.

Avant moi, d’autres se sont exprimés sur la Corse, en Corse ou à Paris : ils ont tous indiqué dans quel cadre juridique la réforme pouvait s’engager.

Je n’ai rien dit de plus ni de moins, lorsque je me suis rendu en Corse, que ceux qui s’étaient exprimés avant moi ! Je n’ai fermé aucune porte. J’ai voulu indiquer quels étaient les aléas d’un chemin complexe et incertain, non pas pour altérer une volonté, décevoir, désespérer ou casser les enthousiasmes, mais pour mobiliser ceux-ci dans une direction qui mène vers une lumière, une issue, une solution.

Par ailleurs, je n’ai pas non plus fermé le débat sur la question institutionnelle, y compris dans sa dimension constitutionnelle – on peut en effet régler le débat institutionnel dans le cadre de la Constitution actuelle, ou aller plus loin. J’ai simplement dit que l’important, sur ces sujets, c’était le résultat et non la posture, c’était l’objectif, et non le fétichisme du droit ou de telle ou telle inscription normative dans tel ou tel texte.

À la faveur de ce débat, organisé au Sénat sur l’initiative de Nicolas Alfonsi, je veux redire aux Corses que, par-delà leurs sensibilités, leurs options et leurs volontés – elles sont diverses et multiples sur tous les sujets dont nous venons de débattre –, ils trouveront face à eux un gouvernement ouvert, à l’écoute, attentif, désireux de trouver des solutions et d’éviter des impasses, rigoureux dans son approche des textes et du droit.

Car les textes et le droit, parfois, ont à voir avec la politique lorsque l’on convoque la rigueur. Nous le ferons dans le respect de ceux qui délibèrent en nous posant des questions que j’estime justes, même si les réponses apportées ne sont pas toujours à la hauteur de ce que nous pourrions souhaiter.

J’espère que ce débat aura contribué à préciser certains points, et que nous aurons d’autres occasions de nous revoir pour approfondir ces sujets.

La question de la Corse, qui mobilise nos assemblées depuis longtemps, est trop passionnante pour cesser de les intéresser demain. Et elle est trop exigeante pour ne pas être abordée avec tous les préceptes de la rigueur intellectuelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la Corse et la réforme territoriale.

5

Clôture de la session ordinaire

Mme la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, aux termes du premier alinéa de l’article 28 de la Constitution, « le Parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire qui commence le premier jour ouvrable d’octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin ».

Nous allons lever la dernière séance de la session ordinaire, qui sera close à minuit.

Nous nous retrouverons demain mardi 1er juillet, à quinze heures, avec l’ordre du jour suivant :

1. Ouverture de la session extraordinaire 2013-2014 ;

2. Lecture des conclusions de la conférence des présidents.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quinze.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART