compte rendu intégral

Présidence de M. Didier Guillaume

vice-président

Secrétaire :

M. Jean-François Humbert.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Publication du rapport d’une commission d’enquête

M. le président. J’informe le Sénat que, ce matin, a expiré le délai de six jours nets pendant lequel pouvait être formulée la demande de constitution du Sénat en comité secret sur la publication du rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage, créée le 20 février 2013, sur l’initiative du groupe socialiste, en application de l’article 6 bis du règlement.

En conséquence, ce rapport a été publié ce matin, sous le n° 782.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi relative aux modalités de mise en oeuvre des conventions conclues entre les organismes d'assurance maladie complémentaire et les professionnels, établissements et services de santé
Discussion générale (suite)

Réseaux de soins

Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux modalités de mise en oeuvre des conventions conclues entre les organismes d'assurance maladie complémentaire et les professionnels, établissements et services de santé
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au fonctionnement des réseaux de soins créés par les mutuelles et aux modalités de mise en œuvre des conventions conclues entre les organismes de protection sociale complémentaire et les professionnels de santé (proposition n° 172, texte de la commission n° 776, rapport n° 775).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est peu dire que le texte dont nous allons débattre aujourd'hui a d’ores et déjà suscité de nombreux débats et fait couler beaucoup d’encre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Il s'agit en effet d’une proposition de loi importante pour ce qui concerne le champ d’intervention des complémentaires santé.

La discussion de ce texte intervient dans un contexte particulièrement opportun, puisque le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, le HCAAM, a adopté, il y a quelques jours, un rapport concernant l’évolution des complémentaires santé. Ces débats sont utiles, et même nécessaires, car ils doivent nous permettre – je le dis très clairement – de progresser encore sur le sujet majeur de l’accès aux soins de l’ensemble de nos concitoyens. C’est bien dans cette perspective que s’inscrit le Gouvernement.

Je veux souligner que cette proposition de loi diffère profondément de celle qui avait été présentée par M. Fourcade et dont le Sénat avait débattu. Dans le texte qu’ils ont élaboré à l’automne dernier, les députés ont souhaité clarifier le champ et les modalités d’intervention des réseaux de soins. Je tiens à saluer le travail approfondi réalisé par la commission des affaires sociales du Sénat, et tout particulièrement par son rapporteur général.

L’objectif de la proposition de loi est clair : je l’ai dit, il s’agit de renforcer l’accès aux soins de nos concitoyens, tout en limitant le montant qui reste à leur charge. L’accès de tous à des soins de qualité est une priorité. Cela implique d'abord de conforter l’assurance maladie obligatoire, qui est évidemment le socle fondamental et le pilier de notre système de protection sociale en matière de santé. Le fait que nous nous penchions aujourd'hui sur les conditions d’accès aux complémentaires santé et sur les modalités de contractualisation ne doit pas faire oublier que la clé de voûte de notre système est l’assurance maladie obligatoire. Il n’y a pas de contradiction entre les deux.

L’assurance maladie obligatoire se fonde sur un principe de solidarité entre les bien portants et les malades. Elle constitue ainsi un puissant facteur de réduction des inégalités. Pour autant, notre système de solidarité ne s’est jamais traduit par une prise en charge complète des soins. C’est dans ce contexte, et pour cette raison, qu’il nous revient de préciser la place des complémentaires santé. Celles-ci remboursent aujourd’hui près de 14 % des dépenses de santé, ce qui représentait près de 25 milliards d’euros en 2011.

Comme l’a souligné le HCAAM dans son avis du 11 juillet dernier, la couverture complémentaire de santé apparaît désormais comme un élément essentiel de l’accès aux soins, et notamment, mais pas uniquement, pour les dépenses qui sont moins bien remboursées par l’assurance maladie. Aujourd’hui, un certain nombre de nos concitoyens renoncent à se soigner, faute de complémentaire ou de couverture complémentaire de niveau suffisant. C’est le cas en particulier pour certains soins courants : en matière d’optique, par exemple, l’assurance maladie ne prend en charge que 4 % de la dépense totale des ménages.

Malgré la mise en place de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, dont le seuil – je veux le rappeler – a été relevé le 1er juillet dernier, 2,5 millions de personnes ne sont pas couvertes par une complémentaire. C’est pourquoi le Président de la République s’est fixé comme objectif « à l’horizon 2017 la généralisation de l’accès à une couverture complémentaire de qualité ».

Une première étape a été franchie avec la signature de l’accord national interprofessionnel, l’ANI, qui permettra à tous les salariés de bénéficier d’une couverture complémentaire dès que les conditions de sa mise en œuvre dans l’ensemble des branches seront réunies, c'est-à-dire au plus tard en 2016.

Il faut maintenant parvenir à généraliser les complémentaires au-delà du seul monde du travail, mais aussi réussir à mieux maîtriser les conditions de la mise en place des complémentaires. Pour les soins qui sont remboursés de façon privilégiée par les complémentaires santé, cela implique de développer des dispositifs de régulation adaptés. Les réseaux peuvent contribuer à cet effort de régulation. Ils permettent en effet aux adhérents des complémentaires santé de se soigner avec un reste à charge moins élevé.

Aujourd’hui, l’ensemble des complémentaires ne disposent pas des mêmes possibilités puisque, sur le plan juridique, elles n’ont pas toutes le droit de mettre en place des réseaux. C’est pourquoi le premier objectif de cette proposition de loi est de placer l’ensemble des complémentaires sur un pied d’égalité.

Les entreprises d’assurance et les institutions de prévoyance ont la possibilité de conventionner sans restriction. À l’inverse, les organismes régis par le code de la mutualité ne peuvent pas proposer à leurs adhérents des contrats intégrant ce type de dispositions. Il faut donc que la loi permette à l’ensemble des complémentaires de disposer des mêmes outils de régulation. En effet, il ne serait pas compréhensible que seules les mutuelles ne puissent pas recourir aux outils de régulation que constituent les réseaux de soins.

Cependant, pour pouvoir se développer, ces réseaux doivent être encadrés. Le travail réalisé par l’Assemblée nationale a permis de définir les principes et les règles qui doivent régir leur fonctionnement. Ces principes ont été précisés par la commission des affaires sociales du Sénat.

Le premier principe est le libre choix du patient. Il est au cœur du modèle de santé français. Nos concitoyens y sont profondément attachés, et il n’est évidemment pas envisageable de le remettre en cause.

Le deuxième principe est l’instauration de règles claires en matière de conventionnement. De telles règles font encore défaut aujourd’hui. Les conventionnements devront reposer sur des critères objectifs, transparents et non discriminatoires. J’insiste, pour ma part, sur la transparence, car elle constitue un point clé de la légitimité des conventionnements. La transparence doit bénéficier à tous : aux professionnels, aux complémentaires et aux patients.

Les conventionnements ne pourront pas comporter de clause d’exclusivité. Il ne serait pas acceptable qu’un professionnel ne puisse conventionner qu’avec un seul réseau, car cela ne correspondrait pas aux besoins de la population. Un professionnel doit pouvoir prendre en charge l’ensemble des patients, en fonction des besoins de santé qu’ils expriment.

L’Autorité de la concurrence a déjà eu l’occasion de rappeler ces principes de transparence, d’objectivité et de non-discrimination : ils seront désormais inscrits dans la loi et deviendront donc opposables. C’est l’objet de l’article 2 de la proposition de loi.

Enfin, le troisième principe est le droit à l’information. L’organisme assureur devra veiller à ce que ses adhérents soient pleinement éclairés sur l’existence d’un conventionnement, sur ses caractéristiques ou encore sur les garanties de remboursement. Ce principe de transparence devra s’appliquer avant la conclusion du contrat et tout au long de son exécution. Le rapport annuel prévu par l’article 3 de la proposition de loi contribuera, lui aussi, à cette exigence de transparence.

La commission des affaires sociales du Sénat a souhaité préciser ces principes en rappelant que chaque professionnel devait à ses patients les mêmes modalités de délivrance des prestations de soins. De la sorte, le texte adopté par la commission rappelle le principe fondamental d’égal accès aux soins édicté par le code de la santé publique. Votre rapporteur général a cependant déposé un amendement visant à mentionner explicitement ce principe dans la proposition de loi.

Même si ce n’est pas nécessaire sur un plan strictement juridique – ce principe fondamental du droit de la santé figure déjà, je viens de le dire, dans le code de la santé publique –, cet amendement permettra de clarifier le sens du texte adopté en commission. Le Gouvernement y sera donc favorable.

La commission a également soulevé la question de l’existence du numerus clausus dans ces réseaux : le texte qu’elle a adopté tend ainsi à prévoir que tous les professionnels pourront conventionner avec les complémentaires santé dès lors qu’ils en respectent le cahier des charges, sauf pour l’optique, où des réseaux fermés peuvent être autorisés.

Cette question est complexe, car l’enjeu n’est pas tant de savoir si un réseau est ouvert ou fermé que de s’assurer que chaque adhérent peut accéder à des professionnels conventionnés à proximité de son lieu de vie. C’est notamment le cas – je sais d’ailleurs que nombre d’entre vous y sont particulièrement sensibles – dans les zones rurales.

Or il ne faudrait pas que, pour des raisons de densité de professionnels médicaux, la constitution de réseaux soit favorisée dans les secteurs urbains, au détriment des secteurs ruraux. Je souhaite que nos débats nous permettent d’approfondir ce point, car, je le répète, le fait d’opposer réseaux ouverts et réseaux fermés ne répond pas à cet enjeu.

Par ailleurs, je tiens à souligner qu’il nous appartient collectivement de veiller au respect des principes constitutionnels, en particulier celui de la liberté contractuelle, qui pourrait être remise en cause par l’interdiction de certaines formes de contractualisation. Prévoir dans la loi une interdiction des réseaux fermés pourrait être considéré comme une atteinte à ce principe constitutionnel. En outre, la souplesse des réseaux peut être essentielle pour faire face aux évolutions de notre système de soins et aux réalités du terrain.

Enfin, il s’agit de préciser le champ d’intervention de ces réseaux de soins, sujet qui a suscité de nombreux débats et de grandes inquiétudes. Comme l’a exprimé le HCAAM dans un avis récent, ces réseaux trouvent tout leur sens pour les soins dont les tarifs ne sont pas aujourd’hui suffisamment encadrés et pour lesquels la prise en charge par l’assurance maladie est limitée. C’est par exemple le cas des soins prothétiques dentaires, mais cela concerne aussi une large part des dispositifs médicaux, au premier rang desquels figurent l’optique et l’audioprothèse.

Néanmoins, soyons clairs : les tarifs de ces soins, fixés par voie conventionnelle entre les syndicats et l’assurance maladie, n’ont pas vocation à être régulés, et ne peuvent l’être, dans le cadre des réseaux, puisque la liberté tarifaire n’existe pas pour ces soins. Je pense en particulier aux soins paramédicaux.

L’examen par l’Assemblée nationale a également permis de préciser que les tarifs des actes médicaux ne pouvaient être encadrés par de tels réseaux : en effet, l’avenant n° 8 a fixé un cadre pour réguler les dépassements d’honoraires, comme le souhaitait fermement le Gouvernement.

La commission des affaires sociales du Sénat a complété ces mesures en précisant que ces actes médicaux ne pouvaient pas, dès lors, donner lieu à des remboursements différenciés dans le cadre de ces réseaux. Je veux le dire ici de façon très claire, c’est bien dans cet esprit que l’Assemblée nationale avait adopté ces dispositions. Pour les députés, il s’agissait de la conséquence logique de la rédaction qu’ils avaient adoptée. Néanmoins, il vous a paru utile de préciser ce point dans le texte que vous avez voté en commission. C’est sans doute une bonne chose que cette ambiguïté ait été dissipée.

Par ailleurs, la commission a souhaité expliciter et restreindre le champ des professions pour lesquelles les réseaux de soins peuvent comporter des stipulations tarifaires. Le texte adopté limite, en effet, l’encadrement des tarifs pour les actes remboursés par l’assurance maladie aux seuls professionnels pour lesquels les complémentaires sont majoritaires dans le financement, c’est-à-dire les opticiens, les audioprothésistes et les chirurgiens-dentistes. Nous pouvons en discuter, mais vous avez souhaité poser ce point de départ. De mon point de vue, si les complémentaires ont, à l’évidence, un rôle majeur à jouer là où l’assurance maladie propose actuellement un remboursement inférieur à 50 %, on ne peut pas déterminer la part que doivent prendre les complémentaires en fonction de ce qu’est aujourd’hui…

M. Jean-François Husson. Oui, aujourd’hui !

Mme Marisol Touraine, ministre. … leur part de remboursement. Cependant, on peut considérer qu’elles ont aussi un rôle de régulation à jouer dans des secteurs pour lesquels l’assurance maladie intervient de façon majoritaire. Je voulais apporter cette nuance entre mon appréciation et la vôtre, mais, en tout cas, je note qu’une proposition a été avancée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte contribuera directement à l’objectif de régulation de notre système de santé, puisque son adoption permettra de donner un cadre clair et transparent aux réseaux de soins.

La première des priorités, que nous partageons tous, c’est l’intérêt des patients. Nous devons donc tout mettre en œuvre pour garantir à chacun le bénéfice de soins de qualité, et ce au meilleur coût. Nous devons donc faire en sorte de réduire les montants qui restent à la charge des patients.

Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement souhaite que cette proposition de loi soit adoptée. En renouvelant mes remerciements à l’ensemble de la commission des affaires sociales, et plus précisément à M. le rapporteur général, je réaffirme la disponibilité du Gouvernement pour faire avancer la discussion de ce texte, dans le respect des principes que je viens de rappeler. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, les ordonnances ayant créé la sécurité sociale en 1945 ont fixé un principe toujours d’actualité : la participation des patients à leurs propres dépenses de santé. C’est pour financer et mutualiser ce reste à charge que les organismes complémentaires d’assurance maladie, les OCAM, se sont développés. Aujourd’hui, ils versent environ 26 milliards d’euros de prestations – nous avons là une petite nuance d’appréciation avec Mme la ministre ! –, ce qui représente 13,7 % des dépenses de santé, tandis que la sécurité sociale continue d’en couvrir plus de 75 %.

Depuis 1945, la logique d’un complément permettant de couvrir les 20 % de ticket modérateur de l’époque et d’atteindre 100 % du tarif de la sécurité sociale constitue le fondement du développement des OCAM.

Or cette logique est dépassée dès lors que les remboursements de l’assurance maladie sont très faibles et que les prix sont libres, ce qui est le cas en optique, dans l’audioprothèse et pour les soins dentaires prothétiques, trois secteurs pour lesquels les remboursements des organismes complémentaires sont tout à la fois élevés et complètement déconnectés des tarifs de la sécurité sociale. Comme j’ai évoqué plus en détail ces secteurs dans mon rapport écrit, je n’y reviens donc pas.

En outre, malgré l’intervention des organismes complémentaires, les restes à charge – plusieurs centaines d’euros – sont lourds à supporter pour les patients. Qui plus est, la faculté des assurés de comparer et d’évaluer les offres qui leur sont faites est très réduite. Autant notre capacité à choisir une monture de lunettes est évidente, autant celle à sélectionner un type de verres est minime.

La dissymétrie entre l’information du patient et celle du professionnel est très élevée, alors même que les coûts sont peu transparents, puisque les prix d’achat des équipements et biens ne sont pas connus de l’assuré, et que le prix final varie sensiblement selon les produits, y compris dans une même gamme.

Dans ces conditions – liberté des prix et opacité de la formation de ces derniers –, comment accepter que les OCAM n’aient aucune marge de manœuvre et restent uniquement des financeurs aveugles ? Une telle voie serait tout bonnement irresponsable du point de vue des assurés eux-mêmes, lesquels sont amenés à payer in fine les cotisations.

Ainsi, il ne serait ni vertueux ni sain de restreindre les options que peuvent choisir les organismes complémentaires, à savoir soit l’augmentation des cotisations, soit la diminution des garanties contractuelles.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que les OCAM ont mis en œuvre différents outils que l’on appelle parfois, dans le jargon de la sécurité sociale, « de gestion du risque ». Ces outils ont plusieurs finalités : mieux maîtriser l’évolution de la dépense et diminuer le reste à charge, mais aussi contrôler la qualité de la prestation, ainsi que conseiller et orienter les adhérents.

Ce qui est généralement appelé un réseau de soins constitue l’un de ces outils. Constitué au travers d’un contrat passé avec un professionnel ou un établissement de santé, et il repose sur deux instruments principaux, qui peuvent être utilisés simultanément : la négociation de tarifs plus avantageux et un meilleur remboursement pour l’adhérent quand il consulte à l’intérieur du réseau.

L’ensemble des études et rapports disponibles militent pour le développement des réseaux de soins. Pas plus tard que la semaine dernière, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a pris position en faveur du développement de ces réseaux dans le cadre du rapport demandé par le Gouvernement sur les organismes complémentaires.

Venons-en maintenant aux dispositions de la proposition de loi.

L’article 1er tend à placer les mutuelles sur un pied d’égalité avec les institutions de prévoyance et les sociétés d’assurance. Le code de la mutualité n’autorise les mutuelles à instaurer des différences dans le niveau des prestations qu’elles servent à leurs adhérents qu’en fonction des cotisations payées ou de la situation de famille des intéressés. En mars 2010, la Cour de cassation a interprété strictement cette disposition, ce qui empêche les mutuelles de rembourser différemment un adhérent selon qu’il consulte au sein du réseau ou non.

Or rien dans le code des assurances ou dans le code de la sécurité sociale n’interdit cette possibilité aux assurances et aux instituts de prévoyance. Il existe donc une rupture d’égalité entre les familles de complémentaires qui ne se justifie aucunement, puisque l’ensemble des OCAM sont en concurrence. Après un débat fourni, la commission a approuvé l’article 1er de la proposition de loi sans modification.

L’article 2 est essentiel : il tend à poser les bases d’un encadrement du fonctionnement des réseaux de soins. Ajouté lors des débats à l’Assemblée nationale, cet article vise à fixer les principes que doivent respecter les conventions entre les OCAM, quels qu’ils soient, et les professionnels ou établissements de santé. Je les rappelle ici : libre choix du professionnel ou de l’établissement par le patient ; critères objectifs, transparents et non discriminatoires pour l’adhésion du professionnel ou de l’établissement à la convention ; absence de clause d’exclusivité.

L’Assemblée nationale a également ajouté que les conventions avec les médecins ne pouvaient pas inclure de stipulations tarifaires relatives aux actes et prestations de la sécurité sociale, ce qui couvre les honoraires et les autres rémunérations découlant de la classification commune des actes médicaux, de la nomenclature générale des actes professionnels ou des conventions négociées avec l’assurance maladie.

Les OCAM devront fournir une information complète à leurs assurés sur l’existence d’un conventionnement, ses caractéristiques et son impact sur leurs droits.

Enfin, l’ensemble de ces règles s’appliqueront non seulement aux nouvelles conventions, mais aussi à celles qui seront simplement renouvelées.

Durant l’examen de cette proposition de loi, j’ai souhaité trouver un équilibre entre des objectifs et des contraintes qui peuvent parfois apparaître comme contradictoires. Je m’étais fixé une ligne de conduite : créer les conditions d’une diminution du reste à charge des patients.

Aujourd’hui, il n’existe aucun encadrement des réseaux de soins : les OCAM peuvent proposer à tous les professionnels, y compris les médecins, des contrats portant sur n’importe quelle question.

Rejeter la proposition de loi revient à accepter que prévale une liberté contractuelle totale entre les OCAM et les professionnels. Je crois au contraire qu’il relève de l’intérêt général et de notre responsabilité de poser les principes que doivent respecter les réseaux dans leur fonctionnement. Pour éviter les éventuelles dérives que certains mettent en avant aujourd’hui, il faut légiférer : c’est ce que permet cette proposition de loi.

Parallèlement, si nous imposons trop de contraintes, nous encourons le risque d’une censure par le Conseil constitutionnel : dans sa décision relative au projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, le Conseil a érigé les principes de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle à un niveau inattendu, justement au sujet des complémentaires santé.

Au-delà de l’argument constitutionnel, il ne me semble pas illégitime, je le répète, qu’un organisme complémentaire puisse maîtriser un tant soit peu des dépenses financées par les cotisations de ses adhérents, mais dans un cadre prudentiel respectueux des libertés de chacune et de chacun.

Telles sont les lignes de force qui ont guidé les travaux de la commission. Celle-ci a modifié le texte de l’Assemblée nationale sur trois points substantiels.

Tout d’abord, la commission a souhaité préciser le champ des professionnels concernés et l’étendue du conventionnement. Elle a préservé la possibilité pour les OCAM de conclure des conventions avec l’ensemble des professionnels et établissements de santé. En effet, ces conventions sont d’abord un outil dans la lutte contre les restes à charge. Qui plus est, certaines d’entre elles peuvent porter sur des sujets tout à fait consensuels et importants pour nos concitoyens, par exemple le tiers payant.

Cependant, tous les professionnels ne se situent pas sur le même plan du point de vue de l’assurance maladie : la plupart d’entre eux relèvent de conventions nationales, qui jouent encore un rôle moteur et prédominant dans la régulation du système de santé, qu’il s’agisse des médecins, des infirmiers, des sages-femmes, des masseurs-kinésithérapeutes, pour ne citer que ces exemples ; pour d’autres, les dépenses de l’assurance maladie sont aujourd’hui minoritaires et, parfois, aucune convention nationale n’est en vigueur.

Plutôt que de désigner uniquement les médecins, sans critère objectif particulier, nous avons décidé que, lorsque les dépenses de l’assurance maladie sont majoritaires, des conventions peuvent exister, mais ne peuvent pas porter sur des stipulations tarifaires liées aux actes et prestations fixés par l’assurance maladie.

Nous avons, en outre, précisé la rédaction de l’Assemblée nationale en ce qui concerne les médecins. Cette profession est la seule, avec celle des chirurgiens-dentistes, à pouvoir pratiquer, dans certaines conditions, des honoraires libres. Alors que le Gouvernement et l’assurance maladie ont engagé des travaux pour lutter contre ces dépassements – je pense en particulier à l’avenant n° 8 qui se met lentement en place –, nous avons privilégié cette voie et prévu que les conventions des organismes complémentaires ne pourront pas avoir pour effet de moduler les remboursements selon que le patient consulte dans un réseau ou non. Cette question ne se pose pas pour les autres professions – infirmières, sages-femmes masseurs-kinésithérapeutes, etc. –, puisqu’elles sont contraintes et ne peuvent dépasser les tarifs fixés par la sécurité sociale. Nous restons donc bien dans la logique de « complément » que j’évoquais au début de mon intervention.

Le deuxième sujet concerne les réseaux ouverts ou fermés. La démographie des chirurgiens-dentistes et des audioprothésistes est en pratique limitée soit par un numerus clausus explicite, soit par un nombre de places restreint en école. En outre, il ne semble pas qu’un risque de surpopulation soit établi dans ces deux secteurs à l’avenir. C’est pourquoi nous avons estimé qu’un réseau fermé n’y est pas nécessaire ; en pratique, il n’en existe d’ailleurs pas.

En revanche, la situation démographique des opticiens-lunetiers est plus préoccupante : chaque année, environ 2 000 nouveaux diplômés sortent des écoles et le nombre total de professionnels a déjà crû de 53 % depuis 2005 ! En l’état, ce rythme est insoutenable pour la profession qui va elle-même se retrouver dans de grandes difficultés. Un réseau fermé peut donc se justifier dans l’optique, pour des raisons démographiques. Pour accepter de modérer leurs tarifs, les opticiens doivent avoir l’espérance de recevoir un nombre significatif d’assurés, ce que seul un réseau fermé permet.

La commission a donc décidé d’interdire les réseaux fermés, sauf en optique : ce dernier secteur connaît une situation tout à fait particulière par rapport à celle des autres professions, ce qui justifie une mesure spécifique.

Enfin, nous avons inscrit un principe complémentaire à ceux qui ont déjà été posés par l’Assemblée nationale : les conventions ne pourront pas avoir pour effet d’introduire des différences dans les modalités de délivrance des soins, ce qui interdit une éventuelle discrimination selon que le patient bénéficie ou non de tel ou tel réseau. Je vous proposerai d’améliorer la rédaction du texte de la commission sur ce point.

En conclusion, mes chers collègues, si nous devons répondre à l’urgence consistant à placer sur un pied d’égalité les trois familles de complémentaires, nous devons aussi poser les bases d’un encadrement des réseaux de soins, encadrement aujourd’hui totalement inexistant. La commission vous propose d’adopter la proposition de loi dans la rédaction résultant de ses travaux, tout en espérant que l’Assemblée nationale pourra alors l’approuver dans des termes identiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)