Sommaire

Présidence de M. Charles Guené

Secrétaires :

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Alain Dufaut.

1. Procès-verbal

2. Rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières. – Débat sur les conclusions d'une commission d'enquête

MM. François Pillet, président de la commission d’enquête ; Éric Bocquet, rapporteur de la commission d’enquête.

Mmes Corinne Bouchoux, Nathalie Goulet, MM. Jacques Chiron, Jean-Claude Requier, Louis Duvernois, Mme Cécile Cukierman, MM. Michel Berson, Jean-Yves Leconte.

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel

3. Questions cribles thématiques

accès à la justice et justice de proximité

Mmes Cécile Cukierman, Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.

Mmes Esther Benbassa, Christiane Taubira, garde des sceaux.

M. Stéphane Mazars, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Hyest, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

M. Yves Détraigne, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

M. Philippe Kaltenbach, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

M. Albéric de Montgolfier, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

Mmes Michelle Meunier, Christiane Taubira, garde des sceaux.

M. Christian Cambon, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

4. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Charles Guené

vice-président

Secrétaires :

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx,

M. Alain Dufaut.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières

Débat sur les conclusions d'une commission d'enquête

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l’efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre (Rapport n° 87)(demande de la commission d’enquête).

La parole est à M. le président de la commission d’enquête.

M. François Pillet, président de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l’efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite avant tout remercier la conférence des présidents d’avoir inscrit à l’ordre du jour du Sénat ce débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur le rôle des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux et sur les dispositifs destinés à combattre celle-ci.

J’ai eu l’honneur de présider cette commission durant la période que notre organisation institutionnelle concède aux commissions d’enquête pour mener leurs travaux, une période trop brève.

Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !

M. François Pillet, président de la commission d’enquête. Je rappelle que cette commission est née d’une demande de nos collègues du groupe CRC, présentée dans le cadre des dispositions issues de la révision constitutionnelle de 2008 adoptée par la précédente majorité, sur l’initiative de l’ancien président de la République. Depuis 2008, nous mesurons, lors de chaque session parlementaire, les progrès de gouvernance rendus possibles par cet aspect de la révision.

Peut-être tout n’est-il pas parfait, et devrions-nous réfléchir à élargir les limites temporelles des commissions d’enquête, en particulier lorsqu’elles chevauchent des périodes de l’année peu propices à des investigations. Par ailleurs, les contraintes de temps sont proportionnelles à l’ampleur de l’objet des commissions d’enquête : sous ce rapport, je dois confesser que la nôtre aurait sans doute mérité des délais plus en rapport avec son propos.

Cette remarque faite, je tiens à saluer le travail de notre rapporteur, Éric Bocquet, dont la qualité a été l’une des principales raisons de l’adoption à l’unanimité du rapport de la commission d’enquête. Confronté à un sujet particulièrement difficile par son ampleur et par les aspects techniques pluridisciplinaires qu’il comporte, disposant en définitive de moyens très comptés, notre rapporteur a toujours évité de céder à la tentation à laquelle parfois on ne résiste pas dans ce domaine : la caricature à des fins plus ou moins populistes.

L’unanimité à laquelle nous sommes parvenus – et à laquelle avait également abouti une précédente commission d’enquête sur l’évasion fiscale internationale, présidée par Philippe Dominati, dont le rapporteur était déjà Éric Bocquet – me semble aussi traduire une sensibilité partagée : nous voyons comme première condition de la justice fiscale que les lois s’appliquent, et qu’elles s’appliquent à tous.

Vous concéderez certainement, monsieur le ministre, que le Sénat ne vous mesure pas les moyens de lutter contre la fraude fiscale. Je pense que vous admettrez pouvoir trouver dans le Sénat une assemblée certes exigeante sur l’efficacité réelle de vos projets et sur certains principes touchant aux libertés publiques, mais qui enrichit, par des propositions très nourries, l’action publique en matière de lutte contre la fraude.

Au demeurant, dans la période particulièrement trouble que nous avons traversée, je veux me souvenir que les travaux du Sénat sur les questions dont nous parlons, loin d’avoir été négligés, ont plutôt été comptés au crédit de nos institutions.

Le contrôle par les institutions parlementaires des pouvoirs, qu’il s’agisse de celui que vous représentez, monsieur le ministre, ou qu’ils relèvent d’autres pouvoirs, plus économiques, est une œuvre irremplaçable à laquelle, j’en suis sûr, les membres de la commission d’enquête ont eu le sentiment de contribuer.

Néanmoins, la multiplication des commissions d’enquête et des missions communes d’information sur la fraude fiscale et les moyens mis en œuvre pour la contenir est-elle complètement satisfaisante ? Il faudra prendre le temps d’une réflexion parlementaire sur nos modes d’organisation pour répondre à cette question. Des propositions ont été formulées qui visent à rendre plus régulier et plus collégial le contrôle dans ce domaine ; nous verrons bien.

Comment ne pas rappeler ici l’atmosphère particulière dans laquelle les travaux de notre commission d’enquête se sont déroulés ? Ces derniers ont en effet été marqués par des affaires successives, dont certaines ont été judiciarisées, mais aussi par des initiatives tous azimuts.

Au niveau international, le G8 et le G20 se sont réunis, tandis que, au niveau national, une série de textes ont été adoptés : la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui comporte plusieurs dispositifs intéressant l’évasion des capitaux, la loi relative à la transparence de la vie publique, qui touche au problème des conflits d’intérêts, et, bien entendu, la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

Ces initiatives prolongent le mouvement lancé en d’autres temps, au cœur de la crise financière, pendant laquelle la France a porté très haut les exigences de restauration de l’ordre public financier international. Elles s’inscrivent dans le sillage d’une mobilisation qui, à l’instigation du précédent président de la République, a vu notre pays se donner de nouvelles armes de lutte contre la fraude fiscale et entraîner ses partenaires dans un effort inédit pour combattre l’évasion fiscale internationale.

Nous devons donc nous féliciter d’une forme de continuité, à laquelle les observations de notre commission d’enquête dans son domaine d’étude invitent à donner de plus amples prolongements.

Évasion des capitaux et finance : mieux connaître pour mieux combattre : tel est le titre de notre rapport. C’est aussi l’axe principal des dispositions législatives que nous avons adoptées au cours des derniers mois.

Nous avons fondé notre réflexion et nos propositions sur les leçons de la crise financière. Celle-ci a révélé le potentiel d’opacité de la finance et de ses réseaux et mis en évidence les défis que représente la connaissance fine d’organismes gigantesques, trop gros pour faire faillite mais aussi trop gros pour être maîtrisés. La crise a aussi inspiré le sentiment que les superviseurs et les contrôleurs éprouvent d’immenses difficultés pour réunir les informations nécessaires à leurs missions et pour leur réserver toujours le traitement nécessaire.

Nos propositions visent à réduire l’asymétrie d’information entre les acteurs financiers et les organismes publics. Plus globalement, elles tendent à permettre aux administrations de surmonter leurs handicaps face à des réseaux internationaux pour le moins agiles. Dans ce domaine, la confiance dans l’action publique doit gagner du terrain, ce qui est aussi un gage d’efficacité.

À cet égard, permettez-moi de faire état de quelques sujets d’inquiétude.

En premier lieu, la continuité des majorités dans l’action contre la fraude fiscale, que j’ai signalée il y a quelques instants, n’est pas entière. Je dirai même qu’une forme de rupture s’est produite en 2012, lors du changement de majorité. Aujourd’hui, en effet, en même temps que notre pays soutient la convergence internationale dans la lutte contre l’évasion fiscale, la singularité s’accentue d’une France « saisie », selon le mot du ministre des finances lui-même, d’un ras-le-bol fiscal dont l’une des issues, redoutable, peut être la fuite des activités et donc des capitaux.

Mes chers collègues, craignons de voir ce que nous pourrions gagner contre l’évasion fiscale perdu dans la fuite des capitaux ! Et œuvrons à apparier notre politique fiscale aux progrès, aussi nécessaires que malheureusement hasardeux, de l’harmonisation fiscale, notamment dans une Europe de plus en plus éclatée de ce point de vue.

Soyons aussi tout à fait convaincus que la lutte contre l’évasion des capitaux doit être prise en charge par l’Europe, qui ne peut laisser le champ libre aux États-Unis dans ce domaine. En effet, si l’Europe n’assume pas ses responsabilités, la formidable concurrence que suscite l’attraction des capitaux risque de se dénouer à ses dépens, donc aux nôtres.

Parmi les événements intervenus au cours de notre commission d’enquête figure la publication de la circulaire dite Cazeneuve, dont vous nous donnerez certainement, monsieur le ministre, quelques éléments de bilan. Dans la droite ligne des principes que je viens d’énoncer, et tout en étant conscients des difficultés, nous avons suggéré que les modalités des régularisations fiscales puissent être réétudiées si elles s’accompagnaient d’une condition de rapatriement des fonds dissimulés à l’étranger.

En second lieu, je désire insister sur les défis que le législateur doit relever dans le domaine dont nous parlons.

Les différents textes que nous avons examinés en 2013 ont été associés à un événement à la suite duquel certains ministres ont changé de fonctions. Or les lois préparées dans l’urgence, dans un mouvement de réaction, sont bien souvent dangereuses – la décision du Conseil constitutionnel rendue publique hier le confirme d’une certaine façon. En tout cas, elles témoignent rarement d’une vision suffisamment complète pour embrasser l’ensemble des enjeux d’une politique publique.

Lorsqu’il s’agit d’un phénomène naturellement difficile à appréhender et qui ne cesse d’échapper au législateur, ce qui est le cas de l’évasion des capitaux, il faudrait, à plus forte raison, prendre le temps de s’interroger très soigneusement avant de légiférer.

Nous devons être conscients qu’une certaine indétermination subsiste sur ce qui relève d’une gestion normale de l’impôt par les contribuables et ce qui constitue une forme d’auto-exemption faisant violence à nos lois fiscales.

Dans ce domaine, la tentation existe de légiférer ponctuellement, en adoptant des dispositifs ad hoc. J’ai le sentiment que, en ces temps de débat sur la réforme fiscale, nous devrions commencer par nous interroger sur le sens même de nos grands impôts et sur l’adéquation entre leurs logiques et les textes en vigueur.

Il nous faut également tirer les leçons de l’application de certains dispositifs antifraude adoptés ces dernières années, qui ratissent trop large. En particulier, il conviendrait de limiter les déductions d’intérêts, dont la portée s’est peu à peu amoindrie sous l’effet des nécessités.

De même, les dispositifs visant à pénaliser les paradis fiscaux et les structures opaques, que chacun approuve, doivent, pour être efficaces, être réellement mis en œuvre – la décision prise hier par le Conseil constitutionnel ne peut que renforcer cette observation.

Enfin, je m’interroge sur l’adoption de dispositions floues qui peuvent réduire la sécurité juridique des agents économiques, mais aussi de l’administration, s’agissant notamment de la réforme de l’abus de droit.

Tant une clarification de notre doctrine fiscale qu’une amélioration de notre gestion publique des impôts seront, pour l’avenir, des objectifs prioritaires.

En troisième lieu, monsieur le ministre, il me faut souligner les attentes déçues de ceux qui comptaient sur l’engagement, pris par votre majorité auprès du monde judiciaire, de faire sauter ce que l’on appelle le « verrou de Bercy ». (Mme Nathalie Goulet s’exclame.) Ce problème a été soulevé à plusieurs reprises lors de nos auditions, et sans doute une majorité des membres de la commission d’enquête estimaient-ils que des avancées décisives devraient intervenir à cet égard.

Seulement, il nous fallait tenir compte des votes intervenus. Aussi nous sommes-nous contentés d’émettre le souhait que cette importante question puisse faire l’objet d’un plus ample informé, comme l’on dit dans les parquets. De fait, ce débat ne peut que revenir sur le devant de la scène à mesure que la consolidation de normes internationales progressera.

La judiciarisation de l’action des services de contrôle fiscal a certainement ses limites juridiques au regard de la cohérence d’ensemble de l’action publique ; souvenez-vous, mes chers collègues, de tous nos débats à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

Cependant, nous sommes d’ores et déjà beaucoup plus exigeants sur d’autres points, comme la nécessité de donner aux services judiciaires les moyens de leur action et de faire une application rigoureuse de l’article 40 du code de procédure pénale. Mes chers collègues, j’insiste sur ce dernier objectif : en vérité, il est toujours aventureux que les pouvoirs constitués ne s’attachent pas à faire respecter les lois qu’ils adoptent !

Mieux connaître, pour mieux la combattre, la soustraction des capitaux aux nécessités reconnues de l’intérêt public : c’est un programme dont nous aurons à connaître dans les prochaines années, compte tenu des calendriers d’action convenus entre les États et des progrès considérables qui restent à accomplir pour assurer la conformité de la finance à ces nécessités.

Je forme le vœu que, à l’avenir comme dans le passé le plus proche, le Sénat ne se décourage pas d’entreprendre tous les efforts nécessaires et qu’il sache se réunir autour d’objectifs qui transcendent nos clivages ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Bocquet, rapporteur de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l’efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite en premier lieu remercier à mon tour la conférence des présidents d’avoir inscrit ce débat à notre ordre du jour.

Même si plusieurs des recommandations adoptées par la commission ont commencé à trouver un début de satisfaction au cours des débats qui nous ont retenus à l’occasion de différents projets de loi examinés au cours de la précédente session parlementaire, il est utile de faire le point et de préparer l’avenir.

Les missions des commissions d’enquête ne sont pas facilitées par les moyens dont elles disposent en droit et en fait. Ces commissions rencontrent en effet parfois l’hostilité de ceux qu’elles dérangent. La commission sur le rôle des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux n’a pas été épargnée. Les fausses indignations, particulièrement scandaleuses quand elles proviennent de fraudeurs patentés, n’ont pas manqué ; au cours de nos travaux, nous avons pu rencontrer plusieurs témoins menacés, parfois de mort. Fallait-il que le sujet soit brûlant !

Dans ce contexte, je voudrais remercier les membres de la commission d’enquête d’avoir adopté à l’unanimité les conclusions qui leur avaient été soumises. Ce résultat doit beaucoup à la présidence de notre commission d’enquête par François Pillet, aussi résolu que favorable à la réunion d’un consensus qui est désormais bien installé au Sénat sur des sujets qui en effet nous rassemblent.

De toute évidence, une commission d’enquête parlementaire n’a pas les mêmes objectifs que ceux qui sont assignés aux organes de contrôle, qu’ils soient administratifs ou judiciaires.

Cependant, elles doivent s’efforcer d’être les supports d’un contrôle parlementaire auquel il faudrait donner toute sa place dans une démocratie où le contrôle politique doit être fort. La réponse judiciaire ne saurait être seule à faire écho à une démocratie d’opinion exaspérée par les excès ou les carences des uns ou des autres. Sur des sujets comme celui qui nous rassemble, un contrôle parlementaire permanent et collégial devra s’imposer un jour. Il est moins concurrent que complémentaire par rapport à l’autorité judiciaire et il peut même arriver qu’il favorise l’exercice par cette dernière de ses missions, comme nous en avons reçu plusieurs fois le témoignage.

Permettez-moi de rendre hommage aux hommes et aux femmes qui s’attaquent au crime financier, qu’ils appartiennent à des services ou que, simples personnes privées, dans la solitude de leur conscience, ils osent, dans l’exercice de leur profession ou d’autres manières, s’opposer aux forces d’un système évidemment bien plus puissant qu’eux. La décision du Conseil constitutionnel intervenue hier ne leur rend pas cet hommage. Sans doute nous direz-vous quelles suites le Gouvernement entend réserver à une décision qui, par divers aspects, aboutit à désamorcer les moyens d’assurer l’égalité devant les charges publiques.

Dans un monde où, de plus en plus, les flux de capitaux sont affranchis de toute limite, la financiarisation de l’économie est un phénomène tellement acquis que l’idée même d’une évasion des capitaux paraît étrange et ne représente plus pour certains que la sanction bienvenue d’une finance efficiente adressée à des débiteurs irresponsables.

Pourtant, à l’âge de l’offshore, à l’âge de l’optimisation fiscale systématique et des crises financières, c’est bien sur une industrie financière au service de l’évasion des capitaux, pour elle-même ou pour ses usagers, qu’on doit s’interroger.

L’évasion des capitaux, c’est alors ce phénomène multiforme et prédateur qui permet de soustraire les richesses aux quelques reliques de souveraineté des États par lesquelles ceux-ci s’affichent encore parfois comme les garants des intérêts et d’un ordre publics.

La commission d’enquête n’a pas pu envisager tous les chefs d’évasion de capitaux relevant de la finance. Elle a particulièrement considéré l’évasion des capitaux à finalité fiscale, directement ou à travers le blanchiment de la fraude fiscale.

Il faudra un jour revenir sur la contribution sociale et économique du secteur financier et se demander si celui-ci présente, dans les conditions actuelles de son fonctionnement, des titres à absorber une part de plus en plus conséquente de la valeur ajoutée au risque d’en détruire régulièrement une bonne partie.

Peu, sinon aucun, des témoins auditionnés par la commission ne se sont aventurés à contester le bien-fondé de son objet. Les personnalités particulièrement qualifiées que nous avons auditionnées, parmi lesquelles l’ancien directeur général du Fonds monétaire international et l’ancien président de la Banque centrale européenne notamment, sont convenues que la finance présente des risques de fraude particulièrement aigus.

La finance réunit en effet tous les attributs propices aux fraudes, subies ou commises par les acteurs financiers eux-mêmes, observation fondamentale vérifiée par notre commission. L’opacité des circuits et des réseaux financiers, la vitesse des opérations, la disparition des frontières et des distances dans une mobilité qui contraste avec la fixité des espaces de souveraineté nationale dans lesquels s’exerce l’action des contrôleurs, comptent au nombre des attributs de la finance.

Il faut ajouter que la finance a un formidable pouvoir de novation. Elle peut substituer à des revenus taxables d’autres revenus non taxés ou moins taxés. Si elle n’a pas le pouvoir de changer le plomb en or, elle peut réaliser l’opération inverse en transformant l’or de la sphère économique réelle d’un pays en plomb pour les administrations fiscales, et plus largement pour celles en charge des intérêts publics.

Les « prix de transfert » financiers qui reposent sur l’assiette considérable des relations financières intragroupes, les structurations des bilans d’entreprises dans les groupes et leurs effets artificiels sur les revenus nets qui fondent la contribution fiscale, les arbitrages réglementaires multiples offerts par les techniques financières, parmi lesquels je voudrais citer ceux, d’actualité, pouvant porter sur certaines rémunérations salariales qui altèrent la contribution sociale, ne sont que quelques-unes des multiples manifestations des potentialités d’évasion des richesses par la finance.

Ces potentialités reposent aussi sur l’extrême facilité pour la finance de dissimuler les richesses, facilité entretenue par l’industrie financière qui s’est employée à se créer des zones de droit sur mesure. Tous les grands témoins auditionnés par la commission en ont appelé à une nouvelle régulation de la finance. J’y vois le témoignage d’un refus de l’impérialisme de la finance aux dérives patentes. Il trouve des expressions aussi variées que l’essor du shadow banking, cette finance des financiers pour les financiers, ou l’intervention directe de banques pour façonner les législations de certains pays.

De son côté, le secret bancaire absolu opposé aux règles les plus démocratiques n’est-il pas la manifestation de la suprématie accordée aux intérêts représentés par les institutions financières ? Sachons également reconnaître qu’en cela l’offre des financiers rejoint une demande croissante d’évitement de l’impôt par des élites mondialisées qui coïncide avec les intérêts des acteurs financiers.

Dans un monde où les oligarchies financières se renforcent sous l’effet des déséquilibres du partage des richesses, les oligopoles financiers se mettent au diapason des attentes des « ultra-hauts revenus ». Leurs auxiliaires des professions du droit et du chiffre retirent une part importante de leurs rémunérations de recettes visant à optimiser astucieusement les revenus des entreprises et des particuliers en les soustrayant à la contribution commune. Les lois que nous adoptons sont ainsi régulièrement vidées de leur portée par toute une infrastructure qui est payée pour échapper à un pouvoir que nous exerçons au nom du peuple.

Dans ce monde, il est illusoire d’attendre des acteurs financiers une quelconque autorégulation. L’évasion des capitaux devient systémique. Quelles propositions appréciables les institutions financières ont-elles jamais avancées pour améliorer leur conformité ? Comment ne pas relever l’absence de plaintes de la profession dans les cas avérés de fraudes réalisées par des banques concurrentes quand les mêmes sanctionnent sans merci le plus petit découvert ? Que dire de l’utilisation sans vergogne des juridictions à secret bancaire et des États non coopératifs, de la multiplication des offres de véhicules vantés pour leur potentialité fiscale, du déplacement entre pays des avoirs consécutif aux durcissements des règles touchant tel pays vers d’autres destinations épargnées par lui, de la profusion des schémas de planification fiscale agressive dont le nombre ne cesse de croître dans le recensement qu’en fait l’Organisation pour la coopération et le développement économique, l’OCDE ?

La commission d’enquête a eu à connaître de situations individuelles plus ou moins publiques, témoignant d’évidentes transgressions. Chacun ici connaît peu ou prou les dossiers HSBC, UBS et d’autres plus franco-français. Sans pouvoir entrer dans des détails, je puis témoigner que les investigations auxquelles j’ai procédé en ma qualité de rapporteur ont pu conduire à des observations singulières.

Je m’interroge en particulier sur le recours par de nombreuses personnes morales à des comptes à l’étranger gérés dans des conditions apparemment destinées à les dissimuler. Je relève encore qu’en réponse à mon questionnaire certaines grandes entreprises du CAC 40 sont allées jusqu’à affirmer ne pouvoir être concernées par telle liste désormais bien connue quand, en réalité, elles se trouvaient portées sur elle. La commission de son côté a pu prendre connaissance de cas particuliers impliquant des compensations financières plutôt triviales mais pouvant concerner des sommes considérables et qui lient le grand banditisme aux fraudeurs fiscaux.

Ces comportements microéconomiques aboutissent à des formations macro-financières monstrueuses. Tel micro-État, dépourvu du moindre début d’une infrastructure de contrôle et offrant des garanties de non-fiscalisation au long cours, se retrouve le quatrième centre financier international. Le déploiement des groupes financiers dans les paradis bancaires et les réseaux qu’ils dessinent confèrent à l’offshore une place de choix dans les circuits financiers internationaux avec tous les risques associés pour l’ordre financier international, la stabilité financière mais aussi la conformité des flux, des intervenants, et des échanges.

En Europe elle-même, n’est-ce pas le plus petit État qui est aussi le plus grand centre financier de gestion de fonds ? Les Bermudes ne sont-elles pas la plaque tournante mondiale de l’assurance ? Combien de bénéfices les « captives » constituées par les entreprises françaises sur ce territoire dégagent-elles chaque année, monsieur le ministre, et combien coûtent-ils au trésor public ? Les bénéfices des entreprises du CAC 40 réalisés à l’étranger ne reflètent-ils que des succès commerciaux rencontrés sur place ou admettent-ils une part des bénéfices réalisés en France et habilement transférés à l’étranger ?

À sa manière, la commission d’enquête a éprouvé les effets de l’opacification entretenue par les nébuleuses financières. En réponse à une question portant sur les activités, les bénéfices et les impôts acquittés dans une liste de territoires, les banques interrogées ont affirmé ne pouvoir fournir ces éléments. Étrange réponse qui contraste pour le moins avec les informations qu’on s’attendrait voir réunies par des établissements à la pointe des techniques de gestion !

C’est d’autant plus étrange, et je dirais même inacceptable, qu’il suffit de se reporter à l’audition du président de BNP Paribas devant la commission d’enquête du Sénat sur l’évasion fiscale internationale, l’an dernier, pour se persuader que ces données sont déjà disponibles et qu’elles expliquent pour beaucoup l’écart entre le taux d’imposition nominal théorique desdites entités et leur imposition effective en France, constat soigneusement édulcoré dans un récent rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, rédigé il est vrai par un rapporteur exerçant désormais ses talents au service d’une grande banque étrangère au centre du plus grand scandale financier de ces derniers temps.

Oui, décidément, mieux connaître, ce sera déjà mieux combattre ! On le sait, cette condition appelle une coopération internationale dont les défaillances actuelles sont connues.

Ces dernières années, des accords interétatiques ont été présentés comme la manifestation d’une mobilisation internationale pour mieux défendre les droits légitimes des États. Ce processus a particulièrement consisté à s’assurer d’une coopération mutuelle effective passant par des échanges d’informations mais aussi, dans le champ de la lutte anti-blanchiment, qui est le second pilier du combat contre les flux illicites de capitaux, par l’adoption de normes communes supposées répondre aux défis du blanchiment.

La vision idyllique du concert des nations qui tend à être diffusée par les gouvernements est-elle vraiment de mise ? N’a-t-on pas assisté à un exercice formel et doit-on pour l’avenir s’attendre à mieux ?

Force est d’observer que, sans être dénué d’utilité, le Forum mondial fiscal de l’OCDE ou les conventions bilatérales n’ont pas atteint leurs objectifs. Par exemple, alors que les résultats de la supervision exercée par le Forum ont conduit à vider les différentes listes, qui représentaient l’unique issue du processus, laissant accroire que la coopération fiscale avait atteint un point satisfaisant, la réalité d’une faillite presque totale du système actuel d’échanges d’informations à la demande, volontaire ou spontané, s’est imposée. On privilégie désormais un standard d’échanges automatiques d’informations qui est en effet, de loin, préférable.

Mais qui ne veut le moins voudra-t-il vraiment le plus ? De quels instruments sommes-nous dotés pour contraindre les États récalcitrants – et il y en a quelques-uns au sein même de l’Union européenne – à respecter le futur nouveau standard ? La France mise en cause par la Commission européenne montre-t-elle toujours l’exemple ?

Comment progresser sur ce terrain maintenant que le Conseil constitutionnel a conforté les paradis fiscaux ? Nous semblons attendre des États-Unis la lumière, ce qui n’est pas à la hauteur de ce que l’on attend légitimement de l’Europe et pourrait bien affaiblir sa position dans l’attractivité des capitaux. Un peu de géostratégie financière ne nuirait pas dans un contexte où les armes réglementaires, y compris dans le domaine de la lutte contre l’évasion des capitaux, sont un outil de la guerre financière internationale.

Par ailleurs, toute une série d’inconnues planent sur les processus en cours. Comment contrer le recours à des structures écrans que la quatrième directive anti-blanchiment continue à ignorer malgré l’évidence et les révélations d’Offshore leaks, au printemps dernier, largement confirmées par les documents que j’ai pu consulter dans mes fonctions de rapporteur de la commission ? Quid des progrès sur la voie d’une action plus résolue en matière de blanchiment quand des pans entiers sont laissés à la discrétion des États voire des établissements financiers eux-mêmes ? Quid des sanctions effectives contre les États ou les acteurs financiers complices ou auteurs de l’évasion des capitaux tant que les justices européennes resteront dans une passivité à laquelle les États-Unis ont si vigoureusement renoncé ?

À l’heure des annonces sur le FATCA européen, où en sommes-nous de la révision de la directive Épargne ?

On peut craindre en somme que le droit international ne demeure encore une fois, au gré des rapports de force, alternativement une loi douce sans effet appréciable ou une loi dure appliquée selon leurs intérêts par les pays les plus forts au nombre desquels l’Europe ne se comptera pas. Cette crainte peut s’étendre aux dispositions législatives que nous adoptons. L’abondance de normes ne doit pas être le cache-misère d’une action qui doit être toujours exemplaire.

Nous avons beaucoup légiféré ces dernières années pour renforcer les moyens de la lutte contre les flux illicites des capitaux. Nous manquons du recul pour faire le bilan complet de ces lois. Pour certains dispositifs en revanche, il existe déjà des motifs de perplexité. Tel est le cas des régimes durcissant la législation fiscale envers les États non coopératifs. Tel est aussi le cas d’un certain nombre de retenues à la source remises en cause par la juridiction européenne.

N’en ira-t-il pas de même avec le registre des trusts, qui, pour être souhaitable, reste conditionné à la bonne volonté des États étrangers ? Les conventions fiscales ont-elles toujours permis d’accéder aux informations nécessaires ? L’élargissement du dispositif TRACFIN – traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins – a-t-il abouti à une lutte plus efficace contre le blanchiment et la fraude fiscale ? Il n’y a pas jusqu’à l’accentuation très bienvenue des peines et des moyens d’investigation qui, au vu des pratiques actuelles, ne soulèvent des questions sur leurs prolongements effectifs.

La guerre contre l’évasion des capitaux est un art tout d’exécution. Nous préconisons sans doute des réformes à dimension législative. Il nous faudra d’abord réduire l’asymétrie des informations dont abusent les acteurs financiers, en élargissant les obligations de dévoilement d’informations pour certains produits, notamment d’assurances, ou pour certains schémas fiscaux – l’Assemblée nationale vient d’adopter récemment une telle disposition, contre l’avis du Gouvernement –, comme nous l’avons fait pour les comptes des banques dans les pays tiers.

En la matière, nous devrons, d’une part, veiller à ce que les choix concernant le périmètre de consolidation des banques, qui sert de référence, n’altèrent pas la portée de l’information à laquelle nous les avons obligées et, d’autre part, élargir une telle obligation à des entreprises non financières.

Le statut des lanceurs d’alerte, qui a été amélioré, tandis qu’un statut du repenti a été organisé, pourra sans doute l’être encore pour couvrir des situations plus réalistes et mieux sécuriser leurs perspectives concrètes.

Par ailleurs, il nous faut mieux formaliser l’engagement des organes sociaux sur la conformité fiscale des entreprises et associer les institutions représentatives du personnel à ces sujets.

Il conviendra également de résoudre par la voie législative un certain nombre de conflits d’intérêts, qui voient des contrôleurs placés sous la sujétion économique des contrôlés, comme c’est le cas des commissaires aux comptes, ou laissés sans statut suffisamment protecteur, comme c’est le cas des personnels chargés de la conformité dans les institutions financières.

Nous devrons également modifier la composition de certains collèges de superviseurs, qui comptent des personnalités actives dans des entreprises ayant des liens commerciaux ou financiers avec des entités soumises à leur contrôle ou à leur sanction. Il nous faudra aussi mieux responsabiliser les facilitateurs de la fraude fiscale internationale par un appareil de sanctions adaptées à leur participation à des fraudes, qui ne leur vaut aujourd’hui que l’impunité. C’est le sens de la recommandation visant à créer une infraction pour incitation à la fraude fiscale.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Éric Bocquet, rapporteur. Des moyens d’enquête supplémentaires ont été accordés au contrôle fiscal. Sans doute faudra-t-il en doter également l’ACPR, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, en s’inspirant du régime prévu pour l’AMF, l’Autorité des marchés financiers.

Mais, plus que de nouvelles normes, c’est à un fonctionnement efficace des services et à leur bonne application qu’il faut s’attacher. Plus de cohésion et plus de fermeté ! Un certain nombre de dispositifs légaux sont désamorcés par des choix condamnables. Pourquoi adopter une doctrine si restrictive de détermination des États non coopératifs, dont témoigne encore la liste dernièrement arrêtée, qu’elle neutralise les régimes pénalisant les paradis fiscaux ? N’est-ce pas adresser un blanc-seing au développement de la finance offshore ? Pourquoi estimer que la Suisse, avec son secret bancaire, est un État impeccable en matière de lutte anti-blanchiment, quand de nombreuses affaires démontrent tout le contraire ? Est-il réellement acceptable que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution soit liée par le secret professionnel à l’égard des services fiscaux quand elle exerce des responsabilités importantes dans le combat contre le blanchiment, notamment de fraude fiscale ? Pourquoi refuser au contrôle fiscal d’interroger TRACFIN sur des signalements dont cet organisme pourrait disposer ? C’est là une situation véritablement kafkaïenne, puisque, dans le même temps, les cas sensibles sont naturellement signalés au ministre, lequel, supérieur hiérarchique de la DGFIP, la direction générale des finances publiques, se trouve forcé à un clivage dangereux et qu’on devine pouvoir être particulièrement inconfortable en certaines circonstances. Toujours à propos de TRACFIN, ne devrait-on pas, en cohérence avec l’arrêt Talmon, lui ouvrir la faculté de saisir l’autorité judiciaire en cas de soupçons de blanchiment de fraude fiscale, plutôt que le lui interdire ?

Au-delà de ces différents aspects, il nous faut tendre vers une action opérationnelle beaucoup plus claire et résolue. Les moyens ne sont pas à la hauteur des missions. Les différentes affaires survenues ces dernières années ont absorbé une proportion considérable des ressources des services. Nous l’avons constaté. Et nous nous interrogeons sur l’adéquation des capacités de traitement des dossiers de régularisation, qui semblent devoir être dépassées en l’état des forces.

Quant au contrôle fiscal ordinaire, les moyens du contrôle d’entités, dont certaines comptent un total de bilan équivalent au PIB de notre pays, sont-ils vraiment au niveau ? De même, TRACFIN tend à être submergé par les signalements, ce qui conduit à des apurements sauvages de dossiers. Et que dire des moyens de la justice et des services d’enquête ? Combien de dossiers sont-ils abandonnés ? Je m’interroge par exemple sur le devenir des documents confiés par l’ACPR au service de la douane judiciaire concernant les personnes impliquées dans l’affaire UBS. Pouvez-vous nous informer, monsieur le ministre, des diligences effectuées et de leurs suites, au-delà de celles, connues, qui concernent les mises en examen des établissements eux-mêmes?

On observe une insuffisance de moyens, mais aussi, parfois, une insuffisance de fermeté. Est-il vraiment inaccessible aux autorités de contrôle prudentiel, comme elles l’indiquent, de connaître finement les opérations des banques dans des juridictions où elles sont exemptes de contrôles locaux dignes de ce nom ? Peut-on se satisfaire que la seule obligation pesant sur elles, quand les mœurs locales leur interdisent de répondre aux exigences de la lutte contre le blanchiment, soit d’en informer les autorités françaises, qui doivent tout de même le savoir déjà ? Celles-ci, qui concèdent ne recourir qu’à un contrôle sur base sociale consolidée, nécessairement aveugle aux échanges intragroupes, ne devraient-elles pas mieux sanctionner les situations où le contrôle de la maison mère est manifestement défaillant ? Pourquoi, loin d’aboutir à ce résultat, un examen par la commission des sanctions de l’ACPR peut-il permettre à une grande banque française d’échapper à des griefs de ce type, au motif de l’absence d’un accord formel de coopération entre l’ACPR et son homologue, malgré le consentement ponctuel donné par celui-ci ?

La commission d’enquête a pu également relever que les contrôles effectués dans l’affaire UBS avaient été, de la part de l’ACPR, pour le moins poussifs. Je n’ai pas trouvé trace d’importants éléments de cette affaire dans les documents dont j’ai pris connaissance et par lesquels l’administration tient le fichier des personnes soupçonnées de dissimuler des avoirs à l’étranger. Il est vrai que ce fichier ne comporte pas davantage la mention de personnes dont il est avéré aujourd'hui, de leur propre aveu, qu’elles se trouvent dans cette situation.

Par ailleurs, quand sanctionnera-t-on certaines professions du chiffre et du droit, qui ne jouent pas le jeu des signalements à TRACFIN, puisque ni la loi ni la pédagogie ne semblent suffire ? Quand s’inquiétera-t-on réellement de la faible vigueur du dispositif quand des personnes politiquement exposées sont en cause ?

Je conclurai moi aussi sur la question du verrou de Bercy, ministère qui n’est malheureusement pas directement représenté ce matin, ce que je déplore. J’ai la conviction que cette anomalie, attribut d’une sorte de raison d’État fiscale, devra un jour céder.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Éric Bocquet, rapporteur. Les techniciens la défendent au nom de l’efficacité des redressements. Ce n’est pas très bon signe, puisque c’est reconnaître que notre contrôle fiscal est insuffisamment assuré sur ses bases. Est-ce par ailleurs vraiment crédible ? Entre les droits constatés et les droits recouvrés, quel est l’écart ? Il est sûr que ce monopole affecte les principes du droit. Le mépris des obligations de l’article 40 du code de procédure pénale en témoigne. Il est également sûr que ce « verrou » jette la suspicion sur l’action publique. Les quelques avancées du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale ne suffiront pas à la lever.

Le verrou de Bercy participe ainsi d’une opacité de l’action publique antifraude, qui nuit à la confiance et ne favorise pas son efficacité.

Reprenant une proposition de la commission d’enquête sur l’évasion fiscale internationale, nous souhaitons que soit créé un haut-commissariat à la protection des intérêts financiers publics répondant aux meilleures pratiques de l’évaluation. À l’heure où le Premier ministre en a appelé à la réforme fiscale, nos institutions doivent être complétées pour mieux veiller à la conformité fiscale de tous au service de l’égalité devant les prélèvements obligatoires. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la saison 1, voici la saison 2 ! Je me félicite de l’ampleur du travail réalisé, de la réceptivité des membres de la commission, ainsi que de la bonne humeur qui a régné lors de nos travaux, malgré un sujet qui ne prête pas à sourire. La collaboration des personnes auditionnées a été de qualité, et la variété des pistes retenues, structurées autour de deux axes, « mieux connaître » et « mieux combattre », nous semble d’une grande opportunité.

C’est en 2008, à la suite d’une série de faillites bancaires, que le grand public découvre la nocivité des paradis fiscaux, « véritables angles morts de la mondialisation financière, dans lesquels les entreprises multinationales et les riches particuliers dissimulent leurs activités pour échapper au fisc, à la justice, ou aux autorités de régulation du marché ». Si les paradis fiscaux ne sont certainement pas les seuls responsables de la crise financière de 2008, ils y ont très largement contribué – nous en reparlerons ce matin.

La multiplication des « affaires », lesquelles font apparaître au grand jour ce processus se nourrissant du secret, ne manque pas de créer l’émoi et l’indignation de l’opinion publique, dont l’attente se fait de plus en plus pressante. Pendant ce temps, monsieur le ministre, le populisme croît et l’extrême droite en fait son miel.

La dérégulation du marché est pointée du doigt. Ainsi, un consensus a émergé, portant sur l’échec d’un désarmement institutionnel qui laisserait la finance dans un état de pseudo-nature. Il établit aussi le constat d’une nécessaire action pour lutter contre l’autre grande plaie du moment, à savoir la contribution des circuits financiers à l’essor du crime, dans les processus de blanchiment. Oui, mes chers collègues, la mafia existe ! Nous ne l’avons pas rencontrée frontalement, mais, lors d’une visite à Nanterre, nous avons pu constater que ce que nous étudions est extrêmement lié aux mafias, elles-mêmes reliées à un certain nombre de grands secteurs, tels que la banque et le BTP. Appelons un chat un chat !

Alors que, dès 2008, de nombreuses mesures internationales avaient été annoncées, notamment à la suite du G20, les banques, premières utilisatrices de ces territoires opaques, n’ont pas vraiment modifié leurs pratiques. Selon un rapport du CCFD-Terre solidaire datant de 2012, BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole compteraient aujourd’hui 513 filiales dans les paradis fiscaux, contre 494 en 2010. Par conséquent, loin de s’améliorer, la situation s’aggrave. Les établissements financiers ont bien quitté certains paradis fiscaux, mais seulement ceux de la « liste grise » de l’OCDE, qui n’en comporte d’ailleurs plus que trois, ainsi que huit autres désignés comme tels par la France.

Il est de notre responsabilité d’éliminer les échappatoires à l’impôt, y compris pour les banques, dont le taux de contribution fiscale reste difficile à évaluer du fait de leurs activités offshore et de leur internationalisation. Sans compter que la plupart des banques pratiquent des opérations d’optimisation fiscale plus ou moins agressives.

En 2012, lorsque Pascal Canfin publiait Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire, ouvrage dont je vous recommande vivement la lecture, mes chers collègues, il constatait une capacité de lobbying extrêmement puissante des institutions financières. Il n’y avait pas, jusqu’à une date relativement récente, de contre-pouvoir organisé en la matière.

Cependant, les choses ont évolué, avec la création de Finance Watch à Bruxelles, ou encore la mobilisation de longue date de certaines organisations non gouvernementales sur le sujet, comme Oxfam et le CCFD. Leurs compétences sont très vite montées en puissance sur ces sujets, et ces structures sont aujourd’hui des forces de propositions pertinentes et respectées.

Ainsi, un contre-pouvoir citoyen s’organise, trop lentement, certes, mais il faut louer son travail : il réussit à décortiquer le discours technique et complexe des banques, à le critiquer et à se faire quelque peu entendre dans les médias. Selon nous, il est essentiel, en termes démocratiques, de faire vivre ce débat autour de la finance, de ses méfaits et de l’évasion fiscale.

La France n’est pas en reste, puisque le contexte législatif progresse sur le sujet, même si c’est trop lentement à notre goût.

Ainsi, la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, votée en juillet 2013, a permis de renforcer un peu la lutte contre les paradis fiscaux et le blanchiment des capitaux, notamment en instaurant, pour les banques et les grandes entreprises, une obligation de transparence sur leurs activités pays par pays, en permettant la mise en œuvre de l’échange automatique d’informations en matière fiscale et en renforçant les pouvoirs de TRACFIN, ainsi que les obligations des personnes assujetties à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Ensuite, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière vise à introduire, quant à lui, deux avancées, portées par les écologistes à l’Assemblée nationale : d’une part, la mise en place d’un « registre public des trusts » et, d’autre part, la « protection des lanceurs d’alerte ». Le cas d’Hervé Falciani, ex-informaticien de la banque HSBC, nous rappelle l’importance de protéger les lanceurs d’alerte, qui fournissent au fisc français les informations sur des cas d’évasion fiscale de très grande ampleur.

Le projet de loi de finances pour 2014 a présenté quelques mesures destinées à compléter le dispositif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Cependant, les mesures proposées par le groupe écologiste pour lutter contre l’optimisation fiscale des très grandes entreprises n’ont pas été entendues, ce que je regrette. Je vous rappelle, mes chers collègues, qu’il s’agissait d’un amendement prévoyant que les entreprises condamnées pour fraude fiscale ne seraient plus éligibles au crédit d’impôt. Il nous paraît en effet évident que nous ne devons pas donner de primes à ceux qui trichent. Nous avions également proposé d’aligner le régime de déductibilité des charges des États à fiscalité privilégiée sur celui des États non coopératifs.

La volonté politique, selon nous, est une notion centrale. Elle permettra la reconstruction du lien de confiance entre les citoyens et les politiques, en termes de démocratie politique et de reprise en main d’une mondialisation financière devenue folle.

Dès lors, comment procéder ? Nous avons auditionné avec satisfaction Denis Robert, qui a notamment enquêté sur l’affaire Clearstream, et dont les propos pourraient constituer la piste d’une saison 3 de notre commission d’enquête. Il affirme : « Il conviendrait plutôt de s’interroger sur la manière dont les transactions sont opérées plutôt que traquer indéfiniment – et vainement – les paradis fiscaux. » Il compare les flux financiers à des autoroutes, sur lesquelles « circulent des véhicules qui ne sont pas immatriculés, mais qui, pourtant, circulent fort librement ». Selon lui, pour « remporter la bataille contre le “noircissement” de l’économie et les trous noirs de la finance, il convient de former des brigades autoroutières ou inventer des “radars” informatiques qui permettront d’intercepter ces véhicules en infraction circulant librement que sont les banques ».

Je ne ferai pas la liste de l’ensemble des propositions présentées par cette commission d’enquête saison 2, mais, selon nous, la réflexion menée autour de l’élargissement du champ d’intervention des services judiciaires mérite une attention toute particulière de la part du Gouvernement.

Pour conclure, je me demande si ce dossier sur l’évasion fiscale n’est pas uniquement l’arbre qui cache la forêt et si le vrai problème ne tient pas simplement à l’insuffisance d’un système devenu complètement fou et qui tourne à vide. Je vous renvoie à cet égard à l’ouvrage tout à fait pertinent de Jean-Michel Naulot : Crise financière : pourquoi les gouvernements ne font rien ? Et si la fraude et l’évasion fiscale n’étaient que les symptômes de notre système devenu fou ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission d’enquête, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes douze en séance pour débattre d’un sujet aussi important. Autant dire que nous sommes entre nous ! Or nous fêtons aujourd’hui le premier anniversaire de la déclaration de Jérôme Cahuzac, dans laquelle il affirmait ne détenir aucun compte à l’étranger. Ce 5 décembre est donc l’occasion pour nous de souffler cette première bougie !

Hier, le Sénat a battu l’Assemblée nationale par 1 à 0 : on comptait un sénateur – moi – et aucun député lors de la présentation du rapport annuel de Transparency international sur la transparence de la vie publique et l’évasion fiscale.

Évidemment, ce rapport soulève un certain nombre de problèmes puisqu’il y est question de perception de la corruption et de perception de la fraude. Après le tsunami provoqué par l’affaire Cahuzac, il est clair qu’il faudra plus qu’un train de mesures pour rétablir la confiance.

Cette affaire a donné lieu à plusieurs textes législatifs, à des commissions d’enquête, dont il a été largement question. Croyant que Bernard Cazeneuve serait là ce matin, je ne voulais pas le contrarier en évoquant le verrou de Bercy. Mais puisque c’est vous qui êtes présent, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, je vais vous en parler. (Sourires.)

Le verrou de Bercy a fait l’objet de très longs débats les 17 et 18 juillet dernier. Malheureusement, nous n’avons pas adopté les dispositions de bon sens en faveur d’une plus grande transparence qu’avait présentées notre collègue Alain Anziani au nom de la commission des lois. Nous le regrettons. Comme les murs de Jéricho, le verrou de Bercy finira un jour ou l’autre par sauter, à mon avis sous le coup d’une question préalable de constitutionnalité. La première a été déposée le 29 novembre dernier, en vain. Toutefois, le combat continue. Le verrou résistera, me semble-t-il, moins aux juridictions qu’aux parlementaires.

Pour ma part, je vous parlerai des lanceurs d’alerte ainsi que de la formation. S’agissant des premiers, il n’existe malheureusement aucune convention de l’OCDE permettant de les protéger, monsieur le ministre. Il serait important que la France soutienne le projet d’une telle convention au sein de cet organisme.

Dans un pays comme la Suisse, la vérité est pratiquement illégale – on peut même dire qu’elle l’est à part entière. Prenons l’exemple de Pierre Condamin-Gerbier, qui avait fait un très grand nombre de déclarations s’étant avérées par la suite : dès son retour en Suisse, il a été incarcéré. M. le rapporteur et moi-même sommes d’ailleurs allés soutenir ses défenseurs.

On retrouve ce même problème pour d’autres lanceurs d’alerte. Nicole Marie Meyer, expert rattaché à Transparency international, a déclaré hier matin, lors de la présentation du rapport, que « la France est ce pays paradoxal où un ministre du budget pratique la fraude fiscale, mais où un commandant de police est révoqué pour avoir signalé un usage illicite de fichiers par son administration, un diplomate licencié pour avoir rendu à sa hiérarchie un rapport confidentiel sur des dysfonctionnements financiers avérés, un fonctionnaire territorial menacé pour avoir signalé en interne des marchés publics irréguliers ».

Par ailleurs, on assiste à une limitation de la coopération internationale et du multilatéralisme en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales : le cas de la Suisse est absolument typique à cet égard. Les lanceurs d’alerte ne sont pas les seuls à souffrir des carences de l’action internationale ; l’action multilatérale en matière de lutte contre la fraude fiscale reste insuffisante et superficielle, voire hypocrite, y compris dans des enceintes comme l’OCDE. Pascal Saint-Amans a beau dire qu’il n’existe plus de secret bancaire en Suisse et que la coopération et l’échange d’information progressent, la réalité est tout autre.

Sur un plan strictement juridique, le droit suisse est tout entier tourné vers la protection des banques. Le Conseil fédéral suisse a renoncé, en septembre dernier, à sanctionner pénalement les banquiers dont l’action aurait été peu scrupuleuse. Du côté du droit positif, les articles 271, 272 et 273 du code pénal suisse interdisent toute intrusion d’une puissance étrangère qui serait contraire aux lois, traditions et intérêts de la Suisse. Cette législation sert notamment de fondement à toutes les négociations fiscales entre la Suisse et le reste du monde, notamment les États-Unis.

Quant à l’article 273 relatif aux peines sanctionnant l’intelligence économique, il suffit de le lire pour démontrer que, en Suisse, la vérité en matière d’évasion et de fraude fiscales internationales est illégale.

Dans de telles conditions, on imagine également les chances de succès d’une commission rogatoire internationale pour interroger les dirigeants locaux d’UBS ou de HSBC, sans même parler de l’entreprise qui administre le port franc de Genève.

À cet égard, monsieur le ministre, il serait urgent que les autorités françaises lancent une commission rogatoire internationale pour interroger Raoul Weil, l’ancien président d’UBS, actuellement incarcéré en Italie. Dans ce pays, il est possible de l’interroger ; dès qu’il sera de retour en Suisse, cela sera impossible !

Par ailleurs, nous sommes aussi passés à côté d’un problème majeur lié à l’évasion fiscale, à savoir les ports francs suisses.

Dans ce pays, monsieur le ministre, il existe dix-sept ports francs, grands comme vingt-cinq terrains de football, antichambre ou garde-manger des banques suisses où s’entassent or et œuvres d’art qui servent de gage à des transactions multiples variées dans l’anonymat confortable d’une simple consigne.

Reste l’impératif de la formation à la lutte contre la fraude fiscale, proposition numéro 12 du rapport de la commission d’enquête.

De nombreuses autres zones d’ombre pourraient être soulevées. En la matière, il semble évident que nous sommes dans la guerre de l’obus et du blindage. C’est pourquoi il faut former les personnels en créant à cette fin un centre destiné à accueillir les étudiants et le personnel chargé de combattre la fraude fiscale.

Lors de nos auditions, Michel Aujean s’est ému qu’il n’existe pas de telles structures en France, alors qu’on en compte deux au Royaume-Uni. Dans notre pays, seule l’école doctorale de Paris I travaille sur ces sujets, mais dans une optique universitaire et non pas dans une logique opérationnelle. Monsieur le ministre, il y a un manque crucial de formation.

Mme Couppey-Soubeyran, également auditionnée par notre commission d’enquête, a pointé les difficultés d’accès et de retraitement des données statistiques de l’INSEE.

Quant à Hervé Falciani, il a déclaré que l’administration ne disposait pas des moyens humains pour analyser l’information qu’elle avait à sa disposition.

De fait, on tourne toujours un peu en rond. Le monde entier nous envie notre administration, à laquelle il convient évidemment de rendre un hommage appuyé. Néanmoins, compte tenu de la rapidité avec laquelle les techniques de fraude évoluent, il est nécessaire de développer les processus de formation.

D’après Noël Pons, que nous avons également interrogé, les techniques de renseignement relatives à la lutte contre la fraude doivent évoluer qualitativement pour appréhender l’évolution des techniques et leur lien avec la grande criminalité.

Les modèles informatiques ne peuvent pas tout faire. Dominique Strauss-Kahn avait d’ailleurs fait état de leurs défauts de conception. Aussi, il est nécessaire d’avoir davantage de personnels formés à la connaissance des méthodes de fraude fiscale afin de prévenir toute inertie dans la création de certains dispositifs législatifs.

Malheureusement, nous n’avons pas pu examiner les articles de la seconde partie du projet de loi de finances. (M. le ministre fait un geste désabusé.) Eh oui, monsieur le ministre, je comprends votre déception, qui est aussi la nôtre, mais ce n’est pas de notre fait !

On pourra voter toutes les lois qu’on veut, mais, si l’on ne dispose pas du personnel de formation adéquat, du personnel pour assurer le suivi, du personnel pour enquêter et traiter les données, en dépit de tout ce que nous pourrons faire pour combattre ce fléau qu’est l’évasion fiscale, contre laquelle nous sommes tous mobilisés ici, il sera difficile d’obtenir de bons résultats.

Pour conclure, je veux dire que nous avons été particulièrement déçus du refus du président du Sénat de créer, dans cette maison, une délégation permanente dédiée à la protection des intérêts financiers de l’État, proposition que nous avions faite dans le cadre de la première commission d’enquête. Il avait été saisi de cette demande par un courrier, que nous avions tous signé, que lui avait adressé le président de cette commission d’enquête, Philippe Dominati.

Il est important que nous puissions suivre, de façon constante, l’évolution de notre législation et de la jurisprudence dans les domaines financier et fiscal. Or cette délégation aurait permis au Sénat d’accroître son pouvoir de contrôle et, surtout, son pouvoir de suivi. Il faut sans doute voir dans ce refus le résultat d’une pression amicale de la commission des finances, qui a peut-être voulu garder la main sur ce dossier. C’est regrettable. Lors de la prochaine session parlementaire, monsieur le président la commission d’enquête, monsieur le rapporteur, il faudra donc remettre ce sujet sur le tapis. Il est en effet très important que nous suivions ce dossier de façon régulière et constante dans cette maison. Les marges de progrès sont grandes.

Je voudrais profiter de la présence de Philippe Dallier pour le féliciter du travail qu’il a produit sur la fraude à la TVA, conjointement avec notre collègue Albéric de Montgolfier.

Mme Nathalie Goulet. Je vous en prie, mon cher collègue. Vous avez l’immense mérite d’être présent ce matin pour nous écouter sur ce sujet important ! (Sourires.) Votre rapport est excellent !

Dans nos deux commissions d’enquête, nous avons soulevé à de très nombreuses reprises le problème des fraudes à la TVA et les marges de progrès extrêmement importantes en la matière. Il vaut mieux faire porter l’effort là-dessus qu’augmenter la TVA sur les centres équestres !

En tout cas, monsieur le ministre, sachez que nous sommes tous solidaires et mobilisés sur ce sujet. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron.

M. Jacques Chiron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête sur le rôle des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux nous a permis de prolonger le travail du Sénat sur l’évasion fiscale, après une première commission d’enquête, en 2012, qui avait précisé l’ampleur de ce fléau tout en proposant de nombreux outils pour le maîtriser.

Au terme de six mois d’audition d’une cinquantaine de personnalités diverses issues des secteurs de la banque, de la finance, des institutions financières et de régulation, nous avons rendu en octobre dernier un rapport qui recense les opportunités d’évasion des capitaux offertes par le fonctionnement de la finance et formule trente-quatre propositions, une nouvelle fois adoptées à l’unanimité.

Je profite de l’occasion pour remercier M. le président de la commission d’enquête et M. le rapporteur d’avoir su écouter chacun d’entre nous. C’est ce qui a permis cette unanimité.

Ces propositions ont pour but de combler les lacunes dans la gouvernance des systèmes de contrôle existants, de développer la supervision des institutions et d’élargir le champ d’intervention des autorités judiciaires.

Comme l’intitulé de notre rapport le rappelle, notre objectif est de « mieux connaître pour mieux combattre ».

Notre première mission, pour être efficace face à l’opacité de la circulation des richesses, est donc de remporter la bataille de l’information.

La complexité des infrastructures financières et la fragmentation des espaces de souveraineté ne facilitent pas cette tâche, comme nous l’avons tous dit.

Par rapport à nos travaux de 2012, il était donc nécessaire d’affiner notre diagnostic et de porter une attention particulière sur les liens entre la finance, ses acteurs, ses produits et l’évasion des capitaux.

Parmi les trente-quatre propositions que nous formulons, je souhaiterais, comme je l’ai déjà fait lors du débat relatif aux conventions internationales, insister sur la proposition n° 18, celle qui consiste à instaurer en Europe un FATCA, ou Foreign Account Tax Compliance Act.

Les mesures prises au niveau national sont indispensables, mais insuffisantes face à un phénomène financier qui dépasse largement les frontières.

Je salue néanmoins le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, que nous avons voté parallèlement à nos travaux. Il va permettre de renforcer l’efficacité de la lutte contre la corruption et la fraude, notamment en donnant des moyens supplémentaires à l’administration fiscale – même si certains, dont je fais partie, pensent qu’ils ne sont pas encore assez importants – et à l’autorité judiciaire, qui seront toutes deux dotées de nouveaux outils juridiques leur permettant de mieux détecter les anomalies et les fraudes potentielles, de surmonter l’hostilité ou l’inertie des acteurs récalcitrants et de sanctionner plus sévèrement.

La décision du Conseil constitutionnel, même si celui-ci a reconnu que le principe d’une amende calculée en pourcentage n’est pas en lui-même inconstitutionnel, affaiblit la lutte contre la fraude des personnes morales.

Cela étant, seule la généralisation à l’échelle européenne d’un dispositif efficace peut permettre de franchir une nouvelle étape décisive. En obligeant les banques ou les États à procéder à un échange automatique et exhaustif d’informations fiscales, sous peine d’une retenue à la source sur leurs flux financiers, nous pourrions réellement faire reculer le secret bancaire, tout en facilitant le travail de l’administration fiscale. En effet, cette dernière est parfois dépourvue devant le manque de collaboration de certains pays qui ne répondent pas à nos demandes de renseignements. À la suite des auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons également appris que même certaines banques attendent la généralisation de l’échange automatique d’informations.

L’instauration d’un « FATCA européen » ne doit pas se limiter à la généralisation d’une clause d’échange automatique d’informations par le biais de la révision des directives européennes de 2003 sur l’épargne et de 2011 sur la coopération administrative. Au sein de la commission d’enquête, il est proposé d’aller plus loin et d’étendre la communication des informations bancaires à toutes les banques du monde présentes en Europe, sous peine d’une retenue à la source sur leur bénéfice.

Cet accord devra, cette fois, s’appliquer sans sursis, sans période dérogatoire et dans les mêmes termes par tous les États. La force de l’Union européenne à vingt-huit permettrait ensuite de négocier des conventions fiscales, notamment avec la Suisse, à la hauteur des standards internationaux, et non en ordre dispersé, à l’instar des accords Rubik bilatéraux.

L’Union européenne a jusqu’ici été trop tolérante à l’égard de pays qui bloquent les tentatives de levée du secret bancaire et qui sont, pour certains d’entre eux, des refuges accueillants pour les grands groupes industriels mettant en œuvre des stratégies d’optimisation fiscale. C’est notamment le cas du Luxembourg, concernant les leaders mondiaux de l’économie numérique, au titre tant de la TVA que de l’impôt sur les sociétés.

Je note néanmoins que, ces derniers mois, de très nombreux signaux encourageants sont apparus en termes d’évolution des mentalités et de coopération internationale. Sous l’effet de la crise financière et bancaire, qui a mis en évidence le caractère plus que jamais inadmissible de l’incivisme fiscal des particuliers et des entreprises, la lutte contre l’évasion fiscale internationale est, depuis plusieurs mois, inscrite à l’ordre du jour des principales instances de décision, aux échelles mondiale et européenne. En particulier, l’échec des accords Rubik montre que le seuil de tolérance aux pratiques d’opacité financière, notamment en Allemagne ou au Royaume-Uni, a largement baissé.

Les pays du G8, en juin dernier, tout comme ceux du G20, lors du sommet de Saint-Pétersbourg, début septembre, ont réaffirmé avec force leur souhait de mettre en place l’échange automatique d’informations fiscales. L’échéance de la fin de l’année 2015 est même régulièrement évoquée. Après les premières petites avancées de pays comme la Suisse, l’Autriche et le Luxembourg concernant le secret bancaire ou la directive européenne sur l’épargne, c’est un nouveau pas en avant vers la transparence et l’équité fiscale qu’il nous faut forcer.

Par ailleurs, je me réjouis que le G20 ait pris en compte les recommandations de l’OCDE relatives à la taxation des multinationales, notamment celles du secteur du numérique, qui pour l’heure peuvent aisément se soustraire à l’impôt.

Enfin, l’Union européenne avance également à petits pas vers la révision de la directive sur l’épargne et a adopté une directive visant à renforcer la coopération administrative entre États, qui entrera bientôt en vigueur.

Confronté, comme la plupart de ses partenaires européens, à l’exigence de redresser ses comptes publics, notre pays a pris toute sa part dans ce mouvement pour faire revenir sur son territoire les ressources qui lui sont dues. Nos représentants ont exprimé, aux échelons européen et mondial, cette ambition de justice et d’équité qui peut permettre, à terme, de faire disparaître le secret bancaire et de faire reculer massivement les pratiques d’évasion et d’optimisation fiscales.

Au plan interne, si le Gouvernement a mis en place soixante mesures fortes par le biais d’un projet de loi volontariste que nous avons voté, il faut également noter que la circulaire du mois de juin dernier prise par le ministre délégué chargé du budget, Bernard Cazeneuve, a permis, en quatre mois, une augmentation significative du nombre de dossiers de demande de régularisation. Ce sont ainsi près de 8 500 fraudeurs, d’après les derniers chiffres dont je dispose, qui se sont fait connaître auprès de l’administration fiscale, soit deux fois plus qu’au cours des quatre années précédentes. Cette évolution, conséquence directe de la mise en œuvre des mesures gouvernementales, traduit la peur qu’inspirent les pressions nationales et internationales et le resserrement des mailles du filet. Cela montre que la tendance s’inverse – sur ce point, je suis plus optimiste que les précédents orateurs –, que les efforts engagés insécurisent les fraudeurs et instillent le doute quant à l’intérêt du bénéfice escompté par rapport aux risques encourus.

Chers collègues, l’étau se resserre, mais la bataille est encore loin d’être gagnée. Un certain nombre des soixante et une propositions que nous avions formulées au sein de la commission d’enquête sur l’évasion fiscale internationale, en 2012, ont été mises en œuvre ; d’autres sont à l’étude. Je souhaite que de nouveau notre voix soit entendue, que nos propositions trouvent une traduction dans la législation et dans nos appareils de contrôle. Le Sénat est pleinement dans son rôle de surveillance, de contrôle et d’évaluation en accomplissant cette mission au service du pays. Chacun de nos concitoyens appelle de ses vœux la justice fiscale et doit contribuer, en fonction de ses moyens, à la solidarité nationale.

En conclusion, je me réjouis de l’émergence d’un consensus national au-delà des sensibilités politiques, comme en témoigne l’adoption à l’unanimité des deux rapports, pour qu’enfin le monde de la finance soit mieux encadré. Nous ne réussirons à redresser nos comptes publics, à lutter contre l’évasion fiscale, le blanchiment et l’opacité du système financier que si nous sommes unis, prêts à soutenir les efforts de ceux qui, aux responsabilités, agissent, prêts à écouter ceux qui font des propositions utiles, notamment au Parlement, pour améliorer l’efficacité de nos dispositifs de lutte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que n'appartenant pas à la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l'évasion fiscale, je m'exprimerai au nom de mon groupe, en l'absence de mon excellent collègue et ami Yvon Collin, sur ce sujet de première importance.

J’ai cru comprendre que l'actualité politico-judiciaire a parfois rattrapé les travaux de la commission d'enquête, qui se sont déroulés dans une atmosphère quelque peu tendue : il est inutile de revenir sur les révélations de ces derniers mois, qui ont bouleversé certaines certitudes quant au caractère inébranlable du secret bancaire et de l'opacité des centres offshore par lesquels transitent la fraude et l'évasion fiscales.

Les conclusions de cette commission d'enquête sénatoriale n’en restent pas moins très intéressantes et méritent toute l’attention du législateur, à l’instar de celles de la commission d’enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France, en 2012.

Les travaux de la commission d’enquête présidée par M. Pillet ont débuté quelques mois seulement après les révélations du dossier Offshore Leaks. Depuis, les dirigeants des plus grandes puissances se mobilisent pour mettre en œuvre l'échange automatique d'informations, considéré désormais comme la solution pour lutter contre ces fléaux.

À la suite de l’adoption en 2010, par les États-Unis, de la loi FATCA obligeant l'ensemble des établissements financiers du monde à fournir les informations qu'ils détiennent sur les comptes et les flux financiers concernant directement ou indirectement des contribuables américains, les déclarations prônant l'échange automatique d'informations se sont multipliées.

Le 9 avril 2013, le ministre français de l'économie et des finances adresse, avec ses homologues britannique, allemand, espagnol et italien, un courrier à la Commission européenne demandant l'instauration d'un « FATCA européen ».

Fin avril 2013, les ministres des finances du G20, réunis à Washington, exhortent la communauté internationale à adopter l'échange automatique d'informations.

Le 12 juin, la Commission européenne publie une proposition tendant à étendre l'échange automatique d'informations entre les administrations fiscales de l’Union européenne.

Le 18 juin, David Cameron, ayant réuni ses homologues du G8 en Irlande du Nord, fait montre d'une grande détermination à lutter contre l'optimisation fiscale et contre les paradis fiscaux, y compris dans les territoires rattachés à la Couronne britannique. En outre, l'ensemble des dirigeants présents à ce sommet appellent à faire de l'échange automatique d'informations le « nouveau standard mondial ».

Le 20 juillet, lors de la réunion des ministres des finances du G20 à Saint-Pétersbourg, l'OCDE présente son plan d'action pour lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices, le BEPS.

Le 26 juillet, la France promulgue la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui comporte certaines dispositions visant à lutter contre les paradis fiscaux.

En septembre, le parlement suisse entérine l'accord avec les États-Unis relatif à la mise en œuvre du FATCA.

Enfin, le 5 novembre, le Parlement adopte définitivement le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Ce texte, dont certaines dispositions viennent d'être censurées par le Conseil constitutionnel, comporte, à n'en pas douter, des avancées qui permettront de pallier certaines carences mises en évidence par le rapport de la commission d'enquête.

Ainsi, la définition d'un délit de fraude fiscale aggravée, commis en bande organisée, permettra de mieux sanctionner les intermédiaires, qui échappent aujourd'hui à toute condamnation, mais sans qui la fraude fiscale serait sans doute, dans la plupart des cas, impossible.

À l'échelle internationale, l'OCDE est en train d'élaborer un « modèle de convention standardisé pour l'échange automatique d'informations », qu'elle devrait présenter dans le cadre de la prochaine réunion des ministres des finances du G20, qui se tiendra à Brisbane, en Australie, en septembre 2014.

Si l'échange automatique d’informations semble aujourd'hui s'imposer, c'est bien parce que les solutions précédemment mises en œuvre ont échoué. Ainsi, les différentes listes de paradis fiscaux ne se sont guère révélées efficaces ; elles sont aujourd'hui presque vides. Quant aux conventions bilatérales d'échange d'informations sur demande, si leur nombre a explosé depuis quelques années, on voit bien que la coopération effective est loin d'être une réalité avec tous les États. De même, les évaluations réalisées dans le cadre de la revue par les pairs ne semblent pas suivies d'effet.

L'échange automatique d’informations devrait permettre de lever un certain nombre d'obstacles qui ont permis jusqu'à présent à une concurrence fiscale dommageable de perdurer, voire de prospérer. Il faut donc se féliciter des prémices de sa mise en œuvre au niveau mondial. Toutefois, permettez-moi de ne pas être aussi enthousiaste que d'autres orateurs, car il me semble que, si l'échange automatique d'informations constitue une avancée indéniable, il ne résout pas un certain nombre de difficultés qu'il faudra nécessairement lever pour lutter efficacement contre la fraude et l'optimisation fiscales.

Ces difficultés se manifestent sur deux plans.

En amont, tout d'abord, les faiblesses du système juridique, institutionnel et fiscal de certains territoires conduisent tout simplement à l'absence d'informations échangeables ou à des informations très lacunaires. Pour ces juridictions totalement opaques, l'échange automatique d'informations ne changera rien. Quelles solutions la communauté internationale envisage-t-elle pour régler ce type de situations ?

En aval, ensuite, se pose la question du traitement et de l'exploitation des informations recueillies. Les moyens financiers et humains des administrations chargées de la lutte contre la fraude et le blanchiment, qui sont très largement insuffisants, comme le souligne le rapport de la commission d'enquête, devront être très significativement renforcés.

Je citerai, à titre d'exemple, une phrase tirée du rapport concernant TRACFIN : « Les efforts de productivité demandés à TRACFIN ne sont pas réalistes. Avec quatre-vingt-dix fonctionnaires pour traiter 30 000 informations par an, le déséquilibre est patent. » Or, avec l'échange automatique d'informations à l'échelle mondiale, ce déséquilibre sera plus manifeste encore.

En outre, au-delà des moyens, les compétences techniques de ceux qui sont chargés de surveiller une innovation financière toujours plus complexe doivent être adaptées. Comme le souligne le rapport, « le contrôle fiscal ainsi que les superviseurs financiers pourraient sans douter réaliser des gains de productivité par une meilleure coordination de leurs actions, […] ou encore par le développement du capital humain, qui appelle une formation permanente ».

Dès lors, les préconisations du rapport de la commission d'enquête visant à allouer des moyens suffisants à la lutte contre la fraude, l'évasion fiscale et le blanchiment, ainsi qu’à renforcer les effectifs et l'éventail de compétences de certaines entités spécialisées, sont plus que jamais d'actualité.

Le chemin à parcourir pour lutter efficacement contre la fraude et l'évasion fiscales reste long, aux plans tant national qu'international. C'est pourquoi, s'il faut soutenir sans hésitation l'échange automatique d'informations, il ne faut pas le considérer comme une solution miraculeuse et universelle. En effet, le meilleur remède reste sans conteste la dissuasion, grâce à la mise en place d’une politique exemplaire et systématique d'une grande fermeté à l'égard des fraudeurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Louis Duvernois.

M. Louis Duvernois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de mes nombreux déplacements à l’étranger, à la rencontre des communautés françaises expatriées, j’observe dans certains pays la réalité de l’évasion fiscale.

Je précise d’emblée que, malheureusement, un amalgame est très souvent pratiqué entre évadés fiscaux et expatriés, dont le départ est motivé par l’exercice ou la recherche d’un emploi à l’étranger. Je peux d’ailleurs témoigner que tous les expatriés ne roulent pas sur l’or, tant s’en faut !

L’évasion fiscale est une notion assez stigmatisante, qui ne reflète qu’une partie de la réalité. Il existe certes des personnes possédant de très gros patrimoines qui choisissent de s’installer dans un paradis fiscal. Si cette attitude est condamnable, elle peut toutefois se comprendre, en raison du matraquage fiscal pratiqué en France aujourd’hui. (M. Michel Berson s’exclame.)

Pour autant, l’érosion de la base fiscale et les témoignages d’avocats fiscalistes, notamment, nous donnent à penser que cet exil fiscal s’est accéléré au cours des dernières années.

À ce sujet, je tiens à saluer la pugnacité du président de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini, qui, à force d’insistance, est parvenu à obtenir de la Direction générale des finances publiques des données très instructives et édifiantes sur les départs à l’étranger de gros contribuables.

Ces données ne couvrent que la période courant jusqu’en 2011. Les chiffres pour l’année 2012 ne pourront être connus qu’au second semestre de 2014, mais la dynamique est engagée. Espérons que la communication établie entre l’administration et le Parlement perdurera et permettra de mesurer avec plus de précision la tendance actuelle, qui a une incidence importante sur nos recettes publiques.

L’Assemblée des Français de l’étranger, présidée de droit par le ministre des affaires étrangères, a en effet constaté qu’il était le plus souvent impossible de connaître le montant des prélèvements sociaux sur les revenus immobiliers et les plus-values immobilières de source française des non-résidents fiscaux, de même que la répartition entre non-résidents fiscaux, quelle que soit leur origine.

Pour mémoire, les revenus de location d’immeubles et les plus-values immobilières des non-résidents fiscaux sont désormais soumis aux prélèvements sociaux, en sus des droits d’enregistrement.

Le Sénat, quant à lui, s’intéresse depuis longtemps à l’évasion des capitaux. Le débat d’aujourd’hui s’inscrit donc dans la continuité de celui que nous avions eu en octobre 2012, à la suite de la publication du rapport de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.

Ce rapport fut le fruit d’un travail collectif de près de six mois, réunissant des sénateurs de toutes tendances politiques. Le rapport de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières présente, quant à lui, une analyse effectuée sous un angle différent.

Cette analyse de la complexité des circuits bancaires et de l’opacité des pratiques financières permettra de mieux cerner les limites légales de l’optimisation fiscale. Autrement dit, la question à laquelle ces rapports parlementaires visent à répondre est la suivante : y a-t-il une incitation à la fraude ?

Les grandes banques ont toutes, en effet, des filiales dans les paradis fiscaux. Quel est, par ailleurs, le rôle des multiples intervenants : avocats fiscalistes, assureurs, conseillers, sociétés financières, etc. ?

Par exemple, le shadow banking est un système parallèle qui regroupe des acteurs exemptés des disciplines s’appliquant aux banques. Il peut s’agir, pêle-mêle, de sociétés financières, de véhicules de titrisation, de fonds monétaires, de courtiers en valeurs mobilières, de hedge funds, parmi bien d’autres entités encore. Ce système représenterait près de la moitié du secteur bancaire régulé, soit 51 trillions de dollars en 2011….

Néanmoins, la lutte contre la fraude fiscale doit faire l’objet d’un travail en profondeur, transpartisan et étranger à toute volonté de récupération politique, à l’image de celui du Sénat.

Ainsi, soucieux de limiter l’onde de choc et le discrédit jeté sur la classe politique, le groupe UMP n’a pas approuvé la réaction à chaud du Gouvernement au lendemain de l’affaire Cahuzac et des dégâts qu’elle a occasionnés dans l’opinion. La censure, hier, par le Conseil constitutionnel de plusieurs articles de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale est l’illustration la plus fragrante des travers de la démarche du Gouvernement, monsieur le ministre.

Pour sa part, le rapport de la commission d’enquête est le fruit d’un travail plus réfléchi, qui a abouti à un certain nombre de propositions auxquelles je souscris bien entendu très largement.

Je partage l’idée d’améliorer la prévention par un renforcement de la transparence, mais aussi et surtout par une harmonisation fiscale à l’échelon européen, absolument nécessaire. Il convient également de renforcer la répression.

Au sein de l’Assemblée des Français de l’étranger, nous avons depuis longtemps reconnu la nécessité d’adopter certaines mesures, parmi lesquelles le renforcement de la coopération et de l’harmonisation fiscale, en particulier en Europe, l’amélioration de la surveillance fiscale des opérations de cession, d’acquisition et de fusion, l’adoption d’une approche pragmatique de la problématique, au spectre très large, des prix de transfert.

À travers l’ensemble des propositions allant dans le sens indiqué, le rapport de la commission d’enquête, adopté à l’unanimité, démontre une fois encore la qualité du travail sénatorial. Je souhaite remercier le président de la commission d’enquête, François Pillet, et le rapporteur, Éric Bocquet, d’avoir su travailler dans un climat constructif, en dépit de la diversité de leurs opinions, pour aboutir à un rapport objectif, dont, je l’espère ardemment, les propositions permettront de faire œuvre utile. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe CRC a été particulièrement inspiré de demander la création de cette seconde commission d’enquête sur la fraude et l’évasion fiscales et, en l’espèce, sur le recours aux services des établissements bancaires pour développer ces pratiques illégales ou aux franges de l’illégalité.

Il importait, à notre sens, de donner aux parlementaires, aux militants politiques, syndicaux, associatifs et, de manière plus générale, aux citoyens à réfléchir sur ces questions qui ont particulièrement occupé l’espace du débat depuis 2008.

Notre collègue Éric Bocquet, rapporteur des deux commissions d’enquête, constate d’ailleurs, en chaque occasion, un intérêt particulier pour l’ensemble des questions soulevées, qu’il s’agisse de la structure et de la consistance de la fraude et de l’évasion fiscales ou des acteurs et des auteurs de celles-ci, ainsi que des processus, des rouages et des circuits qui les organisent, les légitiment parfois.

Le monde de la finance n’a peut-être pas qu’un seul visage, pour reprendre une expression utilisée voilà moins de deux ans. Cependant, grâce au travail accompli par les deux commissions d’enquête du Sénat, il commence à être un peu mieux connu qu’il ne l’était jusqu’ici.

Cela n’est pas sans intérêt au moment où nous sommes confrontés au double défi de la nécessaire réforme fiscale et du redressement de notre pays, de son économie, de la reconstruction de la société selon des liens humains, fraternels et ouverts rendant possible le vivre ensemble.

Il ressort du rapport de cette seconde commission d’enquête que nos établissements de crédit ne jouent pas tout à fait le rôle que l’on serait en droit d’attendre d’eux, surtout dans le contexte économique et social actuel.

Pour nous, les établissements de crédit ont une fonction principale : dans le respect des conditions et des critères de solvabilité et de prudence requis, ils doivent faire en sorte que l’argent disponible, déposé par les particuliers, les entreprises, les collectivités locales soit affecté au soutien à l’activité économique. Telle est la dimension nodale de l’intervention bancaire dans notre pays.

Élue d’un département de forte tradition industrielle, mais lourdement frappé au cours des dernières décennies par les plans sociaux et les fermetures ou réductions d’activité et comptant aujourd’hui plus de 37 000 demandeurs d’emploi de catégorie A et près de 58 000 toutes catégories confondues, dont plus de 10 000 ne perçoivent plus désormais que le revenu de solidarité active, je sais les difficultés que rencontrent de nombreuses entreprises pour accéder au crédit bancaire, qu’il s’agisse de disposer d’une ligne de trésorerie pour faire face, notamment, à leurs obligations légales, sociales et fiscales ou de crédits leur permettant d’investir dans de nouveaux matériels ou processus de production, projets susceptibles de déboucher sur la création de nouveaux emplois.

Grosso modo, 10 milliards d’euros de revenus transitent chaque année sur les comptes bancaires des Ligériens. Les chiffres sont d’ailleurs corroborés par la Banque de France, qui indique que, sous une forme ou sous une autre – dépôts à vue, comptes sur livret, etc. –, 16,9 milliards d’euros sont disponibles dans les établissements de crédit du département de la Loire pour financer l’activité économique. À la même date, 16,4 milliards d’euros de crédits sont accordés à l’économie, dont 9,9 milliards sont, par nature, des crédits de long terme, puisqu’il s’agit de prêts immobiliers.

Que l’on ne s’y trompe pas, cette situation n’a rien d’exceptionnel ; elle est la marque d’un pays où l’on ne fait pas confiance aux entreprises quand elles veulent se développer, créer de la richesse et des emplois.

En septembre 2013, malgré la mise en place de la Banque publique d’investissement, la BPI, et la séparation des activités bancaires, la mobilisation des sommes disponibles au service du développement de l’activité économique restait donc faible.

Ainsi, à l’échelle nationale, pour un million de PME, plus de 50 milliards d’euros de ressources de crédit sont inemployées, et il en va de même pour nos 5 000 entreprises de taille intermédiaire.

Pour entrer davantage dans le détail, si le secteur de l’habitat et de l’immobilier bénéficie toujours d’un certain soutien financier, puisqu’il représente près de 328 milliards d’euros d’encours de crédits – il s’agit souvent d’emprunts de long terme –, l’industrie manufacturière est en délicatesse avec les banques, dans la mesure où, à la fin du mois de septembre, son encours de crédits s’élevait à 94,2 milliards d’euros, pour une enveloppe disponible de 184,8 milliards d’euros, soit un taux de mobilisation des capacités de crédit de 51 %, fort éloigné des 77 % communément atteints.

Il est donc temps que les banques changent de pratiques et de priorités, qu’il s’agisse de leurs activités de siège ou de celles de détail. Des choix de gestion bancaire privilégiant les activités pour compte propre, les opérations les plus juteuses et les plus rentables à court terme – collecte de l’épargne salariale à vue, captation de la trésorerie des entreprises, distribution de produits d’épargne défiscalisés – ne doivent plus conduire à brider, voire à anéantir, les potentiels de croissance, de création d’emplois, de réponse aux besoins collectifs. Et je ne parle même pas des opérations d’optimisation fiscale menées de longue main à partir des établissements de détail vers les filiales implantées dans des paradis fiscaux !

À nos yeux, la situation du secteur bancaire de notre pays suffit à prouver que nos difficultés ne tiennent pas à un « coût du travail » – pour reprendre une détestable expression très à la mode – qui serait trop élevé, à un système de prélèvements fiscaux et sociaux qui serait à la fois pesant et incompréhensible, à une absence d’innovation, de recherche et de développement… Pour notre part, nous sommes convaincus que la source de nos maux réside bel et bien dans une dichotomie dramatique entre capacités de financement et besoins de financement.

Alors que notre pays dispose de quelques-unes des grandes banques européennes et mondiales, riches de compétences et de capacités d’expertise, alors que le taux directeur de la Banque centrale européenne – grande caisse de refinancement de tous les acteurs du secteur financier – n’a jamais été aussi faible, il est anormal que nous ne puissions toujours pas envisager plus de neuf dixièmes de point de croissance du PIB pour 2014. Il n’est d’ailleurs même pas certain que cette croissance sera écologiquement responsable et acceptable !

À quelques jours de l’examen d’un collectif budgétaire par lequel la dette de l’État soldera définitivement le coût du désastre du Crédit lyonnais, il est grand temps que la puissance publique prenne l’initiative d’une nouvelle orientation de notre secteur bancaire. Pour reprendre l’image employée par notre collègue Corinne Bouchoux, il s’agira certainement de la « saison 3 » d’une série commencée il y a maintenant un peu plus de deux ans.

Monsieur le ministre, si nous nous félicitons bien sûr de votre présence dans cet hémicycle, nous regrettons cependant qu’aucun des ministres du « pôle de Bercy » n’ait pu vous accompagner.

Mme Nathalie Goulet. Remarque très pertinente !

Mme Cécile Cukierman. La libéralisation et la maîtrise privée du secteur bancaire n’ont pas apporté à l’économie française ce qui avait été annoncé. Les collectivités territoriales ont d’ailleurs payé pour l’apprendre, avec la faillite de Dexia, qui, au cours des dernières années, a distribué des emprunts toxiques pour lesquels aucune solution admissible n’a, de notre point de vue, encore été trouvée.

L’heure est aujourd’hui à la fixation de règles plus strictes en matière d’allocation des ressources des banques –cela peut commencer avec l’épargne défiscalisée – et, en tant que de besoin, au placement sous tutelle publique des établissements dont les pratiques ne seraient pas conformes aux nécessités du temps.

Le Gouvernement peut naturellement compter sur nous pour prendre l’initiative de nombreuses propositions et travailler avec lui à l’élaboration de solutions concrètes. Je le répète, il s’agit là d’un enjeu crucial pour notre économie, et partant pour nos concitoyennes et nos concitoyens. À cet égard, je salue de nouveau le travail accompli par l’ensemble des membres de la commission d’enquête, sous la houlette de son rapporteur, Éric Bocquet, et de son président. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Berson.

M. Michel Berson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport de la commission d’enquête s’inscrit dans la continuité d’une réflexion engagée par le Sénat. Il prolonge notamment les travaux d’une précédente commission d’enquête.

La somme des informations et la pertinence des propositions contenues dans le précédent rapport sont aujourd’hui pleinement confirmées. Elles sont même confortées, dans un contexte marqué par l’explosion de scandales frappant tout autant des individus que des institutions à forte notoriété.

Ces affaires concernent à la fois la fuite des capitaux des particuliers, l’évaporation fiscale des entreprises et les trafics de milieux criminels organisés. Dans un contexte de crise et d’efforts budgétaires, elles ont heurté à juste titre nos concitoyens et alimenté – hélas – la défiance à l’égard non seulement du système financier international, mais aussi des responsables politiques.

Il nous faut impérativement mieux connaître les défaillances du système bancaire et des acteurs financiers, grâce à l’expertise et à l’analyse. Il nous faut impérativement mieux connaître leur rôle dans l’évasion des capitaux, afin de mieux les comprendre et de mieux les combattre, pour paraphraser l’intitulé du rapport.

À cet égard, je me réjouis à mon tour du travail accompli par notre commission d’enquête. Je soutiens bien sûr pleinement ses propositions concrètes, précises et parfois techniques, qui, si elles sont suivies d’effet, permettront de doter notre démocratie des armes nécessaires pour combattre la fraude et le crime fiscaux.

Ce que la crise de 2008 a révélé au grand jour, notamment avec la faillite de Lehman Brothers, c’est le risque qu’il y avait à considérer comme acquis le principe du too big to fail, qui prévalait alors dans le domaine des institutions financières. Au-delà de la surprise qu’elle a causée, cette faillite a mis au jour le manque de visibilité de la situation réelle des banques et les faiblesses du système financier international. À ce titre, le constat dressé dans le rapport est très éclairant quant au rôle des places offshore, aux pratiques édifiantes des banques et à la place de certains pays dans les stratégies d’évasion fiscale. Ces dernières constituent un risque majeur et évident de déstabilisation des économies.

Est-il besoin de rappeler la crise chypriote du printemps dernier ? Les actifs des banques locales représentaient alors 750 % du PIB de ce pays, qui dénombrait 1 400 demandes d’enregistrement de sociétés russes pour le seul mois de janvier 2012 !

L’implosion du secteur bancaire, sur lequel était fondé le modèle de renaissance économique de Chypre, a été largement due à la recherche d’une situation de rente par le biais d’une fiscalité exagérément avantageuse pour le secteur financier et d’une ouverture excessive aux sociétés offshore.

Plus généralement, la disproportion entre la taille de l’économie d’un pays et le volume de ses actifs financiers est éloquente. Comment expliquer que les îles Caïmans ou le Luxembourg soient destinataires d’investissements transnationaux à hauteur de 2 000 milliards d’euros chacun en 2011, quand le Brésil et la Chine réunis pèsent pour moins de la moitié ?

Parallèlement – ce constat a été fréquemment rappelé au cours des auditions –, l’opacité de l’organisation bancaire ne permet pas un travail efficace des organismes de contrôle. Le déploiement des filiales des banques est aujourd’hui tel qu’il est impossible de déterminer le périmètre de chaque établissement.

Face à cette situation, un certain nombre d’initiatives ont été prises en France, depuis deux ans, pour améliorer la visibilité et renforcer le contrôle des activités bancaires.

À ce titre, j’évoquerai l’adoption de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, que la Haute Assemblée a enrichie en tenant compte des premiers travaux de notre commission d’enquête. Je songe par exemple à la séparation des activités bancaires, qui va dans le sens d’une limitation des risques pour les particuliers et d’un meilleur encadrement des filiales, ou à l’obligation faite aux banques de publier des informations précises sur leurs activités, filiale par filiale, pays par pays, comme le préconise la commission d’enquête via sa proposition n° 21.

J’évoquerai également la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Ce texte a durci les sanctions en cas de défaut de réponse ou de réponse partielle à une mise en demeure de produire certains éléments déclaratifs relatifs aux actionnaires, aux filiales et aux participations. Il a en outre étendu le champ de compétence de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale.

Enfin, on peut se féliciter que, sur l’initiative du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, des dispositions rendant obligatoire la déclaration des schémas d’optimisation fiscale aient été introduites dans le projet de loi de finances pour 2014,…

M. Michel Berson. … en écho à la proposition n° 22 de la commission d’enquête.

L’environnement de la lutte contre l’évasion des capitaux connaît ainsi de profondes évolutions dans notre pays, mais d’importants chantiers restent à mener à bien.

Plusieurs auditions ont mis en évidence le fait que notre système demeure défaillant lorsqu’il relève de décisions individuelles. Cela vaut dans les deux sens.

En premier lieu, de quelles protections bénéficient le lanceur d’alerte ou l’employé constatant des irrégularités ? Le cas médiatique de M. Falciani, dans l’affaire HSBC, et le changement de position de la France à son égard sont éclairants.

En second lieu, ceux qui manient le risque dans le cadre d’une recherche de profit devraient être astreints à des obligations les responsabilisant fortement individuellement.

C’est donc une véritable révolution culturelle qu’il faut engager, en nous efforçant d’améliorer notre connaissance des multinationales financières et de leurs bénéfices réels, ainsi que de mieux organiser le contrôle et la supervision des institutions bancaires. Cette révolution culturelle passe d’abord par la pleine transparence des comptes bancaires et par des dispositifs d’échange automatique d’informations entre banques et administration fiscale. C’est la mise en place d’une telle force de frappe qui a permis aux États-Unis d’obtenir, au cours des derniers mois, des résultats qui semblaient hors d’atteinte voilà seulement cinq ans.

Nous devons, nous aussi, nous fixer cet objectif avec nos partenaires européens, au cours des mois à venir. Il y va de notre crédibilité comme de notre efficacité dans le combat contre la fraude et l’évasion fiscales, dont le coût, pour les finances publiques, est énorme : 2 000 euros par an et par habitant dans l’espace européen, et 60 milliards d’euros pour la France chaque année, soit une fois et demie le budget de l’éducation nationale !

Pour conclure, je voudrais attirer l’attention du Gouvernement sur deux points.

Tout d’abord, je voudrais insister sur la dernière proposition formulée dans notre rapport, relative au « verrou de Bercy ».

M. Michel Berson. Voilà des années que nous appelons de nos vœux une meilleure collaboration entre l’administration fiscale et le juge pénal. Il me semble hautement souhaitable de renforcer les moyens de l’administration dans la lutte contre le crime fiscal. Parallèlement, il faut permettre aux magistrats d’enquêter et de poursuivre beaucoup plus librement les délinquants lorsqu’il s’agit de fraude fiscale dite « complexe », au-delà des seuls cas de blanchiment fiscal.

Ensuite, je voudrais souligner que l’échelon européen est assurément le niveau d’intervention pertinent pour mener une lutte efficace contre l’évasion des ressources fiscales.

À ce titre, on peut se féliciter du rôle renforcé de supervision et de contrôle maintenant dévolu à la BCE. Il faut cependant aller beaucoup plus loin, notamment vers une harmonisation fiscale européenne et l’instauration de la taxe sur les transactions financières. Après l’échec d’une initiative européenne, la France doit jouer un rôle moteur. Elle ne saurait, à mon sens, adopter une attitude frileuse, qui entraînerait un recul de la nécessaire coopération renforcée en la matière.

Je voudrais saluer à mon tour la qualité du travail accompli par le président, le rapporteur et l’ensemble des membres de la commission d’enquête. Ce travail prend aujourd’hui une dimension nouvelle, avec la récente décision du Gouvernement d’ouvrir un très large débat sur la fiscalité. Le rapport de la commission d’enquête est en quelque sorte la première contribution du Sénat à ce grand débat national. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer le sérieux du travail accompli par la commission d’enquête. Au cours des auditions très diverses qu’elle a menées, nous avons souvent été saisis de vertige devant le toupet d’opérateurs n’hésitant pas à organiser des road shows en France pour proposer des montages d’évasion fiscale à de riches particuliers ou à des entreprises, ou encore devant la multiplication des moyens de se soustraire aux règles nationales qu’induit la conjugaison des nouvelles technologies de l’information et d’une ingéniosité financière de plus en plus élaborée.

Ces nouvelles technologies et internet rendent plus que jamais d’actualité les propos que Salvador Allende tenait à la tribune des Nations unies en 1972 :

« Nous faisons face à un conflit frontal entre les entreprises transnationales et les États. Ceux-ci sont court-circuités dans leurs décisions fondamentales – politiques, économiques et militaires – par des organisations globales qui ne dépendent d’aucun État et dont les activités ne sont contrôlées par aucun parlement ni aucune institution représentative de l’intérêt collectif. »

Mme Nathalie Goulet. Cela ne lui a pas réussi…

M. Jean-Yves Leconte. Lors de la crise financière de 2008, des institutions financières défaillantes ont fait appel à la puissance publique pour assurer leur sauvetage. Le soutien alors apporté obère aujourd’hui les capacités de beaucoup d’États à développer des politiques publiques et les contraint à la rigueur budgétaire, sinon à l’austérité. Dans ces conditions, il n’a pas manqué d’être particulièrement mal ressenti par l’opinion publique, le sentiment d’injustice et de révolte étant encore renforcé par le fait que les institutions financières aidées sont souvent les moins vertueuses. Dans ce contexte, la fraude et l’évasion fiscales sont de moins en moins tolérées.

On constate depuis de nombreuses années un décalage, croissant de façon exponentielle, entre les engagements des établissements financiers et la situation de l’économie réelle. Les travaux d’une commission d’enquête sur les agences de notation, en particulier, avaient mis en évidence l’ampleur de cet écart, qui s’explique en partie par le développement des produits dérivés, celui du trading à haute fréquence et la sophistication grandissante des algorithmes utilisés. Ces outils répondent parfois à de réels besoins, en permettant par exemple de limiter un risque donné, mais, globalement, la croissance des engagements des établissements financiers est, je le répète, en complet décalage avec celle de l’économie réelle. Or, les moyens de la puissance publique étant pour leur part fonction de l’économie réelle, il est difficile aux États de surveiller et de réguler les établissements financiers afin de prévenir une réédition de la crise de 2008.

Devant ce problème, bien entendu, la coopération multilatérale et européenne apparaît comme la principale solution. Elle doit cependant être mise en œuvre de manière complète et franche. Concernant les paradis fiscaux, par exemple, il ne faut plus accepter que la signature d’accords bilatéraux puisse permettre aux pays en cause d’être rayés des listes noires. Il faut également se garder de l’hypocrisie : même des États prétendument vertueux abritent, dans des territoires relevant de leur souveraineté, des paradis fiscaux où l’on pratique certaines opérations non avouables. Il importe de sortir de cette situation.

En outre, il ne faut plus signer de conventions fiscales répondant à des visées commerciales, comme cela a pu être fait avec le Panama ou avec le Qatar.

Mme Nathalie Goulet. Ah ! c’est notre combat commun !

M. Jean-Yves Leconte. Un accord de coopération fiscale ne peut être signé simplement pour obtenir un marché,…

M. Jean-Yves Leconte. … sauf à discréditer l’ensemble de notre démarche.

M. Jacques Chiron. Très bien ! C’est exactement ce qui s’est passé en 2011 !

M. Jean-Yves Leconte. Nous savons que quelques-uns des vingt-huit pays composant l’Union européenne pratiquent encore le secret bancaire. Celui-ci doit être dénoncé comme un cancer, même s’il ne pourra être levé que progressivement. Cette exigence, que l’Union européenne n’avait pas posée à l’origine, est maintenant incontournable, en raison de la coopération budgétaire, de l’existence de la zone euro, du renforcement des solidarités. Nous ne pouvons plus tolérer ce qui pouvait peut-être paraître autrefois acceptable de la part d’États tels que le Luxembourg ou l’Autriche, ainsi que la Suisse, qui est associée à l’Union européenne par nombre de traités bilatéraux.

Par ailleurs, les vingt-huit membres de l’Union européenne sont théoriquement susceptibles de contracter 756 conventions fiscales bilatérales entre eux. Comment s’y retrouver ? N’est-il pas temps de mettre en place une convergence fiscale à l’échelle de l’Union européenne ? Sans cela, nous en resterons aux paroles, et les actes ne suivront pas !

M. François Pillet, président de la commission d’enquête. Tout à fait !

M. Jean-Yves Leconte. Il est important d’aller dans cette direction, et je suis particulièrement satisfait que cela fasse partie des axes de la réorientation de l’Europe que le Président de la République a mis en œuvre depuis son élection et qui seront, j’en suis certain, au cœur des élections européennes, l’année prochaine.

La proposition n° 17 du rapport, introduite sur l’initiative de Mme Goulet, concerne l’interdiction des cartes bancaires non nominatives. Je partage cette préoccupation, car outre que ces cartes peuvent servir à des pratiques d’évasion fiscale, il n’existe aucun réel moyen de contrôler l’activité des organismes qui les vendent.

Une autre proposition à mon sens particulièrement intéressante a trait aux prérogatives des instances représentatives du personnel dans les établissements financiers. Il me paraît important que les salariés dénonçant des agissements contraires à l’intérêt collectif puissent être protégés.

Concernant la prévention des conflits d’intérêts, il faut limiter les allers et retours entre secteur public et secteur privé, en les soumettant à des règles précises.

Enfin, l’évasion fiscale deviendra plus difficile si l’harmonisation progresse.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jean-Yves Leconte. Nous avons fortement renforcé notre arsenal répressif depuis un an. Toutefois, il ne s’agit que de réparation, et non d’action positive. Pour cela, il faut nous engager sur la voie de l’harmonisation fiscale à l’échelon européen.

M. François Pillet, président de la commission d’enquête. Là encore, je suis tout à fait d’accord !

M. Jean-Yves Leconte. L’impôt doit être lisible. Il a beaucoup été question de l’échange automatique d’informations durant ce débat, mais il ne peut donner de résultats exploitables si, d’un pays à l’autre, on ne parle pas du même impôt. Pis encore, la démarche sera décrédibilisée. L’échange automatique d’informations est, bien sûr, indispensable, mais, sans lisibilité de nos impôts et de ceux de nos partenaires, il ne sert à rien !

M. François Pillet, président de la commission d’enquête. Bien sûr !

M. Jean-Yves Leconte. L’efficacité est également indispensable, faute de quoi la puissance publique n’a pas les moyens d’agir. Enfin, la stabilité est nécessaire,…

M. Philippe Dallier. La stabilité… Vous faites bien d’en parler !

M. François Pillet, président de la commission d’enquête. J’apprécie d’entendre cela !

M. Jean-Yves Leconte. … afin que les opérateurs économiques que nous souhaitons attirer sur notre territoire puissent être confiants dans l’évolution de notre pays.

Les entreprises ont besoin de sécurité juridique et de marchés. Elles doivent aussi inspirer confiance à leurs clients, à leurs fournisseurs et aux investisseurs. Tout cela, les paradis fiscaux ne peuvent pas l’offrir, car ils ne sont pas des paradis du droit !

Pour conclure, j’insisterai une fois encore sur la nécessité de l’harmonisation.

Cela étant, dans notre volonté de lutter contre l’évasion fiscale, soyons attentifs à ne pas tuer ceux qui veulent créer de l’activité en France, en inscrivant dans notre code général des impôts des règles trop tatillonnes en matière de prix de transfert. Au cours des dernières années, un certain nombre d’entreprises ont préféré s’installer ailleurs que chez nous pour cette raison. J’attire l’attention sur ce point parce qu’il me semble que nous sommes allés trop loin dans ce domaine. Cela n’aide pas nos entreprises à créer de la valeur, à exporter et donc à participer au redressement de nos comptes publics en payant l’impôt ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Pierre Moscovici, qui n’a pu annuler un déplacement prévu de longue date. L’ordre du jour du Sénat a été modifié dans les circonstances que vous connaissez…

Mme Éliane Assassi. C’est notre faute ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Pour ma part, je me réjouis d’être parmi vous ce matin pour participer à ce débat d’une grande importance.

Monsieur le rapporteur Éric Bocquet, vous avez contribué, par un premier rapport, à amorcer la lutte acharnée contre la fraude et l’évasion fiscales que le Gouvernement met en œuvre avec détermination depuis quelques mois.

Cette fois-ci, vous vous êtes interrogé plus spécifiquement sur le rôle des banques dans le phénomène de l’évasion fiscale internationale.

Il s’agit évidemment d’un sujet central, qui peut être abordé sous deux aspects : la lutte contre l’opacité fiscale et le secret bancaire, d’une part ; la lutte contre le blanchiment, d’autre part.

Vous l’aurez compris, le Gouvernement a fait de la lutte contre la fraude fiscale une priorité. En cette période de crise économique et sociale où les Français sont mis à contribution pour le redressement du pays, la fraude, alliant l’injustice au sentiment d’impunité, devient purement et simplement insupportable. C’est ce qui détermine l’action du Gouvernement dans la lutte contre les paradis fiscaux : il s’agit de rendre moins attractifs ces territoires pour resserrer l’étau sur les fraudeurs, de développer les moyens d’investigation pour identifier ceux qui ne paient pas l’impôt dû, d’étendre les sanctions pour ne pas laisser impunis ceux qui méconnaissent ou détournent les règles.

Avant de répondre à quelques-unes des questions que vous avez soulevées, permettez-moi d’insister sur le fait que, en matière de lutte contre les paradis fiscaux, on ne peut pas agir seul : les évolutions internationales sont décisives. Ce qui s’est produit depuis plusieurs mois est inédit, et je crois pouvoir dire que l’action de la France a beaucoup compté.

Toutefois, pour lutter contre l’opacité fiscale de certains territoires, rien n’est possible sans l’établissement de normes internationales, et donc sans l’action de l’Union européenne et du G20.

En ce qui concerne la lutte contre l’opacité fiscale et le secret bancaire, je voudrais rappeler les quelques évolutions décisives intervenues ces derniers mois à l’échelon international. C’est évidemment ce niveau d’action qui est, dans ce domaine, déterminant.

Il n’y a pas si longtemps, il a été dit que le secret bancaire, c’était terminé. C’était après le sommet du G20 de Londres, qui a donné une impulsion décisive à ces travaux sur le plan international, mais n’a pas éradiqué, tant s’en faut, le secret bancaire.

Je comprends donc que certains soient désormais quelque peu méfiants lorsqu’ils entendent dire que le monde a basculé ! Le Gouvernement soutient aujourd'hui que le secret bancaire vacille comme il n’avait jamais vacillé. C’est un fait absolument inédit : un véritable consensus a émergé en vue de prendre des mesures efficaces afin que chacun paie sa juste part d’impôt. Plus précisément, une idée s’est affirmée, celle de la transparence fiscale.

Certains raillent le fait que rien ne se serait produit sans les États-Unis, qui ont mis en place, en 2010, la loi dite FATCA. Cette loi, qui institue l’obligation, pour les établissements financiers étrangers, de fournir aux autorités fiscales américaines des informations détaillées sur les comptes bancaires détenus par des contribuables américains a, il est vrai, marqué un tournant. Faut-il s’en plaindre, dès lors que c’est précisément cette législation qui nous permet aujourd’hui de demander à nos partenaires européens, et bientôt à ceux du G20, une information équivalente à celle qu’ils fourniront aux États-Unis ?

Pour ma part, je ne le pense pas. Le fait qu’un État ait su imposer aux plus récalcitrants le principe de l’échange automatique d’informations a permis à ses partenaires européens – la France en premier lieu – de promouvoir plus que jamais cette exigence au sein des instances internationales, et de faire en sorte que l’échange automatique d’informations devienne un standard.

Par ailleurs, si les évolutions internationales sont décisives, cela ne signifie pas pour autant que nous restons inactifs sur le plan interne ou bilatéral. J’en veux pour preuve la signature avec la Suisse, au mois de juillet dernier, de la convention relative aux successions, qui contient des dispositions importantes en matière d’échange de renseignements, ou encore le projet de loi de lutte contre la fraude et la grande délinquance économique et financière, dont une disposition, introduite par voie d’amendement, prévoit l’inscription sur notre liste interne des paradis fiscaux de tous les États qui auront refusé de s’engager dans le domaine de l’échange automatique d’informations.

À ceux qui croient ou affirment que la décision du Conseil constitutionnel aurait détruit tout l’arsenal juridique, notamment les mesures dont je viens de parler, je veux rappeler que la quasi-totalité des dispositions ont été validées.

J’en viens maintenant aux questions abordées par les différents intervenants.

Plusieurs ont évoqué le « verrou de Bercy ».

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Il convient avant tout de bien préciser de quoi on parle : ce verrou ne concerne que le délit de fraude fiscale, et non pas – cela est d’ailleurs indiqué dans le rapport – l’ensemble des infractions fiscales, notamment la pratique du « carrousel de TVA ».

Si l’on considère objectivement l’évolution du droit et de la pratique administrative, il apparaît qu’un juste équilibre a été atteint, ces dernières années, en matière de poursuites pour blanchiment de fraude fiscale, entre l’action de l’administration fiscale et celle de la justice.

À cet égard, vous avez interrogé, monsieur le rapporteur, le Gouvernement sur l’action de TRACFIN, concernant notamment l’échange d’informations.

En ce qui concerne le contrôle fiscal, TRACFIN a adressé à l’administration fiscale près de 400 notes de renseignements entre le 1er octobre 2009 et le 31 décembre 2012. Après exploitation de ces renseignements, des rappels d’impôts pour près de 500 millions d’euros ont été, à ce jour, effectués et des plaintes pour fraude fiscale ont été déposées par l’administration fiscale, qui transmet aussi régulièrement des informations à TRACFIN : ainsi, 572 signalements lui ont été transmis en 2012.

Il est naturellement toujours possible d’améliorer la circulation des informations, mais je souhaitais rappeler très précisément ces chiffres, pour répondre à la préoccupation légitime que vous avez exprimée.

M. le président de la commission d’enquête a évoqué l’importance de la procédure de l’abus de droit fiscal. Celle-ci, je le confirme, est cruciale pour permettre à l’administration de procéder à un redressement. À cet égard, l'Assemblée nationale a adopté, lors de l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances, des dispositions visant à renforcer cette procédure. En outre, elle a voté l’obligation de déclaration préalable des schémas d’optimisation fiscale.

Mme Nathalie Goulet. Nous l’avions aussi demandée !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Ces mesures sont de nature, me semble-t-il, à répondre à vos préoccupations.

En ce qui concerne les modalités de régularisation fiscale au regard de la mise en application de la circulaire dite Cazeneuve de juin 2013, le succès de cette procédure, qui repose sur la transparence et le droit commun, contrairement à toutes les procédures antérieures, est désormais incontesté. À ce jour, ce sont près de 9 000 procédures qui ont été engagées. C’est précisément la prise de conscience, par nos concitoyens, du fait que les progrès de la lutte contre la fraude fiscale, notamment au travers de l’échange automatique d’informations, ne laissent plus de place aux « espérances » des fraudeurs qui est à l’origine du succès de cette procédure.

Monsieur le rapporteur, vous considérez que la finance risque d’être toujours en avance sur la législation. C’est la raison pour laquelle l’arsenal de mesures adoptées dans le cadre du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, dont la quasi-totalité des dispositions ont été, je le répète, validées par le Conseil constitutionnel, est essentiel. Avec cette loi, nous renforçons les moyens de l’administration fiscale dans sa course avec la finance.

Sans entrer dans les détails, je rappellerai que la police judiciaire fiscale verra ses compétences élargies, que la fraude fiscale commise en bande organisée sera plus lourdement sanctionnée, que l’administration disposera de nouvelles informations et que les possibilités de contrôle de l’administration pour lutter contre la fraude fiscale des entreprises seront considérablement renforcées. Si des moyens législatifs complémentaires se révèlent nécessaires, le Gouvernement les mettra en place.

Concernant la promotion et la mise en œuvre de l’échange automatique d’informations, je partage votre constat, monsieur le rapporteur : l’échange d’informations sur demande a montré ses limites. C’est précisément la raison pour laquelle la France se bat, au sein des instances internationales, pour faire de l’échange automatique d’informations un standard incontournable.

Au niveau européen, la directive Épargne sera discutée lors du Conseil Ecofin qui se tiendra la semaine prochaine et, s’il le faut, lors du Conseil européen qui aura lieu à la fin de l’année. Par ailleurs, une nouvelle directive portant sur l’ensemble des revenus et imposant l’échange automatique d’informations est en cours de discussion.

Au niveau du G20, l’échange automatique d’informations a été reconnu comme un standard ; la France a beaucoup pesé en ce sens.

Au niveau interne, le Conseil constitutionnel a considéré que l’introduction du critère du refus de l’échange automatique d’informations pour l’inscription sur notre liste des paradis fiscaux était prématurée, car disproportionnée. Je ne partage pas votre pessimisme quant à la suite des événements. Nous poursuivons l’analyse de la décision du Conseil constitutionnel, dont le Gouvernement ne peut bien sûr que prendre acte. Cela n’enlève rien à la détermination de celui-ci à atteindre ses objectifs, tels qu’il les avait inscrits initialement dans la loi.

Mme Goulet a exprimé son intérêt pour le statut de lanceur d'alerte, auquel je suis particulièrement attentif. D'une façon générale, le statut de lanceur d'alerte est une innovation que le Gouvernement juge importante, comme il l'a montré au travers de deux lois, en particulier la loi relative à la transparence de la vie publique.

Encore faudrait-il que, lorsque la France veut promouvoir ce concept dans le concert européen, on ne puisse lui renvoyer l'écho de certaines déclarations, faites dans les hémicycles parlementaires, selon lesquelles les lanceurs d'alerte seraient des délateurs, qui nous ramènent aux heures les plus sombres de notre histoire… Ces paroles ne sont pas de vous, madame Goulet, mais je veux souligner que, même si nous avons abouti, de tels propos entrent quelque peu en contradiction avec ceux que nous entendons aujourd'hui s'agissant de la transmission et de l'échange d'informations. On ne peut à la fois se dire favorable à l’échange automatique d'informations à tous les niveaux et s'opposer à l’intervention des lanceurs d'alerte dans le champ de l'initiative citoyenne. Je n’y insiste pas, mais il y a là, me semble-t-il, une contradiction majeure sur le plan conceptuel, sinon politique…

Les propos de M. Duvernois m'ont parfois surpris. Il comprendra que je n’adhère pas à sa pétition de principe selon laquelle l’évasion fiscale s'expliquerait par un matraquage fiscal. Du reste, il s’agit là d’un tout autre débat, qui supposerait un rappel de l’histoire des dernières années…

Par ailleurs, à la suite d'une affaire que vous avez évoquée, ainsi que Mme Goulet, le Gouvernement a réagi en faisant adopter des lois sur la transparence de la vie publique.

Monsieur Chiron, comme vous l’avez dit, l'étau se resserre, mais la bataille est loin d'être gagnée. C'est aussi, me semble-t-il, la conclusion du rapport d'information. L'action du Gouvernement, sur le plan européen, sur le plan international et sur le plan du droit interne, au travers de toutes les initiatives que j'ai rappelées, contribue à resserrer l'étau.

La question fiscale est aujourd’hui au cœur du débat. Cela est naturel, car il s'agit non pas d'une question technique, mais d'une question politique, qui pose le problème de la justice fiscale et, surtout, celui du respect du pacte républicain. C’est en ce sens qu’il s’agit d’une question majeure, essentielle. Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, d'avoir contribué, par vos travaux de ce matin, à la traiter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures, pour les questions cribles thématiques sur l’accès à la justice et la justice de proximité.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel

M. le président. La séance est reprise.

3

Questions cribles thématiques

accès à la justice et justice de proximité

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’accès à la justice et la justice de proximité.

Je rappelle que l’auteur de la question et la ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. En touchant principalement les tribunaux d’instance, la réforme de la carte judiciaire a porté sur les juridictions les plus proches des gens. Cette réforme, exemple parmi d’autres de la destruction méthodique du service public de la justice, menée dans la précipitation, sans concertation réelle avec les organisations syndicales, a visé un objectif exclusivement comptable qu’elle n’a même pas atteint, du fait de son coût.

Aujourd’hui, une autre réforme est pressentie. En tout cas, elle semble nécessaire, mes chers collègues.

Il y a un an, notre commission des lois présentait au Sénat, lors d’un débat en séance publique, les conclusions du rapport de Nicole Borvo Cohen-Seat et d’Yves Détraigne sur la réforme de la carte judiciaire dans lesquelles plusieurs pistes étaient envisagées. Récemment, notre collègue Yves Détraigne a poursuivi ses travaux avec Virginie Klès.

Après s’être accordés sur l’intérêt d’une simplification de l’organisation de la justice de première instance, nos collègues ont approfondi l’une des pistes qui était déjà évoquée dans le premier rapport : le tribunal de première instance aurait vocation à réunir en une même juridiction toutes celles – ou pratiquement toutes au terme des dernières réflexions – que nous connaissons actuellement en première instance. Nous savons que vous menez des réflexions à ce sujet dans le cadre de la concertation, madame la garde des sceaux, et que des conclusions seront rendues prochainement. Quelle que soit la piste proposée, pouvez-vous nous assurer que le réseau juridictionnel n’en pâtira pas et que la présence d’un tribunal sur chaque territoire au plus près de nos concitoyennes et de nos concitoyens sera privilégiée ? Par exemple, si la piste du tribunal de première instance était retenue, il ne faudrait pas que cela conduise à la suppression de nouvelles implantations judiciaires.

Il est également nécessaire de préserver la spécialisation des magistrats. Comme le souligne le rapport Klès-Détraigne, « les magistrats spécialisés tiennent à leur spécialisation et peuvent craindre que le tribunal de première instance, entendu comme un outil de mutualisation des effectifs de magistrats et de greffiers, ne tende à diluer cette spécialisation ». Au nom d’une préoccupation d’ordre pratique concernant l’accès du citoyen à la justice, il ne serait effectivement pas pertinent de revenir sur la tradition française de certains tribunaux de première instance, tels les conseils de prud’hommes, les tribunaux pour enfants ou les juridictions sociales.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je puis d’emblée vous rassurer, madame Cukierman, la réforme judiciaire que nous envisageons ne conduira pas à la fermeture du moindre site judiciaire.

Concernant ce que vous appelez la spécialisation des magistrats, et donc nos juridictions spécialisées telles que les conseils de prud’hommes et diverses juridictions sociales, il y aurait, là aussi, un besoin de cohérence, mais la spécialité de ces juridictions sera préservée.

Nous nous préoccupons d’assurer la proximité, c'est-à-dire que le justiciable dispose au plus près d’un site judiciaire qui lui rende les services attendus. Pour ces raisons, je le répète, aucun site judiciaire ne sera fermé, j’entends par là y compris les maisons de justice et du droit. Le Président de la République s’est engagé sur la proximité, l’efficacité et la diligence de la justice. Ce sont nos objectifs !

Comme vous le savez, j’ai ouvert quatre grands chantiers en vue d’aboutir à une réforme judiciaire. La constitution des groupes, leurs travaux, la consultation des juridictions – je me rends fréquemment sur place – demandent du temps. J’espérais aller plus vite, mais je me suis résignée à prendre le temps nécessaire.

Les 10 et 11 janvier prochain, nous organiserons un grand colloque à la Maison de l’UNESCO au cours duquel seront présentées les préconisations de ces quatre grands chantiers : l’office du juge au XXIe siècle, le magistrat du XXIe siècle et son équipe d’assistants spécialisés, les juridictions du XXIe siècle – chantier auquel se rapporte le travail de très grande qualité de Mme Klès et de M. Détraigne, que j’ai reçus récemment à la Chancellerie –, ainsi que la modernisation de l’action publique. Évidemment, je tiendrai informée la représentation nationale de l’évolution de ces réflexions. Il me reste encore à recevoir deux rapports.

Vous êtes bien sûr invités à ce grand événement, mesdames, messieurs les sénateurs : votre parole compte, elle est extrêmement importante. Je connais la qualité des travaux qui sont produits au Sénat, et nous nous en inspirons. Nous arriverons à écrire une belle réforme judiciaire, dont l’objectif majeur sera de servir le citoyen.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.

Mme Cécile Cukierman. Je vous remercie, madame la garde des sceaux, de ces précisions importantes. Elles rassureront à la fois les professionnels de la justice, les organisations syndicales et, plus largement, les citoyennes et les citoyens qui ont affaire à la justice ainsi que les élus locaux, qui se sont sentis parfois pris au dépourvu par la diminution de la présence judiciaire sur leur territoire ces dernières années.

Nous serons bien évidemment attentifs au résultat des travaux qui sont actuellement menés sur la justice du XXIe siècle. La commission des lois du Sénat travaille pour sa part sur un certain nombre de rapports et de propositions. Nous y participons et souhaitons vivement que puisse se construire, dans le pluralisme et la diversité des idées, cette justice nécessaire.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. L’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que « toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale ». La Convention ne garantit donc pas seulement un procès équitable, elle exige que soit assuré le droit d’accès effectif au juge. Au regard de ces principes, plusieurs institutions européennes se sont prononcées en faveur de l’instauration de recours collectifs, en anglais « class actions ».

Le 11 juin 2013, la Commission européenne a recommandé aux États membres de se doter de mécanismes de recours collectifs pour garantir à leurs justiciables un accès effectif à la justice. Vous avez vous-même déclaré, madame la garde des sceaux, en juin 2012, votre intention de permettre les recours collectifs, afin de garantir une meilleure efficacité de la justice et pour « que la réparation des petits litiges soit effective ».

Le projet de loi relatif à la consommation a sans conteste ouvert une brèche en la matière. Pour ma part, je suis l’auteur, au nom du groupe écologiste, d’une proposition de loi visant à instaurer un recours collectif en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités, qui devrait être examinée par le Sénat le 13 février prochain dans le cadre de l’ordre du jour réservé à notre groupe.

Ma question est donc la suivante : considérant que les standards européens sont en faveur du recours collectif, dans quels domaines et dans quels délais pensez-vous qu’une telle procédure pourra être intégrée à notre droit ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous avez raison de rappeler, madame Benbassa, que la Commission européenne recommande aux États membres de veiller à assurer un niveau élevé de protection des justiciables afin que ceux-ci puissent obtenir réparation des préjudices, notamment des préjudices de masse.

Le projet de loi relatif à la consommation, qui en est encore au stade de la petite loi puisque la navette est en cours, ouvre incontestablement la possibilité d’apporter réparation à plusieurs personnes victimes de ces préjudices sériels, d’un montant souvent faible.

J’ai étudié avec le plus grand intérêt la proposition de loi que vous avez déposée, et je me suis préoccupée de savoir avec quelle diligence nous pourrions l’examiner. Ce texte pose un problème, qui n’est pas insurmontable mais auquel il faut être attentif : nous devons nous assurer qu’une telle procédure ne pénalisera pas le justiciable, qui a droit à une réparation intégrale dans le cadre d’une procédure individuelle.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il ne faudrait pas qu’une procédure générale empêche d’évaluer très exactement le préjudice et d’accorder une juste réparation. C’est un point sur lequel nous réfléchissons encore. Je vous remercie d'ailleurs de la disponibilité dont vous témoignez pour travailler avec le cabinet et l’administration de la Chancellerie. Avec la ministre des droits des femmes et le ministre de l'intérieur, nous avons d'ailleurs chargé Mme Pécaut-Rivolier, conseiller référendaire à la Cour de cassation, d’une étude qui devrait alimenter les réflexions que nous conduisons avec vous.

Votre préoccupation est légitime ; nous veillons simplement à ce que cette mesure représente un réel progrès et ne pénalise pas, par inadvertance, les citoyens.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse.

Chaque génération fait avancer le droit, qui n’est pas immuable. Je compte sur la Chancellerie ainsi que sur votre détermination pour nous aider à régler le problème que vous avez évoqué, afin que cette proposition de loi puisse servir de base aux textes qui viendront ultérieurement concernant les recours collectifs liés notamment à l’environnement ou à la santé.

Sachez qu’avec mon collègue Philippe Kaltenbach, rapporteur de cette proposition de loi, nous continuons à mener des auditions. Nous sommes prêts à conjuguer nos efforts afin d’élaborer un texte progressiste pour nos concitoyens.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars. Le droit pour tout justiciable à un recours effectif à la justice induit un accès réel au juge. Ainsi, si la réforme de la carte judiciaire initiée par Mme Dati était nécessaire, elle demeure néanmoins fortement critiquable sur la forme et dans ses résultats. Vous en connaissez les raisons, madame la garde des sceaux : calendrier précipité, absence de réelle concertation, ignorance des réalités administratives et géographiques, et, partant, oubli de la nécessaire proximité entre le citoyen et son juge. La refonte qui en a résulté a privilégié les critères quantitatifs au détriment de la réalité des territoires.

Nous avons pris note de votre volonté de remettre les choses à plat. Les pistes évoquées à la suite du rapport Daël, telles que la réouverture de certains TGI et la création de chambres détachées, constituent des réponses sérieuses et pragmatiques que nous saluons. Attention, cependant, à ne pas laisser une nouvelle fois de côté certains territoires pour lesquels la seule création d’un guichet unique de greffe risque d’apparaître comme un pis-aller largement insuffisant.

L’objectif de proximité et d’accessibilité a également été ignoré lors de la mise en place des pôles de l’instruction. L’application de cette réforme, initiée par la loi du 5 mars 2007, a déjà subi de multiples reports, et votre projet de loi relatif à la collégialité de l’instruction prévoit de la reporter à nouveau au 1er septembre 2014. Or cette réforme ne va pas sans susciter l’inquiétude des justiciables et des auxiliaires de justice dans les territoires déjà fragilisés, car elle renonce au maintien d’un juge d’instruction isolé dans les juridictions infra-pôle même si, lorsque l’activité juridictionnelle le justifiera, des pôles de juridiction pourront être créés.

Vous comprendrez que, si nous espérons beaucoup de ce remaillage des territoires, nous ne souhaitons pas, encore une fois, que le chiffre soit l’unique critère pris en compte pour décider de ces nouvelles implantations.

La question du maillage ne peut être étudiée indépendamment de celle de l’aide juridictionnelle : pour les justiciables, une justice de proximité s’entend non seulement comme l’accès physique au juge, mais aussi comme l’accès réel à la défense de leurs droits. L’absence de proximité de la justice, nous le savons, fragilise le secteur aidé en remettant en cause, de fait, des principes aussi fondamentaux que celui du libre choix de son avocat, lequel ne peut être à la fois proche de son client et éloigné du lieu où la justice est rendue.

Au vu de ces éléments, comment comptez-vous garantir une justice de qualité pour tous et en tout lieu ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Mazars, vous évoquez deux sujets différents dans votre question : d’une part, la territorialité et la proximité ; d’autre part, la collégialité de l’instruction.

Nous ne travaillons pas à la Chancellerie exclusivement en fonction des chiffres. Nous ne pouvons pas non plus les ignorer ni les évacuer. Nous voulons une activité judiciaire cohérente et performante et, pour cela, nous devons tenir compte des volumes d’affaires civiles et pénales de chaque ressort. Il ne s’agit pas pour autant du seul critère : nous nous appuyons sur tout un maillage d’indicateurs.

S’agissant des territoires, nous tenons compte, par exemple, de paramètres correctifs tels que la distance. Vous le savez, je me suis rendue à Rodez il y a quelques mois…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ailleurs aussi, monsieur Hyest ! (Sourires.) Je fais de multiples déplacements.

M. Jean-Claude Lenoir. Les voyages forment la jeunesse !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est la meilleure solution pour comprendre et connaître les réalités territoriales dans lesquelles vous êtes immergés. Si je me contentais de vous écouter sans venir voir sur place, si je ne faisais pas en sorte que vous puissiez me guider sur le terrain,…

M. Jean-Claude Lenoir. Très bien ! Il faut travailler ensemble !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … je n’aurais qu’une vision partielle de la réalité et je ne pourrais apporter que des réponses imparfaites. Or j’ai l’ambition d’apporter de bonnes réponses !

Cela étant, le volume d’affaires traitées n’est pas le seul critère à retenir. Compte tenu de la distance séparant Millau de Rodez, il y a lieu de s’interroger sur la question de l’efficacité de la proximité pour les justiciables.

La collégialité de l’instruction, quant à elle, fait l’objet d’un projet de loi, que j’ai présenté en conseil des ministres dès le mois de mai. Le texte a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, mais il n’a pu être encore inscrit à l’ordre du jour. Il vise à aménager les conditions de la collégialité de l’instruction de façon à ne pas alourdir inutilement cette dernière par la collégialité systématique prévue par la loi de mars 2007.

Si le texte avait dû être mis en œuvre dès janvier 2014, nous aurions été prêts. J’ai en effet pour principe – vous ne l’ignorez pas depuis ces dix-huit derniers mois, mesdames, messieurs les sénateurs – que, une fois adoptées, les lois doivent être appliquées.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est du bon sens !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je voulais éviter un nouveau report. Le calendrier gouvernemental en témoigne : le texte a été adopté en conseil des ministres en mai 2013.

Or l’année arrivant à son terme, et l’examen du projet de loi n’étant toujours pas inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, l’application systématique de la collégialité, telle que conçue dans la loi de 2007, allait trouver à s’appliquer en janvier 2014. Dans ces conditions, j’ai demandé qu’un amendement soit adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 de façon à reporter d’un an l’application de la loi de 2007. Ce délai nous laisse du temps pour la discussion et l’adoption – je l’espère – de ce projet de loi pour lequel j’ai procédé aux plus larges consultations. En tout état de cause, nous veillerons à mettre en place une collégialité.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars, pour la réplique.

M. Stéphane Mazars. Je vous remercie de votre réponse, madame la garde des sceaux. Sachez que ce fut un plaisir de vous guider lors de votre venue dans mon département de l’Aveyron. J’espère que les élus aveyronnais auront également su vous guider dans votre volonté de réparer les dégâts. Ce département a en effet été le plus touché par les réformes successives de la justice. Songez que Rodez dépend désormais d’un pôle de l’instruction situé à Montpellier et que plus aucun TGI ne rend la justice dans le sud aveyronnais ! Cette situation pose de réels problèmes aux justiciables quand on connaît les contraintes en termes de temps de déplacement et de conditions climatiques qu’ils rencontrent.

Je voudrais insister sur un principe essentiel que nous souhaitons tous protéger : la possibilité pour tout un chacun de choisir un avocat. Or choisir un avocat dans le secteur aidé, c’est choisir un avocat dans le cadre de l’aide juridictionnelle, qu’il ne faut pas confondre avec la commission d’office. Si la distance séparant l’endroit où réside le justiciable du lieu où l’on rend la justice est trop importante, le principe du libre choix de l’avocat est remis en cause.

C’est sur la base de ces grands principes que nous devrons, demain, travailler.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Il faut saluer, vous l’avez déjà fait, madame la garde des sceaux, le rapport de nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne sur l’accès à la justice et la justice de proximité. Ce rapport n’a pas pour seul mérite de rappeler toutes les réflexions menées dans ce domaine, il va plus loin et avance des propositions sur ce que pourrait être la réforme de la juridiction de première instance.

L’enjeu est aujourd’hui de retrouver un équilibre entre lisibilité et accessibilité – reconnaissons qu’il reste beaucoup d’efforts à faire –, entre accès à la justice et proximité. Nous savons par ailleurs que la capacité du législateur à dessiner les périmètres de chaque contentieux sera déterminante afin de mener à bien une réforme durable.

Il est de bon ton de critiquer la modernisation de la carte judiciaire, mais vous n’avez pas modifié cette carte, à une exception près.

M. Jean-Jacques Hyest. J’ai dit « à une exception près », car je ne veux citer personne.

Cette modernisation a donc eu le mérite d’engager concrètement un processus sur lequel des réflexions avaient cours depuis plus de vingt ou vingt-cinq ans. Notre carte judiciaire datait en effet de 1958 ! Je regrette d’ailleurs que l’on ne soit pas allé plus loin, notamment en ce qui concerne les cours d’appel. Mais fermons la parenthèse, sinon je vais fâcher quelques personnes… (Sourires.)

Cela fait dix-huit mois que vous êtes à la Chancellerie. Aux travaux déjà accumulés, se sont ajoutés divers supports qui devraient nourrir votre réflexion : je pense au rapport que je viens d’évoquer, aux réflexions de la direction des services judiciaires, sans oublier le rapport Guinchard et le rapport Casorla ou encore les débats relatifs au report de la suppression des juridictions de proximité. Pour autant, vous restez floue sur les orientations que vous souhaitez donner à la prochaine réforme de la première instance. Peut-être attendez-vous la grand-messe de janvier ?

Allons-nous entériner la création d’un tribunal de première instance ? Ce dernier englobera-t-il l’ensemble des juridictions de proximité – tribunaux d’instance, tribunaux de commerce, conseils de prud’hommes –, en dépit de la réticence des juges parfois élus dans certaines de ces juridictions ?

Dans le cas où cette juridiction disposerait d’antennes déconcentrées – c’est une hypothèse envisageable –, comment allez-vous dépasser les risques d’inconstitutionnalité relatifs à l’égal accès de tous à la justice et au principe sacré d’inamovibilité des magistrats du siège ?

Cela fait peut-être beaucoup de questions en une seule, madame la garde des sceaux, mais je pense que vous pourrez y répondre. (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Permettez-moi de prendre quelques secondes pour saluer le sénateur Vallini et le rassurer. Nous avons été informés de l’accident qui est survenu au tribunal de grande instance de Vienne, et la direction des services judiciaires se rend immédiatement sur place.

Monsieur Hyest, vous dites que nous critiquons la carte judiciaire ; je ne l’ai pas encore fait. Je vais toutefois abonder dans le sens du sénateur Mazars : la réforme de la carte judiciaire n’est contestée par personne, elle était nécessaire. C’est la méthode employée qui a été mise en cause, y compris d’ailleurs par les magistrats de cours d’appel qui avaient travaillé sur cette question et formulé des propositions.

Il est aussi incontestable que cette réforme a créé, dans certains territoires, de véritables déserts judiciaires, ce dont aucun d’entre nous ici ne peut s’accommoder puisque cela crée un éloignement de la justice pour nos concitoyens.

Certains se sont fait entendre sur vos travées à propos de la décision de réouverture d’un tribunal. (M. Jean-Jacques Hyest s’en défend.) Pas vous, monsieur Hyest, je vous reconnais cette élégance dont vous ne vous êtes jamais départi. Je vais toutefois répondre à ces interpellations : les conditions dans lesquelles j’ai fait procéder à la réévaluation de la situation de certaines villes sont absolument objectives. Je me suis appuyée sur les observations formulées par le rapporteur public devant le Conseil d’État. Pas une de plus, pas une de moins !

Le tribunal de grande instance de Tulle est l’un des trois que nous allons rétablir, avec ceux de Saint-Gaudens et Saumur. Il s’agit tout de même de la seule préfecture ayant perdu son tribunal de grande instance ! Je crois qu’il y a plus de questions à se poser sur les raisons pour lesquelles Tulle a perdu son tribunal que sur les raisons pour lesquelles Tulle va le retrouver !

M. Philippe Kaltenbach. Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les éléments permettant de justifier la réouverture du tribunal de grande instance de Tulle sont donc parfaitement objectifs.

Nous cherchons à combattre les déserts judiciaires. À cet égard, l’excellent rapport de Mme Klès et de M. Détraigne émet un certain nombre de propositions. Les chantiers et réflexions que j’ai ouverts ne constituent pas une « grand-messe ».

M. Alain Gournac. La grand-messe, elle doit avoir lieu ici !

M. Jean-Jacques Hyest. C’est ici que se vote la loi !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La justice mérite que nous rassemblions les intelligences et les énergies. Elle mérite que nous travaillions ensemble à améliorer les conditions dans lesquelles le justiciable peut avoir recours à la justice, ce que nous faisons. Vous êtes d’ailleurs invité à participer à cet événement en janvier, qui ne sera qu’une étape : à partir de ce travail, effectué en public, de mise en commun de réflexions sur la base des préconisations de ces quatre rapports, je vais ouvrir un cycle de concertations. Je me déplace déjà dans les juridictions.

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avançons en suivant une autre méthode, celle de l’écriture commune.

M. le président. Monsieur Hyest, vous avez la parole pour la réplique, mais je vous invite à être bref.

M. Jean-Jacques Hyest. Madame la garde des sceaux, je vous ai bien entendue. Toutefois, je me méfie beaucoup des conférences, des consensus,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous avez grand tort !

M. Jean-Jacques Hyest. C’est le Parlement qui fait la loi !

M. Jean-Jacques Hyest. J’entendais ce matin au cours d’un colloque un professeur expliquer que le législateur n’a qu’à faire les lois, sans se préoccuper du reste. Or nous avons aussi la charge d’évaluer les politiques publiques. C’est notre rôle ! Et si nos rapports d’information sont si précieux – je crois, monsieur le président, que le Sénat s’est toujours illustré dans ce domaine –, c’est aussi en raison de notre expertise personnelle, non de celle des spécialistes.

Quand j’entends dire que c’est aux magistrats de nous expliquer comment réformer, je n’y crois pas un seul instant. Autant je respecte les magistrats dans leur activité juridictionnelle, autant je dois reconnaître qu’ils sont, comme d’autres, capables de faire preuve de corporatisme. Lorsque l’on demande aux professionnels de se réformer, vous savez très bien que ça ne se fait jamais.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest. J’essaierai de participer à ce que vous organisez au mois de janvier, mais il n’en demeure pas moins que ce n’est pas le lieu où les décisions pourront être prises. Selon moi, il ne pourra s’agir que d’un éclairage. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. À mon tour de parler du rapport déjà évoqué par plusieurs de mes collègues et par vous-même, madame la garde des sceaux, que Virginie Klès et moi-même avons présenté en octobre dernier à la commission des lois.

Ce rapport d’information a pour objectif d’améliorer l’accès à la justice pour nos concitoyens malgré la suppression de nombreuses implantations judiciaires résultant de la réforme de la carte judiciaire. Nous avons fait le choix d’adopter une démarche pragmatique consistant principalement à proposer la fusion des juridictions de première instance – en premier lieu les tribunaux d’instance et les tribunaux de grande instance – en un tribunal de première instance unique. Les lieux de justice existant actuellement constitueraient autant de portes d’entrée à cette nouvelle juridiction.

Quel que soit le tribunal du ressort compétent pour s’occuper de son affaire, le justiciable n’aurait à s’adresser qu’à un seul greffe – le plus proche de son domicile – pour s’informer, engager une procédure ou suivre l’avancement de cette dernière. Cette formule de guichet universel de greffe, intéressante pour faciliter l’accès du justiciable à la justice sans procéder à une nouvelle réforme de la carte judiciaire, nécessite toutefois que quelques préalables soient remplis afin d’être mise en œuvre dans les meilleures conditions.

Au-delà du rapprochement des procédures entre les juridictions de premier degré et de la mutualisation des effectifs de greffe du tribunal d’instance, du conseil de prud’hommes et du tribunal de grande instance dans le périmètre du ressort de ce dernier, il est indispensable – si l’on ne veut pas connaître les mêmes difficultés que celles que l’on a rencontrées dans le domaine pénal, avec la mise en œuvre de l’application informatique CASSIOPÉE – de mener à terme le développement de la chaîne civile informatique Portalis. C’est une priorité ! Cette chaîne permettra de connaître en temps réel, quel que soit le guichet de greffe auquel on s’adressera dans le ressort du tribunal de première instance, l’état d’avancement d’une procédure.

Dès lors, pouvez-vous, madame la garde des sceaux, nous dire où en sont le développement et la mise en œuvre de l’application Portalis ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avec votre permission, monsieur Détraigne, je répondrai d’un mot à M. Hyest, au sujet de la consultation dont nous avons parlé il y a un instant. Les groupes de travail ne rassembleront pas seulement des magistrats. Des avocats, des policiers, des gendarmes, des préfets, des universitaires y seront aussi.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Évidemment, c’est vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui aurez la main définitive sur la loi. Je sais d’ailleurs la capacité de nos parlementaires à réécrire des textes de loi ; c’est arrivé par le passé. Nous tâcherons toutefois de vous présenter un projet de loi suffisamment solide pour que vous n’ayez pas à le recomposer complètement.

M. Jean-Jacques Hyest. C’est un peu présomptueux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Détraigne, vos propositions sont extrêmement élaborées. Le cabinet, l’administration et moi-même les avons étudiées attentivement. Sachez que votre rapport, je l’ai indiqué à plusieurs reprises, est versé au dossier de la réforme judiciaire : nous le diffusons déjà très largement, et nous allons continuer à y travailler.

Ces dernières années, des efforts ont été faits sur les applications informatiques, notamment en matière de justice pénale, avec le logiciel CASSIOPÉE. Vous le savez, nous sommes en train de travailler à son interconnexion avec d’autres applications. Nous l’avons déjà réalisée avec la gendarmerie. L’interconnexion avec la police, quant à elle, sera achevée dans le courant de l’année 2014. À ce titre, nous venons de signer une convention avec le préfet de police, qui nous permettra de mener une expérimentation dans le XIe arrondissement de Paris.

Nous allons continuer à étendre CASSIOPÉE aux cours d’appel, à la justice spécialisée, notamment à l’instruction et aux tribunaux pour enfants.

Le coût de cette application est de 60 millions d’euros et pour la plateforme nationale des interceptions judiciaires, la somme est de 36 millions d’euros. Pour Portalis, nous avons prévu 41 millions d’euros. Reste que nous rencontrons une vraie difficulté en matière d’application dans le domaine de la justice civile, notamment pour connecter l’ensemble du territoire. Quelques procédés sont utilisés – la « citrixification », un procédé web ou encore le dispositif contact visio justice –, mais ce n’est pas satisfaisant. Il nous faut une application qui puisse mailler l’ensemble du territoire.

Nous pensons que nous devrions être en mesure de commencer à appliquer Portalis dans quatre ans environ. Il faut savoir que sa mise en place s’étalera dans le temps et qu’elle sera coûteuse, mais ce sera une priorité du prochain budget triennal.

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour la réplique.

Je vous prie d’être bref, mon cher collègue.

M. Ladislas Poniatowski. Si la ministre répond à la réplique du parlementaire, c’est normal qu’on déborde !

M. Yves Détraigne. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de cette explication, qui ne me rassure cependant pas complètement.

La réussite de la réforme de la justice de proximité et de la justice de première instance passe par un outil informatique efficace. Au moment où va être lancée la réflexion sur l’organisation de la justice du XXIe siècle, n’oublions pas de rappeler que les crédits doivent suivre, même si je sais que c’est compliqué aujourd’hui.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il faut également prendre en compte le temps du développement !

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Depuis trente ans, les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, ont permis à la France d’acquérir un dispositif solide en matière de droit des victimes. Il convient d’ailleurs sur ce point de rendre hommage à l’un de nos anciens et éminents collègues, grand artisan de ce dispositif quand il fut garde des sceaux : Robert Badinter.

On peut le dire, la France est un bon élève de la classe en Europe. Néanmoins, la pratique se révèle plus mitigée que la théorie. En effet, à l’heure actuelle, force est de constater que des faiblesses entravent encore l’accès à la justice et le droit des victimes.

Ces faiblesses sont d’abord liées à la complexité des dispositifs existants. La victime peut en effet connaître des difficultés dans ses démarches de constitution de partie civile.

Il convient ensuite de souligner un manque d’information. La remise d’un simple formulaire, souvent rédigé en des termes peu accessibles, ne saurait être une réponse parfaitement adaptée aux attentes des victimes, déjà fragilisées.

Par ailleurs, l’accompagnement de la victime doit être renforcé. Les bureaux d’aide aux victimes ont besoin de moyens supplémentaires, aussi bien financiers qu’humains. Je pense notamment aux greffiers, indispensables pour que ces bureaux fonctionnent correctement.

Enfin, ces dernières années, les associations d’aide aux victimes ont dû faire face à une baisse de leurs subventions. Je le regrette ! Pour conforter leur rôle essentiel dans l’accompagnement des victimes, un soutien plus important doit leur être alloué et leurs subventions doivent être pérennisées, voire sanctuarisées.

Au-delà de l’accès à la justice, il faut, à mon sens, en finir avec une indemnisation inégalitaire des victimes. L’absence de référentiel indicatif commun à l’échelle nationale a pour conséquence une forte variation de l’indemnisation des victimes.

M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.

M. Roger Karoutchi. Il n’y a pas de question !

M. Philippe Kaltenbach. Avec le sénateur Christophe Béchu, nous avons rédigé un rapport visant à améliorer le dispositif d’indemnisation des victimes, que nous allons vous remettre dans les prochains jours, madame la garde des sceaux.

Aussi, je souhaiterais profiter de l’occasion qui m’est donnée pour vous interroger sur les mesures que vous comptez prendre afin que la condition de la victime soit mieux appréhendée, à chaque stade du procès pénal.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Kaltenbach, je devais vous recevoir pour la remise du rapport que vous avez rédigé avec M. Christophe Béchu, mais une contrainte d’agenda m’a obligée à reporter notre rendez-vous. Cependant, une autre date a été fixée. J’ai évidemment commencé à lire ce rapport, et j’ai noté la trentaine de propositions que vous y faites.

Vous savez à quel point le Gouvernement est fortement engagé aux côtés des victimes, même s’il a décidé de façon délibérée et résolue de ne pas les instrumentaliser et de ne pas faire de tapage autour des actions qu’il conduit. Dès la première loi de finances du quinquennat, nous avons augmenté le budget de l’aide aux victimes de 25,8 %, alors qu’il ne cessait de baisser depuis 2010. Pour l’année 2014, il a encore été augmenté de près de 8 %. Nous avons également ouvert – je m’y étais engagée devant vous – des bureaux d’aide aux victimes dans tous les tribunaux de grande instance, soit une centaine en une année, contre une cinquantaine seulement au cours des trois années précédentes.

Nous mobilisons aussi les associations, à qui nous exprimons toute notre gratitude pour leur travail.

Vous le savez, dès le mois de juin 2013, j’ai demandé à l’Inspection générale des services judiciaires de procéder à une évaluation de ces bureaux d’aide aux victimes, de façon à ajuster la prise en compte de leurs besoins. Nous avons déjà commencé à mettre en place un certain nombre de préconisations, comme le renforcement de la dotation pour le premier équipement, l’inclusion des bureaux dans l’agenda de la juridiction ou le développement de permanences le soir et le week-end. Vous le voyez, nous essayons d’apporter un service actif aux victimes.

Mais nous allons beaucoup plus loin encore. En effet, avant même la transposition de la directive Victimes d’octobre 2012, pour laquelle le délai court jusqu’en novembre 2015, j’ai décidé de lancer une expérimentation sur le suivi individualisé des victimes. Parmi les préconisations faites dans votre rapport, monsieur le sénateur, figure l’instauration d’un barème unique visant à harmoniser la réponse à apporter aux victimes. Si je souhaite que le principe de l’individualisation soit maintenu, j’ai conscience qu’il est nécessaire de disposer de référentiels valables sur l’ensemble du territoire.

M. le président. Merci, madame la garde des sceaux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Par conséquent, nous allons rassembler ces éléments pour que les juridictions puissent en disposer.

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour la réplique.

M. Philippe Kaltenbach. Je vous remercie de votre réponse, madame la garde des sceaux.

Il est important de conjuguer responsabilisation de l’auteur de l’infraction et protection de la victime. Celle-ci a en effet besoin de la même attention que celle accordée à l’auteur de l’infraction. Cela relève d’un souci de justice et d’équité. Je sais que c’est l’une de vos principales préoccupations, et nous vous faisons pleinement confiance pour mener à bien les réformes nécessaires en la matière.

M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Albéric de Montgolfier. Madame la garde des sceaux, votre politique manque parfois de visibilité. Je pense en particulier à votre politique pénale. Ma question porte néanmoins sur un autre point, qui, lui aussi, demande à être éclairci : je veux parler de l’aide juridictionnelle.

Ne souhaitant pas mettre le Gouvernement dans l’embarras, vous avez décidé de reporter la réforme de l’aide juridictionnelle après 2014, peut-être en 2015. Sur le fond, je le dis clairement, nous ne pouvons qu’approuver ce recul du Gouvernement. Cette réforme aurait mis en difficulté les avocats, qui font preuve d’un véritable sens civique en travaillant pour des sommes modestes au bénéfice des plus démunis. Elle aurait également mis en difficulté les justiciables, en réduisant l’offre de services du fait des difficultés qu’auraient éprouvées les cabinets à la suite de la baisse des moyens mis à leur disposition pour remplir cette mission.

Malgré cette reculade, la question du financement demeure d’actualité. Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit en effet une baisse des crédits consacrés à l’aide juridictionnelle de l’ordre de 32 millions d’euros, ce qui met à mal le principe même de cette aide. Vous êtes d’ailleurs restée assez floue à ce sujet. J’en veux pour preuve les propos que vous avez tenus lors de l’assemblée générale extraordinaire du Conseil national des barreaux. En effet, vous avez indiqué aux avocats : « Explorons jusqu’au bout chaque piste. À charge pour vous de la récuser. »

Pour notre part, nous ne pouvons accepter que la ministre chargée de ce sujet demande aux acteurs du secteur, ici les avocats, d’assumer ce non-choix. Ma question est donc très simple : faut-il encore compter sur de nouvelles taxes pour financer la refonte de l’aide juridictionnelle ? En tous les cas, pouvez-vous nous éclairer sur vos intentions en la matière, ainsi que sur les pistes que vous envisagez pour la réforme de cette aide après 2014, année de l’impasse budgétaire ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Cambon. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Trois procès en deux minutes, bel exploit, monsieur le sénateur !

Vous avez parlé du flou entourant notre politique pénale,…

M. Albéric de Montgolfier. Ma question porte sur l’aide juridictionnelle !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … mais c’est une pratique à laquelle je me suis fortement habituée depuis dix-huit mois.

Je vais répondre à votre question sur l’aide juridictionnelle. Il vous va bien de saluer l’engagement des avocats, alors que vous n’avez pas revalorisé d’un centime d’euro l’unité de valeur durant tout le précédent quinquennat ! (M. Stéphane Mazars applaudit.)

M. Philippe Kaltenbach. Ils avaient oublié !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cependant, vous avez eu raison de leur rendre hommage, car ceux qui pratiquent l’aide juridictionnelle font preuve d’un réel engagement civique.

Parmi les six rapports publiés sur le sujet depuis une dizaine d’années, figure le rapport du sénateur du Luart, qui s’intitule L’Aide juridictionnelle : réformer un système à bout de souffle. Il date de 2007 ! Or, en cinq ans, vous n’avez pas trouvé le temps de réformer l’aide juridictionnelle !

Si vous êtes étonné que je parle aux avocats, que je mette des propositions sur la table et que je suggère à la profession d’explorer ces pistes avant de les récuser, c’est parce qu’il y a une grande différence de méthode entre ce que vous faisiez et ce que nous faisons.

M. Ladislas Poniatowski. Et qu’est-ce que vous faites ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous, nous ne réformons pas à l’encontre des professions, nous réformons avec elles ! Nous les respectons, nous discutons des différentes pistes possibles, nous nous concertons, nous les consultons, afin d’aboutir à une bonne réforme.

En plus de dix ans, aucun gouvernement n’a eu le courage de réformer l’aide juridictionnelle, qui s’en est trouvée fragilisée. Avec notre action, nous allons pérenniser le financement de l’aide juridictionnelle, qui est une question de solidarité vis-à-vis des justiciables les plus vulnérables.

M. Albéric de Montgolfier. Nous sommes d’accord !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour y avoir droit, un justiciable doit même être en dessous du seuil de pauvreté. Nous allons donc consolider cette politique de solidarité.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous le savez, j’ai chargé M. Carre-Pierrat d’une mission, ce qui nous permettra de continuer à discuter avec les professionnels, afin d’aboutir à une proposition de financement de l’aide juridictionnelle avant le prochain budget.

M. le président. Veuillez conclure, madame la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je note par ailleurs que vous n’avez pas dit un quart de mot du timbre de 35 euros, que vous aviez instauré. Il constituait une véritable entrave à l’accès au juge et il a pénalisé des justiciables vulnérables.

M. Philippe Kaltenbach. C’est vrai !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons dû abonder le budget de la justice de 60 millions d’euros pour financer sa suppression. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, pour la réplique.

M. Albéric de Montgolfier. Je remercie Mme la garde des sceaux de manifester son attachement à l’aide juridictionnelle, mais le problème est de nature budgétaire.

À seize heures, je vais participer à l’Assemblée nationale à la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances, qui va sans doute échouer. À cette occasion, nous pourrons constater une baisse de 32 millions d’euros des crédits consacrés à l’aide juridictionnelle.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est faux !

M. Albéric de Montgolfier. Quant aux pistes envisagées, le débat reste ouvert. En tout cas, nous serons extrêmement vigilants.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Madame la garde des sceaux, en prolongement de la journée internationale du 25 novembre, je souhaite vous redire ma préoccupation au sujet des violences à l’égard des filles et des femmes de notre pays. Je connais votre engagement et celui de Mme la ministre des droits des femmes sur le sujet.

J’aimerais rappeler quelques chiffres, hélas d’actualité !

Les victimes de violences sexuelles sont à 80 % des femmes et 50 % de ces actes sont commis sur des filles de moins de quinze ans. Le nombre de viols de mineurs et de majeurs est estimé à 190 000 par an en France.

Les viols sont majoritairement le fait d’hommes ou de garçons proches de la victime. De ce fait, ils sont très peu dénoncés auprès de la justice, car les victimes sont sous emprise et prisonnières de la peur. La loi du silence protège les auteurs : le nombre de plaintes est faible, et les condamnations sont rarissimes. Moins de 2 % des viols font l’objet d’une condamnation.

Une femme sur dix vivant en couple est victime de violences conjugales. En 2012, 166 femmes et 31 hommes ont été tués par leur compagne, leur compagnon, leur ex-compagne ou leur ex-compagnon et 25 enfants sont morts du fait de violences familiales. Cette situation est un véritable fléau qui ternit notre société. Il n’y a aucune fatalité à de tels comportements. Ce n’est qu’une question d’habitude et d’éducation, nous le savons bien.

La justice, par les vertus pédagogiques de la sanction, a un rôle important à jouer en la matière, à condition de cesser d’apparaître aux yeux des victimes et des associations qui les accompagnent comme une justice aléatoire, optionnelle, voire inégalitaire.

Madame la garde des sceaux, je souhaiterais savoir quelles mesures vous avez prévu pour garantir l’application des textes existants en la matière et permettre que les délais d’application soient mieux adaptés aux besoins des victimes.

Par ailleurs, quelles dispositions comptez-vous prendre concernant l’application effective de la convention d’Istanbul, texte de référence en matière de prise en charge des victimes de violences et de lutte contre les violences à l’égard des femmes ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour deux minutes.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vais essayer, monsieur le président. (Sourires.)

Madame Meunier, je connais votre engagement et celui de plusieurs sénatrices et sénateurs sur le sujet. Il s’agit d’un véritable drame. En effet, si les femmes sont victimes de violences conjugales, les enfants en sont témoins, quand ils ne sont pas eux-mêmes victimes de violences familiales. Notre politique est donc résolument tournée vers l’accompagnement et la protection des victimes.

Ainsi, j’ai décidé de réunir deux fois par an le Conseil national de l’aide aux victimes, qui travaille sur les violences faites aux femmes. Il n’avait pas été réuni depuis l’année 2010.

M. Philippe Kaltenbach. Il était utile de le rappeler !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous le modernisons, nous en modifions la composition et nous le réunissons régulièrement.

Le ministère de la justice est également partie prenante du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.

Nous travaillons en outre sur cette question dans le cadre du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous étendons par exemple la durée de l’ordonnance de protection et nous permettons son renouvellement ; nous généralisons le téléphone « grand danger » – je suis en train de lancer le marché national –, ce qui permettra aux femmes d’être protégées sur l’ensemble du territoire.

Avec des structures départementales qui déclinent la politique nationale, nous travaillons sur l’éviction du conjoint violent, ainsi que sur des stages de sensibilisation pour éviter la réitération.

Avec Mme la ministre des droits des femmes et M. le ministre de l’intérieur, nous mettons l’accent sur le traitement des mains courantes. J’ai d’ailleurs lancé une formation pour les magistrats, les policiers, les gendarmes, les personnels des services sociaux, afin d’améliorer le recueil des plaintes, l’accompagnement et l’écoute. Je publierai bientôt une circulaire pour appeler les parquets à mieux prendre en compte ce type de violences.

Vous savez que nous avons récemment transposé la convention d’Istanbul dans le droit français. Nous avons donc introduit les dispositions de protection des femmes victimes de violences, notamment conjugales, dans notre code pénal.

M. le président. Il faut conclure, madame la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La correctionnalisation des viols est à la fois scandaleuse et trop fréquente, même si elle s’effectue avec l’approbation de la victime. J’ai donc lancé une évaluation pour connaître les conditions effectives dans lesquelles cette correctionnalisation d’un crime se produit dans notre pays.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour la réplique.

Je vous invite à faire preuve de concision, ma chère collègue.

Mme Michelle Meunier. Je remercie Mme la garde des sceaux d’ouvrir tous ces chantiers. Il faudra évaluer l’application des différents dispositifs sur le terrain, à l’échelle du département.

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Cambon. Dans ses nombreuses promesses électorales, le candidat François Hollande s’était notamment engagé à faciliter l’accès pour tous à la justice de proximité. Or, comme cela a été souligné tout au long de la séance, la justice de proximité marche mal.

Mme Cécile Cukierman. Et pourquoi elle marche mal ?

M. Christian Cambon. Elle est compliquée, lente et coûteuse ; elle ne contribue pas à la bonne image de ce service public. Néanmoins, c’est cette justice que les Français vivent au quotidien. En effet, par chance, tous ne sont pas délinquants ou criminels.

Mme Cécile Cukierman. La justice, c’est également pour les victimes, monsieur Cambon !

M. Christian Cambon. Deux jugements sur trois concernent les actes et les événements simples, quoique souvent dramatiques, qui frappent les Français dans leur vie de tous les jours et pour lesquels ils sollicitent l’aide de la justice : divorce, licenciement, surendettement, conflits familiaux ou conflits de voisinage qui engorgent les tribunaux.

Le constat, nous, les élus, l’entendons de la bouche de nos concitoyens. Les procédures sont bien trop complexes, le coût de la justice est trop élevé et les délais pour obtenir une décision de justice sont trop longs.

Certes, l’image négative de la justice résulte parfois de l’incompréhension de certaines peines prononcées, dans un temps où l’opinion réclame plus de sévérité, mais elle tient tout autant à la difficulté pour le justiciable d’obtenir justice dans ces conflits du quotidien. Or il semble que, depuis votre arrivée à la Chancellerie, vous ayez consacré beaucoup d’énergie à faire adopter des réformes sociétales dont la nécessité immédiate ne sautait pas aux yeux.

M. Philippe Kaltenbach. Quelle mauvaise foi !

M. Christian Cambon. Vous vous lancez aujourd’hui dans une réforme de la justice pénale qui risque encore d’aggraver le divorce entre l’opinion publique et l’institution judiciaire. Ne serait-il pas légitime, avant de vouloir diminuer le nombre de détenus en prison, d’apporter des réponses concrètes à cette justice de proximité, à cette justice de tous les jours ?

Mme Cécile Cukierman. Quand on s’occupe d’un divorce, on n’envoie pas les gens en prison !

M. Christian Cambon. Madame la garde des sceaux, pouvez-vous nous apporter votre éclairage sur les réflexions en cours ? Surtout, quels sont vos projets et quels moyens comptez-vous mobiliser pour que la justice de notre pays devienne enfin accessible, compréhensible et plus efficace pour le quotidien ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Cécile Cukierman. La justice de proximité, c’est pour la justice civile ! Et le discours sécuritaire, ça ne marche pas pour la justice civile !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je trouve deux grandes vertus à votre question.

La première est de souligner l’importance de la justice civile. Comme je le rappelle à longueur de temps, la justice civile concerne 70 % de l’activité de l’institution judiciaire. C’est la justice du quotidien, celle qui répond aux problèmes d’endettement, d’expulsion de logement, celle de la justice familiale.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Elle concerne toute une série de problèmes discrets, mais essentiels pour les justiciables.

La deuxième vertu de votre question est de dresser le bilan du gouvernement du précédent quinquennat. (Sourires sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Vous avez montré les conséquences d’outils que nous connaissons parfaitement : la révision générale des politiques publiques, ou RGPP, la réforme de la carte judiciaire, qui a créé des déserts judiciaires et abouti à la suppression de 80 postes de magistrats, le non-remplacement d’un départ sur deux à la retraite…

Depuis l’an dernier, le Gouvernement a effectivement rompu avec une telle politique. Les crédits de la justice ont augmenté de 4,3 % l’année dernière et de 1,7 % cette année.

M. Alain Gournac. Ça ne marche pas mieux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons mis un terme à la RGPP !

M. Jean-Jacques Hyest. La RGPP ne s’appliquait pas à la justice !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et nous créons des emplois : 590 en 2014 !

Nous travaillons pour améliorer la situation que vous nous avez laissée. Votre héritage, ce sont non seulement les déserts judiciaires, mais également la multiplication des contraintes, fonctions et obligations qui ont abouti à l’engorgement de nos juridictions, avec pour conséquence principale l’allongement des délais, donc la pénalisation des justiciables !

Nous sommes en train de réparer tout cela. J’espère que vous aurez à vous en réjouir très bientôt. Il suffit simplement d’accepter les réalités, les données, les informations, au lieu de nous faire des procès.

Vous discutez toujours de choses que vous croyez être. Je vous propose simplement de débattre ensemble – je crois que c’est un peu la culture de cette maison – des réalités. Le travail que mène le Gouvernement depuis un an et demi permet d’améliorer la justice, notamment s’agissant des paramètres mesurables, comme les délais. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour la réplique.

M. Christian Cambon. Madame la garde des sceaux, je vous ai interrogée respectueusement pour vous donner l’occasion de présenter vos projets. Or, comme de coutume avec ce gouvernement, vous nous répondez « héritage ». Mais si les Français vont ont élus, ce n’est pas pour parler du passé,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est pour réparer ce que vous nous avez laissé !

M. Christian Cambon. … c’est pour agir pour l’avenir. J’ai entendu quelques éléments de réponse pour l’avenir ; j’espère que vous serez à la hauteur des engagements pris.

Au passage, je vous signale que, comme à propos des personnels pénitentiaires, vous avancez des éléments inexacts. Il n’y a pas eu de RGPP en matière de justice ! (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP. – Mme la garde des sceaux le conteste vivement.) C’est une précision que les Français apprécieront.

En tout cas, j’espère que nous aurons l’occasion de débattre, notamment sur les grandes réformes pénales. Il y a encore beaucoup à dire sur le sujet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur l’accès à la justice et la justice de proximité

4

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 9 décembre 2013 à seize heures et le soir :

- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises (n° 28, 2013-2014) ;

Rapport de M. Thani Mohamed Soilihi, fait au nom de la commission des lois (n° 201, 2013-2014) ;

Avis de M. François Patriat, fait au nom de la commission des finances (n° 164, 2013-2014) ;

Avis de M. Yannick Vaugrenard, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 184, 2013-2014) ;

Avis de Mme Laurence Rossignol, fait au nom de la commission du développement durable (n° 185, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 202, 2013-2014).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à quinze heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART