Sommaire

Présidence de M. Thierry Foucaud

Secrétaires :

M. Jean-François Humbert, Mme Catherine Procaccia.

1. Procès-verbal

2. Décisions du Conseil constitutionnel

3. Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi

4. Dépôt d'un document et de rapports

5. Démission d'un membre d'une commission et candidatures

6. Retrait de l'ordre du jour d'une question orale

7. Rappel au règlement

MM. Jean Louis Masson, le président.

8. Questions orales

renouvellement d'un emploi contractuel au sein d'un syndicat mixte

Question n° 625 de Mme Catherine Troendlé. – Mmes Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique ; Catherine Troendlé.

redécoupage des cantons

Question n° 673 de M. Jean Louis Masson. – Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique ; M. Jean Louis Masson.

utilisation du réseau antares par les services de voirie départementale

Question n° 620 de M. Yves Daudigny. – Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique ; M. Yves Daudigny.

attribution de la médaille militaire

Question n° 616 de M. Alain Néri. – MM. Kader Arif, ministre délégué chargé des anciens combattants ; Alain Néri.

évolution des effectifs et des missions de l'armée de l'air en charente-maritime

Question n° 576 de M. Michel Doublet. – MM. Kader Arif, ministre délégué chargé des anciens combattants ; Michel Doublet.

privatisation du château de vincennes

Question n° 614 de Mme Catherine Procaccia. – Mmes Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication ; Catherine Procaccia.

avenir de l'utilisation de l'hydrogène dans le domaine de l'énergie

Question n° 565 de M. Jacques Mézard. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Jacques Mézard.

agrément délivré aux éco-organismes de la filière de collecte et de recyclage des emballages ménagers

Question n° 597 de Mme Esther Sittler. – Mmes Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; Esther Sittler.

mise en concurrence des concessions hydrauliques

Question n° 598 de M. Alain Fauconnier. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Alain Fauconnier.

secret fiscal et prélèvement en eau

Question n° 617 de Mme Hélène Lipietz. – Mmes Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; Hélène Lipietz.

départements et réglementation des boisements

Question n° 586 de Mme Mireille Schurch. – M. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire ; Mme Mireille Schurch.

lutte contre les pesticides

Question n° 609 de M. Philippe Madrelle. – MM. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire ; Philippe Madrelle.

situation financière préoccupante des viticulteurs liée aux aléas climatiques de l'année 2013

Question n° 610 de M. Jean Besson. – MM. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire ; Jean Besson.

extension de l'allocation transitoire de solidarité

Question n° 589 de M. René Teulade. – MM. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire ; René Teulade.

centre socio-médico-judiciaire de fresnes

Question n° 623 de Mme Laurence Cohen. – M. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire ; Mme Laurence Cohen.

extension de l'aéroport de paris-orly

Question n° 632 de M. Christian Cambon. – M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Mme Catherine Procaccia, en remplacement de M. Christian Cambon.

financement des maisons de l'emploi et de la formation

Question n° 605 de M. Jean-Marie Bockel. – MM. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Jean-Marie Bockel.

élèves en situation de handicap dans le réseau de l’enseignement français à l’étranger

Question n° 604 de Mme Claudine Lepage. – Mmes Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger ; Claudine Lepage.

sécurité sociale des élus

Question n° 584 de M. Michel Houel. – Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger ; M. Michel Houel.

conséquences de la réforme de la fiscalité sur le foncier non bâti

Question n° 569 de M. Jean-Jacques Lasserre. – Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger ; M. Jean-Jacques Lasserre.

9. Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'une proposition de loi

10. Nomination de membres de commissions

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel

11. Rappel au règlement

Mme Éliane Assassi, M. le président.

12. Démission et remplacement de sénateurs

13. Débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République

M. le président.

MM. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République ; Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République ; Jean-Claude Peyronnet, vice-président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Suspension et reprise de la séance

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Hélène Lipietz, MM. Dominique de Legge, Aymeri de Montesquiou.

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

Mme Mireille Schurch, MM. Marc Daunis, Jean-Michel Baylet, Bruno Sido, René Vandierendonck, Mme Catherine Troendlé, MM. Gilbert Roger, Philippe Dallier, Mme Michelle Meunier, M. Edmond Hervé.

Débat interactif et spontané

M. René-Paul Savary, Mme Marylise Lebranchu, ministre.

M. Michel Le Scouarnec, Mme Marylise Lebranchu, ministre ; M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information.

M. François Fortassin, Mme Marylise Lebranchu, ministre.

M. Jean-Claude Carle, Mme Marylise Lebranchu, ministre.

Mme Cécile Cukierman, MM. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information ; Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information.

M. Gérard Bailly, Mme Marylise Lebranchu, ministre ; M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information.

M. Bruno Retailleau, Mme Marylise Lebranchu, ministre.

M. Jean-Claude Peyronnet, Mme Marylise Lebranchu, ministre.

M. Jean-Jacques Hyest, Mme Marylise Lebranchu, ministre.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information ; Mme Marylise Lebranchu, ministre.

14. Dépôt d'un rapport

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

15. Débat sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français

MM. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois ; Jean Claude Lenoir, corapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois ; Mme Corinne Bouchoux, corapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

M. Jean-Marie Bockel, Mme Michelle Demessine, MM. Robert Tropeano, Jacques Gautier, Jacques-Bernard Magner, Mme Aline Archimbaud.

M. Kader Arif, ministre délégué chargé des anciens combattants.

16. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Thierry Foucaud

vice-président

Secrétaires :

M. Jean-François Humbert,

Mme Catherine Procaccia.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le procès-verbal de la séance du 19 décembre 2013 a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décisions du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date des 19 et 29 décembre 2013, le texte de trois décisions du Conseil constitutionnel qui concernent la conformité à la Constitution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, de la loi de finances rectificative pour 2013 et de la loi de finances pour 2014.

Acte est donné de ces communications.

3

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi relatif à la géolocalisation, déposé sur le bureau du Sénat le 23 décembre 2013.

4

Dépôt d'un document et de rapports

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la convention entre l’État et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives relative au programme d’investissement d’avenir, action « Maîtrise des technologies nucléaires ». Cette convention a été transmise à la commission des finances, à la commission des affaires économiques et à la commission du développement durable.

Par ailleurs, M. le président du Sénat a reçu de Mme la présidente du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie le rapport de cet organisme pour l’année 2013. Il a été transmis à la commission des affaires sociales.

Enfin, M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, d’une part, le rapport sur la mise en application de la loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, qui a été transmis à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et, pour information, à la commission des lois, et, d’autre part, le rapport sur les prix pratiqués et la structure des coûts des liaisons aériennes de service public desservant les outre-mer, qui a été transmis à la commission des affaires économiques.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

5

Démission d'un membre d'une commission et candidatures

M. le président. J’ai reçu avis de la démission de M. Jacques Chiron, comme membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom des candidats qu’il propose pour siéger à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication en remplacement de M. Jacques Chiron, démissionnaire, et à la commission des finances, en remplacement de M. Marc Massion, démissionnaire de son mandat de sénateur.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.

6

Retrait de l'ordre du jour d'une question orale

M. le président. J’informe le Sénat que la question n° 634 de M. Rémy Pointereau est retirée, à la demande de son auteur, de l’ordre du jour de la séance du mardi 21 janvier 2014.

Acte est donné de cette communication.

7

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour un rappel au règlement.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, mon intervention se fonde sur l’article 75 de notre règlement, relatif aux conditions de réponse aux questions écrites.

Le 25 octobre 2012, soit voilà environ quatorze mois, j’ai adressé à M. le ministre de l’intérieur la question écrite n° 2721, relative au point de départ de la prescription pour une demande de remboursement d’impôts locaux. Il s’agissait d’une question technique, qui appelait, en tant que telle, une réponse claire.

Faute d’avoir obtenu une réponse, j’ai formulé un rappel le 14 février 2013. Cette fois-ci non plus on ne m’a pas répondu, mais j’ai repris espoir en apprenant que le ministère de l’intérieur avait transmis, le 21 mars 2013, ma question au ministère du budget. Enfin, le Journal officiel du jeudi 2 janvier 2014 m’a apporté une réponse, après quatorze mois au cours desquels les services de l’État ont eu tout loisir de réfléchir à ce problème !

Mais les bras m’en sont tombés lorsque j’en ai lu le texte, qui ne compte que quelques lignes : « Ce point de droit fait l’objet d’un examen approfondi, et une réponse sera apportée dans les meilleurs délais. » Après quatorze mois ! (Mme Catherine Troendlé sourit.) Le Gouvernement se moque du monde ! Que penser d’une telle réponse ? Dans de si longs délais, ne peut-on trouver, parmi les collaborateurs du Gouvernement, un juriste assez compétent pour se pencher sur ce sujet ?

Je sais que la présidence du Sénat est attentive à la problématique des questions écrites. Je salue l’attention qu’elle porte à notre remarquable direction de la séance, et notamment à sa division des questions. Néanmoins, je soumets publiquement ce problème à la Haute Assemblée. Sauf erreur de ma part, plus de 2 000 questions écrites sont actuellement en souffrance, compte tenu d’un délai de réponse réglementaire dépassé.

Que fait le Gouvernement ? Pourquoi n’accomplit-il pas l’effort nécessaire, d’une part, pour répondre dans les délais prévus et, d’autre part, pour ne pas répondre n’importe quoi ? Quand on s’entend dire, au bout de quatorze mois : « on est en train de réfléchir à la réponse », on se demande réellement où l’on va ! Le Gouvernement se moque-t-il du monde ou les personnes chargées de traiter ces questions sont-elles à ce point incompétentes ?

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

8

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

renouvellement d'un emploi contractuel au sein d'un syndicat mixte

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé, auteur de la question n° 625, adressée à Mme la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Catherine Troendlé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les difficultés rencontrées par certains syndicats mixtes dans le cadre du renouvellement d’un emploi contractuel en leur sein.

La loi du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique vise à lutter contre la reconstitution de l’emploi précaire dans la fonction publique et à améliorer les perspectives professionnelles des agents contractuels. À cet égard, elle redéfinit les conditions de durée et de renouvellement des contrats, afin de prévenir les situations de renouvellement abusif de contrats à durée déterminée correspondant à des besoins permanents ou temporaires des administrations. Elle modifie par ailleurs les conditions d’accès aux contrats à durée indéterminée.

Toutefois, des cas spécifiques peuvent se présenter. C’est le cas, dans mon département, d’un syndicat mixte à vocation multiple pour le traitement des déchets ménagers, ce à la suite d’une contractualisation avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, en octobre 2010.

Il s’agit, plus précisément, d’un programme local de prévention des déchets. Dans ce cadre, ce syndicat a procédé à l’embauche en CDD de deux chargés de mission mis à disposition par le centre de gestion du Haut-Rhin. Ce mode de recrutement paraissait le plus pertinent, étant donné que le financement de l’ADEME n’était validé que pour cinq ans.

Les CDD actuels arrivant à leur terme, il convient pour le syndicat de les renouveler. Or, à présent, les conditions de recours aux agents contractuels dans le cadre d’un emploi non permanent doivent soit répondre à un accroissement temporaire ou saisonnier d’activité – lorsque cette charge ne peut être assumée par des fonctionnaires –, soit pourvoir au remplacement d’un agent indisponible, titulaire ou contractuel.

Madame la ministre, pour ce syndicat, il s’agit bien d’un accroissement temporaire d’activité. Mais, en pareil cas, les CDD d’un an ne peuvent désormais être renouvelés que tous les dix-huit mois.

Compte tenu de la situation économique actuelle, il paraît nécessaire de procéder à un assouplissement des règles de renouvellement des CDD, notamment pour les petites structures devant faire face à de tels accroissements temporaires d’activité. Aussi, je vous serais reconnaissante de bien vouloir m’indiquer si des mesures peuvent être mises en œuvre pour répondre à cette attente pressante.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre à Mme Troendlé, permettez-moi d’assurer à M. Masson que je relayerai, naturellement, ses propos auprès de mes collègues. Je vous garantis que le Gouvernement ne se moque nullement des sénateurs ! Peut-être avons-nous trop largement réduit le personnel de nos cabinets. Un certain nombre de départs n’ont en effet pas été remplacés. Peut-être doit-on s’interroger sur le pôle « questions ». Vous n’êtes en effet pas le seul, monsieur le sénateur, à émettre une plainte ; pourtant, M. le Premier ministre nous enjoint régulièrement de répondre dans les meilleurs délais. (M. Jean Louis Masson fait un geste désabusé.) Lorsque j’étais parlementaire, je n’aurais sans doute pas, moi non plus, jugé acceptable un délai de quatorze mois !

J’en viens maintenant à la question posée par Mme Troendlé.

Madame le sénateur, les difficultés que vous évoquez sont typiques des problèmes que soulève l’application d’un texte par ailleurs très bon, à savoir la loi Sauvadet du 12 mars 2012.

Afin de répondre aux besoins temporaires dans ce domaine, un certain nombre de dispositions ont été adoptées.

Vous évoquez le cas d’un syndicat mixte qui, à la suite de l’octroi d’une subvention de l’ADEME pendant cinq ans, a demandé au centre de gestion de son département de mettre à sa disposition des agents non titulaires recrutés pour répondre à un besoin temporaire. Aujourd’hui, au terme de la période légale de renouvellement, le syndicat mixte se trouve dans l’impossibilité de renouveler le contrat de ces agents.

Les conditions de recours à un agent non titulaire pour occuper un emploi non permanent dans la fonction publique territoriale ont été modifiées par la loi du 12 mars 2012. Vous le savez, ce texte indique notamment que les contrats conclus pour répondre à un besoin temporaire ne peuvent se succéder plusieurs années de suite sans interruption, ce qui reviendrait à nier ce caractère temporaire. Le nouveau dispositif précise qu’un contrat sur ce motif peut être conclu pour une durée maximale de douze mois, renouvellements compris, pendant une même période de dix-huit mois consécutifs.

Les précédentes dispositions indiquaient que, pour répondre à un besoin occasionnel, un contrat de trois ans pouvait être conclu, renouvelable une fois.

Le Gouvernement a examiné cette disposition de près. Le fait qu’un syndicat mixte bénéficie d’une subvention de l’ADEME durant cinq ans ne peut s’analyser comme un besoin temporaire ou saisonnier au sens de la loi, permettant le recrutement d’un agent non titulaire pour une période de cinq ans. Cette qualification n’aurait pas dû pouvoir être retenue. Elle ne peut pas prévaloir aujourd’hui, et les dispositions de la loi de 2012 n’y ont rien changé. C’est le cas explicite des délais auxquels les élus de ce SIVOM se sont heurtés.

Une telle durée initiale n’est d’ailleurs pas prévue pour un emploi permanent sur lequel un agent non titulaire peut être recruté, en application de l’article 3-3 de la loi statutaire n° 84-653 du 26 janvier 1984.

En l’espèce, il faut considérer qu’il s’agit d’un emploi permanent à créer, conduisant au recrutement d’un fonctionnaire, ou d’un agent non titulaire si l’embauche d’un fonctionnaire n’est pas possible, dans le respect des conditions prévues par la loi. À l’expiration de la subvention, il appartiendra le cas échéant à l’autorité territoriale de décider de la suite qu’elle entend donner à cette action et des conséquences éventuelles de sa décision pour les emplois concernés.

Madame la sénatrice, dans ce cas précis, le président du syndicat, les élus en charge du personnel ou le directeur général des services de la collectivité concernée doivent se tourner vers les autorités préfectorales du ressort pour résoudre ce problème. Vous le savez, lorsqu’une fonction n’existe plus, il est possible de supprimer un emploi de la fonction publique territoriale. À mon sens, c’est dans cette direction qu’il faut s’orienter. On ne peut déroger à la loi pour un seul cas. (Mme Catherine Troendlé acquiesce.) Faute de quoi, une telle décision ferait jurisprudence, et la loi Sauvadet serait mise à mal, ce qui serait dommageable !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé.

Mme Catherine Troendlé. Madame la ministre, je vous remercie de ces explications.

Je ne vous le cache pas, le syndicat concerné ne sera pas nécessairement convaincu par votre argumentaire, même si je comprends parfaitement vos propos : nous ne pouvons pas mettre à mal la législation tendant à lutter contre l’emploi précaire. Cela étant, vous le savez, les syndicats mixtes, notamment de taille modeste, n’auront bientôt plus les moyens financiers de créer de nouveaux emplois, notamment des CDI, comme vous le proposez.

Évidemment, je transmettrai à qui de droit votre proposition de rapprochement avec les services préfectoraux, pour trouver une solution au sujet de cette programmation. Je le répète, il s’agit là d’un dossier très important pour la mise en œuvre des missions de ce syndicat !

redécoupage des cantons

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, auteur de la question n° 673, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean Louis Masson. Madame la ministre, la question que j’ai adressée à M. le ministre de l’intérieur concerne l’état d’avancement de la procédure de redécoupage des cantons, dont vous savez qu’elle provoque un bouleversement pour nos concitoyens, habitués depuis deux cents ans à la structure existante.

Tout d’abord, cette question vise à obtenir des informations statistiques. Il me semble intéressant, alors que la loi a été votée voilà maintenant plus de six mois, de disposer de chiffres au 1er janvier : combien de départements se sont-ils exprimés ? Combien d’entre eux ont-ils rendu un avis favorable ? Quelles sont les positions du Conseil d’État ? Je souhaite que vous nous éclairiez sur ce point, nous qui sommes tous très vigilants quant à cette procédure.

Par cette question, j’entendais par ailleurs vous soumettre trois problèmes juridiques.

Le premier s’appuie sur l’hypothèse d’une annulation d’un découpage départemental par le Conseil d’État. Si cela se produisait, comment la solution mise en œuvre pourrait-elle être compatible avec l’interdiction faite par la loi de procéder à un redécoupage au-delà du 1er mars ? Si un découpage était annulé, comment pourrait-on en dessiner un nouveau sans enfreindre le délai limite du 1er mars, issu d’une disposition législative générale concernant tous les redécoupages ?

Par ailleurs – c’est le deuxième problème juridique que je vous soumets –, le Conseil constitutionnel a annulé la disposition relative au remplacement des conseillers départementaux lorsque l’un d’entre eux démissionne et que son suppléant est empêché, étant décédé ou ayant lui-même démissionné. Nous sommes donc face à un vide juridique. J’ai déjà posé la question au ministre de l’intérieur voilà quelque trois mois, qui m’avait assuré qu’une solution serait rapidement conçue. Malheureusement, la mise en route de la réforme s’approche sans que celle-ci ait été évoquée. Je souhaite donc savoir vers quoi nous nous acheminons.

Enfin, troisième problème, l’une des justifications du redécoupage se trouve dans les écarts énormes de population entre cantons. Dans le souci d’éviter qu’au cours des décennies qui viennent, au fil des évolutions démographiques, d’importantes distorsions ne soient recréées, ne vous semble-t-il pas opportun de concevoir un système d’automaticité, permettant, par exemple lorsqu’un recensement indique que l’écart dans un département est de nouveau important, d’imposer un réajustement afin d’éviter la situation complètement déséquilibrée dans laquelle nous nous trouvons après deux cents ans ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur Jean Louis Masson, vous avez interrogé le ministre de l’intérieur sur les modalités du redécoupage cantonal, notamment sur des questions de calendrier.

M. Manuel Valls ne peut malheureusement être parmi nous aujourd’hui, mais il tenait à vous faire part des éléments suivants.

Ce redécoupage général concerne 98 départements, puisque Paris, la Martinique et la Guyane relèvent de la réforme des conseils départementaux.

Au 1er janvier 2014, 90 projets avaient été transmis pour avis aux conseils généraux, et 52 assemblées départementales avaient déjà rendu leur avis. À la même date, le Conseil d’État avait examiné 39 dossiers, et rendu dans chaque cas un avis favorable, avec parfois des modifications très ponctuelles tendant à un meilleur respect du principe d’égalité démographique.

Aucun décret n’a, en revanche, été publié au Journal officiel, puisque l’ensemble des textes sera publié entre la mi-février et le début du mois de mars. Vous l’avez noté, cette opération doit être achevée, comme l’impose l’article 7 de la loi du 11 décembre 1990, un an avant l’échéance prévue pour le renouvellement des conseils généraux. Vous avez fait part de votre inquiétude à ce sujet, mais le ministre de l’intérieur tient à affirmer que ce délai sera tenu. Le Gouvernement n’envisage donc pas de modifier la loi de 1990.

S’agissant des délais de recours contentieux, l’article 7 de cette loi n’est pas applicable. L’éventuelle annulation d’un décret portant délimitation des cantons d’un département constitue en effet un événement extérieur à l’exercice du pouvoir réglementaire. Cela conduirait nécessairement le Gouvernement à adopter un nouveau projet de décret dans les meilleurs délais, afin que l’élection puisse avoir lieu. Les dispositions de la loi du 11 décembre 1990 ne semblent donc pas s’appliquer à un décret publié à la suite d’une annulation contentieuse.

Par ailleurs, votre suggestion d’étendre à six mois avant l’élection la période durant laquelle le Gouvernement peut procéder au redécoupage en cas de contentieux ne permettrait pas nécessairement de coïncider avec les délais de jugement du Conseil d’État.

Concernant les modalités de remplacement des conseillers départementaux, le Gouvernement envisage de proposer un nouveau dispositif par lequel une élection partielle sur un seul siège serait organisée. Par dérogation au principe de parité dans le cadre d’un binôme de candidats prévu pour le renouvellement général des conseillers départementaux, et afin de respecter la liberté de candidature, l’élection partielle serait ouverte aux candidats des deux sexes.

Je vous remercie d’avoir porté autant d’attention aux demandes d’analyses qui émanent parfois de nos concitoyens.

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Je me suis plaint tout à l'heure du délai des réponses aux questions écrites, mais je dois maintenant dire, madame la ministre, que votre réponse était particulièrement complète.

J’aurais certes aimé obtenir le nombre de réponses favorables parmi les 52 départements qui ont délibéré, mais n’en demandons pas trop !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Beaucoup de réponses sont favorables !

M. Jean Louis Masson. Ce petit supplément d’information m’aurait fait plaisir.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Cela vous sera communiqué !

utilisation du réseau antares par les services de voirie départementale

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, auteur de la question n° 620, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Yves Daudigny. Madame la ministre, j’ai souhaité appeler votre attention sur une question aussi technique que stratégique : l’actuelle restriction d’utilisation des ressources de l’infrastructure nationale partageable des transmissions, ou INPT, par les services de voirie départementale, et plus précisément l’exclusion de ces services du réseau Adaptation nationale des transmissions aux risques et aux secours, ou ANTARES.

Dans le cadre de l’exercice de leurs missions de secours et de sécurité civile, les unités de la voirie départementale des conseils généraux interviennent au côté des services d’urgence pour les accidents de la circulation, et dans toutes les situations de crise.

Aussi, l’interopérabilité entre les services de police, de gendarmerie, d’incendie et de secours et de voirie est-elle devenue une préoccupation quotidienne, et la communication entre les différents acteurs, une question centrale.

Lors du comité départemental de pilotage de l’INPT du 9 août 2012, la direction des systèmes d’information et de communication du ministère de l’intérieur, gestionnaire de l’outil, a évoqué l’expérimentation en cours dans le département de la Charente, conférant aux services du conseil général un accès restreint à l’INPT.

Cependant, dans son état actuel, l’expérimentation n’autoriserait l’utilisation de l’INPT par les unités de voirie qu’en cas de crise. Cette option aurait pour conséquence d’imposer aux conseils généraux de se doter d’un autre moyen de communication pour la période courante, comprenant les accidents de la circulation. De plus, les services de voirie devraient être équipés de terminaux coûteux, et acquitter une redevance non négligeable, pour une utilisation ponctuelle.

Alors qu’une meilleure efficacité des services publics est sans cesse recherchée et que la mutualisation des moyens publics s’accentue afin de favoriser une gestion toujours plus rigoureuse des deniers publics, je souhaite savoir si les services de voirie départementale volontaires pourraient être autorisés à utiliser quotidiennement et exclusivement le réseau ANTARES, dans le respect des missions et des prérogatives de chaque service public de sécurité.

À partir de ces éléments issus des expériences de terrain, je vous remercie, madame la ministre, des réponses que vous pourrez apporter dans cette recherche d’optimisation du service public de sécurité, nonobstant l’existence de contraintes réelles à prendre en compte.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, vous avez posé à M. le ministre de l’intérieur une question très précise sur les restrictions d’accès à l’infrastructure nationale partageable des transmissions, ou INPT.

Vous regrettez notamment l’impossibilité pour les services de la voirie départementale d’utiliser le réseau Adaptation nationale des transmissions aux risques et aux secours, ou ANTARES, de la sécurité civile.

M. Manuel Valls regrette de ne pouvoir être parmi nous ce matin, mais il a tenu à vous faire part des éléments suivants, aussi précis que l’était votre question.

Il convient d’abord de rappeler que l’INPT est un système radio métropolitain, numérique et sécurisé, qui mutualise les réseaux de la police, ACROPOL, et de la sécurité civile, ANTARES.

Utilisé par les services de police et une grande partie des acteurs du secours, l’INPT permet des communications individuelles ou de groupe et la transmission de données à bas débit. Son architecture partagée et sa capacité lui permettent d’absorber les pics de charge des crises ou événements majeurs.

L’INPT accueille d’ores et déjà de multiples utilisateurs, avec 104 000 terminaux : la police, la gendarmerie mobile, les services départementaux d’incendie et de secours, ou SDIS, le SAMU, les autorités préfectorales, la défense, en ce qui concerne les renforts prévus dans le cadre du Livre blanc, et enfin la justice, pour les extractions judiciaires au niveau des unités hospitalières.

Comme vous l’avez très justement souligné, le besoin d’interopérabilité entre les acteurs du secours est croissant en temps de crise, bien sûr, mais également en service courant, rendant intéressante la mise en place d’une infrastructure unifiée. L’INPT, qui fédère déjà de nombreux acteurs, est naturellement le vecteur qui pourrait jouer ce rôle – vous avez raison, monsieur le sénateur – et être le précurseur d’un grand réseau radio.

Le ministère de l’intérieur prépare ainsi une modification du décret 2006-106, qui limite actuellement l’INPT aux seules missions régaliennes de sécurité civile. Cette modification du décret prendrait également en compte la mise en adéquation avec la loi de 2009 relative aux transferts des parcs de l’équipement, qui autorise une utilisation de l’INPT par les services des routes.

Cette modification suppose cependant de résoudre préalablement deux problèmes.

Le premier tient aux coûts structurels d’entretien engendrés par l’utilisation de l’INPT, coûts qui doivent être ventilés entre les utilisateurs. Il faudra donc déterminer les contributions financières respectives des nouveaux utilisateurs, et notamment des services des routes. Des contacts ont été pris avec l’Assemblée des départements de France à ce sujet.

Le second écueil est d’ordre technique : l’accueil de l’ensemble des acteurs concernés impose une phase préalable de modernisation et d’accroissement de la capacité de l’INPT. Les investissements à consentir sont importants et ne pourront être portés uniquement par les actuels utilisateurs-contributeurs ou par le seul ministère de l’intérieur.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, répondre à ce besoin d’unicité du réseau radio des services qui concourent à la sécurité civile, qu’ils relèvent de l’État ou des collectivités territoriales, est une préoccupation du ministère de l’intérieur. La réalisation de ce projet exige toutefois un partenariat étroit entre tous les acteurs. Le ministre entend que vous l’appelez de vos vœux. En tout cas, cette concertation doit avoir lieu.

Je vous remercie d’avoir évoqué ce sujet important pour l’ensemble de nos concitoyens, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. La qualité des réponses apportées aux questions orales a été soulignée ce matin ! Je joins ma voix à ce concert ! Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir apporté des éléments de réponse contextuels, techniques et organisationnels, qui éclairent suffisamment, pour le moment, cette question importante.

Nous ne pouvons que nous féliciter de la sensibilité du Gouvernement, du ministre de l’intérieur comme de vous-même, madame la ministre, à une question qui revêt une importance considérable lors des situations de crise.

attribution de la médaille militaire

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, auteur de la question n° 616, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants.

M. Alain Néri. Monsieur le ministre, je souhaite attirer ce matin votre attention sur une injustice flagrante et insupportable subie par un grand nombre d’anciens combattants et soldats qui, par leur comportement courageux et valeureux comme par leurs actions exceptionnelles au combat, mériteraient de se voir décerner la médaille militaire.

Ils sont nombreux à remplir toutes les conditions nécessaires et à répondre à tous les critères précis – une citation individuelle attribuée à la suite d’une action d’éclat ou une blessure de guerre – pour que la nation les honore par l’attribution de cette médaille.

Cependant, au vu du nombre restreint de médailles militaires décernées chaque année, et au regard de l’âge avancé d’un grand nombre de nos concitoyens concernés, il est évident que tous ceux qui correspondent aux critères d’attribution de la médaille militaire ne pourront obtenir celle-ci. Il est pourtant urgent de répondre à leur légitime attente.

Nous ne pouvons accepter une telle discrimination. En effet, il paraît normal et cohérent que le nombre de décorations de l’ordre national de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite, par exemple, soit limité et contingenté, puisqu’il n’y a pas de critères précis imposés pour être promu dans ces ordres prestigieux. Il s’agit là de la reconnaissance globale et générale par la nation d’une vie exemplaire ou d’actions exceptionnelles, en prenant en compte, de façon objective et subjective, d’un certain nombre de faits et d’actes.

Mais il en va différemment pour la médaille militaire dans la mesure où l’attribution de celle-ci correspond à des critères bien précis que je viens de rappeler et qui sont définis dans la circulaire n° 5200 du 30 avril 2012. Tous ceux qui remplissent ces critères doivent pouvoir en bénéficier ; l’attribution de cette médaille ne saurait donc être restreinte et contingentée.

Monsieur le ministre, quelles mesures envisagez-vous de prendre pour attribuer la médaille militaire à tous ceux qui, par leur action et leur engagement héroïque au service de la nation, y ont droit ? Ce serait une mesure de justice et d’équité qui honorerait la République, en rendant hommage aux plus valeureux de ses citoyens.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants. Monsieur le sénateur Alain Néri, vous connaissez mon attachement au devoir de reconnaissance que la nation a envers le monde combattant et que je partage avec l’ensemble des sénateurs.

L’extension de l’accès à la carte du combattant, le relèvement de l’aide différentielle pour les conjoints survivants ou la meilleure prise en compte des OPEX, les opérations extérieures, font partie des mesures qui s’inscrivent dans cette dynamique et que j’ai engagées depuis maintenant un an et demi. Le Sénat est d’ailleurs à l’origine de ces mesures de reconnaissance.

Par ailleurs, le Président de la République a souhaité qu’une attention particulière soit portée aux commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale et des soixante-dix ans de la libération du territoire durant le second conflit mondial. Les actions fortes qui seront menées dans ce cadre démontrent, si besoin était, toute l’importance accordée aux hommes et aux femmes qui se sont engagés pour la défense de notre nation, en faisant porter l’accent sur la mémoire de l’engagement de nos concitoyens, qu’ils aient été militaires ou civils.

Pour ce qui concerne plus précisément la question de la médaille militaire que vous avez évoquée, je me dois de vous rappeler que la concession de cette décoration constitue non pas un droit, mais une récompense de mérites acquis à titre militaire, ainsi que vous l’avez rappelé.

Le contingent de médailles militaires est fixé, sur proposition du Grand chancelier, par décret triennal du Président de la République, grand maître des ordres. Pour la période 2012-2014, il s’élève à 3 000 croix à répartir chaque année entre l’armée d’active et les personnels n’appartenant pas à l’armée d’active, au nombre desquels figurent les réservistes, ainsi que les anciens combattants de tous les conflits.

S’agissant de la concession de la médaille militaire au profit de l’armée d’active et des réservistes, cette décoration vient récompenser la qualité des mérites militaires acquis, et tout particulièrement leur engagement opérationnel. Vous l’avez rappelé, elle est décernée sur la base de critères rigoureux permettant d’appréhender au plus près ces mérites et, le cas échéant, la qualité des services opérationnels.

Pour ce qui concerne les personnels n’appartenant pas à l’armée d’active, la concession de la médaille militaire est subordonnée à la possession d’une citation individuelle avec croix attribuée à la suite d’une action d’éclat ou d’une blessure de guerre. À titre exceptionnel, peuvent également être candidats ceux qui ont effectué au minimum vingt-neuf ans de services militaires actifs.

Ces conditions générales minimales de concession ne font pas pour autant de la médaille militaire une décoration d’attribution automatique, ce qui risquerait d’ailleurs de dévaluer cette belle décoration.

À cet égard, le conseil de la médaille veille tout particulièrement à conserver à la médaille militaire son caractère prestigieux et examine avec la plus grande vigilance, vous l’avez compris, les candidatures soumises à son avis.

Par ailleurs, l’article R. 39 du code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire permet aux mutilés de guerre, dans certains cas et sur leur demande, d’obtenir également cette décoration. Ces dispositions spécifiques s’appliquent aussi à certains déportés résistants et prisonniers du Viêt-minh. Les décorations attribuées au titre de cet article ne sont pas contingentées.

Ces conditions de recevabilité permettent, chaque année, de récompenser de nombreux militaires d’active, réservistes et anciens combattants, tout en garantissant à la fois la haute valeur de cette décoration et le principe d’équité entre les différentes générations du feu. Le projet de décret en préparation pour 2014 devrait ainsi permettre de récompenser plus de 1 000 anciens combattants à titre militaire.

J’entends cependant votre demande, monsieur le sénateur ; sachez que je considère aussi comme essentiel que tous ceux qui méritent cette médaille puissent l’obtenir.

C’est pourquoi le ministre de la défense et moi-même veillerons tout particulièrement à ce que le prochain décret triennal préserve au mieux les intérêts de l’ensemble des candidats à cette décoration, dont il convient de rappeler qu’elle s’inscrit juste après la Légion d’honneur dans l’ordre protocolaire des décorations.

J’ai récemment eu l’occasion d’évoquer avec le Grand chancelier la question de la reconnaissance de la nation. Nous étudions comment nous pouvons augmenter le contingent des anciens combattants répondant aux critères d’attribution de l’ordre national du Mérite. De même, dans le cadre des soixante-dix ans de la libération du territoire, nous examinons la possibilité de faire bénéficier les anciens combattants du second conflit mondial encore vivants de la reconnaissance de la nation. Enfin, nous envisageons la possibilité de créer une nouvelle médaille.

M. le président. La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse très précise. Je n’en attendais d’ailleurs pas moins de vous, connaissant votre attachement à la reconnaissance de la nation envers les anciens combattants.

Si je me suis permis d’insister sur cette question, c’est parce que les anciens combattants éprouvent un sentiment d’injustice, qui s’accroît malheureusement du fait de l’érosion démographique – j’emploie là un terme technique que je n’aime pas beaucoup –, chaque année qui passe faisant le vide dans les rangs des anciens combattants. Il est particulièrement douloureux de constater qu’une personne ayant été proposée pour la médaille militaire, la Légion d’honneur ou l’ordre national du Mérite – une décoration, en l’espèce, bien méritée – n’ait pas eu le bonheur de connaître la décision de la concession de la médaille avant son décès.

Nous avons tous le souci de conserver la très grande valeur de la médaille militaire – c’est la troisième décoration française dans l’ordre de préséance –, mais nous pourrions conférer une valeur plus grande encore à cette médaille en l’attribuant à ceux qui, en répondant à l’appel de la nation, ont fait don de leur jeunesse et ont parfois été blessés dans leur chair et dans leur âme, si j’ose dire.

Je comprends bien qu’il ne soit pas possible d’attribuer cette année la médaille militaire à tous les anciens combattants ; mais peut-être pourrait-on, à titre exceptionnel, dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale et des soixante-dix ans de la libération de la France, prévoir un contingent spécial pour les derniers rescapés de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que pour la troisième génération du feu, particulièrement marquée par les guerres : la guerre d’Algérie que ces hommes ont faite et la Seconde Guerre mondiale qui a souvent privé ces derniers de leur père, fait prisonnier ou disparu dans les combats pour la défense de la liberté de la République et le rétablissement de la démocratie.

Monsieur le ministre, je compte sur vous pour qu’il en soit ainsi cette année – je sais que vous avez engagé cette démarche auprès du Grand chancelier –, et peut-être pourrions-nous continuer sur cette voie dans les années à venir, afin de rendre hommage à ceux qui se sont engagés pour défendre la République : ils le méritent bien.

évolution des effectifs et des missions de l'armée de l'air en charente-maritime

M. le président. La parole est à M. Michel Doublet, auteur de la question n° 576, adressée à M. le ministre de la défense.

M. Michel Doublet. Ma question porte sur l’avenir de l’armée de l’air en Charente-Maritime, ainsi que sur l’évolution des effectifs et des missions.

À la suite de la parution du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et des propositions de réduction des effectifs et de réorganisation, les acteurs concernés m’ont fait part de leurs inquiétudes quant aux orientations futures et aux éventuelles incidences sur le tissu économique et social du territoire.

La loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale a été publiée le 19 décembre 2013. Ainsi, pour les cinq prochaines années, le ministère de la défense subira 23 500 suppressions de poste et pâtira d’un manque d’investissement, qui correspondra, en 2019, à une baisse du PIB de 1,5 %, avec des risques en termes de décrochage capacitaire et stratégique de la France.

Je souhaite axer ma question sur l’évolution des effectifs et des missions de la base aérienne 721, siège de l’école de formation des sous-officiers de l’armée de l’air, sise à Rochefort-Saint-Agnant.

Le 3 octobre dernier, M. le ministre de la défense a cité les sites faisant l’objet de restructurations pour ce qui concerne l’armée de terre et l’armée de l’air. Ces annonces sont toujours vécues difficilement par les élus et l’ensemble des acteurs socio-économiques ; quant aux mesures d’accompagnement, elles sont indispensables.

La Charente-Maritime connaît bien ces difficultés pour avoir dû les affronter à de nombreuses reprises. Si notre département n’a pas été concerné par les annonces de restructuration en 2013, la visibilité à long terme n’est toujours pas de mise.

Les décisions relatives à la prochaine tranche de restructuration seront communiquées dans le courant de l’année 2014, a indiqué M. Le Drian.

À l’aube des élections municipales qui auront lieu en mars prochain, la présence de l’armée sur un territoire a un impact économique et social très important et influe sur les projets d’investissement et de fonctionnement d’une commune ou d’une collectivité. Même si, comme je l’imagine, des éléments tangibles sur l’avenir des bases de mon département ne pourront pas m’être apportées dès ce début d’année, je souhaiterais toutefois, monsieur le ministre, entendre les observations du Gouvernement en la matière, et j’aimerais que soit fait un point d’étape sur le calendrier à venir.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants. Monsieur le sénateur, M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, vous prie de bien vouloir excuser son absence et m’a demandé de vous communiquer certains éléments de réponse.

Les écoles des sous-officiers et militaires du rang de l’armée de l’air implantées en Charente-Maritime assurent la formation militaire initiale et complémentaire des sous-officiers et militaires du rang, ainsi que la formation professionnelle du personnel de certains de ses spécialistes, dont les techniciens aéronautiques.

Le milieu aéronautique représente un secteur dans lequel les évolutions technologiques sont très rapides et les systèmes d’armes mis en œuvre chaque jour plus complexes.

Par ailleurs, les armées n’échappent pas à l’évolution et au renforcement continu des normes et des règlements en matière de navigabilité et d’environnement, par exemple. Cela pose, pour l’armée de l’air, une exigence croissante en matière de compétences des ressources humaines.

Parallèlement, la publication du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale 2013 et l’adoption de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale maintiennent une dynamique de transformation des armées vers un modèle plus resserré. Les fermetures de sites et les dissolutions sont et seront limitées à ce qui est nécessaire pour atteindre le modèle d’armée 2025 défini par le Livre blanc.

En 2014, les unités de l’armée de l’air implantées en Charente-Maritime contribueront à l’effort de déflation des effectifs du ministère de la défense de quatre-vingts postes environ.

Considérant la taille actuelle de la base aérienne de Saintes et sa proximité géographique avec celle de Rochefort, il a été décidé d’alléger sa structure de commandement, en la rattachant à la base aérienne de Rochefort pour le soutien spécifique et la gestion du personnel. En conséquence, la base aérienne de Saintes deviendra un élément air rattaché durant l’été 2014, ce qui se traduira par une déflation d’une quarantaine de postes.

La base aérienne de Rochefort fera, quant à elle, l’objet de mesures d’optimisation de ses services, qui se traduiront également par une diminution de ses effectifs de l’ordre d’une quarantaine de postes.

Plus généralement, en matière de restructurations territoriales, la loi de programmation militaire récemment adoptée par le Parlement explicite les critères de base qui orienteront les décisions du Gouvernement en ce domaine dans les années à venir.

Ainsi, les effectifs proprement opérationnels, liés aux contrats assignés aux forces par le chef de l’État, ne représenteront pas plus d’un tiers des déflations. Pour leur grande majorité, les diminutions d’effectifs reposeront donc sur un effort important touchant l’administration au sens large et l’environnement des forces.

Le ministre de la défense attachera également dans ses décisions un grand prix à la préservation d’une articulation cohérente entre les armées et les territoires, à la prise en compte de l’aménagement économique de ceux-ci et au respect du lien armée-nation. Cela signifie, monsieur le sénateur, que, dans le cadre de ces restructurations, le Gouvernement ne procédera de façon ni arithmétique ni automatique. La mise en œuvre concrète de ces principes impose de prendre le temps de l’analyse fonctionnelle, afin d’éviter des erreurs majeures ou des retours en arrière, préjudiciables à la crédibilité et à la prévisibilité de notre politique.

M. le président. La parole est à M. Michel Doublet.

M. Michel Doublet. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Vous comprenez l’inquiétude que ressentent les élus proches de cette base aérienne, située dans un département quelque peu sinistré en termes d’emplois.

Comme je l’ai indiqué précédemment, les décisions qui seront prises auront des incidences importantes sur le tissu économique et social. Aussi, nous serons ensemble attentifs au maintien de cette base à Rochefort-Saint-Agnant et veillerons à ce que cette dernière ne soit pas démembrée ni ne subisse une diminution de ses effectifs.

privatisation du château de vincennes

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 614, adressée à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Catherine Procaccia. Ma question porte sur la privatisation du château de Vincennes.

À la suite de l’organisation, le 12 octobre dernier, d’une soirée privée qui a réuni 4 000 personnes dans l’enceinte du château de Vincennes, je souhaiterais savoir si la nouvelle politique d’exploitation du patrimoine national passe par la mise à disposition des monuments relevant du Centre des monuments nationaux pour des événements de ce type et s’il est ou non question de pérenniser la privatisation du château de Vincennes.

Dans l’affirmative, madame la ministre de la culture, j’aimerais que vous me précisiez de qui relève l’octroi des autorisations, quels sont les critères appliqués pour choisir les manifestations et quel est le nombre des événements privés programmés en 2014, en particulier au château de Vincennes.

Dans l’hypothèse où la privatisation de ce monument serait poursuivie, j’attire votre attention sur la nécessité d’informer préalablement les riverains des événements organisés. Par ailleurs, des mesures seront-elles prises pour limiter les nuisances, sur le plan du bruit comme du stationnement ?

De fait, après l’événement privé organisé en octobre dernier, de nombreux riverains m’ont fait part de leur mécontentement : ils n’avaient reçu aucune information sur la manifestation ni sur les nuisances, pourtant prévisibles, qu’elle devait entraîner jusqu’au dimanche.

La politique en faveur du château de Vincennes, monument historique, connaîtra-t-elle d’autres évolutions de ce type en 2014 ?

Pour finir, madame la ministre, je désire signaler à votre attention un problème à propos duquel je me suis permis de prendre contact avec votre cabinet : depuis plusieurs semaines, un stationnement anarchique de voitures, de caravanes et même d’autocars prolifère le long des douves. Je vous ai apporté des photographies, prises voilà deux jours, pour que vous puissiez vous rendre compte de l’aspect actuel des abords du château. (Mme Catherine Procaccia présente à Mme la ministre de la culture et de la communication plusieurs photographies à l’aide d’une tablette numérique.) Partout, des voitures et des caravanes gênent les promeneurs ! La présence de ces véhicules le long des douves empêche les piétons de circuler librement sur les espaces qui leur sont pourtant réservés et rend difficile l’entrée au château du côté de l’esplanade Saint-Louis.

Madame la ministre, comptez-vous intervenir contre ces encombrements pour restaurer l’environnement immédiat d’un monument national ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Comme vous, madame Procaccia, je suis très sensible aux risques que font peser sur certains de nos monuments nationaux des opérations de privatisation qui, s’il faut souligner qu’elles sont temporaires, ont été à mes yeux excessives par le passé.

C’est ainsi que, dès mon entrée en fonctions, avec le concours de M. Philippe Bélaval, que j’ai nommé à la tête du Centre des monuments nationaux, j’ai mis un terme à certaines opérations promotionnelles organisées précédemment, par exemple dans les jardins du Palais-Royal.

De même, madame la sénatrice, je suis soucieuse de lutter contre les occupations anarchiques de l’espace public autour des monuments par des voitures, des autocars ou des caravanes. Pour exaucer votre demande au sujet du château de Vincennes, j’ai demandé à la préfecture de police de Paris de faire preuve d’une vigilance particulière et de se tenir prête à intervenir.

La manifestation organisée en octobre dernier était un événement tout à fait exceptionnel, autorisé par le ministère de la défense sur les espaces non bâtis ; le Centre des monuments nationaux n’a été saisi qu’à titre accessoire, pour la location des casemates du donjon.

L’animation du château de Vincennes fait l’objet d’une information et, au besoin, d’un débat au sein de la commission interministérielle du château de Vincennes, la CICV. Cet organe, naguère présidé par Jean-Philippe Lecat, ne s’est plus réuni depuis le décès de ce dernier. Il comprend des représentants des ministères de la défense et de la culture, qui tous deux occupent et gèrent le château, mais aussi du Centre des monuments nationaux, de la ville de Paris et de la ville de Vincennes.

Cette commission, qui assure la liaison entre les différents occupants du château en même temps que les relations avec les collectivités territoriales et, le cas échéant, avec les riverains, est indispensable à la coordination des activités sur le site et à la mise en valeur de celui-ci dans les meilleures conditions. Elle vise à assurer le rayonnement du château de Vincennes et à coordonner les travaux de restauration et d’aménagement. Elle est chargée de veiller à une utilisation des lieux respectueuse du monument.

Respecter les monuments, tel est mon leitmotiv. Je ne suis pas hostile par principe à des opérations ponctuelles et exceptionnelles, mais j’entends qu’elles respectent l’intégrité du monument et l’esprit qui l’anime ; il faut aussi qu’elles respectent les objectifs de bonne présentation du monument au public et d’ouverture du site sur la ville.

Madame la sénatrice, la réinstallation de la CICV est imminente, sous la présidence d’un conseiller d’État dont la nomination est en cours. Cette instance de dialogue partagé réunissant l’État, le Centre des monuments nationaux et les communes limitrophes, notamment Vincennes, est essentielle à la bonne gestion de ce monument exceptionnel.

Croyez bien que, sur ma demande, M. Bélaval veille de près au respect des règles éthiques en matière d’utilisation de notre patrimoine national dans le cadre d’opérations privées. Je tiens à ce que l’esprit des lieux soit respecté et les riverains bien informés !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, je vous remercie d’être venue me répondre en personne.

Nous sommes tous attachés au château de Vincennes, monument royal que, depuis plus d’un demi-siècle, la ville mais aussi le département du Val-de-Marne s’efforcent de mettre en valeur. Nous sommes d’ailleurs contents de ce qui est réalisé depuis un certain nombre d’années.

Nous ne sommes pas opposés à la privatisation : il est normal qu’on recherche des financements pour faire vivre le château. Seulement, il faut respecter les riverains, qui doivent être informés à l’avance des opérations et de leurs éventuelles nuisances. Il n’est pas normal qu’ils les découvrent le moment venu !

Rentrant du Sénat, le soir précédant la manifestation d’octobre dernier, j’ai vu des illuminations sur le château, que j’ai d’ailleurs trouvées magnifiques ! J’ai alors cru qu’elles avaient été mises en place par le Centre des monuments nationaux, avant d’être interpellée, le surlendemain, par des riverains mécontents du bruit et de l’absence d’information.

J’insiste : ce qui importe, c’est d’informer. Il ne s’agit pas d’empêcher le ministère de la défense ou le ministère de la culture d’organiser une manifestation. Il faut seulement que les événements ne soient pas trop nombreux ; je vous rappelle qu’ils l’ont été à une certaine époque, entraînant de graves problèmes de bruit.

Madame la ministre, je vous remercie d’avoir donné des instructions au préfet de police, comme je le demandais. Les deux seules fois où, ces derniers mois, je n’ai pas vu de voitures sur l’esplanade ont été la veille de l’événement dont je parle – preuve que des consignes avaient été données – et, en décembre dernier, lorsque, pour la première fois de ma vie, j’ai vu un cirque installé au pied du château.

Un cirque, à la rigueur, je veux bien. Seulement, les terre-pleins occupés sont-ils loués, et par qui ?

Il n’est pas normal que les abords du château deviennent une aire de stationnement, alors que les collectivités territoriales et le Centre des monuments nationaux ont voulu dégager toute l’esplanade. Aujourd’hui, on ne peut plus se garer devant la garde républicaine ; on se gare donc sur les terre-pleins du château, ce qui dévalorise ce dernier.

Madame la ministre, j’attends avec impatience la prochaine réunion de la CICV et je vous remercie pour votre soutien.

avenir de l'utilisation de l'hydrogène dans le domaine de l'énergie

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la question n° 565, adressée à M. le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

M. Jacques Mézard. Ma question a trait à l’utilisation dans le domaine de l’énergie de l’hydrogène, qu’on trouve à l’état naturel en quantité considérable.

L’hydrogène a longtemps été considéré comme un vecteur d’énergie en raison d’une production coûteuse et nécessitant le recours à des énergies fossiles ; mais on sait aujourd’hui qu’il peut devenir une véritable source d’énergie. Aussi bien, pourquoi ne lui accorde-t-on pas en France un plus grand intérêt dans le cadre de la transition énergétique ? Les déclarations idéologiques, c’est très bien, mais cela ne fait pas avancer les choses !

L’hydrogène est une énergie renouvelable, et sa combustion ne produit pas de gaz à effet de serre. En tant que vecteur d’énergie, il constitue un moyen de transport et de stockage à haute pression. Ces propriétés sont intéressantes à la fois pour contenir le changement climatique et pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables.

Les utilisations de l’hydrogène sont nombreuses et offrent des possibilités de substitution au pétrole et au gaz naturel, qui représentent respectivement 43 % et 20 % de notre consommation finale d’énergie.

Contrairement à leurs concurrents français, les constructeurs automobiles étrangers comme Nissan, Ford, Toyota ou Hyundai prévoient la commercialisation de voitures à piles à hydrogène d’ici à 2015 ou 2016. Ils ont d’autant plus raison que, aujourd’hui déjà, il est possible de parcourir 500 kilomètres avec un plein d’hydrogène fait en trois minutes ! Nos voisins allemands, pour leur part, ont élaboré une véritable stratégie en matière d’hydrogène : 400 points de distribution seront disponibles en 2023.

En 2011, la première centrale hybride associant l’énergie éolienne, la biomasse et l’hydrogène est entrée en service ; en l’absence de vent, l’hydrogène combiné au biogaz dans une centrale thermique produit de l’électricité et de la chaleur.

En matière d’hydrogène, la France accuse un retard évident et elle n’a aucune stratégie, ce qui est d’autant plus incompréhensible que nous disposons du savoir-faire nécessaire, notamment au sein du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.

Madame la ministre, quels freins entravent donc le recours à l’hydrogène ?

Dans une étude de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, notre collègue Jean-Marc Pastor et le député Laurent Kalinowski, rapporteurs, critiquent l’absence de stratégie nationale, l’« attentisme » des pouvoirs publics et une réglementation qui décourage tout projet d’application en la matière – en somme, les mêmes obstacles qui entravent toute innovation en matière énergétique, et qui nous semblent bien plus politiques que technologiques.

Madame la ministre, le Gouvernement réfléchit-il à une stratégie permettant d’exploiter sans tarder l’hydrogène comme ressource énergétique ? Allons-nous enfin faire le choix de l’innovation en permettant à la recherche d’avancer dans ce domaine ? Ou bien, comme pour le gaz de schiste, serons-nous tentés de laisser l’obscurantisme prendre le pas sur le progrès ? Je crois que ce serait un très mauvais choix pour l’avenir du pays !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur Mézard, j’aurais été plus habile pour vous apporter une réponse dans le domaine, par exemple, de la peinture de la Renaissance italienne… (Sourires.) De fait, celui sur lequel je suis chargée de vous répondre n’appartient pas à mon domaine de prédilection ! Heureusement, M. Philippe Martin, qui est actuellement retenu par la gestion de crise consécutive aux tempêtes et aux inondations très graves que nous avons connues, m’a confié une réponse très précise et extrêmement développée, en prévision de la qualité de la question qui allait être posée.

Les applications énergétiques potentielles de l’hydrogène sont nombreuses – vous l’avez souligné –, en particulier dans l’industrie : ainsi, l’hydrogène peut servir à alimenter ou à recharger un appareil mobile, à alimenter en électricité un site isolé, à propulser un véhicule ou un bateau électrique, à stocker de l’électricité intermittente, à augmenter la production de biocarburants ou à réduire le contenu carbone du gaz naturel des réseaux – encore ne sont-ce là que des exemples.

Les services du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, notamment la direction générale de la prévention des risques, pilotent un groupe de travail ayant pour mission d’encadrer et d’accompagner les nouvelles filières de l’hydrogène-énergie. Ce groupe de travail se penche tout particulièrement sur les flottes de chariots élévateurs dans les entrepôts, qui constituent un domaine d’expérimentation nouveau et important.

En 2011 déjà, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, avait lancé un appel à manifestation d’intérêt sur l’hydrogène et sur les piles à combustible dans le cadre du programme des investissements d’avenir. Le projet de gestion des réseaux par l’injection d’hydrogène, le GRHYD, en est issu ; coordonné par GDF SUEZ, il est une première illustration du rôle transverse du vecteur hydrogène entre les réseaux électriques et gaziers, appelé power-to-gas.

Ce programme, très ambitieux, vise à valoriser l’électricité verte en produisant, d’une part, de l’hydrogène injectable jusqu’à 20 % en volume dans du gaz naturel à usage résidentiel et, d’autre part, de l’hytane, un carburant composé de gaz naturel et d’hydrogène, jusqu’à 20 % en volume pour une flotte de bus.

D’autres projets de démonstration, comme la plate-forme Mission hydrogène renouvelable pour l’intégration au réseau électrique, dite « MYRTE », en Corse, valident la pertinence technico-économique de l’hydrogène comme vecteur de stockage d’énergie.

Pour consolider l’élan de la filière, un nouvel appel à manifestation d’intérêt sur le stockage de l’énergie et la conversion de l’électricité, contenant un volet sur les usages de l’hydrogène, a été lancé au mois de décembre dernier.

Tout cela va permettre de préparer le déploiement de véhicules électriques à hydrogène, sous le pilotage de l’association française de la filière, de façon à arriver à la mise en place d’une infrastructure privée et publique d’hydrogène sur la période 2015-2030.

Vous le constatez, monsieur le sénateur, toutes les mesures mises en œuvre par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie contribuent à l’élaboration d’une véritable stratégie française en matière de stockage de l’énergie et de l’hydrogène ; nous sommes du côté non pas de l’obscurantisme, mais bien du progrès.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la ministre, comme toujours, vous nous avez apporté une réponse de qualité, ce dont je vous remercie. Cependant, vous avez dressé un constat : la politique suivie par la France en matière d’hydrogène relève plus du bricolage que de la grande série ! (Sourires.)

Certes, vous avez établi la liste de toutes les utilisations possibles de l’hydrogène. Vous nous avez annoncé – et nous le savions – la mise en place d’un groupe de travail sur les nouvelles filières de l’hydrogène-énergie. Il ne manque plus qu’un Haut conseil de l’hydrogène ! Ce serait sans doute une bonne idée à suggérer à M. le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie !

S’il est bien de savoir que dans les prochaines années des chariots élévateurs utiliseront l’hydrogène, permettez-moi toutefois de constater que dans le secteur de l’automobile, les efforts déployés sont insuffisants. Certes, et c’est une bonne chose, le choix de l’électrique a été opéré, mais, malheureusement, dans le domaine des piles à énergie, nous avons pris un retard dramatique pour l’avenir de l’industrie française, dont nous paierons, un jour, le prix.

Nos chercheurs ont beaucoup de talent, d’idées et de savoir-faire, mais leur action est limitée par le débat idéologique sur la transition énergétique. À force d’être à l’écoute de ceux qui ont une vision complètement éthérée des réalités énergétiques et techniques, nous prenons un retard considérable alors que, nous le savons, aujourd'hui, des pistes méritent de gros investissements, un véritable programme et une planification sur les années qui viennent.

Par conséquent, je souhaite vivement que le Gouvernement sorte de ce débat idéologique et revienne au concret que nous attendons.

agrément délivré aux éco-organismes de la filière de collecte et de recyclage des emballages ménagers

M. le président. La parole est à Mme Esther Sittler, auteur de la question n° 597, adressée à M. le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Mme Esther Sittler. Madame la ministre, ma question s’adresse au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, dont je souhaite attirer l’attention sur la clause de revoyure prévue dans l’agrément délivré aux éco-organismes de la filière de collecte et de recyclage des emballages ménagers.

L’article 46 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement prévoyait des objectifs ambitieux en matière de collecte et de recyclage des déchets, à savoir un recyclage de l’ordre de 75 % et un financement à hauteur de 80 % des coûts de service.

Lors de la signature de l’agrément délivré à Éco-Emballages Adelphe, les modalités de calcul du taux de prise en charge sous-estimaient largement le coût réel, ce qui a conduit l’État à proposer une clause de revoyure, qui devait intervenir à la mi-2012 et permettre une revalorisation du dispositif de soutien financier aux collectivités dès le 1er janvier 2013. Or, le 18 décembre 2012, la commission consultative d’agrément de la filière des emballages ménagers s’est opposée aux propositions formulées par le ministère.

Par conséquent, pourriez-vous m’indiquer sous quels délais la clause de revoyure sera finalement appliquée et quelles en seront les modalités ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Madame la sénatrice, il me sera plus facile de vous répondre, le domaine que vous évoquez étant, pour moi, un peu moins technique que le précédent. Il correspond à une priorité que défend avec force et vigueur mon collègue Philippe Martin, qui n’ayant pu être présent ce matin, m’a chargée de vous transmettre sa réponse.

Vous avez soulevé l’intérêt à veiller à ce que le pourcentage des déchets ménagers qui vont en décharge soit réduit, et les pays d’Europe s’y attachent. Alors qu’à l’échelon européen ce pourcentage n’est que de 5 %, en France il est encore de 34 %. Seuls 35 % des déchets sont recyclés dans notre pays, alors que l’objectif européen est de 50 % à l’horizon 2020.

La crise économique actuelle et la raréfaction des ressources ne font qu’accroître l’absolue nécessité d’aller vers un modèle d’économie circulaire qui nous fera sortir du « tout jetable ».

Cette transition, enregistrée lors de la conférence environnementale du mois de septembre dernier, a été confirmée à l’occasion d’une conférence de mise en œuvre de l’économie circulaire.

Le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie – il m’a demandé de vous l’indiquer avec force – est, bien sûr, particulièrement concerné par la clause de revoyure prévue dans l’agrément des éco-organismes de la filière de collecte et de recyclage des emballages ménagers, agrément qui a plus de vingt d’ans d’existence mais que nous devons faire vivre.

À l’occasion du renouvellement de ce document pour la période 2011-2016, il avait été décidé d’un nouveau rendez-vous au sein de la filière à la fin 2012, en vue de réexaminer les différents points à faire évoluer. Vous l’avez relevé à juste titre, les travaux menés à l’époque n’ont pas permis d’aboutir, ce que nous ne pouvons que regretter tous ensemble.

Mon collègue a bien pris en compte le besoin absolu de parvenir à une solution. Il entend faire en sorte qu’un arbitrage soit rendu dans les meilleurs délais possibles – je ne dispose pas de date précise à vous communiquer – et souhaite que cet arbitrage permette de répondre aux besoins des collectivités et d’atteindre les objectifs de recyclage, tout en préservant l’équilibre économique des entreprises contributrices de la filière.

Soyez sûre, madame la sénatrice, que je lui ferai de nouveau part de votre question afin que, très rapidement, puissent être mises en œuvre les conclusions de cette nouvelle convention qui permettra de répondre à la clause de revoyure que vous appelez de vos vœux, et qui est une absolue nécessité.

M. le président. La parole est à Mme Esther Sittler.

Mme Esther Sittler. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse et vous prie d’indiquer à M. Philippe Martin le grand intérêt des collectivités locales qui s’occupent de la collecte des ordures ménagères pour cette clause de revoyure. Il y va de l’équilibre de leurs finances. Elles guetteront les nouvelles du ministère de l’environnement, du développement durable et de l’énergie sur ce sujet.

mise en concurrence des concessions hydrauliques

M. le président. La parole est à M. Alain Fauconnier, auteur de la question n° 598, adressée à M. le ministre de l'écologie, du développement durable et de l’énergie.

M. Alain Fauconnier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question porte sur le renouvellement des concessions hydrauliques, nombreuses dans la région Midi-Pyrénées, en général, et dans le département de l’Aveyron, en particulier.

L’énergie hydraulique non polluante, propice à l’aménagement du territoire, est essentielle dans ces secteurs géographiques, fait qui explique l’inquiétude non seulement des maires des communes concernées, mais aussi des principaux acteurs économiques départementaux et régionaux face à la prochaine mise en concurrence de ces concessions.

Chacun le sait, ce renouvellement est souhaité par l’Union européenne. Une fois de plus, la France semble se distinguer de nombreux autres pays européens sur ce sujet, puisque l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie se sont affranchies de cette exigence que l’on prétend nous imposer au risque de brader un élément important du patrimoine de notre nation.

C’est sans doute la raison pour laquelle l’ancienne ministre, Mme Delphine Batho, avait publiquement émis des doutes sur l’opportunité de ce renouvellement.

Deux points pourraient justifier un report : la longueur de la procédure de mise en concurrence – sept à huit ans – au regard des lourds investissements que doit réaliser l’opérateur historique pour atteindre les objectifs du mix énergétique, d’autant que le délai de cette procédure priverait pendant longtemps l’État et les collectivités territoriales de taxes dont elles ont le plus grand besoin ; et le risque d’implanter en France des concessionnaires étrangers, ce qui reviendrait à délocaliser virtuellement l’énergie et, surtout, le multi-usage de l’eau.

Cela étant, chacun se pose de nombreuses questions sur ce renouvellement, en particulier depuis la mise en ligne du rapport d’information Battistel qui élabore quatre stratégies, avec la volonté de balayer « la fatalité juridique » des arguments « posés comme l’ultime et unique vérité pour s’épargner l’effort de l’élaboration de solutions alternatives ayant un sens politique ».

Madame la ministre, j’en viens à mes questions.

Si le Gouvernement ne reporte pas ce renouvellement, quelles propositions du rapport précité entend-il reprendre à son compte ? Le renouvellement des concessions sera-t-il soumis à la concurrence sur le marché international ? Quelles garanties les différentes collectivités – communes, départements et régions – obtiendront-elles des nouveaux opérateurs ? Quelle garantie l’État, les régions et les départements obtiendront-ils pour continuer à bénéficier de l’énergie réservée ? Les comités de bassin seront-ils enfin consultés, eux qui sont au cœur de l’énergie hydroélectrique et du multi-usage de l’eau ?

Madame la ministre, la représentation nationale et les élus des territoires concernés, que vous connaissez très bien, vous remercient des éclaircissements que vous voudrez bien leur apporter.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Les domaines qui sont successivement abordés ce matin me sont de plus en plus faciles à traiter : monsieur le sénateur, j’aurais pu reprendre chaque mot de votre question à mon compte. D’ailleurs, régulièrement j’évoque ce sujet, que nous connaissons bien en Midi-Pyrénées, avec mon collègue Philippe Martin.

L’hydroélectricité est une énergie renouvelable, décentralisée, ancrée dans les territoires comme l’Aveyron ; elle génère des emplois non délocalisables. Nous en mesurons tout l’intérêt. C’est aussi un patrimoine national que le Gouvernement se doit de préserver et de bien gérer, et ce dans le strict respect du droit.

Il nous revient désormais d’assurer le renouvellement des concessions qui sont échues – nous sommes bien placés pour le savoir – ou qui arriveront à échéance au cours des prochaines années. C’est une obligation qui nous est imposée par la loi.

Alors que le précédent gouvernement avait conçu un scénario unique de mise en concurrence avec appel d’offres, concession par concession, dont nous connaissons les difficultés de mise en œuvre puisque cela fait plus de deux ans que nous nous y essayons, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a voulu explorer des scénarios alternatifs et adopter une approche globale de la question.

Dans ce dossier, Philippe Martin s’est attaché à prendre en compte l’expertise des parlementaires, comme vous l’avez très bien dit, monsieur le sénateur, notamment le rapport présenté au mois de septembre dernier par votre collègue députée Marie-Noëlle Battistel.

Par ailleurs, la situation actuelle, qui nous conduit, pour des raisons de sécurité juridique, à privilégier la solution de la mise en concurrence avec appel d’offres, provient d’un héritage que nous devons prendre en compte : ainsi, EDF est devenue, en 2004, une société anonyme.

Il reste que nous avons besoin d’une politique de l’hydroélectricité en France. C’est la raison pour laquelle mon collègue Philippe Martin entend bien intégrer dans le projet de loi de transition énergétique, qui sera présenté très prochainement, des mesures ayant pour objet de fixer des règles précises qui sont autant de points de vigilance : assurer un accès à une énergie compétitive pour nos industries électro-intensives ; accorder une place nouvelle et importante aux collectivités territoriales ; prendre en compte les conséquences des changements à venir sur les personnels concernés ; assurer la continuité écologique et la performance environnementale dans la gestion des barrages ; préserver les différents usages de l’eau et de sa gestion, notamment en cas de fortes pluies et d’inondations – vous l’avez dit dans votre question.

Tout ce travail est en cours, monsieur le sénateur. Le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie entend bien que nous puissions travailler ensemble avant de prendre des décisions essentielles tant pour les territoires, notamment pour nos territoires de montagne, que pour notre système électrique, l’avenir de l’opérateur historique et la valorisation du potentiel d’hydroélectricité de la France. Soyez-en sûr, nous serons nombreux à y veiller.

M. le président. La parole est à M. Alain Fauconnier.

M. Alain Fauconnier. Je ne doutais absolument pas, madame la ministre, de votre détermination sur ce sujet, que vous suivez depuis très longtemps.

Abondant dans votre sens, je souhaite simplement insister, au-delà du seul aspect énergétique, sur le multi-usage de l’eau et la complexité des différents bassins. Qu’il s’agisse de la Durance, du Rhône ou de la Truyère, la situation est complètement différente.

Voilà cinquante ou cent ans, au moment où l’on construisait les barrages, l’usage de l’eau était unique. Aujourd'hui, il faut prendre en compte les crues, les problèmes liés au tourisme et au sport, l’énergie, la valorisation agricole et les irrigations.

Dans ces conditions, les décisions qui seront prises par ce gouvernement, dont l’approche est différente, je l’entends, de celle du gouvernement précédent, détermineront pour quarante ou cinquante ans notre usage de l’eau, affectant les deux générations à venir.

Pour ma part, madame la ministre, je suis tout à fait ravi de votre réponse, d’autant que je sais à quel point vous resterez vigilante en la matière.

secret fiscal et prélèvement en eau

M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz, auteur de la question n° 617, adressée à M. le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006, les sommes perçues par les agences de l’eau sont des taxes, et non des redevances pour service rendu. Par conséquent, elles relèvent du code général des impôts, et toutes les données utilisées pour leur calcul sont protégées par le secret fiscal.

Ainsi, depuis 2011, ni les services de l’État ni les organismes publics chargés de la police ou de la surveillance de l’environnement n’ont accès aux données fines concernant les prélèvements en eau.

Or, pour résoudre les difficultés quantitatives qui se posent pour les nappes phréatiques classées zone de répartition des eaux, ou ZRE, comme la nappe de Champigny, en Seine-et-Marne, il est nécessaire de faire baisser le niveau des prélèvements.

Comment déterminer les forages concernés et la diminution des prélèvements si l’on ne connaît pas le niveau actuel des prélèvements par captage ? Cette opacité convient très bien aux gros utilisateurs actuels qui surexploitent la nappe par le biais d’un petit nombre de gros forages, hélas.

Les organismes publics ne peuvent se contenter de données agglomérées à l’échelle d’un territoire, par exemple d’une commune. Il leur faut des données par point d’eau, afin d’établir un suivi pertinent. La mise en place d’une « redevance pour projet à caractère environnemental » a été envisagée, mais aucune suite n’a malheureusement été donnée à ce projet. Une telle redevance, perçue par les agences de l’eau, ne relèverait plus du code général des impôts.

Alors que la gestion de l’eau est devenue un enjeu majeur de la politique environnementale et de la politique tout court, j’aimerais connaître, madame la ministre, les mesures que le Gouvernement entend prendre pour que les organismes chargés de la gestion de l’eau disposent des données nécessaires à leur mission.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Décidément, je deviens incollable ! Plus les questions se succèdent et plus je connais le sujet. Nous avons d’ailleurs débattu de celui-ci tout récemment, dans le cadre de l’examen de la loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles, notamment lors de la discussion d’un article inséré en cours de débat et portant sur la gestion des milieux aquatiques et des digues.

Je tiens, madame la sénatrice, à vous rassurer dès maintenant. A été adopté à la fin de l’année dernière un petit article, l’article 20 de la loi de finances rectificative pour 2013, qui apporte la bonne réponse à la question que vous posez, mais sur laquelle je tiens à revenir.

Alors que l’eau couvre 71 % de la superficie de la planète, seul 1 % de cette ressource est utilisable et consommable. C’est donc un bien précieux, rare, patrimoine commun de la nation, auquel nous devons accorder une priorité absolue.

Vous le savez comme moi, et nous en avons beaucoup débattu dans le cadre de l’examen de la loi précitée, le système français de gestion de l’eau est financé non pas par des taxes, mais par des redevances, fondées et calculées sur le principe pollueur-payeur. C’est ainsi que les usagers assujettis aux redevances des agences et des offices de l’eau sont tenus de produire une déclaration contenant des informations relatives à la pollution de l’eau, liée notamment aux rejets, à l’altération des habitats par les volumes d’eau prélevés ou les obstacles à la continuité écologique, et aux captures, dans le cadre des cartes de pêche.

Afin d’assurer la transparence absolue que vous appelez de vos vœux, l’article 20 de la loi de finances rectificative pour 2013, je le répète, votée le 20 décembre dernier, peu avant les fêtes de Noël, prévoit que les éléments nécessaires au calcul de ces redevances et qui sont des informations relatives à l’environnement peuvent être mis à la disposition du public.

Vous voilà, du moins je l’espère, madame la sénatrice, complètement rassurée sur un sujet dont vous savez combien il est important pour moi.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Mme Hélène Lipietz. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse, qui me rassure tout à fait.

La loi de finances rectificative pour 2013 a été quelque peu modifiée, censurée, vous le savez, par le Conseil constitutionnel. J’ai commencé à la lire, me penchant d’abord sur les dispositions concernant l’aide juridictionnelle, l’un de mes vieux dadas.

C’est donc avec plaisir que j’apprends que ma question est devenue obsolète, d’une obsolescence qui n’était pas programmée, mais qui s’est tout de même révélée, ce dont je suis extrêmement heureuse. En effet, une réponse est enfin apportée à l’une des préoccupations fondamentales des agences de l’eau, qui souhaitent connaître l’ampleur des appropriations privées ou semi-publiques de cette ressource indispensable à l’humain. Nous sommes de bons législateurs, puisque nous savons répondre aux questions que se posent les agences que nous créons.

départements et réglementation des boisements

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch, auteur de la question n° 586, adressée à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’acte II de la décentralisation a transféré aux conseils généraux la compétence de mise en œuvre d’une réglementation de boisements, « afin de favoriser une meilleure répartition des terres entre les productions agricoles, la forêt, les espaces de nature ou de loisirs et les espaces habités en milieu rural et d’assurer la préservation de milieux naturels ou de paysages remarquables ». Cette compétence est inscrite à l’article L. 126-1 du code rural et de la pêche maritime et évoquée à l’article L. 342-1 du code forestier.

Le conseil général de l’Allier, à la demande des communes de la montagne bourbonnaise, souhaite user de la possibilité de relever le seuil – actuellement de quatre hectares – à partir duquel il y a obligation de renouvellement de peuplements forestiers.

En effet, la situation de la montagne bourbonnaise est bien particulière : au milieu du siècle dernier, les quinze communes qui composent ce territoire de moyenne altitude ont perdu une part importante de leur population agricole. À la déprise agricole s’est substituée, sur de nombreuses parcelles, une plantation irraisonnée d’espèces allochtones, principalement d’épicéas et de douglas, en vue de l’exploitation rapide du bois. Ces plantations ont été réalisées au mépris des distances de recul par rapport à la voirie, aux fonds pastoraux voisins et aux habitations. Aujourd’hui, les 35 000 hectares de la montagne bourbonnaise sont boisés à plus de 50 %, dont un gros tiers en résineux.

Ce boisement intensif de résineux, dont certains atteignent maintenant 50 mètres de hauteur, pour une moyenne de 35 mètres à 45 ans, âge moyen des coupes, pose de nombreux problèmes : consommation importante d’eau, hyper acidification des sols qui entraîne un appauvrissement de la biodiversité, ombre et refroidissement préjudiciable aux habitations voisines, aux berges, à la ripisylve, aux cours d’eau, aux routes, qui verglacent plus fréquemment, et surtout aux fonds pastoraux voisins. Les chutes d’arbres, l’abandon de bois de résineux morts, qui favorisent le développement des atteintes parasitaires, les dégradations des routes, sentiers, ruisseaux causées par des engins d’exploitation surdimensionnés par rapport à la configuration de la moyenne montagne, la fermeture de paysages et la disparition des forêts autochtones de feuillus sont autant de nuisances aujourd’hui avérées. Bref, les élus locaux, les habitants, les agriculteurs, les chasseurs, les pêcheurs, tous ces experts du quotidien nous disent que le renouvellement des peuplements forestiers résineux ne se justifie pas sur ce territoire.

Le souhait du conseil général de relever le seuil à compter duquel il faut replanter à l’identique est donc tout à fait pertinent. De plus, le relèvement de ce seuil permettrait aux agriculteurs qui en ont déjà manifesté l’intérêt d’étendre leur exploitation, dans le cadre instauré par le conseil général de l’Allier de reconquête paysagère des terres mécanisables, ce qui correspond pour beaucoup à une condition de survie économique.

Or la compétence du conseil général est rapidement limitée par le code forestier, lequel, dans ses articles L. 124-6 et L. 342-1, charge le représentant de l’État dans le département d’arrêter un seuil à compter duquel il y a obligation de renouvellement de peuplements forestiers.

Dans la mesure où la proposition du conseil général est compatible avec les orientations régionales forestières, je souhaite savoir comment le seuil peut être concrètement relevé, voire aboli, quand il s’agit de respecter les distances de recul par rapport aux habitations, aux voies de circulation et aux cours d’eau. Je souhaite également savoir s’il est prévu de rendre compatibles ces dispositions du code forestier avec la compétence transférée, accordant ainsi toute confiance aux collectivités locales pour gérer leur environnement et veiller à une exploitation raisonnée, écologique, et surtout régulatrice des massifs, ce qu’elles savent très bien faire, dans le respect des principes généraux définis à l’article L.112-1 du même code. Peut-être cette question pourrait-elle trouver rapidement une réponse, monsieur le ministre, dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui sera présenté à l’automne.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Madame la sénatrice, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Stéphane Le Foll, retenu ce matin par d’autres engagements, et je tiens à vous remercier de votre question.

La réglementation des boisements, telle qu’elle figure à l’article L. 126-1 du code rural et de la pêche, établit un seuil au-dessous duquel des plantations et semis d’essences forestières peuvent être interdits ou réglementés par les conseils généraux. Vous l’avez rappelé, cette réglementation a pour objet « de favoriser une meilleure répartition des terres entre les productions agricoles, la forêt, les espaces de nature ou de loisirs et les espaces habités en milieu rural et d’assurer la préservation de milieux naturels ou de paysages remarquables ».

Elle doit, en outre, tenir compte des dispositions du code forestier, en particulier le seuil retenu pour la reconstitution obligatoire après coupe rase et pour les exemptions aux défrichements qui ne peut dépasser quatre hectares. Ce seuil est pertinent par rapport aux enjeux forestiers.

Si la loi n’indique pas de superficie maximale pour la fixation du seuil par les communes au titre de la réglementation des boisements, elle impose cependant que les interdictions de reconstitution après coupe rase soient compatibles avec les objectifs définis par les orientations régionales forestières prévues à l’article L.122-1 du code forestier.

Le seuil de surface du massif forestier doit ainsi être fixé en fonction non seulement des objectifs de la réglementation des boisements, mais également de ceux de la politique forestière régionale. Ainsi le centre régional de la propriété forestière et la chambre régionale d’agriculture doivent-ils être consultés pour définir un seuil compatible avec les objectifs de la politique agricole et forestière à l’échelon local.

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions, dont je ferai part aux agriculteurs de mon département. Si je comprends bien, ce seuil – obligatoire – est négociable et il est donc possible de l’ajuster à condition de solliciter l’avis du centre régional de la propriété forestière et de la chambre régionale d’agriculture. Quatre hectares, c’est sans doute pertinent sur certains territoires – je pense à la forêt de Tronçais, dans l’Allier, dont les bois sont de qualité. En revanche, en montagne bourbonnaise, zone de petite et de moyenne montagne, tel n’est pas le cas : c’est une forêt composée non pas de feuillus, comme c’est l’habitude, mais plutôt de résineux et de douglas, essences allochtones qui tuent complètement la biodiversité. Dès lors que des agriculteurs veulent réinvestir ces coteaux, il semblerait normal qu’on les aide à reconquérir des espaces agricoles au détriment d’une forêt de très mauvaise qualité.

lutte contre les pesticides

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle, auteur de la question n° 609, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

M. Philippe Madrelle. Monsieur le ministre, en ce tout début d’année, il me paraît très important d’appeler votre attention sur les effets toxiques et les conséquences dramatiques de l’exposition des viticulteurs à des mélanges complexes de produits chimiques et de pesticides et de la manipulation de ceux-ci par ces professionnels.

Alors que nous assistons, certes, à une évolution vers une agriculture raisonnée, soucieuse d’une moindre dépendance à l’utilisation des produits chimiques, alors qu’a été adoptée à l’unanimité, le 19 novembre dernier, dans cet hémicycle, la proposition de loi de notre collègue Joël Labbé visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, traduisant les propositions contenues dans le rapport de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement, nous déplorons que le recours aux pesticides se soit beaucoup accru ces dernières années, contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit.

La France reste l’un des plus gros consommateurs au monde de ce type de produits et occupe la première place au niveau européen. C’est là un triste constat.

L’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, vient de publier une expertise collective concluant à la réalité des risques sanitaires pour les populations vivant près des zones d’application et pour le personnel agricole.

En Gironde, des familles de viticulteurs endeuillées tentent de faire reconnaître les cancers comme maladies professionnelles : deux cas, l’un dans le Médoc, à Listrac, l’autre dans le Libournais, à Pujols-sur-Dordogne, viennent d’être révélés par la presse nationale et la presse régionale. Les familles de ces viticulteurs décédés en 2009 et en 2012 des suites d’un cancer du poumon ont décidé d’engager des actions en justice pour faire reconnaître la responsabilité de l’utilisation de produits phytosanitaires contenant de l’arsénite de soude, communément appelé arsenic, et de l’exposition à ces produits. L’arsénite de soude est un fongicide utilisé pour prévenir la contamination de la vigne par l’esca, maladie du bois de la vigne. Classé toxique et dangereux pour l’environnement, l’arsénite est reconnu comme cancérigène. Interdit en 2001 par le ministère de l’agriculture, il continue de tuer en silence et dans l’indifférence tous ceux qui y ont été exposés.

Ce drame sanitaire n’est pas sans rappeler celui de l’amiante, qui, interdite depuis 1997, continue de tuer.

Ainsi, pour traiter leurs vignes, depuis les années soixante jusqu’aux années deux mille, des milliers de viticulteurs ont manipulé des produits phytosanitaires sans gants ni masque et sans qu’aucune information sur la toxicité de ceux-ci leur ait été communiquée.

La difficulté pour les familles des malades et des victimes réside dans l’obligation imposée de rapporter la preuve du lien entre la maladie et l’exposition aux pesticides. C’est ainsi qu’entre 2000 et 2010, la Mutualité sociale agricole, la MSA, n’a reconnu que cinquante cas de maladies professionnelles dues à l’usage de produits phytosanitaires. L’association des victimes des pesticides Phyto-Victimes estime à plus de cent les dossiers classés sans suite par la MSA.

Monsieur le ministre, je vous laisse imaginer le désarroi de ces nombreuses familles partagées entre le souci et les exigences d’une belle récolte, de rendements satisfaisants et les dangers du piège de l’empoisonnement chimique à petit feu.

Vous comprendrez que l’on ne peut laisser toute une profession face à un tel dilemme. Je sais que vous en êtes parfaitement conscient. Un devoir d’information s’impose. Que comptez-vous faire pour donner une formidable impulsion en ce sens ? Les viticulteurs doivent avoir la possibilité d’utiliser d’autres produits classés non toxiques et les autorisations de mise sur le marché doivent être plus et mieux contrôlées.

En outre, il est urgent de faciliter la reconnaissance du caractère professionnel de ces maladies induites par l’utilisation de ces pesticides. (MM. Jean Besson et Marcel Rainaud applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Monsieur le sénateur, les effets de l’utilisation des pesticides sur la santé humaine, en particulier sur celle des agriculteurs et des salariés agricoles, sont, soyez-en sûr, au cœur de nos préoccupations.

Les résultats de l’expertise collective de l’INSERM rendue publique le 12 juin dernier, que vous avez mentionnée, ont confirmé la nécessité de prendre en compte certaines pathologies liées à l’utilisation des pesticides.

Ainsi, la prise en charge par la MSA des maladies professionnelles consécutives à l’exposition à ces produits fait l’objet de travaux de révision et, depuis 2010, des tableaux sont créés à cette fin par la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture, la COSMAP.

Cette commission vient de rendre son avis sur l’opportunité de créer un nouveau tableau sur les hémopathies malignes. C’est pourquoi nous avons confié à un expert la mission de proposer un projet de tableau pour les lymphomes malins non hodgkiniens.

S’agissant des autres pathologies, des recommandations seront adressées aux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles.

Par ailleurs, la prévention du risque professionnel lié à l’utilisation des pesticides est examinée dans le cadre du plan de santé au travail 2010–2014 et du plan Écophyto.

Plusieurs actions ont été menées en 2012 et en 2013 : une meilleure connaissance et une surveillance renforcée de la morbidité de la population ; la mise en place de systèmes de collecte d’informations sur les cas d’empoisonnements aigus et chroniques par les pesticides ; le développement du programme Matphyto – matrices cultures-expositions aux produits phytosanitaires –, qui permettra de retracer les expositions anciennes aux pesticides, dès la fin de 2013 pour les cultures de céréales à paille, de pomme de terre et de maïs, puis, dans un second temps, pour la viticulture, le colza, les arbres fruitiers, le tournesol et les betteraves.

Enfin, je vous signale que, au mois de mars 2013, le Gouvernement a demandé à la Commission européenne que quinze substances classées reprotoxiques de catégorie 2 soient considérées comme des substances dont on envisage la substitution et qu’elles soient incluses sur la liste prévue à cet effet par le règlement européen relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.

M. Philippe Madrelle. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais je veux encore une fois souligner avec force la nécessité – à laquelle je suis heureux de constater que vous souscrivez – d’entreprendre une étude épidémiologique pour connaître l’ampleur de ce drame humain dû aux pesticides et de développer fortement l’information auprès des viticulteurs. À défaut, le piège chimique se refermera encore davantage sur eux, comme il vient malheureusement de le faire sur deux viticulteurs girondins.

situation financière préoccupante des viticulteurs liée aux aléas climatiques de l'année 2013

M. le président. La parole est à M. Jean Besson, auteur de la question n° 610, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

M. Jean Besson. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur les aléas climatiques particuliers dont ont été victimes de nombreux vignerons des côtes du Rhône et de la vallée du Rhône au cours de l’année passée.

Une succession de phénomènes climatiques a fortement affecté le vignoble de la vallée du Rhône. En 2012, un fort gel a entamé le potentiel de production du vignoble rhodanien en faisant mourir une quantité importante de pieds de vigne, autant de pieds qui n’ont pas pu produire de raisins au cours de l’année 2013.

L’année dernière encore, le printemps particulièrement humide qu’a connu la vallée du Rhône a généré un phénomène important de coulure – la coulure est la chute des fleurs ou des jeunes raisins. Celle-ci a tout particulièrement affecté la production de grenache, cépage majoritaire et emblématique des côtes du Rhône.

Enfin, pour parachever ce contexte climatique catastrophique, un épisode de grêle important a frappé la partie méridionale de la vallée du Rhône.

Par conséquent, de nombreux vignobles ont été sinistrés et leurs exploitants se trouvent dans une situation financière extrêmement difficile. Ces aléas ont entraîné jusqu’à 50 % de pertes, ce qui va avoir de graves conséquences sur la pérennité de nombreuses exploitations viticoles.

La revalorisation des cours ne saurait suffire à recouvrir le déficit de récolte engendré par cette succession d’aléas climatiques particulièrement intenses sur certains secteurs du vignoble.

Cette situation catastrophique pose plusieurs problèmes. D’une façon générale, elle soulève de nouveau le débat de l’assurance individuelle des vignerons face aux aléas climatiques. La filière viticole est bien consciente que les vignerons sont peu assurés face à de tels phénomènes. Elle envisage de travailler sur cette question problématique au plus vite.

Mais la définition juridique de la calamité agricole est également à l’origine d’une difficulté.

Si la grêle ou la sécheresse, notamment, sont admises comme calamité agricole, tel n’est pas le cas de certains événements récurrents dans la viticulture, causés par des phénomènes climatiques inhabituels. Il en est ainsi de la coulure, qui n’est quasiment jamais couverte par les dispositifs assurantiels privés. Sa reconnaissance en tant que calamité agricole paraîtrait justifiée et permettrait aux vignerons touchés de solliciter plus facilement des aides auprès des collectivités territoriales et des aménagements dans le paiement des impôts, cotisations et taxes.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, les vignerons de la vallée du Rhône sont dans une situation d’urgence. La survie de quelques exploitations est en jeu.

Il est impératif de trouver rapidement des solutions afin que ces exploitations, en temps normal pérennes, puissent trouver un moyen leur permettant de traverser cette crise.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Monsieur le sénateur, depuis 2005, l’État soutient le développement d’une assurance des récoltes contre les risques climatiques. Au cours des dernières années, l’enveloppe publique consacrée au développement de l’assurance récolte est passée de 37 millions d’euros en 2008 à un peu plus de 77 millions d’euros en 2013.

À partir de 2015, dans le cadre de la future politique agricole commune, une enveloppe annuelle de 77 millions d’euros sera consacrée à l’assurance récolte au sein du deuxième pilier, ce qui traduit l’engagement renouvelé de l’État en faveur de l’assurance récolte.

Bien que celle-ci progresse, les taux de diffusion sont hétérogènes entre les filières, et ceux de la filière viticole sont encore limités, comme vous l’avez souligné.

Cette problématique a été au cœur des discussions du groupe de travail sur la gestion des risques mis en place par Stéphane Le Foll l’été dernier et associant les organisations professionnelles agricoles et les compagnies d’assurance.

À l’issue de quatre réunions de ce groupe de travail, plusieurs orientations ont été arrêtées, dont l’amélioration des contrats d’assurance en termes à la fois de contenu et de prix, afin de développer un socle minimal de protection pour chaque filière et chaque exploitation.

La filière viticole est directement et particulièrement concernée par cet objectif. À ce titre, la prise en compte des dommages consécutifs à une coulure est un bon exemple des sujets sur lesquels les entreprises d’assurance doivent envisager des améliorations aux contrats proposés.

Des propositions seront faites avant la fin du premier semestre 2014, afin de constituer un dispositif capable d’offrir à l’ensemble des producteurs – j’insiste sur ce point – la possibilité de bénéficier d’une couverture adaptée à leurs besoins spécifiques.

Par ailleurs, le régime des calamités agricoles peut compenser une partie des pertes de fonds dont ont été victimes les viticulteurs drômois à la suite de l’épisode de grêle que vous avez mentionné. En effet, en cas de perte de récolte quantitative supérieure à 30 % pour l’année 2014, les dommages pourront être pris en compte par le Fonds national de gestion des risques en agriculture.

Enfin, au-delà de l’indemnisation des dommages stricto sensu, plusieurs dispositifs peuvent être mobilisés.

D’abord, sur le plan fiscal, les exploitants peuvent solliciter des dégrèvements sur la taxe sur le foncier non bâti ainsi que des prises en charge de leurs cotisations sociales. Ils peuvent également recourir à la déduction pour aléas, dont l’objet est d’inciter à la constitution d’une épargne de précaution.

Ensuite, une intervention des collectivités territoriales est également possible pour indemniser les risques ou les dommages qui ne seraient pas éligibles au Fonds national de gestion des risques en agriculture.

Enfin, sachez, monsieur le sénateur, que nous avons sollicité le président de la Fédération bancaire française, afin que les établissements de crédit puissent examiner, avec la plus haute bienveillance– souhaitons-le –, les demandes de prêts de trésorerie ou d’aménagement de la dette des exploitations victimes d’un sinistre.

M. le président. La parole est à M. Jean Besson.

M. Jean Besson. Monsieur le ministre, je connais votre attachement, ainsi que celui de M. Stéphane Le Foll, à notre filière. Je vais transmettre aux professionnels vos réponses positives, dont je vous remercie. Je compte, bien entendu, sur le Gouvernement pour être toujours attentif à la viticulture, dont vous connaissez l’importance – tout le monde sait qu’elle représente 500 000 emplois –, que mon collègue de la Gironde pourrait confirmer, et qui fait honneur à notre pays.

extension de l'allocation transitoire de solidarité

M. le président. La parole est à M. René Teulade, auteur de la question n° 589, transmise à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. René Teulade. Voilà bientôt un an, le 24 janvier dernier, dans cet hémicycle, le Premier ministre annonçait le rétablissement de l’allocation équivalent retraite, l’AER, à travers l’instauration d’une prestation d’un montant équivalent.

Je le rappelle, l’allocation équivalent retraite était destinée aux demandeurs d’emploi n’ayant pas atteint l’âge légal de départ à la retraite, mais justifiant de la durée de cotisation à l’assurance vieillesse nécessaire afin d’obtenir une pension à taux plein. Au mois de janvier 2011, elle fut supprimée, puis remplacée par l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS. Celle-ci était si drastique qu’elle en devint ridicule : selon les chiffres de Pôle Emploi, à peine cinq cents personnes la percevaient au mois de juillet 2012.

Or, comme l’a parfaitement exposé notre collègue Martial Bourquin lors de sa question d’actualité au Gouvernement, « en 2008, des dizaines de milliers de personnes ont accepté des plans sociaux au terme de quarante années de travail en pensant être protégées par l’AER. » Déjà victimes de la crise économique, elles furent plongées dans une crise sociale dramatique sous l’effet cumulatif de la suppression de l’allocation équivalent retraite, que le Gouvernement précédent leur avait pourtant promise, et du report de l’âge légal à la retraite à 62 ans.

Le gouvernement actuel et la majorité parlementaire ne pouvaient rester insensibles aux nombreux témoignages reçus notamment dans les mairies et parfois aux cris de détresse lancés par ceux qui vivent dans leur chair ce que nous essayons de combattre par nos actes et par nos mots : l’extrême précarité, la pauvreté, pour ne pas dire, pour certains, la misère.

Ainsi, le décret du 4 mars 2013 instituant à titre exceptionnel une allocation transitoire de solidarité pour certains demandeurs d’emploi a concrétisé l’engagement du Premier ministre. Cette mesure, salvatrice pour plusieurs milliers d’individus, s’inscrit dans l’objectif de justice sociale impérieux à l’heure où les inégalités sociales continuent de se creuser, comme le révèlent un certain nombre d’études.

En vertu de l’article 1er dudit décret, l’allocation transitoire de solidarité est attribuée aux demandeurs d’emploi nés entre le 1er janvier 1952 et le 31 décembre 1953 selon des conditions précises et cumulatives, dont l’obligation de justifier du nombre de trimestres permettant de bénéficier d’une pension vieillesse à taux plein à l’extinction des droits à l’allocation d’assurance chômage.

Néanmoins, il apparaît que des destinataires de l’ATS sont aujourd’hui exclus du dispositif, dans la mesure où les trimestres comptabilisés au titre de l’allocation spécifique de solidarité ne sont pas pris en compte. En d’autres termes, il semblerait pertinent d’élargir le périmètre encore trop restreint de l’ATS et, par ce truchement, de garantir l’effectivité du décret du 4 mars dernier qui s’adresse, sans distinction aucune, à l’ensemble de la classe d’âge née en 1952 et 1953.

Si les efforts du Gouvernement en matière d’emploi des seniors sont bien connus et si nous devons nous en féliciter, si l’article 17 du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites prévoit la remise d’un rapport aux commissions compétentes du Parlement sur la problématique abordée par la présente question orale dans un délai de trois mois à partir de la promulgation de la future loi, il est opportun, monsieur le ministre, de connaître – même si nous avons déjà certains éléments de réponse – vos intentions et vos pistes de réflexion dans ce domaine.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Je vous prie tout d’abord, monsieur le sénateur, de bien vouloir excuser l’absence de M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social comme de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé, à laquelle votre question était à l’origine adressée.

Vous l’avez indiqué, l’allocation équivalent retraite était un minimum social majoré, versé aux demandeurs d’emploi seniors ayant cotisé pendant la durée requise pour bénéficier d’une pension de retraite à taux plein mais n’ayant pas encore atteint l’âge d’ouverture des droits pour pouvoir en bénéficier.

Ce dispositif avait été supprimé le 1er janvier 2011 par le gouvernement précédent à l’occasion de la réforme des retraites de 2010. Dès notre arrivée aux responsabilités, notre volonté a été de réparer cette injustice, qui était d’ailleurs la principale iniquité résultant de cette réforme. Nous avons donc ramené l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler tôt et présentant la durée de cotisation requise. Les premiers départs au titre de cette mesure ont eu lieu le 1er novembre 2012. En année pleine, plus de 100 000 personnes pourront en bénéficier:

La solution aux difficultés rencontrées par les travailleurs seniors relève avant tout de la mobilisation de moyens visant à faciliter les fins de carrière et les transitions entre emploi et retraite. Vous le savez, c’est notamment l’un des enjeux de la mise en place du contrat de génération.

Le Premier ministre a décidé d’ouvrir de manière exceptionnelle un dispositif équivalent à l’AER pour ceux qui, licenciés avant le 31 décembre 2010, pensaient légitimement pouvoir en bénéficier à l’issue de leur indemnisation chômage. Cette nouvelle prestation est effective depuis le 1er mars dernier pour la dizaine de milliers de demandeurs d’emploi seniors éligibles des générations 1952 et 1953.

Ce dispositif est réservé à ceux qui ont effectivement validé le nombre de trimestres requis pour bénéficier d’une pension de retraite à taux plein à la date de leur fin de droits à indemnisation chômage.

Vous le constatez, monsieur le sénateur, la situation des demandeurs d’emploi seniors reste une préoccupation très importante pour le Gouvernement. C’est pourquoi, je vous l’annonce ce matin, un rapport sur la situation précise des personnes évoquées sera remis au Parlement avant la fin du premier trimestre de cette année.

M. le président. La parole est à M. René Teulade.

M. René Teulade. Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces précisions, qui s’ajoutent à quelques informations très positives dont nous disposions déjà. Il faut permettre à ceux qui croyaient percevoir cette allocation de recevoir effectivement ce qu’on leur avait promis et éviter – surtout dans le domaine des retraites qui pose déjà des problèmes suffisamment délicats à résoudre – de créer des inégalités.

Eu égard à votre réponse, monsieur le ministre, je fais confiance au Gouvernement, dont nous suivrons avec beaucoup d’intérêt le rapport sur ce sujet.

centre socio-médico-judiciaire de fresnes

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteur de la question n° 623, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Laurence Cohen. Le centre socio-médico-judiciaire de sûreté de Fresnes a vu le jour en 2008, sur décision du garde des sceaux de l’époque, Mme Rachida Dati.

Ainsi, la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental dispose : « À titre exceptionnel, les personnes dont il est établi […] à la fin de l’exécution de leur peine, qu’elles présentent une particulière dangerosité […] parce qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité, peuvent faire l’objet à l’issue de cette peine d’une rétention de sûreté ».

C’était l’époque de la surenchère en matière de politique pénale, en réponse hâtive à un fait divers. Un montant de 850 000 euros a été investi pour mettre en place cet hôpital-prison, le seul en France.

Ce dispositif a été pensé comme le moyen de lutte contre la récidive des personnes ayant commis certains des crimes les plus graves et qu’il faudrait tenir éloignées de la société, même une fois leur peine purgée.

Il est à souligner que, depuis son ouverture, seuls quatre hommes y ont été placés et qu’il est vide à présent. Certes, les personnes condamnées avant le vote de la loi ne sont pas concernées, ce qui, de fait, repousse à 2023 la pleine application du texte qui vise les personnes condamnées à quinze ans de prison.

Nombreux sont néanmoins les parlementaires à considérer que ces dispositions sont attentatoires aux libertés fondamentales dans la mesure où les personnes sont placées dans cet établissement non pas pour des faits commis, mais en raison de risques supposés. Cette privation de liberté pose donc un problème d’éthique et de déontologie dans un État de droit.

Par ailleurs, de nombreux dysfonctionnements ont été identifiés, notamment par l’Observatoire international des prisons. Voilà quelques semaines, lorsque je me suis rendue sur place accompagnée de mon collègue Christian Favier, j’ai moi-même pu constater que les hommes visés n’ont accès à aucune activité et ne bénéficient pas d’aide ou de suivi social. Le programme de soins n’est pas mis en place, notamment lorsqu’ils doivent être hospitalisés à l’extérieur. Leur statut particulier, pour ne pas dire ambigu, rend leur prise en charge complexe : en effet, ce ne sont ni des prisonniers à proprement parler ni des patients.

Les personnels pénitentiaires et sanitaires, qui ne sont pas assez nombreux, semblent par ailleurs assez démunis face à ce flou juridique qui pose notamment la question de la responsabilité en cas de problème.

Comme vous le savez, les membres du groupe CRC, auquel j’appartiens, ont déposé au mois de mai 2012 une proposition de loi visant à supprimer la rétention de sûreté. Je sais que le groupe RDSE a déposé un texte quasiment identique au mois de juillet suivant. De surcroît, Mme la garde des sceaux elle-même s’est prononcée pour cette suppression au mois de décembre 2012.

Il s’agit non pas de balayer d’un revers de main les problèmes posés par la récidive ou la dangerosité de certains détenus à la fin de leur peine, mais bien de les traiter en amont, c’est-à-dire durant l’emprisonnement.

Pour mon groupe, il est impératif de réfléchir, parallèlement à la fermeture du centre de Fresnes, à la mise en place d’alternatives, en nous appuyant sur la réflexion des personnels pénitentiaires de santé comme de surveillance auxquels une longue expérience permet de présenter une expertise de qualité.

Je souhaiterais donc savoir, monsieur le ministre, comment Mme la garde des sceaux, laquelle n’a pu être présente aujourd'hui, envisage ces problématiques dans le cadre de la future réforme pénale qu’elle va prochainement proposer.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Madame la sénatrice, vous le savez, le centre socio-médico-judiciaire de sûreté de Fresnes, créé par la loi de 2008, est installé au sein de l’établissement public de santé national de Fresnes mais fonctionne de manière totalement indépendante.

Il est régi par un règlement intérieur et des conventions conclues avec le centre hospitalier Paul-Guiraud Villejuif. L’ensemble des personnels sanitaires ainsi mis à disposition coopèrent à la prise en charge des personnes retenues.

Conformément à la loi, ces dernières doivent bénéficier d’une prise en charge médico-psychologique et d’un projet de soins associant des prises en charge individuelles et de groupe. Dès leur arrivée, des entretiens avec un psychiatre, des infirmiers psychiatriques et des psychologues sont proposés par l’équipe psychiatrique du centre hospitalier Paul-Guiraud Villejuif.

En vertu des dispositions du code de procédure pénale, la personne retenue a la possibilité de bénéficier d’actions de formation, d’activités culturelles, sportives et de loisirs, dont une partie peut s’effectuer à l’extérieur.

L’encadrement quotidien et l’organisation des activités sont dévolus à des éducateurs recrutés et financés conjointement par le ministère de la justice et le ministère des affaires sociales et de la santé. La personne retenue bénéficie également d’un suivi social et d’un accompagnement dans son projet de sortie. Les conseillers du service pénitentiaire d’insertion et de probation du Val-de-Marne sont également impliqués, vous le savez, dans ce processus.

À ce jour, quatre personnes ont été provisoirement retenues pour une durée chaque fois inférieure à trois mois, dans le cadre du non-respect des obligations de la surveillance de sûreté. Les juridictions régionales de la rétention de sûreté n’ont en effet pas confirmé ces quatre placements.

Actuellement, la suppression de la rétention de sûreté n’a pas été arrêtée dans le cadre du projet de loi de réforme pénale – c’était le cœur de votre question –, qui traite surtout de la petite et moyenne délinquance.

Cependant, je tiens à le réaffirmer très clairement, Mme la garde des sceaux maintient ses propos qualifiant la rétention de sûreté de peine attentatoire aux libertés, puisque cette rétention est appliquée à des personnes qui pourraient commettre un crime et non pas à celles qui en ont effectivement commis un.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Je ne suis pas étonnée de l’engagement de Mme la garde des sceaux, compte tenu des propos qu’elle a effectivement tenus au mois de décembre dernier et dont vous venez de nous faire part.

Cela étant, nous devons vraiment mener une réflexion en vue de la suppression du centre en cause. L’ayant visité, je peux témoigner que ses locaux sont flambant neufs, contrastant fortement avec la réalité des prisons, notamment de celle de Fresnes.

Ce que vous décrivez, monsieur le ministre, existe sur le papier mais pas dans les faits. En effet, les personnels pénitentiaires et de santé avec lesquels j’ai discuté très longuement affirment leur incapacité à répondre aux besoins des personnes retenues, qui ne sont ni des prisonniers à part entière ni des patients. En outre, ils déplorent l’inexistence d’un véritable statut pour ces personnes et regrettent, lorsqu’ils doivent les accompagner à l’hôpital pour un examen, d’être contraints de les menotter, ce qui n’est juridiquement pas justifié.

Nous touchons vraiment du doigt la réalité du système pénitentiaire, entouré d’un flou énorme et entaché de dysfonctionnements patents. En fait, il faut agir sur l’accompagnement de ces individus pendant tout le temps de leur détention, et pas seulement au moment de leur sortie, afin de se rendre compte de leur dangerosité réelle.

En outre, je vous le répète, aucune personne n’est internée dans ces locaux, ce qui représente un véritable gâchis ! Parmi les quatre personnes qui y ont été retenues, l’une n’a plus aucun contact avec les services sociaux et l’on ne sait pas du tout où elle se trouve. Par conséquent, le passage par ce centre de rétention peut s’avérer encore plus dangereux.

J’appelle votre attention, monsieur le ministre, pour qu’il soit mis fin à ce genre d’atteintes aux libertés.

extension de l'aéroport de paris-orly

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, en remplacement de M. Christian Cambon, auteur de la question n° 632, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous prie d’excuser l’absence de Christian Cambon, qui a dû assister à des obsèques.

Sa question intéresse tous les élus et parlementaires du Val-de-Marne, puisqu’elle porte sur un dossier, monsieur le ministre, que vous maîtrisez parfaitement : le cadre de vie des milliers de riverains de l’aéroport d’Orly.

Cet aéroport fait l’objet d’un programme d’extension de la part d’Aéroports de Paris – ADP –, société privée mais dont l’État est actionnaire majoritaire. Ce programme, d’un montant de 450 millions d’euros, vise ainsi à accroître les capacités d’Orly afin d’accueillir 50 % de trafic supplémentaire.

À cette fin, 100 000 mètres carrés de surfaces additionnelles sont en cours de réalisation, notamment une nouvelle aérogare, joignant les terminaux Ouest et Sud, ainsi qu’un satellite d’embarquement dédié aux gros-porteurs.

Une enquête publique a bien été ouverte et s’est déroulée jusqu’au 9 novembre 2013, mais elle n’a concerné qu’une fraction du programme de travaux et, surtout, n’a été mise en œuvre que dans cinq communes limitrophes.

Pourtant, plus de trente autres villes du Val-de-Marne, de l’Essonne, et même de Seine-et-Marne, sont touchées par le plan de gêne sonore de l’aéroport. Or elles ne figuraient pas dans le périmètre de cette enquête.

Face à l’augmentation du nombre de passagers qui devrait passer, selon ADP, de 27 millions à 40 millions, et alors qu’aucune nouvelle plateforme n’est prévue pour absorber la hausse du trafic aérien, les élus du Val-de-Marne et certains de l’Essonne s’élèvent contre un dépassement de l’objectif de plafonnement de cet aéroport enclavé à 200 000 mouvements. Ils s’opposent également à l’objectif annoncé d’accueillir de gros-porteurs en nombre, ce qui aurait pour conséquence une augmentation des nuisances sonores, de la pollution de l’air, des contraintes d’urbanisme, ainsi que des risques d’accident.

Il est donc normal que les riverains de toutes les communes concernées puissent être consultés, avoir accès aux documents techniques du projet et donner leur avis.

Croyant savoir que le ministère s’est déjà prononcé sur cette question, notamment lors d’une audience accordée à l’association Ville et Aéroport, au cours de laquelle vous vous seriez déclaré favorable à un élargissement de la consultation aux communes concernées, Christian Cambon vous demande, par mon intermédiaire, de confirmer votre accord pour élargir la concertation sur ce projet. D’ailleurs, depuis que mon collègue a posé cette question, la commission d’enquête publique a rendu un avis favorable à l’extension de l’aéroport et suggéré que la Commission nationale du débat public mène une enquête à cette fin.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, après votre exposé de la situation, je ne reviendrai pas sur la description du projet visé, bien connu maintenant. Je soulignerai juste qu’il est erroné de continuer à parler de 40 millions de passagers en termes de cible de trafic sur lequel ce projet a été élaboré. L’enjeu auquel doit répondre ADP est, conformément à sa mission, de traiter convenablement la croissance naturelle du trafic à venir, établie à environ 32 millions de passagers, comme cela est indiqué dans les documents du dossier d’enquête publique.

Je constate que ce projet suscite des inquiétudes – j’ai eu l’occasion de rencontrer les élus des communes visées dont vous vous faites le porte-parole, madame la sénatrice –, bien qu’ADP ait déjà procédé à une cinquantaine de présentations au profit d’une centaine d’élus de collectivités riveraines. Je vous confirme que, à la suite de ma rencontre avec l’Association Ville et Aéroport, à laquelle vous avez fait référence, ADP a accédé à ma demande de poursuivre ses démarches de présentation auprès des communes concernées par le plan de gêne sonore en envoyant d’ores et déjà un courrier à tous les maires de ces communes pour les inviter à reprendre contact s’ils le souhaitent.

L’objectif de ce projet est de moderniser l’outil aéroportuaire d’Orly afin de le mettre au niveau des standards internationaux de qualité de service pour les passagers et, ce faisant, de renforcer le bénéfice socio-économique des territoires desservis. Il ne s’agit aucunement, je le réaffirme avec force, de promouvoir un développement effréné du trafic au détriment des populations qui seraient touchées par les nuisances résultant des activités aériennes.

Le Gouvernement n’aurait d’ailleurs jamais apporté son soutien à un projet qui aurait pour conséquence de revenir sur les caractéristiques fondamentales attachées à l’aéroport d’Orly que sont, par exemple, le couvre-feu nocturne et le plafond de 250 000 créneaux horaires par an. Tous les riverains peuvent être convaincus que le Gouvernement ne procédera à aucun bradage sur ces deux points. Nous y sommes extrêmement attentifs, comme je l’ai rappelé aux élus que j’ai rencontrés.

Par ailleurs, ce projet ne porte pas en lui un accroissement significatif du nombre de mouvements par gros-porteurs, aucune évolution majeure n’étant attendue dans les types de trafic et de destinations sur cet aéroport d’Orly. Notons au passage que l’utilisation de gros-porteurs me paraît aller dans le bon sens du point de vue tant de l’écologie que de l’optimisation. De surcroît, du fait des progrès technologiques, ces engins sont moins bruyants que certains moyens-porteurs actuels.

En outre, que tous soient également rassurés sur le fait que seront respectées les normes de sécurité quels que soient les types d’avions utilisés.

Pour conclure, je souhaite souligner que j’ai reçu le soutien des treize maires des communes membres de l’Association des communes et communautés du Grand Orly. Ceux-ci m’ont fait connaître leur adhésion à ce projet. Pour autant, je sollicite la mise en place d’une concertation optimisée. ADP a répondu en ce sens. Par ailleurs, je suis extrêmement attentif aux préoccupations exprimées par la population et relayées par les élus.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos propos rassurants, quant à la rentabilité et au coût des avions.

Cela étant, le rapport rendu par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur l’avenir de l’aviation civile explique que la situation va fortement évoluer dans le futur. Il est normal, eu égard au tissu urbain aussi dense que celui de l’aéroport d’Orly, que les riverains des communes concernées, dans un rayon très étendu, éprouvent certaines inquiétudes.

Pour notre part, nous estimons que la modernisation d’Orly est indispensable, car le plus vieil aéroport de la région parisienne n’était plus très pratique. Ses bâtiments seront plus opérationnels et permettront d’améliorer le tourisme d’affaires.

Cependant, une crainte demeure pour les gros-porteurs. Je ne suis pas une technicienne de l’aviation, mais d’aucuns se demandent si ces avions, même de nouvelle génération, ne seraient pas plus bruyants que les anciens. Les nuisances subies par les riverains ne risquent-elles pas d’augmenter ?

Par ailleurs, l’arrêté du 13 mars 2013 a abaissé les recettes de la taxe sur les nuisances sonores aériennes, qui finançait l’aide accordée pour l’insonorisation des logements situés à proximité de l’aéroport. En outre, la loi de finances pour 2014 a limité ces recettes à 49 millions d’euros, soit 6,5 millions d’euros de moins qu’en 2012, tout en élargissant paradoxalement le périmètre de couverture.

Dans ces conditions, comment les riverains pourraient-ils ne pas être inquiets et ne pas se demander s’il n’existe pas une contradiction entre, d’un côté, l’affichage du Gouvernement, qui affirme soutenir le projet d’extension de l’aéroport d’Orly sous réserve que les contraintes imposées respectent les riverains, et, de l’autre, les mesures proposées.

En tout état de cause, je me réjouis que la consultation puisse être étendue. Compte tenu de l’étonnement de la commission d’enquête face au nombre de remarques qu’elle a reçues et des inquiétudes exprimées à ce sujet, il est légitime que nous allions plus loin pour y répondre.

financement des maisons de l'emploi et de la formation

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, auteur de la question n° 605, adressée à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur la situation actuelle et à venir des maisons de l’emploi et de la formation.

Comme vous le savez, ces structures, créées en 2005, sont placées sous la responsabilité des collectivités territoriales et sont financées en grande partie par l’État. Elles développent, avec l’ensemble de leurs partenaires, publics et privés, des diagnostics et construisent des plans d’actions au plus près des attentes et des besoins du marché de l’emploi, du territoire sur lequel elles sont installées.

Véritable outil territorial de proximité, à la fois réactif et adaptable, ces maisons de l’emploi sont vraiment au cœur des réalités locales et des mutations économiques territoriales. Lorsqu’elles fonctionnent pleinement – c’est le cas d’une majorité d’entre elles –, elles limitent la dégradation des situations rencontrées sur leur bassin d’emploi, en gérant territorialement les ressources humaines, en favorisant la mobilité tant géographique que professionnelle et en travaillant activement, en amont, à la réduction des freins à l’embauche.

Dans un contexte de crise économique et de chômage persistant, ces maisons représentent, sans conteste, des acteurs primordiaux qui peuvent apporter une vraie valeur ajoutée aux politiques nationales en faveur de l’emploi. Elles ont déjà fait leurs preuves.

Par ailleurs, alors que, depuis leur création, les crédits alloués à leur fonctionnement ont été réduits, elles ont su évoluer jour après jour, notamment en mettant en œuvre le deuxième cahier des charges publié en 2008, en s’adaptant constamment aux forces et faiblesses de leur territoire et en essayant d’optimiser leurs actions.

Aujourd’hui, compte tenu des réductions drastiques de crédits confirmées par le Gouvernement – les autorisations d’engagement sont divisées par deux, puisqu’elles passent de 54 millions d'euros à 26 millions d'euros, ce qui représente tout de même une baisse considérable – et de l’incertitude concernant la programmation des fonds sociaux européens pour la période 2014-2020, les maisons de l’emploi sont inquiètes.

Il est impensable de remettre en cause la continuité du travail de qualité qui a été entrepris jusqu’à maintenant, en particulier par les structures qui ont créé un véritable dialogue territorial avec les acteurs économiques et les branches professionnelles. Ces structures complètent les agences de Pôle Emploi sans leur faire concurrence ni créer de doublon ; les unes et les autres fonctionnent de manière très complémentaire. Il est donc important de soutenir et d’encourager les maisons de l’emploi, à travers un nouveau cahier des charges qui ne restreigne pas de façon excessive leur champ d’intervention.

Outre la mise en place annoncée d’une enveloppe supplémentaire de 10 millions d'euros destinée à des projets relatifs à la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, la GPEC, territoriale, je souhaite connaître les mesures précises que le Gouvernement envisage afin de maintenir le niveau de financement de ces organismes – il s’agit de leur permettre de perdurer, de ne pas disparaître – et de prendre en compte la situation spécifique de chaque maison de l’emploi pour que toutes puissent pleinement participer, au-delà de l’année prochaine, à la rénovation du service public de l’emploi et à la réussite des politiques de l’emploi de demain.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, vous avez bien voulu attirer l’attention de mon collègue Michel Sapin, dont je vous prie d’excuser l’absence, sur le financement des maisons de l’emploi.

La priorité donnée par le Gouvernement à l’emploi et à la lutte contre le chômage est confirmée par la croissance des crédits qui y sont consacrés : ceux-ci augmentent d’environ 7 % par rapport à 2013. Toutefois, cette priorité ne nous exonère pas d’un questionnement sur le périmètre d’intervention de l’État. La loi de finances pour 2014 prévoit ainsi une diminution des crédits affectés aux maisons de l’emploi et confirme le recentrage des missions financées par l’État, que le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a souhaité mettre en œuvre à partir de 2014.

L’ensemble des rapports récents soulignent en effet le manque de clarté des missions confiées aux maisons de l’emploi, qui apparaissent très hétérogènes selon les implantations. Le rôle de ces structures doit être clarifié. Comme Michel Sapin l’a expliqué, la diminution par deux des crédits – les autorisations d’engagement passent de 54 millions d'euros en 2013 à 26 millions d'euros en 2014 – ne signifie pas une diminution uniforme pour toutes les maisons de l’emploi.

La principale plus-value apportée par ces dernières aux acteurs du service public de l’emploi, aux partenaires sociaux et aux collectivités, est la GPEC à l’échelon territorial. Les parlementaires ont donc souhaité, avec l’accord du Gouvernement, compléter les crédits affectés aux maisons de l’emploi par une enveloppe supplémentaire de 10 millions d'euros destinée à des projets relatifs à la GPEC territoriale élaborés par les maisons de l’emploi dans chaque région.

Dès 2014, les maisons de l’emploi devront par conséquent concentrer leur activité subventionnée par l’État sur des actions ciblées, en veillant à leur qualité et à l’absence de concurrence avec d’autres acteurs intervenant sur le même territoire. Les actions ciblées relèveront des champs suivants : la participation à l’anticipation et à l’accompagnement des mutations économiques et la contribution au développement de l’emploi local. Cette évolution de l’activité des maisons de l’emploi se traduira par une révision de l’arrêté du 21 décembre 2009 portant cahier des charges des maisons de l’emploi. Les crédits de l’État seront affectés aux maisons de l’emploi à partir d’une méthodologie commune basée sur des critères objectifs. Sur cette base, l’allocation des crédits de l’État au titre du fonctionnement des structures sera différenciée selon la plus-value de chacune d’entre elles.

Par ailleurs, le ministre du travail a demandé aux préfets de travailler avec les collectivités locales responsables de ces structures à la recherche de mutualisations et de regroupements de structures sur des bassins d’emploi. Ce dialogue concernera également l’évolution des structures et l’accompagnement des personnels, qui pourraient, en fonction des décisions locales, être amenés à rechercher des perspectives professionnelles auprès d’autres partenaires, tels que Pôle Emploi, les missions locales ou les cités des métiers.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le ministre, votre réponse comporte des éléments intéressants, mais il faut éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Pour le dire sans langue de bois, lors de la montée en puissance des maisons de l’emploi – en tant qu’élu local, je l’ai suivie de près –, il a fallu que l’on se batte contre l’administration et contre le sentiment selon lequel seul un service public centralisé pouvait gérer les problématiques d’emploi. Nous avons su développer les maisons de l’emploi, souvent à partir d’expériences préexistantes ; les maisons de l’emploi qui fonctionnent ne sont pas apparues en 2005 sur des territoires inexplorés. Nous avons vraiment obtenu des résultats, avec davantage d’adaptabilité et de réactivité, même si sont apparues des tensions avec Pôle Emploi, qui montait également en puissance, pour des raisons tout à fait compréhensibles.

Si l’on n’y prend garde, on va recentraliser, comme trop souvent, et y compris en ce moment, dans notre pays. Il y aura toujours de bons esprits, dans les administrations centrales, pour pointer un certain nombre d’échecs – ils existent – afin de pousser à la recentralisation. La rareté de l’argent public peut aussi y inciter. Cependant, on perd du même coup la capacité de prendre des décisions au plus près des réalités, d’être réactif, de s’adapter à des terrains économiques très divers. C’est dommage.

Monsieur le ministre, ce qu’il y a de positif dans votre réponse, c’est l’idée qu’il faut analyser la diversité des situations – les réussites comme les échecs – et apporter une réponse financière en fonction des résultats, a fortiori dans un contexte de marges de manœuvre très faibles. On peut certes faire disparaître sans le dire les maisons de l’emploi – la vie continuera –, mais ce serait vraiment dommage. Je pense qu’il faut au contraire aider les maisons de l’emploi à évoluer, afin qu’elles trouvent leur place à côté du service public tout en agissant peut-être plus près du terrain.

élèves en situation de handicap dans le réseau de l’enseignement français à l’étranger

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, auteur de la question n° 604, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger.

Mme Claudine Lepage. La loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a apporté des avancées historiques pour les élèves en situation de handicap, puisqu’elle prévoit que le service public de l’éducation « veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction ». Les moyens mis en œuvre pour garantir cette inclusion sont considérables. Notre assemblée avait déjà montré, dans un rapport du mois de juillet 2012 évaluant l’application de la loi de 2005 sur le handicap, les avancées notables réalisées dans le domaine de l’éducation. La hausse de 3,4 % du budget consacré au handicap dans la loi de finances pour 2014 est également un signe fort d’une politique volontariste dans ce domaine.

Je me félicite que la prise en change du handicap dans l’enseignement français à l’étranger ait également été améliorée. Pour la majorité des 2 159 élèves en situation de handicap scolarisés dans le réseau, les effets de cette scolarisation sont positifs, grâce aux nombreux dispositifs gérés par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE ; je pense notamment au projet personnalisé de scolarisation, mis en place à la rentrée 2012. La circulaire du 27 décembre 2011 définit les modalités d’organisation des examens et concours pour les Français de l’étranger présentant un handicap, alors que la circulaire de 2006 n’évoquait que le territoire national. L’AEFE a également recruté à la rentrée 2012 une adjointe au chef du service pédagogique spécialiste du handicap, ainsi que davantage d’inspecteurs « adaptation scolaire et scolarisation des élèves handicapés ».

Néanmoins, des problèmes subsistent. Par exemple, l’information des familles est imparfaite. L’aide à la prise en charge par un auxiliaire de vie scolaire, un AVS, est insuffisante, puisqu’elle ne concerne que les familles boursières. Les AVS sont recrutés et rémunérés par les familles. Leur formation et leur professionnalisation doivent être améliorées. L’absence de services de soins adaptés, notamment du point de vue de la langue, est une difficulté persistante, de même que le manque de personnels agréés pour élaborer des diagnostics médicaux permettant d’obtenir des aménagements d’examens. La formation des enseignants sur la question du handicap n’est pas assez poussée.

Il est d’autant plus nécessaire de s’assurer qu’aucun enfant handicapé ne puisse être exclu de fait des établissements d’enseignement français à l’étranger qu’il n’existe parfois aucune alternative dans le système local. C’est pourquoi, madame la ministre, je vous remercie d’ores et déjà de m’indiquer quelles mesures le Gouvernement va encore mettre en œuvre afin de poursuivre dans la voie d’une meilleure prise en charge du handicap dans l’enseignement français à l’étranger.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l’étranger. Madame Lepage, vous m’interrogez sur l’accompagnement des élèves en situation de handicap dans les établissements d’enseignement français à l’étranger. Je vous en remercie.

Je souhaite tout d'abord vous assurer que je tiens à ce que ces enfants soient accueillis au sein de notre réseau dans les meilleures conditions possibles. C’est pourquoi le plan d’actions que nous avons élaboré en faveur de l’enseignement français à l’étranger précise clairement l’objectif de faire profiter pleinement nos jeunes compatriotes, comme leurs camarades étrangers, des dispositions relatives à l’inclusion, en particulier celles qui concernent l’accompagnement des élèves en difficulté ou en situation de handicap, de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Cette dimension faisait partie du plan d’orientation stratégique de l’AEFE ; elle sera renforcée dans le nouveau plan qui sera mis en place dans les prochains mois.

Notre réseau est un réseau d’excellence, et non un réseau élitiste. Il doit continuer à œuvrer pour la réussite de tous les enfants. Au 16 décembre 2013, selon les données recueillies par l’AEFE auprès des 254 établissements du réseau, le nombre d’élèves en situation de handicap accueillis était un peu plus élevé que celui que vous avez cité, puisqu’il atteignait 3 048. Du fait de la dispersion des élèves concernés, il n’est pas possible de créer dans les établissements d’enseignement français à l’étranger des structures telles que les classes pour l’inclusion scolaire, les CLIS, pour le primaire, ou les unités localisées pour l’inclusion scolaire, les ULIS, pour le secondaire.

Afin d’améliorer l’accueil de ces élèves, l’AEFE a mis en place, depuis la rentrée 2012, un document intitulé « projet personnalisé de scolarisation » dans tous les établissements du réseau. Il permet une harmonisation des pratiques et un meilleur suivi de l’élève en cas de changement d’établissement dans le réseau. En outre, ce document peut être utilisé en France par les maisons départementales des personnes handicapées.

Une centaine d’AVS apportent leur concours aux élèves ; 76 % d’entre eux interviennent à temps partiel. Les familles françaises peuvent obtenir, sur critères sociaux, une aide au financement d’un AVS via le service de l’aide à la scolarité de l’AEFE. Par ailleurs, comme vous l’avez rappelé, l’Agence a recruté à la rentrée 2012 une adjointe au chef du service pédagogique spécialiste du handicap, qui anime notamment des stages de formation sur l’accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers et des élèves souffrant de troubles des apprentissages, de dyslexie, par exemple.

Enfin, pour répondre à vos inquiétudes au sujet de la formation, je vous annonce que dix-huit stages spécialisés de trois jours ont été prévus par les plans régionaux de formation pour l’année 2013-2014.

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Madame la ministre, je vous remercie de vos propos et des informations que vous m’avez données. S'agissant du manque d’information des familles, l’AEFE pourrait peut-être élaborer un vade-mecum destiné à la fois aux établissements et aux familles. Il me semble d'ailleurs qu’il en a été question lors du dernier conseil d’administration de l’AEFE.

Le problème de la formation des AVS est particulièrement important. Comme je l’ai souligné, dans certains pays, ce sont les familles qui recrutent directement les AVS. Par conséquent, les AVS ne sont pas toujours des personnes formées à l’accompagnement des enfants en situation de handicap.

Cependant, je suis bien consciente que les établissements situés à l’étranger ne peuvent pas offrir exactement les mêmes services que les établissements situés en France, et je sais que l’AEFE fait tout son possible depuis quelques années pour accueillir tous les enfants.

sécurité sociale des élus

M. le président. La parole est à M. Michel Houel, auteur de la question n° 584, transmise à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

M. Michel Houel. Madame la ministre, l’article 18 de la loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 tend à affilier tous les élus locaux au régime général de la sécurité sociale pour l’ensemble des risques – maladie, vieillesse, accident du travail, maladies professionnelles – et à assujettir aux cotisations de sécurité sociale depuis le 1er janvier 2013 les indemnités de fonction des élus n’ayant pas suspendu leur activité professionnelle pour se consacrer à leurs mandats, de ceux qui sont à la retraite ou de ceux qui sont en situation de chômage, dont le montant total brut est supérieur à 1 543 euros par mois, soit la moitié du plafond de la sécurité sociale, et ce à partir du premier euro.

Cependant, si l’élu cesse ou suspend toute activité professionnelle pour l’exercice de son mandat, ses indemnités sont assujetties aux cotisations de sécurité sociale, même si leur montant est inférieur à 50 % du plafond de la sécurité sociale.

L’assujettissement aux cotisations de sécurité sociale concerne bien sûr les indemnités se rapportant aux mandats ayant débuté après le 1er janvier 2013, mais également à ceux qui sont en cours à cette date pour la période de mandat postérieure. Un rappel de cotisations à compter du 1er janvier 2013 aura donc été effectué pour toutes les indemnités.

Le texte en cause ouvre le débat sur la qualification du mandat d’élu local de proximité. En effet, bien qu’il n’existe toujours pas de statut de l’élu local, le législateur a anticipé en considérant le mandat de l’élu comme une profession alors que, dans la réalité, il correspond non pas un métier ou à une activité salariée, mais à un engagement citoyen.

Traditionnellement, les indemnités visent à compenser les frais engagés, la disponibilité nécessaire et la perte de revenus occasionnée par le temps consacré à l’exercice d’un mandat.

De plus, ce changement est inclus dans la partie recettes de la loi de financement de la sécurité sociale et affecte les budgets personnel et institutionnel de façon importante. En effet, le coût correspondant n’est pas anodin : charges patronales supplémentaires de 28,6 % au minimum et, pour les élus, une réfaction de 7,60 % au minimum sur leurs indemnités.

Madame la ministre, les conséquences de ces mesures sont donc considérables pour nombre d’élus. Aussi, je demande au Gouvernement de bien vouloir procéder à une révision de ce texte.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez précisé dans votre question, c’est bien l’article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 qui avait pour objet l’affiliation au régime général de la sécurité sociale des élus locaux et des délégués des collectivités territoriales membres d’un établissement public de coopération intercommunale. Cette disposition, qui améliore la protection sociale des élus locaux, a été envisagée dans un souci d’équité.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 visait également à assujettir les indemnités de fonctions de ces élus aux cotisations d’assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales.

Cet assujettissement au premier euro intervient dès lors que le montant total des indemnités de fonction dépasse une fraction de la valeur du plafond de la sécurité sociale, le PASS, ou que l’élu suspend son activité professionnelle pour l’exercice de son mandat.

Aux termes du décret n° 2013-362 du 26 avril 2013 relatif aux conditions d’affiliation des élus locaux au régime général de la sécurité sociale, le seuil d’assujettissement est fixé à la moitié du PASS, ce qui correspond à une indemnité mensuelle totale de 1 543 euros.

Les élus percevant un total d’indemnité de fonction inférieur à ce seuil mensuel, comme c’est le cas notamment pour les maires des communes de moins de 1 000 habitants ou pour les adjoints au maire des communes de moins de 50 000 habitants, ne sont donc pas concernés par cette nouvelle cotisation.

Il faut savoir que les élus locaux dont les indemnités sont assujetties au régime général de la sécurité sociale verront leur couverture sociale améliorée par la perception de prestations en nature et en espèces au titre des assurances maladie, maternité, accidents du travail, de trajet et maladies professionnelles. Ils pourront également compléter leurs droits à retraite auprès de l’assurance vieillesse du régime général de la sécurité sociale.

Monsieur le sénateur, il est important de préciser que le projet de décret a fait l’objet d’un examen approfondi par la commission consultative d’évaluation des normes, la CCEN, au cours de deux séances qui ont eu lieu au premier trimestre 2013. Une concertation avec les associations d’élus s’est tenue également en amont de la publication de ce texte.

C’est pourquoi le Gouvernement, souhaitant maintenir les améliorations apportées à la protection sociale de ces élus, n’envisage pas de modifier le seuil d’assujettissement fixé par le décret du 26 avril 2013.

Concernant plus largement le statut de l’élu local, le Gouvernement s’était engagé, à la suite des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat au mois de septembre 2012, à soutenir l’initiative prise par votre assemblée pour l’amélioration des conditions d’exercice des mandats locaux.

Ainsi, le Sénat a voté la proposition de loi déposée par Mme Gourault et M. Sueur le 29 janvier 2013 avec le soutien du Gouvernement. L’Assemblée nationale l’a à son tour examinée, amendée et adoptée le 18 décembre dernier, et j’ai le plaisir de vous annoncer que la deuxième lecture de ce texte est prévue au Sénat le 22 janvier prochain.

M. le président. La parole est à M. Michel Houel.

M. Michel Houel. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse qui va dans le bon sens, puisque vous souhaitez améliorer encore la proposition de loi en navette qui était nécessaire pour que les élus cessant leur activité puissent bénéficier d’une couverture sociale. Ce dispositif, réclamé depuis très longtemps, était incontournable. J’ai voté ce texte en première lecture et je suis heureux de savoir que nous allons très prochainement le retravailler.

conséquences de la réforme de la fiscalité sur le foncier non bâti

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre, auteur de la question n° 569, transmise à M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget.

M. Jean-Jacques Lasserre. Madame la ministre, ma question, que j’avais adressée à M. le ministre de l’économie et des finances en première intention, porte sur les conséquences de la réforme de la fiscalité sur le foncier non bâti non seulement pour les agriculteurs, mais également pour l’ensemble des populations concernées.

En effet, la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 a considérablement modifié les dispositions du code général des impôts concernant la taxe foncière sur les propriétés non bâties.

Ainsi, à partir de 2015, et non plus de 2014 à la suite de l’adoption d’un amendement lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2014, le calcul de la taxe foncière va être modifié : la valeur cadastrale des terrains classés constructibles et situés dans des communes soumises à la taxe sur les logements vacants – vingt-quatre communes précisément dans le département des Pyrénées-Atlantiques – sera majorée de 25 % et de 5 euros par mètre carré, ce qui correspond à une majoration minimale de 50 000 euros de la base imposable pour un hectare, avant de passer à 10 euros par mètre carré à partir de 2017.

Cette mesure pourrait paraître juste dans la mesure où elle semble de nature à permettre de lutter contre la rétention foncière et contre les comportements spéculatifs, mais, dans les faits, ces terres sont la plupart du temps exploitées par des agriculteurs, en général fermiers. Dans ces cas de figure, les plus répandus, même si ce ne sont pas les seuls, cette disposition va créer de graves difficultés aux exploitants agricoles.

Par ailleurs, au-delà des fermiers, seront également concernés de très nombreux petits propriétaires de terrains constructibles dont la situation financière est modeste et qui n’ont absolument rien à voir avec la spéculation foncière.

L’amendement adopté dans le cadre de la loi de finances pour 2014 qui tend à repousser d’un an l’application de cette majoration est malheureusement insuffisant, car il ne fait que différer le problème. Cette mesure semble totalement absurde et très handicapante dans le contexte actuel.

Depuis la publication de cette nouvelle règle, de très nombreuses sociétés interviennent sur les communes touchées par cette majoration, notamment auprès des propriétaires éventuellement concernés, ce qui entraîne une situation extrêmement confuse, qui se retourne précisément contre l’objectif initial du texte. Je vous demande donc, madame le ministre, si des modifications sont en préparation afin d’abandonner définitivement cette mesure.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. le ministre chargé du budget.

Vous avez appelé notre attention sur la majoration de la taxe foncière sur les propriétés non bâties portant sur les terrains constructibles prévue à l’article 1396 du code général des impôts.

Afin de renforcer la portée de cette majoration et d’augmenter le coût d’opportunité de la rétention de certains terrains, la loi de finances pour 2013 prévoyait de l’appliquer de plein droit dans les zones tendues. Le tarif de cette majoration a été fixé à 5 euros le mètre carré à compter du 1er janvier 2014, puis à 10 euros le mètre carré à partir du 1er janvier 2017.

Ces dispositions incitatives doivent cependant être compatibles avec un aménagement durable du territoire, en particulier avec la préservation d’une agriculture de proximité. Il s’agit d’une question particulièrement sensible dans des territoires tels que les Pyrénées-Atlantiques, ce qui a d’ailleurs conduit Mme la sénatrice Frédérique Espagnac à saisir également M. le ministre chargé du budget de cette question à laquelle tend à répondre l’article 84 de la loi de finances pour 2014 en reportant à 2015 l’application de la majoration de plein droit. Il exclut également du champ d’application du dispositif les terrains utilisés pour les besoins d’une exploitation agricole, qu’ils soient exploités directement par le propriétaire ou donnés à bail à un agriculteur.

Cette exclusion n’est pas limitée dans le temps et concerne aussi bien les communes où s’applique la majoration de plein droit que celles qui ont institué la majoration sur délibération. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier dernier.

Ce recentrage de la majoration facultative, qui s’appliquait aux terrains utilisés pour les besoins d’une exploitation agricole depuis son institution par la loi du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale, démontre toute l’attention que le Gouvernement porte aux agriculteurs. Ainsi, sur l’ensemble du territoire, les objectifs de libération du foncier et d’accélération de la construction de logements sont conciliés avec la préservation des exploitations agricoles.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.

M. Jean-Jacques Lasserre. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, mais je tiens à apporter les précisions suivantes.

Si le report d’une année et le sort, si je puis dire, réservé aux exploitants agricoles sont positifs, ils sont à mon sens insuffisants, puisque les agriculteurs exploitants ou propriétaires ne sont pas les seuls touchés par cette mesure.

À cet égard, il est très regrettable de constater ce qui se passe sur le terrain pour anticiper la promulgation de ce nouveau dispositif. Ainsi, les différents intervenants, notamment les promoteurs immobiliers, pour parler très franchement, spéculent sur le désarroi des populations concernées pour essayer d’accélérer les transactions foncières. Par ailleurs, force est de constater que, notamment pour les investissements en matière de logements publics, les collectivités locales ne sont pas concernées, car elles n’ont pas les moyens de passer immédiatement à la construction de nouveaux logements.

Aussi, selon moi, comme le dispositif tend à se retourner contre les intentions originelles du législateur, la seule solution équilibrée serait de le suspendre de manière générale et définitive.

9

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'une proposition de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi visant à mettre en place un dispositif de réduction d’activité des moniteurs de ski ayant atteint l’âge de liquidation de leur pension de retraite et souhaitant prolonger leur activité au bénéfice des nouveaux moniteurs, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 11 décembre 2013.

10

Nomination de membres de commissions

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste et apparentés a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et une candidature pour la commission des finances.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :

- M. Didier Marie, membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de M. Jacques Chiron, démissionnaire ;

- M. Jacques Chiron, membre de la commission des finances, en remplacement de M. Marc Massion, démissionnaire de son mandat de sénateur.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel

M. le président. La séance est reprise.

11

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention est fondée sur l’article 36 de notre règlement.

Le Président de la République vient de demander au Gouvernement de légiférer plus souvent par ordonnances ou par décret, afin d’accélérer encore le vote des lois et raccourcir, de facto, le débat parlementaire. (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.)

Cette injonction du chef de l’État suscite beaucoup d’interrogations et interpelle tout particulièrement celles et ceux qui estiment que le débat démocratique est un facteur d’efficacité, de qualité, et non pas un frein.

François Hollande entend ainsi utiliser pleinement les dispositions de la Constitution de la VRépublique qui ont entraîné un déséquilibre institutionnel au profit de l’exécutif et au détriment du pouvoir législatif.

Même si François Mitterrand, en son temps, avait renoncé aux véhémentes critiques du « coup d’État permanent », il avait maintenu son opposition à la pratique des ordonnances puisque, rappelez-vous, il avait même refusé de signer celles préparées par son Premier ministre, Jacques Chirac, et alors votées par le Parlement.

François Hollande, lui-même dans l’opposition, avait vertement critiqué l’utilisation de cette procédure qui, rappelons-le, court-circuite radicalement le Parlement en retirant de fait le droit d’amendement, puisque le Parlement se dessaisit expressément de son pouvoir législatif au profit du Gouvernement.

Alors, je tiens, en ce début d’année, à le signifier très clairement : un Président de gauche n’a pas été élu pour restreindre les droits du Parlement. (Ah ! sur plusieurs travées de l’UMP.)

M. Alain Fouché. Très bien ! 

Mme Éliane Assassi. La restauration des droits du Parlement figurait même en bonne place dans les propositions du candidat François Hollande.

Comme, malheureusement, sur d’autres points, un fossé se creuse entre ce qui était promis et ce qui est mis en œuvre.

Mme Éliane Assassi. Depuis le début de la législature, nous avons noté un manque patent de respect du Parlement : multiplication du recours à la procédure accélérée, utilisation abusive et répétée du vote bloqué et même généralisation de la seconde délibération au Sénat, annihilant les débats, parfois de plusieurs jours, comme sur les lois de finances et de financement de la sécurité sociale.

M. Gérard Longuet. C’est très bien vu !

Mme Éliane Assassi. À cela s’ajoute un ordre du jour pléthorique qui ne permet pas un travail sérieux, ce qui se retrouve d’ailleurs dans les remarques formulées par le président du Conseil Constitutionnel.

Je vous demande donc solennellement, monsieur le président, de rappeler au Gouvernement et à la Présidence de la République, que le pouvoir législatif doit être pleinement respecté dans la démocratie.

Nous nous approchons dangereusement depuis plusieurs années d’une ligne rouge au-delà de laquelle la démocratie parlementaire devient virtuelle.

Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, que j’ai l’honneur de présider, posent cette question simple à M. Hollande : un Parlement respecté est-il un atout pour la démocratie ou une entrave ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue. Je transmettrai votre message.

M. Gérard Longuet. Au Président de la République ! (Sourires.)

12

Démission et remplacement de sénateurs

M. le président. J’ai reçu une lettre de M. Marc Massion par laquelle il se démettait de son mandat de sénateur de la Seine-Maritime, à compter du mardi 31 décembre 2013, à minuit.

En application de l’article L.O. 320 du code électoral, il est remplacé par M. Didier Marie, dont le mandat de sénateur de la Seine-Maritime a commencé le mercredi 1er janvier 2014, à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue.

J’ai par ailleurs reçu une lettre de M. Louis-Constant Fleming par laquelle il se démettait de son mandat de sénateur de Saint-Martin, à compter du mardi 31 décembre 2013, à minuit.

À la suite de la cessation du mandat de M. Louis-Constant Fleming, sénateur de Saint-Martin, le siège détenu par ce dernier est devenu vacant et sera pourvu selon les termes de l’article L.O. 322 du code électoral lors du prochain renouvellement partiel du Sénat.

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Débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, débat organisé à la demande de la mission commune d’information (rapport d’information n° 49).

Madame la ministre, mes chers collègues, même si j’aurai le plaisir de vous présenter mes vœux la semaine prochaine, je souhaite d’ores et déjà à chacune et à chacun d’entre vous une très bonne année.

Nous commençons cette première séance de 2014 par un débat qui nous concerne directement, l’organisation décentralisée de notre République. Nous allons donc débattre de sujets qui sont au cœur des préoccupations du Sénat, et qui sont aussi des questions essentielles pour notre pays.

Nous l’avons à l’esprit, 2013 a été une année parlementaire largement consacrée à l’organisation des collectivités territoriales.

M. Éric Doligé. Ce qu’il en reste !

M. le président. Nos travaux se sont d’ailleurs achevés le 19 décembre par l’adoption des conclusions modifiées de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles. Puisqu’ils sont présents parmi nous, je tiens à saluer le rapporteur de ce texte, notre collègue René Vandierendonck, le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, ainsi que Claude Dilain, Jean-Jacques Filleul et Jean Germain, rapporteurs pour avis.

En 2013, nous avons également examiné deux propositions de loi qui ont vocation à faciliter l’action locale : la première, qui est relative à la création du Conseil national d’évaluation des normes, a été adoptée définitivement, et à l’unanimité, le 7 octobre 2013 ; la seconde, qui porte sur les conditions d’exercice des mandats locaux, sera discutée ici même en deuxième lecture le 22 janvier prochain.

Enfin – et j’en viens au débat de cet après-midi –, notre assemblée a approfondi sa réflexion sur l’organisation territoriale de notre pays, grâce aux travaux de la mission commune d’information qu’a présidée – et je tiens à le saluer –Jean-Pierre Raffarin et dont Yves Krattinger a été le rapporteur engagé et efficace.

Ces travaux constituent donc un apport supplémentaire de notre assemblée en matière de décentralisation. La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation en a été, si je puis dire, le creuset, sur l’initiative de sa présidente, Jacqueline Gourault, qui ne peut être présente cet après-midi et vous prie de l’en excuser, avec le concours actif de nos collègues Edmond Hervé, Claude Belot, Claude Jeannerot et Jean-Claude Peyronnet, qui s’exprimera tout à l’heure.

Mes chers collègues, avec ce débat sur les conclusions de la mission commune d’information, c’est par conséquent une nouvelle étape qui s’ouvre.

C’est donc bien sous de nouveaux auspices que nous commençons la nouvelle année. Je m’en réjouis.

La parole est à M. le président de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République. Monsieur le président, je vous remercie de présider personnellement cette séance de la Haute Assemblée sur ce qui peut être considéré comme le cœur de notre métier.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en effet, la décentralisation a toujours été un grand projet politique pour nous, sénateurs, mais aussi pour tous ceux qui ont la vision d’une République qui doit rester en phase avec le citoyen, proche de lui.

Il s’agit pour nous de réfléchir non pas au pouvoir des élus, mais avant tout à la place du citoyen et à l’efficacité de la décision publique.

L’œuvre de décentralisation qui s’accomplit depuis de nombreuses années vise à rapprocher la décision du citoyen et à faire en sorte que cette proximité soit source de légitimité.

De ce fait, la décentralisation n’est pas un sujet technique, mais une ambition politique dans la République, visant à ce que les pouvoirs soient au plus près du citoyen, lequel apporte ainsi sa part de responsabilité dans le processus de décision.

Depuis la Révolution, à toutes les étapes majeures de l’histoire de notre République – que l’on se souvienne du programme de Nancy ! –, des efforts ont été accomplis pour que les institutions de la France « vivent » au plus près du citoyen. Je pense aussi à la République moderne de Mendès France et à toutes les grandes orientations qui ont pu être engagées : par le général de Gaulle, qui avait perçu l’importance de la dimension régionale, et par tous les présidents de la Ve République qui ont tous, au travers de leur action, œuvré en faveur de la décentralisation, avec plus ou moins d’enthousiasme, il est vrai, mais tous avec l’exigence que nos institutions restent accrochées au terrain et que la proximité soit une valeur de notre République.

Au cours de ces vingt dernières années, des étapes considérables ont été franchies.

L’acte I de la décentralisation a entraîné un changement fondamental, une transformation radicale de l’organisation des pouvoirs dans notre République. Et tous ceux qui, à l’instar des sénateurs, ont l’expérience de la vie territoriale ont pu mesurer combien les responsabilités avaient évolué sur le terrain. Le rôle du préfet a ainsi considérablement changé : alors qu’il décidait de tout, il est devenu un « metteur ensemble ».

Dans le domaine de l’éducation, la situation a aussi été modifiée dès lors que les collèges étaient placés sous la responsabilité des départements et les lycées sous celle des régions. Avec ces nouvelles responsabilités, ce courage assumé, on a vu ainsi se transformer la vie de nos territoires.

L’acte II de la décentralisation a permis de développer un certain nombre d’initiatives et de prolonger, par exemple, l’action des personnels de l’éducation nationale. Ont été transférés non seulement des compétences, mais aussi les moyens de la décentralisation. Et l’on a continué dans cette direction. D’autres étapes importantes ont été franchies. Ainsi notre Haute Assemblée est-elle désormais saisie en premier lieu de tous les textes qui concernent l’organisation territoriale. Le concept de « chef de file » a été créé et des principes nouveaux, repris et développés, ont été introduits dans la Constitution, comme ceux de subsidiarité, à l’article 72, et de libre administration.

Je salue tous ceux qui ont engagé ces réformes, ces grandes étapes de la Ve République. Je pense en particulier, pour ce qui concerne l’acte I de la décentralisation, à notre ancien collègue Pierre Mauroy, qui nous a quittés l’année dernière, et à tous les responsables qui ont agi en ce sens sous l’autorité du Président Mitterrand. Je pense aussi à ceux qui ont mis en œuvre l’acte II sous l’autorité du Président Chirac.

La grande crise de 2008 a marqué un coup d’arrêt dans ce processus. Tous les pays ont alors engagé des programmes de relance – la France, la Chine, le Brésil, les États-Unis… –, lesquels étaient très centralisés. Au sommet de chaque État, les équipes dirigeantes ont pris en main le concept de relance et centralisé la lutte contre la crise. Les cabines centrales du pouvoir ont partout cherché à rassembler les manettes pour agir et se battre.

En France, nous avons été particulièrement zélés puisque nous avons créé un « grand emprunt » pour les investissements d’avenir, mais de manière assez centralisée si on établit une comparaison avec les actions engagées dans le passé par les voies de la contractualisation. Cette vision centrale s’est imposée partout, en vue d’organiser la nécessaire lutte contre la crise.

Cette crise a également rendu nécessaire la rationalisation budgétaire : il a fallu faire des efforts, couper dans les budgets et rendre l’organisation des pouvoirs la moins coûteuse possible. D’aucuns ont alors commencé à dire que les collectivités territoriales n’étaient peut-être pas assez rigoureuses et qu’il fallait chercher là aussi l’argent dont la République avait globalement besoin. À partir de 2008 est apparue l’idée selon laquelle la décentralisation coûtait cher et qu’il valait mieux centraliser pour lutter contre la crise. Le processus de décentralisation, qui avait avancé régulièrement jusqu’alors, a donc quelque peu reculé.

Dans ce contexte, l’acte III de la décentralisation faisait figure de relance, ainsi que nous l’espérions. Mais nous avons vu que ce n’était pas si simple, en raison des difficultés budgétaires, de celles liées à l’organisation, des conservatismes, des solidarités et de tous les mécanismes qui peuvent jouer dans une République. C’est la raison pour laquelle, madame la ministre, vous avez été conduite à présenter plusieurs textes, ce qui a donné l’impression d’une segmentation de la vision, d’une fragmentation de la perspective et d’un projet quelque peu dispersé.

Le Sénat a donc estimé nécessaire d’en revenir à une vision globale de la décentralisation.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Sous l’autorité du président Jean-Claude Gaudin, le groupe UMP a donc proposé à notre Haute Assemblée de mener une mission commune d’information en vue de construire la réflexion du Sénat sur les perspectives de la décentralisation.

Pour autant, nous n’avons pas voulu répondre à toutes les questions posées par les différents textes qui nous sont soumis.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Dommage ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Nous avons voulu, au contraire, réfléchir à une perspective à l’horizon 2020-2025, et nous détacher de l’immédiateté pour construire une pensée, une réflexion.

Je tiens à remercier Yves Krattinger, rapporteur de cette mission, ainsi que tous les membres de celle-ci, dont plusieurs sont présents aujourd’hui. Ils ont tous accepté de mettre de côté le débat polémique pour tenter ensemble, non de traiter les problèmes immédiats contenus dans les textes qui nous sont soumis, mais de faire un travail collectif et de dégager des perspectives d’avenir à partir de leur pratique de la décentralisation. Ont participé à ce travail des présidents de conseil général, des responsables de collectivités territoriales, le président Larcher, c’est-à-dire nombre d’hommes d’expérience autour de la même table. Nous avons voulu parler et travailler ensemble, nous avons mené des auditions, nous sommes allés sur le terrain, nous avons veillé à enrichir notre travail d’avis extérieurs.

Nous avons souhaité, surtout, faire sortir du cœur du Sénat les idées d’hommes d’expérience élus au Sénat.

Nous avons finalement pu dégager des consensus et, quelquefois, mener des débats différents de ceux auxquels nous a habitués la vie politique. Car étaient en cause ici les sensibilités territoriales et les expériences du terrain, qui varient selon que nous sommes urbains ou ruraux, que nous avons une vision départementale ou régionale.

Nous avons ainsi constaté qu’il y avait d’autres arbitrages que ceux de la vie politique classique. Dans ce contexte, la mission d’information a voulu mener une démarche de sagesse afin de proposer une réflexion stratégique, fondée sur le principe de base suivant : notre République a besoin, à la fois, d’unité et de diversité.

Il faut, évidemment, reconnaître la diversité de la République. Ainsi, pourquoi vouloir traiter systématiquement le dossier du travail du dimanche de la même façon dans tous les territoires ? Nous avons une grande diversité ; tenons-en compte !

Pour autant, en tant que républicains, nous voulons une République rassemblée et unique. Il nous faut donc choisir l’unité, tout en acceptant la diversité. La question est difficile ! Cela signifie, comme le disait le rapporteur, que nous ne voulons pas d’une France « en dentelle », qui connaîtrait une règle par territoire. Nous voulons, certes, une règle « pour le territoire », mais à condition que celle-ci s’applique de manière nuancée, sensible, en fonction des caractéristiques spécifiques du terrain.

Nous voulons que la diversité française soit non pas niée, mais reconnue. En aucun cas nous ne remettons en cause les valeurs de la République ! Naturellement, il est difficile de concilier ces deux impératifs d’unité et de diversité, mais c’est notre devoir. C’est ce que nous avons fait en souscrivant au « triptyque » que le rapporteur nous a proposé : responsabilité, efficacité et réactivité. En effet, il nous arrive très souvent de devoir traiter des sujets dans l’urgence. C’est alors la réactivité qui fait la qualité de la réponse : plus la décision est rapide et proche, plus elle est efficace.

Forte de ces objectifs, notre mission a formulé une dizaine de propositions, que le rapporteur développera. Je souhaite pour ma part, mes chers collègues, insister sur trois idées qui me paraissent fondamentales.

Tout d’abord, il nous faut rassurer de façon claire tous ceux qui se battent pour nos concitoyens au niveau communal.

Très souvent, au cours de réunions, des maires nous interpellent, car ils craignent la suppression de l’échelon communal. Or nous réalisons combien nous avons besoin de cet espace premier de la République et de ces militants de la première ligne qui incarnent la République aux yeux de nos concitoyens.

Certes, j’ai beaucoup de respect pour les présidents de conseil général (Marques de satisfaction sur plusieurs travées de l’UMP.), de conseil régional (Mêmes mouvements.), pour tous ceux qui assument de hautes responsabilités. Mais je ne suis pas certain que nos concitoyens sachent quelles responsabilités ils assument vraiment.

M. Philippe Dallier. C’est sûr !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. En revanche, les maires, qu’ils gèrent une très grande ville, aussi puissante que Marseille, par exemple, ou une plus petite commune, incarnent la République.

Eux seuls permettent à nos concitoyens de rester en contact avec la République ! C’est un point fondamental de notre approche.

On entend dire, çà et là, qu’il faut supprimer un certain nombre de communes. Il est vrai que certaines sont microscopiques ; ce sont des cas dont on peut discuter. Mais, d’une façon générale, une commune qui compte plusieurs centaines d’habitants doit pouvoir exister !

Pour avoir assumé quelques responsabilités dans notre République, je ne suis pas certain que les services rendus par celle-ci soient aussi bon marché que ceux qui sont fournis par les élus locaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Hervé Marseille applaudit également.)

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Il suffit de constater combien on a besoin de ces élus en certaines circonstances ! On leur confie même des responsabilités quand une circulaire est difficile…

J’y insiste, on a bien besoin, en toutes circonstances, d’élus qui assument les responsabilités ! Cela signifie aussi qu’il faut jouer la carte de l’intercommunalité et ne pas laisser les petites communes isolées.

Oui à la commune, mais oui, aussi, à une intercommunalité (Mme Catherine Troendlé opine.), une intercommunalité « coopérative », selon le terme employé par Yves Krattinger. J’avais parlé, pour ma part, d’intercommunalité « collégiale » ; c’est la seule nuance qui nous sépare… Pour autant, je suis très attaché au mouvement coopératif…

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. … et j’accepte bien volontiers le principe « un homme, une voix ».

L’idée fondamentale que nous défendons est que la communauté de communes est non pas une hiérarchie avec à son sommet un « super maire » qui impose sa règle aux autres, mais une collégialité, une coopérative au sein de laquelle les uns et les autres discutent ensemble, et rendent une décision collective.

Chers amis, notre Haute Assemblée doit rassurer le pays sur ce point : notre volonté est de faire en sorte que l’intercommunalité existe, mais que le principe en soit collégial.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Telle est la première idée structurante du rapport.

Seconde idée structurante : notre pays a besoin d’équilibre. Comme toute la société, les territoires sont soumis à des tensions, qui créent des inégalités. Dans ce contexte, il est nécessaire que nous disposions d’espaces où s’instaure une solidarité entre territoires différents.

Et on voit bien que, dans une société qui est de plus en plus urbaine, dans une société où la « pensée urbaine » devient de plus en plus dominante, il faut porter une attention forte, puissante, généreuse à la ruralité et considérer cette dernière dans le mouvement global de la société. Sinon, les inégalités, les distorsions ne feront que s’aggraver.

Or, mes chers collègues, dans quel espace est-on attentif à la ruralité, dans quel espace veille-t-on d'abord aux équilibres ? Dans l’espace départemental !

MM. Éric Doligé et Alain Fouché. Eh oui !

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Défendre la ruralité aujourd'hui et, au-delà, défendre l’équilibre, c’est défendre un espace dans lequel l’équilibre a du sens.

Pour des raisons diverses et multiples, je pense aux scrutins électoraux (Ah ! sur plusieurs travées de l’UMP.), sur lesquels il y a beaucoup de choses à dire.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. En tout état de cause, il est clair que, tant que les régions seront élues à la proportionnelle telle qu’elle existe aujourd'hui, ce sont les zones urbaines qui feront la vie régionale.

Un sénateur du groupe UMP. Eh oui !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. De ce point de vue, l’espace départemental est le plus approprié, y compris avec le nouveau scrutin,…

M. Albéric de Montgolfier. Scrutin scandaleux !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. … même si l’on peut discuter des découpages. C’est en faisant en sorte que le rural et l’urbain disposent d’une représentation équilibrée au sein d’un même espace politique – le département – que l’on pourra être le plus attentif possible à l’égalité des chances territoriale.

Par conséquent, nous disons à tous ceux qui, dans un souci de simplification, déclarent qu’il serait facile et profitable de supprimer le département : faites attention car, en croyant supprimer une structure, vous supprimez une force d’équilibre et, par là même, vous créerez le déséquilibre. (Applaudissements sur de nombreuses travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Au demeurant, mes chers collègues, cette observation concerne tous les partis politiques…

Un sénateur du groupe UMP. Absolument !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. … y compris le mien, dont beaucoup de membres défendront la suppression de l’échelon départemental.

Pour ma part, je considère que la République a besoin d’équilibre et que le département est cette force d’équilibre.

Bien sûr, les collectivités territoriales doivent faire des économies :…

M. Albéric de Montgolfier. Nous les avons proposées ; cela a été refusé !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. … le contraire ne serait pas compréhensible, alors que l’État chasse la dépense publique, fait des efforts et que des efforts encore plus importants nous sont annoncés.

Bien conscients qu’il faut participer à cet effort national, nous proposons des économies.

L’une d’entre elles, pour nous très importante, consiste à supprimer tous les doublons de la décentralisation. (Marques d’approbation sur plusieurs travées de l’UMP.)

Mme Catherine Troendlé et M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Dieu sait s’il y en a ! On ajoute des politiques touristiques à des politiques touristiques, des politiques artisanales à des politiques artisanales, des compétences à des compétences…

Sur ce point, notre idée est toute simple.

Madame la ministre, pourquoi y a-t-il autant de doublons ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Parce que le Sénat l’a voulu !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Parce que les niveaux de collectivités se font concurrence !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Oui !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Parce que, quelquefois, les départements jouent à la région, et les régions aux départements ! (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.) Parce qu’il y a une « cantonalisation » de l’action régionale !

M. Éric Doligé. Il ne fallait pas rétablir la clause de compétence générale !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Ressemblant de plus en plus à une somme de cantons, la région vient rivaliser avec le département sur le terrain de ce dernier. Certes, il peut aussi arriver que le département rivalise avec la région mais, des deux collectivités, il n’y a que la région qui puisse s’imposer sur les terres de l’autre !

M. Alain Fouché. Absolument !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Par conséquent, pour éviter les doublons, il ne suffit pas de répartir les compétences : une collectivité trouvera toujours les moyens de sortir de la compétence qui lui a été confiée.

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Pour éviter les doublons, il faut donner aux départements et aux régions des espaces qui ne sont ni équivalents ni comparables. (M. Éric Doligé opine.)

M. Alain Fouché. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. C’est pourquoi nous défendons l’idée de grandes régions.

Au fond, bien des régions françaises, que ce soit la Bourgogne, la Franche-Comté, la Champagne-Ardenne, ou encore la belle et grande Poitou-Charentes (Sourires.), sont un quatrième ou un cinquième département. Elles sont souvent dotées d’un budget inférieur à celui du département le plus important…

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. … et sont en train de développer des politiques qui concurrencent celles du département.

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Dès lors, changeons leur taille !

Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas une question de taille ! C’est une question de politique !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Donnons-leur la taille de plusieurs régions, donnons-leur une taille européenne ! Elles pourront alors s’occuper des grandes infrastructures de communication dont on a besoin, comme le TGV. Que les régions s’occupent des universités, de recherche, d’innovation ! Qu’elles deviennent partenaires de la Banque publique d’investissement, pour faire du haut de bilan avec nos PME ! Qu’elles définissent la stratégie économique, la stratégie d’avenir ! En somme, qu’elles se chargent de la puissance, et qu’elles laissent la proximité au département. En effet, ces deux dimensions doivent être séparées.

Telle est la vision que nous avons défendue dans le rapport issu de notre travail commun, même si chacun pourra y apporter des nuances.

Madame la ministre, il y a, au fond, dans l’action publique, deux fonctions très importantes : la proximité et la puissance. Il faut l’une et l’autre : sans puissance, on manque d’efficacité mais, sans proximité, on manque d’efficacité démocratique. La proximité revient au département, via la cohésion, sociale et territoriale. La puissance revient à la région. Pour cela, ces deux collectivités exercent des métiers différents, avec des structures différentes.

M. Bruno Sido. Bravo ! C’est très cohérent !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. J’aborderai quelques autres idées, que le rapporteur développera dans son intervention.

J’aime bien la proposition de notre rapport sur le Grand Paris. Au fond, cette proposition peut recevoir une application un peu plus large : il s’agit de faire gérer le département par l’éventuelle grande métropole qu’il comporte, afin de dégager une forme de cohérence. À titre personnel, je suis plutôt favorable à une telle idée.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Moi aussi !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Si une responsabilité peut être assumée par un seul acteur, je suis pour une telle simplification ! À cet égard, ce qu’a dit Philippe Dallier, dans le cadre des travaux de notre mission commune, sur le Grand Paris m’a paru très juste.

Nous avons engagé une réflexion sur le non-cumul des mandats. Madame la ministre, au sein de notre groupe, nous ne sommes pas fanatiques de cette proposition ! Au reste, j’ai cru comprendre que cette dernière suscitait aussi quelques réserves chez nos collègues socialistes…

M. Bruno Sido. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. En tout cas, s’il advenait un jour que les parlementaires n’aient qu’un mandat, il faudrait tout de même prévoir leur place dans la décentralisation. Sinon, le préfet pourra-t-il distribuer la dotation d’équipement des territoires ruraux, votée par les parlementaires, sans l’avis de ces derniers ?

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Une réflexion devra être menée à ce sujet. En effet, mettre les parlementaires en dehors des processus de décentralisation marginalisera la représentation nationale, ce qui n’est évidemment pas bon pour notre République…

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Exactement !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Notre rapport comporte aussi des propositions très constructives, comme l’instruction unique, sujet dont Yves Krattinger parlera avec plus de compétence que moi.

Dans ce souci d’unité et de diversité, l’idée d’avoir des lois-cadres territoriales dans lesquelles on laisse une place au pouvoir réglementaire local est très importante.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Cela permettrait d’adapter à la territorialité l’application d’un certain nombre de textes.

Des évolutions de ce type sont tout à fait possibles. En effet, il n’est pas nécessaire que l’on applique partout la même réglementation, que le Limousin soit systématiquement traité comme Rhône-Alpes ou que l’alignement, soit sur le plus fort, soit sur le plus fragile, débouche sur une assimilation. Cette capacité d’avoir un pouvoir d’application réglementaire différencié pourrait être très utile.

Pour terminer, madame la ministre, je sais d’expérience que tous les gouvernements apprécient que notre Haute Assemblée, pleine de compétence et de sagesse, puisse suivre leurs orientations politiques et, au fond, marche derrière eux. Avec cette mission, monsieur le président, madame la ministre, c’est le Sénat qui a souhaité marcher devant le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d'abord remercier Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information, pour l’excellence de la relation qu’il a bien voulu entretenir avec votre rapporteur pendant toute la durée de nos travaux et à l’occasion de nos déplacements.

Je salue les membres de la mission pour la qualité et le caractère très apaisé de nos échanges, en dehors des joutes politiques traditionnelles.

Je veux dire aussi que le rapport d’information issu de nos travaux, Des territoires responsables pour une République efficace, s’inscrit dans la réflexion entretenue par le Sénat sur la décentralisation et sur l’évolution de l’action publique en réponse aux attentes de nos concitoyens et visant à la satisfaction de besoins qui évoluent en permanence aujourd'hui.

Les modes de vie de nos concitoyens changent, la France change, le monde change. Mais la France institutionnelle a-t-elle assez changé ? Force est de constater que la physionomie des pouvoirs publics et les pratiques de l’administration n’ont pas su s’adapter suffisamment et assez vite aux évolutions technologiques et sociétales.

Nous agissons toujours sous la contrainte et n’anticipons pas souvent. Nos organisations apparaissent confuses, lourdes, lentes, inertes et peu réactives.

Notre organisation politique et administrative est construite sur le modèle d’une France presque immobile, où la population vivrait, travaillerait et voterait au même endroit et où les territoires seraient égaux entre eux. Ce n’est plus vrai, et depuis longtemps.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Quand on imagine une organisation territoriale optimale, la tentation est évidemment forte, sur le papier, de préparer la copie comme si l’on partait de zéro, comme s’il n’y avait rien eu auparavant. Au reste, tous ceux qui envisagent de supprimer tel ou tel élément du dispositif ne font rien d’autre ! Or, depuis quarante ans qu’ils en parlent, ils n’ont toujours rien supprimé…

M. Jean-Claude Carle. C’est vrai !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Pour notre part, nous vous proposons d’opter pour un nouveau mode de raisonnement et, plutôt que de tout changer, de faire en sorte que ça marche. (Très bien ! sur plusieurs travées de l'UMP.)

Un sénateur du groupe socialiste. Bravo !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Imaginons que nous sommes en 2015, que la révolution vient de se produire et qu’il nous appartient de construire les communes, les départements et les régions du XIXe siècle. Bien évidemment, rien ne serait découpé comme aujourd'hui, ou si peu ! Les approches ne seraient pas celles de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle.

En effet, la ruralité a changé, les villes ont extrêmement changé, la relation ville-campagne a changé, les déplacements sont facilités – ils n’ont rien à voir avec ceux d’autrefois –, les échanges sont infiniment plus nombreux et énormément de nouveaux services se sont développés. Les territoires ont changé : certains se sont densifiés, d’autres se sont dépeuplés. Les modes de vie ne sont plus du tout les mêmes.

Si l’on décidait aujourd’hui d’une organisation politique et administrative pour la France, on le ferait bien évidemment en tenant compte des modes de vie d’aujourd'hui, des besoins d’aujourd'hui, des déplacements d’aujourd'hui, de la répartition de la population d’aujourd'hui ainsi que des avancées technologiques d’aujourd’hui.

Mais, demain, après-demain, cette organisation vieillirait elle aussi (Mme Catherine Troendlé opine.) et deviendrait progressivement obsolète par rapport à de nouvelles réalités qui, à leur tour, verraient le jour.

Parmi les universitaires, les spécialistes de comptabilité publique ou de droit public que nous avons rencontrés, pas un seul de nos interlocuteurs ne nous a recommandé de procéder par un redécoupage et une réorganisation générale. Tous nous en ont même dissuadés, en soulignant que le temps que nous consacrerions à cet effort serait perdu et que l’on ne pourrait aboutir qu’à un échec parce que vouloir tout bousculer, c’est engager des conflits avec tout le monde et, finalement, ne rien faire.

En revanche, chacun d’eux nous a recommandé de « faire mieux fonctionner le système existant », de le rendre plus performant, de chercher à définir clairement les responsabilités et de trouver les moyens de l’efficacité et de la réactivité.

Je citerai deux universitaires, Laurent Davezies et Hervé Le Bras, que nous avons auditionnés – la phrase est courte, mais elle est importante – : « Nous avons besoin d’une représentation dynamique des territoires : ce ne sont plus des territoires où les gens habitent, mais où ils circulent. » Tout est là !

J’imagine d'ailleurs, personnellement, que l’ouragan des évolutions technologiques actuelles, avec l'envahissement du numérique, est susceptible de submerger rapidement notre organisation actuelle.

M. Jean-Claude Carle. C’est vrai !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Déjà, 85 % des écrans et des claviers numériques sont entre les mains de ceux que j’appellerai « les citoyens de la planète terre ». Ce chiffre sera très largement dépassé dès les prochaines années. La maîtrise des données, jusqu’à présent réservée aux organisations étatiques, aux institutions publiques, est en passe de leur échapper, de nous échapper.

M. Bruno Sido. Exact !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Le pouvoir se trouvera dorénavant de plus en plus entre les mains des citoyens et de moins en moins du côté des organisations. Face à ces évolutions extrêmement rapides, nous devons dans l’urgence inventer un nouveau logiciel territorial qui soit à la fois efficace, responsable et réactif.

Cette nouvelle mobilité et ces nouveaux modes de fonctionnement des populations exigent de construire une nouvelle relation avec le service public de proximité qui doit s’adapter très vite, et non l’inverse. Nous devons le repenser dans une approche nouvelle de la proximité, intégrant massivement les nouvelles technologies qui permettront à l’État de se moderniser et de construire, voire d'inventer, une nouvelle relation entre le citoyen et le service public.

Il est désormais très urgent de définir autrement l’accessibilité à l’État.

Cette nouvelle mobilité a également une incidence sur le développement des territoires, leur attractivité économique et la vie sociale. Sous cet angle, ils sont très loin d’avoir les mêmes atouts. Nous devons regarder en face ces inégalités de fait et accepter que l’action publique soit adaptée aux spécificités locales, par exemple en matière de pouvoir fiscal et d’administration. Depuis trop longtemps déjà, l’absence d’une réelle action corrective aggrave durablement la fracture territoriale et engendre ce que nous pouvons appeler un « sous-prolétariat territorial ».

La décentralisation doit remédier aux deux maux dont souffre aujourd’hui la République : le manque d’efficacité réelle de l’action publique et la très grande confusion des rôles entre l’État et les collectivités.

Elle doit être un outil de simplification en supprimant rapidement les trop nombreux doublons.

Elle doit aussi permettre de clarifier les missions de chaque échelon territorial. C'est un travail dont découleront naturellement les compétences à chaque niveau de collectivité.

À la région revient la mission d’imaginer, d’écrire et de préparer l’avenir du territoire, des entreprises et des hommes qui y résident. Elle doit être renforcée pour être capable de maîtriser la mondialisation, dans laquelle la France doit entrer au pas de course !

Au département reviennent la cohésion sociale et les solidarités territoriales. Son rôle doit être réaffirmé. Il est un niveau irremplaçable, tout particulièrement dans la ruralité.

À la commune et à l’intercommunalité reviennent le maintien et le renforcement du lien social, ainsi que l’organisation des services publics de proximité immédiate.

L’État doit retrouver et clarifier son rôle de stratège et se recentrer rapidement sur un nombre limité de missions régaliennes. Pour cela, il doit, après trente ans d’inertie et de résistance, accepter enfin de se désengager par la décentralisation.

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Les travaux de la mission ont permis de mettre en lumière une représentation territoriale de l’État – ce sont les propos que nous avons entendus – « étouffante », consistant principalement à contrôler, parfois abusivement, et qui n’assure plus l’accompagnement et le conseil des collectivités territoriales (M. Alain Gournac opine.) dans le cadre de l’exercice des politiques publiques qui leur sont confiées.

Ainsi, la mission a pu constater que les élus rencontrés étaient favorables à un désengagement de l’État d’un certain nombre de missions dont ils estiment qu’elles ne devraient pas relever de sa compétence puisque, d’une part, il ne dispose plus des moyens suffisants pour les assumer pleinement et que, d’autre part, ces missions leur ont déjà été confiées. Voilà ce que disent les élus !

La plupart de nos interlocuteurs regrettent que la France soit pratiquement le seul, parmi les pays de l’Union européenne, qui ait conservé des services déconcentrés dans les compétences transférées aux collectivités.

Enfin, la République, dont l’organisation est décentralisée, doit reconnaître la diversité des territoires, qui explique l’expression de besoins différents et donc, en réponse, une action publique adaptée aux spécificités de chacun, sans que cette différenciation conduise à remettre en cause son unité.

Je suis donc favorable, dans la conduite de l’action publique, à une spécificité territoriale, qui ajuste la mise en œuvre des lois à la réalité du contexte local.

En revanche, j’exprime ma très grande réserve devant la reconnaissance de la spécificité territoriale par le biais de modes de gouvernance systématiquement particuliers, et je me méfie de la création de « collectivités ad hominem » qui deviendront facilement demain des bastions oublieux de la nécessaire solidarité interterritoriale qui est indispensable au maintien de l’unité républicaine.

Nous devons être très prudents devant ce qui conduirait inévitablement à l’émergence d’une « France en dentelle », qui ne peut qu’amplifier les tensions internes à notre pays.

Responsabilité des territoires, efficacité et réactivité de l’action publique, diversité, mais aussi unité dans la République, tels sont les défis auxquels doit répondre la décentralisation et qui seront détaillés dans les dix axes de propositions que je vais maintenant essayer d'évoquer.

Le premier axe consiste à garantir la présence de l’État selon des modalités renouvelées. Il faut en finir avec les nombreux doublons de services entre l’État et les collectivités territoriales qui paralysent l’action publique et la rendent incompréhensible pour nos concitoyens. Nous sommes nombreux dans cette assemblée – et au-delà – à le constater tous les jours, dans l’exercice de nos diverses fonctions de président, de maire ou de responsables d’EPCI : l’inefficacité d’une telle situation ainsi que le gaspillage d’énergie et d’argent public qu’elle engendre sont aujourd'hui réprouvés par tous.

Pour en finir avec des politiques qui deviennent concurrentes et pour sortir d'un cumul des services au niveau local qui crée une véritable confusion, j’en appelle à un choc de subsidiarité et je propose, comme première étape, la création d’un service unique contractualisé entre l’État et la collectivité pour chacune des compétences transférées où l’État a conservé des services déconcentrés parallèles et, de fait, concurrents de ceux des collectivités.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Cela favoriserait l’instauration d’une relation de confiance et de responsabilisation entre l’État et les collectivités territoriales.

Seraient mis en place, par exemple, des services uniques nés de la fusion de services de l’État et du département en matière social, pour l’équipement rural, le sport ou le patrimoine. Ce n’est pas la peine, à chaque fois, d'avoir deux services !

À terme, ces services auraient vocation à passer sous l’autorité du responsable de la collectivité.

Concernant les effectifs, les membres de votre mission d’information ne sont majoritairement pas favorables à une réduction du nombre des personnels sans réflexion préalable sur les missions de chacun.

La politique du chiffre, caricaturée par la révision générale des politiques publiques, la RGPP, ne fait pas une stratégie politique et se révèle particulièrement déstabilisante si elle ne s'accompagne pas d’un souci permanent de cohérence globale.

Nous contemplons aujourd’hui des territoires entiers qui, victimes de l’application stricte d’une comptabilité des effectifs à la baisse, sont vidés d’une trop grande part de leurs services publics.

Ce guichet unique État-collectivité doit donc s’inscrire dans une véritable stratégie d’ensemble en rendant obligatoire, préalablement à sa création, l’élaboration conjointe, par le préfet et par le président du conseil général, d’un schéma d’accessibilité des territoires aux services publics.

Le deuxième axe renvoie au renforcement des régions qui a été évoqué tout à l'heure par le président Raffarin. Votre mission milite en faveur de la constitution de régions plus grandes et plus fortes, investies d’une réelle vocation d’aménagement du territoire, capables de rivaliser à l’échelle européenne et mondiale. Pour cela, elles doivent être totalement investies de compétences stratégiques telles que la formation professionnelle, le développement économique et la politique de l’emploi, leur permettant ainsi de préparer réellement l’avenir des hommes, des entreprises et du territoire dans lequel ils sont installés.

Une première étape pourrait consister à construire huit à dix pôles interrégionaux intégrant obligatoirement quelques compétences très stratégiques. Par exemple, le schéma des dorsales très haut débit. C'est nécessaire ! C'est le monde de demain, et même celui d'aujourd'hui… Je mentionnerai aussi le schéma interrégional d’accessibilité multimodale – aéronautique, ferroviaire et autoroutière –, le schéma interrégional d'infrastructures ferroviaires – les voies ferrées conduisent souvent d'une région à l'autre –, le schéma interrégional des formations supérieures, le schéma interrégional de couverture hospitalière et sanitaire, la stratégie d'accompagnement des entreprises et de formation continue des salariés et, enfin, la stratégie d’accompagnement des demandeurs d’emploi.

Le troisième axe est consacré au département. Beaucoup ont appelé ou appellent encore à sa suppression au profit des régions. C’est oublier que ces deux collectivités territoriales ne sont que très peu concurrentes. En fait, elles sont même assez largement complémentaires. On l'a dit : à l'une revient la solidarité, à l'autre, la stratégie.

Les éléments recueillis par la mission d’information lui permettent – tout en précisant que la pertinence du département n’est pas aussi puissante dans les milieux urbains denses que dans les territoires ruraux – de souligner qu’il est à la fois un espace privilégié d’évolution des services publics et un fédérateur des intercommunalités, permettant ainsi une véritable coordination entre les différents acteurs du territoire. Pour en faciliter les modalités, votre mission reprend l’idée de créer une conférence départementale des exécutifs regroupant les membres du conseil général et les responsables des EPCI – ce qui a déjà été proposé dans un rapport sénatorial de 2009 sur la réorganisation territoriale.

Une telle conférence fonctionne déjà régulièrement et très bien dans un certain nombre de départements.

Les communautés ont besoin d’appuis et de conseils juridiques, administratifs et techniques. Elles pourront, avec l’augmentation du nombre de leurs compétences, mutualiser entre elles et avec le département certains services et certaines missions. Ce mouvement est déjà engagé dans de nombreux territoires.

Le quatrième axe porte sur les intercommunalités, qui ont également été évoquées. Je suis toujours aussi convaincu que l’intercommunalité est un vrai projet pour l’avenir de nos territoires, tant urbains que ruraux. C’est un remarquable outil de coopération et de solidarité entre les communes et, dans la pratique, un facteur efficace de plus d’égalité pour les habitants.

La confrontation des idées et la mutualisation des moyens font de l’intercommunalité le lieu de faisabilité des projets. Elle a permis de rehausser nettement le niveau des services publics et au public dans un très grand nombre d’espaces ruraux, et d'élaborer et de mettre en œuvre de véritables projets de territoire.

L’intercommunalité est à coup sûr – au moins en milieu rural – la vraie révolution des vingt dernières années. C'est cela qui est vraiment nouveau dans le panorama… Il est donc important de continuer à tirer l’intercommunalité vers le haut ou, si vous préférez, de la pousser en avant. Mais cela ne signifie pas qu’il faille gommer la commune, qui conserva toujours la mission d’assurer le maintien et le renforcement du lien social. L’intercommunalité ne saurait devenir un niveau supplémentaire de collectivité territoriale, rajoutant de fait une couche au « millefeuille » qui, vous l'avez dit, est déjà bien fourni.

Les EPCI à fiscalité propre ont été conçus comme des coopératives de communes. Oui, l’intercommunalité est aujourd’hui un outil au service à la fois de l’action communale et de nos concitoyens, fondé sur une organisation collégiale – j’en suis bien d'accord, monsieur le président Raffarin – et qui répond à une logique de subsidiarité. Ce qui peut être fait au niveau communal doit l'être.

Ce sont ces principes qu’il faut à la fois approfondir – je vois bien qu’avec des étendues plus vastes, certaines questions se posent – et préserver dans le débat communautaire.

Je ne reviens pas sur ce qui a été dit sur la région-capitale et sa gouvernance, qui constituent le cinquième axe. Les statuts particuliers de Paris et de sa région justifient bien sûr une gouvernance spécifique qui doit répondre à des enjeux propres à l'Île-de-France. Il s'agit d'une région complexe, qui concentre dans le même ensemble des problématiques propres aux territoires ruraux et d'autres très urbaines.

Je dirai simplement qu’il faut tendre vers l'idée d'une collectivité qui regrouperait, à terme, la zone dense, et qui assumerait la plupart des compétences. Déjà, en 2008, notre collègue Philippe Dallier nous interpellait sur le sujet et proposait la fusion des quatre départements de la petite couronne.

Provincial, je ne saurais dire quelle alchimie doit être mise en œuvre en région parisienne. Quoi qu’il en soit, il faut une structure qui avance vers plus d’intégration et de solidarité infra-territoriale en Île-de-France.

Dans le même temps, la zone la plus riche de France ne doit pas s’exonérer de la solidarité avec les autres territoires de notre pays.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Alain Fouché. D’accord !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. L’Île-de-France est la plus riche, la plus puissante, la plus connue de nos régions, mais elle doit rester dans la République. Je ne doute que nous saurons nous rassembler sur ce point.

Le sixième axe appelle à redéfinir la place des parlementaires dans la décentralisation, dans le contexte issu d’une loi sur le non-cumul du mandat de parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale.

Les parlementaires sont à la fois investis de la légitimité populaire et connaisseurs d’un territoire. Il faudra bien un jour réfléchir au rôle qu’ils joueront demain et en débattre. Si le processus va à son terme, les membres de la représentation nationale pourraient être des médiateurs entre l’État et les collectivités locales, ou au moins participer à la médiation. En tout cas, les parlementaires auront un rôle nouveau à jouer, plus souvent d’ailleurs un rôle de contrôle de l’action du Gouvernement.

L’exercice de ce rôle de conseil et de cohérence nécessiterait pour le Parlement de se doter d’un pôle d’expertise de très haut niveau indépendant de l’administration centrale.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Il pourrait être constitué avec le concours d’universités et de centres de recherche existants. Il faut par exemple donner aux deux assemblées la capacité d’utiliser les données financières et fiscales qui leur sont fournies par les services administratifs, lesquels ne réalisent pas toujours les analyses dont nous aurions pourtant besoin. Je citerai, à ce titre, l’évaluation des conséquences de la suppression de la taxe professionnelle, dont les simulations ne portaient que sur le court terme alors que le débat nécessitait à l’évidence une vision à beaucoup plus long terme, et ce, d'ailleurs, dans l’objectif de faciliter l’adoption du projet de loi par le Parlement.

Il est évident que le Parlement ne doit pas s’en remettre exclusivement aux services de l’État pour obtenir des informations fiables.

Le septième axe exprime la nécessité de refonder la théorie des finances locales. La mission alerte sur l’urgence de remédier au système actuel, marqué par une incommensurable complexité et générateur d’inégalités. L’enchevêtrement de multiples dotations, compensations, garanties et mécanismes de péréquation le rend très difficilement compréhensible par les élus et parfaitement illisible par nos concitoyens. Ce n’est pas acceptable. Dans le contexte actuel de tensions budgétaires, ce manque de lisibilité est un facteur d’anxiété qui entraîne un rejet croissant de l’ensemble de la question des finances publiques.

Il résulte de ce capharnaüm budgétaire digne des Shadoks deux conséquences importantes.

M. Jean-Claude Carle. Il faut pomper ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. La première concerne les collectivités territoriales, qui perdent progressivement des capacités de décision dans le domaine des finances locales. Or, comment insuffler du dynamisme à un territoire sans cet outil ? Comment lancer des projets d’avenir si les collectivités ne sont pas dotées d’une certaine autonomie fiscale ? Plus de lisibilité et de simplicité permettront aux élus locaux de prendre des décisions pour leur territoire et de justifier leur action auprès de leurs concitoyens.

Néanmoins, votre mission reconnaît qu’une autonomie fiscale plus large ne constitue pas forcément une voie d’avenir pour les territoires les plus pauvres. Ainsi, il convient de prélever une part suffisante de recettes fiscales dans les territoires où est créée la plus grande richesse et d’accompagner cette démarche d’une véritable solidarité financière entre collectivités, grâce à des dispositifs de péréquation justes, fondés sur la richesse relative.

Un système modernisé des finances locales reposerait sur ce principe simple de prélèvement de la richesse là où elle est créée et d’un partage des recettes ainsi procurées grâce à une péréquation horizontale renforcée progressivement. C’est nécessaire pour permettre à toutes les collectivités d’assurer leur mission.

Le huitième axe s’attache à la nécessaire simplification du système juridico-financier de l’intercommunalité. Lors des auditions menées par la mission, la généralisation des statuts particuliers des structures territoriales a été mise en évidence. Aujourd’hui, il existe dix formules juridico-financières différentes d’EPCI à fiscalité propre, dix ! Comment voulez-vous que l’action publique soit comprise et acceptée par nos concitoyens avec une telle complexité ? Dans cette période de crise de confiance, c’est grave.

Il faut y remédier en procédant à une harmonisation progressive des structures tout en prenant en compte la très grande diversité des intercommunalités en France. Il est souhaitable d’aller vers l’unification des régimes juridico-financiers des EPCI.

L’exercice est difficile, mais il est nécessaire. La mission propose de ramener de dix à une les formules fiscales de l’intercommunalité avant 2020. Il faut commencer par unifier le régime des communautés de communes, qui ont le choix entre quatre régimes fiscaux différents. C’est un préalable à l’harmonisation de l’ensemble des régimes des EPCI.

Une vision moderne de la décentralisation passera par une unification du système actuel tout en cherchant à concilier unité et diversité.

Le neuvième axe affiche l’ambition d’instaurer un pouvoir réglementaire local. Il a été fort bien décrit par le président de la mission, Jean-Pierre Raffarin, je n’y reviens pas.

Enfin, le dixième et dernier axe du rapport de la mission porte sur l’instruction unique et la recherche d’une action publique locale efficace et moderne. Tous les interlocuteurs de la mission l’ont dit, il faut en finir avec la multiplication des instructions parallèles justifiées par les financements croisés et les services doublonnés qui alourdissent, complexifient, ralentissent et parfois même empêchent l’action publique locale. C’est un cancer pour la maison France, et un cancer qui prolifère !

Pour en revenir au premier axe, la clarification des compétences est l’outil qui permettra d’aboutir à une action publique locale efficace et pertinente. À cet égard, il est apparu à la mission que l’instruction unique est le moyen incontournable pour parvenir à une décentralisation responsable, efficace et réactive.

Votre mission estime que, pour chacune des principales politiques publiques décentralisées, il est nécessaire et urgent d’instituer un dispositif d’instruction unique au niveau de l’une des collectivités territoriales, celle qui est principalement en charge de la compétence concernée. Celle-ci serait alors chef de file et recevrait la mission d’agence de financement, au nom des autres et sous convention.

Elle serait l’interlocuteur unique du porteur de projet tout au long du processus, ce qui favorisera la coopération et la coproduction. L’instruction unique peut aussi se décliner en guichet interrégional ou interdépartemental dans des domaines plus importants. Nous en arrivons à cette nécessité si nous voulons clarifier la situation aux yeux de tous nos interlocuteurs.

Dix axes de réforme, dix axes de réflexion sur l’avenir de la décentralisation en France. Avec ce rapport, nous avons cherché avant tout à éclairer le débat, avec une vision et des considérations détachées de l’agenda politique.

Ce que nous pouvons retirer de ces travaux et des auditions menées sur plusieurs mois est le constat d’une France en pleine mutation économique, sociale et culturelle, qui cherche à entrer de plain-pied dans la modernité et dans la mondialisation tout en conservant ses traditions et ses acquis.

L’organisation administrative de notre pays est le résultat de plusieurs siècles d’histoire. Aujourd’hui et dans les années qui viennent, nous devons en écrire une autre page pour adapter notre système à une société davantage connectée et plus mobile, dont les besoins ont considérablement évolué. Il s’agit ni plus ni moins de garantir à nos concitoyens l’accessibilité aux services publics et aux services au public au XXIsiècle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat consacré aux conclusions de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, à laquelle j’ai participé autant qu’il m’a été possible.

Je remercie le président Jean-Pierre Raffarin et le rapporteur Yves Krattinger de l’excellent document qui fixe des perspectives à long terme, et dont je partage l’essentiel des conclusions.

J’interviens aujourd’hui au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation dont la présidente, Jacqueline Gourault, dont chacun connaît la remarquable compétence, est provisoirement empêchée. La délégation, sous sa bienveillante mais efficace présidence, a bien travaillé. Elle a produit quelque vingt-cinq rapports d’information souvent innovants depuis sa création.

Je constate que les conclusions de la mission commune d’information Krattinger-Raffarin, ou Raffarin-Krattinger, prolongent sur beaucoup de points celles du rapport Krattinger-Gourault de 2009 – ce n’est pas trop étonnant eu égard à la communauté des rédacteurs ; il vaut mieux se répéter que se contredire, mon cher Yves Krattinger – intitulé « Faire confiance à l’intelligence territoriale ». Pour autant, ce n’est pas le seul et, au fil des vingt-cinq rapports, on peut facilement repérer certaines lignes de force qui font l’objet d’un large consensus parmi nous.

Les premières concernent les collectivités territoriales entre elles.

Depuis que le transfert de compétences est à peu près achevé, c’est la question de la clarification de ces compétences qui prévaut. Beaucoup reste à faire dans ce domaine, même si je ne suis pas un adversaire farouche des financements croisés, au demeurant reconnus de fait par le rétablissement de la clause de compétence générale.

Bien d’autres propositions ont été faites par les différents rapporteurs de la délégation que je ne pourrai toutes citer ici.

Parmi les plus pertinentes : l’adoption d’un dispositif de compétences obligatoires – pas exclusives – partageables par accord entre les collectivités territoriales ; le rappel du respect du principe fondamental de non-tutelle d’une collectivité sur une autre et la mise en œuvre dynamique de la notion de chef de file ; la réactualisation d’une procédure de constat de carence en cas d’inertie de la collectivité habilitée à exercer une compétence à titre obligatoire ; la gestion coordonnée des compétences partagées ou concurrentes au sein de conférences territoriales, aspect qui a été largement développé ; l’octroi aux conférences territoriales de la mission d’élaborer des schémas de mise en œuvre des compétences, sous la présidence de la collectivité chef de file concernée.

Le rapport de la mission commune d’information propose d’ailleurs d’étendre cette innovation aux intercommunalités, rappelant qu’une conférence des exécutifs chargée d’organiser la coordination locale et de favoriser le dialogue entre les représentants de l’État et les élus locaux faciliterait la nécessaire coordination au niveau départemental des intercommunalités.

Ces pistes n’ont pour le moment pas toutes été retenues. La décentralisation avance pas à pas, en se cherchant et en expérimentant, et c’est ainsi qu’elle se consolide.

Aussi la délégation propose-t-elle le choix du pragmatisme plutôt que celui du prophétisme. C’est notre position concernant les structures territoriales. La délégation n’a, je vous le rappelle, jamais cherché à redessiner la carte, défendant plutôt l’armature traditionnelle de la décentralisation ainsi que la continuité et le respect des collectivités existantes, sauf à ce que le besoin d’innover se manifeste et suscite le consensus local.

Le chemin de la rationalisation des découpages territoriaux doit passer essentiellement par l’intercommunalité. Elle doit, pour reprendre les termes du rapport de la mission, « être généralisée pour optimiser l’action publique, en étant maintenue dans une organisation collégiale et une logique de subsidiarité. » Nous sommes largement d’accord avec cette vision.

Face à la diversité qu’on pourrait dire « provinciale », la délégation a régulièrement préconisé le pragmatisme et la souplesse.

En d’autres termes, la délégation a très tôt préconisé de mettre des outils à la disposition des collectivités, et de laisser à celles-ci le soin de se saisir de ceux qui correspondent à leurs besoins et à leur ressenti.

C’est également ce que recommande le chapitre III de la première partie du rapport de la mission. Sans entrer dans le détail, il convient de ne pas aller trop loin afin d’éviter ce que la mission a élégamment qualifié « une France en dentelle ».

C’est en quelque sorte le principe d’égalité des usagers devant le service public qu’il nous faut appliquer aux territoires : être égaux oui, mais prendre en compte nos spécificités locales et ajuster l’application territoriale de l’action publique en conséquence.

La deuxième série de questions concerne les relations entre l’État et les collectivités territoriales. Je serai d’autant plus bref que vous avez largement développé cet aspect et que je suis tout à fait d’accord avec ce que vous avez dit.

Toutefois, à ce stade, l’État régulateur est un programme dont le contenu concret, pour l’essentiel, reste à déterminer. Ce contenu relationnel de la décentralisation est de plus en plus sensible et central (Mme la ministre opine.), au point qu’il n’est pas déraisonnable d’estimer qu’il pourrait fournir, madame la ministre, la substance d’un futur acte IV de la décentralisation. Nous comptons sur vous, dans les textes à venir, pour faire évoluer cet aspect des choses.

Qui fait quoi ? Qui paie quoi ? Telles sont les questions qu’il faut sans cesse poser à frais nouveaux et sur lesquelles la délégation a mis l’accent dans ses travaux récents, car elles touchent à l’avenir de la décentralisation.

Le rapport de la mission d’information les évoque aussi de façon pertinente. Il contient un développement très intéressant sur la reconnaissance d’une liberté d’adaptation aux collectivités territoriales dans l’application de normes nationales.

La question du pouvoir normatif des collectivités comme contrepoids à l’inflation des normes étatiques va en effet se poser de façon aiguë dans les prochaines années. Peut-être faut-il défricher préalablement ce terrain en mobilisant mieux que nous ne l’avons fait jusqu’à présent l’outil des expérimentations, prévu à l’article 72 de la Constitution.

J’évoquerai un dernier point. La question de l’organisation des relations, au plan national, entre l’État et les collectivités se pose de façon urgente. Le Sénat a récemment rejeté l’idée de la création d’un Haut Conseil des territoires. À cet égard, rappelons que la délégation avait, dans un rapport de février 2011, mis en évidence la nécessité de construire le cadre d’un dialogue efficace entre l’État stratège et les collectivités territoriales. Quelle traduction institutionnelle forte donner à cette mission ? Telle est la question.

Cela est d’autant plus prégnant que les assemblées parlementaires seront bientôt privées de l’intime connaissance des problématiques territoriales que leur assure la détention de fonctions exécutives locales d’un grand nombre de leurs membres.

À l’occasion des réunions de travail de la mission, nous avons abordé cette question – reprise par M. le rapporteur et par M. le président – de la place des parlementaires dans la décentralisation. Le constat est partagé par tous : la question du non-cumul du mandat de parlementaire avec celui d’un exécutif local nous oblige à repenser la place et le rôle des parlementaires.

Le rapport de la mission conclut qu’il est indispensable – monsieur le rapporteur Krattinger, vous y avez fait allusion – de doter le Parlement de moyens d’expertise propres en matière de collectivités territoriales. Je crois cependant qu’il faut aller plus loin.

C’est pourquoi j’ai proposé à la délégation de réfléchir au rôle local des parlementaires, après le vote et la mise en œuvre de la loi sur le non-cumul. Le rapport issu de cette réflexion a été adopté à l’unanimité par la délégation et pourrait donner lieu au dépôt d’une proposition de loi.

Permettez-moi d’insister sur ce point qui me semble important et me tient à cœur. Quelle est la situation actuelle ? Les parlementaires qui disposent d’un mandat local électif – c’est-à-dire 80 % d’entre eux – sont membres, à ce titre, soit après avoir été désignés par leur assemblée, soit de droit en tant que président d’exécutif, d’un grand nombre de commissions et organismes compétents dans les domaines les plus variés, touchant tous à la vie quotidienne de leur circonscription et de leurs électeurs : éducation, santé, sécurité, action sociale, transports, logement, loisirs, urbanisme, droit des sols, et j’en oublie beaucoup…

C’est cette participation à la gouvernance locale et non le mandat national qui, seule, établit le lien entre les élus nationaux et leur territoire d’élection. Ce lien n’est en effet constitué que de façon très fugace par le mode d’élection, même s’il est actuellement principalement majoritaire.

J’ai voté le texte que vous avez présenté, madame la ministre, et je suis pourtant sensible aux arguments qui ont été ou sont encore avancés par un certain nombre d’opposants. Les nouvelles règles de non-cumul, qui englobent la totalité des exécutifs locaux, vont littéralement couper les parlementaires de toute la vie locale. Certes, en tant que simples conseillers – municipaux, départementaux ou régionaux –, ils pourront être délégués par leur assemblée auprès de tout syndicat, conseil d’administration ou organisme.

Toutefois, il est évident – étant vous-même président d’exécutif local, vous ne l’ignorez pas – que les exécutifs locaux se réserveront toujours l’essentiel des représentations. Il s’agit d’un mouvement naturel qui se justifiera d’autant plus que les parlementaires, n’exerçant plus de fonction exécutive, auront perdu la technicité qu’ils pouvaient posséder auparavant. (Eh oui ! sur plusieurs travées de l'UMP.)

Les parlementaires vont donc se retrouver en quelque sorte « hors-sol »,…

M. Jean-Michel Baylet. La formule est juste !

M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. … rattachés pour la forme à un territoire, en l’absence de toute compétence à exercer sinon la satisfaction de couper des rubans et de déposer des chrysanthèmes. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)

Pour pallier ces inconvénients, que je considère comme fâcheux, j’ai proposé de rattacher les parlementaires à leur territoire d’élection en jouant sur un autre registre que celui du mandant local.

Députés et sénateurs sont les représentants de la nation. À ce titre, ils élaborent la loi et contrôlent son application, ainsi que l’action du Gouvernement. Cette double mission d’élaboration et de contrôle à l’échelle nationale doit pouvoir être prolongée à l’échelon local. Les parlementaires devraient en effet pouvoir veiller à l’application des lois dans leur circonscription d’élection, aux côtés des représentants de l’État.

Je propose ainsi de leur ouvrir, de droit, l’ensemble des commissions « régaliennes » présidées par le préfet – voire par le directeur de l’ARS ou le recteur –, ouvertes à d’autres participants que les seuls fonctionnaires. Il n’est en effet pas question ici d’entrer dans les commissions techniques.

La création d’une conférence départementale et d’une conférence régionale des parlementaires permettrait aux députés et sénateurs d’être répartis dans ces commissions en fonction de leurs centres d’intérêt et selon des règles établies par décret.

Vous ne manquerez pas de noter que la mise en œuvre de cette proposition lierait les parlementaires à leur territoire et leur permettrait de suivre de près, s’ils le souhaitent, toutes les questions et problématiques d’intérêt local – d’une manière différente de celle d’un représentant du pouvoir local – qui intéressent les citoyens et les élus qu’ils représentent, ainsi que la façon dont les lois qu’ils ont votées sont appliquées sur le terrain.

Nous avons donc l’occasion, madame la ministre, de connaître dès à présent la position du Gouvernement sur cette question. Vos remarques pourraient nous permettre d’amender dès à présent cette proposition de loi, avant même son dépôt.

Je vous remercie par avance de l’intérêt que vous voudrez bien lui porter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe CRC. – M. Yvon Collin applaudit également.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Merci de vos vœux, monsieur le président, exprimés en début de séance. Veuillez accepter tous les miens, pour vous-même et vos proches. J’adresse également mes vœux à Mmes et MM. les sénateurs, ainsi qu’à leurs collaborateurs.

Au cours de l’année 2014, je passerai sans doute quelques heures – en tout cas, je l’espère – en cette assemblée, où je me rends toujours avec beaucoup de plaisir.

Je tiens à saluer l’état d’esprit qui a présidé au travail de cette mission. Au-delà des débats partisans, M. le Premier ministre Raffarin et M. le rapporteur Krattinger, ainsi que M. Peyronnet pour la délégation, ont tenu à rappeler que la réflexion de fond qui guidait nos travaux en la matière s’inscrivait dans une perspective historique.

M. le Premier ministre Raffarin a insisté sur le rôle joué par Pierre Mendès France et le général de Gaulle. On oublie trop souvent que la régionalisation – mot quelque peu abandonné, mais qui revient petit à petit dans notre vocabulaire – a été d’abord conçue par le général de Gaulle.

Quelle réflexion mener après un premier texte dont le Sénat s’est saisi à bras-le-corps ? Je peux le dire à cette tribune aujourd’hui, la Haute Assemblée a fondamentalement changé la physionomie du projet de loi sur les métropoles, en particulier de Paris Métropole. Grâce à son travail sérieux et affiné, nous sommes parvenus à élaborer, à partir d’un texte de prime abord complexe, une loi ayant permis de répondre à beaucoup de questions.

Vous avez tenu à tout de suite orienter le débat, notamment, vers le plan de relance et la recentralisation. Je partage d’autant plus cette approche que, face aux grandes difficultés liées à une crise économique que l’on sentait venir, à la masse des innovations technologiques que nous connaissons et à la concurrence en matière de détermination des leviers d’innovation – à laquelle M. Krattinger faisait référence en évoquant la mondialisation –, l’État a choisi un certain nombre de pôles de compétitivité et a demandé aux collectivités territoriales de répondre sur le short déterminé au niveau central.

Cette recentralisation, de fait plus que de droit, a été un moment important de notre histoire commune. Elle a contribué à réécrire, à un instant où nous en avions besoin, une page de l’histoire industrielle du pays. Aujourd’hui, vous l’avez dit sans le dire, monsieur le président de la mission commune d’information, cette page pourrait en très grande partie être remplie par les régions.

En tout cas, je suis ravie que vous proposiez de réfléchir à ces questions avec 2020 ou 2025 pour horizon. C’est ainsi, me semble-t-il, qu’il faut travailler, tout en gardant à l’esprit, cela a été rappelé par vous-même, monsieur Raffarin, puis par M. Krattinger et par M. Peyronnet, que le maire est le représentant de la République sur le territoire. Lors de nos débats sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale, j’ai souligné – peut-être l’ai-je mal fait ? – que, si nous avions décidé de garder l’échelon communal, c’est qu’il est celui de la représentation de la République. Nous avions évoqué ce point lors de nos discussions sur les réquisitions et le logement ; on oublie trop souvent que le maire seul, car il est premier magistrat de la commune, a le droit de porter atteinte à la propriété privée. Les présidents d’agglomération qui ne sont pas maires, eux, ne le peuvent pas.

L’histoire du maire et de la commune mériterait peut-être, à la suite des travaux de la mission commune d’information, d’être réécrite et répétée aux enfants de France, qui ne la connaissent plus, et qui ne savent pas pourquoi le maire représente la République sur le territoire.

Monsieur le président de la mission commune d’information, vous avez beaucoup insisté sur le fait que l’intercommunalité était le champ collégial ou coopératif de maintien des communes. Je partage cette vision, même si elle fait naître beaucoup de questions. Faudra-t-il, par exemple, envisager la mise en place d’un scrutin direct ?

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Non !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Ce point, je le rappelle, a été rejeté à la quasi-unanimité du Sénat. Par ailleurs, les compétences peuvent-elles toujours être exercées par le biais de la coopération ?

Ces questions restent posées, même si les exclamations que je viens d’entendre semblent indiquer que la majorité des membres du Sénat est opposée à ce qu’on y apporte une réponse positive.

Vous avez également insisté, monsieur le président de la mission commune d’information, sur le besoin de solidarité. Vous avez eu raison de souligner que toutes les familles politiques partagent cette préoccupation. Nos départements ont un rôle essentiel à jouer en matière de proximité et de solidarité. Il m’importe, avant l’examen des deuxième et troisième volets de la réforme de la décentralisation rassemblés, ce que j’espère, de réfléchir au contenu d’une compétence : la compétence de solidarité territoriale.

En la matière, l’état d’esprit évolue. Le vôtre, monsieur le président de la mission commune d’information, s’inscrit dans l’histoire. Il rejoint d’ailleurs, c’est le produit non pas du hasard mais du travail et de l’analyse, celui du Président de la République et du Premier ministre, qui s’interrogent notamment sur le rôle des régions, sur les doublons ou le partage des compétences. Au-delà des réponses apportées à cet égard par la mission commune d’information, j’aimerais donc pouvoir travailler sur le champ de cette compétence de solidarité territoriale, qui pourrait être exercée par les départements.

La mission commune d’information, suivant en cela la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, propose la conclusion d’un « schéma d’accessibilité des territoires aux services publics ». En effet, l’État et les départements pourraient élaborer de tels schémas, facilitant l’accès aux services publics. Mais si nous pouvions également définir les contours de la compétence de solidarité territoriale, nous pourrions peut-être, dans le même état d’esprit, faire évoluer la clause de compétence générale, qui pourrait s’effacer derrière une clause de solidarité territoriale pour les départements, et une clause de stratégie économique, par exemple, pour les régions.

Je verse cet élément supplémentaire au débat que vous avez ouvert avec plaisir. Je vous propose donc que nous y réfléchissions ensemble, à l’occasion d’une réunion à laquelle pourraient participer les membres de la mission commune d’information et autres volontaires, ou bien, si le président du Sénat nous y autorise, lors d’un débat en ces lieux. Réfléchir en vase clos – d’un côté le Sénat, qui profite, c’est vrai, de la multiplicité des intelligences, et de l’autre le ministère – nous ferait avancer à une vitesse qui ne nous permettrait pas de trouver la meilleure solution.

À ce point de mon propos, je tiens à vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, l’engagement pris par le Président de la République devant le président du Sénat : pour cette loi, une large place sera accordée au travail parlementaire.

M. Gérard César. Tu parles !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je ne cherche pas à donner de leçons – je ne fais que tirer les conséquences des propos que je viens d’entendre ! –, mais il faut que vous vous saisissiez des travaux menés par la mission commune d’information pour enrichir, par le biais d’amendements, par exemple, un texte existant ou à refonder. En effet, rien n’est aujourd’hui gravé dans le marbre. Le président du Sénat le rappelle souvent, en matière de collectivités territoriales, le Sénat a un rôle majeur à jouer.

Vous avez également évoqué les doublons, monsieur le président de la mission commune d’information, et les difficultés éprouvées par les citoyens et les acteurs économiques à comprendre notre organisation territoriale. Je me souviens du débat sur le tourisme que nous avons eu dans cet hémicycle.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Peut-on encore, au XXIsiècle, voir coexister les comités départementaux du tourisme, les comités régionaux du tourisme, Atout France, les services économiques des départements, les services économiques des régions, et les compétences exercées à l’échelle nationale ? Le tourisme offre pourtant de grandes potentialités économiques pour notre pays. Nous le savons tous, avec 80 millions de visiteurs, la France n’enregistre que 50 milliards d’euros de valeur ajoutée. Avec 50 millions de visiteurs, l’Espagne, elle, crée 80 milliards d’euros de valeur ajoutée ! C’est un vrai problème : cette masse très importante de touristes crée moins de valeur ajoutée qu’ailleurs. Nous avons pourtant des atouts extraordinaires, qui devraient nous permettre d’être la première puissance touristique du monde. Cette question, que vous avez posée, monsieur le président de la mission commune d’information, méritera donc d’être abordée de nouveau dans nos débats futurs.

Par ailleurs, j’ai apprécié le lien que vous avez fait entre « proximité » et « puissance ». À propos de cette dernière, je remarque que les uns et les autres ont insisté sur la taille des régions. Puisque j’ai décidé de m’éloigner du discours que j’avais préparé afin de mieux répondre à vos propos – il me semble que c’est l’esprit de notre débat d’aujourd’hui ! –, je dois avouer que le rejet, y compris et surtout par des sénateurs, de notre proposition visant à ce que la consultation des populations de deux régions voulant fusionner ne soit ni automatique ni inscrite dans le droit m’a beaucoup surprise. Qu’appelez-vous de vos vœux : un mouvement volontaire ou imposé ? Redécouper les régions de France n’est pas un travail aisé. (Mme Sophie Primas s’exclame.) Le simple redécoupage des cantons non plus, d’ailleurs, on l’a bien vu ! Cependant, je mets de côté ce sujet délicat…

En tout état de cause, je me demande si la loi ne pourrait pas prévoir de manière plus satisfaisante la possibilité pour les régions d’agrandir leur périmètre ou de fusionner. Nous avons tous en tête l’exemple d’une région que je ne nommerai pas mais qui a deux appellations différentes avec « haut » et « bas ». (M. Bruno Sido s’esclaffe.) Je pose la même question que vous : cela tient-il encore la route ? Je suggère que vous fassiez des propositions sur ce sujet.

En revanche, je tiens à le dire devant vous, je ne suis pas certaine que les grandes régions soient toujours les plus efficaces. Certes, cela a été souligné, grande région signifie notamment stratégie, recherche industrielle, enseignement supérieur, carte des hôpitaux. Cependant, même si, dans une telle région, les déplacements physiques sont aisés, il est nécessaire de garder à l’esprit qu’il faut parfois des proximités différentes, d’une autre nature, à même de faire comprendre pourquoi, dans un centre de recherches, par exemple, un transfert de technologie ne se fait pas alors qu’il pourrait se faire. Je me souviens avoir lu – M. Davezies y a également fait référence dans son audition – que certains Länder allemands extrêmement dynamiques sont de petite superficie. Comme l’a souligné Yves Krattinger, ce qui compte, ce n’est donc pas nécessairement la taille des régions, c’est bien plutôt leur puissance, leur capacité à agir, dépendant, notamment, de leurs ressources. S’il ne me revient pas de clore ce débat, je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, de l’avoir initié.

Vous avez également, monsieur le président de la mission commune d’information, beaucoup insisté sur la diversité et l’unité de la République. Le Gouvernement et moi-même partageons à 100 % vos propos sur l’unité de la République. J’adhère également à vos réflexions sur la nécessaire capacité d’adaptation de la loi. Avant les congés de fin d’année, le Premier ministre a posé la question de la diversité de la norme, en se demandant si le droit devait s’appliquer de la même façon sur tout le territoire. Bien sûr que non ! Certaines zones de densification urbaine n’appliqueront pas les lois d’urbanisme de la même façon que les zones où le foncier agricole doit être protégé. Les trois pouvoirs – adaptation, pouvoir normatif, pouvoir réglementaire – ne sont pas de même nature. S’il revient à la loi de le préciser au cas par cas, il nous incombe d’ouvrir la porte à de telles solutions.

J’ajoute toutefois qu’une de nos collectivités au statut particulier, la Corse, dispose d’ores et déjà de ce pouvoir. Pourtant, l’État n’a répondu favorablement à aucune des quarante demandes d’adaptation qu’elle a formulées. Je mettrai à votre disposition l’étude que nous menons actuellement, à la demande de l’Assemblée de Corse, visant à identifier les raisons de ces refus. Elle devrait vous permettre d’avancer sur ce sujet.

Il a aussi été fait mention du changement des modes de vie, de l’adaptation afférente. J’ai apprécié que les conférences territoriales de l’action publique aient été choisies pour l’organisation du guichet unique. J’ai eu beaucoup de mal à faire passer cette idée – sans doute m’étais-je mal exprimée ! –, mais c’est bien ainsi que nous les avions conçues. J’ai trouvé dans le rapport de la mission commune d’information une excellente définition de ce que pouvait être ce portail, ou cette entrée, unique, étant entendu que le guichet unique n’aura jamais d’existence physique. Nous devons y travailler ensemble.

Je retiens également cette expression terrible : le « sous-prolétariat territorial ». J’ai déjà eu l’occasion de le dire au cours des débats, chaque enfant de France n’a pas droit à l’égalité des possibles.

M. Bruno Sido. Eh oui !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Cela tient aussi au lieu de naissance.

M. Bruno Sido. C’est vrai !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Les services publics sont le patrimoine de ceux qui n’ont rien ; naître dans un endroit qui en est éloigné est donc source de fortes inégalités.

Au-delà de votre proposition de schéma départemental d’accès aux services publics, que je reprends avec enthousiasme, nous avons, me semble-t-il, une grande réflexion à mener, pour que chaque enfant de France ait droit à l’égalité des possibles. Cela pourra sans doute commencer par nos discussions sur l’égalité territoriale, la proximité, la compétence de solidarité territoriale que j’ai évoquée voilà quelques instants.

Vous avez raison de souligner, monsieur le président de la mission commune d’information, qu’il faudra accompagner la décentralisation – voie sur laquelle l’État s’est engagé – d’une véritable déconcentration, très différente – Yves Krattinger l’a relevé après vous, monsieur le Premier ministre Raffarin – de ce qu’elle est aujourd’hui. Les services de l’État, en effet, sont restés tels quels, et la décentralisation a, jusqu’à présent, insuffisamment été prise en compte.

Voilà quelques années, il était question d’État prédateur et d’État partenaire, d’État normatif et d’État aidant. Selon moi, l’État aidant, l’État protecteur est une nécessité absolue. Il faudra sans doute mieux réfléchir à la présence des services de l’État sur le territoire.

Je profite d’ailleurs de l’occasion qui m’est donnée de saluer ces derniers. Sans eux et, surtout, sans les services des collectivités territoriales,…

M. Bruno Sido. Les pompiers, notamment !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. … nous n’aurions pas pu faire face aux inondations que nous subissons actuellement en Bretagne.

L’égalité des territoires comme l’adaptation aux grands défis économiques sont des sujets importants. Vous avez parlé des dorsales du numérique, de l’intermodal. Nous pouvons parfaitement entendre ces propos, non sans ajouter, cependant, qu’il est nécessaire et urgent de réformer les finances locales. J’ai demandé au Premier ministre de pouvoir « démonter » la dotation globale de fonctionnement, afin de la redéfinir avec un critère d’égalité territoriale et de solidarité. Si l’on peut faire différemment pour la dotation globale de fonctionnement – il n’y a pas longtemps, Claude Dilain appelait de ses vœux une telle évolution –, concomitamment, il faudra maintenir de la solidarité. Je rappelle que l’Île-de-France accueillait 17 % des bases de la taxe professionnelle, alors qu’elle concentre 33 % des bases de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE. Les questions de péréquation et de solidarité se posent donc.

Vous avez raison, monsieur Krattinger, la région d’Île-de-France et la métropole du Grand Paris seront appelées à faire preuve de solidarité, par le biais de la péréquation. À l’heure actuelle, je ne vois pas d’autres moyens, même si l’agence des finances locales que vous appelez de vos vœux peut être une réponse. Mais je ne l’ai pas suffisamment étudiée pour vous en dire plus.

Pour terminer, je voudrais répondre à une question que Philippe Dallier avait posée à propos du Grand Paris. Lors de nos débats à l’Assemblée nationale, il a été décidé que l’État prendrait en charge une étude portant sur les conséquences de la suppression des départements et présentant tous les scénarios possibles.

M. Philippe Dallier. Ah ! Bonne nouvelle !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Nous ne voulons pas annoncer d’abord la suppression des départements, puis en examiner ensuite les conséquences !

M. Bruno Sido. Bien sûr ! Il faut une étude d’impact !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Conformément à nos engagements, les parlementaires et les élus franciliens disposeront d’un document évaluant les effets d’une telle mesure. C’est sur cette base qu’ils seront invités à y réfléchir.

En conclusion, je remercie le Sénat de son initiative, qui nous permettra d’aborder le deuxième volet de l’acte III de la décentralisation, et peut-être de réécrire en grande partie le texte. Je me félicite de l’excellente qualité des débats, reflet de la non moins excellente qualité des conclusions de la mission commune d’information. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous présenter mes meilleurs vœux, pour une année pleine d’écoute et d’inventivité.

Pendant six mois, nous nous sommes penchés – je parle de ceux qui n’étaient pas retenus dans l’hémicycle – sur l’organisation de la République décentralisée à moyen terme, c'est-à-dire pour la période 2020-2025.

Certes, cet essai de prospective était une excellente idée. Mais notre réflexion a été de courte vue : le temps politique et législatif s’écoule plus lentement que le temps civil. Ainsi, le moyen terme, c'est-à-dire six ans ou sept ans, est en réalité le court terme législatif ; notre dernière loi sur l’organisation territoriale de la France porte déjà sur cette période.

En effet, la loi sur l’affirmation des métropoles envisage de revoir le mode d’élection des conseillers métropolitains, avec notamment l’élection au suffrage direct du président à l’horizon 2020 !

Ainsi, borner notre réflexion à 2020-2025, c’est en réalité nous interroger sur l’évolution des lois que nous sommes en train de voter. Cela fait donc, en quelque sorte, double emploi avec l’acte III de la décentralisation.

C’est pourquoi le rapport, malgré toutes ses qualités, pèche par manque d’ambition. Nous savons ce que nous avons, nous savons ce que nous sommes en train de voter, mais nous ne savons pas nous en extraire pour imaginer l’organisation de la France de demain. Tout au plus, nous en sommes restés à la France de ce soir, au mieux de cette nuit !

Attachés à notre travail quotidien, nous n’avons peut-être pas été capables de nous détacher de nos modes de pensée actuels, si liés au passé.

J’en veux pour preuve la querelle des fondamentaux, celle des départements. La suppression des départements, que les Verts portent dans leur programme depuis leur origine, découlerait, selon le rapport, d’une analyse « dogmatique et infondée », l’« enracinement historique » des conseils généraux fondant leur « légitimité ».

À dogmatique, dogmatique et demi ! Depuis quand l’ancienneté est-il un gage de légitimité ? Sauf à dire que le neuf est toujours moins bon que l’ancien, que l’inventivité doit céder le pas au conservatisme, bref que l’imagination n’a pas sa place dans une analyse prospective…

Pourtant, dans cet hémicycle, après avoir reproché aux écologistes de n’avoir aucune vision territoriale – je vous invite à prendre connaissance de notre vision en lisant la première page de mon site Internet –, certains ont finalement trouvé bon de prôner publiquement la disparition des départements lorsque la métropole les dépouillait de leur utilité. Ainsi, la loi adoptée, en laissant subsister les départements de petite couronne, n’aurait pas été assez loin.

Nous devons évoluer et n’avoir aucun tabou, dans une analyse prospective. Nous devons oser toucher à l’organisation centralisée napoléonienne, où les départements étaient un simple rouage de l’administration centralisée de la France. La France ne peut-elle pas aller de l’avant et se réinventer à travers elle-même, parfois en supprimant ou en modifiant des institutions devenues superfétatoires ?

Faut-il que nous restions arc-boutés sur une institution sous prétexte qu’il y a soixante-dix-huit conseillers départementaux, dont trente-cinq présidents de conseil départemental, parmi nous ?

M. Bruno Sido. Tout ce qui est excessif est insignifiant !

Mme Hélène Lipietz. La France a besoin d’une organisation cohérente, efficace, à la hauteur des enjeux de notre siècle. Aurons-nous le courage de faire confiance à l’« intelligence des territoires », en les rendant responsables ?

Saurons-nous donner aux régions le rôle de pilotage et de planification stratégique, dont nous avons grand besoin dans le concert européen et mondial, surtout face aux métropoles, qui, elles, ont été conçues dès leur création pour avoir un rôle international ?

Est-il possible de sortir d’une vision jacobine de l’État qui voit tout, sait tout et prévoit tout ? (Exclamations et marques d’ironie sur plusieurs travées de l’UMP.)

Est-il possible de permettre une adaptation encadrée des normes au niveau local, afin de laisser une marge de liberté aux collectivités tout en respectant la nécessaire solidarité et la nécessaire cohésion territoriale ? Une telle marge de manœuvre, pourtant affirmée par la Constitution, nous permettrait de mettre en œuvre un fédéralisme différencié.

Saurons-nous garder le sens révolutionnaire du mot « décentralisation » ? Il semble qu’il nous échappe, à l’heure où nous opérons une forme de recentralisation, à travers la création des métropoles au détriment des intercommunalités, que nous avons pourtant eu tant de mal à faire émerger.

Il faut aussi avoir le courage de nos propres inquiétudes et faire face au désamour de nos concitoyens pour notre rôle. Il nous faut oublier nos intérêts personnels et retrouver l’intelligence des territoires tant louée.

Mais il faut surtout réconcilier les citoyens avec le jeu politique ; ils doivent occuper une place centrale dans les mécanismes de prise de décision locale. Nos concitoyens le réclament ; il y va de la survie de nos institutions.

Combien de temps nos électeurs vont-ils encore tolérer de n’être que des pions appelés à voter tous les deux ans ou trois ans ou, pire, d’être exclus pour sept ans de l’élection des présidents de métropole ?

Contrairement à ce que semble penser notre rapporteur, ce n’est pas de « médiation démocratique » que nos concitoyens ont besoin ! C’est d’un renouveau démocratique ! C’est à une refondation de notre démocratie que nous devons nous astreindre ! Élus de la République, nous devons repenser notre rôle. Je parle de notre rôle non pas de demain – c’est déjà, hélas ! trop tard – mais d’après-demain.

Il faut redonner du sens à la citoyenneté, qui va au-delà de l’élection. Nous avons déjà 600 000 élus en France, dont 90 % de bénévoles comme conseillers municipaux dans les petites communes. Nous avons 16 millions de bénévoles dans les associations. Sommes-nous assez obtus pour penser que tous ces citoyens sont incapables de s’occuper de la res publica ? Ils s’en occupent déjà ! Et c’est à nous de leur donner les moyens d’en faire plus pour leur territoire.

En ancrant dans la loi les outils déjà à l’œuvre – agenda 21, budgets participatifs, référendums locaux, concertations, pétitions… –, nous pourrions réconcilier les citoyens avec la sphère politique. Car ces outils, en rendant les citoyens responsables, rendent la République plus libre, plus égale et plus fraternelle, donc plus efficace.

Il s’agit ici du sens de l’Histoire, mes chers collègues ! À nous d’en faire dès aujourd'hui la réalité d’après-demain ! (M. Claude Dilain applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.

MM. Gérard Longuet et Bruno Sido. Très bien !

M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trente ans après l’acte I de la décentralisation et dix ans après l’acte II, qui donne souvent un sentiment d’inachevé, il était temps de repenser les fondements politiques et financiers d’un modèle devenu à bien des égards illisible. C’est l’objet et le mérite de la mission conduite par nos collègues Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger.

Pour ma part, je me limiterai à trois réflexions qui me semblent conditionner un nouvel élan à la décentralisation.

Ma première réflexion sera de rappeler que la décentralisation ne peut pas consister à confier aux collectivités territoriales ce que l’État n’a plus les moyens ou la volonté de faire. Aussi suis-je intimement convaincu qu’il ne peut pas y avoir de décentralisation réussie sans une réflexion préalable sur le rôle et les missions de l’État. (M. Bruno Retailleau opine.) La décentralisation ne doit en aucun cas devenir ce système commode par lequel l’État se défausse de tâches plus ou moins assumées.

Mme Cécile Cukierman. Sur ce point au moins, nous sommes d'accord !

M. Dominique de Legge. Elle doit au contraire être l’occasion de désigner, de repenser et de redéfinir les compétences des uns et des autres.

Décentralisation et réforme de l’État sont donc intimement liées.

Trop souvent par le passé, et aujourd’hui encore, on constate, pour les déplorer, des transferts de fait par désengagement implicite de l’État. On peut penser à l’ingénierie publique locale, à la police ou, plus récemment, aux rythmes scolaires.

Par ailleurs, il y a urgence à préciser ce que l’on met sous le mot « décentralisation ». S’agit-il d’un transfert de compétences ou de gestion ? On le voit bien avec l’action sociale dans les départements, où, de fait, ce service intervient dans un cadre législatif et réglementaire défini au plan national et appliqué uniformément sur l’ensemble du territoire. Il s’agit bien plus d’un transfert de gestion que d’un transfert de compétences proprement dit, ce qui supposerait une possibilité d’adaptation.

Le sujet n’est pas anodin. Il soulève plusieurs questions. Pour le compte de qui les collectivités locales agissent-elles ? À qui rendent-elles des comptes ? Et quel niveau de contrôle de l’État sur les compétences transférées ? Nous l’avons vu, l’État est encore très présent…

De telles ambiguïtés et confusions sont sources de malentendus. Il convient d’y mettre un terme. Il ne peut pas y avoir deux actions publiques, l’une nationale, l’autre locale, qui s’ignoreraient, se combattraient ou se concurrenceraient.

Je plaide donc pour que les textes annoncés sur la décentralisation répondent à ces questions et, surtout, ne fassent pas une nouvelle fois l’impasse sur la nécessaire réforme de l’État.

Ma deuxième réflexion porte sur la question de l’organisation territoriale et sur ce qu’il est convenu d’appeler « le millefeuille ».

Y a-t-il un nombre excessif d’échelons territoriaux entre la commune, l’intercommunalité, le département et la région ?

Il faut choisir : soit l’on se prononce pour la suppression de l’un d’eux, mais encore faut-il avoir le courage de dire lequel, soit l’on reconnaît à tous une légitimité et une raison d’agir, mais ils ne peuvent dans ce cas pas être compétents dans tous les domaines et il faut accepter d’identifier clairement les missions. C’est cette dernière option que le précédent gouvernement avait retenue.

Je déplore que le gouvernement actuel ait rétabli la clause de compétence générale sans en tirer les conséquences quant au nombre d’échelons.

Autant le couple entre commune et intercommunalité a un sens et un contenu, autant il me semble difficile de parler d’un couple entre département et région.

Sur le premier couple, je rejoins totalement les conclusions de la mission, qui réaffirme l’intercommunalité comme un lieu de coopération, et non comme une structure hiérarchique ou un lieu de tutelle sur les communes.

Quelle contradiction à demander plus de décentralisation, plus de liberté, plus de possibilité de s’organiser en tenant compte de la diversité des territoires tout en voulant en même temps régler les relations entre les communes et l’intercommunalité par une loi s’appliquant de manière uniforme et obligatoire !

Les départements et les régions apparaissent trop souvent plus en concurrence qu’en complémentarité.

Je crains que le redécoupage de la carte cantonale sur un critère essentiellement démographique au détriment d’une approche territoriale ne modifie très sensiblement la perception et l’action du département, créant un déséquilibre entre milieu rural et milieu urbain.

Et je ne parle même pas de l’émergence des métropoles, qui ont vocation à reprendre une partie des missions des départements.

Madame la ministre, j’aimerais vous interroger sur l’Ille-et-Vilaine, que vous connaissez bien même si ce n’est pas votre terre d’élection. Que va devenir le conseil général – le département compte 1 million d’habitants – avec une métropole de 600 000 personnes ?

Chacun s’accorde à reconnaître que la région n’a pas répondu aux espoirs mis en elle et que sa transformation en collectivité de plein exercice n’a pas fondamentalement changé les choses. C'est la raison pour laquelle je rejoins totalement l’idée, développée par la mission, d’en réduire sensiblement le nombre.

Et je me demande si les départements ne devraient pas petit à petit évoluer dans leur composition en rassemblant l’ensemble des exécutifs des EPCI, leur redonnant ainsi une mission de cohésion territoriale et sociale.

Je consacrerai ma troisième réflexion aux notions d’autonomie financière et d’autonomie fiscale, qui ne sauraient être confondues. Dans tous les États ayant une forte tradition d’organisation décentralisée, on constate que celle-ci ne s’accompagne pas d’une grande liberté ou autonomie fiscale.

La décentralisation est moins en premier lieu affaire d’autonomie fiscale que d’autonomie financière, car les richesses ne se trouvent pas sur les territoires ayant le plus de charges. Il n’y a pas adéquation entre les richesses d’un territoire et les dépenses mises à sa charge. Plus nous irons vers une République décentralisée, plus l’État devra travailler à la répartition des richesses, et mettre en place des dispositifs de péréquation et de dotation, par définition antinomiques avec l’autonomie fiscale.

Trop souvent l’État croit jouer son rôle de garant de l’unité nationale en réglementant. Or, selon moi, il devrait davantage se préoccuper de réguler et de veiller à assurer l’équité entre les territoires, notamment sur le plan financier, de façon à les doter des moyens nécessaires à la réalisation de leurs missions.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Exact !

M. Dominique de Legge. En conclusion, l’organisation territoriale ne doit pas être une simple question administrative ou une option technique de circonstance. C’est un choix politique, qui doit être assumé comme tel.

La diversité historique, géographique et culturelle de nos territoires est une richesse qu’il convient de valoriser. L’unité de notre nation, qui s’est construite sur une histoire et sur des valeurs partagées, est aussi sa force. La recherche d’un point d’équilibre entre unité et diversité doit être le fil conducteur de notre organisation territoriale, ainsi que de ses évolutions.

En ce qui me concerne, je privilégierai toujours la réaffirmation du rôle de l’État quand le lien social et territorial est en cause, car il y va de notre vivre ensemble et donc de notre unité. J’en appelle à la mobilisation des acteurs locaux dès que l’expression de la diversité du territoire devient gage d’efficacité et de responsabilité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. « La République est forte par son État, mais aussi par ses territoires ». Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, comment concrétiser cette affirmation du Président Hollande, que nous approuvons tous, ici, au sein de la chambre des territoires ?

Trente ans après les premières lois de décentralisation, qui ont changé la France, comme vous l’avez rappelé, madame le ministre, il est nécessaire de renforcer la capacité des collectivités à développer leur territoire. Comme vous, j’ai la conviction que le futur de notre pays se confond avec celui des territoires. Je crois aussi qu’une impulsion doit émaner du terrain, des acteurs de la démocratie locale, avec un indispensable objectif de clarté, d’efficacité et de subsidiarité.

Le Sénat possède, par essence, une longue tradition de réflexion sur les collectivités. Un des constats de la mission commune d’information est particulièrement alarmant, je veux parler du risque d’apparition d’un « sous-prolétariat territorial », notamment dans les zones rurales. Un tel phénomène serait inconcevable et inadmissible au sein de la République. Comme nous tous ici, je considère que l’égalité des chances entre les territoires est un impératif républicain et un élément essentiel pour utiliser au mieux le potentiel économique de notre pays.

L’État est le garant de l’unité et de la solidarité nationales, mais chaque territoire a ses besoins et ses contraintes ; c’est l’échelon local qui peut le mieux les définir. La décentralisation à la française a presque toujours été mise en œuvre par une déconcentration, l’État transférant des compétences à la charge des élus locaux, tel un ministère déconcentrant ses services. La sédimentation de l’histoire a, hélas ! construit une décentralisation par superposition et non par subsidiarité.

Il en résulte un labyrinthe administratif complexe, aux itinéraires mal identifiés et parfois manquant de cohérence, non seulement pour le citoyen, mais aussi pour les élus.

Nos concitoyens remettent en cause la bonne utilisation de leurs impôts, qu’ils jugent trop lourds, pour financer les services publics - trop de doublons, de compétences concurrentes nuisent à l’efficacité de l’action publique. Ils ne comprennent pas comment, en dix ans, l’effectif des agents locaux a augmenté de façon très déraisonnable, de près de 40 %.

La corrélation est évidente entre les 400 000 normes, qui constituent un frein dramatique à la fluidité de l’économie, et le nombre de fonctionnaires qui en surveillent l’application. Diminuons les normes de façon draconienne, et la dépense publique diminuera mécaniquement.

La commune est la structure première de la démocratie et de la proximité. Les 550 000 élus locaux forment un maillage territorial incomparable qu’aucune administration ne saurait remplacer. L’intercommunalité est l’échelon pertinent pour la réalisation de projets, dont la nouvelle phase d’intensification a débuté le 1er janvier. Elle est aussi l’outil adapté à la consolidation de bassins de vie cohérents et dynamiques.

Cette mutualisation réussie a été opérée grâce à l’attribution aux intercommunalités de compétences choisies par les communes, qui, elles, possèdent la compétence générale. La répartition claire entre compétence générale et compétence d’attribution est un principe qui fonctionne, il permet de savoir qui fait quoi. Le rétablissement de la clause générale de compétence au profit des départements et des régions sera plus source de confusion que d’efficacité. La notion de « chef de filat » ne suffira pas à rendre l’organisation claire.

Issues de l’expérience des élus, les propositions de la mission commune d’information ont mûri à l’écoute de personnalités extérieures au monde politique.

La comparaison avec nos partenaires européens est enrichissante. Ainsi, l’Allemagne fédérale compte moins de structures, moins de fonctionnaires, et une dépense publique moindre ; pourtant, elle offre une efficacité des services publics au moins égale à celle de la France, sinon meilleure, et ce en partie grâce à un Bundesrat composé exclusivement d’élus locaux ! La loi sur le non-cumul des mandats sera préjudiciable à cette démarche de meilleure organisation. (Eh oui ! sur plusieurs travées de l’UMP.)

M. Jacques Mézard. Excellent !

M. Aymeri de Montesquiou. C’est donc à nous qu’il appartient d’inventer la décentralisation à la française, avec un esprit neuf et créatif. Soyons pragmatiques et non idéologues, soyons courageux et novateurs ! Osons redéfinir les lignes et les compétences de nos territoires pour clarifier et dynamiser notre espace national.

Dans son rapport, M. Krattinger propose de diminuer le nombre de régions et de leur donner les compétences stratégiques pour ouvrir nos territoires sur le monde, par souci d’efficacité. C’est indispensable. Un consensus se dessine autour de cette idée.

Une région forte, avec une compétence économique stratégique, corrélée à une compétence en matière d’enseignement tant secondaire que supérieur et de formation professionnelle, une région organisée autour d’infrastructures performantes pourrait devenir un acteur international, au minimum à l’échelon européen.

La mission commune d’information considère le département comme la cellule adaptée aux zones rurales pour la solidarité. Je suis, sur ce point, en désaccord avec son président, Jean-Pierre Raffarin, car les élus de communautés de communes constatent que la solidarité est devenue une compétence majeure du bloc communal : l’aide à domicile, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou EHPAD, les maisons de retraite, les crèches, ainsi que leurs salariés, sont de leur ressort.

M. Bruno Sido. Ce n’est pas vrai !

M. Aymeri de Montesquiou. En outre, les départements n’ont très souvent plus les moyens de jouer le rôle de péréquateur en subventionnant les petites communes. Ainsi privés de leur vocation économique et sociale, les départements voient leur existence se justifier de moins en moins. L’attribution de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, pourrait être modulée par l’État en fonction du niveau de richesse des territoires, ce serait une véritable solidarité nationale par péréquation.

Le rapport formule une idée nouvelle qui favoriserait la subsidiarité, celle de lois-cadres territoriales donnant aux collectivités un véritable pouvoir décentralisé d’adaptation de la législation, par voie réglementaire.

Il est évident que l’on ne peut administrer de la même façon une métropole, a fortiori une ville capitale de taille mondiale, et une zone rurale, une zone de montagne ou un espace périurbain. L’hétérogénéité du coût de la vie et du niveau des rémunérations constitue une rupture de l’égalité nationale. Peut-on imaginer un SMIC différent dans la région parisienne et dans les zones rurales ? Cela ajouterait, additionné aux avantages des zones de revitalisation rurale, à l’attractivité de la ruralité.

Enfin, l’autonomie des collectivités territoriales doit se traduire avant tout par une autonomie financière. La complexité des finances locales, des financements croisés, de la péréquation verticale et horizontale, de la définition du potentiel financier et du potentiel fiscal engendre l’incompréhension chez les citoyens et la perplexité chez les élus.

Une révision des finances locales est donc une priorité absolue. C’est ce que préconise le rapport en prévoyant, par exemple, de ramener de dix à une les formules fiscales de l’intercommunalité avant 2020. Ce serait une révolution salutaire. La future réforme fiscale du Gouvernement ne peut faire abstraction d’une refondation de l’impôt local.

Le groupe UDI-UC propose une idée simple et efficace : le triptyque « une collectivité, une compétence, un impôt ». Le citoyen connaîtrait ainsi la destination de ses impôts et le principe « moins de dépenses pour plus d’efficacité » pourrait enfin devenir une réalité. Cette cohérence des structures, des compétences et du financement assurerait une politique locale lisible, soutenable et autonome. Elle recevrait à la fois plus d’adhésion de la part des citoyens et plus de confiance de la part des investisseurs pour développer l’action économique de la collectivité.

Enfin, la présence à Bruxelles de représentants au fait des problématiques de nos territoires favoriserait une meilleure intégration européenne de nos régions.

Madame la ministre, prenez en compte les travaux du Sénat. Redonnez l’envie aux Français de faire prospérer leurs territoires. C’est par la clarté, la cohérence et l’efficacité de son organisation décentralisée que notre République pourra exploiter son potentiel, et de nouveau occuper pleinement sa place, en Europe et dans le monde. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc des commissions. – M. Claude Dilain applaudit également.)

(M. Thierry Foucaud remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, durant ces dernières années, d’intenses discussions ont eu lieu autour de l’organisation territoriale de notre pays.

Intelligence, confiance, égalité, efficacité, mais aussi rationalité et compétitivité ont été les maîtres mots des différents débats qui se sont tenus dans cet hémicycle.

La répartition des compétences, les échelons territoriaux pertinents, les moyens de l’action publique, sont autant de questions encore sans réponse aboutie aujourd’hui.

Notre débat est marqué par un contexte d’incertitude. En effet, nous avons assisté à la production de très nombreux textes législatifs ayant une incidence directe sur nos collectivités territoriales : réforme de 2010, métropolisation, nouvelle programmation des fonds structurels européens, contractualisation État-régions pour la période 2014-2020. Par ailleurs, nous sommes dans l’attente des deux autres volets législatifs de la réforme voulue par le Président de la République.

Bref, la réflexion sur notre organisation territoriale à l’horizon 2020-2025 s’inscrit, vous en conviendrez, dans un contexte extrêmement mouvant.

Si nous souscrivons à certains éléments de l’état des lieux esquissé et à certaines des préoccupations relevées par la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, nous ne partageons pas l’essentiel de ses préconisations.

Qu’il me soit permis d’abord de dire un mot de la méthode. Les états généraux de la démocratie territoriale, qui se sont déroulés ici même, au Sénat, ont permis aux élus d’exprimer leurs attentes et leurs inquiétudes. Nous devons les écouter.

Les élus ont clairement affirmé la nécessité de rétablir la compétence générale des régions et des départements. Ils ont mis l’accent sur leur attachement à la commune ainsi que sur l’importance de mettre en place un véritable statut de l’élu. Surtout, ils ont exprimé le besoin d’évaluer les normes et d’effectuer une pause dans les réformes.

L’objet de notre mission est si fondamental qu’il eût justement été opportun de réfléchir à une nouvelle méthodologie. Quatre réunions d’auditions, quatre discussions et trois déplacements ne nous semblent absolument pas suffisants pour un tel chantier. Puisque cette mission commune d’information avait pour objectif de se pencher sur l’avenir, nous aurions pu prendre plus de temps et réfléchir au moyen de rendre la parole non seulement aux élus mais aussi aux citoyens, aux fonctionnaires territoriaux, aux entrepreneurs, aux commerçants et artisans, aux agents des services publics, bref, aux premiers concernés.

À cet égard, cela aurait pu être l’occasion d’élaborer un questionnaire, qui aurait ensuite été soumis au débat public. Les questions se bousculent, et on a mesuré leur grand nombre depuis le début de cette après-midi : y a-t-il réellement trop de communes ? Y a-t-il trop d’échelons, trop de doublons ? Faut-il supprimer les départements ? Qu’attendez-vous de vos élus ? Quels doivent être les services publics et à quelle échelle ? Pensez-vous que notre organisation territoriale soit trop complexe ?

Cette méthode nous aurait permis de sortir de l’« entre soi » qui nous est si souvent reproché, et sans doute de nous bousculer dans nos points de vue.

C’est que, malgré la complexité du sujet, on observe, sur l’ensemble du territoire, un foisonnement d’initiatives populaires et de réflexions d’une très grande richesse. Mme la ministre vient de nous livrer quelques-unes de ses réflexions - clause de solidarité, compétence en matière de tourisme. Monsieur le rapporteur, j’ai l’impression que notre mission vient tout juste de commencer !

Sur le fond, il nous semble que ce rapport prélude à un éclatement des solidarités territoriales, et à ce que son auteur qualifie lui-même d’« émergence d’un sous-prolétariat territorial ». Voilà une expression que je reprends volontiers également.

En effet, après la territorialisation de l’action publique, qui porte en germe cette fracture territoriale, cette mission commune d’information propose d’aller plus loin encore vers « la différentiation des territoires », permettant la mise en place d’un véritable pouvoir décentralisé d’adaptation de la législation et mettant ainsi à mal, à nos yeux, l’égalité des citoyens devant la loi, au risque de renforcer les inégalités territoriales.

Le « choc des territoires » – pour reprendre la terminologie du rapport – fondé sur la mise en concurrence de ces derniers, serait destructeur des solidarités nationales et d’un aménagement harmonieux et équilibré du territoire, au seul profit des zones denses qui « aspireraient » l’essentiel des capacités de développement. Sur ce point, nous devons être extrêmement attentifs et vigilants.

Nous ne souscrivons pas à l’objectif de réduction du nombre de régions. J’ai du reste le sentiment que Mme la ministre n’y adhère pas non plus ! Nous ne souscrivons pas davantage à une possible disparition des départements dans les zones urbaines, ou à la perspective d’une fusion rapide des départements de la petite couronne d’Île-de-France. Au demeurant, ces projets de modifications ne tiennent jamais compte de l’avis des populations concernées. L’exemple alsacien devrait pourtant nous inspirer !

Si nous nous associons à la mission d’information pour réaffirmer la place des communes, nous nous interrogeons sur leur véritable avenir. En effet, le rapport ne mentionne plus qu’un « bloc communal » pour la mise en œuvre des politiques publiques de proximité. Il situe ce « bloc communal » comme premier échelon de la démocratie locale, en lieu et place des communes. Or nous n’avons pas défini ce terme de « bloc communal » que pourtant nous ne cessons d’employer ! Est-ce une manière d’acter diplomatiquement la fin des communes ? Je pose la question. Ce nouveau vocable est flou. Il peut se révéler dangereux pour tous ceux et toutes celles qui, comme les sénateurs du groupe auquel j’appartiens, sont profondément attachés à la commune.

Nous n’avons cessé en effet de le rappeler, que ce soit lors de débats relatifs à la politique de la ville, à la politique du logement – avec l’obligation du PLU intercommunal – ou au mode d’élection de ceux que l’on nomme non plus les « délégués » mais les « conseillers communautaires » : les communes constituent le pivot de l’organisation territoriale, le cœur battant de notre République. Il serait impensable de se priver de cet atout unique en Europe, en leur retirant leurs compétences.

L’avenir de notre pays ne peut reposer sur quelques métropoles que l’on compterait sur les doigts d’une ou de deux mains. L’équilibre est à rechercher entre les territoires, urbains, rurbains et ruraux. C’est cette démarche qu’entreprennent aujourd’hui plus d’une trentaine de départements avec le concept de « nouvelles ruralités », sur l’initiative du président du conseil général de l’Allier.

Enfin, le traitement des questions financières et fiscales, auxquelles l’ensemble des collectivités territoriales sont confrontées, mériterait d’être approfondi par notre mission commune d’information. De fait, à l’heure actuelle, les collectivités territoriales sont étranglées financièrement. Si elle est la bienvenue, une simplification de la fiscalité des EPCI ne sera pas la solution à tous les problèmes !

Pour notre part, nous considérons que la décentralisation doit être organisée selon le principe de proximité, permettant d’optimiser les décisions publiques dans le sens d’une plus grande satisfaction de l’intérêt général.

Nous faisons le choix du développement des coopérations et non de la mise en concurrence des territoires.

L’autonomie des collectivités territoriales devrait être assurée par l’actualisation du principe de libre administration et par une réforme de la fiscalité locale, avec participation des actifs matériels et financiers des entreprises.

Nous saluons la qualité du rapport, mais nous ne jugeons pas que ses conclusions satisfassent à ces objectifs. Cette mission commune d’information aurait dû être un premier pas vers une réflexion rénovée, permettant de rapprocher les citoyens de leurs élus, en leur donnant la parole. Il s’agit, à cet égard, d’une occasion manquée. C’est une autre raison pour laquelle nous n’avons pas voté les conclusions de ce rapport.

Une véritable décentralisation démocratique et républicaine doit être fondée sur la souveraineté populaire, le contrôle citoyen, l’égalité de traitement, la coopération entre les collectivités et la solidarité entre les territoires et les populations. Ce n’est qu’au prix du respect de ces conditions qu’une réforme territoriale pourra être pérenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC – MM. Edmond Hervé et Claude Dilain, ainsi que Mme Hélène Lipietz applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Marc Daunis.

M. Marc Daunis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après les états généraux de la démocratie territoriale, organisés en octobre 2012, nous débattons aujourd’hui d’un rapport d’information qui, j’en suis sincèrement convaincu, s’écarte du « court-termisme » et rend honneur au temps long dans lequel notre institution doit s’inscrire.

Certes, l’horizon de 2020 ou de 2025 peut, somme toute, sembler relativement proche. Mais notre mission commune d’information s’écarte de cet écueil surtout par les propositions qu’elle formule et par la méthode qu’elle emploie. À cet égard, je tiens à rendre hommage à son président, Jean-Pierre Raffarin, et à souligner l’excellent travail de son rapporteur, Yves Krattinger. Permettez-moi également de me réjouir de la qualité des débats que nous avons menés.

Pour ma part, je présenterai quelques préconisations que j’ai formulées au sein de cette mission – j’avais l’honneur d’en être vice-président – et qui ont pu, ici ou là, emporter l’adhésion de nos collègues.

Dans le mouvement majeur et nécessaire d’une République décentralisée, je suis convaincu que notre institution, le Sénat, a un rôle nouveau à jouer, une place originale à occuper. La respiration démocratique du pays est rythmée en grande partie par l’Assemblée nationale, ce qui est symbolisé par le pouvoir dont dispose le Président de la République de dissoudre celle-ci. Quant au Sénat, il enrichit autrement notre bicamérisme, à la fois par sa dominante territoriale et par son inscription dans un temps plus long, celui de la prospective. Ses réflexions se fondent sur les mutations profondes de nos territoires, où s’amplifient les disparités voire les décrochages, et au sein desquels les inégalités se creusent. Ce constat a été utilement rappelé.

Nos travaux ont eu pour point de départ une réalité qui me paraît assez évidente : la France a considérablement changé au cours des dernières années. À cet égard, on distingue bien trois enjeux territoriaux fondamentaux : tout d’abord, le monde rural et la place des services publics ; ensuite, l’organisation du périurbain, liée à diverses problématiques économiques, à l’enjeu de la consommation du foncier et à la pression s’exerçant sur ce quasi hinterland qui se dessine entre le rural et l’urbain ; enfin, la ville, qui fait l’objet de politiques spécifiques, marquées par les facteurs de la concentration urbaine et du développement économique.

Globalement, il faut garantir l’articulation du vivre ensemble, en accordant une attention toute particulière aux zones de frictions.

Dans un tel contexte, il est nécessaire de refonder de nouvelles solidarités territoriales, de nouveaux modes d’organisation des territoires. Au-delà des politiques publiques, sur lesquelles je reviendrai, ce questionnement a conduit à insister sur la place majeure de l’intercommunalité.

Le constat a été établi : nos territoires doivent être plus réactifs. Leur diversité est une force, non une faiblesse, et, pour réussir à susciter cette réactivité, nous devons déterminer les bonnes articulations entre chaque niveau de collectivités.

Telle était la logique de la réforme menée en la matière par le précédent gouvernement, avec le conseiller territorial, initiative que notre collègue Dominique de Legge a rappelée et assumée. Trois blocs avaient alors été définis : le bloc communal et intercommunal, le bloc départemental et régional et le bloc État-Europe.

Ma conception est autre, radicalement, fondamentalement autre. À mon sens, il convient de distinguer au contraire deux blocs, à savoir un bloc de proximité et un bloc de stratégie.

Le bloc de proximité doit s’organiser autour d’un noyau de base. À ce titre, contrairement à ce que Mme Schurch vient d’affirmer, ce rapport ne prélude nullement à la disparition des communes, bien au contraire ! Les communes sont confortées dans leur rôle fondamental, comme cellules de base de la vie démocratique, de l’organisation et de l’architecture territoriales du bloc communal. Ce dernier est enrichi par un espace coopératif, qui est celui de l’intercommunalité et qui se fonde sur un projet partagé, appuyé sur la mise en commun de moyens et de compétences. Enfin, aux côtés de la commune et de l’intercommunalité, le département vient en garant de la solidarité et de la cohésion territoriales. Il adopte une position pragmatique, à travers le chef de filat et la contractualisation, avec l’organisation coopérative locale.

Quant au bloc de stratégie, il comprend la région, interface entre les projets de territoires du bloc de proximité, donc au plus près des territoires, et les politiques publiques impulsées par l’État et l’échelon européen.

Cette distinction entre bloc de stratégie et bloc de proximité doit se retrouver au cœur des articulations territoriales à venir. Elle doit servir de ligne directrice à toute nouvelle organisation, qu’elle soit décentralisée ou déconcentrée.

Je n’y reviendrai pas longuement, mais je veux souligner que l’État me semble, aujourd’hui, jouer un rôle plus important au niveau départemental. Ne serait-il pas préférable de doter l’échelon étatique régional d’un « super-SGAR » pour prévenir les dissensions susceptibles de se faire jour entre les administrations étatiques à l’échelon régional et à l’échelon départemental ?

Dans cette diversité, dans ces nouvelles articulations, le lien doit être assuré par la cohérence des politiques publiques, par l’application du principe de subsidiarité et par la contractualisation, via les projets de territoires. Ce mot d’ordre a déjà été lancé : laissons s’exprimer l’intelligence de nos territoires !

Concernant le nombre de régions, je ne suis pas persuadé que l’on ne doive pas être plus proche de la douzaine ou de la quinzaine. Toutefois, ce débat peut sembler secondaire.

Mes chers collègues, pour conclure, j’insisterai plutôt sur le rôle de notre institution dans la République décentralisée. De fait, dans un bicamérisme rénové, c’est une responsabilité accrue du Sénat qui, à mes yeux, se dessine.

En nous appuyant sur les traditions de la Haute Assemblée – notamment sur la qualité et la courtoisie de ses travaux et de ses débats – nous pouvons rompre totalement avec l’héritage d’un conservatisme institutionnel propre à une Ve République désireuse de stabilité après les remous de la IVe République. Nous pourrions ainsi forger le Sénat de la prospective, autour du consensus républicain, ce qui ne veut pas dire un Sénat apolitique, mais bien plutôt un Sénat fécondant le débat politique, traçant le cadre républicain, anticipant les grands enjeux de notre société pour le législateur et pour le citoyen.

Ce rôle m’apparaît d’autant plus important que je crois également à la nécessité d’un pouvoir réglementaire, au moins au niveau régional.

En outre, ce Sénat devrait représenter la dynamique et l’intelligence territoriales accompagnant la décentralisation.

Enfin, il s’agirait d’un Sénat plus spécialisé, dans sa mission de contrôle de l’action gouvernementale, sur l’application des lois dans le territoire.

Permettez-moi, en conclusion, de vous livrer une confidence : j’ai été agréablement surpris par le résultat des travaux de notre mission. Au début, je n’étais pas persuadé que nous parviendrions à un rapport de cette qualité, qui réaffirme une vision de la décentralisation conforme à notre culture et à notre histoire.

Madame la ministre, je sais que vous êtes particulièrement sensible au rôle du Sénat, et je suis d'ores et déjà persuadé que les conclusions de notre mission commune d’information constituent un creuset de propositions auxquelles les sénateurs seront particulièrement attentifs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, existe-t-il lieu plus pertinent que cet hémicycle pour débattre de l’avenir de l’organisation décentralisée de notre république ? Je ne le pense pas.

En effet, les sénateurs, qui, aux termes de la Constitution, assurent la représentation des collectivités, peuvent, en la matière, se prévaloir d’une expertise et même d’une expérience hors du commun. En serait-il de même si, un jour, notre assemblée ne comptait plus dans ses rangs ni maire ni président de collectivité ? J’en doute fortement ! (Mme Sophie Primas et M. Bruno Retailleau applaudissent.) Il est encore temps de ne pas mal faire !

M. Jean-Michel Baylet. Les enjeux territoriaux sont pourtant toujours au cœur de nos travaux. En témoigne le débat qui se tiendra demain, ici même, à l’initiative du groupe RDSE et de son président, Jacques Mézard, sur la politique du Gouvernement en matière d’égalité des territoires. Il faut souligner, en tout cas, la qualité des travaux de la délégation sénatoriale aux collectivités et à la décentralisation, présidée par Jacqueline Gouraud.

Depuis la loi du 28 mars 2003, il est inscrit à l’article 1er de notre Constitution que l’organisation de notre République est décentralisée. Cela rappelle sans doute quelque chose au président Raffarin…

Longtemps attendue et espérée, la grande réforme que devait être l’acte III de la décentralisation a cédé la place à divers textes. Pour le dire autrement, l’acte III se joue en plusieurs scènes. (Sourires.)

Des textes touchant à l’organisation des collectivités ont cependant déjà été adoptés, depuis juin 2012. Je pense notamment à la loi relative à l’élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux, avec la fâcheuse introduction de l’élection par binômes.

M. Jacques Mézard. Excellent !

M. Jean-Michel Baylet. Plus récemment, l’année 2013 s’est achevée par le vote du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Enfin, à la fin du mois, nous débattrons, en seconde lecture, des projets de lois interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec les mandats de parlementaires.

Je le répète, madame la ministre, il est encore temps de ne pas mal faire !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je n’ai pas la main !

M. Jacques Mézard. Perseverare diabolicum !

M. Jean-Michel Baylet. La mission commune d’information créée en avril dernier, à l’initiative de nos collègues du groupe UMP, ambitionnait de s’affranchir des calculs politiciens en privilégiant une approche constructive et transpartisane. On peut, certes, s’interroger sur l’opportunité d’engager un tel travail prospectif, à l’horizon 2020, alors que nous examinions, concomitamment, plusieurs textes d’importance touchant aux mêmes sujets.

Les griefs les plus récurrents à l’évocation de l’administration de nos territoires sont la lourdeur et le manque de lisibilité des processus de décision. La mission commune d’information nous propose donc dans son rapport d’adapter cette architecture aux défis de notre temps, tout comme elle ambitionne de rénover le cadre institutionnel et de l’appliquer à des territoires différents. Je tiens à rendre hommage au travail d’animation et de médiation réalisé par le président Jean-Pierre Raffarin et le rapporteur Yves Krattinger.

Dans le temps qui m’est imparti, il me sera impossible d’aborder l’ensemble des pistes que vous tracez, mes chers collègues. Vous me permettrez de ne pas m’attarder sur l’indispensable réforme de la gouvernance des grandes métropoles, ni sur les perspectives que vous tracez pour l’intercommunalité. Je me suis exprimé sur ces points en des temps anciens, quand j’en avais la charge au sein du Gouvernement.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je m’en souviens !

M. Jean-Michel Baylet. Je reviendrai plutôt sur le premier axe de réflexion du rapport, qui s’attache à la présence de l’État et des services publics dans les territoires. Il s’agit, aux yeux de nos concitoyens, de la manifestation essentielle, et la plus visible, de la puissance publique. Ces dernières années, malheureusement, cette présence s’est réduite, singulièrement dans les zones les plus sensibles et les plus fragiles : les zones rurales.

Ce désengagement a alimenté le sentiment d’abandon ressenti par des populations et des territoires entiers. Il est bien réel ! Pourtant, face à ce mouvement, des initiatives sont nées. Dans mon département, le Tarn-et-Garonne, nous avons travaillé dès 2008, avec l’association des maires et la préfecture, pour créer les conditions de l’élaboration d’un schéma départemental de présence postale, permettant le maintien de la plupart des agences et privilégiant le dialogue et la concertation.

Sur le plan institutionnel, le rapport préconise une diminution du nombre de régions – entre huit ou dix -, avec la perspective de leur conférer une taille européenne. Nous aurions dû faire cela autrement, plutôt que de les couper en deux à leur création pour satisfaire tel ou tel baron ! Cette direction est la bonne.

Ce rapport réaffirme également la place centrale du département, notamment dans les zones rurales, comme lieu de la solidarité et de la proximité. Voilà bien la reconnaissance de la réalité des choses, depuis que la République, dans les conditions que nous savons, a créé cette collectivité !

Je mesure le caractère explosif de ces propositions, qui vont à l’encontre de l’argument à la mode – la sagesse de cette assemblée invite pourtant à se méfier des modes – trop souvent entendu, y compris ici tout à l'heure, qui voudrait que le département soit une structure « périmée, parce qu’ancienne », ainsi que vous le mentionnez dans le rapport. Vous ajoutez « l’enracinement historique du département lui confère sa légitimité. » C’est ce à quoi je faisais allusion à l’instant en parlant des conditions de la création des départements, décidée pour, d’une certaine manière, sauvegarder la République.

Ainsi qu’il a été dit à plusieurs reprises lors des auditions, nos concitoyens sont attachés à leurs départements, comme à leurs 36 000 communes et à leurs maires.

Vous proposez la création de grandes régions, plus adaptées au grand jeu européen et disposant de réelles missions d’aménagement du territoire, de développement économique. Cela va dans le bon sens : à la région, la stratégie, au département, la proximité et l’efficacité. Ainsi, nos concitoyens gagneront en lisibilité et en compréhension des processus, et nous ferons preuve d’une meilleure efficacité.

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. Jean-Michel Baylet. Dans son sixième axe de propositions, le rapport s’attache à la question du rôle des parlementaires dans la décentralisation. Nous le voyons, notamment lors de l’examen des projets de loi de finances, nous sommes confrontés à des difficultés dans l’accès aux données, ou à la transmission de données tronquées de la part de certaines directions.

M. Raffarin le sait mieux que quiconque : si même le Premier ministre se trouve parfois face au « mur de Bercy », que dire alors des parlementaires que nous sommes ? Je souscris donc pleinement à l’idée de doter le Parlement de moyens d’expertises propres. Là encore, le Sénat, « grand conseil des communes de France », a un rôle particulier à jouer.

Les relations financières entre l’État et les collectivités sont trop souvent complexes et empreintes d’une méfiance réciproque, et cela ne va pas en s’arrangeant. L’autonomie financière des collectivités est pourtant inscrite à l’article 72-2 de la Constitution.

Lors de ses vœux aux Français, donc tout récemment, le Président de la République a rappelé son engagement en faveur de la maîtrise de la dépense publique, notamment en ce qui concerne les compétences des collectivités, qui devront être clarifiées. Oui, mais, dans son rapport, la mission commune d’information pointe le manque de lisibilité et le caractère inégalitaire des finances locales, ce qui accroît les fractures entre collectivités. Au sein de l’Assemblée des départements de France, cher Bruno Sido, nous cherchons une solution équilibrée, depuis tant d’années !

Et que dire des transferts de compétences ? En 2010, nos collègues Éric Doligé et Claude Jeannerot pointaient déjà dans leur rapport des perspectives inquiétantes pour les finances locales, liées à l’évolution prévisible des charges résultant de ces transferts de personnels de l’État vers les collectivités, sans compensation. Disons-le fortement mais d’une manière positive, madame la ministre, il n’y aura de véritable décentralisation que lorsque l’on accordera aux collectivités locales une véritable autonomie financière et fiscale.

Enfin, je conclurai mon propos en rendant hommage aux 550 000 élus locaux, qui accomplissent une tâche remarquable. Ce sont eux qui assurent un rôle de premier plan dans le développement des territoires, le fonctionnement des services publics et le maintien du lien social. Ce sont eux qui furent, par exemple, en première ligne lors des récentes inondations en Bretagne.

Il faut donc nouer de véritables pactes de confiance entre l’État et les collectivités, car ce sont elles qui font vivre la démocratie au plus près de nos concitoyens. Je sais, madame la ministre, que vous-même, comme l’ensemble du Gouvernement, en êtes convaincue. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de l’UMP et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.

M. Bruno Sido. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le Premier ministre Raffarin, président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le titre du rapport, Des territoires responsables pour une République efficace, est sobre, concis et clair. Il fixe un cap et donne la feuille de route pour atteindre l’objectif. Cette méthode de travail pleine de bon sens sert, à l’évidence, l’intérêt de nos collectivités locales, et bien au-delà.

Puisque nous sommes le 7 janvier et que la période est aux vœux, permettez-moi de souhaiter de tout cœur que notre pays suive en 2014 un chemin de responsabilité et poursuive une ambition : l’efficacité de l’action publique. Les chefs d’entreprises parleraient plutôt de retour sur investissement de l’impôt des Français.

Le consentement des citoyens à l’impôt, loin de n’être qu’un principe inscrit en lettres d’or dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, doit redevenir un élément clef du pacte républicain : faire des efforts, oui, mais pour des résultats tangibles !

L’effort, voilà précisément ce à quoi nous invite ce rapport d’information, au travers de dix propositions.

Si elles devenaient réalités, elles permettraient enfin de régler les questions de la relation coûteuse de l’État aux collectivités territoriales et du rôle respectif des différents acteurs locaux. L’effort s’entend ici au plan intellectuel autant que financier. Je dis « enfin », car le diagnostic est connu de tous, et depuis des lustres !

En toute franchise, lorsque je relis les discours que nous prononçons tous sur ce thème, je ressens la désagréable impression que nous passons notre temps à dresser les mêmes constats, ce qui n’enlève rien à leur pertinence, d’ailleurs, mais que tout ou presque s’arrête là. Nous sommes lucides, mais velléitaires.

Permettez-moi de prendre quelques exemples.

Les doublons administratifs entre l’État et les collectivités existent depuis 1982.

Il en va de même de la question de l’accessibilité et de la qualité du service public en milieu rural : voilà des décennies que chacun connaît le problème de la désertification !

Nous évoquons depuis longtemps la nécessité de traiter à part les métropoles de rang européen ou mondial, comme Paris et ses environs, ainsi que le problème posé par la taille de la plupart des régions françaises, insuffisante pour leur permettre de jouer dans la même cour que leurs homologues européennes.

De même, l’application du principe de subsidiarité, qui entend permettre de décider vraiment au plus près des réalités de terrain, fait l’objet de discours répétés.

Rassurez-vous, j’arrête là cette énumération !

La mission commune d’information, au contraire, a tourné ses travaux vers l’action. C’était pour moi un plaisir d’en faire partie.

Au nom des quarante et un départements de la droite, du centre et des indépendants, j’évoquerai trois sujets : l’avenir du département, sa complémentarité avec la région et la nécessaire réforme de l’État.

Les départements sont, bien sûr, les enfants de la Révolution et des Lumières. Ils ne datent pas d’hier, à l’heure de la société du « 2.0 » où la course permanente à la nouveauté marginalise tout ce qui semble un peu ancien, madame Lipietz !

Bien sûr, ils ne sont pas « à la mode », comme les régions, véritables échelons de base de l’intervention de l’Union européenne communs à presque tous les États européens.

Bien sûr, la cascade de structures publiques qui étouffe, par son coût, l’économie réelle et décourage l’initiative des entrepreneurs, par son manque de réactivité, doit être réformée pour correspondre à sa raison d’être : servir.

Mais les départements sont-ils le problème, comme la Commission pour la libération de la croissance française, présidée par M. Attali, s’en faisait l’écho ? Elle n’est d’ailleurs pas seule à tomber dans le déni de réalité : les auteurs d’un rapport de l’OCDE ont commis, voilà quelques mois, la même erreur. À l’issue de la conversation que j’ai eue avec eux, ces rapporteurs ont cependant pris conscience du rôle indispensable des départements en milieu rural, et je les remercie publiquement aujourd’hui de leur capacité à remettre en cause leurs propres analyses. C’est un comportement suffisamment humble et professionnel pour être salué.

Dans le monde urbain, il va de soi que les métropoles ont vocation à redéfinir les rôles et missions de chacun.

Le milieu rural, voilà le point clé pour comprendre l’avenir du département. Loin d’être le problème, il représente une solution d’avenir hors des villes. Qui se chargerait des solidarités ? Qui pourrait entretenir le réseau routier ? Qui investirait pour l’accès de tous à l’internet haut débit sur tout le territoire ?

À cet égard, plutôt que de faire un long discours, je citerai un seul paragraphe de l’excellent rapport d’information de notre collègue : « Premier échelon de la décentralisation par ses compétences de proximité, le département possède une forte capacité fonctionnelle comme instance de cohésion sociale [...], comme niveau irremplaçable d’expression des besoins spécifiques de la ruralité [...]. Le conseil général est l’interlocuteur naturel des maires, qui estiment que le département présente un intérêt majeur pour les territoires. »

Tout est dit, ou presque. Quelqu’un pourrait-il m’expliquer par quel raisonnement étrange certains concluent que la réforme territoriale passe par la suppression du département ?

Pourquoi les départements sont-ils une chance pour le monde rural ? Pour éviter le basculement vers un « sous-prolétariat territorial » – j’en conviens, l’expression est forte ! – de vastes étendues qui, sans eux, seraient abandonnées à elles-mêmes, souvent en pleine reconversion industrielle. Ce risque concerne 20 % du territoire national, si j’en crois le rapport d’information, partout où « les zones rurales échappent à l’influence des métropoles et des agglomérations ».

Pour autant, préservation ne signifie pas immobilisme : si le département reste un échelon très pertinent, la clarification du « qui fait quoi ? » avec la région ne peut plus attendre.

Le groupe de la droite, du centre et des indépendants de l’Assemblée des départements de France le demandait hier au gouvernement de François Fillon, comme il le fait aujourd’hui à celui de Jean-Marc Ayrault – nous sommes constants dans les demandes que nous adressons à l’exécutif.

Quel est le rôle du département ? La proximité et la cohésion d’un territoire. J’ai coutume de dire que c’est du « cousu main ».

Quelle est la vocation de la région ? La stratégie sur le plan économique, comme cela a été souligné, et des grands investissements, qui hissent la compétitivité de pans entiers de notre pays.

Le constat est clair : les régions françaises doivent regarder vers l’Europe et non plus vers les cantons, même remodelés, madame la ministre ! Qu’elles cessent de faire du développement local et de concurrencer les conseils généraux pour se consacrer à la formation professionnelle, l’économie et l’emploi, autant de sujets qui supposent une vision stratégique à l’échelle de territoires disposant de la taille critique pour agir.

Voilà deux ans déjà, le groupe des départements de la droite, du centre et des indépendants demandait que « le périmètre des régions françaises soit revu et que leur nombre passe de vingt-deux à une dizaine pour redonner du sens et de la perspective à la gouvernance des territoires ». Je suis ravi que la mission commune d’information partage aussi cette réflexion et préconise le passage à huit ou dix régions.

Du point de vue des départements, l’autre grand chantier à conduire tambour battant, c’est la réforme de l’État. Assez de mots, de l’action !

Je note que la mission commune d’information place en priorité n° 1 le recentrage nécessaire. En juillet 2013, la Cour des comptes dénonçait une nouvelle fois les nombreux doublons entre l’État et les collectivités. Nous avons plus que jamais, au regard des efforts financiers demandés aux Français, le devoir d’en finir avec le gaspillage et l’inefficacité. Si vous trouvez ces termes trop durs, ce sont ceux du rapport d’information, que je fais miens : ils disent les choses, tout simplement.

Que l’État supprime les services qui font doublons avec ceux des collectivités !

Que l’État nous conseille, oui ! Que l’État nous contrôle, oui, bien sûr, mais qu’il nous laisse agir pleinement et cesse de se mêler de tout ! À trente-deux ans, nos collectivités sont plus que majeures ; elles doivent donc assumer devant les électeurs leurs choix et leurs actes.

En cas d’acte illégal, les préfets sont là pour mettre en garde et, si besoin, déférer le contrevenant devant les tribunaux administratifs. Tout citoyen peut également saisir dans les deux mois les juridictions pour obtenir l’annulation de nos décisions ou délibérations qui ne seraient pas conformes au droit.

Autrement dit, c’est de l’État comme pouvoir juridictionnel dont les collectivités ont besoin afin d’assurer un véritable contrôle de leur action et pas de directions départementales qui peinent à trouver leur rôle.

Depuis 1982, la décentralisation est souvent perçue comme un moyen pour le pouvoir central de se défausser sur les collectivités. Derrière les transferts de compétences et de personnels sans avoir les moyens nécessaires pour agir, se cache en réalité un autre transfert : celui de l’impopularité consécutive à l’augmentation de la pression fiscale…

Pour conclure, je souhaite, au risque d’en surprendre certains, que le changement soit pour maintenant ! (Sourires.) Assez de discussions, place à l’action et au concret : mettons sans tarder en œuvre les dix propositions de ce rapport d’information ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck.

M. René Vandierendonck. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout le monde sait l’importance que j’accorde aux rapports d’information du Sénat, qui m’ont souvent été très utiles – je connais d’ailleurs quasiment par cœur le rapport d’information intitulé Faire confiance à l’intelligence territoriale.

Pouvait-on récidiver en publiant un rapport de même qualité, sans esprit hémiplégique ? (Sourires.) Vous avez remarquablement montré, mes chers collègues, que cela était possible. À cet égard, je veux, à mon tour, vous adresser mes félicitations.

Mais quelle surprise : jamais un document de cette nature n’a eu un tel impact ! À Rennes, quelques semaines après la publication de ce rapport, le Premier ministre, en présence de Mme la ministre, que je salue, a explicitement indiqué que le deuxième projet de loi relatif aux régions et aux départements porté par Marylise Lebranchu serait l’occasion de procéder à un approfondissement de la décentralisation et qu’il serait inscrit en avril prochain à l’ordre du jour des travaux du Parlement. De nouvelles compétences devront être transférées aux régions au-delà de celles qui sont déjà prévues dans votre texte, madame la ministre, c'est-à-dire le développement économique, l’innovation, la formation professionnelle, l’apprentissage, l’orientation, dont le rôle est déterminant pour la compétitivité, la croissance et l’emploi, et nous devons encore le renforcer.

En d’annoncer, en matière d’aménagement du territoire, que les fameux SRADDT, les schémas régionaux d’aménagement et de développement durable du territoire, pourraient avoir une portée prescriptive. Vous l’avez vu, mes chers collègues, dans le cadre de l’examen du projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, Mme Duflot s’est bien gardée d’aborder cette question, au prétexte que nous serait présenté un texte sur la décentralisation.

Toutefois se pose un véritable problème. En effet, 20 % du territoire national est couvert par un SCOT, un schéma de cohérence territoriale. Or la préservation de l’espace rural, la cohérence de l’urbanisme commercial et de la gestion de l’eau, la trame verte et bleue et bien d’autres politiques encore ne peuvent se concevoir qu’à cette échelle, avec une opposabilité minimale dans un champ précis. C’est pourquoi il convient d’encourager cette orientation.

Maos alors, que va-t-il donc rester au département ? C’est la question que se posent certains, surtout ici, dans une assemblée où les départementalistes sont nombreux. Eh bien, il lui reste l’essentiel ! Dans une compétence partagée, si, en matière d’aménagement du territoire, le chef de filat est la région, le département a justement un rôle éminent à jouer, comme l’a évoqué notre collègue Bruno Sido, pour assurer ce que le rapporteur appelle la « fédération des intercommunalités », notamment rurales, ainsi que la mutualisation de moyens. Ce n’est pas le tout de mieux couvrir l’intercommunalité et le territoire ! Lorsque les territoires ont atteint la taille critique d’une intercommunalité, à la bonne échelle – je le constate dans mon territoire, et vous devez le voir vous aussi, mes chers collègues, dans les vôtres ! –, ils cimentent leur affectio societatis autour d’un projet.

Tout va bien quand il s’agit de se payer un bureau d’études et d’avoir un projet de développement, mais se pose derrière le problème de la phase opérationnelle : avec quels outils d’aménagement procéder et avec quels crédits publics d’accompagnement ?

Il existe des disparités, des inégalités très profondes devant l’aménagement du territoire, qui tiennent à l’ingénierie territoriale. En la matière, les départements ont, me semble-t-il, un véritable rôle à jouer. La solidarité territoriale réside dans la mutualisation et l’équité dans la répartition des moyens d’ingénierie territoriale. Cela me paraît être un point important du débat.

Je tenais à insister particulièrement sur le fait que ces orientations vont dans le bon sens.

De même, le pouvoir réglementaire d’adaptation des régions, auquel je crois depuis longtemps, est quelque chose d’on ne peut plus normal. Ce n’est pas un miroir aux alouettes. Dans le même ordre d’idées, prenons conscience – cela devient de plus en plus crucial – qu’on ne fait pas de la décentralisation sans améliorer la déconcentration.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Absolument !

M. René Vandierendonck. Je parle ici en présence d’un ancien sous-préfet à la ville…

Dans quelques jours aura lieu ici un débat sur la nouvelle politique de la ville. Savez-vous, mes chers collègues, qu’un préfet de département n’a aucune responsabilité directe dans les décisions d’investissement du ministère de la justice ou, mieux encore, du ministère de l’éducation nationale, ni dans leur programmation opérationnelle ? Il faut faire progresser la déconcentration pour faire avancer la décentralisation. Mais je suis confiant sur ce point, car le Président de la République a découvert ce matin, à onze heures, qu’un nombre trop important d’indicateurs remontaient dans les ministères !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Il y en a 6 000 !

M. René Vandierendonck. En effet ! C’est trop, a-t-il dit, et je suis assez d’accord avec lui.

Pour ma part, je souhaite que l’on déconcentre davantage, pour donner aux préfets de véritables marges de manœuvre, qui conditionnent celles que l’on reconnaît aux élus. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé.

Mme Catherine Troendlé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 17 avril dernier, a été créée, au Sénat, la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, à la demande du président du groupe UMP, Jean-Claude Gaudin. Cette initiative intervenait après l’adoption, à l’unanimité au Sénat, de la proposition de résolution relative au respect des droits et libertés des collectivités territoriales.

En tant que membre de cette mission, je profite du temps que m’est imparti pour saluer l’excellent travail réalisé par nos collègues Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information, et Yves Krattinger, rapporteur, qui ont su dresser sereinement un inventaire structuré des dysfonctionnements de nos modes institutionnels et, par là même, mettre en évidence un certain nombre de difficultés concernant l’organisation décentralisée de la République.

Néanmoins, en matière de décentralisation, d’importantes questions restent à trancher.

En effet, si chacun reconnaît aujourd’hui qu’il est indispensable de réformer notre organisation territoriale, il est nécessaire d’admettre également que la prochaine réforme devra passer par le règlement d’un certain nombre de questions.

La répartition des compétences est la première d’entre elles. En effet, cette question connaît des aléas importants depuis le changement de majorité. Le rétablissement de la clause générale de compétence et la création de chefs de filat ont pour objet de créer de véritables confusions, sans apporter de réponses pertinentes à l’éclatement croissant des compétences.

Afin de régler la question de la répartition des compétences, la mission commune d’information propose tout à la fois d’inverser notre réflexion pour déterminer les missions d’une collectivité avant de lui attribuer des compétences particulières et d’instaurer une « instruction unique » pour la mise en œuvre des politiques publiques.

La deuxième question concerne la cohabitation entre les régions et les départements.

En effet, le gouvernement de M. Ayrault s’est empressé de revenir sur la réforme des conseillers territoriaux, que le précédent gouvernement avait entreprise en 2010, sans prévoir une nouvelle articulation de ces deux niveaux de collectivités territoriales.

Nombreux sont pourtant les élus, de toutes sensibilités, qui reconnaissent aujourd’hui les avantages que le conseiller territorial aurait pu comporter ; charnière entre les politiques départementales et régionales, il aurait amélioré la lisibilité de notre organisation territoriale pour les élus locaux et sa transparence pour nos concitoyens.

Tout le monde admet que les départements ne jouent pas le même rôle partout en France ; en particulier, leur rôle est différent là où existent des pôles urbains très denses.

Quant aux régions, il est temps de débrider les dernières réticences pour leur offrir une assise et un rôle plus étendus, afin de pouvoir enfin entrer dans une concurrence positive avec nos voisins européens.

La troisième question porte sur le développement d’une intercommunalité qui préserverait la commune.

Dans ce domaine, d’énormes efforts ont été accomplis par tous les élus pour parachever la couverture du territoire. Cette rationalisation permet à nos concitoyens de bénéficier d’équipements et de services auxquels, dans certaines zones rurales, ils n’avaient plus accès.

Reste que la commune est l’échelon de base de notre démocratie locale ; il convient de ne pas le perdre de vue.

J’ajoute que la décentralisation ne doit pas aboutir à une opposition entre les pouvoirs publics locaux et nationaux. Elle ne peut pas se traduire par un désengagement progressif de l’État au niveau local. Aussi est-il important que les moyens nécessaires, humains et financiers, soient prévus et mis à la disposition des collectivités territoriales lorsqu’une compétence leur est transférée par l’État ; en disant cela, je pense tout particulièrement à la réforme des rythmes scolaires.

En outre, l’État doit pouvoir s’associer aux collectivités territoriales qui rencontrent les plus grandes difficultés en leur fournissant un appui technique et juridique susceptible de rendre leur autonomie effective.

En conclusion, puisque décentralisation et déconcentration vont de pair, le groupe UMP du Sénat propose, afin d’accroître les chances de bonne gestion et de diminuer les risques de contentieux, et sur le fondement des travaux de la mission commune d’information présidée par notre collègue Jean-Pierre Raffarin, de renforcer la place des parlementaires dans la décentralisation et de garantir la présence de l’État selon des modalités renouvelées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.

M. Gilbert Roger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à féliciter à mon tour le président de la mission commune d’information, Jean-Pierre Raffarin, et son rapporteur, Yves Krattinger, pour la qualité du travail qu’ils ont accompli et pour les conclusions qu’ils ont présentées ; de fait, ils sont parvenus à formuler des propositions qui peuvent faire consensus.

Comme le Président de la République l’a rappelé, une République « est forte par son État, mais aussi par ses territoires ».

Cependant, les mutations économiques, le chômage, la précarité et la suppression de nombreux services publics ont profondément modifié les territoires et creusé les inégalités. Dans les territoires ruraux comme dans les quartiers relevant de la politique de la ville, le sentiment de décrochage menace les fondements de notre pacte républicain.

Dans ce contexte, un approfondissement de la décentralisation est nécessaire. Pour retrouver le chemin de la croissance et de l’emploi, il nous faut encourager la créativité et la vitalité des acteurs locaux : entreprises, citoyens et collectivités. Aussi bien, nous avons aujourd’hui besoin, selon moi, non pas d’une nouvelle répartition mécanique et uniforme des compétences, mais d’un renforcement des responsabilités de chacun des acteurs et d’une dynamique de coopération.

L’unité de la République n’est pas renforcée par l’uniformité, bien au contraire. Il importe de tenir compte des spécificités des territoires, de favoriser l’innovation et de s’appuyer sur l’intelligence collective. L’enjeu est de construire un modèle de développement plus équilibré, respectueux de la diversité des territoires et porteur d’une plus grande solidarité.

En particulier, la nouvelle gouvernance territoriale doit reconnaître le fait urbain, autour duquel se structurent aujourd’hui de larges pans de notre économie, en donnant aux métropoles et aux agglomérations les moyens de se développer ; dans le même temps, il convient d’éviter que ce mouvement n’accentue les clivages entre des espaces urbains toujours plus riches et des zones périphériques ou rurales en voie de relégation.

Comme la mission commune d’information le signale dans son rapport, la République décentralisée souffre aujourd’hui de deux maux : le manque d’efficacité réelle de l’action publique et la confusion des rôles respectifs de l’État et des collectivités territoriales.

Le Président de la République a parlé, à juste titre, de la nécessité d’un « choc de simplification ». Les élus et les citoyens attendent de la décentralisation une plus grande efficacité, alors que les entreprises sont souvent asphyxiées par les normes.

Par ailleurs, la mission commune d’information a clairement identifié certaines difficultés ; je pense en particulier au « doublonnage » entre les services de l’État et des collectivités territoriales et à la multiplication des guichets, des subventions et des aides fiscales. Certaines entreprises finissent par renoncer, du fait de la complexité des dispositifs !

En définitive, le millefeuille tant décrié correspond moins à l’empilement des circonscriptions qu’à celui des décisions. Encore faudrait-il donc, avant de s’attacher aux conséquences de la décentralisation - le transfert de compétences -, d’en définir d’abord les principes - la répartition des missions.

Les élus veulent une différenciation accrue de l’organisation territoriale, pour que les spécificités de chaque territoire soient prises en compte. Il n’existe plus, pour l’ensemble du territoire, un modèle de décentralisation uniforme. En effet, la situation des territoires au sein de l’ensemble national étant très différente, elle appelle une diversité de réponses.

On ne peut pas considérer de la même façon l’Île-de-France et les zones rurales. Le cœur de l’agglomération parisienne a besoin d’un statut particulier, compte tenu de son caractère exceptionnel, mais il faut se garder de multiplier les statuts ad hominem, afin de ne pas remettre en cause le socle républicain.

L’amélioration de l’efficacité de l’action publique suppose en corollaire un approfondissement de la décentralisation, qui doit être considéré non pas simplement comme un facteur de liberté, mais comme un principe de responsabilisation des territoires.

Parce qu’une décentralisation renforcée doit permettre de répondre aux besoins des citoyens et des entreprises par des politiques pragmatiques et appropriées, il est nécessaire de renforcer les régions en clarifiant leurs compétences et en recentrant leurs missions sur la stratégie.

Aujourd’hui, les régions ont tendance à assurer des compétences de proximité qui devraient relever d’autres niveaux de collectivités, comme les communes ou les intercommunalités. Les régions doivent s’en dégager pour mieux asseoir leurs missions stratégiques de long terme. Il faut à tout prix éviter toute « cantonalisation » des régions, ce qui suppose de leur donner plus de cohérence et de force en matière économique, en en faisant l’échelon essentiel d’exercice de certaines compétences.

Quant aux départements, la mission commune d’information a souligné, dans ses conclusions, qu’ils jouent un rôle indispensable en milieu rural. Fort de son atout de proximité, le département doit en effet renforcer la lutte contre les difficultés engendrées par la crise économique actuelle ; dans les zones rurales, dont certaines sont menacées d’exclusion, il est bien souvent la seule structure capable de mener cette action.

En revanche, la pertinence du département n’est pas aussi grande dans les zones urbaines denses. Pour ma part, je suis favorable, comme M. Dallier, à la suppression des départements de la petite couronne parisienne ; l’ensemble de leurs compétences pourraient être transférées à la gouvernance de la métropole du Grand Paris, à l’instar de ce qui est prévu pour la métropole de Lyon.

Mais le temps s’écoule et, mes chers collègues, je me rends compte à cet instant de mon propos que je vais être obligé de conclure, sans quoi je me ferai rappeler à l’ordre par M. le président…

Aussi, m’excusant encore du côté abrupt de ma conclusion, je me contenterai de souligner que, à mon avis, un consensus est possible sur la suppression des départements de la petite couronne francilienne ; en supprimant un échelon, on rendrait l’action métropolitaine plus efficace, tandis que la région d’Île-de-France continuerait de jouer un rôle très important pour le développement économique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. le rapporteur de la mission commune d’information applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de saluer également le travail de notre mission commune d’information et l’excellent état d’esprit dans lequel elle a œuvré.

Le mérite en revient aussi bien à son président, Jean-Pierre Raffarin, qui est, avec le groupe UMP, à l’initiative de sa création, qu’à son rapporteur, Yves Krattinger ; tous deux ont su dépasser les clivages politiques pour tenter d’éclairer la voie d’une nouvelle étape de la décentralisation.

Dans cette perspective, il y a, et c’est heureux, des sujets qui nous rassemblent.

Tout d’abord, chacun reconnaît qu’il ne peut plus y avoir un modèle unique d’organisation de nos territoires ; leur diversité justifie des modèles différents. Du reste, nous avons déjà inscrit ce principe dans la loi, notamment avec le premier des trois projets de loi sur la modernisation de l’action publique territoriale, qui traitait essentiellement des métropoles.

Vouloir organiser l’Île-de-France comme le Limousin ou la Champagne-Ardenne n’avait décidément plus de sens. L’organisation uniforme de la petite et de la grande couronnes parisiennes n’en avait pas davantage.

Nous sommes enfin sortis de cette logique. C’est assurément la voie à suivre, et je ne peux que me réjouir que le rapport ait intégré, pour une prochaine étape, ma proposition d’absorption des quatre départements de Paris et de la petite couronne par la métropole du Grand Paris.

Madame la ministre, j’ai été heureux de vous entendre nous annoncer que vous aviez mis des moyens à disposition pour évaluer cette solution, qui pourrait être l’acte II de cette révolution métropolitaine à Paris.

Notre rapporteur, cependant, a émis des réserves sur la diversification des modèles ; je le comprends, car on peut craindre que ce mouvement n’accentue les écarts entre les territoires.

C’est pourquoi cette évolution doit être accompagnée d’une solidarité, et pas seulement financière, solidarité dont l’État doit être le garant et qui, à mon sens, doit être pensée par le haut, c’est-à-dire par l’échelon régional.

Les vingt-deux régions actuelles sont trop petites, donc trop nombreuses. Je ne rappellerai pas les mauvaises raisons qui expliquent cette situation, chacun les connaît. Le fait est que cette carte, largement inadaptée aux défis du temps, doit être redessinée ; à cet égard, l’objectif, retenu par le rapport, d’une petite dizaine de régions me semble tout à fait pertinent.

Une fois les nouvelles régions définies, c’est à l’intérieur de chacune d’elles que la répartition des rôles et des moyens devra être opérée, en fonction de la nature du territoire.

La question du rôle des départements se présente immédiatement à l’esprit, mais encore faut-il la poser de la bonne manière. Prôner leur suppression pure et simple ou défendre leur maintien systématique, ce ne sont pas, me semble-t-il, de bonnes façons d’aborder le sujet – un sujet sensible, surtout au Sénat.

L’approche alsacienne, même si elle a connu un sort funeste, ce que je regrette, démontre à l’évidence que la collectivité territoriale unique peut également être une réponse. En revanche, dans les territoires peu denses en population, l’échelon départemental peut rester tout à fait pertinent.

Sur ce problème délicat, notre rapporteur ne s’est pas aventuré très loin, et je le comprends. Il faudra bien pourtant trancher ce débat si longtemps repoussé ; à cet égard, je déplore que l’on ait fait marche arrière en supprimant le conseiller territorial, dont je persiste à penser qu’il correspondait à une bonne approche.

Pour redéfinir le rôle des régions et des départements, il faudra se reposer la question du financement des politiques sociales : revenu de solidarité active, allocation personnalisée d’autonomie, prestation de compensation du handicap. De fait, cette question est au cœur du sujet.

Je pense depuis longtemps que nous avons probablement commis une erreur en écrivant l’acte II de la décentralisation. Avoir transféré aux départements le soin de financer ces allocations dont le montant est fixé par l’État ne pouvait que nous conduire là où nous sommes aujourd’hui, cherchant à inventer, année après année, de nouveaux mécanismes de péréquation, qui ne sont, au bout du compte, que cataplasmes sur une jambe de bois !

Que certains départements soient conduits à s’endetter, à augmenter la pression fiscale, ou les deux, et à réduire leurs investissements pour financer ce qui relève de la solidarité nationale, cela n’est pas conforme au principe de l’égalité républicaine et contribue à creuser la fracture territoriale. (M. René-Paul Savary applaudit.)

M. Philippe Dallier. Si l’État doit assurément rester le garant de la solidarité nationale, cette question du financement des politiques sociales doit alors être reposée, tout comme nous devons sérieusement réfléchir avant d’amorcer un mouvement qui conduirait à transférer tout ou partie du pouvoir réglementaire aux territoires.

Le rapport évoque cette question, sans entrer véritablement dans le détail des choses et en prenant de multiples précautions – et c’est heureux ! Malgré tout, je suis plus que réservé sur le sujet, car je crains que les effets négatifs ne soient bien supérieurs aux bénéfices attendus.

Notre République est certes décentralisée et il faut aller au bout de cette logique, mais elle doit rester une et indivisible. La France, ni par son histoire ni par sa géographie, n’a vocation à devenir un État fédéral ; alors, méfions-nous des fausses bonnes idées.

Notre objectif premier est bien de repenser le rôle de l’État et des collectivités territoriales, en recherchant une plus grande lisibilité pour nos concitoyens, une meilleure efficacité de la dépense publique et une plus forte équité entre nos territoires. Tenons-nous-en à cela, ce sera déjà beaucoup !

C’est d’autant plus urgent que les économies budgétaires que l’État doit trouver, dans les années à venir, ne seront supportables que dans le cadre d’une forte optimisation des moyens qui, là aussi, peut se faire, doit se faire de manière différenciée, en fonction de la nature des territoires. C’est ce que le rapport appelle un « choc de subsidiarité », propos auquel je souscris pleinement.

Le rapport pointe aussi la complexité et la faiblesse de nos mécanismes de péréquation financière, fruit de l’empilement de dispositifs aux critères différents et aux effets parfois contradictoires.

Jugeant la DGF, la dotation globale de fonctionnement, trop difficile à réformer, nous avons fait preuve d’une imagination débordante : DSU, dotation de solidarité urbaine, DSR, dotation de solidarité rurale, FSRIF, Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, FPIC, Fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales, mécanismes de péréquation assis sur les droits de mutation, et j’en passe, il ne s’est pas écoulé une année sans que nous cherchions à revenir sur les erreurs commises l’année précédente !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Vous avez raison !

M. Philippe Dallier. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Les collectivités territoriales ont besoin de lisibilité pour planifier leurs investissements. C’est tout le contraire qui se produit en ce moment et je crains, madame la ministre, mes chers collègues, que ce ne soit d’abord l’investissement qui en pâtisse. Or, si les collectivités locales investissent moins, les conséquences sur l’économie seront très lourdes.

Mais mon temps de parole s’écoule et il me faut accélérer ! (Sourires.)

Je veux profiter de l’occasion, madame la ministre, pour attirer votre attention sur le fait que de nombreux maires sont en train de découvrir l’ampleur de la baisse de la dotation globale de fonctionnement pour 2014, qui préfigure celle de 2015.

Nous avons choisi de proportionner cette baisse de la DGF aux recettes réelles de fonctionnement des collectivités locales en 2012. Clairement, ce sont les villes moyennes et grandes qui supportent le choc : pour ma ville de 22 000 habitants, la baisse sera de 5,7 % en 2014, et davantage encore en 2015. Cela représente 750 000 euros en deux ans, soit 10 % du produit de la taxe d’habitation. C’est autant que la totalité de la péréquation financière qui va m’être demandée.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Heureusement que la gauche est arrivée !

M. Marc Daunis. Qu’est-ce que cela aurait donné sinon !

M. Philippe Dallier. Je pense, madame la ministre, qu’il va falloir retravailler le sujet, car les conséquences sur l’autofinancement des collectivités locales seront très importantes.

Je termine, en rappelant qu’en 2009 la commission dite « Balladur » avait choisi d’intituler son rapport Il est temps de décider. C’était il y a bientôt cinq ans… Alors, oui, mes chers collègues, il est plus que temps de décider. Ce rapport est une nouvelle pierre utile à notre réflexion. Il faut maintenant aller de l’avant, résolument.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Mais nous y allons !

M. Philippe Dallier. Le Gouvernement a la main, madame la ministre. Je sais bien que c’est compliqué, que les critiques seront nombreuses et le consensus quasiment impossible, mais je vous invite à faire preuve d’audace, car le pays et nos collectivités locales ont besoin d’audace. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc des commissions.)

Mme Marylise Lebranchu, ministre. J’ai déjà commencé !

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les président et rapporteur de la mission commune d’information, chers collègues, comme le président Bel a pu le dire lui-même à plusieurs reprises, le Sénat, en tant que représentant des collectivités territoriales, est au cœur du dialogue entre l’État et les collectivités locales et, dans ce cadre, il doit jouer pleinement son rôle.

C’est cette volonté qui nous a conduits à organiser les états généraux de la démocratie territoriale en 2012, pour associer l’ensemble des élus et des territoires aux réflexions en cours sur l’avenir de la décentralisation.

C’est cette même volonté qui nous a guidés lors des récents débats sur la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Notre assemblée a eu le souci de la clarté et de la cohérence, malgré les débats et les positions parfois différentes entre certains de ses membres.

C’est cette volonté, encore et toujours, qui a conduit au lancement de cette mission commune et, à mon tour, je salue le bon climat et l’état d’esprit qui ont présidé à des travaux de grande qualité, menés sous l’égide du président Raffarin et du rapporteur Krattinger.

Il s’agissait de construire des réponses précises pour les collectivités, leurs compétences, leurs missions, leur fonctionnement, leurs moyens ou encore leurs rapports avec l’État. Nous entendions, au-delà des exigences calendaires et de toute préoccupation électorale ou partisane, être force de proposition sur le long terme.

Il s’agissait également de tenir compte des évolutions en cours et d’accompagner la construction d’un nouvel élan pour la décentralisation et la mise en œuvre de nouveaux leviers d’action pour les élus.

À ce titre, j’aimerais revenir sur les travaux de la mission portant sur notre place et notre rôle dans la décentralisation en tant que parlementaires. Cette question du rôle et du statut de l’élu, local comme national, n’est pas nouvelle. Elle suscite intérêt et débat depuis de nombreuses années, mais il est important de réfléchir à de tels sujets en démocratie.

La question du non-cumul d’un mandat parlementaire avec l’exercice d’un exécutif local est plus que jamais d’actualité. Cela deviendra, cela a été dit, une réalité à la fin de ce mois, après le vote de notre assemblée et de l’Assemblée nationale. C’est un projet de loi que, pour ma part, je soutiens. Cette réforme, très attendue, s’inscrit dans le sens d’une rénovation profonde de la vie politique et de la modernisation de notre démocratie. Tout le monde profitera de cette avancée majeure qui permettra la parité, le renouvellement et une plus grande diversité des profils des élus, locaux et nationaux.

Mais une telle avancée ne suffira pas à elle seule. Elle doit nous amener à repenser la place des parlementaires sur les territoires et à préciser leurs relations avec les collectivités locales et avec l’État ainsi que ses représentants locaux.

Il s’agirait tout d’abord de les associer aux actions décidées par les différents niveaux de collectivités afin de jouer un rôle de facilitateurs, associant leur connaissance des spécificités du territoire sur lequel ils sont élus à leur légitimité nationale. Cette médiation, rendue nécessaire notamment face au développement des financements croisés, garantirait une meilleure cohérence et une plus grande fluidité de l’action locale.

Il s’agirait ensuite de les associer plus étroitement aux services de l’État, en département et en région, dans le cadre de la distribution des crédits d’État, comme la DETR, la dotation d’équipement des territoires ruraux.

Il s’agirait enfin d’avancer vers la création d’un pôle parlementaire d’expertise, indépendant de l’administration centrale, nécessaire à la réalisation de ces nouvelles missions de médiation et de conseil. Ce pôle d’expertise pourrait notamment être constitué par des accords passés avec des universités et des centres de recherche spécialisés.

Bien sûr, avec ces quelques pistes, je ne prétends pas être exhaustive. Elles n’ont pas, non plus, vocation à être délivrées « clé en main ». Il faudra poursuivre la réflexion et les échanges sur ces sujets avec deux exigences différentes, mais complémentaires : retisser les liens et la confiance entre les élus et les citoyens et donner aux parlementaires les moyens et les leviers leur permettant de mener à bien leurs missions.

C’est à ce prix que nous pourrons jouer tout le rôle pour lequel nous avons été élus, du local au national, ancrés dans nos territoires et utiles au Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. M. Jean-Claude Carle applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Edmond Hervé.

M. Edmond Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà une mission, un rapport, un débat qui se situent dans l’excellence de la continuité des états généraux de la démocratie territoriale.

Permettez-moi trois observations.

Premièrement, l’unité de la République et la diversité sont un couple légitime et nécessaire, mais il faut que nous donnions l’exemple : combien de lois votons-nous ? Et regardons aussi le caractère impératif de ces lois que nous votons ! Vous avez suggéré de recourir à des lois-cadres. J’y suis favorable, car je suis favorable à des lois de confiance. Cessons de rédiger ces lois qui ne sont que des chapelets d’amendements !

M. Jacky Le Menn. Très bien !

M. Edmond Hervé. Quant au pouvoir réglementaire des régions, il est important d’éviter les faux débats : le pouvoir réglementaire des régions existe,…

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Bien sûr !

M. Edmond Hervé. … même s’il nous faut lui donner une certaine consistance.

Deuxièmement, vous avez repris à juste titre le thème de la mutation des territoires et de la société, inscrivant la notion de mobilité. Il faut que vous y ajoutiez la notion de temps - mais vous l’avez fait au travers du concept de proximité -, dans le sens du temps nécessaire pour accéder à un service, car le temps est l’un des plus grands facteurs d’inégalité qui puisse exister, non seulement entre les territoires, mais aussi entre les citoyens.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Absolument !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Et c’est bien pour cela que j’en ai parlé.

M. Edmond Hervé. La mutation n’est pas un état, c’est un processus dynamique. Il n’y a pas de territoire fonctionnel unique, défini une fois pour toutes. C’est la raison pour laquelle je crois profondément, par expérience et par philosophie, aux notions de projet, de contrat, de rencontre.

Je ne suis pas un fanatique de cette nouvelle carte régionale qui fait l’objet de l’une de vos propositions. Le plus sûr moyen d’échouer est d’imposer cette carte régionale nouvelle par la loi.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Nous sommes d’accord !

M. Edmond Hervé. Vous avez cité les dix ; il est des chiffres bibliques. Dix est effectivement le chiffre, vous le savez bien, qui a été cité dans Pour une République moderne de Pierre Mendès France : dix régions avec une ville millionnaire.

Je pense pour ma part que, lorsque l’on parle de coopération entre les régions, il est essentiel d’entrer dans un champ pratique de coopération, que ce soit en matière de formation professionnelle, de culture, de transports ou autres. Pour cela, il n’est pas besoin de modifier de manière substantielle les frontières et je ne suis pas sûr, monsieur Raffarin, que, comme vous disiez, à l’horizon 2020-2025, vous ayez reconsidéré cette carte régionale.

Puis, à propos de la coopération intercommunale, cher Yves Krattinger, je reprendrai vos excellentes formules. Vous parlez d’une vraie révolution ; vous dites que « ce n’est pas la loi qui a créé l’intercommunalité, c’est le besoin. » et vous précisez que « l’intercommunalité est la grande révolution de ces dernières décennies. » J’en conviens, mais il manque aujourd’hui la transversalité entre les différentes autorités pour parvenir à un accord. À ce point du débat, je pense, madame la ministre, que, dans cette démarche de transversalité, le préfet a toute sa place.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Tout à fait !

M. Edmond Hervé. Les lois de décentralisation de 1982-1983 n’ont nullement consacré la destitution du préfet. Je suis favorable à ce que les préfets ne soient pas cantonnés dans un simple rôle d’autorités de police. Les préfets ont à l’évidence un rôle de développement, d’animation à jouer. Nous avons la chance, en France, d’avoir un corps préfectoral d’une exceptionnelle qualité. (M. Jacky Le Menn approuve.)

Concernant les départements, je suis d’accord avec tout ce que vous écrivez. J’ajouterai toutefois un point : un département ou une région sans grande métropole sont un département ou une région condamnés.

Dans son excellente étude, M. Davezies, que vous avez auditionné, s’est penché sur six métropoles – Lille, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Montpellier et Rennes – et constate, chiffres à l’appui, qu’elles reversent bien plus à la Nation qu’elles ne consomment. C’est cela, la solidarité, et c’est aussi cela, le changement !

Quant aux redondances, si j’apprécie les structures qui ont été mises en place au niveau national, tout particulièrement quand un ancien collègue les préside (Sourires.), j’estime aussi que l’on devrait faire appel aux maires : en pourrait en réunir dix par région pour analyser le processus d’un permis de construire d’un poulailler ou d’un garage, par exemple, afin de voir comment l’alléger, le simplifier. Mais je pourrais prendre d’autres exemples.

Enfin, troisièmement, on peut lire dans votre rapport, cher Yves Krattinger, la chose suivante : la « mission reconnaît qu’une autonomie fiscale plus large ne constitue pas forcément une voie d’avenir, notamment pour les territoires les plus pauvres ».

Je m’étonne, monsieur le président de la mission commune d’information, que vous ayez laissé courir cette plume, car j’ai souvenance que vous aviez participé, en 2000, à la rédaction d’un excellent rapport sénatorial en deux tomes, le rapport Mercier, dans lequel vous évoquiez, pour illustrer la notion d’autonomie fiscale, la situation du président de la région Poitou-Charentes, c'est-à-dire la vôtre.

Vous référant au passé, quand vous disposiez de ressources propres à hauteur de 60 % et de dotations, pour 40 %, vous regrettiez alors d’en être réduit à 40 % de ressources propres. Mais voyez comment les choses ont évolué, monsieur Raffarin : aujourd’hui, je ne suis pas sûr que les ressources propres de votre région représentent plus de 10 % de son budget.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Ce n’est plus ce que c’était ! (Sourires.)

M. Edmond Hervé. Je vous rejoins sur un point, cher Yves Krattinger, celui de l’autonomie fiscale, notamment pour les territoires les plus pauvres, qui en sont dépourvus. Ainsi l’autonomie fiscale et l’autonomie financière, qu’il convient de ne pas confondre, mais qui sont complémentaires, demeurent essentielles. Cependant, l’état des finances nationales étant ce qu’il est, elles ne peuvent exister, nous le savons, qu’en se conjuguant avec la péréquation et la solidarité au niveau local.

Je voudrais, à votre intention, cher collègue et ami Marc Daunis, apporter une précision. Vous avez en effet opposé très justement, et de manière très pédagogique, le bloc de stratégie, à savoir la région, et le bloc de proximité, les intercommunalités. Pourtant, lorsque vous examinez le cas des grandes métropoles, vous constatez qu’elles sont à la fois blocs de proximité et blocs de stratégie. Il ne peut y avoir, dans une région, une grande politique stratégique de développement de croissance si aucune relation n’existe entre la région et la métropole.

Pour terminer, monsieur le Premier ministre, cher Jean-Pierre Raffarin, je tiens à appuyer de manière très forte votre propos initial. N’y voyez en aucune manière, madame la ministre, une agression.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Jamais ! (Sourires.)

M. Edmond Hervé. Je souhaite que les rapports du Sénat soient pleinement utilisés par le législateur, y compris par celui qui, constitutionnellement, est à l’origine des projets de loi. C’est l’exemple même de la coopération entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Montesquieu n’a jamais pensé que la séparation des pouvoirs interdisait la coopération ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Débat interactif et spontané

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure trente par la conférence des présidents.

Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. Le président ou le rapporteur de la mission commune d’information ou le Gouvernement, s’ils sont sollicités, pourront répondre.

La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat est fort intéressant. Je souscris aux propositions formulées par la mission commune d’information.

Ayant eu la chance d’avoir été pendant dix-huit ans conseiller général et conseiller régional, j’ai pu faire le lien entre les deux assemblées et comprendre leur nécessaire complémentarité.

Lorsque j’ai commencé à siéger, en 1986, les régions se constituaient en EPR, ou établissements publics régionaux, et il existait une vraie différence et une vraie complémentarité entre les deux assemblées.

Le département possédait déjà des compétences en matière de solidarité, les dépenses de fonctionnement représentant environ 70 % de son budget, tandis que la région jouait un rôle d’intervention, 80 % de son budget étant consacré à l’intervention, contre 20 % seulement au fonctionnement, avec un effectif de 200 personnes seulement dans la région Champagne-Ardenne, par exemple.

La volonté du législateur était clairement de donner un rôle stratégique aux régions, en complémentarité des départements. Il nous faut renouer avec une telle formule. On le voit bien au travers des différentes dispositions prises récemment – les métropoles, les modifications des modes de scrutin – ou qui le seront demain – je pense au non-cumul –, la complémentarité entre le rural et l’urbain, telle qu’elle avait été conçue au départ, ne se retrouvera plus.

Mes questions, madame la ministre, sont relativement précises et concernent les éventuels transferts de compétences que vous comptez nous proposer.

Premièrement, allez-vous prendre en compte la valeur ajoutée du transfert de compétence ? En effet, au fil des années, certaines compétences ont été transférées aux collectivités sans réelle valeur ajoutée. Par exemple, où est la valeur ajoutée du département dans le RSA ? Si le département a un rôle majeur à jouer, c’est bien dans l’insertion, et non pas dans l’attribution d’une allocation de solidarité dont les modalités sont décidées au niveau national.

Deuxièmement, quels moyens réels comptez-vous transférer aux collectivités dans le cadre des nouvelles mesures de décentralisation ? Quelles normes avez-vous l’intention de simplifier, dans le but de les voir complètement prises en compte par les collectivités destinataires ? Le Gouvernement a-t-il la volonté de ne pas transférer de charges supplémentaires aux collectivités territoriales, compte tenu de leurs contraintes budgétaires ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Concernant la distinction entre, d’une part, le département et le fonctionnement et, d’autre part, la région et l’investissement, j’en parlais à l’instant en aparté avec M. Raffarin. Il est vrai que, à un moment donné, les régions sont passées du statut de collectivités de mission à celui de collectivités de gestion. M. Edmond Hervé nous proposait tout à l’heure, avec raison, de prendre en compte le rapport de la mission. Sans doute convient-il aujourd'hui, avant l’examen du deuxième projet de loi relatif à la décentralisation, de se poser des questions sur un certain nombre de transferts.

J’en viens au RSA. Nous avons été obligés de créer deux fonds en 2014, pour rétablir une forme de solidarité entre les départements en ce qui concerne le reste à charge. Les critères retenus ont été validés par le Conseil constitutionnel, qui les a considérés justes.

Toutefois, nous avons pris conscience d’un phénomène encore plus important : 40 % des personnes ayant droit au RSA ou à d’autres aides publiques n’y ont pas recours, en raison de la complexité des procédures, le Président de la République l’évoquait ce matin. Or ces procédures ont été déterminées par l’État, alors que c’est au conseil général de les mettre en œuvre. Nous devons en effet travailler très rapidement sur cette dissonance.

S’agissant des normes, 220 sont aujourd'hui à l’étude, avec le souci de ne mettre personne en difficulté par une suppression mal avisée. C’est la CCEN, la Commission consultative d’évaluation des normes, qui sera ensuite maîtresse du jeu.

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Je commencerai par formuler une observation plutôt qu’une question. Chacun, ici, est intervenu pour dire qu’il ne fallait pas remettre en cause l’organisation actuelle, insistant sur le rôle fondamental de la commune et du maire, au cœur de notre modèle républicain.

Or, au même moment, le PLU intercommunal devient une compétence obligatoire. En cette période de vœux, je rencontre les maires de mon secteur : tous sont inquiets à ce sujet, qui est abordé à chacune de nos réunions. Alors que nous venons de constituer la grande communauté du pays d’Auray, constituée de vingt-quatre communes, la plupart des maires auraient souhaité que le PLUI demeure une compétence optionnelle, bien qu’ils soient tous favorables à l’organisation intercommunale, pour mettre en œuvre un développement solidaire et durable. Personne n’a vraiment compris pourquoi cette compétence était devenue obligatoire. Qui plus est, la minorité de blocage, obtenue au Sénat, semblerait avoir disparu à l’Assemblée nationale…

Mais la vraie question est celle de la solidarité, que nombre d’orateurs ont évoquée et qui doit, selon moi, se conjuguer à tous les niveaux. Vous avez parlé, madame la ministre, d’une compétence départementale. Dans les communes, on prend en compte un barème établi à partir de la richesse des familles, qui intègre le quotient familial. Quant à la région, il lui faut exercer une compétence de solidarité entre les différents départements. Au niveau national, le rôle de l’État devra également être précisé. Sinon, notre pays souffrira d’un développement très inégalitaire.

Je suis quelque peu effrayé par la volonté de réduire le rôle de l’État, alors que nous considérions tous, jusqu’à présent, que celui-ci jouait un rôle essentiel dans le développement égalitaire et solidaire des territoires.

Les maires évoquent également la baisse des dotations. Mais c’est une autre question, qui suscite toutefois des difficultés dans différents secteurs.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Sur le PLUI, la démarche proposée par la ministre en charge, c’est d’avoir, en milieu rural, une minorité de blocage. Ce point sera discuté la semaine prochaine à l’Assemblée nationale. Je ne peux pas prévoir – heureusement ! –, ce que le Parlement décidera in fine.

Je souhaite cependant m’exprimer sur ce sujet. Le vrai défi à relever, pour la France, c’est celui de l’indépendance alimentaire. En effet, à partir de 2030, nous deviendrons dépendants, parce que nous n’aurons plus assez d’espaces agricoles. Les mètres carrés précieux ne sont plus les mètres carrés industriels, portuaires ou aéroportuaires : ce sont les mètres carrés agricoles. Il nous faudra faire un effort surhumain de densification en milieu rural si nous voulons que la France, en 2030, ait encore une indépendance alimentaire.

Ce sujet d’avenir concerne bien évidemment le Sénat. Or le PLUI s’intègre tout à fait dans la réflexion commune qui doit être menée à cet égard.

J’ai parlé de solidarité territoriale. Peut-on, à partir du rapport tel qu’il est présenté aujourd'hui, travailler à une compétence « solidarité territoriale » du département ? Car je sens bien une demande de simplification et d’efficacité, même si elle n’est pas formulée ainsi. Cela permettrait aux communes les plus petites, les moins dotées, ou aux communautés de communes à faibles moyens de solliciter le département au titre de la solidarité territoriale, même si le département ne détient pas la compétence, dans le cas où l’on remettrait en cause, conformément à ce que je peux entendre un peu partout, la clause de compétence générale. C’est une vraie question, qu’il faut se poser, aussi bien à court, moyen ou long terme.

Quant à la solidarité envers les citoyens, elle n’est garantie que par l’État, même si elle est exercée par une collectivité territoriale. L’État est le seul garant, le seul protecteur. Si un citoyen ou un groupe de citoyens estime qu’une compétence n’est pas exercée alors qu’elle est de droit, l’État peut être appelé en tant que garant.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Mme la ministre s’interroge : comment donner un contenu à la compétence de solidarité territoriale ? Je réponds qu’elle en a un, mais il est différent dans chacun des territoires de notre pays.

Je serais assez tenté par l’expérimentation en ce domaine. On peut imaginer que 7 %, 8 % ou 10 % des départements mettent en place un dispositif de coopération entre le préfet, le conseil général et les intercommunalités. Ils pourront ensuite se rencontrer à Paris ou ailleurs pour échanger et essayer de donner un contenu plus précis, plus étoffé, plus lisible, aussi, à leur action.

Ensuite, une fois cette expérimentation faite, que l’on se dirige vers un transfert effectif de compétences. En revanche, partir à l’aveugle ne me paraît pas la meilleure façon de procéder.

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Madame la ministre, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, quelle est la situation, aujourd’hui, des départements ? Ils gèrent bien l’aide sociale, ils s’occupent bien des réseaux routiers…

M. François Fortassin. … et ils assurent une présence sur le terrain.

On compte quatre grands types d’assemblée dans notre pays : les conseils généraux et l’Assemblée nationale, les conseils régionaux et le Sénat. Les premiers représentent la population et les seconds représentent les territoires. Qu’on le veuille ou non, un équilibre s’est formé. Aussi, dès lors que les choses marchent bien, pourquoi faut-il provoquer des bouleversements dont on ne sait pas vers quoi ils nous mènent ?

En revanche, il existe aujourd’hui un problème de financements croisés : est-il utile de constituer six ou sept dossiers pour obtenir 50 000 euros de subventions, et ce alors même que les frais de constitution de ces dossiers sont généralement plus élevés que la subvention elle-même ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. S’agissant de votre première question, monsieur le sénateur, il ne me semble pas que les auteurs du rapport se soient déclarés, en la matière, partisans d’une terrifiante révolution…

Concernant votre seconde question, je veux vous dire que les conférences territoriales de l’action publique ont été créées à la suite de trois rapports sénatoriaux, dont celui de Jacqueline Gourault et d’Edmond Hervé.

En son temps, la conférence nationale des exécutifs avait décidé de faire en sorte de supprimer les doublons. Par exemple, en matière de développement économique, la région est chargée de la stratégie, de la recherche et développement, des transferts de technologie, des aides directes aux entreprises ; en revanche, en matière d’immobilier d’entreprises, c’est soit le département, soit la communauté d’agglomération qui a la compétence.

Pour ma part, je fais confiance aux élus pour mettre fin à ces doublons. Mais je crois aussi à la diversité des territoires et je ne vois pas comment rédiger une loi qui empêche les élus locaux de décider, selon les situations, qui fait quoi entre la région, un département, une métropole ou les structures intercommunales.

J’ai souvent entendu dire qu’il serait impossible de s’entendre au sein des conférences territoriales de l’action publique. Je connais pour ma part six conférences territoriales régionales et elles fonctionnent bien. Yves Krattinger me citait d’ailleurs le cas de la conférence des exécutifs de son département. À chaque fois qu’on réunit des élus, cela donne de bons résultats, pour la raison simple que les élus sont des gens sérieux, et je leur fais confiance.

Je le répète, les conférences territoriales de l’action publique, créées à la suite de propositions du Sénat, permettront de mettre fin aux doublons.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.

M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand reconnaissait avec lucidité ceci : « L’immobilité politique est impossible ; force est d’avancer avec l’intelligence humaine. Respectons la majesté du temps ; contemplons avec vénération les siècles écoulés [...] ; toutefois, n’essayons pas de rétrograder vers eux, car ils n’ont plus rien de notre nature réelle, et, si nous prétendions les saisir, ils s’évanouiraient. »

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Il fallait un peu de romantisme ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Carle. Si l’on veut aujourd’hui relever le défi de la compétitivité qui s’impose à nous, le Président de la République l’a rappelé, nous ne pouvons plus, mes chers collègues, gouverner la France avec l’organisation du siècle dernier.

Nous devons engager une double rupture : celle de notre organisation politique et administrative et celle de la méthode. Il nous faut passer d’une démocratie descendante à une démocratie ascendante.

Le général de Gaulle l’avait très bien compris, qui disait : « Plus je plonge dans la France, plus je constate que beaucoup de choses reposent sur la conscience et le dévouement des maires ». Il ajoutait à leur adresse : « Vous êtes les éléments de solidité de la France. »

Mes chers collègues, la compétitivité de notre pays prendra corps lorsque nous ferons confiance à cette France d’en bas chère à Jean-Pierre Raffarin. Pour ce faire, l’État doit engager une véritable révolution culturelle : passer de la culture de la circulaire à celle du contrat.

Les rythmes scolaires en sont le plus bel exemple. En effet, s’il y a consensus sur l’objectif, la mise en place ne peut être décrétée depuis la rue de Grenelle, car les rythmes biologiques des enfants et des enseignants ne peuvent être déconnectés des rythmes économiques, voire climatiques, des diverses régions. Seules la contractualisation et l’expérimentation au niveau local seront efficientes.

Madame la ministre, ma question est simple : quelles mesures comptez-vous prendre pour valoriser la diversité de nos territoires et la compétitivité de la France au moment où nos collègues Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger proposent des pistes de réflexion particulièrement intéressantes ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. La question est simple, mais encore faut-il que vous m’accordiez quelques heures pour expliquer ce que pourrait être cette évolution… (Sourires.)

En tant que membre du Gouvernement, je compte prendre en compte le rapport de la mission commune d’information et, à partir de celui-ci et des textes qui sont déjà en vigueur, j’entends faire évoluer les choses et proposer sans doute des simplifications, en particulier dans l’échelle des responsabilités et des prises de décisions.

Mais j’entends ce que vous dites, ce qu’ont dit deux des orateurs qui sont intervenus tout à l’heure, comme j’entends ce qu’a dit ce matin le Président de la République, qui, constatant que les services déconcentrés de l’État font remonter 6 000 indicateurs vers les ministères, se demandait ce que l’on faisait de ces chiffres, sinon des statistiques.

La déconcentration sera donc inscrite au programme du Gouvernement.

Je profite de votre question pour aborder le rôle des préfets, après Edmond Hervé.

Dans un premier temps leur a été confié le pilotage des budgets opérationnels de programme, les BOP. Il me semble qu’on ne peut pas s’arrêter là. À partir de l’expérimentation qu’Yves Krattinger appelle de ses vœux, il y a un travail à faire sur la déconcentration et sur le rôle des préfets, qui ne doit pas se limiter à un simple contrôle a posteriori.

Cela rejoint la question qu’a posée Jean-Claude Peyronnet à propos du rôle des parlementaires. Je n’ai pas de réponse bordée sur le plan juridique à vous faire, monsieur le sénateur, mais ce qui existe au niveau national, c’est-à-dire la mission de contrôle des parlementaires sur l’action du Gouvernement, pourrait se décliner en une mission de contrôle des parlementaires sur l’exécution par les préfets des décisions de l’État. En tout cas, c’est la voie vers laquelle nous nous orientons.

Voilà ce qu’il est possible de faire pour conjuguer décentralisation, déconcentration et simplification. Cela demandera beaucoup de travail et nécessitera d’amples discussions avec nos fonctionnaires.

Puisque je dispose d’un peu plus de temps (Sourires.), je conclurai mon propos en disant quelques mots sur les corps de contrôle.

J’ai entendu plusieurs intervenants se plaindre du fait que l’État « étouffait » un peu les élus et les acteurs locaux par des contrôles sans raison d’être. Jean-Pierre Raffarin a parlé de l’initiative qui pouvait être étouffée par tous ces a priori. C’est là un vrai sujet, celui de l’État régulateur, mais aussi celui de l’État accompagnateur des collectivités, et il demande réflexion. Peut-être faudra-t-il envisager un décret de préfiguration s’agissant des départements et de la compétence de solidarité territoriale, comme semblent en être d’accord M. Raffarin et M. Krattinger. Une proposition écrite leur sera faite à ce sujet.

Il faut aller jusqu’au bout de la démarche et veiller à ce que l’État soit partout présent pour exercer sa mission de contrôle de la réalité des choses – je pense, par exemple, à l’industrie agroalimentaire, aux produits de santé, des sujets qui ont fait l’actualité récente – et, à cet égard, une vraie évolution doit intervenir.

Je peux vous dire que, ce matin, devant les préfets, les directeurs d’administration centrale et l’ensemble des corps constitués réunis, le Président de la République a manifesté une attention particulière pour cette réforme de l’État qui doit être entamée.

Aussi, et bien que le propos soit inimaginable de la part d’un ministre, vous me permettrez, mesdames, messieurs les sénateurs, de me souhaiter bon courage ! (Rires.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet après-midi, dans les différentes interventions, il a été question à plusieurs reprises des régions. Je reviendrai bien évidemment sur les propositions qui sont faites à cet égard, mais cela montre en tout cas la nécessité de travailler à l’articulation entre les différentes collectivités. C’est là un des enjeux des deux textes à venir – mais, madame la ministre, vous avez laissé entendre qu’il n’y aurait peut-être plus qu’un seul projet de loi.

Ma collègue Mireille Schurch l’a rappelé, loin d’opposer les collectivités entre elles, nous devons leur permettre de mieux travailler au service des femmes et des hommes de nos différents territoires. Dans le cadre de la modernisation de l’action publique, il a beaucoup été question de l’intelligence territoriale. Il faut lui donner corps, et les élus en sont capables.

Je ne pense pas que, pour donner plus de visibilité aux régions, comme le réclament à la fois les auteurs du rapport et les acteurs de terrain, il faille nécessairement réduire leur nombre et accroître leur taille. Finalement, quel que soit le nombre des régions, quelle que soit la taille des unes et des autres, se posera nécessairement la question de l’interrégionalité, de la périphérie.

Si je prends l’exemple de la région Rhône-Alpes, même si on lui adjoint la région Auvergne, la question du transport quotidien de voyageurs vers la région Bourgogne se posera toujours ; si on lui adjoint la région PACA, se posera toujours la question des trajets quotidiens vers la région Auvergne.

Nous avons besoin, effectivement, de créer ces espaces interrégionaux qui existent déjà à l’échelle des massifs – citons, par exemple, la coopération entre les six régions du Massif central.

Madame la ministre, vous nous avez dit être prête à rendre possible l’expérimentation ; le cas échéant, quelle place sera donnée à la consultation des populations concernées ? Plus concrètement, comment redonner leur place à des régions sans les opposer aux autres collectivités, sans non plus briser l’unité de la République ? Vous l’avez rappelé, notre objectif est surtout de réduire les inégalités territoriales, et non d’en créer d’autres.

M. le président. La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Je tiens à rassurer notre collègue : nous ne voulons pas redessiner la carte administrative, nous ne voulons pas redécouper les régions. L’idée, c’est d’éviter que plusieurs acteurs ne soient en compétition et, ce faisant, ne créent des doublons, source de dépenses. Pour cela, il faut que les acteurs ne se ressemblent pas trop. Ils doivent donc avoir des natures différentes. Et nous pensons que la dimension est un élément de cette différenciation, tant il est vrai que, lorsque vous avez la charge d’espaces plus vastes où la densité de population est différente, vous ne pouvez pas manifester le même intérêt, la même préoccupation pour la population vivant dans un canton rural.

Telle est l’approche de rationalisation que nous proposons.

J’entendais tout à l’heure notre collègue Edmond Hervé dire des territoires sans métropole qu’ils étaient condamnés. Autant je souscris en grande partie à son propos, autant, là, je me pose la question : la région Poitou-Charentes est-elle condamnée, qui ne compte aucune métropole régionale ? Cela peut se discuter, mais il est clair que Bordeaux ou Nantes ont une influence sur leur territoire régional. En tout cas, nous avons besoin de structures interrégionales.

Ainsi, je remarque qu’EDF, la SNCF ou un certain nombre de structures avec lesquelles nous travaillons aujourd’hui fonctionnent ainsi. Un conseil régional, pour réaliser son schéma des transports, travaille avec une direction interrégionale de la SNCF dont le siège se trouve dans une métropole de proximité extérieure à la région.

Il ne s’agit pas, ma chère collègue, de prendre des ciseaux et de refaire avec les régions ce que d’autres font avec les cantons !

Mme Cécile Cukierman. C’est pourtant ce que vous vouliez faire voilà peu !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Notre idée, c’est simplement de trouver le moyen de la puissance. Par exemple, si vous voulez un jour créer ce qui ressemblerait à une Banque publique d’investissement interrégionale ou régionale qui puisse faire du haut de bilan, qui puisse soutenir par des financements directs des PME sur des structures stratégiques, il est nécessaire de disposer d’un staff, d’une équipe qui seront probablement mieux structurés à un niveau interrégional.

Notre approche est donc très pragmatique. Nous proposons que des expérimentations soient conduites. À cet égard, je partage l’idée exprimée par Yves Krattinger : la création de pôles interrégionaux pourrait préfigurer une action interrégionale pour l’exercice d’un certain nombre de compétences, afin d’assurer à celle-ci une puissance suffisante, sans pour autant toucher aux identités régionales, qui sont une réalité importante. Je mesure bien que tout cela est complexe.

Cette démarche empirique, expérimentale, consistant à instituer des pôles interrégionaux représente le moyen de progresser vers la nécessaire mise en place d’une action à l’échelon interrégional tout en évitant la concurrence entre région et départements.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Nous touchons ici au fond du sujet. En fait, il existe deux types d’inégalités majeures entre territoires : des inégalités de richesse, qui peuvent toujours en théorie être compensées par la péréquation,…

M. Jean-Jacques Hyest. On ne le fait pas !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. … même si pour l’heure on n’y parvient guère, faute d’accord entre les politiques, et des inégalités en termes de disponibilité de la matière grise. Les secondes sont peut-être encore plus importantes que les premières aujourd'hui, à l’ère de l’économie de la connaissance.

La principale difficulté, pour les collectivités des territoires ruraux, est de trouver des cadres de très bon niveau pour mettre en œuvre les politiques publiques. L’État lui-même n’affecte plus ses fonctionnaires comme il le faisait il y a cinquante ou cent ans. Quand une région ne peut pas s’appuyer sur une métropole – fût-elle située hors de son territoire, un peu comme Bordeaux ou Nantes pour Poitou-Charentes –, elle se trouve très gravement handicapée. En raison de l’insuffisance des structures d’enseignement et de recherche, les entreprises qui y sont historiquement installées peinent à garder leurs cadres et celles qui n’y sont pas présentes n’y viendront jamais !

Telle est la réalité que nous vivons et qui fonde la grande inégalité entre les territoires. Nous devons essayer de trouver des réponses à cette problématique, car aujourd'hui les écarts ne se réduisent plus, ils se creusent.

L’État peut créer les conditions de l’égalité, en instaurant des péréquations et en affectant des moyens humains. À cet égard, les préfets ne suffisent pas, quelles que soient leurs qualités – celui de mon département est excellent ! –, car c’est d’équipes de cadres dont nous avons besoin, en particulier dans des domaines tels que ceux des nouvelles technologies ou du numérique, qui requièrent une ingénierie de très haut niveau. Ces équipes pourraient mener leur action au sein des pôles interrégionaux que j’ai évoqués. Un spécialiste isolé ne pourra assurer le développement des services numériques dans un territoire ; c’est impossible !

J’ai rédigé en 2009 un rapport intitulé « Faire confiance à l’intelligence territoriale ». Dans les faits, nous en sommes loin ! Après avoir donné les moyens d’une certaine égalité matérielle et humaine, on veut contrôler tout ce que font les territoires et on tue ainsi l’innovation territoriale. Sur ce point, je suis en profonde rupture avec certains propos que j’ai pu entendre. La confiance doit aller jusqu’à autoriser les territoires à innover. Pour moi, la loi doit fixer les objectifs à atteindre en termes d’égalité, l’État doit donner les moyens de l’égalité, mais il appartient ensuite aux territoires d’inventer le chemin pour la réaliser. En effet, tracer ce chemin depuis Paris ne peut que mener à l’échec !

M. Jean-Pierre Vial. Très bien !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Tant que l’on ne fera pas confiance aux territoires, on restera enlisé dans la situation actuelle.

M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.

M. Gérard Bailly. Je fais mien, bien entendu, le credo en nos communes que l’on a pu entendre sur toutes les travées. Pour ma part, je voudrais évoquer la situation des territoires ruraux, des petites communes, dont j’ai pu observer toute l’évolution jusqu’à aujourd'hui, étant désormais président d’une intercommunalité après avoir été élu maire pour la première fois voilà quarante-neuf ans.

Conformément à la loi, les petites communes ont déjà délégué à l’échelon intercommunal les compétences en matière d’économie, d’environnement, en particulier tout ce qui concerne la gestion des déchets et les services publics d’assainissement non collectif. Les écoles de musique, les voies vertes, cyclables ou de randonnée relèvent également de l’intercommunalité. Il en ira bientôt de même pour l’entretien des cours d’eau, tandis que les préfets nous incitent à supprimer les syndicats intercommunaux à vocation sociale pour confier aux communautés de communes les compétences en matière scolaire, de crèches, de centres de loisirs sans hébergement ou de gestion des établissements accueillant des personnes âgées. Dans le même esprit, l’agence de l’eau a indiqué que, d’ici à deux ans, l’assainissement devrait relever de l’intercommunalité pour les petites communes, et la loi Duflot organise l’urbanisme à ce même échelon.

Je souscris pleinement à cette évolution, mais aujourd'hui, à la veille des élections municipales, les maires se demandent ce qu’il va leur rester à faire. Cela étant, ils ne critiquent pas l’intercommunalité ; ils savent qu’elle est indispensable et acceptent les transferts de compétences, quand ils ne les demandent pas eux-mêmes. Comment ces petites communes de 50, de 100 ou de 200 habitants, qui se refusent cependant à fusionner, pourraient-elles s’intégrer insensiblement au sein de l’intercommunalité, au fil de son approfondissement ? L’idée est assez nouvelle, mais ce n’est pas par le biais d’une décision du Gouvernement, quel qu’il soit, que l’on réussira à diminuer le nombre de communes en supprimant les plus petites d’entre elles. Imposer les fusions ne marchera pas non plus : comment pourrait-on inciter les petites communes à s’associer dans l’intercommunalité pour créer la commune de demain ? Cela est-il possible ?

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. C’est une très bonne question !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Rappelez-vous les débats que nous avons eus dans cet hémicycle, par exemple lorsque l’on a essayé de rendre obligatoire le plan local d’urbanisme pour les intercommunalités ou d’organiser la prévention des inondations à l’échelon intercommunal. Une peur s’est alors exprimée : que va-t-il rester à la commune ?

Les communes qui ont des ressources vivront avec leur intercommunalité, laquelle permet à chacun d’accéder à des services qu’il n’aurait peut-être pas été possible de créer autrement, s’agissant par exemple de la petite enfance. Cela étant, je reste persuadée que c’est l’intercommunalité qui peut sauver les communes n’offrant plus aucun service à leur population, faute de moyens, et où seul le coût extrêmement faible du foncier est susceptible d’attirer de nouveaux habitants. Certaines très petites communes sont exsangues et ont du mal à se donner des élus : faut-il leur imposer de fusionner ? Pour ma part, je reste sur la position que j’ai toujours défendue : je leur fais confiance pour décider de fusionner si cela est nécessaire. Pour des raisons historiques et culturelles, dans un pays comme la France, la loi ne saurait, à mon sens, les y contraindre.

En revanche, je pense qu’il convient de favoriser les fusions de communes. Je ne sais pas encore comment, car à l’heure où les dotations de l’État diminuent, il est difficilement envisageable de surdoter les communes qui fusionneront. Nous devrons cependant y réfléchir au cours de cette année. Nous sommes en train d’essayer de prendre en compte, dans la dotation globale de fonctionnement, ce que j’appelle les « mètres carrés précieux », à savoir les terres agricoles, les zones humides, les zones de protection des captages, le zonage NDs, le zonage Natura 2000, etc. Il y aura un peu plus de ressources, mais il faut étudier comment aider les communes à s’associer au sein d’entités viables. De ce point de vue, la mise en place des schémas départementaux de coopération intercommunale que la précédente majorité a eu le courage de promouvoir a déjà constitué un grand pas dans la bonne direction.

M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je ne puis en dire davantage aujourd’hui, mais je cherche les moyens d’encourager les fusions ; je n’ai pas mandat pour aller au-delà.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. M. Bailly met le doigt sur ce qui constituera le problème majeur des prochaines années. J’ai tenu dix-sept réunions dans mon département, portant sur les contrats que le conseil général est en passe de signer avec les communautés de communes. Les petites communes connaissent un vrai stress.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est vrai !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. C’est la première fois que je le constate avec autant d’acuité. Les transferts de compétences aux intercommunalités sont de plus en plus importants, y compris dans le domaine scolaire, qui est pourtant au cœur de la vie communale : comme me le disent les maires, si l’on transfère la compétence scolaire, à quoi bon conserver la commune ?

De plus, ces transferts de compétences s’accompagnent de transferts financiers, par le biais de dotations de compensation au profit de la communauté de communes. Les petites communes de mon département qui n’ont pas de ressources forestières n’ont plus de budget ! Il y a là un vrai problème. Comme Gérard Bailly, je pense que certaines seraient prêtes à se fondre dans une entité plus globale, sans être pour autant forcément disposées à fusionner avec la commune pauvre d’à côté ni même avec celle qui a la chance d’être plus riche parce que son territoire compte 800 hectares de bois, ce qui constitue une forme d’injustice, la rendant peu sympathique aux yeux de ses voisines…

M. Gérard Bailly. En effet !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Gérard Bailly a donc mis le doigt sur une question à laquelle nous devrons très rapidement apporter une réponse.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Je souhaite saluer le travail de nos collègues Raffarin et Krattinger, qui forment un excellent binôme, même s’il n’est pas paritaire…

La grande qualité de leur rapport tient à deux raisons.

En premier lieu, ils ont su écarter deux poncifs rebattus à gauche comme à droite depuis tant d’années, sans qu’aucune preuve ne vienne jamais les fonder : l’organisation territoriale de la France serait un millefeuilles – on retrouve pourtant trois niveaux de collectivités dans les sept autres plus grand pays européens – et les collectivités territoriales gaspilleraient l’argent public, alors que la part de leurs dépenses dans le PIB s’élève à 9 % ou à 10 %, pour une moyenne européenne s’établissant à 10 % ou à 11 %. La France se situe donc dans la norme.

En second lieu, nos collègues ont bien perçu la nouvelle géographie économique et démographique française. Christophe Guilluy propose d’excellentes analyses de cette nouvelle « fracture française », qui n’est pas seulement géographique, mais aussi politique. Il montre l’existence d’une France de la périphérie souvent abandonnée, qui ne profite pas de la mondialisation, contrairement aux grandes métropoles.

Je souscris complètement aux préconisations du rapport, qui souligne bien l’importance de la diversité. On ne peut pas faire la décentralisation en suivant les règles de la géométrie euclidienne : l’uniformité, le jardin à la française, cela ne marche pas ! Il faut donc faire vivre la diversité. Je suis évidemment favorable à la constitution de grandes régions, aux départements, tout en m’interrogeant sur la nécessité de maintenir un département sur le territoire des grandes métropoles.

Il faut également promouvoir la proximité, parce que c’est le creuset du lien social. La démocratie nationale n’est qu’une projection de la démocratie locale.

En matière de péréquation, la situation est très difficile. Instaurer la règle suivante, peut-être en l’inscrivant dans la Constitution, permettrait de l’améliorer fortement : celui qui décide doit payer. Songeons à ce qui se passe en ce moment avec la réforme des rythmes scolaires…

Madame la ministre, en présentant ses vœux pour la nouvelle année, le Président de la République a prononcé la phrase suivante, qui m’a interpellé et dont je voudrais que vous fassiez l’exégèse : « Une nouvelle loi de décentralisation accordera plus de responsabilités aux élus et elle simplifiera l’organisation territoriale de notre pays, qui est devenue illisible et coûteuse. » Est-ce là l’annonce d’un autre texte que les projets de loi déjà prévus ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Monsieur Retailleau, il n’est pas toujours possible d’appliquer le principe « celui qui décide paie ». Prenons le cas des communautés de communes rurales qui demandent des subventions pour mettre en œuvre une délibération : il faut intégrer le critère de la rentabilité. Pour autant, je sais que ce n’est pas à cela que vous pensiez.

Ce matin, le Président de la République a très clairement indiqué que nous avons décidé de rétablir la clause de compétence générale, tout en évitant les doublons. (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.) Il y a deux façons d’y parvenir : par le biais de la conférence territoriale de l’action publique, la CTAP, ou par la mise en place de compétences exclusives dans quelques domaines stratégiques pour le redressement de la France.

Tels sont les termes du débat. Comme je l’ai souligné tout à l’heure, le Président de la République laisse la porte ouverte à l’adoption d’amendements parlementaires sur le texte dont vous serez prochainement saisis. Cela étant, le Gouvernement est lui-même tout à fait conscient de la très forte montée d’une crainte que le rétablissement de la clause de compétence générale n’entraîne l’apparition de nouveaux doublons.

À mon sens, il convient de réduire le nombre de schémas : leur empilement actuel est inutile. En revanche, il en faut un à l’échelon régional,…

M. Jean-Jacques Hyest. Il y en a un pour l’Île-de-France !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. … tel un schéma régional d’aménagement du territoire qui serait à terme opposable aux SCOT et aux PLU et prendrait en compte les CHU, les universités, les gares, les aéroports, les principaux nœuds intermodaux.

Il n’est pas souhaitable de multiplier les schémas. Par conséquent, sur la demande du Président de la République, je vous proposerai une simplification, en instaurant un schéma prescriptif, qui devra respecter le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Nous allons examiner cette question de près, mais il y a peut-être là une réponse de nature à apaiser les craintes quant à l’apparition de doublons.

Par ailleurs, il me semble dommage que les expérimentations soient limitées à cinq ans dans tous les cas. C’est pourquoi nous avons choisi de recourir à la délégation de compétence. Cela justifierait peut-être une légère révision constitutionnelle, mais le Président de la République souhaite que l’on trouve d’autres solutions. Je vais donc m’allier à vous pour les définir.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Je voudrais évoquer deux questions : le rôle du préfet et celui des parlementaires.

Le rôle du préfet, lorsque la décentralisation a été mise en place, a été clairement défini, notamment par Gaston Defferre : le préfet est le seul représentant de l’État dans le département. Toutefois, c’est de moins en moins vrai, et cela est regrettable, car la décentralisation ne s’est jamais opposée à l’État déconcentré.

Les préfets, qui n’ont jamais eu, et c’est logique, le contrôle de la magistrature, ni celui de l’éducation, ont perdu complètement celui du secteur de la santé, à la suite de la création des agences régionales de santé, les ARS. Si l’on ajoute à cela les missions dévolues au gouverneur de la Banque de France, au directeur des services fiscaux, etc., on constate que, en réalité, les préfets ont de moins en moins de pouvoirs et de moyens. Il faut donc leur confier un rôle nouveau de coordination, d’animation, de médiation. C’est dans cette direction qu’il convient d’aller.

Quant au rôle des parlementaires, MM. Raffarin et Krattinger et Mme Meunier ont formulé des suggestions. Pour ma part, j’ai rédigé une proposition de loi sur ce sujet, issue d’un vote unanime de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Les parlementaires, qu’ils soient députés ou sénateurs, sont les élus d’un territoire. S’ils n’ont plus aucune attache avec ce dernier, ce qui se produira inévitablement, si l’on ne fait rien, lorsque l’interdiction du cumul des mandats sera instaurée, plus rien ne s’opposera à ce qu’ils soient un jour désignés par le biais d’un scrutin à la proportionnelle sur liste nationale. Avec la fin du cumul des mandats et la disparition des délégations, les parlementaires seront en apesanteur totale : leur action territoriale se bornera à l’inauguration des chrysanthèmes !

Il faut rapidement trouver une solution, sauf à connaître de très gros déboires. Les parlementaires risquent de perdre leur compétence, leur technicité, leur connaissance des réalités du terrain. Leur lien avec le territoire tiendra à la seule élection, or ce lien est extrêmement fugace.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Le parlementaire étant par essence un législateur, il ne peut détenir un pouvoir exécutif. Je suis d’ailleurs de ceux et celles qui se posent la question de la séparation de l’exécutif et du délibératif dans les régions.

M. Jean-Jacques Hyest. Comme en Corse !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Un parlementaire ne saurait exécuter au nom de l’État une mission, quelle qu’elle soit. En revanche, il nous faut réfléchir à partir de la fonction des parlementaires telle qu’elle existe, c’est-à-dire, en particulier, le contrôle de l’action gouvernementale, qui inclut celui de l’exécution des décisions par les préfets, puisque ces derniers sont les représentants de l’État, donc du Premier ministre, dans les départements. En outre, depuis que les budgets opérationnels de programme leur ont été confiés, les préfets remplissent une mission supplémentaire, dont l’exécution doit elle aussi être contrôlée.

Le rôle de médiation auquel vous faites référence, monsieur le sénateur, peut recouvrir le contrôle de l’action du préfet, mais il n’y a pas de codécision possible.

Cela étant, un département compte plusieurs parlementaires, sénateurs et députés. Nous allons devoir bien réfléchir à la question que vous avez soulevée : pour l’heure, je n’ai pas de réponse en droit. Une solution n’est pas hors d’atteinte, à condition de respecter la séparation des pouvoirs, conformément aux enseignements de Montesquieu.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Quel excellent rapport ! J’avais déjà apprécié le précédent rapport d’information sur l’intelligence territoriale et les tentatives de Jean-Pierre Raffarin pour élaborer une loi qui définisse mieux la répartition des compétences entre les diverses collectivités.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Il a réussi !

M. Jean-Jacques Hyest. Cependant, les limites de cet exercice étaient apparues assez rapidement.

Pour certains, comme la commune, le département, c’est dépassé ! Quant aux territoires ruraux, avec le nouveau découpage cantonal, ils seront sous-représentés dans les assemblées territoriales, alors qu’ils étaient auparavant surreprésentés. En tout cas, c’est ce que ressentent les élus locaux des zones rurales.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je ne suis pas d’accord !

M. Jean-Jacques Hyest. Vous n’êtes peut-être pas d’accord, mais je pourrais vous montrer ce qu’il en est pour le département de Seine-et-Marne : on assiste à l’écrasement total des territoires ruraux !

En ce qui concerne les départements, monsieur Krattinger, qu’est-ce qui a fait leur force à partir de l’entrée en vigueur des lois de 1982 et de 1983 ? Ils avaient des moyens permettant d’aménager les territoires ruraux, par le biais d’une péréquation au profit des collectivités les moins riches. Toutes les politiques très intelligentes et peu onéreuses menées par les départements ont donné un coup de fouet formidable aux territoires ruraux. Si les départements n’ont plus ces moyens, que vont-ils devenir ? Aujourd’hui, avec l’augmentation des dépenses sociales, non compensées complètement, les nouvelles charges d’entretien de la voirie qui leur incombent, quelle capacité d’initiative les départements conserveront-ils ? Je me le demande… Alors que les régions et les intercommunalités ont encore de la marge, la situation des départements est beaucoup plus délicate.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Monsieur Hyest, le découpage cantonal ne peut déroger au principe suivant : en France, c’est la population, et non la géographie, qui détermine la représentation.

M. Jean-Jacques Hyest. Pas pour le Sénat !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. La répartition entre parlementaires représentant les zones urbaines et parlementaires ruraux reflète ce principe, parce que les circonscriptions sont délimitées en fonction du chiffre de la population, et non du territoire. Par exemple, pour l’élection des députés, les circonscriptions peuvent compter de 20 à 206 communes.

Tant que le système de représentation sera fondé sur le principe « un homme, une voix », nous n’échapperons pas à la difficulté que vous avez relevée. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé ces dernières années. Par conséquent, je ne puis aller au-delà sur cette question.

En revanche, concernant la solidarité, nous nous sommes demandé, lors de nos débats sur le texte à venir, s’il était possible de concevoir, pour les communautés de communes rurales qui ont le moins de moyens, des formes d’exercice mutualisé des compétences avec les départements, au travers, par exemple, de sociétés publiques locales ou d’agences d’urbanisme travaillant au côté du conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, le CAUE, afin de constituer des pôles d’ingénierie.

En effet, M. Krattinger a parfaitement raison de souligner que ce qui manque parfois à un territoire pour faire émerger des projets, ce sont des cadres de catégorie A.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je me souviens d’ailleurs d’une expérimentation qui avait été menée au travers de contrats infrarégionaux : le montant de l’enveloppe d’ingénierie attribuée était inversement proportionnel à l’effectif de cadres A de la collectivité considérée.

Nous devons parvenir à instituer de telles mutualisations. C’est pourquoi j’ai du mal à comprendre certains propos selon lesquels le nombre de fonctionnaires serait excessif : nous avons besoin de cadres A pour mener nos politiques dans nos départements et nos intercommunalités.

Une critique récurrente, qui finit par être lassante, veut que les intercommunalités, et plus encore les régions, se soient montrées laxistes en matière de recrutement et qu’il y ait eu gabegie. Or, la Cour des comptes a mis en lumière une évolution modérée en termes de créations de postes, et même un tassement à l’heure actuelle. L’attribution de nouvelles compétences ou la croissance de la population ont amené certaines collectivités à recruter, mais il n’y a pas eu d’inflation des effectifs.

Par ailleurs, le niveau des dépenses par habitant de certaines régions de France a été parfois aussi été dénoncé. Or, s’il dépasse 250 euros pour le Limousin, contre environ 50 euros pour les Pays de la Loire, c’est parce que cette région doit pallier le manque de cadres A au sein des autres collectivités territoriales en renforçant sa propre capacité d’ingénierie.

La solidarité est donc une question essentielle. La création de pôles interrégionaux peut constituer une réponse, mais d’autres solutions doivent être envisagées, d’ici à quelques semaines, pour remédier à cette flagrante inégalité territoriale en matière d’ingénierie.

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République.

La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Je souhaite remercier l’ensemble des intervenants pour la qualité de ce débat et saluer l’implication du rapporteur de la mission, Yves Krattinger, qui nous a fait profiter de sa grande expérience.

Madame la ministre, au Sénat, on sait respecter les règles du jeu, ce qui permet d’avoir un débat apaisé. J’aurais pu vous faire part du mécontentement que m’inspire le découpage cantonal de mon département, la Vienne, mais j’attendrai pour cela une autre occasion, car il s’agit aujourd’hui de réfléchir à l’avenir de notre pays et aux moyens d’améliorer l’efficacité de l’action publique. Comme mes collègues, je suis capable de faire abstraction de mes griefs quand l’importance du sujet abordé le commande.

Sur de tels thèmes, le Sénat dispose d’une expérience qu’il est prêt à partager avec le Gouvernement. Vous continuerez à trouver en nous des opposants parfois vifs sur bien des points, mais aussi des partenaires loyaux pour réfléchir à l’avenir de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. le rapporteur de la mission commune d’information applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je tiens à saluer à mon tour la grande qualité du rapport et du débat. Toute contribution est très bonne à prendre !

Monsieur Raffarin, je suis moi aussi marrie du nouveau découpage de mon département. Il n’est pas si simple de changer les habitudes et de se plier à la règle de la représentation fondée sur la population.

Je m’engage, comme me l’a demandé le Premier ministre et conformément aux propos tenus ce matin par le Président de la République, à prendre en compte les conclusions de ce rapport et les échanges que nous avons eus dans l’élaboration des prochains projets de loi, à faire preuve d’ouverture aux amendements parlementaires et même à présenter au nom du Gouvernement, le cas échéant, des amendements qui auront été inspirés par vos travaux.

Je souhaite que nous réussissions à écrire ensemble, d’ici à quelques semaines, une nouvelle page de la décentralisation, de manière que le Gouvernement puisse continuer à travailler sur la déconcentration dans les meilleures conditions.

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Dépôt d'un rapport

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en application de la loi du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de communes.

Il a été transmis à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et, pour information, à la commission des lois.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Charles Guené.)

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Débat sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, organisé à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

La parole est à M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat de contrôle qui s’engage ce soir revêt une double originalité par rapport aux autres débats de ce type organisés depuis plus d’un an sur l’initiative de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

En effet, le rapport de nos deux collègues Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir sur la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite « loi Morin », est le premier à conclure qu’une loi, à l’épreuve des faits, n’a pas du tout répondu aux attentes du législateur.

Voilà pour l’aspect négatif, mais je retiens surtout l’aspect positif : c’est en effet le premier rapport à déboucher presque immédiatement, à la suite du constat de la non-application d’une loi, sur l’adoption de mesures législatives, soutenues par le Gouvernement, tendant à redresser cette situation anormale.

Nous devons, à ce propos, saluer l’approche constructive de nos deux rapporteurs, qui, au-delà de leurs sensibilités politiques propres, dont la divergence a pu inspirer le scepticisme de certains quant à l’aboutissement de la démarche, ont su établir un diagnostic objectif et convergent.

En nous montrant les limites du dispositif initial, ils ont ouvert la voie au dépôt de deux amendements, présentés par Corinne Bouchoux, sur la toute récente loi de programmation militaire, amendements que le Sénat a adoptés avec l’avis favorable du Gouvernement.

Pour ma part, je vois dans cette démarche une remarquable illustration du lien naturel entre notre fonction de contrôle et notre activité législative proprement dite.

Je tiens également à saluer la contribution de deux autres de nos collègues, qui représentent le Sénat au sein de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires : Marcel-Pierre Cléach, tout d’abord, qui a été le rapporteur au Sénat de la loi Morin ; Michelle Demessine, ensuite, qui a pris le temps d’assister aux réunions du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le CIVEN, et qui nous a exposé avec force les complications que subissent les victimes et leurs ayants droit.

Pourtant, en votant la loi de 2010, le Parlement avait voulu faire œuvre de justice envers tous ceux qui ont pu subir, à leur insu, des dommages liés aux essais nucléaires français. Cela vaut aussi bien pour les premiers essais en Algérie, dont quatre tirs atmosphériques très polluants dans le Sahara, que pour les campagnes en Polynésie française.

Or, si l’on examine les statistiques, le constat est sans appel : le dispositif de la loi de 2010 n’a pas seulement mal fonctionné, il n’a quasiment pas fonctionné du tout ! Cela nous a encore été confirmé lors de la conférence de presse que nous avons organisée début octobre, à la suite de la publication du rapport.

Un tel blocage n’était plus acceptable, non seulement parce qu’il est injuste, mais aussi parce qu’il jette le discrédit sur la loi et sur la parole publique.

Il était grand temps de réparer cette injustice, d’autant que s’est engagée une véritable course contre la montre, nombre de victimes des essais nucléaires étant déjà décédées sans avoir obtenu réparation. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nos rapporteurs ne nous ont pas proposé d’abroger la loi de 2010 : sa remise en chantier intégrale aurait risqué de retarder à nouveau le processus d’indemnisation.

Pour l’heure, à défaut de pouvoir indemniser les victimes déjà disparues, un des amendements de Corinne Bouchoux permettra à leurs ayants droit de saisir dans les cinq ans le CIVEN, ce qui va dans le sens d’une meilleure reconnaissance du préjudice subi par ces personnes.

Je veux aussi souligner qu’une autre mesure proposée par le Gouvernement a été adoptée à l’Assemblée nationale, visant à étendre à l’ensemble du territoire de la Polynésie française le champ du dispositif.

Reste à s’interroger sur les raisons de ce qu’il faut bien considérer comme la défaillance d’un dispositif législatif…

Pourtant, au départ, le contexte juridique et financier se présentait plutôt bien : les mécanismes mis en place étaient en apparence simples et rapides, le Gouvernement avait publié les décrets d’application dans des délais brefs et, il faut le souligner, les pouvoirs publics ont aussitôt provisionné d’importants crédits, qui n’ont de ce fait pas été consommés. Il arrive bien plus souvent que l’on vote des lois sans que les décrets ou les moyens suivent…

En réalité, comme le rapport le met bien en évidence, le principal facteur de blocage a résidé dans l’instruction des dossiers individuels : contrairement à l’intention du législateur, des complexités et des problèmes d’application pratique ont engendré d’importants contentieux, paralysant plus ou moins le processus.

Au final, un nombre infime de victimes ont été indemnisées, ce qui a fait naître le doute et dissuadé beaucoup de demandeurs potentiels d’introduire de nouveaux dossiers : nous sommes confrontés à un cercle vicieux, ou plutôt, pour reprendre l’expression utilisée par nos rapporteurs, à une sorte d’impasse législative dont on ne peut envisager de sortir que « par le haut ».

Je laisserai les rapporteurs dresser l’inventaire des solutions qu’ils préconisent à cet effet, lesquelles viendraient compléter les premières mesures que le Parlement a votées en décembre et en octobre.

Il me paraît cependant important de souligner deux points en vue d’une meilleure application de la loi de 2010, par le biais d’une amélioration de « l’environnement normatif ».

Le premier concerne la pérennité du financement des indemnisations, qui passe par le maintien à niveau des crédits qui y sont consacrés.

Le rapport préconise de « sanctuariser l’architecture financière » du dispositif. Nous devrons y être attentifs dans la durée, l’application de trop de lois achoppant sur l’insuffisance des moyens budgétaires.

À une époque d’économies « tous azimuts », la sous-consommation des crédits observée jusqu’à présent ne devra pas servir de prétexte pour rogner les dotations à venir. Cette tentation pourrait en effet exister à Bercy : en cette période de disette budgétaire, d’aucuns pourraient se demander pourquoi provisionner des crédits qui n’ont pas été dépensés auparavant…

Mais si l’indemnisation pécuniaire est une exigence, elle n’épuise pas la dette de reconnaissance dont la nation reste redevable envers ces personnes.

Le second point, auquel j’ai été particulièrement sensible lors de la conférence de presse, a donc trait à l’ouverture aux vétérans des essais, sous des conditions déterminées par voie réglementaire, des droits à l’attribution d’une distinction spécifique, comme l’avait suggéré dès 2009 notre collègue Marcel-Pierre Cléach. Cette mesure symbolique redonnerait sa juste place à l’ambition de justice affichée en 2010 et serait perçue comme une authentique marque de reconnaissance pour le préjudice dont ces vétérans ont été victimes à leur insu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, corapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

M. Jean-Claude Lenoir, corapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a confié à Corinne Bouchoux et à moi-même, voilà un an, une mission qui s’est conclue par la remise d’un rapport intitulé « L’indemnisation des victimes des essais nucléaires français : une loi qui n’a pas encore atteint ses objectifs ». Ce titre reflète une approche un peu plus positive que ne l’a dit à l’instant M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Corinne Bouchoux et moi avons travaillé dans les meilleures conditions, formant un binôme que d’aucuns ont qualifié d’« improbable ». Le résultat de ce travail a montré, je pense, que nous pouvons œuvrer ici en bonne intelligence sur des sujets qui intéressent l’ensemble de nos concitoyens.

J’exposerai pour ma part les principales dispositions de la loi, avant d’identifier les blocages rencontrés pour son application. Ma collègue Corinne Bouchoux s’attachera à présenter un certain nombre de propositions et à rappeler les avancées que notre travail en commun a déjà permises.

C’est le 13 février 1960 qu’a explosé près de Reggane, dans le Sahara, la première bombe atomique française, dans le cadre de l’opération Gerboise bleue, qui comportait quatre tirs. Au total, la France aura procédé à 210 tirs nucléaires, d’abord atmosphériques, puis souterrains, les premiers dans le Sahara et les suivants, une fois que l’Algérie eut acquis son indépendance, en Polynésie Française.

Il faut le dire, la contribution de celles et de ceux qui ont participé à ce programme nucléaire s’est faite au prix de sacrifices importants, de souffrances avérées. Certains ont même payé cet engagement de leur vie.

En effet, notamment au cours des premières années, les tirs atmosphériques ont provoqué de vrais accidents. Quatre sont survenus dans le Sahara : l’essai Béryl, en 1962, a sans doute produit le plus d’effets ; il a été suivi, entre 1963 et 1965, de trois autres – Améthyste, Rubis et Jade –, qui ont également entraîné des retombées radioactives. Un cinquième accident a été constaté en Polynésie, à l’occasion de l’essai atmosphérique Centaure du 17 juillet 1974.

Malgré toutes les précautions prises à l’époque, les personnels concernés n’ont pas toujours été confinés et certains d’entre eux ont été victimes de retombées radioactives ayant entraîné des maladies et parfois des décès.

Cette situation fait l’objet de débats nourris depuis longtemps, dans les milieux politiques et au sein des associations regroupant les vétérans de ces essais. Assez récemment, plusieurs initiatives ont été prises par l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat, visant à ce qu’une loi apporte des réponses satisfaisantes en matière de reconnaissance et d’indemnisation des victimes.

C’est finalement le précédent gouvernement, en la personne d’Hervé Morin, ministre de la défense, qui a pris l’initiative de faire examiner par le Parlement, en 2009, un projet de loi qui est devenu la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Cette loi répondait à trois objectifs.

Le premier était de reconnaître et de réparer le préjudice subi par les personnes ayant été exposées aux radiations.

Le deuxième objectif était de simplifier les procédures. Auparavant, les victimes devaient en effet se tourner vers le tribunal administratif, de façon isolée et sans disposer d’un support juridique adapté.

Le troisième objectif était d’apporter une juste indemnisation au regard du préjudice subi. La loi prévoyait notamment, à cet égard, qu’il n’incombait pas au demandeur d’établir le lien de causalité entre sa maladie et son exposition aux radiations, mais qu’il appartenait aux pouvoirs publics de démontrer l’inexistence d’un tel lien.

Mes chers collègues, vous connaissez l’essentiel du contenu de la loi de 2010. Elle pose trois critères de lieu, de période et de maladie pour l’ouverture du droit à indemnisation.

Les lieux sont bien identifiés : le Sahara, où vivaient à peu près 40 000 sédentaires et où le centre d’expérimentation militaire employait quelque 10 000 personnes ; la Polynésie, où le nombre des agents ayant de près ou de loin travaillé sur les expérimentations peut être estimé à environ 150 000, la population polynésienne concernée s’élevant à quelques dizaines de milliers de personnes.

En Polynésie, les sites sur lesquels des expositions ont pu se produire sont, outre les trois archipels principaux de Mururoa, de Fangataufa et de Hao, les archipels environnant les îles Gambier, pour des périodes plus courtes, ainsi que l’île de Tahiti, qui, en 1974, après l’essai Centaure, a été touchée par des retombées radioactives.

Pour ce qui concerne les doses de radioactivité supportées par les personnes concernées, elles ont été dans la plupart des cas un peu supérieures à 5 millisieverts, ou mSv. Environ 900 personnes ont été exposées à des doses comprises entre 5 et 10 mSv. Pour que ces chiffres paraissent moins abstraits, je précise qu’un Français reçoit, par an, 2,4 millisieverts en moyenne. On comprend dès lors l’importance d’une exposition à une dose de 5 à 10 mSv en l’espace de quelques heures. Du reste, au Sahara, une centaine de personnes ont pu recevoir une dose supérieure à 50 mSv, ce qui est le maximum annuel admis aux États-Unis pour un travailleur d’une centrale nucléaire. Ces quelques chiffres permettent de situer l’importance des doses dont il est question.

Une liste exhaustive des maladies retenues pour l’ouverture du droit à l’indemnisation a également été fixée, en conformité avec les préconisations du Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants. Elle a été complétée ultérieurement : j’y reviendrai dans un instant.

Par ailleurs, la loi de 2010 a permis la mise en place du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires et de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, chargée de formuler un certain nombre d’avis sur les questions touchant à l’application de la loi.

Enfin, la loi a instauré la présomption de causalité : il n’incombe plus à la personne concernée de prouver l’existence d’un lien entre la maladie contractée et une exposition à des radiations liées aux essais nucléaires ; il appartient aux pouvoirs publics de prouver l’absence d’exposition ou, en tout cas, l’absence de conséquences de celle-ci.

La loi comportait d’autres avancées non négligeables : elle accordait aux ayants droit un délai de cinq ans après sa promulgation, intervenue le 5 janvier 2010, pour formuler des demandes d’indemnisation, et les indemnités reçues étaient réputées non fiscalisables, comme l’avaient demandé les associations de victimes.

Au total, comme le rappelait à l’instant le président Assouline, tout a été mis en place dans des délais très rapides. La loi a été promulguée le 5 janvier 2010. Le premier décret a été signé le 11 juin 2010, le second, qui créait le CIVEN, l’a été le 23 juillet 2010. Cette instance a pu tenir sa première réunion dès le 20 septembre de la même année.

En outre, les associations de victimes s’étaient fortement mobilisées pour informer leurs adhérents du contenu de la loi. Les pouvoirs publics ont multiplié les messages d’information.

Toutefois, bien que ses dispositions aient fait l’objet d’une forte médiatisation, la loi du 5 janvier 2010 n’a pas produit les effets escomptés.

J’étais député à l’époque de son élaboration, et je me souviens que son dispositif avait recueilli un très large consensus : tout le monde était d’accord pour que la France se range du côté des victimes. Pourtant, nous n’avons pas enregistré les résultats attendus.

On estimait alors que, pour une population d’un peu plus de 200 000 personnes concernées, quelque 20 000 dossiers pourraient être déposés et qu’entre 3 000 et 5 000 ouvriraient droit à indemnisation. À la fin du mois d’octobre de l’année dernière, 861 dossiers avaient été déposés, dont seulement 12 avaient donné lieu à indemnisation. Les 10 millions d’euros qui avaient été inscrits dès le départ dans la loi de finances pour permettre cette indemnisation n’ont été consommés que très partiellement : au total, seulement 300 000 euros ont été versés, alors que la classe politique était unanimement favorable à ce qu’une réparation juste soit apportée aux personnes qui avaient été exposées aux radiations dans le cadre des essais nucléaires.

Quelles sont les raisons d’un tel décalage entre les espérances et la réalité ? Nous les avons bien identifiées.

La première d’entre elles est sans doute que le CIVEN n’était pas suffisamment armé pour faire face à l’ensemble des demandes pouvant être formulées. Cela peut paraître paradoxal, puisque les demandes ont été peu nombreuses, mais il faut savoir que, justement, les moyens du CIVEN ont été diminués en proportion. S’y ajoute le fait que le CIVEN était réparti entre deux petites structures implantées l’une à Paris, l’autre à La Rochelle, et que les communications entre elles étaient extrêmement difficiles.

Par ailleurs, et c’est sans doute le point le plus important, au rebours de tous les objectifs assignés à la loi, la présomption de causalité a donné lieu à des contentieux encore plus lourds que ceux qui existaient auparavant.

En effet, sur la base du lieu, de la période et de la maladie qui l’affectait, la personne concernée pouvait demander droit à indemnisation. Cette demande était examinée par le CIVEN, qui manquait de moyens d’expertise médicale et ne disposait peut-être pas de l’expérience nécessaire. À cet égard, je continue de penser que l’on aurait été bien inspiré d’étudier ce qu’avaient fait les Américains, les Australiens et les Britanniques. Toujours est-il que les refus opposés par le CIVEN ont évidemment déclenché des recours devant les tribunaux administratifs, qui ont donc été saisis d’un nombre considérable de contentieux dont ils ne devaient en principe pas avoir à traiter. Certains de ces contentieux sont encore pendants aujourd’hui.

Au total, nous avons constaté que les dispositifs que le législateur, tous groupes politiques confondus, avait souhaité instaurer pour régler un problème douloureux et faire œuvre de justice à l’égard de personnes vivant aujourd’hui tant en France métropolitaine qu’au Sahara ou en Polynésie n’avaient pas bien fonctionné. Nous nous sommes efforcés de trouver des solutions pour remédier à cette situation. Certaines d’entre elles sont déjà mises en œuvre. Nous sommes unanimes, dans cette enceinte, à vouloir faire en sorte que cette loi soit le moyen de reconnaître et d’indemniser les victimes des essais nucléaires, dans des délais aussi brefs que possible. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, corapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Mme Corinne Bouchoux, corapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean-Claude Lenoir vient de résumer notre constat de la difficile application de la loi de 2010, dont le bilan est extrêmement faible : 12 dossiers ouvrant droit à indemnisation, pour 861 examinés. Tout ça pour ça !

Pourtant, tout avait bien commencé : de bonnes intentions, une large publicité donnée au dispositif, avec la distribution de dépliants pour inciter d’hypothétiques victimes à se manifester, la mise en place d’un centre médical en Polynésie, un traitement médiatique tout à fait important, qui a permis de mettre ce dossier en lumière comme il le méritait.

Dès lors, que convenait-il de faire ?

Nous n’avons pas choisi d’abroger la loi de 2010, car une telle démarche nous semblait extrêmement périlleuse. Nous avons pris le parti, assez difficile, de faire des propositions.

Fait inédit, depuis que nous avons déposé notre rapport, les choses ont évolué dans le bon sens. Nous voudrions souligner ces avancées, mais aussi mettre en exergue les obstacles qui restent à surmonter.

Tout d’abord, il convient à notre sens de ne pas figer de façon définitive les critères, qui doivent être susceptibles d’évoluer en fonction des progrès de la connaissance, de la recherche historique ou de l’obtention de nouvelles informations. Nous pensons avoir été entendus sur ce point par le ministre.

Par exemple, les zones ont pu être étendues, ainsi que la liste des maladies pouvant donner lieu à indemnisation, même si cela fait encore l’objet de discussions avec les associations de victimes. Enfin, le fait que l’ensemble du territoire de la Polynésie française ait été reconnu comme zone à risque constitue également, selon nous, un progrès de fond.

Il reste des défis à relever concernant le CIVEN, notamment en matière de fonctionnement. Nous avons relevé un certain nombre de problèmes logistiques et de communication entre les deux sites. Compte tenu de toutes les prouesses dont est capable le ministère de la défense, il nous semble possible d’améliorer la situation sur ce dernier plan !

Nous avons aussi souligné – et nous avons été entendus – que la composition du CIVEN devrait peut-être être élargie, notamment en intégrant en son sein des épidémiologistes.

Nous avons déposé des amendements sur le projet de loi de programmation militaire, dont certains ont été adoptés.

Ainsi, la transformation du CIVEN en autorité administrative indépendante a été entérinée, ce qui implique un rôle accru des services du Premier ministre et, peut-être, une plus grande distance constructive à l’égard du ministère de la défense.

Par ailleurs, les compétences et les modes de désignation des membres du CIVEN ont été modifiés et précisés. Je salue le fait que l’intégration d’un épidémiologiste en son sein ait été définitivement entérinée, même si nous avions également demandé que certains des spécialistes désignés pour siéger au CIVEN puissent être choisis sur une liste agréée par les associations de victimes : nous pensons que cela serait de nature à renforcer la confiance entre ces dernières et le CIVEN.

Il nous semble important de souligner que le principe du contradictoire a été utilement renforcé, en permettant au requérant de mieux défendre sa demande, en personne ou par l’intermédiaire d’un représentant, et en demandant au CIVEN de motiver sa décision.

Enfin, nous saluons le fait que, depuis la remise de notre rapport, le CIVEN se soit vu confier un rôle de veille, au travers de la production d’un rapport annuel d’activité qui l’amènera peut-être à s’interroger davantage sur ses méthodes qu’il ne le fait actuellement.

Parmi les défis à relever figure celui de la conservation de l’architecture financière.

Nous pensons bien que ce n’est pas par hasard que, à l’époque de l’élaboration de la loi, des personnes extrêmement compétentes travaillant dans un ministère familier du raisonnement capacitaire ont fixé à 10 millions d’euros le montant de la ligne budgétaire consacrée à l’indemnisation et que ce chiffre correspondait à une estimation raisonnable, compte tenu du nombre et de l’âge des victimes. Nous estimons donc absolument indispensable de maintenir cette ligne budgétaire de 10 millions d’euros. Nous avons noté avec satisfaction que cela était le cas pour 2014, mais nous aimerions que des garanties soient données pour la suite, de telle sorte que l’amélioration du dispositif s’accompagne des financements nécessaires : à défaut, nous perdrons toute crédibilité et les victimes auront toutes les raisons d’être mécontentes.

Un autre défi consiste à encourager le dépôt des dossiers.

L'une des deux grandes associations de victimes nous a assuré avoir un millier de dossiers sous le coude. Nous aimerions qu’un dialogue constructif s'engage entre cette association et le ministère.

Par ailleurs, nous souhaiterions que soit menée, notamment sur le territoire métropolitain, une nouvelle campagne d'information par l'intermédiaire des médecins de ville et des oncologues, qui pourraient vérifier utilement, lors des entretiens avec les patients, si ceux-ci n’ont pas séjourné en Algérie ou en Polynésie aux époques considérées.

Il existe en outre un volet de nature diplomatique, que nous n’avons pu appréhender dans le rapport, concernant nos relations avec l'Algérie. A-t-on vraiment déployé tous les efforts d’information nécessaires en direction des populations concernées de ce pays ? Nous n’avons pas de certitudes à ce sujet.

Il a été indiqué que quelque 500 000 personnes au total sont susceptibles d’avoir été exposées, dont 150 000 du fait de leur travail sur zone. Ces estimations sont sujettes à caution. Quoi qu'il en soit, il serait important que l'on puisse, par exemple via le signalement de la pension pour les personnels militaires, communiquer à toutes les personnes potentiellement intéressées un document d’information sur le dispositif de la loi de 2010.

Les associations de victimes nous ont souvent demandé une reconnaissance de la participation de leurs membres aux essais nucléaires, à titre civil ou militaire. Nous aurions aimé qu’un geste puisse être fait à cet égard, d’autant qu’il ne s’agirait pas d’une mesure onéreuse.

Le nœud du « risque négligeable » est le dernier point que nous avons abordé dans notre rapport, sans pouvoir aller plus loin car nous n’aurions alors peut-être pas pu maintenir le consensus au sein de la commission. Un logiciel, qui n’avait pas été conçu à cette fin, permet de calculer si le risque auquel a été exposée une personne était ou non significatif. Nous nous sommes demandé si le point de blocage fondamental de l’application de la loi Morin ne résidait pas dans le recours à ce logiciel et à un calcul de probabilité, qui referme toutes les ouvertures permises par le dispositif.

Aujourd'hui, monsieur le ministre, les choses ont évolué et nous constatons un double mouvement : d’une part, tout le monde s'accorde à reconnaître, ce qui nous semble tout à fait positif, que ces essais nucléaires n’ont pas été propres et ont entraîné des accidents, donc des victimes ; d’autre part, le périmètre des zones géographiques concernées et la liste des maladies ont été étendus, ce qui est également positif. Cela étant, un débat scientifique demeure à propos de quelques maladies qui pourraient encore être reconnues comme résultant d'une exposition aux essais nucléaires ; nous n’avons pas voulu nous prononcer sur ce point dans notre rapport.

Une loi aura beau être inspirée par les meilleures intentions du monde, elle restera inopérante dès lors qu’elle ferme d'une main ce qu’elle ouvre d'une autre : telle est la leçon que l’on peut tirer de ce rapport, dont la présentation a donné lieu à une conférence de presse très animée.

Jusqu’à présent, le dispositif de la loi de 2010 n’a pas fonctionné. Monsieur le ministre, nous aimerions que, ce soir, à quelques mois de diverses échéances électorales, vous puissiez montrer clairement à des personnes victimes du devoir qu’elles sont entendues et que leurs problèmes sont pris en compte. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France a fait, depuis le lancement de notre programme nucléaire, dans les années cinquante, des choix courageux, au nom de l’indépendance et de la souveraineté nationales. Près d’un demi-siècle plus tard, nous mesurons à quel point ces efforts ont porté. Notre pays est aujourd'hui reconnu comme l’une des grandes puissances nucléaires de ce monde, tant sur le plan civil que sur le plan militaire. L’engagement des forces vives de notre pays dans le développement de l’énergie nucléaire nous permet aujourd’hui de tirer notre épingle du jeu de la concurrence internationale et de dissuader, sur le plan militaire, ceux qui pourraient être tentés de menacer l’intégrité de notre territoire.

Ce demi-siècle de succès a un prix : les 210 essais nucléaires réalisés entre 1959 et 1996 dans le Sahara algérien puis en Polynésie française n’ont pas été sans conséquence. Nombre de militaires de carrière, d’appelés du contingent, de travailleurs civils sur les sites militaires et, bien sûr, de personnes autochtones ont été les victimes, à différents degrés, d’irradiation ou de troubles liés à la manipulation de matériels nucléaires.

Le rapport récent de la commission pour le contrôle de l’application des lois du Sénat fait état de 150 000 personnes concernées sur toute la période, tous statuts confondus. On mesure à quel point le nucléaire est indissociable de notre histoire nationale.

À ce titre, il est tout à fait normal, légitime et cohérent qu’un régime approprié d’indemnisation ait été mis en place. Une compensation pécuniaire est le moins que pouvaient attendre ces Français qui ont payé le prix fort de notre indépendance militaire et énergétique.

L’État a donc pris ses responsabilités devant le législateur lorsque le Gouvernement, sur l'initiative d’Hervé Morin, a proposé en 2010 la création d’un régime de responsabilité sans faute visant à assurer la réparation intégrale du préjudice des victimes selon une procédure simplifiée de demande d’indemnisation. C’était là aussi une forme de reconnaissance des souffrances de ceux qui, du fait de leur travail ou de leur présence à proximité des sites, ont développé une maladie radio-induite.

Notre débat de ce soir ne porte pas sur le bien-fondé de l’existence de ce régime, qui a le mérite de répondre à l’une des exigences les plus importantes de ceux qui ont volontairement ou involontairement souffert pour la France. Il porte en réalité sur le périmètre, la mise en œuvre et la portée de l’indemnisation.

La France ne pratique plus d'essais nucléaires depuis 1996. Ce débat n’intervient pas à un moment anodin. Avec une belle unanimité, l’Assemblée nationale a voté en novembre dernier un texte permettant l’extension du champ de l’indemnisation à l’ensemble de la Polynésie française. Les travaux de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois ont ainsi mis en évidence que si l’esprit de la loi de 2010 demeurait pertinent, l’application de celle-ci laissait à désirer. Le critère d’évaluation mis en avant est surtout quantitatif. Il est vrai que, à cet égard, la loi de 2010, outre qu’elle exigeait le respect d'un critère temporel de résidence, restreignait le champ géographique de l’indemnisation à certains lieux : je pense notamment aux atolls de Mururoa, de Fangataufa et de Hao, ainsi qu’à l’île de Tahiti.

Cette démarche était tout à fait cohérente et rationnelle pour l’époque, puisqu’elle permettait, pensait-on, d’ouvrir l’indemnisation aux personnes les plus exposées aux conséquences de ces essais nucléaires. En effet, le rapport Bataille de 2001 estimait que les populations locales de Polynésie ayant été associées au programme d’expérimentation depuis 1966 avaient été peu exposées.

Ce rapport sous-estimait un phénomène qui a été mis en évidence en 2006 par une commission d’enquête parlementaire : les essais atmosphériques ont conduit à des retombées radioactives sur de plus larges zones que ce qui était projeté initialement. Dès lors, il était fondamental de prendre Tahiti en compte.

Pour autant, à la suite de la récente déclassification de documents relevant du « secret défense », il est apparu que les retombées radioactives ont été plus importantes que ce dont nous avions connaissance lors de l’adoption de la loi de 2010. En effet, de nombreux membres d’équipages de bâtiments de la marine nationale auraient été exposés.

De plus, à périmètre d’indemnisation constant, le travail du Sénat a permis de mettre en évidence le sous-emploi du dispositif de la loi de 2010, puisque, alors que l’on anticipait à l’époque qu’entre 2 000 et 5 000 dossiers donneraient lieu à indemnisation, seulement 840 demandes ont été formulées, dont 11 ont abouti, 4 d’entre elles émanant de Polynésie. Ainsi, en 2010, à peine 266 000 des 10 millions d’euros inscrits au budget pour financer l’indemnisation auraient été consommés…

Ces éléments sont-ils le symptôme d’un dysfonctionnement du régime mis en place en 2010 ? En réalité, le régime fonctionne ; ce qui pose problème, c’est son ciblage, son périmètre et la politique d’indemnisation.

Dès lors, la première des questions qui se pose est celle de l’équilibre. En effet, un juste équilibre doit être trouvé entre la nécessaire et légitime extension du périmètre de l’indemnisation et la préservation du caractère exceptionnel d’un tel préjudice. On mesure à quel point il serait facile et tentant, pour certains, d’ouvrir en grand les vannes de l’indemnisation pour mieux remettre en cause le bilan de notre demi-siècle nucléaire, même si personne, dans notre débat d'aujourd'hui, ne tombe dans ce travers. Pour nous prémunir contre ce genre de dérive et éviter cet écueil, nous devons, avant toute chose, adopter une démarche conciliant rationalité et empathie pour les victimes.

En deçà de cette précaution, il nous faut nous garder de faire de l’indemnisation un revenu à part entière pour des personnes qui n’auraient pas été exposées à des radiations. L’indemnisation doit répondre aux difficultés supportées par les victimes des retombées des essais nucléaires et par leurs familles. Cela pose d'ailleurs la question des ayants droit des personnes décédées qui étaient éligibles à l’indemnisation. Ce débat reviendra devant le Sénat le moment venu ; je ne m'y arrête pas.

Dans l’immédiat, je tiens à saluer à mon tour, au nom du groupe UDI-UC, le travail tout à fait remarquable accompli par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, en particulier par ses rapporteurs. Voilà une dizaine d’années encore, évoquer cette question de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires était presque commettre un sacrilège… Nous pouvons d'ailleurs tous balayer devant notre porte : à l’époque, les éléments disponibles nous amenaient à sous-estimer de bonne foi les retombées des essais nucléaires. Cela doit nous rendre modestes et ouverts à la prise en compte, le cas échéant, de données nouvelles, même si nous disposons désormais d’une vision assez bien consolidée de l'ampleur et du périmètre des dommages. Au nom de mon groupe, je félicite la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, dont le travail s’avère une nouvelle fois d’une grande pertinence. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat, qui s'appuie sur l'excellent rapport de Corinne Bouchoux et de Jean-Claude Lenoir sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, illustre concrètement l'utilité d'un contrôle parlementaire de l'application des lois par le Gouvernement.

En effet, on s’est rapidement aperçu, à l’usage, que le dispositif de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français fonctionnait mal et se heurtait à des difficultés importantes.

À cet égard, ce qui retient le plus l’attention et suscite le mécontentement des associations de vétérans, c’est que, contrairement à ce qui était initialement prévu, très peu de dossiers d’indemnisation ont été déposés et que la plupart d’entre eux sont rejetés. Ainsi, à la fin du mois d’octobre dernier, 861 demandes avaient été reçues, et seulement 12 indemnisations accordées.

Il faut remédier à cette situation, concernant un sujet douloureux puisqu’il s’agit de réparer le préjudice, vécu dans leur corps, dont ont été victimes des hommes qui ont contribué à assurer l’indépendance et la place de la France dans le monde. Au risque d’être grandiloquente, je n’hésiterai pas à dire qu’il y va de la crédibilité du Parlement, de la loi et de la République.

Il faut se souvenir que l’adoption de cette loi, quatorze ans après les derniers essais, constituait l’aboutissement d’un long combat mené par des associations de victimes, puis relayé par des parlementaires de toutes tendances, afin que soit officiellement reconnu par l’État un statut de victime des 210 essais nucléaires pratiqués par notre pays de 1959 à 1996.

Notre groupe s’était à l’époque prononcé contre l’adoption de cette loi, car nous estimions que le ministre de la défense d’alors, M. Hervé Morin, refusait en réalité d’ouvrir un véritable droit à indemnisation. Il s’opposait en effet à la création d’un fonds spécifique et autonome, au sein des instances duquel auraient siégé des membres des associations représentatives, tel qu’il en existe pour l’indemnisation des victimes de l’amiante ou d’autres maladies professionnelles.

C’est la raison principale pour laquelle nous avions pressenti que cette loi, au-delà de ses imperfections et bien qu’elle vise à simplifier les procédures de demande d’indemnisation en évitant aux victimes de recourir à la justice pour obtenir réparation, serait inopérante.

Nous jugions, par ailleurs, qu’il s’agissait d’une indemnisation a minima, révélatrice du souci de l’État de ne pas laisser passer la moindre économie, ainsi que de l’état d’esprit d’un lobby militaro-nucléaire qui a longtemps prétendu que nos essais ne pouvaient qu’être « propres ».

Cette loi a incontestablement créé un mécanisme trop restrictif. À cela s’ajoutaient une délimitation contestable des périmètres irradiés et une liste trop restreinte des maladies radio-induites. Ces insuffisances ont été corrigées depuis par le ministre de la défense, dont je veux ici saluer la capacité d’écoute et l’ouverture.

Ainsi, le combat de l’Association des vétérans des essais nucléaires, l’AVEN, et de l’association des anciens travailleurs et victimes de Moruroa et Fangataufa, Moruroa e Tatou, les nombreuses interventions de parlementaires demandant une évaluation de l’application la loi, qui ont débouché, au Sénat, sur le rapport fondant notre débat, n’ont pas été sans influence sur la juste décision du ministre de commander au Contrôle général des armées, le CGA, et à l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, une étude conjointe analysant les procédures et les modalités d’application du dispositif.

Il faut en premier lieu relever que le rapport sénatorial, tout comme ceux de l’Assemblée nationale, d’une part, et du CGA et de l’IGAS, d’autre part, ne préconise pas de remettre en cause un dispositif qui repose essentiellement sur des données scientifiques reconnues par la communauté internationale, ainsi que sur des méthodologies validées par l’Agence internationale de l’énergie atomique. Il vise à améliorer, plutôt qu’à modifier, ce dispositif, afin de donner un second souffle à la loi.

Le rapport de nos collègues Bouchoux et Lenoir a notamment permis de faire avancer la réflexion sur l’élément central de la procédure d’indemnisation que constitue le CIVEN.

L’un des principaux reproches adressés à cette structure décisionnelle portait sur son manque d’indépendance et celui de ses membres à l’égard du ministère de la défense. L’une des préconisations du rapport a trouvé dernièrement une concrétisation, par la transformation législative du CIVEN en autorité administrative indépendante. Cette transformation, qui retire au ministère de la défense son rôle décisionnel en matière d’indemnisation, représente une avancée majeure, à même de lever le soupçon de partialité qui pesait sur les décisions prises par le ministre.

Les études et rapports – en particulier celui du Sénat – produits sur les difficultés d’application de la loi Morin et les faibles effets de celle-ci en matière d’indemnisation des victimes ont conduit le Gouvernement à étendre à tout le territoire de la Polynésie française le périmètre géographique du dispositif d’indemnisation.

Au-delà de la seule réparation d’une injustice discriminante, cette mesure a également un caractère symbolique, en ce qu’elle manifeste à nos compatriotes de Polynésie la reconnaissance de leur contribution à l’efficacité de la politique de dissuasion nucléaire de l’époque.

Je sais enfin que les principales associations représentant les victimes auraient préféré des modifications portant sur l’ensemble de la loi, ainsi que sur d’autres aspects. C’est une voie qu’il ne faut pas exclure si, malgré toutes les améliorations qui ont été apportées et celles qui ne manqueront pas de suivre, dont nous débattons également au sein de la commission de suivi, le dispositif ne répond toujours pas aux attentes légitimes des victimes et si le nombre d’indemnisations demeure d’une faiblesse lui enlevant toute crédibilité.

Un point important, qui focalise l’insatisfaction exprimée par les associations représentant les victimes, a trait à une différence d’interprétation source de contentieux administratifs.

En ce qui concerne la méthodologie de calcul du CIVEN, la réintroduction de la dosimétrie comme critère déterminant pour l’ouverture du droit à indemnisation, alors même qu’elle avait été écartée lors des débats parlementaires, n’a pas respecté l’esprit de la loi, qui avait établi une présomption de causalité excluant le recours à la notion de seuil.

En effet, la méthode employée, qui consiste à calculer la probabilité qu’un cancer soit la conséquence de l’exposition, en fonction notamment des relevés dosimétriques, ne suffit pas, aux yeux des associations de victimes, pour apprécier au cas par cas le dossier du demandeur.

En dernier lieu, dans un même souci d’impartialité du CIVEN, il pourrait être utile d’intégrer au sein de celui-ci un expert médical désigné par les associations de victimes, afin que la procédure d’examen des dossiers soit parfaitement contradictoire, tout en préservant, bien entendu, le secret médical. Je l’avais moi-même proposé à la commission de suivi à l’issue de ma participation, en tant qu’observateur, à une session du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Monsieur le ministre, je souhaiterais donc qu’un point concret sur les améliorations qui pourraient encore être apportées à la loi soit fait lors de la prochaine réunion de la commission de suivi, qui devrait avoir lieu ce mois-ci, comme s’y était engagé le ministre de la défense. Je compte sur vous pour lui transmettre ce message : si nous ne continuons pas à avancer, nous serons tous discrédités. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.

M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quatre ans presque jour pour jour après la promulgation de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, nous avons ce soir l’occasion de faire le bilan de son application. Le RDSE, très attaché au devoir de réparation, s’en réjouit.

Comme l’ont indiqué les auteurs du rapport de la commission pour le contrôle de l’application des lois, il s’agit de rechercher les causes du décalage existant entre les attentes très fortes nées de l’adoption du texte et l’insuffisante portée de l’application de celui-ci, eu égard au faible nombre de dossiers de demande d’indemnisation ayant abouti.

Cette loi était très attendue. Comme vous le savez, mes chers collègues, elle établit un droit à réparation au profit des personnes souffrant d’une pathologie radio-induite du fait de leur exposition aux rayonnements ionisants produits à l’occasion des essais nucléaires français effectués entre 1960 et 1996.

Au-delà de la mise en œuvre de la procédure d’indemnisation se trouvant au fondement de la démarche législative, ce texte reconnaît in fine la responsabilité de l’État dans l’insuffisante protection des populations.

Des accidents se sont malheureusement produits au cours des essais. En 1962, l’essai Béryl a donné lieu à l’émission d’un nuage radioactif et, sur les treize tirs réalisés en Polynésie, quatre n’ont pas été totalement confinés.

Longtemps, une chape de plomb a été maintenue sur la réalité des risques que l’on faisait courir aux populations sur zone, ainsi qu’aux militaires chargés des essais. Le prétexte de l’absence de données scientifiques a souvent servi à occulter une réalité sanitaire.

La France avait choisi de tenir son rang en affirmant sa puissance nucléaire. On peut le comprendre. Dans le contexte de la guerre froide, il était difficile de remettre en cause ce choix, d’ailleurs maintenu sous tous les gouvernements, jusqu’au moratoire décidé par le président Mitterrand, en 1992, suivi de l’abandon des essais nucléaires, en 1996, sur décision de son successeur, Jacques Chirac.

Pour autant, ce choix stratégique aurait pu s’accompagner d’une meilleure évaluation des risques en vue de mieux les contenir. Certains témoins se souviennent des hangars agricoles qui servaient, en Polynésie, d’abris antiradiations. Les moyens n’étaient pas à la hauteur des dangers et de nombreuses personnes l’ont payé dans leur chair.

Quatorze ans après l’arrêt des essais nucléaires, la loi du 5 janvier 2010 a ainsi reconnu pleinement les souffrances de toutes les victimes des retombées de ces derniers. Elle répondait enfin aux vœux exprimés pendant des années par les parlementaires et, avant eux, par les associations représentant les victimes.

Les Sahariens, les Polynésiens et les métropolitains, civils et militaires, concernés par les 210 essais nucléaires atmosphériques ou souterrains espéraient beaucoup d’un texte reconnaissant leur préjudice. Certains d’entre eux étaient engagés dans des procédures judiciaires longues, coûteuses et moralement éprouvantes. Une clarification législative était nécessaire pour stopper un contentieux aux résultats aléatoires et donner un cadre précis à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Cependant, force est de constater que la procédure de réparation instituée en faveur des victimes des essais nucléaires n’a pas porté ses fruits de façon satisfaisante.

Je rappellerai que l’étude d’impact jointe au projet de loi avait évalué à 147 500 le nombre des personnes concernées par les essais, sans compter les populations autochtones des zones de retombée des rayonnements ionisants.

Or, comme le mentionne le rapport, à la date du 24 juin 2013, 840 dossiers seulement avaient été déposés, et 11 indemnisations accordées. Nous sommes loin des 2000 à 5000 indemnisations prévues lors des débats de 2009 !

Pourtant, la loi a été appliquée avec célérité dès son adoption. Les décrets d’application ont été publiés rapidement, dans un délai de six mois, conformément à la circulaire du 29 février 2008. La structure principale, le CIVEN, a été installée à la mi-2010. Quant au financement de l’indemnisation des dossiers recevables, les gouvernements successifs se sont employés à maintenir la dotation de 10 millions d’euros inscrite chaque année au sein du programme « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » de la loi de finances.

Le consensus qui régnait sur la nécessité d’adopter une loi d’indemnisation a conduit naturellement à cette promptitude dans sa mise en application.

C’est dans le même esprit constructif que nous devrions nous entendre pour améliorer le rendement du dispositif, dont la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a relevé les limites : le nombre de dossiers déposés est trop faible, les moyens du CIVEN sont insuffisants et la présomption de causalité est source d’un contentieux devant le juge administratif.

La commission a avancé plusieurs préconisations, que nous partageons pour la plupart d’entre elles.

D’une façon générale, le principe qui consiste à conserver la loi initiale, sous réserve d’apports réglementaires, me paraît une bonne chose. Plus de moyens pour le CIVEN, plus de transparence et plus d’information pour favoriser le dépôt des dossiers sont autant de mesures que les pouvoirs publics peuvent rapidement mettre en œuvre. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous preniez très vite des engagements sur toutes les pistes évoquées par la commission.

Le droit à réparation n’a de sens que s’il est effectif. Aujourd’hui, le peu de dossiers déposés et, surtout, le rejet de la plupart d’entre eux envoient un mauvais signal à ceux qui, volontairement ou malgré eux, ont participé à la grandeur de la France. À leur égard, l’État a un devoir de réparation, un devoir de reconnaissance, qui doit être à la hauteur des espoirs suscités par la loi du 5 janvier 2010. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord excuser notre collègue Marcel-Pierre Cléach, qui regrette vivement de ne pouvoir être présent ce soir. Je tiens à lui rendre hommage, car il fut un remarquable rapporteur de la loi Morin, qualifiée par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois de « juste », « rigoureuse » et « équilibrée ». Je tiens également à saluer le travail de nos rapporteurs, Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir, qui ont su aborder sereinement un sujet difficile et sensible, tout en évitant le piège de la politisation.

Mes chers collègues, si bien des problèmes subsistent – j’y reviendrai –, la loi Morin constitue toutefois une avancée inégalée dans l’histoire de notre défense nationale. Aucune loi n’est parfaite, nous le savons bien ici, mais toutes doivent être motivées par la rigueur et la justice. Grâce au contrôle parlementaire, elles peuvent également être évaluées et renforcées. Nous ne siégeons pas au sein d’une simple chambre d’enregistrement de la loi. Dès lors, c’est un honneur pour chacune et chacun d’entre nous de pouvoir la corriger afin qu’elle réponde au plus près aux besoins de nos concitoyens et à la réalité de leur quotidien.

Cela a été dit, entre 1960 et 1998, la France a procédé à 210 essais nucléaires, au Sahara algérien puis en Polynésie française. Au cours de ces essais, des retombées radioactives ont exposé les personnels militaires et civils ainsi que les populations autochtones aux rayons ionisants. Certains d’entre eux ont pu développer des maladies dites « radio-induites », c’est-à-dire des cancers.

Pendant des dizaines d’années, les associations de vétérans atteints par ce type de pathologies se sont battues pour que notre République reconnaisse à ces derniers le statut de victimes et leur octroie un droit à indemnisation. Leur combat de longue haleine, relayé aussi bien par de nombreuses associations que par des élus de tous bords, a porté ses fruits : pas moins de dix-huit propositions de loi, sur l’initiative de députés ou de sénateurs, furent déposées sur le sujet. Toutefois, aucune n’obtint de vote favorable.

Face à cette volonté parlementaire et à la pugnacité des associations, Hervé Morin annonçait, en novembre 2008, qu’il présenterait un projet de loi afin de rendre justice aux vétérans, dont certains ne sont malheureusement plus là aujourd’hui. Une vraie volonté de justice n’a eu de cesse de guider les travaux préparatoires de ce projet de loi. À ce titre, il me paraît important de souligner la méthode ayant présidé à l’élaboration du texte : le ministre avait organisé un grand nombre de réunions de travail très ouvertes, en présence de députés et de sénateurs de toutes tendances, ainsi que de représentants des associations et d’élus de Polynésie française. Je me permets de suggérer qu’il soit plus souvent recouru à cette méthode, qui permet non seulement une véritable « coproduction » législative, fondée sur la consultation, mais aussi d’éviter couacs ou rétropédalages.

Aussi, avec l’adoption de la loi Morin, on peut dire non sans émotion que la France et notre défense nationale avaient rendez-vous avec elles-mêmes. Il était grand temps de mettre fin à un tabou qui hantait les archives du ministère de la défense. Je me réjouis donc que le gouvernement ait eu à l’époque le courage d’assumer les conséquences d’un choix stratégique qui remonte à plus de cinquante ans, celui de la dissuasion nucléaire. Ce choix gaullien, confirmé depuis par tous les présidents de la République, permet aujourd’hui encore à notre pays de jouer un véritable rôle sur la scène internationale et de peser dans le concert des nations, notamment au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Il nous permet enfin de garantir la sécurité de nos concitoyens et celle de nos intérêts vitaux.

Cette loi, quoi qu’on puisse en penser avec le recul, fut empreinte de courage politique. D’autres textes ont eu pour seul objectif d’appliquer le moratoire international sur les essais nucléaires, sans témoigner d’une grande préoccupation quant aux conséquences de ces essais sur les populations.

Le courage politique a été d’assumer le passé. Assumer, c’était reconnaître pour enfin répondre au vide juridique dans lequel se trouvaient les victimes. Trop de demandes d’indemnisation se sont transformées en d’interminables procédures devant un tribunal administratif, qui, dans la majorité des cas, ne pouvait bénéficier ni d’éléments concrets et officiels relatifs aux contaminations radioactives ni d’expertises médicales spécifiques. Les cancers sont malheureusement des maladies terribles et sans signature, dont il est encore très difficile d’identifier l’origine. La poursuite de recherches sur une potentielle prédestination génétique en témoigne.

En outre, dire que les essais nucléaires n’ont eu aucune conséquence serait plus que déraisonnable ; cela constituerait une faute. C’est pour cette raison que le décret d’application de la loi Morin, sorti rapidement, établissait une liste de maladies reposant sur les expertises et les recherches les plus avancées actuellement menées par l’UNSCEAR, le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants.

L’une des avancées majeures de ce texte tenait au fait qu’il ne se limitait pas aux seuls personnels ayant travaillé sur les sites d’expérimentation ; il visait également les populations vivant à l’époque autour des centres d’essais. Dès lors, victimes militaires et civiles pouvaient déposer une demande d’indemnisation auprès d’un comité spécialement créé par la loi.

Cela atteste d’un autre point fort du texte : la rigueur. Il ne s’agissait pas de mettre en place une indemnisation massive et systématique, ce qui serait revenu à nier la spécificité même des victimes. Le comité d’indemnisation est composé d’experts médicaux nommés par les ministères de la défense et de la santé, sur proposition du Haut Conseil de la santé publique. Cette implication des deux ministères traduit la volonté de parfaite transparence vis-à-vis des victimes.

À ce souci de transparence s’est ajouté celui du respect de la mémoire. Ce texte a en effet pris en compte les ayants droit des victimes malheureusement décédées en leur permettant, dans un délai de cinq ans à compter de la date de promulgation de la loi, de déposer un dossier de demande de réparation.

Il est important de préciser que le ministre et les parlementaires avaient à l’époque souhaité imposer un temps limité au comité d’indemnisation pour mener à bien ces expertises. Un délai de six mois nous semblait déjà important, car les victimes souffrant d’un cancer n’ont pas le temps d’attendre.

C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles – je le dis à ma collègue Michelle Demessine – aucun fonds d’indemnisation ne fut créé. Ce type de structure administrative se caractérise souvent par des lourdeurs et lenteurs qui sont intolérables pour les victimes pour qui chaque jour est précieux. Je ne reviendrai pas sur l’exemple de l’amiante et du fonds de concours. Je crois qu’il s’agit de l’exemple qu’il ne faut plus suivre.

M. Jacques Gautier. Il a fallu deux ans et demi pour mettre en place ce fonds !

Enfin, à la volonté de justice, de transparence et de rigueur, s’est ajoutée la volonté d’évaluation. Elle s’est traduite par la mise en place de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, où siègent des représentants d’associations des victimes, quatre parlementaires, des représentants des ministères de la santé et de la défense, le président – ou son représentant – du gouvernement de Polynésie, ainsi que des personnalités scientifiques qualifiées.

Je tiens à saluer cette volonté d’impliquer les associations de victimes jusqu’au terme de la procédure – rappelons qu’elles sont à l’origine du texte –, c’est-à-dire jusqu’au versement de l’indemnisation à la victime, ce qui nous paraissait primordial. L’action d’évaluation de cette commission devrait offrir aux victimes un soutien dans leur démarche. En outre, la création de cette commission était révélatrice de l’esprit ayant présidé à l’élaboration de cette loi, trop longtemps attendue, qui fixait les conditions d’une procédure d’indemnisation juste, en se fondant sur une étude au cas par cas. Il s’agit d’ailleurs d’une préconisation du rapport, car ces pathologies sont spécifiques, tout comme chacune des victimes est unique. Nous devons nous féliciter de cette approche qui préserve le caractère personnel et humain du traitement des dossiers.

J’ai été un peu long – je le regrette – sur cette partie, mais pour pouvoir avancer et améliorer maintenant ce qui doit l’être, il est important de bien comprendre comment les choses se sont mises en place.

Quatre ans après la loi Morin, nous le savons tous, cela a été dit, des dysfonctionnements demeurent. Chiffres à l’appui, nous constatons que les indemnisations se font au compte-gouttes, ce qui est insupportable et permet au sentiment d’injustice de perdurer. En cela, les objectifs de loi n’ont pas été atteints.

Lors de l’élaboration de ce texte, plusieurs intervenants l’ont également rappelé, on estimait que 20 000 personnes pouvaient être concernées et que le nombre de victimes indemnisables serait compris entre 2 000 et 5 000. Nous sommes très loin de ces chiffres : 840 dossiers ont été déposés en 2013, pour 11 indemnisations. Si nous saluons l’indemnisation de ces onze personnes, ces chiffres restent insupportables alors même que des moyens importants et constants ont été mis en place : 10 millions d’euros chaque année depuis 2009.

En réalité, et je rejoins ce que disait le rapporteur Jean-Claude Lenoir, des problèmes structurels et de fonctionnement semblent avoir bloqué l’esprit de la loi Morin. Le CIVEN, manquant de moyens humains et divisé en deux entités géographiques, n’avait pas la capacité de recruter les experts médicaux, spécialistes de l’indemnisation, sans lesquels on ne pouvait agir. Cela prouve bien que la loi n’a pas été un échec, mais, au contraire, qu’elle fut peut-être trop ambitieuse face au manque de moyens humains et de personnels spécialisés constaté, en dépit des budgets affectés.

Par ailleurs, notons que le décret initial faisant état des maladies concernées fut modifié le 30 avril 2012 et que vingt et une pathologies sont désormais reconnues comme possiblement radio-induites.

L’un des principaux problèmes – et nous avons tous été surpris – a été le très faible nombre de dépôts de dossiers d’indemnisation. Madame Bouchoux, vous avez souhaité que les campagnes d’information soient renouvelées à destination des populations locales ; je crois qu’il s’agirait d’une bonne avancée, même si nous savons bien que les associations ont déjà sensibilisé les populations et qu’il existe un centre de suivi médical en Polynésie.

De même, je souligne votre proposition visant à attribuer une reconnaissance – qui ne soit pas d’ordre militaire – aux personnels ayant participé aux essais nucléaires. Ces personnes ont permis à la France d’asseoir sa souveraineté et son autonomie stratégique. Vous avez parlé en commission, madame le rapporteur, de « fierté ». Je pense que vous avez raison et qu’il faut aller dans ce sens.

Enfin, nous devons rappeler que ce déficit d’indemnisation a été quelque peu pris en compte dans cet hémicycle, il y a un mois : la loi de programmation militaire a modifié l’article 4 de la loi Morin, faisant du CIVEN – ce qui était réclamé par beaucoup – une autorité administrative indépendante. Cela permettra de répondre aux craintes de ceux qui considéraient que cet organisme était à la fois juge et partie.

Pour conclure, mes chers collègues, vous voyez bien que ce n’est pas la loi qui est à améliorer, mais sa réalisation concrète et matérielle. Le groupe UMP espère que ces modifications, ainsi que le rapport de nos collègues Bouchoux et Lenoir porteront leurs fruits et que ceux qui demanderont réparation pourront voir leurs demandes légitimes être satisfaites. Il y va de l’honneur de notre République envers ceux qui l’ont servie. En tant que législateurs, nous devons nous assurer que leur dignité ne sera pas bafouée.

Si le précédent gouvernement a su poser les fondations législatives permettant de mettre fin à un tabou historique, nous souhaitons, monsieur le ministre, que le gouvernement auquel vous appartenez parachève et améliore les conditions d’indemnisation. Je ne doute pas que vous saurez nous proposer de nouveaux ajustements permettant un réel accomplissement des objectifs de la loi Morin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.

M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de 1959 à 1996, la France a réalisé 210 essais nucléaires aériens ou souterrains dans le Sahara algérien et sur des atolls de Polynésie. Ces essais ont rendu possible la mise en place durable de notre force de dissuasion nucléaire. Si les progrès technologiques ont ensuite permis que des simulations informatiques remplacent les essais, l’efficience de notre système d’armement nucléaire repose encore actuellement sur les données accumulées lors de ces essais. Dès lors, la reconnaissance et l’indemnisation des personnels civils et militaires qui ont contribué à ces opérations, ainsi que celles des populations qui ont été éventuellement exposées relèvent non seulement de la responsabilité de l’État, mais aussi de la justice et de la solidarité nationale.

Pourtant, cette évidence n’a pas toujours été incontournable. Permettez-moi de rappeler qu’il a fallu, au gré de la mobilisation des associations et des politiques, dix-huit propositions de loi pour parvenir à ce qu’un gouvernement dépose enfin un projet de loi sur le sujet. C’est pourquoi je veux rendre hommage à l’engagement constant et intégral de celle qui n’était pas encore garde des sceaux, Christiane Taubira, ainsi qu’à celui de Jean-Patrick Gille, André Vantomme, Richard Tuheiava, mais aussi à celui de Dominique Voynet et Michelle Demessine. Bien que le groupe socialiste se soit abstenu lors du vote de la loi du 5 janvier 2010, refusant de voter un texte qui comportait trop d’écueils, je salue néanmoins le mérite du ministre du gouvernement Fillon, Hervé Morin, d’avoir présenté ce texte au Parlement, dans un contexte où les résistances étaient encore fortes.

Aujourd’hui, quatre ans après la promulgation de la loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les chiffres sont éloquents. Alors que l’étude d’impact prévoyait un potentiel de 20 000 demandes d’indemnisation et de 2 000 à 5 000 dossiers indemnisables, ce sont seulement 840 demandes d’indemnisation qui ont été transmises, dont uniquement 11 ont été satisfaites, soit un taux d’indemnisation de 1,3 % et, en conséquence, une consommation des crédits extrêmement limitée. Le problème est donc double : trop peu de dossiers déposés et trop peu de dossiers indemnisés.

Parmi les facteurs identifiés comme participant de cette situation, on peut distinguer ceux qui ont récemment reçu des réponses significatives de ceux qui attendent encore un positionnement plus affirmé.

Les amendements à la loi de programmation militaire votée cet automne, réformant en profondeur le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires et validant l’extension du périmètre géographique retenu pour les indemnisations à l’ensemble du territoire de la Polynésie, ont permis des avancées primordiales.

Le CIVEN, objet de nombreuses critiques du fait de la tutelle institutionnelle assurée par le ministère de la défense, au point qu’il était considéré par certains acteurs associatifs comme un élément dissuadant le dépôt des dossiers de demande d’indemnisation, va être transformé en autorité administrative indépendante. Alors que le CIVEN soumettait des avis au ministre de la défense, qui était libre de les suivre ou non, l’autorité administrative indépendante, dont les membres seront désormais nommés par décret du Premier ministre, rendra directement les avis d’indemnisation. En outre, un médecin y siégera en tant que personne qualifiée représentant les associations et le respect du principe d’examen contradictoire sera mis en place, puisque les requérants auront la possibilité de défendre leur dossier devant le CIVEN.

Toutes ces nouvelles modalités, de même que l’extension du périmètre géographique d’indemnisation, qui était jusqu’alors circonscrit aux atolls sur lesquels des essais avaient eu lieu, correspondent à des revendications des associations ou à des préconisations formulées notamment par nos collègues de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir. Manifestement, dans le respect de la loi du 5 janvier 2010, dont la portée symbolique demeure incontestée, des initiatives ambitieuses ont été prises pour tenter de sortir de l’impasse. On ne peut que se féliciter de l’écoute du Gouvernement.

Cependant, d’autres aspects sensibles doivent encore trouver une solution et appellent un point d’étape. J’en aborderai quatre de manière brève.

Tout d’abord, en octobre 2013, lors de la quatrième réunion de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian avait évoqué le lancement d’une étude de faisabilité sur la possibilité d’entreprendre une démarche proactive d’identification des personnes ayant été exposées à des radiations, « afin que celles-ci puissent le cas échéant déposer un dossier au CIVEN ». Nous savons que la tâche est ardue et qu’elle sera nécessairement longue, mais, monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que cette étude est lancée ?

Ensuite, sachant le rôle essentiel de l’accès aux informations tant pour le traitement individuel des dossiers que pour l’exigence de transparence, la déclassification de documents relatifs aux essais nucléaires est primordiale. Pour preuve, la décision d’étendre le périmètre géographique d’indemnisation en Polynésie n’a été prise qu’au vu des relevés scientifiques des retombées radioactives, déclassifiés en janvier 2013. Une procédure de consultation visant à permettre aux personnes et associations intéressées d’avoir accès aux documents classifiés a été envisagée. Qu’en est-il exactement de ces sujets ?

En outre, s’il est dorénavant acquis que les décisions du CIVEN devront être motivées, le débat sur la méthodologie statistique utilisée par lui pourrait perdurer. La question est loin d’être sans importance, mais il nous semble qu’elle pourrait être résolue par la réaffirmation constante que la charge de la preuve dépend de la responsabilité de l’État. La loi l’énonce clairement, le lien de causalité entre les conditions de lieu, de période et de maladie, lorsqu’elles sont remplies, est un a priori. Il revient alors à l’État de démontrer, le cas échéant, que cette causalité est « négligeable ».

Enfin, conscient des attentes des personnels exposés en matière de reconnaissance, le ministre de la défense avait envisagé de saisir le grand chancelier en vue de la création d’une distinction honorifique. Qu’en est-il de cette saisine ? À n’en pas douter, la création d’une telle distinction ferait l’unanimité dans cet hémicycle. Reconnaître la dette de la nation aux quelque 150 000 personnels, militaires de carrière ou appelés, travailleurs civils, qu’ils soient experts ou sous-traitants, qui ont potentiellement été exposés lors de la constitution de la dissuasion nucléaire française est un objectif que nous pouvons tous partager.

Monsieur le ministre, si beaucoup a été fait ces dernières semaines pour améliorer le processus d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, plus qu’on ne l’aurait cru possible quelques mois auparavant, il nous faut aller au terme de ce processus. C’est un impératif de justice pour nos concitoyens comme pour les populations locales concernées. C’est bien pour cela que le Président de la République s’y est engagé lors de son voyage en Algérie de décembre 2012, en appelant à ce que la loi soit pleinement appliquée.

Pour conclure, mes chers collègues, permettez-moi une appréciation à propos de notre commission pour le contrôle de l’application des lois. Le débat que nous menons aujourd’hui est l’exemple patent des apports essentiels que cette commission peut fournir, en particulier dans son rôle d’étude et d’évaluation de la réalité de la loi. Le mandat de notre commission, novatrice et parfois discutée, ne saurait être limité à une comptabilité de décrets. Dans le cas présent, la loi du 5 janvier 2010 était totalement applicable six mois après sa promulgation. Pourtant, chacun s’accorde à constater que, pour reprendre les termes de l’excellent rapport de Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir, « la loi ne produit pas ses effets ». L’enjeu n’était donc pas de contrôler le calendrier de publication des décrets, il était de localiser la source du dysfonctionnement, de le comprendre précisément et d’envisager des pistes de correction.

Appréhender le fonctionnement de la loi après sa promulgation, tant dans la matérialisation des règles qu’elle édicte que dans les dispositifs dont elle use, est une ambition démocratique qui reste encore à rationaliser. Or qui mieux que les parlementaires ont la légitimité et la compétence pour se livrer à cette entreprise ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en janvier 2012, nous examinions dans ce même hémicycle une proposition de loi de Richard Tuheiava relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française. L’indemnisation des conséquences de ces essais, en Polynésie comme au Sahara, n’était pas directement notre sujet, mais le groupe écologiste et plusieurs collègues des autres groupes s’étaient déjà émus de l’application très décevante de la loi Morin.

Deux ans plus tard, nous débattons d’un rapport de la commission pour le contrôle de l’application des lois sur le même sujet, dont on ne peut qu’applaudir l’initiative et le travail, particulièrement salutaires pour les parlementaires qui, comme nous, veulent tenter de rendre effective l’indemnisation de ces victimes et applicable la loi votée à ce propos. Il faut d’autant plus saluer le travail des rapporteurs qu’il a permis de déboucher rapidement sur des avancées concrètes, grâce au véhicule législatif qu’a constitué la loi de programmation militaire adoptée en novembre 2013.

Le temps m’empêche de détailler ces avancées, dont plusieurs ont déjà été évoquées par les précédents orateurs, mais je me félicite en particulier de l’obtention de l’indépendance du CIVEN, chargé de l’instruction des dossiers d’indemnisation, qui a été transformé en autorité administrative indépendante. Je me félicite également de l’introduction d’un début de procédure contradictoire pour les requérants.

Selon nous, le principal point de blocage qui demeure aujourd’hui reste le nécessaire équilibre à trouver entre présomption simple et présomption irréfragable. Cela a déjà été rappelé, si, en théorie, la procédure d’indemnisation a été considérablement simplifiée par la loi Morin, qui instaure notamment un interlocuteur unique quel que soit le statut du requérant, cette simplification est loin d’avoir trouvé une concrétisation dans la pratique. À l’ancien parcours du combattant s’est substitué un nouveau, engendré par la notion de « présomption de causalité avec limite ».

Aux termes de la rédaction de la loi, le demandeur n’a pas à prouver qu’il existe un lien entre la pathologie et les essais nucléaires : la présomption de causalité existe à partir du moment où il justifie des conditions de lieu, de période et de maladie. Néanmoins, cette présomption peut être renversée par l’État s’il apparaît que le risque lié aux essais est négligeable. C’est ainsi que la montagne a accouché d’une souris ! Le logiciel, qui n’a pas été conçu pour cela à l’origine, est utilisé pour déterminer si le risque lié aux essais est négligeable ou non ; il conclut presque toujours à un risque négligeable. Ces décisions présentent donc un aspect arbitraire et opaque. C’est à cela qu’il faut remédier !

Nous en connaissons la conséquence : alors qu’un peu moins de 1 000 dossiers de demande d’indemnisation ont été reçus par le CIVEN en trois ans, à mettre en rapport avec les 20 000 qui étaient attendus, ils n’ont de surcroît donné lieu qu’à 12 indemnisations, soit 1,2 % des dossiers déposés. Pourquoi ne pas permettre un réel examen des dossiers au cas par cas ? Cela serait plus souhaitable et même davantage conforme, nous semble-t-il, à l’esprit de la loi Morin.

Plusieurs rejets de dossiers d’indemnisation ont d’ailleurs été annulés par les tribunaux administratifs à la suite de recours déposés par les victimes en question, aux motifs, précisément, d’une absence d’étude au cas par cas et d’une décision fondée uniquement sur des critères statistiques et non – c’est le sens de l’article 7 du décret d’application du 11 juin 2010 – sur une appréciation des conditions d’exposition. Il est donc urgent de revenir à cette exigence légale.

Plusieurs de nos collègues ont déposé un amendement en ce sens lors de l’examen de la loi de programmation militaire ; ils ont eu la déception de se voir opposer l’article 40, alors même que seulement 266 284 euros ont été consommés sur l’année 2012, sur une ligne budgétaire annuelle de 10 millions d’euros, inscrits en loi de finances initiale. Cela doit nous interpeller sur l’interprétation à avoir de l’article 40 de la Constitution.

Permettre, sans changer le droit, à des bénéficiaires potentiels d’une aide d’y avoir accès, est-ce augmenter une charge publique, déjà prévue dans le budget ? L’État doit-il miser sur le non-recours aux droits pour faire des économies en temps de crise ? Nous ne pouvons raisonner ainsi ! À défaut, nous continuerons à faire des lois pour rien, à travailler des années pour arriver à 12 indemnisations alors que nous connaissons le nombre potentiel de victimes et de personnes exposées. Comme cela a été indiqué, aux 150 000 agents civils et militaires directement mobilisés pour les explosions nucléaires, il faut ajouter les populations civiles, qui, plusieurs intervenants l’ont souligné, manquent d’informations.

Rappelons-le, toutes ces victimes ont déjà eu à subir les essais eux-mêmes, le manque d’informations sur les dangers effectifs, des fuites de radioactivité mal colmatées lors d’essais souterrains, l’immersion à quelques centaines de mètres de l’atoll polynésien de matériel contaminé et le refus pendant longtemps du ministère de la défense de toute expertise extérieure, comme si toute mesure de radioactivité permettait de découvrir les secrets de la bombe française…

Il faut le répéter, l’État est responsable de la situation actuelle. Il doit assumer cette responsabilité jusqu’au bout, et pas seulement en théorie. C’est le sens du débat d’aujourd’hui, qui a d’ailleurs été permis par le travail de la commission.

J’espère que l’ensemble des propositions formulées par les deux rapporteurs et par les intervenants qui se sont exprimés seront entendues. Puissions-nous mettre réellement en place un système rendant justice aux associations de victimes, qui se mobilisent depuis tant d’années. Elles le méritent vraiment ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de ce riche débat, permettez-moi au préalable de souligner la qualité des interventions et de remercier l’ensemble des orateurs. Tous ont rappelé toute l’attention que la nation, à travers ses représentants, porte aux victimes des essais nucléaires et aux enjeux qui s’y rattachent. Au nom du Gouvernement, je m’associe tout naturellement à ces propos.

Je voudrais vous faire part des éléments que je retiens des rapports parlementaires issus de vos travaux ces derniers mois, en particulier ceux qui ont été menés par Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-Claude Lenoir.

Je tiens avant tout à souligner – j’y insiste – que la loi n’est remise en cause par aucun des rapports. Toutefois, et nous y avons été très sensibles, de nombreuses pistes d’améliorations ont été proposées, notamment sur la procédure de dépôt des dossiers et sur une nécessaire communication des travaux du CIVEN, qui, à mon sens, devrait être la plus large possible.

Pour répondre à une question qui a été soulevée, j’aimerais dire qu’il n’y a pas de remise en cause du principe selon lequel les « conditions d’exposition » aux rayonnements ionisants doivent être examinées. En d’autres termes, il ne peut y avoir indemnisation s’il n’y a pas vérification du lien de causalité entre la maladie et les rayonnements dus aux essais. C’est à l’administration – la loi de programmation militaire renforce encore les obligations du CIVEN sur ce point – qu’il revient d’apporter les éléments pour démontrer que la maladie n’est pas la conséquence d’une irradiation due aux essais nucléaires. C’est bien en ce sens que les juridictions appliquent pour le moment la loi et devront continuer à le faire.

Je reviendrai tout à l’heure sur les modifications introduites récemment dans le dispositif à l’occasion des travaux menés par la Haute Assemblée sur la LPM, notamment via l’amendement de Mme Corinne Bouchoux. En attendant, je veux prendre un peu de recul pour vous faire part de mon sentiment seize mois après le début de l’application concrète de cette loi.

À mes yeux, la législation actuelle mêle de manière parfois maladroite reconnaissance et indemnisation, victimes et vétérans. Or il est clair que la participation effective aux essais nucléaires n’est pas nécessairement liée au développement d’une pathologie. Il y a donc là une confusion qui devra être levée.

Il faut par ailleurs se féliciter de la décision – c’était l’une de vos questions – du ministre de la défense d’avoir saisi la grande chancellerie en vue de la création d’une distinction spécifique au profit des vétérans ayant participé aux essais.

On constate également, et cela a été rappelé à plusieurs reprises, que le nombre actuel d’indemnisations reste faible, principalement parce que le CIVEN ne reçoit que très peu de dossiers : le chiffre exact est de 880 au 31 décembre 2013,…

M. Jean-Claude Lenoir, corapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. C’était le chiffre du mois d’octobre !

M. Kader Arif, ministre délégué. … dont 500 sont recevables et qui ont donné lieu à 13 cas d’indemnisation. À cet égard, on me dit que des centaines de demandes – certains parlent même de milliers – seraient en attente du côté des associations. Ainsi que l’a indiqué à maintes occasions le ministre de la défense, il conviendra que les associations de vétérans mobilisent leurs adhérents pour les inciter à déposer d’éventuels dossiers ; il n’y a aucun interdit sur ce point.

Au-delà de l’impact pour les bénéficiaires potentiels, cette situation, quelle qu’en soit l’origine, est d’autant plus dommageable que le trop faible nombre de dossiers ne permet pas aujourd’hui, au regard du poids de la population totale concernée, de réaliser des statistiques fiables et utilisables par nos services.

Ce constat d’ensemble ainsi que les questions qui ont jalonné le débat et les recommandations des différents rapports que je viens d’évoquer ont conduit Jean-Yves Le Drian à formuler une série de propositions au cours de l’automne.

Sur le pilotage des actions liées aux conséquences des essais nucléaires, il était urgent de parvenir à une meilleure coordination interministérielle. Celle-ci bénéficiera au traitement des dossiers, en métropole comme en outre-mer, permettra d’étudier un dispositif de reconnaissance répondant à toutes les attentes des vétérans, qu’ils soient Polynésiens, Algériens ou Français de métropole, et facilitera la diffusion de l’information, notamment des travaux du CIVEN, auprès des populations concernées. Les pistes proposées en ce sens dans le rapport de la commission sénatoriale dépassent pour certaines la seule compétence du ministre de la défense ; d’ailleurs, Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-Claude Lenoir l’ont souligné.

Nous avons retenu des différents rapports parlementaires et des échanges informels que nous avons pu avoir avec les associations l’idée de garantir au CIVEN une réelle indépendance. Si l’on regarde d’autres dispositifs d’indemnisation, on constate que ceux-ci sont souvent confiés à des autorités administratives indépendantes. Cela n’exonère pas les ministères concernés d’exercer leurs responsabilités, mais cela confère aux décisions une autorité plus évidente. Avec la transformation du CIVEN en autorité administrative indépendante rattachée au Premier ministre, inscrite à l’article 53 de la loi de programmation militaire, un pas important a été réalisé en ce sens.

Dans le domaine de la transparence, nous allons travailler de concert avec le ministère des outre-mer, le ministère des affaires étrangères et le ministère de la santé pour proposer lors de la prochaine commission des modalités de diffusion de l’information auprès des populations concernées. L’enjeu est principalement de rendre les travaux du CIVEN plus accessibles. Pour répondre à une question qui a été posée, j’indique qu’il n’y a pas aujourd’hui de bilan annuel du CIVEN, mais, et c’est une avancée, un tel bilan est prévu dans la loi de programmation militaire.

Un autre chantier que nous souhaitions étudier cet automne est la possibilité d’associer des médecins reconnus par les associations aux travaux du CIVEN. Une telle proposition, qui émanait d’ailleurs des associations, avait été écartée au moment du vote de la loi Morin, pour des raisons d’impartialité.

Le CIVEN s’est toujours montré très transparent, dans le respect évidemment du secret médical entourant les dossiers des demandeurs. Il a accueilli des parlementaires, qui ont ainsi pu assister à ses travaux et constater qu’il y avait des études des dossiers au cas par cas. Dès lors que les membres du CIVEN estiment qu’il n’y a pas atteinte au secret professionnel, ni au respect dû à la confidentialité de la démarche des demandeurs, nous étions favorables à ce que les experts souhaités par les associations puissent assister à l’une de ces réunions, comme l’ont fait les parlementaires.

Sur ce point particulier, la Haute Assemblée est allée plus loin au cours de l’examen du projet de loi de programmation militaire. Le CIVEN comptera désormais parmi ses membres un médecin nommé sur avis conforme du Haut Conseil de la santé publique et sur proposition des associations représentatives de victimes des essais nucléaires.

Par ailleurs, même si je ne suis pas un technicien, je peux vous dire que l’utilisation d’un logiciel de calcul de probabilités n’empêche en rien l’examen individuel des dossiers. Des éléments spécifiques à chaque demandeur peuvent être introduits et les études peuvent être réalisées avec beaucoup de précision.

Dans un autre domaine, le ministre de la défense poursuivra les déclassifications de documents liés aux essais nucléaires : environ 200 dossiers sont concernés. Dans le courant du moins d’octobre, de nombreux documents ont déjà été déclassifiés, conformément à l’avis de la Commission consultative du secret de la défense nationale, et transmis aux demandeurs. Une procédure de consultation est à l’étude pour permettre aux personnes et associations éventuellement intéressées d’y avoir accès.

Enfin, concernant l’indemnisation, une étude sur la possibilité légale mais également pratique de recenser les personnes ayant été exposées à des radiations pourrait être lancée. C’est le souhait des auteurs du rapport, qui recommandent une démarche proactive d’identification des personnels ayant pu être exposés pour les informer de l’existence et des travaux du CIVEN. La question budgétaire a également été abordée, mais dès lors que la loi crée un droit, on ne peut invoquer le manque de crédits pour refuser l’indemnisation. Ce ne sont pas des crédits d’intervention modulables.

Pour conclure, je veux saluer le travail effectué et la proposition du Sénat sur le CIVEN, qui transforme cette commission consultative placée auprès du ministre de la défense, en autorité administrative indépendante. Une telle évolution clarifie le positionnement de l’institution et apporte des garanties aux demandeurs en levant l’ambiguïté qui pouvait jusqu’à présent faire apparaître le ministère de la défense comme étant à la fois juge et partie.

Les débats l’ont confirmé, notre volonté commune est bien d’aboutir à un système juste et transparent. C’est pourquoi des évolutions s’imposaient. J’ai le sentiment que les mesures proposées par le Gouvernement depuis plusieurs mois s’inscrivent pleinement dans une telle démarche et répondent aux objectifs qui sont à la fois les vôtres et les nôtres. (Applaudissements.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

16

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 8 janvier 2014 :

À quatorze heures trente :

1. Débat sur la politique du Gouvernement en matière d’égalité des territoires.

À dix-sept heures :

2. Débat sur la politique étrangère de la France.

À vingt et une heures trente :

3. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres (n° 35, 2013-2014) ;

Rapport de Mme Bariza Khiari, fait au nom de la commission de la culture (n° 247, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 248, 2013-2014).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures dix.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART