M. Jean-Claude Lenoir. Bref, on veut des élus éloignés de la vie quotidienne de nos concitoyens, des élus sans attaches avec le territoire. Évidemment, défendre le département dont les électeurs nous ont envoyés siéger dans cette enceinte est condamnable.

M. Gérard Longuet. C’est du clientélisme !

M. Jean-Claude Lenoir. Voilà autant de dérives auxquelles nous allons assister et qui justifient notre hostilité aux mesures que vous nous proposez, qui ont pour objet de vous laver de tout péché commis et d’écarter le soupçon.

Mes chers collègues, en réalité, aucune loi n’empêchera quelqu’un de mentir !

M. Jean-Claude Lenoir. Aucune règle ne suffira, aucun interdit ne produira une conséquence positive.

M. Alain Anziani. Alors, il faut supprimer le code pénal !

Mme Cécile Cukierman. Et ce sera l’anarchie !

M. Jean-Claude Lenoir. Mais ce qui nourrit notre action, ce qui justifie notre candidature à une fonction élective, notre présence dans cet hémicycle, c’est le code moral que nous construisons pour nous-mêmes et qui nous rend dignes de l’honneur que nous ont fait ceux qui nous ont élus. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Yves Détraigne et Christian Namy applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, les projets de loi organique et ordinaire dont nous sommes saisis aujourd’hui sont des textes hautement symboliques, car, comme l’a rappelé le rapporteur, ils traitent des sujets essentiels que sont la transparence, le contrôle et le respect de la vie privée. Ils sont aussi empreints d’un certain pragmatisme.

Ces textes sont d’une importance considérable pour notre République et ses institutions. Construire une République exemplaire : tel est l’objectif premier du Président de la République qui s’accompagne de l’ardente obligation d’obtenir la confiance de nos concitoyens.

M. Charles Revet. Il faut que ça change !

Mme Catherine Tasca. Avec l’examen de ces deux projets de loi, nous sommes aujourd’hui amenés à faire un progrès décisif en ce sens.

Fort heureusement, la transparence de la vie publique est une préoccupation ancienne et croissante des gouvernements. Ce sujet a fait l’objet de plusieurs lois, dont celle du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, modifiée, notamment, en 1995. Il est regrettable de noter que les progrès de la législation ont presque toujours eu lieu à la suite d’affaires ou de scandales politiques.

Si l’affaire Cahuzac a amené le Gouvernement à présenter dans l’urgence les présents projets de loi, il n’en demeure pas moins que les avancées qui sont proposées dans ces textes sont reconnues de longue date comme une nécessité pour la revitalisation de notre système politique tout entier.

En votant ces textes, ce que le législateur doit avoir à l’esprit, ce n’est pas principalement l’éventualité d’une future affaire Cahuzac, mais bien plutôt la restauration de la crédibilité des politiques aux yeux de nos concitoyens.

Pour ma part, je considère que l’expression d’une défiance à l’égard des politiques, dont la très grande majorité d’entre eux remplissent leur mandat avec engagement,…

M. Charles Revet. Exactement !

Mme Catherine Tasca. … dévouement, et intégrité, témoigne d’une réelle injustice, en tout cas d’un excès. Il n’en demeure pas moins que leur crédibilité est trop souvent mise en cause. Il est de notre devoir de tout mettre en œuvre pour que s’impose à tous l’exemplarité des élus de la République qui sont, pour la plupart, entièrement dévoués et engagés au service de l’intérêt général.

Mes chers collègues, nous ne pouvons pas laisser la situation telle qu’elle est et rester sourds à la défiance exprimée par nos concitoyens. Pour combattre celle-ci, nous devons agir. Et c’est le choix du Gouvernement.

Les projets de loi que nous examinons vont permettre à notre pays de combler un certain retard et de rejoindre le peloton de tête des pays ayant adopté des règles déontologiques strictes. En effet, ils comportent des avancées concrètes et consistantes : la publication des déclarations de patrimoine et des déclarations d’intérêts et d’activités d’un grand nombre de responsables publics ; la création de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique, qui sera dotée de pouvoirs étendus, notamment en matière d’investigation et d’injonction ; la création de nouvelles incompatibilités ; des sanctions renforcées en cas de manquements aux nouvelles obligations créées par ces textes.

Je me réjouis du fait que la déontologie devienne un sujet de première importance pour le législateur. Le Sénat a d’ailleurs été précurseur dans ce domaine. Dès 2009 a été créé par la précédente majorité au sein de la Haute Assemblée le Comité de déontologie parlementaire pour, selon les termes de l’arrêté du bureau du 25 novembre 2009, traiter des « questions d’éthique concernant les conditions d’exercice du mandat des sénateurs et le fonctionnement du Sénat » sur saisine du bureau ou du président du Sénat.

Le premier président de cette instance fut Robert Badinter. Ce choix marquait la volonté de haute exigence éthique pour ce nouvel organe. Le président Bel a ajusté la composition du Comité, qui compte désormais six membres, pour assurer la représentation de chacun des groupes de notre assemblée. Il est en effet essentiel que les travaux du Comité échappent aux positions partisanes et permettent une approche collective des questions déontologiques. C’est bien au Parlement qu’il appartient d’assumer ces questions, dont il ne saurait être dessaisi ni exonéré.

Avec le bureau du Sénat, le Comité de déontologie a contribué à élaborer des solutions concrètes, comme la mise en place, à la fin de l’année 2011, d’un dispositif de déclaration d’activités et d’intérêts des sénatrices et des sénateurs étendu aux invitations et aux cadeaux qu’ils pourraient recevoir dans le cadre de leur mandat. Ces déclarations d’activités et d’intérêts sont rendues publiques par leur mise en ligne sur le site internet du Sénat depuis l’été 2012.

Le Comité de déontologie du Sénat, que j’ai l’honneur de présider, s’est réuni le 18 juin dernier, sur saisine du président du Sénat, afin de procéder à un échange de vues sur les incidences que pourraient entraîner les projets de loi organique et ordinaire relatifs à la transparence de la vie publique au regard de la situation des parlementaires.

Fortement attaché au principe de séparation des pouvoirs, le Comité a insisté sur la nécessaire articulation des compétences entre la future Haute Autorité de la transparence de la vie publique et le bureau des assemblées, ainsi que sur la place de l’organe de déontologie dans le dispositif envisagé par le Gouvernement.

S’il est évidemment complètement admis et souhaité que soient réservées à la Haute Autorité les compétences en matière de déclaration de situation patrimoniale, il est également souhaitable que les attributions relatives à la déontologie parlementaire, pour ce qui concerne les déclarations d’intérêts et d’activités, et la prévention des conflits d’intérêts, continuent d’être assumées par les assemblées parlementaires, même si elles sont simultanément soumises à la Haute Autorité. La primauté des bureaux des assemblées en matière d’incompatibilités parlementaires est préservée. Il conviendrait de conférer des compétences renforcées aux organes chargés de la déontologie parlementaire relatives à la prévention des conflits d’intérêts.

Nous appuyant sur les réflexions de notre Comité de déontologie, Alain Anziani, les membres du groupe socialiste et moi-même avons déposé des amendements allant dans ce sens et qui ont été adoptés par la commission des lois. Ils ont pour objet de donner une reconnaissance légale aux organes chargés de la déontologie parlementaire qui existent au sein de chaque assemblée : le déontologue de l’Assemblée nationale et le Comité de déontologie du Sénat.

Sans viser à donner de compétences contraignantes à ces derniers et en laissant au bureau des assemblées le libre choix d’en définir tant la forme que le fonctionnement et les attributions, ces amendements tendent à les associer étroitement aux nouveaux mécanismes de prévention et de traitement des conflits d’intérêts que mettent en place les projets de loi dont nous débattons aujourd’hui.

La consécration légale de ces organes déontologiques internes aux assemblées non seulement est forte symboliquement, mais constitue aussi une véritable avancée pour nos assemblées parlementaires et, par voie de conséquence, pour notre démocratie.

L’article 2 bis du projet de loi ordinaire, ajouté par l’Assemblée nationale en première lecture, confère au bureau de chaque assemblée le pouvoir de définir des lignes directrices, des « règles », selon la terminologie retenue par la commission des lois du Sénat, en matière de prévention et de traitement des conflits d’intérêts. Ces règles devront éclairer les parlementaires sur l’attitude qu’ils pourraient être amenés à prendre dans une situation potentielle de conflits d’intérêts à l’occasion d’un acte commis au cours de leur mandat.

Sur la suggestion du Comité de déontologie du Sénat, nous avons déposé un amendement visant à associer directement les organes chargés de la déontologie parlementaire dans chaque assemblée à la rédaction de ces lignes directrices en leur permettant de donner au bureau un avis sur celles-ci. Cet amendement a également pour objet d’introduire dans l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires une reconnaissance légale des organes chargés de la déontologie parlementaire.

Deux autres amendements portent sur l’article 1er du projet de loi organique. Le premier tend à ce que les bureaux des assemblées parlementaires et les organes chargés de la déontologie puissent être informés des observations adressées par les électeurs à la Haute Autorité concernant les déclarations d’intérêts et d’activités des parlementaires. Le second a pour objet d’imposer à la Haute autorité, lorsqu’elle constate des manquements aux obligations relatives aux déclarations d’intérêts et d’activités l’amenant à transmettre le dossier au parquet et à en informer le bureau, d’en informer également l’organe chargé de la déontologie parlementaire.

S’ils sont adoptés en l’état, les projets de loi qui nous sont soumis permettront de renforcer les obligations de transparence et d’exemplarité qui incombent à chaque élu de la République tout en préservant le principe de séparation des pouvoirs.

Ces textes de progrès font écho aux évolutions de notre société, ce dont nous ne pouvons nous dispenser, et sont susceptibles de donner un nouvel élan aux institutions de notre démocratie. Je voterai donc avec conviction en leur faveur, afin que soit garantie, aux yeux de nos concitoyens, l’exemplarité de notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.

M. Gérard Roche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux mots doivent être à la base de nos débats : moralité et dignité. Moralité, car les récents événements ont éclaboussé toute la classe politique. Nous allons devoir établir des critères de transparence qui permettent à la République de débusquer ceux qui la desservent et de décourager ceux qui pourraient la desservir s’ils briguaient un mandat. Selon un adage de nos campagnes, quand on a un trou au pantalon, on ne monte pas au mât de cocagne. (Rires.)

Dignité, car cette moralisation doit se faire dignement, puisqu’il s’agit précisément de retrouver notre dignité d’élu, par respect pour la démocratie, pour les populations que nous représentons et pour nos proches et nos familles. Pour garder notre dignité, nous devons garder notre sang-froid, afin d’éviter que la transparence ne soit recherchée à la va-vite et ne se limite à un déballage dont se régaleront les ennemis de la vraie démocratie et les boulimiques du sensationnel.

Pour être digne, la démarche de moralisation doit être collective. Les démarches personnelles de tous ces trompettistes solistes de la transparence sur les chaînes de désinformation en boucle ne font que desservir la moralisation, qui répond à un besoin légitime de nos concitoyens.

M. Gérard Roche. Pour être digne, la démarche de moralisation doit également être transversale. Le Gouvernement présente un projet de loi, qui sera évidemment soutenu par nos collègues du groupe socialiste et peut-être par des sénateurs appartenant à d’autres groupes, mais la moralisation doit être l’affaire de tous. Le groupe UDI-UC et sans doute aussi le groupe UMP présenteront des amendements visant à éviter que la transparence ne se limite à un déballage et à faire en sorte que nos assemblées ne finissent pas par être composées uniquement d’hommes d’appareil totalement coupés de la réalité territoriale, n’ayant comme attache locale que leur présence durant les week-ends dans les assemblées de défense qui fleurissent un peu partout.

Monsieur le ministre, chers collègues de la majorité gouvernementale, vous voilà au pied du mur. Ou nos amendements sont bien reçus, voire adoptés, et le Sénat pourra peut-être, dans sa majorité, voir dans cette démarche une réelle intention de moralisation, loin de toute tactique politicienne ; ou nos amendements sont majoritairement rejetés, et on évoquera, comme l’a fait tout à l'heure Jacques Mézard, une tartuferie visant, après bien des déboires, à vous faire revêtir le manteau de la vertu et à jeter sur nos épaules celui, moins glorieux, de l’opprobre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Charles Revet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre législation relative au financement et à la transparence de la vie politique est une œuvre commune. La première loi, initiée en 1988 par le gouvernement de Jacques Chirac à la demande du Président François Mitterrand, témoigne de l’esprit de relatif consensus qui a longtemps prévalu sur cette question. L’honnêteté oblige aussi à dire que, à chaque fois, c’est une affaire politico-financière qui nous a poussés à modifier le dispositif. C’est encore le cas cette fois-ci, malheureusement. Mais prenons-en acte et tentons d’en tirer le meilleur profit.

Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, CNCCFP, plafonnement des dépenses électorales, financement des partis politiques et transparence : il s’agissait déjà, alors, de remédier à une crise de confiance que des actes inacceptables avaient provoquée ou révélée. Grâce aux textes que nous avons adoptés, des règles transparentes s’appliquent désormais aux campagnes électorales et aux comptes de campagne.

Il faut accepter ces règles et respecter ceux qui ont la responsabilité de les faire appliquer. Lorsque la CNCCFP et le Conseil constitutionnel constatent que de l’argent destiné au financement de l’action des pouvoirs publics a servi à financer la campagne de Nicolas Sarkozy, puis rectifient le compte et sanctionnent le candidat en conséquence, il est – je le dis délicatement – inadéquat et impropre de hurler au scandale démocratique.

Inadéquat et impropre, comme le communiqué de l’ancien Président de la République qui annonce sa démission du Conseil Constitutionnel pour retrouver sa liberté de parole. Nous n’avions pas remarqué qu’il n’était pas libre de parole. Et puis, il faudra nous expliquer comment un membre de droit du Conseil constitutionnel, en vertu de la Constitution et en sa qualité d’ancien Président de la République, peut en démissionner. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

M. Ronan Kerdraon. Très bien !

M. Charles Revet. Qu’est-ce que cela a à voir avec le texte d’aujourd'hui ?

Mme Cécile Cukierman. Il y a bien un lien !

M. Jean-Claude Gaudin. Vous n’avez jamais dû venir dans les Bouches-du-Rhône !

M. Jean-Yves Leconte. Mais revenons à nos moutons. La République exemplaire, c’est le choix que les Français ont fait le 6 mai 2012. Depuis, la réalité s’est imposée à nous. Elle témoigne des difficultés de la tâche, mais elle ne doit pas abattre notre détermination à avancer.

La République exemplaire, c’est la justice qui passe dans toutes les affaires, sans intervention du pouvoir politique. C’est pourquoi il faut regretter que nous n’ayons pas pu trouver, la semaine dernière, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, le chemin d’un compromis ayant pour objectif de donner des garanties constitutionnelles à l’indépendance de la justice.

M. Charles Revet. Ce n’est toujours pas l’objet du texte d’aujourd'hui !

M. Jean-Yves Leconte. La République exemplaire, ce sont les ministres qui rendent public leur patrimoine après avoir signé une charte de déontologie.

Les projets de loi que nous examinons aujourd'hui s’inscrivent dans cette continuité. Ils sont un juste prolongement des travaux de la commission Jospin, qui était chargée de formuler des propositions sur la rénovation et la déontologie de la vie publique.

M. Jean-Claude Gaudin. Elle ne comportait pas un seul élu !

M. Jean-Yves Leconte. Je salue le travail réalisé par le président et rapporteur de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur : il a su faire évoluer les textes de l’Assemblée nationale afin qu’ils répondent le mieux possible aux objectifs annoncés par le Président de la République et aux attentes des Français, et prennent acte de l’impossibilité de bloquer aujourd’hui la circulation de l’information. Ce sont des avancées significatives.

Le ministre du budget d’un gouvernement socialiste mis en examen pour fraude fiscale : la force du symbole nous a tous pétrifiés. Elle nous oblige tous à nous interroger sur ce qui a rendu possible une telle situation.

M. Charles Revet. C’est à vous de vous interroger !

M. Jean-Yves Leconte. C’est ce que je suis en train de faire, monsieur !

Si le mensonge d’un homme produit de tels effets, c’est que la désillusion vis-à-vis de l’ensemble de la politique est grande. Il existe une défiance à l’égard de tous les élus de la République.

M. Gérard Longuet. Vous entretenez, vous amplifiez, vous organisez cette défiance !

M. Jean-Yves Leconte. Nous ne pouvons la balayer d’un revers de main. Cette défiance, nous devons la constater, sans stigmatiser aucun groupe politique.

« Moraliser la vie politique » semble devenir l’urgence absolue. Le dire de cette manière sous-entend que rien n’est moral aujourd’hui. Comme d’autres orateurs avant moi, je réfute cette affirmation, qui ne correspond pas à l’engagement politique de nombreux militants, responsables, élus pour défendre leurs idées, leurs convictions, leurs engagements et leurs projets. (M. Charles Revet s’exclame.)

Plutôt que de moralisation, il est question – c’est l’intitulé même de ces projets de loi – de transparence de la vie politique. Il est temps de répondre au soupçon par la preuve, de remplacer le questionnement par la transparence. Personnalités publiques élues pour faire émerger, exprimer, défendre l’intérêt général, nous avons un devoir d’exemplarité. La question de la publication de notre patrimoine et de nos déclarations d’intérêts est légitime et normale. C’est la condition pour tordre le coup à tous les fantasmes.

Bien entendu, un engagement public est un engagement personnel qui ne saurait provoquer d’effet au-delà du raisonnable sur les obligations et l’intimité de nos familles et de nos proches. Dans leur rédaction actuelle, les deux projets de loi semblent répondre de manière équilibrée à ces exigences.

M. Gérard Longuet. Vous y croyez vraiment ?

M. Jean-Yves Leconte. J’invite ceux qui s’inquiètent de cette évolution à regarder ce qui se passe chez nos voisins européens ou à constater la rapidité avec laquelle le débat s’est clos pour les ministres dès lors que la publication de leurs patrimoines a été effective. Alain Anziani rappelait tout à l'heure ce que le Sénat a déjà fait en matière de déclaration d’intérêts des sénateurs, et comment les mesures adoptées ont vite été considérées comme normales, en toute transparence.

L’exigence de transparence est une nécessité. C’est aussi une évolution inévitable pour une société dans laquelle certains aspects de ce qui constituait auparavant la vie privée relèvent aujourd’hui du domaine public. Les réseaux sociaux sont passés par là, et, même s’il faut en refuser la dictature, ils modifient les habitudes, les comportements et les réflexes. Accepter, accompagner ces nouvelles exigences, c’est répondre à de nouvelles attentes afin d’être audibles sur les idées, les valeurs, les projets que nous souhaitons défendre et pour lesquels nous sommes engagés en politique.

En ce qui concerne les activités parallèles des parlementaires, faut-il aller plus loin que la publication des déclarations d’intérêts, qui est déjà effective pour les sénateurs et le sera bientôt pour l’ensemble des parlementaires ? Profiter de son mandat de parlementaire pour développer une activité complémentaire qui relève du conflit d’intérêts est naturellement interdit. De telles pratiques, qui vont parfois jusqu’au trafic d’influence, tombent sous le coup de la loi.

Cependant, avoir la capacité de revenir à tout instant à son activité, à son métier initial, en continuant parfois à le pratiquer donne plus de facilité pour avoir cette liberté de ton qui est utile, et même indispensable, en politique. Y renoncer créerait également des situations inégalitaires. Cela poserait nécessairement la question du statut de l’élu, car il faudrait alors s’interroger sur l’égalité devant le mandat entre un salarié du privé, un travailleur indépendant, un praticien libéral et un fonctionnaire. L’inégalité est déjà patente.

La diversité des origines et des compétences des parlementaires est une nécessité absolue. Cette diversité est déjà trop faible. Nous devons donc la préserver et même l’augmenter autant que possible. Sur cette question, il me semble que la position qui émerge des travaux de l’Assemblée nationale et de notre commission des lois est équilibrée.

Un autre point doit être abordé : le statut de nos collaborateurs. La transparence de l’activité parlementaire doit porter sur la totalité des acteurs. Employeurs ou activités complémentaires de nos collaborateurs : tout cela doit être connu. Mais cette exigence nouvelle d’une déclaration d’intérêts doit s’accompagner de la reconnaissance d’un statut qui permettrait de sécuriser les collaborateurs des parlementaires et des groupes politiques. C’est le sens d’un amendement que nous sommes plusieurs à avoir déposé.

La défense de l’intérêt général : voilà le cœur de l’action politique. Pour le symbole, il est essentiel que les responsables politiques soient exemplaires. Mais pour qu’ils servent à quelque chose, il faut qu’ils puissent agir. Sur ces questions, nous devons tracer des pistes pour faire évoluer nos institutions tant dans les comportements que dans les textes. Parlementaires parfois passe-plats de l’administration, parlementaires notaires d’un accord conclu ailleurs ou de la législation européenne, parlementaires contraints entre le Conseil d’État et l’exécutif, parlementaires qui cèdent trop vite face à ces contraintes : voilà l’ensemble des constatations qui nous interrogent sur le sens de notre mandat, mais indiquent en même temps les principes qui peuvent faire de ce mandat un mandat utile.

La politique est en crise dès lors que nos concitoyens ont le sentiment qu’une alternance tant attendue ne permet pas d’élargir les chemins du possible, ne change rien à leur quotidien, et que toute espérance est vaine. Cela entraîne la remise en cause de la capacité du politique à agir sur le réel et parfois, plus prosaïquement, de l’autorité du politique sur l’administration et, par voie de conséquence, de l’utilité du politique. Réussir à conjuguer « Le changement, c’est maintenant » et la continuité de l’action de l’État, ce n’est pas facile. Mais si le sentiment est qu’il y a un vainqueur et un vaincu entre ces deux exigences, alors nous aurons perdu.

Dans cet hémicycle, nous sommes nombreux à avoir milité pour la VIe République. Conservons cette perspective, car avancer vers de nouveaux équilibres institutionnels est la condition de notre réussite. Chaque ministre doit être personnellement responsable devant le Parlement. Chaque nomination importante au plus haut niveau de l’administration mériterait d’être ratifiée par les commissions compétentes du Parlement. Et ces ratifications doivent se faire dans un esprit qui rompt avec la déférence habituelle et la règle dite des trois cinquièmes négatifs, selon laquelle l’impétrant doit seulement éviter d’avoir plus de 60 % des voix contre lui.

À travers ces deux projets de loi, il s’agit au fond de donner aux responsables politiques la capacité de mobiliser l’ensemble des citoyens du pays pour son redressement. La condition de notre succès, c’est d’abord de créer un climat de mobilisation générale face à l’urgence économique et sociale, afin d’arrêter les destructions d’emplois quotidiennes. Cela passe par la confiance. Et, en ce qui nous concerne, créer la confiance passe par l’exemple, par l’exemplarité.

Les textes que nous examinons touchent les parlementaires, mais aussi une grande partie des élus de la République. En effet, les règles de transparence prévues dans le projet de loi ordinaire concernent aussi les parlementaires européens, les conseillers régionaux, les conseillers généraux, les maires et les maires adjoints. À l’exception de ceux qui cumulent, ces élus ne pourront pas s’exprimer dans cette enceinte. Là aussi, il y aurait beaucoup à dire.

La décentralisation des compétences doit s’accompagner d’une profonde réforme qui permette de mieux lier compétences et capacité à déterminer et à lever les recettes pour y faire face. Dans le cas contraire, c’est le sens des mandats électifs qui risque de s’étioler progressivement, tout comme la capacité des élus locaux à peser sur la réalité. Et je ne parle pas des transferts de souveraineté au niveau européen, absolument essentiels afin de pouvoir peser sur l’évolution du monde, mais qui contraignent les marges de manœuvre réelles du débat national, celles de l’exécutif comme celles du Parlement. Tant que l’on refusera un véritable débat à l’échelon européen, la politique restera contrainte.

Tout cela nous mène loin de la transparence, mais ma conviction est que la transparence est un moyen de redonner à la politique la capacité d’agir. Les deux projets de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, constituent des outils qui feront de notre pays un modèle en la matière. Ils constituent aussi un vecteur pour affiner certains aspects du financement de notre vie politique. Ces projets de loi réaffirment le devoir d’exemplarité des élus, indispensable pour qu’ils soient audibles lorsqu’ils présentent un projet politique et pour qu’ils pèsent sur les décisions.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Yves Leconte. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste du Sénat aborde ce débat en étant résolu à soutenir le texte soumis à notre assemblée par notre commission des lois.

En conclusion, je voudrais vous dire que, en entendant le président du groupe RDSE se référer à Tartuffe pour expliquer que, membre de la majorité gouvernementale, il votera pourtant contre ce texte,…