Sommaire

Présidence de Mme Bariza Khiari

Secrétaires :

M. Jean Desessard, Mme Odette Herviaux.

1. Procès-verbal

2. Décès d’un sénateur

3. Remplacement d’un sénateur décédé

4. Désignation d’un sénateur en mission temporaire

5. Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité

6. Taxe sur la valeur ajoutée applicable à la presse imprimée et à la presse en ligne. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale : Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication ; M. David Assouline, rapporteur de la commission de la culture ; Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture.

M. Robert Hue, Mmes Sophie Primas, Catherine Morin-Desailly, MM. Pierre Laurent, André Gattolin, Didier Marie.

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

Mme Bariza Khiari.

Clôture de la discussion générale.

Mme Aurélie Filippetti, ministre.

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

Article 1er. – Adoption

Article 2 (suppression maintenue)

Adoption définitive de l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.

M. le rapporteur.

7. Demande de création d'une mission d'information

8. Saisine du conseil constitutionnel

9. Interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié. – Rejet en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale : MM. Alain Fauconnier, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires économiques ; Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

MM. Joël Labbé, Jean Bizet, Jean-Jacques Lasserre, Thierry Foucaud, François Fortassin, Mme Nicole Bonnefoy.

Clôture de la discussion générale.

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

Exception d’irrecevabilité

Motion n° 1 de M. Jean Bizet. – M. Jean Bizet, Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, Stéphane Le Foll, ministre ; Mme Nicole Bonnefoy. – Adoption, par scrutin public, de la motion entraînant le rejet de la proposition de loi.

10. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

Mme Odette Herviaux.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures cinq.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Décès d’un sénateur

Mme la présidente. Madame la ministre, mes chers collègues, j’ai le très profond regret de vous faire part du décès de notre collègue René Teulade, survenu le 13 février dernier. (Mme la ministre de la culture et de la communication, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

René Teulade avait été élu sénateur de la Corrèze le 21 septembre 2008.

M. le président du Sénat participera aux obsèques, qui auront lieu demain mardi à Argentat. Il prononcera ultérieurement l’éloge funèbre de notre regretté collègue.

Au nom du Sénat, je souhaite exprimer notre sympathie et notre profonde compassion à sa famille, à ses proches et au groupe socialiste.

Madame la ministre, mes chers collègues, je vous propose d’observer un instant de recueillement. (Mme la ministre, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)

3

Remplacement d’un sénateur décédé

Mme la présidente. Conformément aux articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l’intérieur a fait connaître que, en application de l’article L.O. 319 du code électoral, Mme Patricia Bordas est appelée à remplacer, en qualité de sénateur de la Corrèze, M. René Teulade, décédé le jeudi 13 février 2014.

Son mandat a débuté le vendredi 14 février 2014, à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite une très cordiale bienvenue.

4

Désignation d’un sénateur en mission temporaire

Mme la présidente. M. le président du Sénat a pris acte du décret du 13 février 2014 par lequel le décret du 22 janvier 2014 chargeant M. Michel Fontaine d’une mission temporaire a été retiré à la demande de celui-ci.

Par courrier en date du 13 février 2014, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, Mme Jacqueline Gourault, sénatrice du Loir-et-Cher, en mission temporaire auprès de M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur, et de Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Cette mission portera sur l’accessibilité des personnes handicapées dans le domaine électoral.

Acte est donné de cette communication.

5

Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 14 février 2014, deux décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :

- l’article 50 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 (Versement transport des syndicats mixtes, 2013-366 QPC) ;

- l’article L. 3222-3 du code de la santé publique (Dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement, 2013-367 QPC).

Acte est donné de ces communications.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne
Discussion générale (suite)

Taxe sur la valeur ajoutée applicable à la presse imprimée et à la presse en ligne

Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne (proposition n° 332, texte de la commission n° 366, rapport n° 365).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la presse française, vous le savez, connaît une crise inédite par son ampleur et par ses ramifications.

Les pouvoirs publics, au premier rang desquels la représentation nationale, sont pleinement alertés de cette situation. En examinant et, je l’espère, en adoptant la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui, vous montrerez de nouveau l’importance capitale que la République accorde au pluralisme de la presse, à sa vitalité et à son avenir.

Le Sénat, fidèle à sa tradition novatrice, a évoqué la piste d’un alignement de la TVA de la presse numérique sur celle de la presse imprimée depuis plusieurs mois. J’avais moi-même précisé, en juillet dernier, au moment où j’annonçais la réforme des aides à la presse, que le Gouvernement était favorable à cet alignement.

Je veux saluer la réactivité avec laquelle M. le rapporteur a étudié cette proposition de loi pour la Haute Assemblée. Il a remarqué, avec justesse, que l’on aurait pu décider de cet alignement lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014.

Les signaux reçus ces dernières semaines sont une puissante incitation pour agir. En effet, les résultats de la presse pour 2013 sont désormais connus, et ils sont mauvais : la diffusion des quotidiens nationaux a connu une baisse de 7 %. Elle est même de 15 % pour la vente au numéro et de 5 % pour les quotidiens régionaux.

Je veux porter au crédit de l’Assemblée nationale et du Sénat d’avoir perçu l’urgence de la situation et d’avoir décidé d’agir vite, c’est-à-dire maintenant, pour mettre fin à l’injustice que crée le statu quo fiscal.

La présente proposition de loi est simple dans son principe comme dans sa rédaction : elle établit, à partir du 1er février 2014, l’égalité de traitement de toute la presse, quel qu’en soit le support, pour son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée. J’appuie pleinement cette initiative et je remercie les parlementaires de l’avoir prise.

La proposition de loi se fixe quatre objectifs essentiels : l’équité fiscale, bien sûr, le renforcement du pluralisme, l’amélioration du dynamisme économique et l’impulsion d’un nouvel élan à l’échelle européenne.

L’équité fiscale, tout d’abord. Dans le droit actuel, selon qu’un titre de presse est diffusé sur papier ou sur internet, le taux de TVA varie de 1 à 10, c’est-à-dire de 2,1 % à 20 %. Alors que les éditeurs de presse comme les lecteurs passent indifféremment d’un support à l’autre, la fiscalité, elle, reste figée dans une distinction artificielle, qui équivaut à une discrimination. Entre un article imprimé et un article mis en ligne, elle taxe différemment le travail d’une même rédaction. Il s’agit pourtant du même travail éditorial et rédactionnel et, bien souvent, de la même information.

Le modèle économique de la presse s’appuie de plus en plus sur des abonnements mixtes, papier et numérique, au sein desquels le droit fiscal nous oblige à démêler – quel artifice ! – ce qui est imprimé de ce qui est électronique, et ce alors même que nous devons tendre vers l’harmonisation fiscale, nécessaire à l’émergence d’un nouveau modèle économique de financement de la presse, à même de la sortir de la crise.

La fiscalité actuelle recrée des frontières qui n’existent plus et met des obstacles à la stratégie de transition numérique des titres de presse. Du point de vue des lecteurs, du point de vue des pratiques et usages d’aujourd’hui, elle avantage – comble du paradoxe ! – la technologie d’hier par rapport à celle de demain.

Pourtant, l’ensemble des éditeurs de presse, des journalistes et des spécialistes du secteur – dont certains ont participé au groupe coordonné par M. Roch-Olivier Maistre, à qui j’avais confié, l’an dernier, la mission de se pencher sur l’avenir de la presse écrite – affirment que la neutralité fiscale est l’urgence et la priorité d’une politique publique moderne de soutien à la presse.

Le Gouvernement en est pleinement d’accord : je l’avais moi-même souhaité dès le mois de juillet dernier. L’État ne doit pas entraver le développement du numérique ni privilégier un mode de diffusion au détriment d’un autre : c’est la conjonction des deux supports qui fera l’avenir économique de la presse.

La présente proposition de loi prévoit donc de rétablir la neutralité entre tous les supports de presse, comme cela a déjà été fait pour tous les supports du livre, l’Assemblée nationale et le Sénat ayant, en 2012, voté pour l’application d’un taux de TVA semblable pour le livre numérique et le livre physique.

Si, contrairement au livre, la presse n’est pas toujours exactement identique dans sa diffusion physique et dans sa diffusion numérique, la présente proposition de loi est extrêmement attentive à l’existence d’une catégorie juridique solide de ce qui constitue la presse en ligne, nécessaire pour appliquer le droit fiscal.

Le texte qui vous est proposé tend donc à consolider l’identification de cette catégorie par un organisme dédié, bien établi dans notre paysage institutionnel, la Commission paritaire des publications et des agences de presse, ou CPPAP. Cette même commission reconnaît ce qui constitue la presse écrite, tant numérique qu’imprimée, ce qui permet de réserver à la presse, et à elle seule, l’application du taux super-réduit de TVA. Les autres produits ou services proposés par les titres de presse en ligne ne seront pas concernés par l’abaissement du taux de TVA à 2,1 %.

Le deuxième objectif que se fixe la proposition de loi est le pluralisme de l’information. En effet, le secteur de la presse n’est pas un secteur comme les autres. Il est certes fragile économiquement, mais il est précieux pour la démocratie. C’est parce que la presse est singulière et qu’elle représente un pilier de nos institutions républicaines que le législateur a voulu un taux super-réduit de 2,1 %. En incluant aujourd’hui la presse en ligne dans la presse tout court, le législateur français proclame qu’elle contribue au pluralisme.

Parmi les services de presse en ligne se trouve en effet une presse qui enquête, qui recoupe, qui argumente et qui débat. Elle explore aussi de nouveaux sujets d’une façon nouvelle et éveille la curiosité de nouveaux lecteurs. Ainsi, en contribuant grandement à l’expression de la liberté d’informer, la presse en ligne est une chance pour la démocratie. En ce sens, elle renouvelle et ravive ce qui a fait la force de la presse écrite depuis bientôt quatre siècles.

Le troisième objectif visé par la présente proposition de loi est le renforcement du dynamisme économique de la presse. L’équité fiscale commandait de placer l’ensemble de la presse au même taux. La volonté de soutenir l’économie, fragile, de la presse valide le choix historique d’un taux de 2,1 %. Bien sûr, aligner les taux aurait pu signifier, pour le législateur, placer toute la presse à un taux moyen plus important, de 5,5 %, voire de 20 %.

Bien entendu, au vu des difficultés économiques actuelles et du rôle démocratique de la presse écrite, il était indispensable que l’alignement s’effectue par le bas, avec ce taux super-réduit à 2,10 %.

Il ne s’agit évidemment pas d’exonérer le secteur de la presse de tout effort budgétaire. Je vous rappelle que le projet de loi de finances pour 2014 a prévu une réduction des crédits en matière d’aide à la presse. Néanmoins, le taux de TVA super-réduit permet de soutenir et d’accompagner l’ensemble de la filière de la manière la plus neutre, c'est-à-dire en préservant au mieux l’indépendance consubstantielle à la presse dans une démocratie.

L’unification du taux de TVA peut créer un choc économique positif pour le secteur. D’ailleurs, j’observe que l’alignement de la TVA sur la presse en ligne est peu coûteux. La première année, en dépense fiscale, cela représente quelques millions d’euros, sans doute pas plus de 5 millions d’euros, voire moins, en attendant la montée en puissance pleine et entière du dispositif.

Le bilan budgétaire à moyen terme sera excellent. Grâce à l’effet d’entraînement économique, le coût sera plus que compensé au bout de trois années. Il s’agit donc d’une mesure judicieuse même pour les finances publiques.

Plus largement, l’avancée qui vous est proposée concourt à l’évolution générale que le Gouvernement souhaite pour les aides à la presse dans leur ensemble, afin de renforcer l’efficacité économique de l’ensemble du système.

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, au mois de juillet dernier, j’ai présenté une remise à plat de ces aides. La réforme se met en place conformément au calendrier annoncé. Nous réorientons le soutien du fonds stratégique pour le développement de la presse vers l’innovation numérique et vers les projets mutualisés, ce qui évite la dispersion en une dizaine de fonds, comme c’était le cas auparavant. Là, il y aura un seul fonds.

Nous avons lancé une mission sur l’avenir de la distribution de la presse, pour donner plus de cohérence aux trois modes de diffusion de la presse que sont la vente au numéro, le portage et le postage. Évidemment, dans un contexte de réduction de la consommation papier, une telle coexistence est problématique. L’inspection rendra ses conclusions au mois de juin ; elle doit permettre de définir les conditions d’une viabilité à long terme du système.

En outre, j’ai veillé à soutenir fortement les marchands de presse en incitant vivement la profession à revaloriser leur rémunération et à améliorer leurs conditions quotidiennes de travail ; je pense évidemment en premier lieu aux kiosquiers. Je sais tout l’attachement des membres du Sénat et de l’ensemble des élus locaux à ces relais indispensables de la presse, qui font vivre la démocratie dans tous nos territoires.

En loi de finances rectificative pour 2013, nous avons ouvert la possibilité aux collectivités locales d’exonérer les marchands de presse de la contribution économique territoriale. Je tiens à vous le rappeler, parce que c’est un levier de politique économique absolument essentiel pour les collectivités locales dans leur soutien aux marchands de presse.

J’en viens à l’élan européen. Vous le savez, nous devons parvenir à réformer la fiscalité sur les biens culturels en Europe.

La France défend sans relâche cette position auprès de la Commission européenne et des autres États membres. Une mission a même été confiée à Jacques Toubon et renouvelée. La Commission européenne a écouté les positions françaises. J’espère qu’elle a entendu nos arguments en faveur de la neutralité fiscale entre les biens culturels, quel que soit leur support. On ne peut parler aujourd'hui de transition numérique dans l’économie de la culture sans plaider ardemment pour cette neutralité.

Le Parlement européen s’est lui-même prononcé en ce sens. Notre partenaire allemand est également mobilisé sur le sujet. Dans le cadre de la nouvelle grande coalition, l’Allemagne a désormais rallié la position française sur la neutralité technologique en matière fiscale. Mon homologue allemande a d’ailleurs exprimé un soutien clair et fort à la proposition de loi que vous examinez aujourd'hui.

Après-demain, lors du sommet franco-allemand, nous aurons de nouveau l’occasion d’exprimer notre convergence de vue sur la légitimité de la neutralité technologique en matière de presse et de biens culturels en ligne. De nombreux autres États européens se sont clairement exprimés en faveur d’une réforme d’ensemble. L’ensemble des professionnels européens du secteur la réclament.

La crise de la presse, comme celles de l’édition musicale et du livre, touche toute l’Europe. Elle est profonde et peut constituer un danger radical pour notre continent si nous n’y remédions pas. Le pluralisme, la liberté de la presse, la création culturelle sont plus que des secteurs économiques pour notre continent : ils en sont véritablement l’âme. L’Europe doit agir, et elle peut le faire si nous avons, ensemble, la volonté de faire évoluer les conservatismes. Les procédures de l’Union européenne sont nécessaires et tout à fait légitimes, mais elles ne doivent pas être synonymes d’inaction.

Tous les Européens de conviction, dans chacun de nos pays, doivent prendre leurs responsabilités. À Paris, à Berlin, à Bruxelles, à Strasbourg, nous devons continuer de démontrer ce qu’est l’Europe, pourquoi nous l’aimons et à quoi elle sert : une Europe de la culture, de la liberté d’information, de la démocratie ! Et quelle plus belle preuve d’Europe qu’un encouragement européen commun à la création culturelle, à l’invention numérique ou au pluralisme de la presse ?

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, pour ma part, je suis convaincue qu’une décision européenne favorable sur la fiscalité culturelle est possible. Je ne ménagerai aucun effort pour y parvenir. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. David Assouline, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, en ce début d’année, l’actualité sociale du journal Libération illustre une nouvelle fois les difficultés financières considérables auxquelles est confrontée la presse imprimée, conséquences d’évolutions technologiques, économiques et sociales concomitantes.

Les problèmes ne se limitent pas au cas de Libération. Nous avons vu des titres disparaître au cours des années précédentes, dans un paysage qui n’est pas si diversifié que cela. D’autres titres peuvent être menacés demain.

Depuis 2008, les résultats sont inquiétants. La dégradation, qui s’est accentuée en 2013, avec une diminution de 8 % du chiffre d’affaires, n’épargne aucune catégorie de presse. La majorité des quotidiens nationaux ont vu leurs ventes diminuer : Libération bien sûr, mais également L’Équipe et Le Parisien. Certains titres ont mieux résisté, comme Le Monde et Le Figaro, mais seuls Les Échos et La Croix affichent aujourd'hui une évolution en croissance, bien que celle-ci soit inférieure à 1 %. La presse quotidienne régionale, qui se portait traditionnellement très bien, ne connaît pas une situation moins précaire, avec une diminution de 4 % de son chiffre d’affaires en 2013.

L’État, pour des raisons tant économiques que philosophiques, est traditionnellement garant du maintien d’une presse suffisamment puissante et diversifiée pour être indépendante.

Après ce panorama sur la situation de la presse, j’aimerais lancer une proposition. Nous sommes face à une situation urgente, très angoissante et tout à fait problématique pour notre démocratie, dont la presse constitue un pilier. En plus des efforts déjà engagés, peut-être faudrait-il réfléchir à une initiative significative pour la sauvegarde et la modernisation de la presse, en quelque sorte sur le modèle des assises de l’audiovisuel ou de la radio. En effet, c’est bien un sursaut collectif qui s’impose : l’État comme les autres acteurs concernés doivent se saisir de cette urgence. Il s’agit, je le répète, d’un enjeu démocratique.

Les éditeurs bénéficient d’un système d’aides aussi complexe qu’hétéroclite, au sein duquel il convient de distinguer les aides directes ciblées des aides indirectes généralistes de nature fiscale, dont le taux super-réduit de TVA à 2,1 % constitue le cœur.

La presse quotidienne a été exemptée du paiement de la TVA dès son instauration par la loi du 10 avril 1954 portant réforme fiscale, sur l’argument du soutien de la diversité des opinions et des moyens de les exprimer. Elle a ensuite bénéficié, à compter de 1977, d’un taux super-réduit de 2,1 %, étendu à l’ensemble des publications bénéficiant d’un numéro de commission paritaire des publications et agences de presse par la loi de finances pour 1989.

Pour y être éligibles, les publications candidates doivent « présenter un caractère d’intérêt général quant à la diffusion de la pensée » – d’ailleurs, madame la ministre, je me demande si les deux cents premiers bénéficiaires des aides répondent bien au critère d’intérêt général quant à la diffusion de la « pensée »… –, « répondre aux obligations de la loi sur la liberté de la presse, paraître régulièrement au moins une fois par trimestre, faire l’objet d’une vente effective, ne pas consacrer plus de deux tiers de leur surface à des annonces, ne pas être assimilables à des prospectus ou catalogues, enfin, ne pas être susceptibles de choquer le lecteur par une représentation dégradante de la personne humaine. »

A contrario, en application de la législation européenne, les sites de presse en ligne sont soumis, pour leurs abonnements comme pour la vente d’articles à l’unité, au taux normal de 20 %, y compris lorsqu’ils sont reconnus par la commission paritaire dans les conditions que je viens d’énumérer.

In fine, sur le quasi-milliard d’euros d’aides à la presse, quelques dizaines de millions d’euros seulement sont consacrées à la presse numérique, et j’entends ce que vous avez dit sur la réorientation de ces aides, madame la ministre. Jusqu’à présent, il s’agit essentiellement des crédits du fonds stratégique pour le développement de la presse en ligne et, à la marge, de quelques aides fiscales.

Malgré les récentes réformes du système d’aides à la presse, le plan triennal 2009-2011 issu des États généraux de la presse écrite et vos annonces du mois de juillet dernier, madame la ministre, l’équilibre général semble encore sous-optimal. Toutefois, je pense que la prise de conscience est là ; vos déclarations vont dans le bon sens.

Pourtant, dans le contexte de crise exacerbée de la presse écrite, la modernisation du secteur, via le développement de la presse numérique, constitue un enjeu majeur pour les éditeurs. La croissance attendue du marché de la presse en ligne est estimée à 45 % par an, soit un chiffre d’affaires de 625 millions d’euros en 2017, à l’heure où les perspectives les plus optimistes relatives à la presse imprimée font état d’une diminution du chiffre d’affaires d’environ 8 % par an.

Le modèle économique de la presse digitale n’est pas unique. Aux côtés des pure players, comme Mediapart ou Rue89, à diffusion strictement numérique, mais avec des différences de modèle économique, on trouve également des traductions numériques d’articles papier, mais également des contenus informatifs conçus pour la version numérique d’un titre de presse imprimé vendu à l’unité ou par voie d’abonnement.

Néanmoins, une information numérique de qualité suppose des investissements coûteux d’un point de vue tant technique que rédactionnel. À titre d’illustration, les commissions liées à la distribution via les plateformes représentent environ 30 % du prix du support numérique ainsi acquis, soit une proportion identique à la prestation facturée par le réseau de distribution de la presse imprimée.

Privés parallèlement de recettes publicitaires dynamiques, les éditeurs de presse numérique peinent aujourd’hui à trouver un modèle économique rentable, d’autant plus que les faibles gains tirés de cette activité sont largement ponctionnés par le taux de TVA à 20 %.

Ainsi, pour un titre comme Le Monde, le chiffre d’affaires de la version numérique doit doubler chaque année pour compenser la diminution de la diffusion papier. Pour L’Humanité, les recettes tirées de la version numérique sont inférieures de 90 % à celles d’un exemplaire papier. Même le site du quotidien de référence à l’échelle mondiale, le New York Times, ne parvient pas encore à l’équilibre économique.

Le différentiel de taux de TVA représente donc à la fois un handicap économique et un frein à la migration des abonnés papier vers les offres numériques, alors même qu’un certain nombre d’entre eux, pour des raisons de commodité comme par souci du développement durable, le souhaiteraient.

De manière récurrente, les éditeurs ont réclamé le rétablissement, autant que faire se peut, des conditions d’une rentabilité convenable du modèle en harmonisant les taux de TVA applicables à la presse. En mars 2011, la Déclaration de Berlin a réuni plus de deux cents associations professionnelles et groupes de presse européens autour de cet objectif. En France, l’appel pour l’égalité fiscale, lancé par le site Mediapart en décembre dernier, a recueilli plus de 30 000 signatures.

L’alignement des taux de TVA constitue un engagement de campagne du Président de la République François Hollande, réitéré le 16 décembre dernier à l’occasion d’une rencontre avec les éditeurs de presse.

Vous-même, madame la ministre, l’avez défendu à plusieurs reprises, tout comme de nombreux parlementaires. Je veux citer en particulier Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, et moi-même, à l’occasion de différents débats budgétaires, puisque, l’année dernière, cette mesure avait été adoptée à la majorité du Sénat.

La réforme envisagée a fait l’objet de nombreuses études, qu’il s’agisse de celle qui a été menée par Bruno Patino dans la perspective des états généraux de la presse, mais également des missions confiées à Roch-Olivier Maistre sur les aides à la presse et à Pierre Lescure sur l’adaptation des industries culturelles au numérique, car les problématiques sont semblables. Toutes ont conclu au caractère essentiel de son application, qu’elles ont recommandée la plus rapide possible, afin de donner à la presse les moyens de sa modernisation et, partant, de son avenir.

La réforme, sous la forme d’une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale, instaure l’égalité fiscale au 1er février 2014 pour tous les titres, quel que soit leur support de diffusion. Les membres du groupe socialiste et apparentés et moi-même avons déposé sur le bureau du Sénat, le 27 janvier dernier, une proposition de loi identique, jointe par la commission de la culture à l’examen du présent texte.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui procède à l’alignement du taux de TVA applicable à la presse en ligne sur celui dont bénéficie la presse papier.

Les sites de presse doivent, au préalable, avoir fait l’objet d’un agrément de la commission paritaire, qui fonde son jugement sur la maîtrise éditoriale du site par la personne éditrice, sur la production et la mise à disposition du public d’un contenu original et renouvelé régulièrement, sur le traitement journalistique des informations et leur lien avec l’actualité, enfin sur l’absence de promotion d’une activité industrielle ou commerciale.

Sur la base de ces critères, assez proches de ceux qui s’appliquent aux publications de la presse imprimée, ont été reconnus à ce jour 650 services de presse en ligne, parmi lesquels seuls ceux qui revêtent un caractère intégralement ou partiellement payant sont ici concernés.

Le nouveau dispositif s’applique aux opérations pour lesquelles la TVA est exigible depuis le 1er février dernier, c’est-à-dire sur les sommes qui seront versées au 1er mars prochain, conformément aux engagements gouvernementaux de mise en œuvre immédiate. À cette fin, une instruction fiscale relative au régime applicable aux services de presse en ligne a été diffusée le 31 janvier dernier.

Après un vote unanime de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, l’Assemblée nationale a adopté, au cours de sa séance publique du 4 février dernier, le texte de la présente proposition de loi dans les mêmes conditions, après que le Gouvernement a levé le gage figurant à l’article 2.

Avec la suppression de la distorsion de concurrence existante, est établi le principe de neutralité technologique et fiscale, qui, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, s’oppose à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables soient traitées différemment en matière de TVA.

Les démarches entreprises par la France, qui défend de longue date ce principe, et depuis peu avec vigueur, visent à obtenir une modification de la directive du 28 novembre 2006 en vue de permettre l’application de taux de TVA réduits aux biens et services culturels, y compris à ceux qui sont fournis en ligne.

Selon la directive précitée, chaque État peut fixer au maximum trois taux de TVA différents : un taux normal, qui ne doit pas être inférieur à 15 %, et deux taux réduits, qui ne peuvent être inférieurs à 5 %.

Un taux super-réduit est toléré par dérogation lorsque les États membres appliquaient, au 1er janvier 1991, des taux réduits inférieurs au seuil prévu par la directive. Toutefois, aucun taux super-réduit ne peut depuis lors être appliqué à une nouvelle catégorie de biens ou de services, conformément à la clause dite « de gel », dont bénéficie la presse imprimée, considérée comme une livraison de biens.

En revanche, la vente ou la location de biens culturels en format numérique est considérée comme une prestation de service fourni par voie électronique. À ce titre, elle est inéligible au taux réduit, et encore davantage au taux super-réduit, de TVA.

En application du principe de neutralité et en soutien à une industrie culturelle particulière, la France a cependant fait fi des règles communautaires et décidé unilatéralement d’harmoniser les taux de TVA applicables au livre numérique à l’occasion de la loi de finances rectificative pour 2011.

Cette initiative a conduit la France, comme le Luxembourg, qui dispose d’une législation identique, au contentieux avec la Commission européenne, sous forme d’une procédure en manquement.

En appliquant un taux super-réduit aux activités de presse en ligne, c'est-à-dire en votant pour la proposition de loi que nous examinons, la France se met de facto dans la même situation que pour le livre et s’expose ainsi à la même procédure, même si les instances européennes montrent aujourd'hui, sur cette question, des signes d’évolution encourageants.

Depuis 2010, la Commission européenne comme le Parlement européen se sont exprimés à plusieurs reprises en faveur d’un alignement des taux de TVA sur les biens physiques et leurs équivalents numériques.

Le 8 octobre 2012, une consultation publique relative au réexamen des taux réduits de TVA a été lancée, abordant explicitement la question des industries culturelles. Les contributions reçues – il y en a eu des centaines – militent de manière quasi unanime en faveur d’une modification de la directive dans le sens de la neutralité technologique. En conséquence, la Commission européenne a annoncé qu’elle produirait bientôt une étude d’impact sur la question des taux de TVA et de leur possible évolution au début de l’année 2014. Nous y sommes, et j’espère que cette étude sera publiée rapidement.

Cela étant, une fois votée, le cas échéant, par la Commission européenne, une proposition de révision de la directive demandera encore, avant d’entrer en vigueur, à être adoptée par le Conseil européen à l’unanimité des États membres.

Dans ce cadre, il est important de le souligner, et vous l’avez rappelé, madame la ministre, le revirement de l’Allemagne, qui soutient désormais la position française, représente un atout et constitue un véritable tournant en faveur de ce dossier. J’avais moi-même noté ce point en amont en lisant le programme de la nouvelle coalition SPD-CDU.

S’agissant, enfin, des conséquences de la réforme d’un point de vue économique et fiscal, si l’impact d’une réduction du taux de TVA sur la consommation dépend de la répercussion plus ou moins importante de cette diminution sur les prix fixés par les éditeurs, la mesure dégagera, en tout état de cause, une marge de manœuvre financière pour poursuivre les investissements destinés à l’innovation technologique et au renforcement de la qualité éditoriale.

Pour les éditeurs « mixtes », une partie des pertes de la presse imprimée pourra être plus justement compensée, notamment les coûts d’adaptation du modèle industriel de la presse papier. On peut également imaginer que de nouveaux acteurs pourront faire leur apparition sur le marché, encouragés par ce taux de TVA, alors que leur capacité à y demeurer de façon pérenne est aujourd’hui compromise par une fiscalité trop lourde.

Par ailleurs, en termes de manque à gagner fiscal, la mesure ne devrait guère être coûteuse, de l’ordre de 5 millions d’euros, peut-être moins, en année pleine, en raison du chiffre d’affaires limité à l’heure actuelle de la presse numérique. Elle devrait ensuite être créatrice de recettes pour l’État grâce à l’essor de cette industrie favorisé par le taux de TVA super-réduit.

Lors du débat à l’Assemblée nationale a été évoqué, j’y étais attentif, les suites et les problèmes posés par les redressements et contrôles fiscaux en cours concernant certains pure players, comme Mediapart, Arrêt sur images, Terra eco ou La lettre A, qui ont unilatéralement appliqué un taux de TVA à 2,1 % avant la mise en œuvre de la mesure. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation et rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, a rappelé la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel sur la non-rétroactivité de la loi fiscale.

De plus, une modification du texte en ce sens, ici au Sénat, faisant abstraction de ces considérations prises en compte à l’Assemblée nationale, aurait pour conséquence de retarder son vote définitif par les deux chambres, et donc l’application de la mesure, ce qui pénaliserait d’autant les médias concernés.

Malgré les nombreuses initiatives parlementaires depuis de nombreuses années, je regrette que la présente réforme ait tant tardé. Néanmoins, mieux vaut tard que jamais ! Il serait aujourd’hui dommage que le délai pris par les pouvoirs publics pour appliquer un taux super-réduit de TVA à l’ensemble de la presse conduise à mettre en danger l’existence de certains titres, qui étaient justement pénalisés par ce taux de TVA.

Notre commission s’est maintes fois prononcée en faveur de l’harmonisation des taux de TVA applicables aux différentes catégories de presse sur la base de celui dont bénéficie la presse imprimée.

Il s’agit d’un enjeu économique : la presse ne peut survivre à la crise actuelle qu’en se modernisant et en tirant profit de la révolution numérique. Il s’agit d’un enjeu démocratique : la pluralité des opinions dans le cadre d’un traitement journalistique de qualité doit pouvoir se développer sur la Toile. Enfin, il s’agit d’un enjeu juridique, en application du principe de neutralité technologique et fiscale.

C’est pourquoi, après l’avoir elle-même voté à l’unanimité, la commission de la culture du Sénat vous propose d’adopter le texte dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me félicite de cette initiative, portée et rapportée par David Assouline, soutenue par l’ensemble de la commission.

Au-delà du soutien aux plaidoyers que vous entendrez pour ce pilier de la démocratie qu’est la presse libre et pluraliste, je veux ici formuler deux observations.

La première concerne l’Union européenne et la Commission européenne : contre les règles fiscales myopes qu’on nous avait objectées, qui favoriseraient le papier, parce son contenu est matérialisé, et plomberaient le numérique, parce que ce ne serait qu’un service, les parlements doivent utiliser toute leur légitimité et la logique de la neutralité des supports pour faire valoir, comme nous le faisons, leurs choix argumentés. Nous espérons, madame la ministre, que le Gouvernement utilisera tous les moyens pour défendre ce point de vue et convaincre nos partenaires. Vous venez d'ailleurs de nous parler de l’Allemagne.

La deuxième observation concerne le débat budgétaire. Par le biais d’amendements de sénatrices, de sénateurs, de groupes ou même de la commission de la culture, voilà plus de deux ans que l’alignement de la TVA presse est demandé au nom de la neutralité des supports.

Il y a quelques mois encore, lors du débat budgétaire, on brandissait devant nous la menace européenne pour nous débouter de notre légitime proposition. Des avis défavorables sur des amendements dont les dispositions se trouvent au cœur même du texte dont nous débattons aujourd’hui étaient prononcés sans ménagement à l’encontre de tous les membres de la commission de la culture, comme si seuls ceux de la commission des finances avaient des neurones responsables ! (Sourires.)

Aujourd’hui, au contraire, l’utilisation d’une semaine gouvernementale pour débattre de ce texte montre tout le soutien du Gouvernement au projet. Nous ne bouderons pas notre plaisir, mais davantage de considération hier pour le Parlement aurait fait gagner des moyens aux journaux, de la sécurité à la presse en ligne et du temps à tout le monde.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de commission de la culture. Cette remarque, vous l’aurez compris, madame la ministre, s’adresse davantage à votre collègue de Bercy qu’à vous-même, dont nous savons la motivation.

En outre, dans ce registre, celui de la considération du Parlement, je forme des vœux pour qu’un véritable débat préside à la rénovation des aides à la presse, plutôt que la rédaction dans les couloirs de la direction générale des médias et des industries culturelles, la DGMIC, d’un décret plus qu’important.

En effet, au-delà du sauvetage des titres, notre devoir est aussi de veiller au respect des journalistes. Je pense à ces innombrables pigistes mobilisés, puis remerciés, mobilisés de nouveau, puis encore remerciés, aux dépens de leurs congés, notamment, pour les femmes, des congés de maternité, et aux dépens peut-être de leur liberté. Je pense également aux photographes spoliés : la recommandation de bonnes pratiques ne suffit pas.

Vous le voyez, madame la ministre, nous avons beaucoup à dire sur la conditionnalité des aides à la presse. Le nombre de titres et leur santé sont des gages de démocratie ; la façon dont les entreprises traitent les journalistes est aussi un élément de démocratie.

Toutefois, je terminerai sur une note constructive : c’est à l’unanimité que le texte que nous examinons aujourd’hui a été adopté par la commission. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, harmoniser les taux de TVA applicables à la presse papier et à la presse en ligne n’est pas seulement, comme cela a déjà été dit, une nécessité pour la survie et le développement de ce secteur. C’est aussi une exigence de justice et même un impératif démocratique. Aussi, la quasi-totalité des membres du RDSE approuvera la présente proposition de loi.

Nous connaissons tous les difficultés auxquelles la presse est aujourd’hui confrontée. La situation de la presse imprimée se dégrade depuis vingt ans, avec une accélération ces dernières années, cela aussi a déjà été souligné. Cette dégradation est perceptible à différents niveaux, à commencer par la diminution du nombre de titres : plusieurs quotidiens nationaux ont déjà mis la clef sous la porte, d’autres, comme Libération, se trouvent actuellement dans la tourmente...

Le nombre d’exemplaires diffusés a considérablement diminué : nous sommes passés de sept milliards d’exemplaires par an à cinq milliards en une vingtaine d’années.

L’ensemble de la presse papier connaît des difficultés de financement, exacerbées par la chute des recettes publicitaires. Par conséquent, à l’exception de deux titres qui ont connu une faible croissance, inférieure à 1 %, en 2013, tous les grands quotidiens nationaux ont vu leur chiffre d’affaires s’effondrer l’an dernier, avec, en moyenne, une diminution de 8 % et de 4 % pour la presse quotidienne régionale.

Cette situation a bien évidemment des conséquences sociales désastreuses. Ainsi, 6 000 emplois ont été perdus en dix ans, dont 1 500 ces deux dernières années. La précarité d’une grande majorité des journalistes et des salariés de ce secteur est également de plus en plus prégnante.

Si la presse en ligne est la seule à connaître des recettes publicitaires et un chiffre d’affaires croissants, cela ne doit pas masquer l’extrême fragilité de ce secteur, aucun de ses acteurs n’étant parvenu, à ce jour, à trouver un équilibre économique.

Il convient de le souligner, la presse en ligne bénéficie d’un soutien public bien moins important que la presse imprimée, puisque, sur presque un milliard d’euros de dispositifs d’aide à la presse, seuls 20 millions d’euros vont à la presse en ligne. En outre – c’est l’objet de la présente proposition de loi –, celle-ci est assujettie au taux normal de TVA, soit 20 % depuis le 1er janvier 2014, contre 2,1 % pour la presse imprimée.

Comment justifier qu’un journal ou un article soit taxé différemment selon son support ? La même question s’est posée il a quelques années pour les livres, et nous avons très justement pris la décision de fixer un taux unique de TVA sur les livres, qu’ils soient en format numérique ou en format papier. Pourquoi pénaliser les éditeurs et les lecteurs qui choisissent le format numérique ?

La neutralité technologique du support, dont vous avez parlé, madame la ministre, d’un point de vue fiscal semble une évidence. Pourtant, elle ne l’est pas pour tous, puisque, comme M. le rapporteur l’a rappelé, la directive européenne relative à la TVA de 2006 exclut les « services fournis par voie électronique » des taux de TVA réduits dont peuvent bénéficier les biens et services culturels.

Il faudra donc maintenant convaincre Bruxelles de la nécessité d’appliquer aux biens et services culturels et à la presse le même taux de TVA – un taux réduit, bien évidemment – quel que soit leur support.

Madame la ministre, croyez-vous en un consensus rapide à l’échelon européen sur ce point ? Comment évaluez-vous le risque de contentieux qui pourrait être engagé contre la France à la suite de cette harmonisation ?

La France a déjà su convaincre l’Europe de l’importance de l’exception culturelle. Toutefois, préserver cette exception et, surtout, garantir une véritable démocratisation culturelle, cela passe aussi par des tarifs accessibles. Un taux de TVA réduit, ou super-réduit, dans le cas de la presse, est un outil indispensable pour garantir cet accès universel à la culture et à l’information.

Sans nous faire les chantres d’un monde entièrement « numérique », il nous semble qu’il faut bien mesurer la chance que celui-ci représente : nouveaux publics, nouvelles utilisations... C’est aussi un enjeu de démocratisation culturelle. L’avenir de la culture, comme celui des autres secteurs, sans dépendre exclusivement du numérique, passera nécessairement par lui. Et taxer davantage un journal en fonction de son support, c’est freiner ce développement, c’est même instaurer une distorsion de concurrence selon les choix d’exploitation des éditeurs qui n’est pas acceptable.

Si je ne souhaite pas une disparition de la presse imprimée – je n’y crois d'ailleurs pas –, je n’imagine pas pour autant un avenir de la presse sans le numérique. Nous devons donc donner aux éditeurs tous les moyens de leur développement dans l’univers numérique.

Une presse libre, diversifiée et surtout pluraliste constitue l’un des fondements de la démocratie et de la citoyenneté.

Soutenir la presse en ligne, c’est favoriser l’innovation et les nouveaux usages et garantir le développement de l’accès à l’information, qui constitue un droit fondamental.

En novembre dernier, madame la ministre, vous affirmiez : « Trop longtemps, le numérique n’a été jugé que comme une menace, il est temps de le voir comme une chance pour la culture ». Je ne peux qu’approuver vos propos et j’espère que ce texte, qui constitue indéniablement une avancée, sera voté très largement. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas.

Mme Sophie Primas. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la presse est considérée, à tort ou à raison, comme le quatrième pouvoir. En tout cas, elle constitue indéniablement en France un contre-pouvoir.

Il suffit pour s’en convaincre d’observer que la complaisance envers les pouvoirs en place, quels qu’ils soient, est bien loin d’être la règle, tant s’en faut. Une certaine forme de liberté d’expression est garantie par l’existence d’éditions diverses et pluralistes, aux sensibilités différentes, qu’il convient par conséquent de préserver.

Les pouvoirs despotiques ont en effet toujours combattu le pluralisme en muselant la presse et en n’autorisant qu’une seule presse d’État. C’est pourquoi les plus grandes révolutions démocratiques ont toujours cherché à protéger cette forme de liberté d’expression.

En 1789, l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a ainsi proclamé que la libre communication des pensées et des opinions était l’un des droits les plus précieux de l’Homme.

En 1791, le premier amendement de la Constitution américaine de 1787 a disposé que le Congrès ne ferait aucune loi portant atteinte à la liberté d’expression.

En 1881, la loi sur la liberté de la presse en France a supprimé tout régime préventif, abandonné le délit d’opinion et aboli la censure.

Cependant, la presse se trouve aujourd’hui en France à un véritable tournant de son histoire. Avec le développement du numérique, l’information n’est plus devenue le seul apanage des grands titres de presse nationaux et régionaux. Tout citoyen peut désormais devenir un relais ou une source d’information au travers de la toile et des réseaux sociaux.

Cette évolution constitue un progrès démocratique indéniable, mais elle présente également une forme de danger, la rumeur fabriquée, voire manipulatrice, pouvant être relayée comme une réelle information.

Pour combattre ce danger, il est indispensable que les organes de presse reconnus et structurés occupent le terrain du numérique, afin qu’il existe des sites d’information référents, pluralistes, de qualité et sous-tendus par une véritable responsabilité éditoriale.

L’accès instantané, facile et souvent gratuit – peut-être trop souvent gratuit – à une information dématérialisée extrêmement réactive a ainsi accéléré l’effondrement de la presse papier, notamment des quotidiens, dont le coût, il faut le rappeler, résulte pour près de 60 % des frais d’impression et de distribution. Aujourd’hui, plusieurs orateurs l’ont déjà souligné, seuls les quotidiens La Croix et Les Échos parviennent encore à progresser quelque peu, mais pour combien de temps encore ?

Les grands quotidiens, s’ils veulent naître, vivre ou survivre, doivent donc faire leur révolution et accomplir pleinement ce virage du numérique. Le lancement récent du quotidien L’Opinion est en ce sens symbolique, puisqu’il a été double : papier et numérique simultanément. Toutefois, il demeure plusieurs obstacles à ce virage technologique.

Le premier est d’ordre psychologique : se résoudre à la transformation du support des quotidiens et de la perte de terrain du papier est parfois difficile pour des journalistes qui ont connu les grandes heures de la presse papier et dont le mode de travail même est organisé pour cette dernière.

Ainsi, jeudi dernier, Nicolas Demorand, le directeur de la publication du quotidien Libération et coprésident du directoire, a démissionné, notamment en raison « d’une divergence stratégique profonde ». Il souhaitait en effet faire prendre à Libération le « virage numérique », alors que le journal reste « une entreprise dominée par le papier ».

Il a notamment déploré que la rédaction papier ne produise en moyenne que 0,1 article par semaine et par journaliste pour le site. La disparition des quotidiens La Tribune et France Soir a constitué un choc dans le milieu de la presse papier, France Soir, par exemple, ayant longtemps été une référence dans le paysage médiatique français, forte d’une rédaction de plus de 400 personnes au cours de son âge d’or.

Si la presse papier est peu ou prou parvenue à absorber le choc de la concurrence de l’image et de la diffusion de l’information à la télévision, il paraît moins certain qu’elle puisse résister au virage numérique. Elle doit donc l’accompagner.

Outre cet obstacle psychologique, demeure l’obstacle fiscal. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale et par la commission de la culture de la Haute Assemblée, sous votre présidence, madame Blandin, entend lever cet obstacle. Son adoption est donc nécessaire pour la survie de la diversité de la presse française, même si, bien entendu, elle n’est pas suffisante.

En effet, actuellement, il est difficile de compenser la diminution de la diffusion papier, soumise à un taux de TVA super-réduit de 2,1 %, par une hausse de la diffusion numérique, soumise à un taux de TVA dix fois supérieur.

Plus généralement, alors que la presse en ligne croît de 45 % par an, elle ne bénéficie que de 20 millions d’euros sur le milliard d’euros d’aides à la presse, comme l’a rappelé M. le rapporteur, ainsi que notre collègue Robert Hue. L’harmonisation des taux de TVA, avec l’application d’un taux super-réduit à 2,1 % pour la presse numérique, est donc indispensable pour accompagner cette évolution digitale.

Il convient de souligner, comme vous l’avez déjà fait, madame la ministre, que le coût de cette mesure sera très faible, puisqu’il est évalué au plus à 5 millions d’euros, pour les quelque 650 services de presse en ligne.

Toutefois, si nous soutenons cette harmonisation, nous ne pouvons cautionner les anticipations de l’instruction fiscale décidées et appliquées unilatéralement par certains organes de presse et qui font l’objet de contentieux avec le fisc français.

Ainsi, pour ce qui concerne les sites qui se sont mis en infraction fiscale en s’auto-appliquant le taux de 2,1 % au lieu de 19,6 % avant le 1er janvier 2014, il ne convient pas, selon nous, de s’opposer aux redressements fiscaux en cours.

En effet, en cas d’annulation de ces redressements sans fondement juridique solide, nous enverrions un signal désastreux au monde économique, lui donnant à croire qu’il serait fondé à juger lui-même de la légitimité des taux de TVA ! Sur cette question, j’ai noté que les avis de M. Bloche, à l'Assemblée nationale, et de notre rapporteur étaient convergents.

En revanche, nous serions évidemment favorables à tout aménagement ou étalement de cette dette fiscale qui pourrait être décidé par l’administration fiscale et qui permettait ainsi la survie salutaire des titres en cause.

Un vote à l’unanimité de cette proposition de loi par l’ensemble des parlementaires, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, constituerait un message fort adressé à Bruxelles, pour que les autorités européennes règlent rapidement la question de l’eurocompatibilité de cette mesure. Nous éviterions alors de nouveaux risques juridiques pour ces titres. Madame la ministre, nous vous remercions de votre implication sur cette question.

Rappelons que le Parlement suédois avait déjà adopté en mai 2011 une résolution préconisant l’application des mêmes taux de TVA et que l’Allemagne ne s’oppose désormais plus à cette harmonisation.

D’un point de vue juridique, la fiscalité applicable à la presse ne doit pas s’apprécier en fonction du support de diffusion, qu’il soit numérique ou imprimé.

La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt Rank de novembre 2011, a clairement et solennellement réaffirmé que le principe de la neutralité fiscale était un élément constitutif du principe de libre concurrence.

En conséquence, même si l’harmonisation des taux de TVA contredit temporairement une directive européenne dont la révision est en cours, cette harmonisation met en œuvre ce principe de neutralité et, par conséquent, celui de libre concurrence, qui est le principe fondateur de l’Union européenne. La légitimité juridique de ce principe nous semble donc supérieure et pourrait d’ailleurs servir de support à une contestation des redressements fiscaux en cours en France.

Enfin, au-delà de l’harmonisation des taux de TVA, nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion plus approfondie sur notre presse, sur la baisse du lectorat, quel que soit le support, et sur la nature et la pertinence des aides apportées aux différents titres présents sur notre territoire.

Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, le groupe UMP votera cette proposition de loi tendant à harmoniser les taux de la TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne, tout en émettant le regret d’avoir dû l’examiner dans une certaine précipitation et en exprimant l’espoir de voir un débat approfondi prochainement organisé sur cette question. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l’UDI-UC. – M. André Gattolin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en renversant les modèles d’affaires existants, le numérique a ébranlé toute l’économie traditionnelle. La plupart des secteurs sont aujourd’hui soumis à ces bouleversements : les télécommunications, la banque, la grande distribution, les livres, la musique, la vidéo, mais aussi le tourisme, la défense, l’automobile demain, mais aussi, bien sûr, les médias et la presse, qui nous occupent aujourd’hui.

Désormais, au moins 73 % des ménages sont connectés à internet dans l’Union européenne. Les cinq plus grands pays européens, dont la France, comptent 104,4 millions d’utilisateurs de smartphones. Connectés partout et à toute heure, les Européens consomment de plus en plus de services en ligne, ainsi que de multiples contenus, notamment des informations.

On constate clairement qu’un phénomène de substitution est actuellement à l’œuvre. Pour les nouveaux lecteurs, la question ne se pose même plus, à l’heure où Le Journal du Dimanche est meilleur marché par voie de téléchargement que sous sa forme papier. Les écrans et les tablettes sont désormais partout, des salles de rédaction aux salons.

Cette nouvelle donne nous invite à des adaptations propres à faciliter l’émergence de nouveaux modèles économiques.

S’agissant du taux de TVA en ligne, notons que la directive européenne de 2006, qui fixe les secteurs sur lesquels peut s’appliquer le taux exceptionnel de 2,1 %, reconnaît à la presse son caractère nécessaire à la bonne santé de nos sociétés démocratiques. Nous approuvons bien entendu cette idée.

Le droit européen en la matière a rigidifié la situation telle qu’elle se présentait en 1991. Il y a vingt ans, la presse écrite, c’était pratiquement la totalité de la presse. Aussi, le caractère exceptionnel du taux réduit ne saurait être lié au seul support papier. Si l’on tient compte des mutations technologiques, on constate que cette lecture des choses est dépassée. C’est le contenu, c'est-à-dire l’information, et sa transmission qui importent.

Continuer à appliquer à la presse numérique une TVA dix fois plus élevée relève donc du non-sens.

J’ai toujours défendu le principe de la neutralité du support : je l’avais fait d’emblée pour le livre. De manière logique, depuis trois ans lors des discussions budgétaires, je propose en conséquence, au nom de mon groupe, l’adoption d’un amendement permettant d’étendre le champ d’application de ce taux de TVA. Curieusement, monsieur le rapporteur, votre majorité, qui défend aujourd’hui cette même disposition, n’a jamais voté notre amendement…

Le groupe UDI-UC, lui, sera cohérent avec lui-même et votera cette proposition de loi, qui est conforme à ses travaux et qui reprend l’une des trente préconisations de mon rapport « L’Union européenne, colonie du monde numérique ? », rendu il y a bientôt un an au nom de la commission des affaires européennes.

Je souhaiterais néanmoins, madame la ministre, monsieur le rapporteur, vous alerter sur le caractère limité d’un tel dispositif, qui n’offre pas de vue d’ensemble sur la question du numérique. Aligner la fiscalité de la presse numérique sur la presse écrite est une mesure de bon sens, mais dans un cadre aussi limité et strictement national, cela restera un expédient.

Il en va de même pour l’accord dit « Google-presse », qui est malheureusement relativement symptomatique de la façon dont le Gouvernement a abordé la question des mutations que connaît le secteur. Il faut bien le reconnaître, on s’est contenté et félicité d’une obole de 60 millions d’euros pour la presse, sans que la réalité des problèmes posés soit traitée et surtout sans que la somme dégagée par le géant américain ait été répartie entre les éditeurs de presse de manière claire et transparente.

Envoyer un signal européen est une chose. Néanmoins, compte tenu du droit européen actuel, il ne faudra pas manquer de prendre une position claire et déterminée vis-à-vis de nos partenaires européens.

En effet, seule l’Union européenne a aujourd'hui la masse critique pour peser dans le cyberespace et appréhender les nombreux défis que la mutation numérique pose aujourd'hui : défis culturel, économique et industriel, fiscal et juridique, avec la question de la maîtrise des données, nouvel « or noir » du numérique.

Au cœur de la problématique, il y a un nouvel écosystème, qui s’est construit et se développe très rapidement, à l’insu des acteurs traditionnels. Les nouveaux entrants dans la chaîne de valeurs développent des services qui deviennent de plus en plus incontournables. En ligne de mire, on trouve évidemment Google, qui diffuse par exemple sur son site une sélection considérable d’articles de presse sans s’acquitter d’aucun impôt – ou presque – et sans rien reverser aux éditeurs de presse.

Certes, nous avons été le fer de lance sur la question de l’exception culturelle, mais il faut aller beaucoup plus loin.

Face à ce qui se joue, nous devons trouver des alliés pour peser efficacement sur la Commission européenne et maintenir la pression afin que, au nom de la diversité culturelle, elle propose d’appliquer au livre et à la presse en ligne un taux de TVA au moins aussi bas que celui qui est appliqué aux biens culturels « physiques ». Plus largement, il faut que la Commission européenne prévoie d’inclure l’objectif de diversité culturelle dans la réglementation des services puisque, à l’ère du numérique, les biens culturels prennent la forme de service en ligne.

Le Syndicat de la presse quotidienne nationale confirme qu’il s’agit d’une problématique européenne, partagée avec les éditeurs de presse allemands, belges, italiens, portugais, réunis dans plusieurs associations européennes : l’ENPA, European newspaper publishers association, pour la presse quotidienne et l’EMNA, European magazine media association, pour la presse magazine.

De la même manière, il faut exiger le respect absolu par tous les États membres du calendrier européen en matière de changement de lieu d’imposition de la TVA pour les services en ligne afin de « reterritorialiser » la perception de la TVA sur le lieu de consommation de ces services.

Par ailleurs, en application du code de conduite que les États membres se sont fixé, il faut exercer une pression conjointe des grands États membres victimes de l’optimisation fiscale des multinationales du numérique sur les États membres complices de cette situation.

Enfin, il faut peser pour faire avancer la révision internationale du modèle OCDE de convention fiscale qui permettra d’imposer les multinationales de l’économie numérique à proportion de leur activité sur le territoire où résident leurs utilisateurs.

Au-delà de l’aspect fiscal, il faudrait également imposer des obligations d’équité et de non-discrimination à certains acteurs de l’internet – je pense une fois encore à Google –, devenus des « facilités essentielles », parce qu’ils ont acquis une position dominante et durable et que nombre d’activités économiques deviennent impraticables sans eux.

Un sujet de préoccupation mérite aussi la plus grande vigilance de notre part et de celle des autorités européennes de la concurrence : la neutralité des terminaux. Le phénomène d’intermédiation obligatoire, conjugué à la concentration inhérente à l’économie numérique, est extrêmement préoccupant au regard de la diversité culturelle et du pluralisme de la presse.

Ainsi, on le voit, le présent texte répond à une situation spécifique, mais ne va pas au-delà. Il faut assurément replacer cette question de l’accès à l’information dans une réflexion d’envergure sur la fiscalité applicable au territoire de l’Union européenne et, surtout, débattre de notre stratégie globale face aux enjeux multiples engendrés par cette mutation d’ampleur.

Il me reste enfin à dire notre regret de constater que la présente proposition est déconnectée d’une démarche plus globale et plus approfondie en faveur de la presse. Nous souhaiterions, à cet égard, connaître l’avancée de la fameuse réforme des aides à la presse que le Gouvernement annonce depuis des mois.

Madame la ministre, alors que le Gouvernement a considérablement baissé les crédits, la question du portage est aussi devenue un sujet de préoccupation depuis quelque temps, régulièrement mis en avant par notre presse quotidienne régionale.

Pourquoi ne pas nous avoir proposé un texte complet dans lequel la présente proposition de loi aurait été inscrite et qui, du coup, aurait traduit une véritable réflexion de fond sur une industrie que nous jugeons essentielle et qui connaît les difficultés que chacun sait ?

Nous ne pouvons, hélas, que déplorer le retard pris ces deux dernières années, alors que, il faut bien le reconnaître, l’économie de la création est menacée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi tend à faire passer le taux de TVA de la presse en ligne de 20 % à 2,1 %, pour l’aligner sur le taux de TVA super-réduit appliqué à la presse papier.

Nous approuvons cette mesure absolument nécessaire, en regrettant toutefois le caractère tardif de la décision. Ce retard a d’ailleurs permis l’engagement d’une procédure de redressement fiscal particulièrement inopportune à l’encontre de plusieurs titres de presse en ligne et de Mediapart, qui – c’était chose connue – s’est de lui-même appliqué le taux de TVA réduit depuis plusieurs années. Ces titres pourront compter sur notre soutien.

En effet, nous avions déjà demandé à maintes reprises l’application du taux de TVA réduit à toute la presse. En tant que rapporteur pour avis sur les crédits presse de la loi de finances pour 2014, j’ai également défendu cette proposition d’extension du taux de TVA super-réduit à la presse numérique.

Le taux réduit de TVA protège un contenu, une fonction – l’information –, son indépendance et son pluralisme, et non un support : le journal papier.

Le Gouvernement avait objecté la non-conformité de cette disposition aux règles européennes et le risque que des contentieux ne soient engagés à l’encontre de la France. Il avait alors affirmé sa volonté de faire avancer la réflexion européenne en matière de TVA, comme il tente de le faire depuis 2012, avant toute modification législative.

La directive relative au système commun de TVA de 2006 encadre en effet strictement les exceptions au taux de TVA normal. Elle limite aujourd’hui le taux de TVA réduit entre 5 % et 15 % aux livres, aux radios, aux droits d’auteur dus aux écrivains, compositeurs et interprètes et aux services fournis par eux, à l’exception des services culturels en ligne. Elle restreint le taux de TVA super-réduit aux applications antérieures à 1991, quand elles sont justifiées par des raisons d’intérêt social ; c’est le cas de la presse papier en France.

Cependant, cette directive ignore superbement l’enjeu démocratique essentiel qui est au cœur de cette affaire. L’information est un droit, une liberté fondamentale, et non une simple marchandise.

Alors que le secteur de la presse traverse une crise très grave, entre érosion des ventes papier et impossible équilibre économique de la presse numérique, menaçant jusqu’à son existence – en tout cas celle de nombreux titres –, il était urgent de rétablir la neutralité fiscale et technologique de la TVA pour accompagner la transition, encore en gestation, des modèles économiques de la presse.

Étant donné l’absence d’avancées concrètes au niveau européen, je me réjouis que le Gouvernement ait décidé, sans plus attendre, d’uniformiser le taux de TVA applicable à la presse.

Je ne peux pourtant limiter mon propos à cette disposition. Aussi positive soit-elle, elle n’est qu’un premier pas, qui ne doit pas nous faire oublier combien la crise de la presse est structurelle, grave et profonde.

Les fortes tensions que connaît actuellement le journal Libération nous rappellent, s’il le fallait, l’ampleur de cette crise, qui a déjà mené à la fermeture des éditions papier des journaux La Tribune et France-Soir.

Cette actualité pose la question du soutien et de l’accompagnement de la presse d’information générale ainsi que celle de la survie des journaux papier, de leurs transformations nécessaires et de leurs « multimutations » vers le « multisupport ».

Il est vrai que Libération est dans une situation financière compliquée. Ce journal a sans doute, comme d’autres, à régler des problèmes d’orientation stratégique et éditoriale, mais le projet développé par ses actionnaires ne constitue aucunement une avancée souhaitable pour la presse en général. Bien au contraire ! Loin de sauver l’information, il la rend accessoire, fait de ce journal une marque, un produit d’appel, dissout tout ce qui fait le cœur de la presse, d’un quotidien, se contentant d’analyser son bilan économique comme celui d’une entreprise « comme les autres ».

Que la presse évolue pour trouver de nouvelles formes d’existence, de nouveaux modèles économiques combinant offre papier et développement de l’offre numérique, soit ! Mais chose, mais transformer un des grands quotidiens nationaux en un espace marchand et en un réseau social à seul but lucratif, rendant l’information accessoire, ne peut être ouvrir la voie à la sortie de la crise que traverse la presse. En l’occurrence, pour « sauver » Libération, on tue le journal ! C’est donc à juste titre que les salariés et journalistes de ce titre s’inquiètent de son devenir et que nous les soutenons dans leur opposition à la mise en œuvre du projet proposé la semaine dernière par les actionnaires.

Si les difficultés de Libération se déploient avec une ampleur particulière, elles sont emblématiques de celles que rencontre l’ensemble de la presse quotidienne d’information.

La révolution numérique entraîne de nouveaux usages et de nouveaux modes de « consommation » de l’information, qui, combinés à la crise économique, placent la presse dans une période de profonde déstabilisation. Surtout, cette révolution est mise à profit par d’autres groupes, notamment les géants du web et, en particulier, Google, pour piller les revenus publicitaires par la mise en ligne et le référencement de contenus journalistiques sur internet, récupérés au mépris du droit des auteurs et des rédactions. Cette stratégie a à la fois pour effet de concurrencer la presse traditionnelle et de faire diminuer la rentabilité des offres légales et numériques des journaux.

D'ailleurs, les fameux accords passés entre Google et les éditeurs de presse, auxquels le Gouvernement a poussé plutôt que d’encourager une longue négociation avec les géants de l’internet dans un cadre européen, n’ont fait qu’entériner cette pratique, moyennant une somme purement symbolique. Il aurait mieux valu réfléchir à la participation pérenne de ces grandes entreprises au financement de la presse, en contrepartie de la récupération de valeur qu’elles opèrent, souvent illégalement !

Par conséquent, si la TVA à 2,1 % va dans le bon sens, elle devrait prendre place dans un dispositif d’ensemble, pour assurer la survie et l’avenir de la presse d’information dans cette période de transition, pour aller vers le déploiement de nouveaux modèles viables et modernisés pour l’ensemble de la presse, qui devraient combiner, et non opposer, dans une concurrence mortifère pour l’information, le papier et le numérique.

La survie de la presse d’information est un enjeu démocratique : celui de l’existence du pluralisme d’opinion et d’analyse.

Cet édifice démocratique est en danger et, pour le repenser, une seule mesure ne suffit pas. Nous avons besoin de nombreuses mesures pour lutter contre la concentration, pour repenser un réseau de distribution mutualisé dans une perspective de modernisation, avec un soutien accru et rénové de l’État et le renforcement de la solidarité entre les acteurs. Il faut que les aides à la presse soient maintenues, et non diminuées – comme l’a fait la dernière loi de finances –, pour favoriser la mutualisation de la distribution, la modernisation des supports et la protection du pluralisme.

À nos yeux, ce dispositif d’ensemble manque encore et, si la baisse de la TVA sur la presse numérique s’inscrit dans la bonne direction, raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi, elle devrait être accompagnée au plus vite d’autres mesures qui prennent pleinement la mesure de la crise.

Je le répète, nous souhaitons que la baisse de la TVA fasse partie d’un ensemble plus cohérent, à même de lui donner son plein effet et de doter la presse des moyens de la révolution nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, les écologistes plaident en faveur de l’alignement du taux de TVA de la presse numérique sur celui de la presse imprimée.

C’est donc avec une vive satisfaction que nous accueillons cette mesure et c’est sans surprise que nous voterons cette proposition de loi dans le texte issu de l’Assemblée nationale, comme nous y invite la commission de la culture.

Le pluralisme de l’information est un enjeu démocratique majeur. À cet égard, l’État reste le principal garant d’une presse libre et indépendante, notamment à travers les aides qu’il accorde à ce secteur.

La baisse du taux de TVA inscrit évidemment dans cette logique. Elle constitue une réparation face à une injustice, qui devenait chaque jour plus criante. Elle rétablit deux principes fondamentaux du droit : le principe de neutralité fiscale et celui, défini plus récemment, de neutralité technologique, puisqu’elle va permettre de réunifier, d’un point de vue conceptuel et juridique, la presse imprimée et la presse en ligne, sans discrimination entre ces deux modes de diffusion.

Enfin, elle ouvre la possibilité de raisonner globalement, en termes de marques d’information, sans s’arrêter à d’artificielles barrières technologiques.

En effet, même si elle leur facilitera la vie, cette mesure ne bénéficiera pas uniquement aux seuls médias d’information en ligne : elle concerne l’ensemble des titres de presse d’information qui ont choisi d’engager une mutation en développant diverses formes d’édition électronique, en complément de leur édition papier. Sans cette harmonisation de la TVA, il serait notamment très difficile, pour ces titres de presse, de proposer des offres couplées d’abonnement aux deux supports.

Surtout, cette mesure devrait permettre aux entreprises de presse de retrouver un modèle économique en adéquation avec le caractère exigeant de la production d’une information de qualité, car elle va faciliter le redéploiement du modèle économique de la presse sur internet vers le payant.

En effet, il faut en finir avec l’illusion d’une presse d’information de qualité fondée sur la gratuité et sur son corollaire, le financement exclusif par la publicité.

C’est un fait : les recettes publicitaires n’ont jamais été en mesure, à elles seules, de couvrir les coûts de production des authentiques sites d’information. Pourquoi ? Tout simplement parce que la ressource publicitaire, qui aurait logiquement dû leur échoir, est le plus souvent captée, en amont, par les agrégateurs, les moteurs de recherche, des sociétés comme Google, capables de tracer les usages d’internet par la population, individu par individu, et de commercialiser pour leur compte ces données personnelles qu’elles n’ont pas produites. Ces sociétés ne se contentent pas de récupérer les contenus et de les agréger sous Google News : elles les revendent comme nouveaux vecteurs publicitaires.

Trop tardivement, les entreprises de presse ont fini par prendre conscience de cette nouvelle donne économique. Elles sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à développer des offres payantes pour leurs contenus sur internet.

Dans ces conditions, l’abaissement du taux de TVA pour ces services est une bouffée d’air dans le monde de plus en plus sinistré de l’information.

Au reste, on peut s’interroger : pourquoi cette mesure, qui semble si évidente à présent, n’a-t-elle pas été prise plus tôt ?

Le principal argument que nous ont opposé, dans cette enceinte, les gouvernements successifs se fondait sur une réglementation européenne hostile. C’était là forcer un peu le trait : en réalité, la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, applicable aux services, généralement invoquée pour juger la presse numérique comme inéligible au taux super-réduit de TVA, fait l’objet d’une interprétation très restrictive. Pourtant, ce que contient son chapitre 3 offre vraiment matière à plaider !

Surtout, nous avons jusqu’à présent trop superbement ignoré d’autres dispositions, tout aussi importantes, concernant le principe de neutralité fiscale dans le droit européen. Ainsi, dans sa jurisprudence, notamment dans l’arrêt The Rank Group, rendu le 10 novembre 2011, que ma collègue Sophie Primas a cité, la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de rappeler le principe selon lequel deux prestations identiques ne peuvent en aucun cas être traitées différemment du point de vue fiscal.

Bref, le risque de voir la France sanctionnée pour l’application d’une telle mesure est aujourd'hui proche de zéro !

Pour autant, cette proposition de loi, que nous serions fous de ne pas adopter, ne réglera pas tout.

Je pense en particulier à la situation de plusieurs supports numériques payants d’information de qualité qui, parce qu’ils avaient décidé de s’auto-appliquer le taux super-réduit pour survivre financièrement et ouvrir la voie à la loi que nous étudions aujourd’hui, font toujours l’objet de procédures de recouvrements fiscaux, au terme desquelles elles risquent de « mourir guéries ». Ainsi, si la procédure est maintenue, Mediapart pourrait se voir réclamer un recouvrement de 6 millions d’euros ! Quant à Arrêt sur images, ne disposant pas de la trésorerie nécessaire pour faire cesser le recouvrement fiscal dont il était l’objet, il a vu son fonds nanti. La situation est ubuesque : le directeur de l’administration fiscale est quasiment devenu le directeur de publication de fait d’Arrêt sur images !

Certes, en matière de droit, la rétroactivité est toujours une opération dangereuse. Pour autant, nous appelons le Gouvernement à tenir compte de l’esprit de la loi. En l’espèce, un dispositif d’amnistie fiscale circonstancié serait, à notre sens, le bienvenu.

Madame la ministre, mes chers collègues, cette mesure, si louable et si indispensable soit-elle, ne demeure cependant qu’un des éléments de la nécessaire refonte des aides à la presse dans notre pays.

Un décret actuellement en préparation devrait notamment fusionner les trois sections actuelles du Fonds stratégique pour le développement de la presse et un nouveau « club des innovateurs » devrait être mis en place pour définir la pertinence à moyen terme des mesures à prendre. Avec une telle avancée, le bien-fondé des aides distribuées pourrait être apprécié plus globalement. En effet, trop d’argent a été accordé pour de prétendues innovations technologiques qui, en réalité, ne permettaient pas aux entreprises concernées de drainer de nouvelles ressources ou de nouveaux lecteurs. Nous devons donc être très vigilants quant aux compétences réelles et à l’expertise des membres de ce futur comité, pour éviter les errements du passé.

Si l’innovation ne se décrète pas, elle doit être accompagnée avec intelligence et souplesse. Mes chers collègues, cela fait trop longtemps que le secteur de la presse subit le tournant numérique plus qu’il ne le fait fructifier ! (Mme la présidente de la commission de la culture et M. Pierre Laurent applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, dont je salue la première intervention dans cet hémicycle.

M. Didier Marie. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne. Enfin ! diront certains.

Comme l’a souligné David Assouline dans son excellent rapport, cette mesure est en effet attendue par l’ensemble du secteur de la presse, tant en France que dans le reste de l’Europe, comme en témoigne la « déclaration de Berlin », rendue publique en mars 2011, qui a réuni les signatures de plus de deux cents associations professionnelles et groupe de presse européens autour de l’objectif du taux de TVA réduit pour le numérique au même titre que pour la presse écrite.

Elle est aussi attendue par les usagers, ainsi que l’attestent les 30 000 signatures recueillies par le site Mediapart, à la suite de son « appel pour l’égalité fiscale ».

Elle est en outre souhaitée depuis longtemps par de nombreux parlementaires, qui ont déposé des amendements ayant le même objet lors de l’examen des dernières lois de finances. D'ailleurs, dans ce combat pour obtenir l’alignement des taux de TVA, notre rapporteur avait été en première ligne.

Enfin, rappelons qu’elle fait suite à un engagement du Président de la République, confirmé le 17 janvier aux éditeurs de presse par le Premier ministre.

Chacun ici sait que la presse est confrontée à une grave crise, liée au vieillissement de son lectorat, à la migration de ses lecteurs vers d’autres supports, à la baisse de ses recettes publicitaires – de quelque 8,2 % en 2012 –, dans un contexte économique atone, à l’affaiblissement du réseau de distribution et à la fermeture de nombreux points de vente. Ces différentes évolutions entraînent un recul du chiffre d’affaires de l’ensemble de la presse – de l’ordre de 8 % en 2013 – et s’accompagnent malheureusement d’un effondrement des marges, malgré une augmentation des prix de vente.

Cette crise se traduit par des destructions d’emplois – 1 500 en deux ans – et par des menaces sur certains titres. Ce qui se passe en ce moment à Libération en est une illustration, sans parler de la disparition de France-Soir et de La Tribune ou des inquiétudes que peut susciter la situation de Nice-Matin et de Var-Matin.

L’écosystème de la presse imprimée est engagé dans une spirale dangereuse.

Cette situation est par ailleurs une source préoccupation majeure quant au fonctionnement même de notre démocratie, dont l’un des piliers est l’accès libre à l’information indépendante et aux outils de communication Nous avons besoin d’une presse libre, indépendante et pluraliste pour garantir les fondements de l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme ». C’est ce principe qui constitue le socle de la politique de soutien public à la presse et qui justifie aujourd’hui cette nouvelle intervention de l’État et l’examen de cette proposition de loi. Il s’agit de favoriser l’émergence d’un nouveau modèle économique pour la presse.

Certes, la presse imprimée reste un vecteur efficace pour obtenir une information approfondie, mais tout le monde convient que la presse en ligne constitue le prolongement, voire l’avenir du travail d’information et d’investigation du journalisme.

Cette mutation numérique est vitale pour l’ensemble du secteur. Elle offre un relais de croissance, permet de trouver de nouveaux lecteurs et accompagne la révolution des usages qui voit 65 % des ménages – soit 38 millions de personnes – raccordés à internet. Ces mêmes ménages s'équipent massivement en outils numériques, comme en témoignent les acquisitions de tablettes numériques : on devrait en compter près de 20 millions en 2017.

Jusqu’à présent, la presse imprimée et la presse en ligne restent considérées comme deux catégories distinctes au regard du droit fiscal : la première bénéficie du taux super-réduit de 2,1 % et la seconde du taux normal de 20 %.

Ce différentiel de TVA est un lourd handicap pour la presse et un obstacle à l’émergence d’un modèle économique viable pour la presse payante en ligne qui, à ce jour, présente une rentabilité trop faible au regard d’investissements et de coûts d’hébergement représentant jusqu’à 30 % ou 40 % du coût total.

Il interfère avec la stratégie des titres de presse comme avec l’évolution des modes de consommation et de diffusion de l’information.

Cette différence de traitement constitue une entrave évidente à l’évolution du modèle économique. Elle se trouve aussi en contradiction avec le principe de neutralité technologique de la fiscalité, reconnu par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment avec le fameux arrêt Rank du 10 novembre 2011, qui a condamné le Royaume-Uni pour avoir mis en œuvre des TVA différentes pour des produits semblables.

Le niveau actuel de la TVA affaiblit l’attractivité de l’offre en ligne, détourne les lecteurs potentiels – souvent plus jeunes – et diminue la capacité d’investissement des sites de presse. Cette réglementation est incompatible avec le développement du numérique. La complémentarité des supports papier et digital est en effet indispensable et présuppose une stricte égalité de traitement fiscal.

En appliquant le taux de 2,1 % de TVA à la presse en ligne, l’objectif est de rendre accessible et attractive sur internet l’information politique et générale. Cette disposition permettra de renforcer les sites qui respectent les normes professionnelles. Ces sites sont en effet soumis à la concurrence de sites qui n’ont « d’information » que le nom et produisent des contenus à coût nul, en collectant des informations non vérifiées, souvent fournies par les internautes eux-mêmes, sans respecter les règles de la profession.

Il est important que les usagers aient la possibilité de se référer à des sites dotés d’un label de qualité, encadrés par une responsabilité éditoriale et validés par la commission paritaire des publications et agences de presse.

On pourrait nous objecter deux raisons pour ne pas appliquer le même taux à l’ensemble de la presse.

Tout d’abord, dans une période difficile pour les finances publiques, son coût, qui est estimé par une étude de référence à 5 millions d'euros pour la première année d’application. Ce coût est à comparer aux 270 millions d'euros que représente cette mesure pour la presse imprimée. Il en résulte un manque à gagner relatif qui, selon la même étude, serait compensé en trois ou quatre ans par le développement de la filière et les recettes supplémentaires de TVA ainsi engendrées. Aussi l’argument budgétaire ne tient-il pas.

Deuxième objection : actuellement, la réglementation européenne ne le permet pas. C’est justement la raison pour laquelle les autorités françaises ont entrepris des démarches actives auprès des institutions européennes. Ces démarches produisent leurs effets : le Parlement européen s’est prononcé trois fois en faveur d’un taux réduit de TVA pour les œuvres culturelles numériques et la Commission a annoncé – le rapporteur l’a rappelé – une étude exhaustive sur cette question.

À la suite de l’accord entre le CDU et le SPD, l’Allemagne s'est récemment ralliée à la position française, par ailleurs soutenue par dix pays, en particulier la Suède, qui a déjà transcrit cette mesure dans son droit interne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique ou encore la Pologne. Cette évolution ouvre des perspectives favorables de modification de la directive européenne du 28 novembre 2006 pour permettre l’application du taux de TVA réduit aux biens et services culturels.

Cependant, l’urgence est là. Toutes les études ont conclu que l’adoption du taux super-réduit de 2,1 % pour la presse en ligne – qui déboucherait sur un soutien global et indifférencié à l’ensemble du secteur de la presse – est d’une importance vitale : aussi bien celle qu’a conduite Pierre Lescure sur l’adaptation des industries culturelles au numérique, remise en mai 2013, que celle de Roch-Olivier Maistre sur les aides à la presse.

Rappelons que cette baisse de TVA est un soutien plus intéressant que le versement de subventions directes aux organes de presse, car ces subventions, en éveillant souvent le soupçon de conflits d’intérêts, posent la question de l’indépendance des titres.

Le droit européen est aujourd’hui en contradiction avec l’obligation constitutionnelle des pouvoirs publics de soutenir un secteur qui traverse une crise extrêmement préoccupante et dont l’avenir, voire la survie sont largement conditionnés par sa capacité à réussir sa mutation numérique.

La légitimité doit prendre le pas sur la légalité européenne. Le Gouvernement a lancé ce mouvement en instaurant un taux réduit pour le livre numérique. Nous devons appuyer ses efforts et faire valoir l’exception culturelle.

Agir pour l’existence, la pérennité et le pluralisme d’une presse indépendante – parfois impertinente, mais toujours professionnelle – est une mission d’intérêt général, une responsabilité que nous devons assumer et une garantie pour la vigueur de la démocratie.

En adoptant à l’unanimité cette proposition de loi, nous donnerons un horizon à la presse de notre pays et nous renforcerons, mes chers collègues, la position française dans les négociations en cours avec l’Union européenne.

La France a toujours eu un rôle moteur et pionnier pour défendre et promouvoir le respect de la liberté, l’indépendance des médias et la mise en œuvre de l’exception culturelle.

Ce texte, une nouvelle fois, en fait la démonstration, et les membres du groupe socialiste sont heureux de le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Jacques Gautier applaudit également.)

(M. Thierry Foucaud remplace Mme Bariza Khiari au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.

Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est le fruit d’un long combat mené par l’ensemble des groupes des deux assemblées, comme cela a été largement rappelé. Elle s’appuie sur de nombreux travaux, les derniers en date ayant été réalisés, à votre demande, madame la ministre, par le groupe de travail sur les aides à la presse, réuni sous la présidence de Roch-Olivier Maistre.

Ainsi, ce texte fait l’objet d’un consensus au sein des deux assemblées : nous partageons tous, et c'est heureux, l’ambition et la volonté de maintenir la pluralité de la presse dans notre pays, qui est un principe à valeur constitutionnelle.

Les pouvoirs publics ont permis ce pluralisme en s'appuyant sur un socle équilibré, comprenant trois dispositifs : la loi Bichet de 1947, qui assure la distribution de tous les titres dans tous les points de vente ; l’application d’un taux préférentiel, dit « super-réduit », de TVA ; les aides à la distribution.

Ce socle est aujourd’hui remis en cause par l’avènement d’internet et les mutations qu’il opère. D'une part, les points de vente de la presse sont de moins en moins nombreux, la loi Bichet perdant ainsi de sa pertinence. D'autre part, la presse connaît des évolutions importantes, notamment avec l’apparition de médias en ligne, qui ne bénéficient que marginalement des aides à la presse tout en étant soumis à un taux de TVA dit « normal », mais prohibitif pour le développement de ce secteur d’activité.

En d’autres termes, le dispositif global de soutien à la presse doit être mis à jour afin que le pluralisme de l’information, vital en démocratie, demeure une réalité. Le débat d’aujourd’hui est ainsi une première étape vers la refondation du socle.

Au nom du principe de l’équité fiscale et de la neutralité des supports, il est injuste et inopérant à court terme, compte tenu de la migration des lecteurs de la presse papier vers la presse numérique, que la presse en ligne soit soumise à une TVA à 20 % et la presse papier à une TVA à 2,1 %. C’est d’ailleurs dans cet esprit et sur la base de ces mêmes arguments que nous avons voté ensemble, en 2011, l’alignement de la TVA applicable au livre numérique sur la TVA applicable au livre papier, comme tous les intervenants l’ont rappelé.

Ce parallélisme des formes en matière de TVA revêt par ailleurs une signification symbolique forte : il permet de reconnaître enfin que le travail du journaliste professionnel peut se faire sur internet et qu’il a la même légitimité que celui qui est effectué sur le support papier. Il s’agit de donner à un article en ligne la même valeur qu’un article imprimé.

Toutefois, cette mesure fiscale ne peut répondre, à elle seule, aux défis que doit relever la presse d’information. Je souhaiterais donc profiter de ce moment pour que nous puissions nous interroger ensemble sur la meilleure façon de faire vivre le pluralisme de l’information, mais aussi l’information tout court.

Nous vivons en effet dans un monde saturé d’images, d’écrits, de données. Dès lors, la presse quotidienne d’information générale se retrouve dans une situation de plus en plus compliquée : depuis l’émergence des chaînes d’information continue, la presse quotidienne nationale n’a plus le monopole des scoops, de la nouvelle… Quand nous lisons un journal, nous avons déjà en tête les grands faits marquants du jour.

Le lecteur attend de son quotidien un regard, une analyse, une intelligence ajoutée. Rappelons ici que les médias ont un rôle de médiation : n’oublions jamais la parenté étymologique des deux termes. À ce titre, les médias formatent les représentations, exerçant ainsi une éminente responsabilité citoyenne.

Les médias ont donc un rôle d’explication, d’analyse, de formation de l’opinion et d’interpellation du pouvoir. Quand ils tiennent vraiment ce rôle, ils constituent alors ce « quatrième pouvoir » qui est une pierre de touche d’une réelle démocratie et le gage de la crédibilité de la presse comme du développement de son pluralisme.

La masse d'informations à vérifier, à hiérarchiser et à analyser est devenue considérable. Or toutes ces actions doivent être réalisées dans un temps de plus en plus court. Le défi de la presse d’information quotidienne est alors double : apporter une valeur ajoutée importante à la dépêche AFP qui circule sur le web, tout en alimentant, en contenu et en continu, son site d’information.

De plus, cette double mutation de l’accélération du temps social et de l’accroissement des données – tant par l’accès que par le nombre – s’inscrit dans une équation économique intenable : d’un côté, la presse papier se vend moins, impliquant une diminution des recettes liées aux annonceurs ; de l’autre, la presse en ligne est comme soumise à une culture de gratuité. Sur le web, les lecteurs attendent une information immédiate, renouvelée, mais ne consentent pas à payer pour elle.

La presse quotidienne n’a pas encore trouvé le ou les modèles économiques lui permettant de répondre à ces nouvelles attentes et de mener à bien cette mutation.

Certains éditeurs ont fait le choix d’une offre, généralement payante, uniquement présente sur le web : ce sont les pure players, nouveaux entrants du secteur. Ils seront assurément les premiers bénéficiaires de la mesure que nous nous apprêtons à voter, et certains d’entre eux atteindront la viabilité économique, ou en seront proches.

D’autres éditeurs possèdent un support papier et proposent dès lors une offre dite « couplée », comprenant les deux formats. Pour ces derniers, la viabilité à court et long terme, malgré cette mesure, n’est pas certaine. S’il est désormais admis que la gratuité du journal numérique n’est pas tenable, toutes les solutions payantes n’ont pas encore fait leurs preuves.

Les éditeurs tâtonnent entre plusieurs modalités : entre le gratuit et le payant, entre ce qui est papier et ce qui est numérique, entre ce qui est interactif et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est fixe et ce qui est enrichi au fur et à mesure de la construction de l’article…

Quant aux journalistes, l’écriture de blogs en complément des articles devient pour eux une nécessité, tandis que se mettent en place des équipes dédiées au travail en ligne. Dans un tel contexte, ce sont surtout les quotidiens qui sont fragilisés : France-Soir et La Tribune ont cessé de paraître en version papier, et l’on s’inquiète maintenant du sort de Libération.

La mutation numérique affecte bien davantage les quotidiens que les hebdomadaires. Quoique…

Il convient de souligner que, prenant le contre-pied d’un modèle numérique caractérisé par l’immédiateté, la gratuité et la brièveté, plusieurs acteurs ont lancé, avec un réel succès, des publications uniquement sur support papier, payantes et proposant des articles d’information longs. Le lancement réussi de la revue XXI a ouvert la voie à d’autres titres. Le lancement d’un nouveau quotidien d’opinion, l’an passé, dans un climat économique pourtant défavorable, atteste que la presse papier répond encore à une attente.

Le maintien d’une presse quotidienne pluraliste, dans sa version papier, reste une condition de la vie démocratique, notamment parce que tous nos concitoyens ne disposent pas d’un accès à internet et que certains d’entre eux ont un lien affectif avec l’imprimé – ce qui se vérifie aussi pour le livre.

Dans cette perspective, la réorientation des aides à la presse doit permettre à chacune des entreprises de presse de trouver son propre modèle économique. Si je crois fondamentalement que la quête d’un contenu apportant une intelligence ajoutée certaine à l’actualité constitue un objectif majeur pour lutter contre la fragilisation de la presse, je pense que nous avons aussi des choix politiques à opérer. Ces choix, qui excèdent la seule question de la mutation numérique, concernent l’ensemble des aides à la presse.

Le Gouvernement a adopté une politique de mutation progressive des aides à la presse. Il s’agit notamment d’accompagner les mutations en participant à la restructuration du secteur plutôt que de continuer à soutenir un système devenu inadapté.

Cette réorientation passe par le fonds stratégique pour le développement de la presse, qui est un levier d’aide à la transformation du secteur en encourageant l’innovation ainsi que la mutualisation des ressources. Ce ne sont plus des projets isolés que l’on doit privilégier, mais bien les projets globaux assurant une meilleure maîtrise des coûts, particulièrement dans le domaine de l’impression et de la distribution. Seuls ces derniers sont en mesure d’assurer des effets d’échelle et des externalités positives pour l’ensemble de la profession.

Le portage, essentiel pour les titres de presse, a fait l’objet de lourds investissements ces trois dernières années, sans résultats probants.

Quelles peuvent être, madame la ministre, les orientations de la politique gouvernementale en la matière ? Comptez-vous favoriser un portage multi-titres ? Donnerez-vous davantage d’aides au portage en zone peu dense ?

Pour ce qui est de la présente proposition de loi, son adoption sera un bol d’oxygène pour les acteurs de la presse, pure player ou multisupport, et devrait contribuer à dessiner un modèle économique viable à plus long terme. L’exposé de notre rapporteur nous conduira bien évidemment à la voter.

Par ailleurs, l’adoption prochaine d’une ordonnance portant sur le financement participatif, annoncée par François Hollande, pourrait également permettre à de nouveaux modèles économiques d’émerger.

En effet, la TVA super-réduite ne saurait répondre à elle seule à tous les enjeux que pose la question de l’avenir de la presse. Quelles que soient les solutions que doivent imaginer les patrons de presse, les modèles économiques ne peuvent faire l’impasse sur la nécessité, pour la presse quotidienne, de renouer un lien de confiance avec son lectorat. Nous comptons sur eux, car l’affaiblissement de la presse pourrait causer à terme une régression de notre démocratie. Outre l’enjeu économique, il s’agit bien d’une exigence, voire d’un impératif démocratique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. André Gattolin et Louis Duvernois applaudissent également.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez fait part de vos interrogations sur la réforme globale des aides à la presse. Évidemment, tout ne figure pas dans cette proposition de loi, qui ne concerne que la TVA applicable à la presse en ligne : c’est l’un des aspects d’un plan global que j’ai commencé à mettre en place au mois de juillet dernier et qui comporte plusieurs piliers. Bien entendu, dans ce travail, la presse en ligne est largement prise en compte.

Je remercie d’ailleurs André Gattolin d’avoir évoqué la création d’un club des innovateurs ; celui-ci constitue l’une des grandes avancées de la réforme des aides puisque les éditeurs de presse en ligne pourront y siéger. Les éditeurs de presse étant les premiers responsables de la mutation économique du secteur, les dispositifs de droit commun pour les entreprises doivent leur être ouverts. L’innovation doit s’accélérer. Pour ce faire, nous avons besoin de compétences scientifiques, de responsables de recherche et développement, etc.

Mais il faut également que ces personnes puissent siéger au fonds stratégique pour le développement de la presse.

Je rappelle que j’ai réformé les fonds d’aide à la presse existants afin de les orienter vers des projets de modernisation, portant notamment sur la transition numérique de la presse, mais aussi pour encourager la mutualisation de l’effort entre plusieurs éditeurs de presse. La réforme des fonds d’aides à la presse est fondée sur ce grand principe.

J’ai ensuite veillé – je réponds là, en particulier, à Pierre Laurent – à maintenir la gouvernance particulière du fonds d’aide aux quotidiens à faibles ressources publicitaires, destiné à la préservation du pluralisme. Son budget n’a pas été diminué, eu égard aux difficultés que traversent les titres de presse qui en bénéficient.

Il convient également de tenir compte de l’héritage du fonds dit « d’aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d’information politique et générale », qui permettait d’accompagner la restructuration des imprimeries. Ce fonds date d’avant 2005 et a vocation à s’éteindre progressivement.

Les autres types de soutien à la presse portent essentiellement sur la diffusion. Je l’ai dit, une mission d’inspection conjointe a commencé à travailler sur la diffusion et rendra ses conclusions en juin prochain. Il s’agit d’améliorer le fonctionnement de la diffusion et de déterminer les pistes d’avenir afin de faire coexister les trois réseaux que sont le postage, le portage et la vente au numéro. La coexistence de trois réseaux parallèles de distribution, qui peut aboutir à une certaine concurrence entre eux, et la chute des ventes de la presse papier appellent évidemment une sérieuse expertise économique.

S’agissant du portage, madame Khiari, j’ai veillé à ce que l’aide soit orientée vers le portage multi-titres, qui va dans le sens de la modernisation et de la rationalisation.

On parle du milliard d’euros, ou presque, des aides à la presse, mais je rappelle qu’il ne s’agit pas d’aides directes, à part l’aide au transport postal, qui permet aux entreprises de presse de supporter des coûts de transport moindres que ceux qu’elles devraient normalement acquitter, ceux-ci étant compensés à La Poste par l’État.

Les aides au transport postal ont effectivement diminué de 82 millions d’euros cette année. Dans le cadre de l’analyse économique que nous avons engagée, nous allons essayer d’avoir une vue objective des différents coûts, afin de déterminer où et comment l’État doit faire porter l’effort, entre les éditeurs de presse, d’une part, et La Poste, d’autre part. Ces aides sont accordées pour l’essentiel à la presse d’information politique et générale.

Les réformes mises en œuvre l’année dernière comportent également un volet relatif à la transparence des aides, qui était attendu par nombre de professionnels et de concitoyens. La transparence est totale, les aides – TVA, FSDP, transport postal – étant désormais publiées sur le site du ministère de la culture et de la communication, et donc accessibles à tous.

M. David Assouline, rapporteur. Très bien !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Dans le prolongement de la réforme, une mission a été confiée au député Michel Françaix sur notre champion français en matière d’agence de presse, l’AFP, en vue de conforter la place de cette entreprise tout à fait particulière.

Concernant les kiosques, que j’ai évoqués dans mon propos liminaire, j’ai demandé aux éditeurs de presse de réaliser un effort tout particulier pour améliorer la rémunération des kiosquiers de niveau 3. Celle-ci est l’une des plus faibles d’Europe, ce qui est anormal dans un pays qui dispose d’un système d’accompagnement des éditeurs de presse. Oui, madame Blandin, les conditions de travail et de rémunération des kiosquiers doivent être améliorées.

L’effort porte aussi sur les photojournalistes. Le projet de décret relatif à un barème de rémunération fait débat, vous le savez. Je suis ouverte à toutes les propositions, mais il était de mon devoir d’agir compte tenu de l’absence de discussion, à ce stade, entre les partenaires sociaux.

Plusieurs d’entre vous ont mentionné la création du fonds dit « fonds Google ». Certes, ce fonds ne résout pas tout. J’avais d'ailleurs annoncé que nous étions prêts à présenter un projet de loi si les parties ne parvenaient pas à un accord. Un accord est intervenu qui satisfait les éditeurs de presse. Après tout, cela relève de leur responsabilité : on ne fait pas le bonheur des gens malgré eux !

Ce fonds est tout de même doté de 60 millions d’euros. Je rappelle que les Allemands, qui ont choisi la voie législative, se trouvent aujourd'hui dans l’impasse que nous redoutions. L’entreprise Google demande aux éditeurs de presse allemands de choisir, par un système d’opt out, s’ils veulent être référencés sur Google, auquel cas ils renoncent à toute forme de contrepartie ; la loi allemande se trouve ainsi, de fait, vidée de sa substance.

L’accord conclu en France a donc permis de rassembler 60 millions d'euros pour financer des projets de modernisation, alors que la loi adoptée en Allemagne a été vidée de sa substance du fait du déséquilibre du rapport de forces. L’attitude pragmatique adoptée par la France s’est finalement révélée payante, au propre comme au figuré.

S'agissant des conditions de travail des journalistes et des photojournalistes, je vous signale que la Conférence nationale des éditeurs de presse, qui rassemble l’État et les éditeurs de presse, se réunira au mois d’avril prochain pour définir une stratégie commune. Il s’agit, là encore, d’accompagner la filière dans la difficile crise structurelle qu’elle traverse en France.

Quoi qu’il en soit, je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre contribution et de votre soutien à cette proposition de loi relative à la TVA sur la presse en ligne. Vous avez été nombreux à évoquer le cas de quelques entreprises de presse qui ont fait l’objet d’une procédure de redressement fiscal. Les enquêtes fiscales ne donnent lieu – est-il besoin de le préciser ? – à aucune instruction de la part du Gouvernement, ni dans un sens ni dans l’autre. Il s’agit d’ailleurs, là aussi, d’une grande avancée démocratique, et nous devons évidemment la respecter.

La proposition de loi dont nous débattons s’appliquera à partir du 1er février 2014. Elle ne sera pas rétroactive et ne concernera donc pas les affaires particulières auxquelles vous avez fait référence. (Applaudissements sur les travées socialistes. – MM. André Gattolin et Robert Hue applaudissent également.)

(Mme Bariza Khiari remplace M. Thierry Foucaud au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Mme la présidente. Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne
Article 2 (début)

Article 1er

(Non modifié)

I. – Le second alinéa de l’article 298 septies du code général des impôts est ainsi rédigé :

« Sont également soumis aux mêmes taux de la taxe sur la valeur ajoutée les ventes, commissions et courtages portant sur les services de presse en ligne reconnus comme tels en application de l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse. »

II. – Le I s’applique aux opérations pour lesquelles la taxe sur la valeur ajoutée est exigible à compter du 1er février 2014.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne
Article 2 (fin)

Article 2

(Suppression maintenue)

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.)

Mme la présidente. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.

La parole est à M. le rapporteur.

M. David Assouline, rapporteur. Discuter et adopter conforme si rapidement un texte, qui pourra ainsi être mis en œuvre dans les plus brefs délais, suppose une grande réactivité. Je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué à ce qu’il en soit ainsi, à commencer par la présidente de la commission de la culture, qui a réussi à bousculer l’ordre du jour, mais aussi les grands spécialistes de la presse et des médias que l’on compte parmi les fonctionnaires du Sénat affectés à cette commission.

Nous avons tous, chacun dans nos fonctions, su mettre le sujet sur la table. Je suis heureux, à la fois en tant que militant et en tant que parlementaire, de constater que la persévérance et les convictions parviennent à faire bouger les lignes, jusqu’à l’adoption – et à l’unanimité ! – de cette mesure tant attendue. J’en remercie les uns et les autres. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. André Gattolin applaudit également.)

Article 2 (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne
 

7

Demande de création d'une mission d'information

Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, Mme Éliane Assassi, présidente du groupe CRC, a fait connaître à M. le président du Sénat que le groupe CRC exerce son droit de tirage, en application de l’article 6 bis du règlement, pour la création d’une mission d’information sur la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises.

La conférence des présidents sera saisie de cette demande de création lors de sa prochaine réunion.

8

Saisine du conseil constitutionnel

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 février 2014, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de la loi relative à la consommation.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

9

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON810
Discussion générale (suite)

Interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié

Rejet en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON810
Exception d'irrecevabilité (début)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l’interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810, présentée par M. Alain Fauconnier (proposition n° 331, texte de la commission n° 363, rapport n° 362).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Fauconnier, auteur de la proposition de loi et rapporteur.

M. Alain Fauconnier, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mercredi dernier, la commission des affaires économiques a adopté cette proposition de loi relative à l’interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié sur le territoire national.

Avant de rappeler le contexte justifiant le recours à la procédure accélérée, il me semble important de préciser le champ d’application de ce texte : d’une part, il ne vise que les maïs génétiquement modifiés et non l’ensemble des plantes génétiquement modifiées, ou PGM ; d’autre part, l’interdiction dont il est ici question porte uniquement sur la mise en culture commerciale et ne s’oppose absolument pas à la recherche, qu’il s’agisse d’expérimentations ou d’essais.

Aujourd’hui, en matière de plantes génétiquement modifiées, deux variétés de maïs posent un problème tout particulier en France.

Le 22 avril 1998, la Commission européenne autorise la mise en culture de la variété MON 810. En 2008, sur la base d’un avis du Comité de préfiguration de la Haute autorité sur les OGM, la France instaure un moratoire sur la culture des maïs génétiquement modifiés.

Par deux arrêtés du 7 février 2008 puis du 16 mars 2012, le gouvernement précédent a en effet suspendu l’autorisation de mise en culture de la variété MON 810.

Le premier arrêté, qui mettait en œuvre la « clause de sauvegarde » prévue par la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, a été annulé en 2011 par le Conseil d’État au motif que la contestation de l’autorisation de cette variété devait suivre les formes définies dans le règlement n° 1829/2003.

Le second arrêté, qui prévoyait la mise en œuvre de mesures d’urgence conformes à ce règlement, a été annulé le 1er août dernier par le Conseil d’État, lequel a recouru à une interprétation stricte des avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments – AESA, ou EFSA, selon l’acronyme anglais – recommandant la mise en place de mesures de gestion et de surveillance des risques liés à l’utilisation du MON 810. Aucune mesure de gestion et de surveillance n’étant imposée par la réglementation européenne ni spontanément appliquée, les risques perdurent, notamment pour l’environnement.

Rappelons que cette variété de maïs émet une toxine protégeant la plante contre certains insectes. Cependant, cet insecticide génétiquement intégré nuit également à des insectes non-cibles. Par ailleurs, les larves visées par la modification génétique ayant développé une résistance à la toxine, les agriculteurs se trouvent contraints d’utiliser des pesticides plus puissants et plus dangereux pour l’environnement. Le Conseil d’État a pourtant déclaré que ces risques n’étaient pas suffisamment importants pour définir une situation d’urgence.

Outre le MON 810, d’autres variétés de maïs sont en attente d’autorisation au niveau européen. Depuis la semaine dernière, la Commission européenne peut autoriser – contre l’avis de dix-neuf de ses États membres – l’utilisation du maïs TC 1507 ; d’autres pourraient suivre.

Ce maïs, à l’instar du MON 810, émet une substance insecticide contre laquelle les insectes cibles ont développé une résistance, notamment dans les départements d’outre-mer, tandis que des insectes non-cibles s’y trouvent exposés.

Par ailleurs, le maïs TC 1507 présente des risques importants de développement d’une résistance au glufosinate, un herbicide qui sera dès lors remplacé par des produits plus puissants et plus dangereux pour l’environnement.

La société Pioneer a déposé, pour ce maïs, une demande d’autorisation en 2001, mais le dossier n’a cheminé que très lentement. En 2007, le commissaire à l’environnement s’opposait à la délivrance de l’autorisation en raison des incertitudes scientifiques concernant les effets de ce maïs sur les insectes non-cibles, c’est-à-dire autres que ceux qui sont visés par le produit.

Le dossier s’est accéléré en novembre dernier, lorsque la Cour de justice de l’Union européenne a exigé de la Commission qu’elle fasse une proposition. Celle-ci a alors proposé l’autorisation de ce maïs, alors que d’autres solutions s’offraient à elle.

La suite vous est sans doute connue : le 16 janvier, le Parlement européen, à une large majorité, s’est opposé à cette autorisation, mais la procédure de codécision ne s’applique pas en la matière. Le 11 février, les gouvernements des États membres, qui ont un pouvoir de codécision dans le cadre du Conseil, se sont également opposés majoritairement à cette autorisation, mais les règles sont faites de telle manière que cela n’a pas suffi.

Dix-neuf États sur vingt-huit, représentant 60 % des voix, se sont explicitement opposés à l’autorisation. Seuls cinq États ont donné leur accord, les autres ayant choisi l’abstention. Or quatre de ces cinq États ne pratiquent pas du tout la culture du maïs, ou à une échelle peu significative. Je pense que les Suédois, par exemple, ne voient pas souvent du maïs…

M. Roland Courteau. C’est le moins qu’on puisse dire !

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Encore que, avec le réchauffement climatique… (Sourires.)

M. Alain Fauconnier, rapporteur. … si ce n’est sous forme de pop-corn ! (Nouveaux sourires.)

Il se trouve que, selon les règles en vigueur, la proposition de la Commission ne pouvait être refusée qu’à une majorité de 74 % des voix, ce qui est considérable, l’abstention étant assimilée à un vote positif !

Peut-on décréter que « qui ne dit mot consent » lorsqu’il s’agit d’autoriser la culture de produits aussi nouveaux et controversés que les plantes génétiquement modifiées ?

Les procédures juridiques et les avis de l’EFSA sont donc respectés à la lettre, mais qu’en est-il des préoccupations des citoyens ? Car ce sont bien ces préoccupations que le Parlement européen et les gouvernements ont essayé de relayer. Nos concitoyens européens refusent que les OGM se disséminent de plus en plus dans leurs assiettes et l’alimentation de leurs animaux sans en être informés. Ces mêmes préoccupations m’ont conduit à déposer cette proposition de loi.

Au-delà des questions scientifiques que je vais évoquer maintenant, il est nécessaire d’avoir une vision globale.

Pour les citoyens, la question des plantes génétiquement modifiées comporte aussi des enjeux sociaux, économiques et éthiques qui ne sont pas suffisamment pris en compte par les règles communautaires.

Sur le plan scientifique, les procédures suivies reviennent à présumer l’absence de toxicité des plantes génétiquement modifiées. Si les chercheurs ne démontrent pas leur nocivité, elles sont presque mécaniquement autorisées. Ne faudrait-il pas adopter l’attitude inverse et considérer que leur absence de nocivité doit être démontrée sur le long terme avant d’autoriser leur mise en culture à plus grande échelle ? Je constate en effet que plusieurs questions ne font pas l’objet d’un consensus parmi les experts.

L’impact sanitaire des OGM demeure controversé. Nous manquons de tests démontrant, sur le long terme, la sécurité sanitaire des OGM pour l’alimentation humaine et animale. Il s’agit d’une question de moyens et d’accès aux données pour les laboratoires de recherche publique.

Les effets des OGM sur l’environnement sont extrêmement difficiles à déterminer, en raison de la complexité même des écosystèmes. Les scientifiques et les experts s’opposent quant aux conséquences de la présence des OGM ou de la diffusion de pesticides dans l’espace naturel sur la préservation de la biodiversité.

Les maïs génétiquement modifiés censés combattre par eux-mêmes les insectes, devraient nécessiter moins d’épandage de pesticides. Mais quel est l’impact des toxines qu’ils engendrent ? Quant aux variétés capables de résister aux herbicides, n’entraînent-elles pas, au contraire, davantage d’opérations d’épandage ?

L’apparition d’insectes résistant aux OGM a également suscité des controverses : ne risque-t-on pas d’assister à une sorte de « course aux armements » entre des plantes de plus en plus efficaces et des insectes de plus en plus résistants ?

M. Roland Courteau. Et voilà !

M. Alain Fauconnier, rapporteur. Les maïs génétiquement modifiés soulèvent également des questions sociales et économiques.

La France a choisi d’instituer un Haut Conseil des biotechnologies, qui ne se contente pas d’évaluer l’impact de ces technologies sur l’environnement et la santé publique, mais étudie également leurs conséquences économiques, sociales et éthiques.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments, sur laquelle s’appuie la Commission européenne, n’étudie que certains aspects scientifiques. L’EFSA a ainsi récemment refusé de répondre à l’Italie et au Luxembourg sur la question de la coexistence des OGM avec les autres cultures, expliquant que cela ne relevait pas de son champ de compétence.

La Commission européenne autorise ainsi l’utilisation d’OGM dont elle ignore l’impact sur les autres cultures. Mais qu’adviendrait-il si l’agriculture biologique se trouvait contaminée par l’agriculture « génétique » ? Il est absolument nécessaire d’étudier et d’évaluer la possibilité de coexistence des agricultures sur nos territoires. Sans cela, nous prenons le risque de faire perdre leur liberté non seulement à nos concitoyens, quant au choix de leur alimentation, mais aussi à nos agriculteurs, quant à la manière dont ils entendent exercer leur profession.

Cette proposition de loi est loin de traduire une opposition dogmatique aux OGM. Peut-être les chercheurs parviendront-ils, dans un futur proche, à modifier génétiquement des plantes pour en accroître spectaculairement le rendement, en améliorer la valeur nutritive, les rendre résistantes à la sécheresse ou à l’eau salée, tout cela pour un coût raisonnable. Je ne peux qu’être enthousiaste à cette idée visant à combattre la faim et la malnutrition dans le monde !

Encore faut-il que ces recherches soient menées dans un cadre sanitaire sûr, protecteur des consommateurs, et qu’elles ne préludent pas à l’instauration d’un asservissement économique des producteurs au profit des grandes firmes semencières.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Alain Fauconnier, rapporteur. Dans cette proposition de loi, je le répète, il n’est question que de certains OGM : les maïs génétiquement modifiés disponibles sur le marché et dont la fonction principale est de faciliter certaines formes d’agriculture intensive.

En effet, les OGM semblent difficilement compatibles avec des exploitations de taille modeste : ils nécessitent la mise en place non seulement de distances minimales par rapport aux autres cultures pour éviter la contamination, mais aussi de « zones refuges » permettant de retarder l’apparition de résistances chez les insectes.

Par ailleurs, ces semences font l’objet de brevets qui ne permettent pas à l’agriculteur de réensemencer ses champs avec le fruit de sa récolte. Notre assemblée a adopté, le 17 janvier dernier, une résolution européenne rappelant les lourdes conséquences qu’une utilisation excessive des brevets sur le vivant pourrait avoir sur l’innovation semencière et l’organisation du secteur. Cette pratique accroît les risques de dépendance des agriculteurs et plus généralement des pays consommateurs à l’égard de brevets détenus par un petit nombre de multinationales.

La généralisation en France de la culture de plantes génétiquement modifiées aboutirait certainement au développement accru d’une agriculture de grandes exploitations, majoritairement intensive, comme en Amérique du Sud ou aux États-Unis. Est-ce bien le modèle que nous souhaitons encourager à travers nos politiques publiques ?

Une autorisation de mise en culture des maïs génétiquement modifiés aurait donc des effets considérables sur l’organisation de la filière en France. La culture du maïs est fondamentale pour l’agriculture de notre pays : plus de 100 000 exploitations cultivent du maïs sur l’ensemble du territoire, cette céréale recouvrant jusqu’à la moitié de la surface agricole utile de certains départements. Peut-on réellement se permettre de soumettre ces exploitations à des conséquences difficilement prévisibles ?

La délicate question de la traçabilité pose de nouveau le problème de la coexistence des cultures PGM – plantes génétiquement modifiées – et des cultures non PGM, pratiquées notamment par l’agriculture biologique, soumise à des normes extrêmement strictes.

Par ailleurs, en tant que président du Comité stratégique pour l’apiculture, je suis particulièrement sensible aux conséquences de la culture des PGM sur la production de miel. La traçabilité des PGM est un enjeu central pour l’apiculture, et le débat en cours entre la Commission et le Parlement européen à propos de la qualification du pollen dans la composition du miel ne peut que me conforter dans cette idée.

Mais mon inquiétude porte surtout sur la santé des abeilles. Aujourd’hui, en France, des cheptels entiers sont décimés. En dix ans, la production de miel a diminué de 30 %. Les causes de la mortalité croissante des abeilles sont bien évidemment multiples et, à ce jour, toutes ne sont pas connues. Mais comment envisager que des plantes contenant des pesticides génétiquement intégrés puissent ne pas être un facteur de risque supplémentaire pour notre population d’abeilles ?

En définitive, l’évaluation de l’opportunité d’introduire des maïs génétiquement modifiés aboutit aux conclusions suivantes : en premier lieu, les avantages d’une telle culture dans le contexte agricole français, différent de celui de l’Espagne, du Brésil ou des États-Unis, restent à démontrer ; en second lieu, l’absence de risques majeurs pour l’environnement, la santé des consommateurs et des espèces vivantes non-cibles sont totalement incertaines.

Telles sont les raisons pour lesquelles la présente proposition de loi prévoit la mise en œuvre d’études plus approfondies avant d’autoriser la mise en culture de maïs génétiquement modifiés.

Le respect de l’interdiction sera confié aux agents chargés de l’inspection et du contrôle des végétaux. Ils disposeront de certains pouvoirs attribués par le code rural et de la pêche maritime : accès aux locaux et parcelles aux heures ouvrables, communication de documents professionnels, prélèvement de produits et d’échantillons. En cas de non-respect de l’interdiction, l’autorité administrative – le préfet –pourra ordonner la destruction totale ou partielle des cultures.

Ce texte ne vise pas à mettre fin aux débats. Il rejoint au contraire une demande des États européens qui, depuis 2008, souhaitent une révision et un renforcement des méthodes d’évaluation des risques environnementaux liés aux plantes génétiquement modifiées. Cela permettrait de discuter, avec une meilleure prise en compte des questions soulevées par les citoyens, de l’autorisation de mise en culture des nouvelles variétés et du renouvellement des autorisations déjà accordées.

La commission des affaires économiques n’a pas modifié contenu de la proposition de loi, se cantonnant à en corriger l’intitulé. Elle vous invite, mes chers collègues, à adopter le texte issu de ses travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous débattons en cette fin d’après-midi d’un sujet important pour l’opinion française et, plus globalement, pour les opinions européennes. Ce sujet implique également les questions posées par la recherche et ses finalités.

M. Jean Bizet. Il n’y en a plus !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Comme je l’ai dit lors du débat sur les semences, il faut garder son sang-froid et tenter de ne pas céder à la caricature. Nous avons besoin de retrouver objectivité et rationalité.

Un débat démocratique est nécessaire, car, au-delà des choix scientifiques, il faut déterminer où se situe l’intérêt général.

Je trouve frappant que de grandes sociétés privées se soient en quelque sorte approprié l’intérêt général. Je me souviens que les premiers OGM avaient ainsi été présentés comme étant « la » solution à la faim dans le monde ! Une entreprise privée proposait de prendre seule en charge ce grand enjeu pour l’humanité ! Or une telle question mérite tout de même un débat, des discussions, des analyses contradictoires, car il n’y a pas de sujets tabous.

Je rappelle que, aujourd'hui, le droit européen sur les OGM est totalement différent de celui qui s’applique aux produits phytosanitaires et aux médicaments, lesquels font systématiquement l’objet de débats contradictoires quant au rapport entre les coûts et les bénéfices qu’ils représentent, entre les avantages et les inconvénients qu’ils emportent. Je l’ai dit maintes fois, s’il est un sujet qui doit être porté à l’échelle européenne, c’est bien le changement de la législation sur les OGM !

Je ne me satisferai pas de ce qui s’est passé avec le fameux TS 1507, produit par la société Pioneer : il pourrait bien être autorisé par la Commission, alors que le Parlement européen a voté à une large majorité contre cette autorisation, dix-neuf États membres y étant hostiles quand seulement cinq pays ont donné leur accord et que quatre autres se sont abstenus. Et, M. Fauconnier l’a dit, parmi les pays qui ne sont pas opposés à cette autorisation, il en est un certain nombre qui ne produisent même pas de maïs ! À moins que le réchauffement climatique ne soit tel qu’ils finissent par pouvoir en cultiver un jour...

Les règles du débat doivent donc être changées. C’est le point de vue que je défends, au nom de la France, au sein du Conseil européen. Les débats sur les OGM doivent s’appuyer sur des données concrètes. Chaque État doit pouvoir faire des choix en fonction de critères environnementaux et sociaux, de critères de protection des productions de qualité. Les agricultures européennes sont diverses. Chacun doit pouvoir, en conscience, et à partir de critères objectifs, décider d’utiliser ou non des OGM, en se fondant sur un bilan entre avantages et inconvénients.

Je l’ai dit, je suis favorable à un débat. Le Haut Conseil des biotechnologies organisera d’ailleurs, le 1er avril prochain, un débat contradictoire.

Si les OGM utilisés ont pu, les premières années, avoir des effets positifs en termes économiques et de réduction de l’utilisation des pesticides, voire des herbicides, tel n’est plus le cas aujourd'hui. Quand on examine leurs effets sur des séquences beaucoup plus longues, on s’aperçoit que ces OGM ne sont pas si favorables ni d’un point de vue économique ni d’un point de vue environnemental, au regard des objectifs mis en avant au moment de leur mise en culture, que ce soit aux États-Unis, en Amérique latine ou même en Espagne.

Si la compétitivité de la filière des semences françaises dépend tant que cela des OGM, comment expliquer que notre pays se place au premier rang mondial pour les exportations de semences, au troisième rang mondial et au premier rang européen pour la production ?

Il va donc falloir changer la législation européenne. Le débat est en cours. Nous avons déposé un texte, qui fait actuellement l’objet de discussions avec l’ensemble de nos partenaires. Nous ne pouvons pas en rester à la situation actuelle. Dès lors que des critères seront définis, un débat démocratique pourra avoir lieu.

Je l’ai dit ici même la semaine dernière : une page de l’histoire des OGM va se tourner et une autre va s’ouvrir. Un certain nombre de pistes sont d’ailleurs explorées. Enrichir un riz en vitamine A est une bonne chose, sachant que cela permettra de lutter contre la cécité dans un certain nombre de grands pays où le taux de cécité, en particulier chez les enfants, est élevé.

Les critères qui devront être définis permettront de nourrir un débat et de déterminer ce qu’est, en l’espèce, l’intérêt général, qui ne saurait se confondre avec les intérêts de quelques-uns ou de quelques firmes.

Le changement de règles européennes doit résulter de débats s’appuyant sur des données objectives, afin que les États puissent faire des choix éclairés.

Dans le domaine des OGM, la recherche et l’innovation ne sauraient être freinés. Mais les choix qui seront faits doivent, eux, être effectués au nom de l’intérêt général. Et cela mérite un débat démocratique. Il n’appartient ni aux chercheurs ni à des entreprises privées de décider pour les populations des différents pays.

Voilà pourquoi je compte bien faire progresser l’idée de changement juridique.

Ce n’est pas tout ou rien. Il s’agit d’ouvrir des marges de débat démocratique, afin de pouvoir prendre des décisions sur des sujets extrêmement importants, qui engagent beaucoup, qu’il s’agisse du choix de techniques agricoles ou, plus largement, de notre conception de l’agriculture.

Jusqu’à présent, les OGM ont été utilisés avant tout pour prolonger un certain modèle de production. Or nous pouvons envisager sereinement, en particulier ici, au Sénat, de poser la question des modèles de production lors du débat que nous aurons sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, sans pour autant jamais remettre en cause le niveau de la production. La performance économique, je ne cesserai de le répéter, est tout à fait compatible avec une production agricole écologique.

Tels sont les termes du débat à moyen et à long terme.

Mais il faut aussi traiter les questions de court terme. Depuis que la mise en culture du maïs MON 810 a été autorisée en 1998, de l’eau a coulé sous les ponts. Plusieurs interdictions ont été prononcées en France, en particulier par des majorités différentes de celle d’aujourd'hui. En mars 2012, la clause de sauvegarde a été invoquée, mais elle a été remise en cause par le Conseil d’État l’an dernier, ce qui nous oblige aujourd'hui à prendre une décision.

Si l’on reste dans le flou juridique actuel, cet OGM pourra être mis en culture, ce que nous ne souhaitons pas, même si, je le rappelle, des professionnels se sont engagés à ne pas y avoir recours et si la firme Monsanto elle-même a indiqué qu’elle ne souhaitait pas vendre son maïs en France.

Toutefois, comme j’ai pu le constater, certains producteurs ont publiquement indiqué que, quelle que soit la situation en France et quels que soient les choix de Monsanto, on pouvait se procurer le MON 810 dans un pays limitrophe de la France, en particulier en Espagne. Cela me renforce dans l’idée qu’une mesure législative est nécessaire.

Je le sais, celle qui est ici proposée suscite des interrogations, car elle n’est pas compatible avec le cadre européen actuel.

M. Jean Bizet. Eh non !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je vous rappelle, monsieur Bizet, que l’autorisation de mise sur le marché qui a été donnée au maïs Monsanto en 1998 valait pour dix ans. Si je calcule bien, la durée de cette autorisation est donc largement dépassée ! Nous aussi, nous pouvons faire du juridisme... (M. André Gattolin applaudit.)

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je rappelle également que les règles environnementales utilisées désormais par l’EFSA dans ses études préalables à l’autorisation ou à la non-autorisation des OGM ont été largement renforcées, en particulier depuis 2008.

Nous pourrions donc utiliser des arguments juridiques pour justifier la présente proposition de loi, de même que vous pouvez effectivement, monsieur le sénateur, considérer que ce texte n’est pas compatible avec le cadre européen actuel.

Je rappelle toutefois que nous devons agir vite, car les semis se font au printemps. Il faut donc bien que nous décidions maintenant si la mise en culture des OGM, en particulier de ceux qui existent aujourd'hui, peut être ou non autorisée.

Pour ce qui est du TS 1507, c’est à la Commission qu’il appartient de décider si sa mise en culture doit être autorisée.

L’objet de notre débat d’aujourd'hui et de la présente proposition de loi est de nous permettre de disposer d’un cadre à la suite de la décision du Conseil d’État et de trouver une solution pour l’immédiat, sachant que, à moyen et long terme, la France souhaite renégocier le cadre législatif à l’échelle européenne.

Nous ne disons pas simplement que nous ne voulons pas d’OGM. Nous voulons mettre en place des critères objectifs afin que chaque État puisse prendre des décisions juridiquement fondées à l’échelle européenne. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de l’absence de règles qui prévaut aujourd'hui, avec le recours aux clauses de sauvegarde et aux moratoires, car ils ne sécurisent pas les décisions que nous prenons !

En attendant, je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de soutenir la proposition de loi présentée par M. Fauconnier, car elle nous permettra de disposer d’un cadre et d’engager des discussions afin de modifier la législation européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer l’initiative de notre collègue Alain Fauconnier, qui nous donne l’occasion de rouvrir le débat sur les OGM, ô combien d’actualité !, à la Haute Assemblée.

La période des semis approchant à grands pas, la présente proposition de loi examinée selon la procédure accélérée est un signal politique fort : son adoption permettrait de prendre des mesures rapides pour interdire la mise en culture de maïs OGM en France. Nous espérons que la voie législative constituera un cadre réglementaire adapté au respect de cet objectif sur notre territoire.

Ce qui s’est passé à Bruxelles à propos de l’autorisation de mise en culture de la nouvelle variété de maïs OGM TC 1507 est totalement révoltant et montre bien la nécessité de revoir les règles procédurales de l’Union européenne en matière d’autorisation des OGM.

En effet, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, malgré l’opposition de dix-neuf pays sur vingt-huit à cette nouvelle culture de maïs, l’absence de majorité qualifiée n’a pas permis de repousser la demande du groupe américain Pioneer.

Nous appelons aujourd’hui la Commission européenne à prendre en compte l’opposition qui s’est exprimée au Parlement et au Conseil européens à ce sujet. Il ne serait pas tolérable que, en dépit d’une opposition massive des citoyens européens à l’introduction d’OGM, l’autorisation soit donnée au semencier américain. Ce serait une profonde insulte à la démocratie.

En tout état de cause, l’adoption de la présente proposition de loi préserverait le territoire Français de ce maïs TC 1507.

Quant au maïs MON 810, l’autre variété concernée, la France est une opposante historique à sa mise en culture. Cependant, celle-ci est de facto autorisée depuis l’annulation par le Conseil d’État de l’arrêté ministériel d’interdiction. Si le texte qui nous est proposé aujourd’hui est adopté, le territoire français continuera à être préservé du maïs MON 810.

D’aucuns nous rétorqueront une fois encore à nous écologistes, que nous sommes opposés au progrès de la science,…

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. C’est vrai !

M. Jean Bizet. Ah ! très bien !

M. Joël Labbé. … que nous avons une vision conservatrice de l’agriculture. Nous connaissons bien la chanson ! Toutefois, ce qui conforte notre opinion et nous réconforte, c’est que nous sommes de moins en moins seuls.

Mme Éliane Assassi. Vous n’étiez pas les premiers ! D’autres que vous se sont préoccupés avant de la question !

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Vous lancez des OPA sur tout !

M. Joël Labbé. J’ai apprécié la référence à l’éthique de M. le rapporteur et celle au débat démocratique de M. le ministre.

Cela dit, en termes de performance scientifique, les recherches sur le maïs relèvent de la prouesse : rendre une plante elle-même insecticide ou tolérante à tous les herbicides qui sont utilisés pour les autres plantes, ou mieux encore, obtenir les deux à la fois, quel progrès ! Cependant, science, sans conscience... Le business, lui, ne se préoccupe pas de la ruine de l’âme ! Nous sommes favorables à la science, à la recherche et à la technique, à condition qu’elles soient au service de l’humanité. La semaine dernière encore, nous en avons appelé à une recherche qui s’oriente vers de nouvelles mesures qui feront de la France le leader de l’agro-écologie. Oui, nous en avons besoin !

Tout à l’heure, M. Bizet affirmait qu’il n’y avait plus de recherche. C’est faux ! Il existe de larges perspectives pour la recherche, au service de l’humanité bien entendu.

Les risques environnementaux liés à la culture des deux sortes de maïs OGM visées sont très bien expliqués dans l’exposé des motifs : incidence sur la biodiversité et sur les insectes non cibles, notamment les abeilles, apparition d’insectes résistants aux insecticides et d’adventices tolérantes aux herbicides… La nature étant bien faite, les organismes finissent toujours par s’adapter, même aux milieux hostiles !

Lorsque j’étais étudiant, voilà bien longtemps, j’ai lu sur un mur le graffiti en anglais suivant : If you fuck the nature, one day the nature will fuck you anyway.

M. Jean Bizet. Effectivement, c’est mieux en anglais !

M. Joël Labbé. Les conséquences socio-économiques de la culture des OGM sont énormes : celle-ci met en péril les filières traditionnelles, conventionnelle ou biologique, ainsi que l’apiculture, par la dissémination incontrôlée et incontrôlable des pollens dans d’autres produits.

Quant aux conséquences sur la santé humaine, les polémiques récentes ont largement démontré le manque de consensus sur l’innocuité des biotechnologies, incitant à réaffirmer haut et fort l’application du principe de précaution.

M. Jean Bizet. Que vous n’avez pas voté !

M. Joël Labbé. La multiplicité des risques environnementaux, socio-économiques et sanitaires liés à l’introduction de cultures OGM en Europe est telle qu’une remise à plat totale du dispositif communautaire d’évaluation, d’autorisation et de contrôle des OGM est nécessaire.

Dans ce contexte, il est tout à l’honneur de notre pays de ne pas céder à la pression des lobbies OGM. Les écologistes apportent leur plein soutien au Gouvernement dans ce combat.

Je voudrais en cet instant faire un rappel. Alors que nous nous focalisons aujourd’hui sur l’interdiction de cultures OGM sur notre territoire, les importations massives d’OGM destinées à l’alimentation animale se poursuivent en Europe.

En 2011, on estimait que la France importait 4,5 millions de tonnes de soja, dont près de 80 % étaient génétiquement modifiés.

Non seulement nous sommes totalement dépendants d’un système qui nous expose à une grande volatilité des prix, confirmée ces dernières années, mais encore nous retrouvons des traces d’OGM dans nos produits de consommation courante, tels que la viande, les œufs ou les laitages, sans que nous puissions connaître réellement leurs effets à long terme sur la santé humaine.

Notre pays ne pourra cesser d’être dépendant au soja transgénique – c’est surtout cette culture qui est concernée – sans une réelle implication des pouvoirs publics afin de faciliter l’émergence d’une filière qui lui soit propre.

Alors que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt sera examiné très prochainement dans cet hémicycle, monsieur le ministre, nous attendons la mise en œuvre d’un plan de relance de la production de protéines végétales alternatif aux cultures d’organismes génétiquement modifiés, afin de garantir l’indépendance alimentaire de la France.

En outre, nous permettrons aux populations du Sud de reconquérir leur propre indépendance alimentaire. Aux productivistes liés à l’agro-business qui osent claironner qu’il faut bien nourrir la population de la planète, nous répondons : « Commençons par cesser d’appauvrir et d’affamer les populations les plus pauvres ! »

Il est fondamental de tenir compte de l’éthique dans le présent débat. Nous, écologistes, espérons que notre pays ne commettra pas la folie d’intégrer l’agriculture dans un accord de libre-échange transatlantique. Nous aurons beau réguler les OGM en France, si nous laissons les portes grandes ouvertes, une masse d’OGM se déversera sur notre pays.

Cela étant, c’est avec une grande satisfaction que les membres du groupe écologiste voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous dire, en préambule, à quel point je trouve regrettables, inutiles et peu respectueuses du travail parlementaire les conditions dans lesquelles la présente proposition de loi a été inscrite à l’ordre du jour de nos travaux puis est maintenant examinée.

En effet, ce texte a été déposé par son auteur le 4 février sur le bureau de notre assemblée ; après la nomination d’un rapporteur dès le lendemain, il a été examiné en commission le 12 et il nous est soumis ce jour en séance publique.

A-t-on jamais vu une telle précipitation ? Quel danger imminent pour la population justifie une telle accélération du processus de discussion parlementaire ? Pourquoi le texte initialement déposé ne traitait-il que du maïs Monsanto 810 et non de tous les maïs, des plantes génétiquement modifiées ou des biotechnologies ?

Tout cela est d’autant plus regrettable que cette mascarade est faite avec la complaisance du Gouvernement, pour ne pas dire à sa demande...

M. Roland Courteau. Mais enfin !

M. Jean Bizet. D’une part, le Gouvernement a inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour qui lui est réservé, donnant ainsi le signal qu’il en partageait la teneur. D’autre part, il a engagé, ce qui est très rare au sujet d’une proposition de loi, la procédure dite « accélérée ». Ainsi, chaque assemblée ne procédera qu’à une lecture de ce texte.

Nous dénonçons la manœuvre, dont nous percevons bien la finalité : contourner les décisions adoptées à l’échelon communautaire en prenant le risque d’élaborer un dispositif juridiquement fragile. En effet, les États membres n’ont pas réuni la majorité qualifiée requise pour que soit rejetée la demande d’autorisation de mise en culture du maïs transgénique TC 1507 au niveau européen. Une telle autorisation devrait donc être prochainement délivrée.

Par ailleurs, le Gouvernement s’est engagé à un moratoire sur la mise en culture de semences OGM, plus particulièrement le maïs Monsanto 810. En conséquence, il utilise tous les moyens, même des moyens juridiques moindres, comme je le démontrerai lorsque je défendrai tout à l’heure la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

J’ai la faiblesse de penser que procéder ainsi, en contraignant le travail du Parlement et en essayant de légiférer en catimini, ne grandit pas le rôle du législateur et ne permet pas d’aborder la question des OGM de façon rationnelle et sereine. Interdire de façon générale la mise en culture des maïs transgéniques, c’est nier tout le travail passé d’écoute et d’analyse, ainsi que les résultats des études scientifiques. Il s’agit vraiment, à mon avis, d’une position doctrinale.

Nous sommes là aux antipodes du travail lancé voilà quelques années avec notre collègue Jean-Marc Pastor, comme le sait M. Raoul. Dans cette assemblée, qui témoigne d’une vision d’avenir sur cette question, nous nous étions mis d’accord sur dix-sept propositions.

Je regrette que le débat n’ait pas pu continuer dans cette voie, car nous abordons maintenant cette question sous un angle purement politique et non plus économique.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé la tenue d’un débat démocratique – je m’en réjouis – au Haut Conseil des biotechnologies le 1er avril – hasard du calendrier –, mais, je l’avoue, je reste malgré tout dubitatif : comment est-il possible d’avoir un tel débat alors que nous faisons aujourd'hui mentir les agences que notre Haute Assemblée, le Parlement européen ainsi que le Conseil européen ont contribué à créer ? Je pense en particulier à l’Autorité européenne de sécurité des aliments instaurée en 2002. Cela augure mal de la démocratie dans ces conditions.

En revanche, je note que vous êtes prêt à ouvrir une deuxième page de l’histoire des biotechnologies, et j’y souscris. Je travaillerai alors avec vous de manière constructive.

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, je suis opposé non pas à un débat parlementaire sur les OGM, mais simplement au fait d’entretenir sciemment la confusion et la défiance à l’égard des biotechnologies dans l’esprit de nos concitoyens. C’est dommage, car il s’agit d’un dossier éminemment stratégique, comme nous l’avons souvent constaté avec M. Daniel Raoul. En effet, qui possède la propriété intellectuelle des traits génétiques possède une arme alimentaire qui, malheureusement, échappe aujourd'hui aux entreprises européennes, particulièrement aux entreprises françaises. C’est bien là l’ambition à peine voilée de ce texte. Il n’est qu’à considérer l’approximation scientifique de certaines phrases de l’exposé des motifs, les imprécisions et les amalgames.

J’en donnerai deux exemples : aucune autorité scientifique n’a conclu à un risque avéré pour la biodiversité ou les insectes non cibles du maïs Monsanto 810 ; quant aux abeilles, nous sommes tous préoccupés par la baisse de leur population mais, à ce stade, il n’existe pas de lien de causalité avec les OGM. De surcroît, de l’avis de tous les scientifiques, les abeilles butinent peu le maïs, car son pollen ne représente pas, pour elles, une bonne nourriture.

M. Joël Labbé. Elles s’en abreuvent !

M. Jean Bizet. Ces scientifiques n’ont pas fréquenté la même école que vous, mon cher collègue, j’en suis désolé !

J’observe à ce sujet que les propos de notre collègue Fauconnier peuvent varier…

Enfin, l’AESA a rendu un avis sur la sûreté du pollen de maïs Monsanto 810.

Toutefois, il serait temps de revenir à la raison et à la modération et de dire que nous disposons d’un arsenal juridique d’encadrement des mises en culture des espèces OGM pleinement respectueux du principe de précaution, et élaboré après de longues réflexions.

Nous avons légiféré en 2008 pour transposer la directive 98/8/CE. Le texte adopté, dont j’étais le rapporteur, au nom de la commission des affaires économiques, a permis de doter la France de dispositions législatives équilibrées et complètes. S’appuyant sur le principe de précaution et affirmant la liberté de produire ou de consommer avec ou sans OGM – comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, nous respectons la volonté de l’agriculteur ou du consommateur –, ce texte fondateur a instauré un régime de responsabilité sans faute à l’égard du préjudice éventuel dû à une dissémination fortuite d’OGM. Il a également mis en place une information des citoyens par le biais d’un registre national des cultures OGM. Le risque de la pollinisation croisée a été traité par l’instauration de distances appropriées entre différents types de cultures. Enfin, le législateur a pris soin de créer une instance unique, indépendante et pluridisciplinaire, le Haut Conseil des biotechnologies. Au sein de cet organisme, il a bien distingué l’avis des experts, réunis au sein du comité scientifique, de la parole de la société civile, représentée par le comité économique, éthique et social, dans le respect des points de vue de chacun.

Aujourd’hui, notre arsenal législatif est donc bien suffisant et complet. Efforçons-nous simplement de le respecter et de l’utiliser comme il convient. Nul besoin de procéder à des interdictions comme celle que prévoit la présente proposition de loi, à moins que l’on ne veuille défendre une position idéologique sur les biotechnologies et se priver d’analyses rigoureuses. Cessons de dresser en permanence des rideaux de fumée par l’adoption à répétition de clauses de sauvegarde, dont on sait pertinemment qu’elles seront annulées par le Conseil d’État, comme ce fut encore le cas le 1er août 2013, à la suite d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne.

Permettez-moi de rappeler les motifs de cette décision du Conseil d’État, quasi identique à celle qu’il avait rendue le 28 novembre 2011 à l’encontre d’un arrêté pris par le précédent gouvernement. L’argumentation du Conseil d'État repose sur quatre points extrêmement précis, que j’indique à l’intention de M. le rapporteur.

Premièrement, « le maïs génétiquement modifié MON 810 n’est pas susceptible de soulever davantage de préoccupations pour l’environnement que le maïs conventionnel ». Le Conseil d'État s’appuie sur l’avis des agences. Nous avons effectivement créé des agences. Si nous essayons de les faire mentir quand leur avis ne nous convient pas, nous n’aurons plus de repères. Je ne sais pas où va ce pays, en ce domaine comme en d’autres.

Deuxièmement, « le ministre a commis une erreur manifeste d’appréciation » en interdisant la culture du maïs MON 810. Au mois de novembre 2011, le Conseil d'État avait déjà émis le même avis.

Troisièmement, on ne peut pas justifier une interdiction au nom du principe de précaution « en se fondant sur une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées ».

Quatrièmement, aucune situation d’urgence ni aucun risque pour la santé et l’environnement ne justifiaient la décision du ministre.

C’est bien parce qu’il est désormais difficile pour le Gouvernement de présenter une nouvelle clause de sauvegarde que nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi qui nous est soumise, laquelle prévoit de façon expéditive une interdiction générale de la mise en culture des maïs OGM et présente de nombreux risques d’incompatibilité avec le droit communautaire ; je vous sais gré de l’avoir rappelé, monsieur le ministre. Je poursuivrai cette démonstration dans quelques instants, lorsque je défendrai, au nom du groupe UMP, la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

À ce stade, je me contenterai de faire observer que l’adoption de cette proposition de loi placerait notre pays dans une situation d’illégalité par rapport au droit communautaire. Elle le placerait également dans une situation de fragilité vis-à-vis des règles du commerce international, que notre pays s’est engagé à respecter. La France est en effet soumise aux règles de l’Organisation mondiale du commerce – l’OMC –, selon lesquelles toute entrave au commerce est interdite sauf si elle est fondée sur des motifs valables, notamment de santé publique ou de protection de l’environnement.

Les OGM importés dans l’Union européenne sont soumis à des autorisations de mise sur le marché. Ces autorisations accordées par les instances de l’Union européenne sont valables sur tout son territoire. Elles ne peuvent être remises en cause que lorsque des éléments scientifiques nouveaux mettent en évidence un risque pour la santé et l’environnement. Le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt a d’ailleurs récemment indiqué que la proposition d’introduire dans les clauses de sauvegarde des critères socio-économiques mettait les États membres dans une situation très fragile vis-à-vis de l’OMC. Toute disposition législative protectrice à l’égard des OGM expose l’Union européenne à des mesures de rétorsion. Ces dernières prendraient la forme de taxes à l’entrée des États-Unis sur des produits agricoles européens emblématiques, et il est évident que la France serait l’un des premiers pays ciblés.

Au-delà des aspects juridiques, il convient de prendre acte des enjeux économiques, compte tenu de la structure actuelle des échanges agricoles mondiaux. D’une part, notre pays, comme d’ailleurs l’Europe entière, est extrêmement dépendant des importations pour l’alimentation de ses animaux d’élevage. L’Europe importe 75 % de ses protéines végétales, essentiellement en provenance des États-Unis, du Brésil et de l’Argentine. De ce fait, 80 % des importations européennes de soja contiennent des OGM. Pour sa part, la France importe chaque année environ 3,5 millions de tonnes de tourteaux de soja OGM sur les 5 millions de tonnes que consomme l’ensemble de son bétail. Ces quantités sont cependant en train de diminuer, car la production de biocarburants entraîne automatiquement une production de tourteaux, qui permet de corriger notre dépendance ; je vous en fais crédit, et j’en suis absolument ravi.

M. Joël Labbé. C’est un autre débat !

M. Jean Bizet. Aujourd’hui, il n’existe pas d’alternative économiquement viable au soja OGM pour l’alimentation animale ; chacun en est conscient. Il serait irréaliste d’imaginer une alimentation animale sans OGM, car, dans un contexte de hausse généralisée du prix des matières premières agricoles, cela conduirait à renchérir encore les coûts de l’industrie agroalimentaire et augmenterait le prix payé par le consommateur. Il n’est donc pas envisageable d’interdire les importations d’OGM. Dès lors, ne pas introduire de manière encadrée et responsable – j’y insiste – des cultures OGM en France reviendrait à nous priver du moyen de réduire notre dépendance en protéines végétales et à imposer à nos agriculteurs une distorsion de concurrence par rapport aux agriculteurs des autres États membres, sans bénéfice pour l’environnement.

Enfin, permettez-moi de le dire, un discours qui alimente les peurs entraîne un dernier coût économique, d’un poids colossal pour l’avenir : en entretenant la confusion, notre pays finit par décourager ses chercheurs en sciences du vivant.

M. Jean Bizet. Vous le savez très bien, mes chers collègues, année après année, ils quittent notre pays. Je ne dresserai pas la longue liste des dossiers sur lesquels nous avons connu des échecs à cause des mesures de fauchage volontaire. Le fauchage avait pourtant été encadré par la loi de 2008, qui prévoyait des pénalités. Cependant, ces dispositions n’ont pas été appliquées par les gouvernements successifs.

Même les lignes budgétaires ouvertes pour la recherche en biotechnologies ne sont plus consommées.

Il ne suffit pas d’afficher un consensus en faveur de la recherche ; il faut aussi donner à cette dernière un cadre sécurisé qui lui permette de se déployer. Là encore, il y va de notre indépendance : si nous persistons dans une attitude défensive à l’égard des OGM, nous risquons de voir des multinationales étrangères monopoliser la propriété des traits génétiques. En politique, on ne doit jamais dire « jamais » ; en économie, c’est un peu plus difficile. Aujourd'hui, 80 % des traits génétiques ne sont plus la propriété d’entreprises européennes ; je me tourne vers Daniel Raoul, qui sait très bien à quoi je fais référence. Si nous en sommes arrivés là, c’est tout simplement parce que, lorsqu’on détruit des essais, on perd plusieurs années – la mise en place d’un essai dure entre trois et cinq ans –, alors que la recherche va très vite.

Pour les diverses raisons que je viens d’évoquer, le texte qui nous est présenté aujourd’hui n’a pas lieu d’être. Les membres du groupe UMP ne le voteront pas. Sur le plan juridique, il est inutile et incompatible avec le droit communautaire.

Quant aux justifications scientifiques et aux arguments économiques invoqués dans l’exposé des motifs, aucun n’est sérieusement recevable ; tout comme moi, vous le savez, mes chers collègues.

Il s’agit d’une interdiction politique ; je peux le comprendre, mais il faut le dire clairement. Ce qui est profondément regrettable, c’est que l’on assiste à un détournement des faits scientifiques : on essaie de faire mentir les avis de l’AESA et on se garde bien de consulter le Haut Conseil des biotechnologies.

En conclusion, je citerai une formule de Jacques Rueff, dont vous apprécierez sans doute la cruelle pertinence, monsieur le président de la commission : « Soyez libéraux, soyez socialistes, mais ne soyez pas menteurs ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.

M. Jean-Jacques Lasserre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’un sujet qui, à mon sens, nécessite la plus grande attention et la plus grande mesure. Il a des conséquences locales, nationales et européennes. Il touche les domaines de la santé, de l’agriculture, de la recherche, de l’économie et de l’environnement Il suscite beaucoup d’interrogations, d’incertitudes et d’incompréhension. La proposition de loi déposée par notre collègue Alain Fauconnier est plus que jamais d’actualité, mais elle porte sur un sujet très délicat qu’il convient de traiter avec une grande prudence. De grâce, ne diabolisons pas la situation !

Avant d’aborder le fond, j’évoquerai plusieurs questions qui me viennent à l’esprit.

Tout d’abord, pourquoi cette proposition de loi nous est-elle soumise maintenant ? Monsieur le ministre, pourquoi le Gouvernement a-t-il choisi d’engager la procédure accélérée ? L’argument avancé – il s’agirait de légiférer avant la période des semis – ne me semble que peu crédible. Ce tempo est absolument étonnant, d’autant que ce texte devrait être examiné par l’Assemblée nationale en avril, mois durant lequel le Sénat discutera en séance publique du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. J’ai lu aujourd'hui dans la presse que, avant même que le débat ait lieu à l’Assemblée nationale – ce devrait être le 10 avril, si j’ai bien compris –, de nombreux semis seront effectués. Peut-être le maïs que vous comptez interdire sera-t-il concerné ; c’est en tout cas ce qui ressort de l’article que j’ai lu. Il y aura donc des situations pour le moins préoccupantes et embarrassantes sur le terrain.

J’en viens à mon incompréhension face à l’absence du thème des OGM dans le grand projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Pourquoi débattre selon la procédure accélérée d’une proposition de loi relative aux OGM plutôt que d’inclure cette thématique dans le projet de loi précité, que nous examinerons après-demain en commission, d’une manière beaucoup plus élargie ? Pourquoi avoir fait l’impasse sur ce sujet dans un projet de loi qui se veut un texte d’avenir ? Les OGM et les nouveaux modes de culture sont pleinement des sujets d’avenir, mais ils sont paradoxalement les grands absents du projet de loi, qui doit pourtant être l’occasion d’examiner des thématiques d’avenir.

Pourquoi ne pas essayer de régler une fois pour toutes les deux grandes interrogations qui se présentent à nous ?

La première d’entre elles porte sur la recherche et l’expérimentation en plein champ. La grande majorité des acteurs et des décideurs veulent préserver la recherche scientifique, d’autant que, dans différents domaines – médical, notamment, mais également agricole –, la France ne peut rester absente.

La seconde grande interrogation concerne la mesure des conséquences, en particulier en matière de dissémination dans l’environnement. C’est un débat qui mobilise les experts et les responsables économiques et politiques ; vous l’avez dit, monsieur le ministre. Il faudrait jeter une fois pour toutes les bases objectives de ce débat, au-delà des démonstrations souvent partisanes qui compliquent les décisions ou les rendent impossibles. L’objet des recherches devrait également être beaucoup mieux cerné ; cela nous permettrait de débattre plus sereinement. Vers quels objectifs, vers quels projets, vers quels produits les scientifiques doivent-ils orienter leurs recherches ? Tous ces éléments devraient donner lieu à une grande discussion lors de l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Pour le formuler différemment, on ne pourra tout de même pas réunir dans l’urgence nos assemblées à chaque demande d’autorisation de mise en culture d’une variété d’OGM. Un cadre général est donc absolument nécessaire.

Par ailleurs, cette démarche est paradoxale sur le fond car, nous le savons, et cela vient d’être rappelé, il n’existe pas de consensus pour interdire la culture de maïs OGM dans l’Union européenne. L’actualité relative au maïs TC 1507 du semencier Pioneer le montre clairement : pas plus tard que mardi dernier, le Conseil des ministres des affaires européennes s’est prononcé en faveur de la demande d’autorisation de culture de ce maïs, la majorité qualifiée qui aurait permis de repousser cette culture n’ayant pas été atteinte.

La Commission européenne devra donc se prononcer, et l’on peut imaginer, même si ce n’est pas sûr, qu’elle prendra position en faveur de la production ce maïs.

Cet exemple montre que le contexte européen est propice à une censure de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, car il est à prévoir que la solidarité entre les États sera respectée.

Je le répète, force est de le constater, il n’y a, à l’heure actuelle, aucun consensus pour interdire la culture de ce maïs OGM en Europe. Aussi, le présent texte est problématique, même si je reconnais, à l’instar de nombre de mes collègues, la difficulté à trouver, à l’échelon européen, une position acceptable par tous les États, dès l’instant qu’une grande partie des territoires européens n’est pas du tout concernée par le débat sur la production de maïs.

Je reviens un instant sur un autre point qui me semble primordial : on ne peut pas se priver de la recherche et de l’expérimentation en la matière. Nous le répétons inlassablement, il convient d’être prudent eu égard aux incertitudes et aux risques potentiels, mais c’est justement grâce à ce travail de recherche et d’expérimentation que nous avancerons.

Or, à mon sens, la présente proposition de loi n’est pas assez orientée vers l’avenir, puisque, alors que nous aurions dû profiter de ce véhicule législatif, elle n’autorise pas explicitement la recherche et l’expérimentation. Comme je ne peux l’accepter, je défendrai tout à l’heure un amendement allant dans ce sens.

C’est d’autant plus regrettable que la France, à la pointe en matière d’évolutions technologiques, peut légitimement demander le renforcement des contrôles. Nous n’agissons donc pas sans sécurité ni garde-fou, puisque, rappelons-le, nous avons notamment le Haut Conseil des biotechnologies qui évalue, entre autres paramètres, l’incidence sur l’environnement et la santé des produits en cause.

Enfin, mes chers collègues, pardonnez-moi de faire ce parallèle, mais le sujet qui nous occupe aujourd'hui n’est pas sans évoquer celui des gaz de schiste. Là aussi, on refuse de faire progresser la recherche, qui permettrait pourtant de connaître le potentiel de notre sous-sol et les technologies les plus adaptées pour l’exploiter.

M. Jean Bizet. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Lasserre. Il s’agit non pas de dire oui à tout sans contrôle ni mesure du danger, mais plutôt de ne pas s’interdire de pouvoir dire oui, ou non, à la lumière d’expérimentations effectuées de façon raisonnée, intelligente et prudente, associant chercheurs, notamment, organisations professionnelles.

Vous l’aurez compris, je suis, à l’instar de mes collègues du groupe UDI-UC, plutôt méfiant vis-à-vis de sujets comme celui des OGM, mais je ne peux en aucun cas me prononcer contre la recherche et l’expérimentation.

Prudence, précaution et méfiance ne doivent pas être des freins au progrès. Or interdiction et destruction semblent être les maîtres mots de la présente proposition de loi.

Toutes ces raisons, notamment l’utilisation de la procédure accélérée, m’amènent à penser que, en l’état, le vote de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qui a été déposée serait un choix raisonnable nous permettant de nous laisser le temps de la réflexion pour étudier en profondeur ce vaste et délicat sujet.

Les membres du groupe UDI-UC voteront donc en faveur de cette motion. Si toutefois elle devait être repoussée, ils détermineront leur vote final en fonction de l’évolution de nos débats. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative à l’interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 répond en partie, vous le savez, aux propositions soutenues par le groupe CRC depuis de nombreuses années.

En effet, dès 2006, nous avions déposé une motion tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés. À cette occasion, nous avions affirmé de façon argumentée notre refus de voir les plantes génétiquement modifiées envahir le sol français.

Aujourd’hui, les sept minutes qui nous sont imparties dans la discussion générale ne me permettent pas d’aller au fond du débat, mais je reviendrai dans quelques instants sur les principales justifications de notre opposition à ce type de culture, opposition qui se limite à la production, à la commercialisation, à la consommation, et qui ne vise pas la recherche en ce domaine.

Lors de l’examen en 2006 du projet de loi précité, lequel, souvenons-nous, fut modifié à la suite de l’adoption d’un amendement communiste, la sénatrice Evelyne Didier affirmait dans cet hémicycle « qu’il serait hasardeux de justifier la défense des cultures OGM par la nécessité de se mettre en conformité avec le droit communautaire. Ne confondons pas les contraintes juridiques et la volonté politique ! ».

Huit ans plus tard, nous constatons avec une satisfaction particulière que la volonté politique existe aujourd’hui. Nous sommes même d’autant plus satisfaits, monsieur le ministre, que nous vous avons entendu conseiller à la Commission européenne d’écouter de temps en temps un tout petit peu l’opinion publique européenne.

En effet, au-delà des enjeux en termes de santé, d’environnement, d’agriculture, que je déclinerai dans un instant, il ne faut pas négliger l’importance, singulièrement en France, de la dimension culturelle de la nourriture et des modes de production agricole.

Comme vous le savez, la communauté scientifique n’ayant pas tranché la question de l’innocuité ou de la nocivité des OGM pour la santé, il nous semble donc important de rester prudents.

Or, à l’échelon européen, la délivrance d’autorisations de mise sur le marché s’accélère, indépendamment de la question des cultures. Au mois de novembre dernier, la Commission européenne a autorisé, pour l’alimentation animale et humaine, dix plantes génétiquement modifiées dites « empilées », ainsi que le pollen issu du maïs MON 810.

Les PGM empilées contiennent plusieurs événements de transformation, la plus emblématique étant le maïs SmartStax, comportant huit transgènes. Par conséquent, interdire la culture de plantes génétiquement modifiées ne signifie donc pas assurer aux consommateurs une alimentation sans OGM. C’est pourquoi nous militons en faveur d’une meilleure information des consommateurs relative aux produits alimentaires contenant des OGM.

Outre les pathologies lourdes, dont on ne peut déterminer si elles sont causées par l’ingestion de plantes génétiquement modifiées, il semblerait que les protéines produites par les gènes puissent présenter des risques de toxicité et d’allergénicité.

Pour ce qui concerne l’interdiction de mise en culture de maïs génétiquement modifié, nous soutenons sans réserve la démarche du Gouvernement en raison non seulement des risques environnementaux et sociaux, mais également du modèle agricole qui sont associés à l’utilisation des plantes génétiquement modifiées.

D’une part, l’incidence environnementale des cultures de PGM est plus clairement établie, des atteintes sur la faune ayant été constatées, que ce soit sur les insectes ou sur les vers de terre. De surcroît, la coexistence des cultures OGM en plein champ et de l’apiculture est, vous le savez, impossible. Nous connaissons tous le cas emblématique de cet apiculteur allemand qui a constaté la présence de pollen de maïs OGM MON 810 dans son miel et qui a intenté une action en justice. En 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé qu’un tel miel ne pouvait pas être commercialisé sans autorisation. Tous ces éléments font donc peser un risque disproportionné et injustifié sur la filière apicole.

D’autre part, en 2012, le Haut Conseil des biotechnologies évoquait, dans sa recommandation relative à l’autorisation de culture du maïs génétiquement modifié, un certain nombre d’éléments qui devraient entrer en ligne de compte dans le bilan du coût et des avantages des plantes génétiquement modifiées. Il relevait, notamment, la suppression d’emplois dans les exploitations agricoles en raison de la modification des pratiques culturales. Il soulignait également les effets des modifications introduites sur le temps de travail des agriculteurs et, parallèlement, sur la taille des exploitations, ainsi que sur les filières associées : sélection variétale, machinisme agricole, agro-industries, etc.

Il nous semble en outre que les pratiques agronomiques associées à la culture des plantes génétiquement modifiées entrent en contradiction avec le modèle agro-écologique que nous souhaitons développer en France, lequel nous pousse à nous interroger sur l’abandon des moyens non chimiques de lutte contre ce que l’on appelle les « adventices », de la pratique des rotations de cultures ou du désherbage mécanique.

De plus, comme le souligne une expertise collective de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, datant de 2011, sur les variétés tolérantes à des herbicides, « l’emploi récurrent de la même molécule dans la rotation a (...) entraîné des dérives de flore et l’apparition d’adventices résistantes. Ces problèmes émergents ont nécessité le recours à des solutions de désherbage complémentaires, revenant à des programmes comportant plusieurs traitements, et induisant une augmentation des tonnages d’herbicides utilisés par rapport aux économies initiales réalisées ».

Les organismes génétiquement modifiés contribuent donc à une standardisation, à une diminution du nombre de variétés et, partant, à un affaiblissement de la biodiversité.

Vous avez annoncé, monsieur le ministre, une proposition de loi-cadre à l’échelon européen pour permettre aux États membres, une fois l’autorisation de culture d’un OGM accordée, de l’interdire au plan national dans un cadre législatif plus serein que les actuelles clauses de sauvegarde.

Pour protéger efficacement les citoyens européens, une réforme en profondeur des procédures d’autorisation des OGM au niveau de l’Union serait souhaitable. En effet se pose le problème des contaminations entre pays membres qui n’opteraient pas pour les mêmes règles.

Enfin, le développement des OGM contribue également à une soumission croissante des agriculteurs aux quelques entreprises agro-industrielles créatrices de plantes génétiquement modifiées protégées par des brevets. Les effets sur les filières de production de semences, d’ailleurs souvent des entreprises françaises, et la survie du certificat d’obtention végétale ne doivent pas être négligés à cet égard.

Nous avons eu l’occasion, là encore, de mesurer les enjeux liés à la brevetabilité du vivant qui risque de remettre en cause la capacité d’innovation en matière d’amélioration végétale au plan national.

M. Jean Bizet. C’est vrai !

M. Thierry Foucaud. À ce titre, l’accord de partenariat transatlantique négocié depuis le mois de juillet 2013 entre les États-Unis et l’Union européenne risque d’affaiblir et d’isoler la France dans ses positions.

À ceux qui tenteraient de nous rassurer en disant que, d’une part, ces négociations ne devraient aboutir que dans deux ans et que, d’autre part, l’OMC inflige déjà à l’Union européenne des pénalités de plusieurs centaines de millions d’euros en raison de son refus d’importer des organismes génétiquement modifiés, nous répondons que le traité transatlantique, comme son pendant pour la zone Pacifique, aura pour effet d’autoriser les multinationales à poursuivre en leur nom propre un pays signataire dont la politique aurait un effet restrictif sur leur politique commerciale.

Les industries de biotechnologie, avec Monsanto en première ligne, attendent que la zone de libre-échange transatlantique permette d’imposer enfin aux Européens leur catalogue de produits OGM en attente d’approbation et d’utilisation.

Monsieur le ministre, parce que le groupe CRC a toujours défendu notre modèle agricole et alimentaire, nous voterons le texte issu des travaux de la commission des affaires économiques, tout en regrettant que son objet soit restreint et en réaffirmant la nécessité pour le Gouvernement de mettre en cohérence sa politique avec son action aux niveaux européen et international. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce débat est en quelque sorte le triste épilogue d’un mauvais feuilleton politique ! (Mme Éliane Assassi s’exclame.)

À deux reprises, la France a tenté de riposter en opposant la clause de sauvegarde à une décision européenne autorisant le maïs génétiquement modifié MON 810 et, à deux reprises, le Conseil d’État a annulé l’arrêté d’interdiction.

M. Jean Bizet. Ce sera pareil cette fois-ci !

M. François Fortassin. Au mois d’août dernier, celui-ci a en effet jugé que le dossier ne faisait pas état d’éléments nouveaux, reposant sur des données scientifiques fiables et permettant de conclure à l’existence d’un risque important pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Au lendemain de cette annulation, vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à maintenir le moratoire tout en promettant une décision avant les prochains semis.

Ces éléments expliquent sans doute l’apparition soudaine dans l’ordre du jour réservé au Gouvernement de cette proposition de loi déposée voilà deux semaines à peine par notre collègue Alain Fauconnier. Il s’agit là d’une production à quatre mains et à plusieurs cerveaux, mais comme les intelligences s’additionnent, acceptons-en l’augure…

M. Jean Bizet. C’est risqué !

M. François Fortassin. Cette situation semble même parfaitement assumée, n’est-ce pas, monsieur le ministre ?

Vous nous proposez donc aujourd’hui une autre procédure : interdire par la loi la mise en culture sur le territoire national non seulement du maïs incriminé, mais aussi de l’ensemble des variétés de maïs génétiquement modifié. Il est vrai que, entre-temps, une nouvelle variété de maïs OGM, le TC 1507, vient d’être quasiment autorisée, faute de majorité suffisante pour la bloquer lors du dernier Conseil européen.

Notre fonction de législateur peut-elle nous autoriser à voter des lois dont nous savons pertinemment qu’elles ne sont pas fondées juridiquement ? Cela pose un réel problème...

S’agirait-il donc d’une initiative purement politique pour rassurer une opinion publique « apparemment » unanime à rejeter les OGM ? Je n’ose le croire. Quoi qu’il en soit, elle montre bien notre incapacité à tenir un débat objectif et serein sur le sujet, allant au fond des interrogations. Il nous appartient de défendre la transparence du débat public et l’émergence d’une information non biaisée par les conflits d’intérêts.

Les résistances sont au demeurant tout à fait légitimes. Mais, aujourd’hui, on ne sait plus d’où viennent les sources d’inspiration critique : à un moment donné, ce peut être le principe de précaution, qui a souvent bon dos, et à un autre, l’opposition à la stratégie, il est vrai très impérialiste, de l’entreprise Monsanto.

Les modèles de développement ne sont pas toujours antinomiques, l’agriculture intensive ne s’oppose pas nécessairement à l’agro-écologie. Il faut sortir d’une vision manichéenne et simplificatrice !

Sur des dossiers comme celui-ci, nous devrions pouvoir décider sur la base d’un débat scientifique parfaitement déterminé et non céder en permanence aux caprices de quelques religieux sectaires et contestataires,…

M. Jean Bizet. Des noms !

M. François Fortassin. … ainsi qu’aux craintes d’une opinion publique parfois trop facile à manipuler. En tant que parlementaires, nous devons raison garder et ne pas céder aux sirènes médiatiques ou aux raccourcis de quelques sondages d’opinion qui n’ont aucun sens.

On ne peut réduire les OGM à leur visage actuel, c’est-à-dire au business de l’entreprise Monsanto ou de quelques autres firmes pour lesquelles nous n’avons aucune sympathie particulière et dont nous dénonçons d’ailleurs certaines méthodes – je pense, en particulier, au scandale d’un monopole des semences.

Il serait stupide de se priver a priori des biotechnologies : non, les OGM ne représentent pas, par nature et par définition, un danger certain pour la santé publique ! Les choses sont plus complexes. Ce constat est d’ailleurs valable pour d’autres sujets – un orateur précédent a évoqué le gaz de schiste, je n’insisterai donc pas davantage.

Il est primordial de poursuivre la recherche, car nous commettrions une faute politique majeure en cédant à l’obscurantisme. Veillons à ce que le principe de précaution ne devienne pas un véritable principe de « paralysie ». Quand on ne connaît pas un risque, au lieu de s’abstenir, mieux vaut chercher à savoir ce qu’il en est, en l’étudiant. Or, même au stade expérimental, il n’y a plus de cultures OGM en France, il n’y a donc plus rien à faucher ni à détruire !

La prise de position est d’autant plus regrettable que notre pays est encore, je l’espère, à la pointe de la recherche et du développement dans le domaine de la génétique végétale. Les variétés créées par l’INRA furent à l’origine du succès de plusieurs entreprises.

Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, l’évaluation des OGM connaît de grandes lacunes, qu’il s’agisse de leur intérêt agronomique, de leurs effets sur la santé humaine, de leurs incidences sur les autres filières agricoles, conventionnelle ou biologique. Raison de plus pour donner à la recherche publique française, notamment à l’INRA, les moyens nécessaires et la liberté suffisante pour mener des expérimentations. Je regrette que le texte que nous examinons ne dise mot sur ce point.

Cela étant, je ne conteste pas vos arguments relatifs aux risques de résistance des maïs OGM, à l’insuffisance des mesures de gestion et des plans de surveillance mis en œuvre par l’entreprise Monsanto. Je m’interroge seulement sur la cohérence de nos décisions avec celles de l’Europe. Comment expliquer, par exemple, l’interdiction de la mise en culture des OGM et, dans le même temps, l’autorisation de l’importation de produits à base d’OGM ? Disons la vérité aux Français : on ne cultive pas chez nous ce que nous mangeons tous les jours !

Finalement, face à une communauté scientifique fortement divisée et invoquant des arguments contradictoires, face aux positions des « pro » et des « anti » qui se sont encore durcies, faut-il considérer que nous devons nous résigner à ne tenir compte, sur ce sujet, que de notre intime conviction ?

L’intime conviction des membres du RDSE n’est pas unanime. Nous pensons tous qu’il faut encourager la recherche pour avoir au plus vite des certitudes. En attendant, certains d’entre nous, dont je suis, voteront ce texte, non sans exprimer quelques réserves, comme je viens de le faire, mais d’autres ne peuvent se résoudre à adopter un texte qui n’a aucune raison d’être sur le plan juridique.

Enfin, la totalité des membres de mon groupe appellent à la tenue, au plus vite, d’un vrai débat objectif et dépassionné sur le sujet des OGM, débat dans lequel ni l’immobilisme, ni l’obscurantisme, ni le sectarisme, ni surtout les arrière-pensées électorales n’auront la moindre place ! Monsieur le ministre, je fais confiance à votre détermination et à votre savoir-faire pour que la France ne soit pas condamnée par les instances européennes !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Vous savez que mon savoir-faire est grand !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’approche de la prochaine période des semis de maïs, fin mars-début avril, la majorité et le Gouvernement souhaitent réaffirmer leur opposition à la mise en culture du maïs Monsanto 810, tout en anticipant une éventuelle approbation à l’échelon européen d’un nouveau maïs OGM, le Pioneer TC 1507.

Depuis l’autorisation de sa mise en culture au plan européen en 1998, la France a, à plusieurs reprises, activé sa clause de sauvegarde et interdit la mise en culture du maïs OGM de l’entreprise Monsanto sur son territoire. Elle s’est pour cela fondée sur un large éventail d’études scientifiques qui mettent en évidence des risques environnementaux liés à sa culture. Ces risques comprennent, notamment, l’apparition de résistances dans les populations de ravageurs, modifiant l’équilibre animal et végétal et encourageant l’adoption de techniques de lutte ayant une incidence environnementale plus élevée, comme l’utilisation d’insecticides, ou encore la réduction de la population de certaines espèces de papillons, lorsqu’elles sont exposées au pollen du maïs Monsanto 810 déposé sur leurs plantes hôtes.

L’EFSA, considérant ces risques pour la biodiversité, a de son côté rendu plusieurs avis recommandant des mesures de gestion et de sécurité en cas de mise en culture. Elle insiste en particulier sur la nécessité de renforcer les plans de surveillance, et d’instaurer des mesures de confinement des cultures, ainsi que des distances de sécurité avec les habitats des espèces affectées par la dissémination du pollen et des toxines de ces OGM.

Or le groupe Monsanto n’est pas assujetti à ces mesures de précaution en faveur de l’environnement et de la santé animale par la décision européenne d’autorisation. De plus, il apparaît que les mesures volontaires proposées par l’entreprise sont insuffisantes au regard des risques et sont, de toute façon, mises en œuvre de manière incomplète.

Par ailleurs, la mise en culture de maïs génétiquement modifié sur le territoire national ouvrirait un risque supplémentaire pour la santé des abeilles : celui de la dissémination incontrôlée de pollen issu d’OGM se retrouvant par la suite, de manière incontrôlée, dans les produits des ruches. Les maïs Monsanto 810 et Pioneer TC 1507 ont en effet la particularité de produire leur propre insecticide, dont la toxicité sur les abeilles n’a jamais été évaluée selon le protocole imposé pour les insecticides agricoles.

Depuis près de vingt ans, la filière apicole traverse une crise profonde liée à la surmortalité des abeilles. Cette surmortalité a des origines multiples : usage abondant des pesticides dans l’agriculture, monoculture, ravages du parasite varroa, ou encore conséquences de l’introduction du frelon asiatique dans notre pays.

Est-il encore nécessaire de le rappeler ? Cet effondrement des colonies fait peser un risque écologique majeur, en raison du rôle des insectes pollinisateurs dans la nature. Les 1 100 espèces d’abeilles jouent en effet un rôle fondamental dans la biodiversité et la reproduction des végétaux. Quelque 170 000 espèces végétales, arbres, fleurs sauvages ou cultivées dépendent des pollinisateurs.

Avec la mise à mal de ce maillon essentiel de la biodiversité, c’est aussi toute une filière économique qui souffre. En 2013, la France a produit 15 000 tonnes de miel ; il s’agit de la récolte la plus faible jamais connue ! En vingt ans, la production de ce produit a chuté de moitié. Notre pays, qui dispose de conditions optimales pour produire des miels de qualité – un vaste espace rural, des paysages et des climats très différents, un important savoir-faire – est devenu importateur, alors qu’il pourrait être exportateur. En 1995, la France était autosuffisante ; elle importe désormais les deux tiers de sa consommation. En dix ans, le nombre des apiculteurs est passé d’environ 70 000 à 40 000 !

Alors qu’aucune solution technique satisfaisante n’existe actuellement pour éviter la présence de pollen génétiquement modifié dans les produits de la ruche, la présence d’OGM sur le territoire créerait donc une contrainte supplémentaire pour la filière apicole, en obligeant les apiculteurs à éloigner leurs ruches des parcelles où des OGM seraient cultivés. Je prends l’exemple de la filière apicole, mais il va sans dire que les menaces d’incidences environnementales et économiques pèseraient sur toutes les filières agricoles « sans OGM », qu’elles soient conventionnelle ou biologique.

Par ailleurs, l’opposition de la France à l’autorisation de mise en culture du maïs Pioneer TC 1507 rejoint la position claire que vient de prendre le Parlement européen, à la mi-janvier, à travers le vote d’une résolution contre son autorisation par près des deux tiers de ses membres. La semaine dernière, les États membres de l’Union européenne ont également voté majoritairement contre. Les mêmes causes – risques pour la biodiversité et insuffisances des évaluations sanitaires – ont donc conduit à un refus clairement exprimé des représentants européens et de la plupart des ministres européens concernés.

En attendant la décision finale que prendra la Commission européenne à l’égard de ce nouveau maïs OGM, il convient d’affirmer le principe général d’interdiction de culture de tous les maïs OGM sur le territoire français, par un vote sans hésitation de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

(M. Thierry Foucaud remplace Mme Bariza Khiari au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON810
Exception d'irrecevabilité (fin)

M. le président. Je suis saisi, par MM. Bizet, César et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi relative à l’interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 (Procédure accélérée) (n° 363, 2013-2014).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jean Bizet, pour la motion.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de défendre, au nom du groupe UMP, la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur la proposition de loi de notre collègue Alain Fauconnier qui vise à interdire la mise en culture des maïs génétiquement modifiés, soit essentiellement le MON 810 et le Pioneer TC 1507.

Permettez-moi de le rappeler, l’exception d’irrecevabilité, prévue par l’article 44 du règlement, a pour objet de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles, légales ou réglementaires.

Nous considérons, effectivement, que la présente proposition de loi est contraire non seulement à la Constitution, mais également à des dispositions légales et réglementaires ; surtout, nous estimons qu’elle est contraire au principe de la primauté du droit européen sur la loi française, tel qu’établi à l’article 88-1 de la Constitution.

Force est de le constater, ce texte s’affranchit des dispositions légales et réglementaires existantes en la matière, elles-mêmes issues du droit communautaire, notamment la loi n° 2008-595 du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés, aujourd’hui codifiée dans le code de l’environnement et dans le code rural, qui était une transposition de directive communautaire.

Ainsi, visant le seul cas particulier de la mise en culture des maïs transgéniques, cette proposition de loi tend à effacer d’un trait de plume expéditif notre corpus juridique, lui-même pesé au trébuchet et adossé à des études d’autorités scientifiques publiques, telle l’agence européenne chargée de l’évaluation des risques.

Pour ce qui concerne le cas particulier du maïs MON 810, ce texte vise clairement à contourner l’annulation des clauses de sauvegarde par le Conseil d’État, à la suite d’une décision de la Cour de justice des communautés européennes.

L’exposé des motifs évoque des risques environnementaux, alors que le Conseil d’État, pour retenir l’absence de caractérisation d’un tel risque, s’est notamment référé à des avis de l’AESA. Aucune autorité scientifique n’a conclu à un risque avéré pour la biodiversité ni pour les insectes cibles du MON 810.

La proposition de loi respecte encore moins le droit européen, qui ne permet pas aux États de prendre une mesure d’interdiction générale de la mise en culture de variétés transgéniques sur un territoire national, le régime général étant un régime d’autorisation au cas par cas.

Ce dernier, issu de la directive 2001/18/CE, a été explicité par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

La Cour a en effet estimé que, à partir du moment où les semences en cause ont été autorisées à des fins de culture, en application de la directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, ont ensuite été notifiées en tant que produits existants, puis ont fait l’objet d’une demande de renouvellement d’autorisation en cours d’examen sur le fondement de l’article 20 du règlement n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, elles « ne peuvent pas faire l’objet, de la part d’un État membre, de mesures de suspension ou d’interdiction provisoire de l’utilisation ou de la mise sur le marché en application de l’article 23 de la directive 2001/18, de telles mesures pouvant, en revanche, être adoptées conformément à l’article 34 du règlement n° 1829/2003. »

Ainsi, pour interdire un tel produit, il est imposé aux États membres d’établir, outre l’urgence, « l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou des problématiques environnementales. »

Dans ce cas, l’État membre ne peut adopter des mesures d’urgence que dans les conditions de procédure énoncées à l’article 54 du règlement n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires.

Il ressort de l’articulation de ces textes que, pour prendre des mesures de suspension ou d’interdiction de l’utilisation ou de la mise sur le marché d’un OGM, l’État membre doit informer la Commission des mesures envisagées et établir, outre l’urgence, l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement.

Quelle est donc aujourd’hui l’urgence à interdire les maïs MON 810 et TC 1507 ? Et pour répondre à cette question, il ne faut pas se contenter d’affirmations, il faut aussi assortir celles-ci de démonstrations scientifiques.

Or la présente proposition de loi ne mentionne aucun élément nouveau pour le maïs MON 810 et ne traite pas clairement du cas du maïs TC 1507.

En outre, l’urgence du risque serait-elle justifiée, encore faudrait-il respecter la procédure européenne, qui ne prévoit pas d’intervenir par simple interdiction, à l’inverse du texte qui nous est soumis.

En conséquence, cette proposition de loi ne respecte ni sur la forme ni sur le fond les possibilités légales de suspension ou d’interdiction de la mise en culture d’une semence OGM.

Et les raisons présentées pour interdire la culture des maïs MON 810 et TC 1507 ne sont fondées ni juridiquement ni scientifiquement, comme cela fut d’ailleurs indiqué au cours de la discussion générale.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé, me semble-t-il, votre intention de demander aux représentants de la Commission de venir en France pour expliquer publiquement leur éventuelle décision d’autorisation du maïs TC 1507. C’est un bien surprenant procès d’intention… (M. le ministre s’étonne.) C’est en tout cas ainsi que j’ai interprété vos propos ! Cela étant, l’action de la Commission européenne serait totalement légale, puisqu’elle serait la suite normale de la décision du conseil Affaires générales du 11 février dernier où chaque pays était représenté par un ministre.

Ne serait-il pas plus conséquent que chacun assume ses responsabilités, respecte les données scientifiques et fasse œuvre de pédagogie ?

En particulier, pourquoi cautionnez-vous, au plan national, une proposition de loi explicitement contraire au droit communautaire en vigueur, comme nous venons de le démontrer ? C’est jeter, à mon avis, un double discrédit, tant sur les travaux du Parlement que sur les décisions prises au niveau européen.

Monsieur le ministre, en démocratie, le respect du droit et la sécurité juridique ont un sens ! Je suis persuadé que vous le comprenez. Certes, il est toujours plus facile de rendre l’Europe responsable ! Je le regrette. Pour autant, il existe aujourd’hui un droit européen, décidé par les États membres et que nous sommes tenus d’appliquer.

M. Joël Labbé. Ce n’est pas démocratique !

M. Jean Bizet. D’aucuns proposent de revoir le processus décisionnel en matière d’autorisation d’OGM. Je suis tout à fait d’accord mais, en l’occurrence, aucune modification n’est proposée. En attendant, nous devons respecter la législation en vigueur, sauf à décider d’agir illégalement.

Or, à ce stade, le Parlement d’un État membre n’est pas autorisé à se dispenser de respecter le droit communautaire.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demanderai de bien vouloir apporter votre soutien à cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, contre la motion.

Mme Éliane Assassi. Les membres du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre cette motion, qui tend à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Mon ami Thierry Foucaud l’a indiqué lors de la discussion générale, plusieurs motifs d’ordre sanitaire, environnemental et sociétal nous conduisent à envisager avec la plus grande prudence la question de la culture des plantes génétiquement modifiées en vue de leur commercialisation. Et c’est bien uniquement de cela qu’il s’agit en l’espèce, la question des organismes génétiquement modifiés dépassant largement l’objet de la présente proposition de loi.

Notre vote contre la motion déposée par les membres du groupe UMP ne traduira pas, évidemment, notre refus du progrès génétique et de l’innovation, bien au contraire. Nous sommes étonnés que ceux-là même qui défendaient hier le certificat d’obtention végétale soutiennent le projet d’une large introduction des plantes génétiquement modifiées.

Cela étant, quels que soient les avis émis sur les risques potentiels des OGM, il reste que ces organismes introduisent un véritable changement, dans la mesure où ils permettent de modifier l’identification et le type de rémunération du semencier. Sans brevet, l’organisme génétiquement modifié est de moindre valeur pour ce dernier. Défendre les plantes génétiquement modifiées, c’est défendre un système qui s’oppose au certificat d’obtention végétale.

Par ailleurs, il nous semble essentiel de réaffirmer notre attachement à la recherche, particulièrement à la recherche empirique. Nous en avons besoin, car la théorie génétique est trop fruste pour apporter une réponse a priori et permettre des expérimentations d’interprétation fiable et universelle.

Dans des domaines aussi sensibles pour l’opinion publique et qui concernent tant notre système agricole que notre alimentation, il est très important de donner toute sa place à la recherche publique et à l’information de l’ensemble de nos concitoyens.

Enfin, le législateur français est en droit d’adopter les lois qui lui semblent justes et nécessaires pour satisfaire l’intérêt général, indépendamment, j’y insiste, des condamnations qui pourraient intervenir. Les membres du groupe CRC voteront donc contre cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Fauconnier, rapporteur. Selon les auteurs de la présente motion, la proposition de loi serait contraire non seulement à la Constitution, mais également à des dispositions légales et réglementaires.

Ainsi, ils remarquent que ce texte ne fait aucune référence aux dispositions légales et réglementaires existantes en la matière. Faut-il vous rappeler, mes chers collègues, qu’un texte législatif n’a pas à faire référence à d’autres dispositions légales, et encore moins réglementaires, puisqu’il vise à ajouter, voire à substituer, des mesures aux dispositions légales qui existent déjà ?

Quant à l’argument constitutionnel, il est fondé uniquement sur l’article 88-1 de la Constitution. Les auteurs de la motion vont donc plus loin que le Conseil constitutionnel lui-même, qui n’examine pas la conformité des lois au droit européen.

S’agissant plus précisément de l’article 88-1, il peut permettre de censurer une loi ayant pour objet de transposer une directive communautaire si elle est manifestement incompatible à cette directive. Toutefois, nous ne sommes pas dans le cas d’un texte ayant pour objet une telle transposition. Nous n’entrons pas dans le cadre du contrôle de constitutionnalité tel qu’il est réalisé par le Conseil constitutionnel.

De plus, les auteurs de cette motion semblent méconnaître la répartition des rôles entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Selon eux, pour prendre une mesure d’interdiction de mise en culture d’une plante génétiquement modifiée, il conviendrait de suivre la procédure fixée par l’article 34 du règlement européen n° 1829/2003 et l’article 54 du règlement européen n° 178/2002.

Cette procédure prévoit qu’un État membre doit informer la Commission européenne de la nécessité de prendre des mesures d’urgence. Si la Commission n’adopte aucune mesure, l’État membre peut alors décider des mesures conservatoires. La répartition des rôles est donc la suivante : le Parlement peut voter la loi d’interdiction et il reviendra au pouvoir exécutif de procéder à cette notification ou à toute autre procédure conforme au droit européen.

Je le rappelle, la promulgation de la loi qui sera éventuellement adoptée n’aura pas lieu avant la mi-avril, puisque l’examen du présent texte est inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale du 10 avril, ce qui laisse tout le temps nécessaire au pouvoir exécutif pour prendre les mesures qui s’imposent.

Sur le fond, la plupart des États – y compris certains précédemment considérés comme favorables aux OGM – représentant la majorité des citoyens de l’Union européenne se sont prononcés contre l’autorisation de mise en culture d’une variété de maïs génétiquement modifiée. Huit pays de l’Union européenne ont adopté un moratoire relatif à la culture du maïs MON 810, ce qui représente une bonne partie des États qui cultivent du maïs à une échelle significative. Une autorisation d’une variété génétiquement modifiée irait à l’encontre de l’évolution générale en Europe.

Enfin, la Commission européenne elle-même a fait des propositions, qui pourraient être discutées très prochainement, tendant à laisser plus explicitement à chaque État la possibilité d’interdire sur son territoire une variété d’OGM sans nécessité de recourir à une clause de sauvegarde.

Pour l’ensemble de ces raisons, de droit et de fait, je vous propose, mes chers collègues, de rejeter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. J’ai bien compris l’argumentaire que vous avez développé, monsieur Bizet. Je tiens à saluer vos compétences. Le travail que vous menez sur la question depuis de nombreuses années mérite le respect.

Il n’y a pas de bonne solution sur le plan juridique. Quelle que soit la majorité en place, la France a recouru à la clause de sauvegarde. Comme l’a rappelé M. Labbé, elle s’est depuis longtemps opposée à la culture du maïs MON 810.

Mais la clause de sauvegarde sous-tend une sorte d’urgence. Or en l’espèce ce débat ne s’inscrit pas dans l’urgence. Il s’agit de problèmes de dissémination et d’environnement qui peuvent être appréciés et vérifiés.

D’aucuns ont soutenu qu’aucune étude scientifique n’avait infirmé les risques environnementaux. Pour ce qui concerne le maïs MON 810, son autorisation de mise sur le marché ayant été donnée pour dix ans et ce délai étant largement expiré, nous aurions pu faire le choix de la contester juridiquement.

Par ailleurs, l’EFSA a conclu, dans des avis de 2011 et 2012 relatifs à la demande de renouvellement de l’autorisation accordée au maïs Monsanto, que la culture de ce maïs présentait des incidences en termes de résistance par les insectes ravageurs et sur la mortalité d’insectes non cibles, en particulier les papillons.

L’EFSA a donc recommandé des mesures de gestion et un renforcement des mesures de surveillance. Or, à l’heure actuelle, aucune mesure de ce type n’est imposée par la décision d’autorisation. Nulle part une telle mesure n’est mise en place, et je pourrai citer à cet égard l’exemple de l’Espagne.

Il suffirait de travailler un tant soit peu, ne serait-ce que sur l’aspect juridique du dossier, pour contester la situation actuelle.

Nous devons donc, d’abord, régler le problème lié à la décision du Conseil d’État, pour que la France puisse adopter une position claire et simple sur la question des maïs OGM existants ; telle est la proposition faite par le rapporteur. Nous pourrons ensuite engager un débat à l’échelle européenne, afin de fixer des critères clairs de droit positif. Chaque État pourra ainsi prendre des décisions étayées, et nous pourrons sortir, monsieur le sénateur, des seuls débats relatifs aux clauses de sauvegarde.

En attendant ce changement de la réglementation européenne, il nous faut prendre une décision politique et législative claire, laquelle a été fort bien défendue par le rapporteur.

Je souhaite donc le rejet de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour explication de vote.

Mme Nicole Bonnefoy. Ce n’est pas une surprise, les membres du groupe socialiste ne voteront pas en faveur de cette motion. J’ai déjà expliqué lors de la discussion générale les raisons qui nous poussent à soutenir la présente proposition de loi ; je n’y reviendrai donc pas.

Selon les auteurs de la motion, cette proposition de loi ne respecterait pas la réglementation européenne. Mais, mes chers collègues, que penser de cette réglementation ?

L’Europe est en passe d’autoriser, par la voix de la Commission européenne, la mise en culture d’un nouveau maïs OGM : le TC 1507 de Pioneer. Cette autorisation va probablement intervenir, alors même que les citoyens européens sont, pour une large majorité, hostiles au développement des OGM, que le Parlement européen s’y est vivement opposé, le 16 janvier dernier, à une majorité claire de 385 voix contre 201, que dix-neuf des vingt-huit États membres ont voté contre lors du conseil Affaires générales du 11 février dernier, et que quatre pays – et non des moindres – se sont abstenus, à savoir l’Allemagne, la Belgique, le Portugal et la République tchèque.

Malgré cette absence claire et incontestable de majorité politique, il reviendra désormais à la seule Commission européenne d’exercer son pouvoir – et elle le fera ! – d’autoriser le Pioneer TC 1507.

Pour les membres du groupe socialiste, il est extrêmement regrettable qu’une minorité puisse ainsi décider pour l’ensemble de l’Union européenne et ignorer, par là même, de réelles inquiétudes politiques et scientifiques. C’est pourquoi nous estimons que la procédure actuelle d’autorisation des OGM à l’échelon européen est très imparfaite et doit être révisée.

Aujourd’hui, les États membres disposent uniquement de la clause de sauvegarde pour interdire la mise en culture d’un OGM sur leur territoire. Or de telles clauses sont systématiquement contestées juridiquement, car elles ne peuvent être appliquées qu’en cas de danger imminent. En somme, il faudrait attendre d’être au pied du mur, au risque que des dégâts environnementaux irréversibles ne soient déjà à l’œuvre, pour prendre des mesures de précaution !

Une telle procédure est difficilement acceptable, particulièrement lorsqu’il est question de sécurité sanitaire, de préservation de l’environnement ou de santé publique. Car tel est bien, j’y insiste, le cœur de cette proposition de loi : la sécurité sanitaire et environnementale.

C’est pourquoi la France a activé à deux reprises la clause de sauvegarde, et la première fois, je tiens à le rappeler à mes collègues de l’opposition, sur l’initiative du précédent gouvernement.

À la suite de la décision du Conseil d’État du 1er août 2013, le Président de la République a réaffirmé son engagement pris lors de la conférence environnementale de 2012 : la France ne permettra pas la mise en culture des OGM actuellement autorisés au plan communautaire.

Il n’est pas question ici d’opposition idéologique aux OGM, comme certains semblent le craindre. J’en profite d’ailleurs pour répondre à des inquiétudes exprimées lors de l’examen en commission de cette proposition de loi : ce texte ne vise que la mise en culture, et non la recherche ou les essais, qui relèvent d’une autre réglementation et donc d’un autre débat.

Le Gouvernement prend seulement acte des risques actuellement liés à la mise en culture du maïs MON 810. En effet, comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition de loi, plusieurs études de l’Autorité européenne de sécurité des aliments ont mis en avant les risques environnementaux liés à cet OGM, et la nécessité de mettre en œuvre des mesures de gestion et de surveillance. Or ces dernières ne sont ni obligatoires ni, malheureusement, appliquées par l’entreprise Monsanto.

Malgré ce constat, aucun État membre n’est aujourd’hui en mesure de s’opposer à ces cultures. C’est pourquoi le Gouvernement a engagé un travail important visant à réviser la directive européenne relative aux OGM. Les ministres chargés de l’agriculture et de l’écologie ont mobilisé leurs services pour qu’une réflexion soit menée en vue de créer un cadre réglementaire plus adapté, qui laisserait aux États membres une plus grande liberté pour la gestion et l’autorisation de ces cultures.

En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à rejeter cette motion et à voter cette proposition de loi dont l’objet, je le rappelle, est non pas d’interdire toute recherche ou expérimentation sur les OGM, ce qui relève d’un autre débat, mais bien de faire preuve de précaution et de responsabilité en refusant la mise en culture des maïs OGM actuellement autorisés, dont les incidences sur l’environnement soulèvent encore de trop nombreuses interrogations.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité et dont l’adoption entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 146 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 171
Contre 169

Le Sénat a adopté.

En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

Exception d'irrecevabilité (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON810
 

10

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 18 février 2014 :

À neuf heures trente :

1. Questions orales

(Le texte des questions figure en annexe)

À quinze heures et le soir :

2. Projet de loi autorisant la ratification du traité d’extradition entre la République française et la République du Pérou (n° 205, 2013-2014) ;

Rapport de M. Jean-Louis Carrère, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 351, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 352, 2013-2014).

3. Projet de loi portant approbation du deuxième protocole d’amendement à l’accord relatif au groupe aérien européen (n° 656, 2012-2013) ;

Rapport de M. Daniel Reiner, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 353, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 354, 2013-2014).

4. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (n° 349, 2013-2014) ;

Rapport de M. Claude Jeannerot, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 359, 2013-2014) ;

Résultat des travaux de la commission (n° 360, 2013-2014) ;

Avis de M. François Patriat, fait au nom de la commission des finances (n° 350, 2013-2014).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures dix.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART