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Nomination des membres d'une mission commune d’information

M. le président. Je rappelle que les groupes ont présenté une liste de candidats pour la mission commune d’information sur la réforme des rythmes scolaires afin d’évaluer sa mise en place, les difficultés rencontrées et le coût induit pour l’ensemble des communes.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée, et je proclame M. Jean-Étienne Antoinette, Mmes Maryvonne Blondin, Natacha Bouchart, M. Jean-Claude Carle, Mmes Françoise Cartron, Caroline Cayeux, MM. Jacques Chiron, Philippe Darniche, Mme Christiane Demontès, M. Félix Desplan, Mme Marie-Annick Duchêne, M. Alain Fauconnier, Mme Françoise Férat, MM. François Fortassin, André Gattolin, Mmes Dominique Gillot, Brigitte Gonthier-Maurin, Jacqueline Gourault, MM. Jean-François Husson, Ronan Kerdraon, Mme Françoise Laborde, MM. Jacques Legendre, Dominique de Legge, Michel Le Scouarnec, François Marc, Pierre Martin, Mmes Colette Mélot, Danielle Michel, Catherine Morin-Desailly, M. Rémy Pointereau, Mme Sophie Primas, M. Gilbert Roger et Mme Catherine Troendle membres de la mission commune d’information sur la réforme des rythmes scolaires afin d’évaluer sa mise en place, les difficultés rencontrées et le coût induit pour l’ensemble des communes.

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Candidatures à des commissions mixtes paritaires

M. le président. J’informe le Sénat que la commission des lois m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente aux commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi et du projet de loi organique portant application de l’article 11 de la Constitution.

Cette liste a été affichée et les nominations des membres de ces commissions mixtes paritaires auront lieu conformément à l’article 12 du règlement.

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Débat préalable à la réunion du conseil européen des 24 et 25 octobre 2013

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 octobre 2013.

Dans le débat, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de me retrouver devant vous pour débattre du prochain Conseil européen, qui se tiendra les 24 et 25 octobre à Bruxelles. Trois points principaux seront à l’ordre du jour.

Premièrement, la dimension thématique de ce Conseil européen portera sur la stratégie numérique européenne, avant que les chefs d’État et de gouvernement n’abordent la politique de sécurité et de défense commune au mois de décembre 2013, la stratégie industrielle au mois de février, puis les questions énergétiques et climatiques au mois de mars 2014.

Deuxièmement, nous évoquerons l’approfondissement de l’Union économique et monétaire par la mise en place d’indicateurs sociaux, sujet auquel la France attache une grande importance.

Troisièmement, suite aux événements dramatiques survenus au large de l’île de Lampedusa, nous avons souhaité, avec l’Italie, que ce point soit ajouté à l’ordre du jour.

À mon sens, il convient d’examiner ces thématiques, tout au moins les deux premières, au regard des objectifs de croissance et de solidarité qui sont ceux du Gouvernement et qui justifient nos combats depuis maintenant dix-huit mois.

Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler lors de notre débat au mois de juin dernier, notre cap est la réorientation de l’action de l’Union européenne, réorientation qui nous a fait passer d’une austérité à perte de vue à une politique équilibrée entre sérieux budgétaire, d’un côté, et investissements d’avenir au service de la croissance et de l’emploi, de l’autre. D’ailleurs, cela se traduit dans le projet de loi de finances pour 2014. (M. le rapporteur général de commission des finances acquiesce.)

Le plus dur de la crise semble derrière nous. Les derniers chiffres de la croissance et du chômage en attestent. Nous entrons maintenant dans une nouvelle étape de consolidation pour la croissance et pour la compétitivité de notre économie. Chaque politique sectorielle doit y concourir. Le numérique, qui constitue une nouvelle frontière, est, à ce titre, un cas d’application particulièrement important de cette stratégie.

Avant d’entamer le débat avec vous, je souhaitais donc vous présenter les trois priorités que la France défendra lors de ce Conseil européen en répondant à la question suivante : en quoi celles-ci s’inscrivent-elles dans la réalisation de l’ambition que nous incarnons pour les Européens ? Avoir des exigences dans chacun de ces domaines, c’est œuvrer pour une Europe solidaire, de la croissance et de l’emploi.

Première priorité, nous souhaitons conforter la reprise par les politiques d’avenir comme le numérique. Comme j’ai eu l’occasion de vous le dire au mois de juin dernier, notre objectif de réorientation de l’Europe vers des politiques de soutien à la croissance et à l’emploi porte ses fruits. Le FMI vient en effet de revoir ses prévisions à la hausse concernant les années 2013 et 2014 pour la France comme pour l’Europe.

Ces signes sont encourageants et montrent que le pari d’un soutien à la croissance par la relance des investissements plutôt que par la seule austérité était un bon choix pour l’avenir de l’Europe. Nous devons décliner ce choix à travers toutes les politiques sectorielles, en particulier celles qui sont porteuses d’emplois, au premier rang desquelles le numérique.

Pour la France, les enjeux du numérique ne se résument pas à la fluidité d’un marché unique européen facilitant l’accès aux services et contenus numériques. L’économie du numérique dépend non seulement de la demande, mais aussi de l’offre. Une réelle stratégie est nécessaire afin de développer les emplois du futur. Le numérique représente un quart de la croissance française et de la création d’emplois en France, et il faut continuer à appuyer de toutes nos forces le développement de ce secteur.

C’est pourquoi nous souhaitons que ce Conseil européen soit l’occasion de souligner l’urgence de doter l’Union d’une stratégie globale, aujourd’hui inexistante, fondée sur quatre priorités : établir une politique industrielle numérique à l’échelle européenne, définir des règles du jeu équitables entre les acteurs du numérique – nous pensons notamment à la régulation des plateformes et à la mise en place d’un cadre fiscal adapté –, prendre en compte la valorisation de la création de contenus et de services numériques, en particulier culturels, et, enfin, promouvoir un environnement numérique sûr et de confiance pour les citoyens et les entreprises sur le territoire de l’Union européenne, en particulier via l’adoption d’un cadre européen garantissant la protection des données personnelles. Une contribution française sur l’ensemble de ces aspects a été transmise à Bruxelles en vue du Conseil européen.

Deuxième priorité, il faut poursuivre notre mobilisation sur les fronts de l’emploi et de l’Europe sociale. La croissance dépend aussi des engagements que nous prenons et des politiques que nous menons en matière de solidarité. Il est pertinent, y compris d’ailleurs d’un point de vue économique, que d’autres critères que les seuls indicateurs financiers entrent dans la liste de ceux qui guident nos choix politiques.

Nous avions eu, là aussi, l’occasion d’échanger sur les caractéristiques de la croissance que nous voulons. À l’époque, c’était dans le contexte de la contribution franco-allemande du 30 mai et des conclusions du Conseil européen de juin, qui plaçaient pour la première fois la lutte contre le chômage des jeunes en tête des priorités de l’Union européenne.

Depuis, nous avons obtenu la mise en place d’un fonds d’au moins 6 milliards d’euros pour l’emploi des jeunes pour la période 2014-2020 ou encore l’élargissement du programme Erasmus aux apprentis et aux jeunes en formation par alternance dans les entreprises.

Cette étape était non seulement cruciale en elle-même, pour initier une politique de la jeunesse en Europe à la hauteur des besoins urgents que connaît cette génération, mais, au-delà, parce qu’elle représentait le premier pas déterminant d’une Europe combative et solidaire à l’égard de ses populations en difficulté. C’est dans cet esprit que se tiendra à Paris le 12 novembre une réunion des chefs d’État et de gouvernement sur l’emploi des jeunes.

Une nouvelle étape a été franchie, le 2 octobre, lorsque la Commission a adopté une communication sur la dimension sociale de l’Union économique et monétaire, répondant à une demande exprimée par la France et endossée par le Conseil européen du mois de juin dernier !

Nous saluons une telle initiative de la Commission, non seulement parce qu’elle rappelle très justement que des politiques sociales inadaptées et des déséquilibres sociaux persistants peuvent affecter durablement le potentiel de croissance d’une économie, mais aussi parce qu’elle ouvre la voie à d’autres étapes à venir. Elle est sans précédent et nous donne une base de travail solide, en proposant notamment d’établir un tableau de bord social composé de cinq indicateurs : le taux de chômage, l’éducation, la formation, le revenu brut disponible par ménage et le taux de personnes à risque de pauvreté dans la population active.

Une telle prise en compte des inégalités dans les États membres est un pas notable en faveur d’une Europe au plus proche de la réalité que vivent les Européens.

Cette première étape est décisive. Et si aujourd’hui les indicateurs sont principalement relatifs à l’emploi, ils permettront dans l’immédiat d’intégrer pleinement un diagnostic social au semestre européen. C’est un bon début, qui permettra à l’avenir de réfléchir à son extension à d’autres indicateurs, relatifs par exemple à la démographie ou aux systèmes de santé.

Nous voyons donc ce premier pas inédit comme un « acte fondateur » qui en appellera d’autres. C’est d’ailleurs le propre de la méthode communautaire, qui repose sur le principe du gradualisme.

Troisième priorité, il faut relever les défis qui se présentent à nos frontières. La tragédie que vient de connaître l’île de Lampedusa a profondément et légitimement marqué les esprits. (M. le rapporteur général de la commission des finances acquiesce.) La question de la gestion des frontières de l’Union ne peut faire uniquement l’objet d’un traitement national. Elle requiert une véritable concertation politique impliquant l’ensemble des États membres, car elle touche aux valeurs les plus fondamentales de la construction de l’Europe. (M. le président de la commission des affaires européennes acquiesce.) C’est pour cela que le Président de la République a souhaité que ce point soit abordé au prochain Conseil européen. Face à de tels drames, l’Europe est attendue sur des actes et nous devons nous mobiliser pour renforcer nos moyens d’action.

À cet égard, une démarche fondée sur le triptyque prévention, solidarité et protection doit être mise en œuvre le plus rapidement possible : la prévention, par le soutien au développement et à la recherche de solutions durables dans les pays d’origine des migrants ; la solidarité, tant vis-à-vis des pays de l’Union européenne les plus exposés, comme l’Italie, Malte, ou la Grèce, qu’envers ceux de la rive sud de la Méditerranée ; enfin, la protection, par une surveillance au plus près des côtes des pays de départ, en pleine association avec les pays concernés, ainsi que par une lutte sans relâche contre les criminels qui exploitent sans scrupule la misère et le désespoir des migrants. C’est ce que la France proposera au Conseil européen des 24 et 25 octobre.

Voilà ce que je souhaitais vous dire avant de discuter avec vous de ce prochain Conseil européen. Bien entendu, chacun de ces trois points revêt une importance cruciale en lui-même. Mais ils sont d’autant plus décisifs qu’ils s’inscrivent pour nous dans la perspective que nous nous sommes fixée depuis le début : bâtir une Europe des solidarités. C’est bien cette ambition que j’ai en tête chaque fois qu’il s’agit de représenter nos concitoyens sur la scène européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes aux porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

La commission des finances et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant huit minutes chacune.

Le Gouvernement répondra aux orateurs et aux commissions.

Dans la suite du débat, la parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra la semaine prochaine sera le septième Conseil organisé depuis le mois d’octobre 2012 : sept réunions en un an quand les textes n’en prévoient toujours officiellement que deux par semestre, soit une base théorique de quatre Conseils européens par période de douze mois, base que nous dépassons allègrement. Ce rapide calcul montre bien l’importance qu’a prise cette instance dans la définition des politiques européennes !

En 2012, nous parlions encore de « réunions informelles ou extraordinaires » pour qualifier ces réunions surnuméraires non prévues par les textes, alors que, en 2013, cette dimension a tout bonnement disparu. Ce rythme, supposé exceptionnel l’an passé, est désormais entré dans les mœurs.

Bien sûr, on dira que la situation de crise dans laquelle se trouve l’Union européenne justifie cette inflation. On soulignera également que les difficultés rencontrées dans la préparation du prochain cadre financier pluriannuel expliquent qu’il ait fallu autant échanger. On saluera bien sûr le fait que nos chefs d’État et de gouvernement se soient mis à discuter aussi régulièrement. Mais on aurait cependant tort de se satisfaire d’un tel mode de fonctionnement.

Tantôt, le Conseil européen est présenté comme plus efficace que les autres institutions européennes, puisqu’il permet un dialogue direct et sans intermédiaire entre les Chefs d’État et de gouvernement. Tantôt, il est présenté comme plus légitime, précisément parce qu’il est composé par des chefs d’État et de gouvernement.

Or la réalité est bien différente. S’il n’y a effectivement pas d’intermédiaire entre ces hauts responsables au cours de la réunion, on peut difficilement faire comme si leurs discussions ne reposaient pas sur de longs travaux préparatoires.

Les échanges sont tellement peu libres et peu spontanés que les projets de conclusions du Conseil européen circulent ordinairement plusieurs jours avant la tenue de la réunion elle-même !

En outre, quand on regarde les ordres du jour successifs desdits Conseils de ces dernières années – souvent, ils se répètent furieusement et montrent que beaucoup de problèmes peinent à être résolus d’un Conseil à l’autre –, on a un peu de mal à voir en quoi les décisions prises dans ce cadre seraient plus efficaces que d’autres pour sortir de la crise.

Certes, si chacun des Chefs d’État et de gouvernement qui le composent dispose effectivement d’une légitimité institutionnelle et électorale, la légitimité du Conseil lui-même est déjà beaucoup plus discutable !

Pour les citoyens, le Conseil européen est une arène particulièrement lointaine, d’autant qu’il n’est officiellement responsable de rien, ni devant personne.

Sa composition change trop souvent, tant les rythmes et les calendriers électoraux diffèrent d’un État membre à un autre.

Il arrive même parfois que les gouvernants, avant de grandes échéances électorales, et parfois même après, comme on le voit en Allemagne, semblent singulièrement paralysés, tout au moins entravés dans leur prise de décisions.

Ainsi, la France, isolée dans sa conception des affaires européennes, puisque nous sommes les seuls à les considérer à ce point comme du domaine réservé de l’exécutif, se trouve souvent bien en peine quand il s’agit de construire des alliances durables avec ses partenaires.

J’y vois une explication, parmi d’autres, de la tendance du Conseil européen à ne plus se concentrer sur les grands projets qui devraient mobiliser l’Europe pour les années à venir et à se rabattre sur des considérations plus sectorielles et d’ordre souvent purement technico-administratives.

Ce sont là, en effet, de bien commodes dénominateurs communs, mais hélas ! sans véritable vision globale et au long cours.

J’en viens à ce qui devrait occuper la réunion de la semaine prochaine.

L’ordre du jour, comme tant d’autres avant lui, est presque exclusivement tourné vers l’économie ou, du moins, il tend à traiter l’ensemble de ses sujets sous l’angle de l’économie et de la fameuse « compétitivité », y compris lorsqu’il s’agit d’emploi ou d’affaires sociales.

On y reparle d’emploi des jeunes, d’union bancaire, de numérique et de recherche. Ce sont des sujets éminemment importants – cela va sans dire –, mais sur lesquels les avancées tardent à se concrétiser. L’impatience légitime de nos concitoyens et des acteurs de ces secteurs risque bien de se faire de plus en plus vive.

Surtout, une partie des discussions de ce Conseil européen devraient porter, en raison des terribles drames qui y ont eu lieu récemment, sur l’île de Lampedusa et sur ce à quoi cela renvoie, à savoir l’échec des politiques migratoires et d’asile en Europe.

Qu’il me soit permis ici de le constater, les premières réponses européennes à ces drames et à leurs centaines de victimes, réponses qui se sont d’ailleurs beaucoup fait attendre, paraissent malheureusement loin, très loin d’être à la hauteur.

On évoque une surveillance accentuée, le fameux Eurosur, des accords avec les États de départ ou de transit, la lutte accrue contre l’immigration clandestine...

Si l’on comprend bien qu’il faille démanteler les réseaux de passeurs ou être en mesure de porter plus rapidement secours en cas de situation de détresse, il ne faudrait tout de même pas que notre unique réaction consiste à fermer encore davantage l’Europe, surtout sans traiter les causes profondes du problème.

En outre, une grande partie, sinon la majorité de ces migrants sont aujourd’hui originaires de Syrie, pays qu’ils tentent de fuir pour des raisons qu’il est inutile de rappeler ici.

Qu’attendons-nous pour faciliter leur exil ? Qu’attend l’Europe pour activer la directive sur la protection temporaire, pour développer des programmes de réinstallation, pour délivrer des visas humanitaires ?

Monsieur le ministre, qu’attend la France pour revenir sur sa décision d’exiger des visas de transit aéroportuaire, visa distillés au compte-gouttes, avant de laisser des citoyens syriens en fuite faire escale dans les aéroports français pour se rendre, notamment, sur le continent américain, où ils sont accueillis ? J’ai déjà posé plusieurs fois cette question au Gouvernement depuis le 6 juin dernier, et je n’ai toujours pas obtenu de réponse. J’aimerais vous entendre prendre position aujourd’hui.

Je ne peux m’empêcher de le remarquer, certaines questions sensibles comme celles-ci ne bénéficient, d’une manière générale, que d’une publicité toute relative.

C’est le cas des négociations avec les États-Unis sur un éventuel traité de libre-échange, dont on suppose qu’elles seront abordées à la fin du Conseil européen et sur lesquelles nous n’avons aucun élément récent. Le sceau du silence ou de la négociation feutrée semble imprimer toutes les discussions concernant l’Union européenne et ses partenaires extracontinentaux. Mais n’y a-t-il vraiment rien à en dire quand on voit les enjeux auxquels ces discussions renvoient ?

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la construction européenne a pu être lancée voilà plus de cinquante ans par une sorte de géniale intuition, par une espèce de disruption historique venue secouer et changer le cours des événements.

Il a fallu pour cela que les États européens acceptent ce qu’ils avaient souvent rechigné à faire jusque-là : s’ouvrir, mettre en commun, repenser la notion même de frontière.

On peut malheureusement se demander aujourd’hui si cet esprit-là n’est pas un peu en voie de disparition, si l’Europe ne se referme pas trop sur elle-même, malgré le rôle majeur qui devrait être le sien dans un monde toujours plus globalisé.

L’Europe doit retrouver sa volonté et sa capacité de mobiliser les sociétés qui la composent. Il est à craindre que les réunions du Conseil européen non seulement n’y suffisent pas, mais jouent en plus parfois un rôle contreproductif.

Cela nous renvoie une nouvelle fois à l’importance de trouver un nouvel équilibre institutionnel qui mette enfin le doigt sur les limites de l’intergouvernemental et reconnaisse l’échelon fédéral à sa juste mesure.

Espérons que les prochaines élections européennes ne se retournent pas en sanction contre ce triste état de fait. (M. Jean Bizet ainsi que M. le président de la commission des affaires européennes applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe UMP.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur les sujets économiques, monétaires, de croissance et de compétitivité à l’ordre du jour, le prochain Conseil européen d’octobre apparaît comme une étape transitionnelle, de bilan et d’évaluation. Il n’en est pas moins sans intérêt en ce qu’il prépare l’avenir.

En effet, même si l’on peut considérer que beaucoup de progrès ont été réalisés de la part des gouvernements et des instances européennes, notamment de la Banque centrale européenne, ou BCE, pour juguler la crise et réorganiser notre système bancaire et financier, il n’en demeure pas moins qu’il faut poursuivre le chemin pour consolider la stabilité financière et économique, garante de la stabilité sociale et politique.

Dans cette perspective, l’organisation de ce débat me permet une nouvelle fois d’interroger le Gouvernement sur sa position par rapport à l’Allemagne, alors que les divergences d’analyse et de décision semblent aller croissant entre nos deux pays.

C’est aussi une manière de souligner que la proposition de résolution que le groupe UMP a déposée le 31 mai dernier sur la qualité d’une relation franco-allemande empreinte de confiance et de compréhension est toujours d’actualité.

Certes, au prochain Conseil, l’Allemagne n’aura pas encore un gouvernement représentatif des résultats des élections du mois de septembre dernier. Mais cette situation est compensée par le fait que la Chancelière Angela Merkel a été brillamment réélue et qu’elle incarne et assure plus que jamais la continuité. L’élection a en effet été un vote clair en faveur de la poursuite de son action en matière de politique financière, budgétaire, fiscale et européenne. Je ne pense pas qu’il faille s’attendre à de grands changements dans la gestion de la crise européenne du point de vue de l’Allemagne.

Les Allemands ont confirmé leur choix d’une politique axée sur la priorité au désendettement et la maîtrise des dépenses publiques comme source de croissance et de compétitivité.

La Chancelière est ainsi confortée dans ses choix de politique économique, pour son pays et pour l’Union européenne, d’autant plus que – je tiens à le rappeler – les socialistes et les verts allemands ont régulièrement apporté leur soutien à ses mesures de consolidation budgétaire.

Or ce sont ces choix que vous avez jusqu’à présent vainement essayé de contrer, tout comme vous dénigrez les conseils que peuvent formuler les instances européennes pour notre pays.

J’illustrerai mon propos par deux exemples.

Au printemps dernier, les instances européennes conseillaient à la France la définition d’un cadre global d’action, au plus tard en octobre, en contrepartie du délai de deux ans accordé pour le retour à l’équilibre de nos finances publiques.

Monsieur le ministre, pouvons-nous considérer le projet de loi de finances pour 2014 comme la première étape de ce cadre global ? Je ne le pense pas. Vos contradictions et vos errements, notamment en matière de fiscalité et de choix économiques, laissent plutôt craindre un manque de détermination et de clarté. Espérer le retour de la croissance n’a jamais fait une politique économique. Mais je ne veux pas préempter le débat budgétaire.

Par ailleurs, laissez-moi souligner combien les objectifs économiques et sociaux du Gouvernement divergent de ceux de l’Allemagne : de ce côté-ci du Rhin, le recours aux emplois aidés, de l’autre la priorité à ramener les chômeurs dans l’emploi du secteur privé ; de ce côté-ci, une dépense publique supérieure de 10 points de PIB sans que nos services publics soient d’une qualité très supérieure, et avec le niveau de dette qui va avec ; des fiscalités de plus en plus divergentes, notamment pour l’impôt sur les sociétés ; de ce côté-ci, un régime de formation professionnelle qui se cherche depuis des années – j’insiste sur ce point –, de l’autre, un système efficace dont nous pourrions nous inspirer.

Notre position est très claire et, finalement, relativement simple : la France ne peut pas se passer de la coopération avec l’Allemagne, et l’Europe ne peut pas se passer du « couple franco-allemand » non pas comme figure hégémonique – j’y reviendrai tout à l’heure – mais comme facteur de propositions et de dynamisme.

En conséquence, monsieur le ministre, je me permets de vous poser les questions suivantes. Jusqu’où le Gouvernement va-t-il laisser diverger notre économie par rapport à celle de l’Allemagne ? Jusqu’où le Gouvernement va-t-il aller dans sa stratégie, qui l’isole de plus en plus au niveau européen, avec des niveaux de fiscalité, de dépenses publiques et de dette atteignant des records ?

Comment améliorer la coordination budgétaire et financière dans l’Union européenne alors que votre politique nourrit la divergence, avec l’Allemagne d’abord, mais aussi avec des pays comme l’Italie et l’Espagne, qui ont mené des politiques courageuses, douloureuses de redressement des finances publiques ?

Prendre le risque de bâtir des systèmes fiscaux et sociaux trop différents, c’est implicitement faire le choix d’une Europe des transferts et des subventions alors qu’il faudrait collectivement créer de la croissance et de la richesse.

Or il ne suffit pas de demander à l’Allemagne un mécanisme de résolution des crises centralisé qui implique des limitations de souveraineté ou de lui demander de s’engager dans une initiative européenne pour l’emploi ou dans les eurobonds... Il faut aussi, me semble-t-il, regagner sa confiance en donnant des signes clairs de remise en ordre de notre économie et en engageant une politique déterminée de réformes structurelles, seule manière de conforter le retour de la croissance et d’améliorer notre compétitivité.

Permettez-moi d’aller plus loin encore : la réélection de la Chancelière met l’Allemagne dans une situation quelque peu paradoxale. En effet, notre voisin a tout intérêt, et Mme Merkel l’a bien compris, à ne pas afficher au grand jour toute sa puissance et toute sa dimension, afin de ne pas risquer d’entraîner crispations et humeurs de ses partenaires. L’Histoire nous a appris les limites de telles postures.

Il reste donc à la France l’impérieuse nécessité et obligation de reprendre l’initiative de relancer l’Europe. Cette place de tout premier plan ne peut pas être occupée par l’Allemagne ; elle revient, je le répète, à la France. C’est à la France de relancer l’Europe, en commençant par assumer et réaliser ses propres réformes structurelles.

S’il y a un moment à saisir pour reprendre avec l’Allemagne notre destin européen, c’est maintenant.

Monsieur le ministre, le groupe UMP du Sénat vous y invite ardemment. Et comme nous l’avons démontré tout à l’heure au travers de la proposition de résolution présentée par notre collègue Éric Bocquet, quand les choses vont dans le bon sens, notre famille politique vous appuie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)