M. François Zocchetto. Si le tableau que je vous dresse vous plaît, et si vous l’assumez pleinement, tant mieux pour vous ! Je dirai quant à moi : tant pis pour la France !

L’égalité des citoyens devant la loi, c’est l’égale dignité de chacun, avant même l’égal accès aux mandats. Je crains que vous n’ayez perdu de vue cette vérité élémentaire.

Notre mission n’est pas de multiplier les obstacles destinés à empêcher nos concitoyens de se faire élire. Notre devoir est au contraire de tout faire pour s’assurer que les élus de demain soient, bien sûr, irréprochables – c’est essentiel –, mais aussi qu’ils soient représentatifs de la diversité de notre société.

Pour conclure, asservir le Parlement est une tentation permanente du pouvoir exécutif. Force est de constater que ces deux textes imposés par le Président de la République s’inscrivent dans cette tradition condamnable ! (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Claude Lenoir. Excellente intervention !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Clemenceau disait : « Ce que nous dénommons vérité n’est qu’une élimination d’erreurs. » Alors, de grâce, n’en faites pas une de plus ! (Exclamations laudatives sur les travées de l'UMP.)

Monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, lesdites relations peuvent être plus ou moins bonnes, mais il convient qu’elles soient réciproquement respectueuses.

Vous avez déclaré, dimanche, au quotidien La Montagne, dans une interview intitulée « Le ministre cueille les champignons et soigne les relations», que le vote exprimé par le Sénat jeudi dernier sur le Conseil supérieur de la magistrature était « preuve d’immaturité de la démocratie française ». (Ouh ! sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Charles Revet. C’est le ministre chargé des relations avec le Parlement qui dit cela !

M. Jacques Mézard. Nos collègues apprécieront ce qualificatif élogieux pour la Haute Assemblée !

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Jacques Mézard. Ne pensez-vous pas que nous pourrions vous retourner le compliment, face à l’avalanche de textes gouvernementaux qui nous arrivent préparés à la va-vite, modifiés à la dernière minute ?

M. Jacques Mézard. Tacite avait écrit : « à autorité publique très corrompue, loi sans nombre » ! (Sourires sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Ne pensez-vous pas que nous pourrions vous retourner le compliment, face à l’usage abusif de la procédure accélérée, que nous reprochions avec virulence, ainsi que vous-même, à la précédente majorité (Eh oui ! sur les travées de l'UMP.), face aux modifications constantes de l’ordre du jour du Sénat (Sans arrêt ! sur les mêmes travées.), face à l’accumulation de textes importants, sans que les commissions compétentes puissent prendre le temps nécessaire à la réflexion, sans même que nous puissions disposer des rapports de la commission dans des délais raisonnables ?

À nos interpellations, monsieur le ministre, vous avez répondu froidement que la session surchargée était un « trompe-l’œil ». (M. Patrice Gélard s’esclaffe.) Là encore, nos collègues apprécieront ! Cette phrase est-elle respectueuse du travail parlementaire ?

M. Jacques Mézard. Est-elle le signe d’un comportement mature ? (Non ! sur les travées de l'UMP.)

Monsieur le ministre, est-ce faire preuve de maturité politique pour un gouvernement, après l’explosion du dossier Cahuzac, que de réagir dans la panique, sous la pression médiatique, pour faire voter dans la précipitation un texte, là encore insuffisamment travaillé, dans le seul but avoué de calmer l’opinion publique et de répondre aux sondages ?

En résumé, pour vous, il faut un texte, n’importe lequel, pour communiquer.

M. Jacques Mézard. Un texte pour la transparence de la vie publique méritait un autre processus, une autre méthode, la recherche d’un consensus à l’issue d’une indispensable concertation.

Le président du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste à l’Assemblée nationale, Roger-Gérard Schwartzenberg, l’a très bien exprimé : « Un ministre, un membre du Gouvernement, M. Cahuzac, est mis en examen, et l’exécutif semble vouloir détourner l’attention en tournant le projecteur vers les parlementaires. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.) En fait, ce projet de loi “Cahuzac” introduit une étrange innovation, la repentance pour autrui (Sourires sur les travées de l'UMP.), en invitant les parlementaires à s’auto-accuser collectivement de fautes que la quasi-totalité d’entre eux n’ont pas commises. »

M. Patrice Gélard. Très bien !

M. Jacques Mézard. Transformer les parlementaires, les responsables d’exécutifs et les hauts fonctionnaires en présumés coupables, favoriser la délation en renversant la charge de la preuve concernant ce que vous appelez pudiquement des « lanceurs d’alerte », c’est aller à l’encontre de ce que l’on doit attendre d’une démocratie mature.

Qu’attendent nos concitoyens ? Tout d’abord, que leurs élus et les hauts fonctionnaires ne s’enrichissent pas du fait de l’exercice de leurs mandats ou de leurs fonctions administratives. Ensuite, qu’il soit mis fin à des situations patentes de conflits d’intérêts. Enfin, que soit élargi le régime des incompatibilités professionnelles.

Comment répondre à ces trois interrogations ? Nous le disons très clairement, la sagesse est effectivement de donner à une haute autorité de contrôle de la vie politique – appelez-la comme vous voudrez ! – les moyens d’obtenir communication des éléments complets relatifs au patrimoine de chaque responsable public, les moyens de vérifier la vérité et la loyauté des informations transmises en début et en fin de mandat, les moyens de faire sanctionner les déclarations mensongères.

Les pouvoirs de cette Haute Autorité ne nous posent pas de problème. Il n’en est pas de même, comme l’a rappelé Roger-Gérard Schwartzenberg, de sa composition et des modalités de désignation de ses membres, qui ne garantissent guère sa représentativité et marquent, encore une fois, une réelle défiance envers le Parlement de la République.

M. Patrice Gélard. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Des amendements ont été adoptés !

M. Jacques Mézard. Certes, monsieur le président de la commission des lois, il y a toujours des changements, mais la conclusion est, hélas ! souvent la même.

Votre projet, monsieur le ministre, éliminait les personnalités qualifiées. La commission de l’Assemblée nationale a corrigé cette absence en ajoutant, aux sept membres déjà prévus, quatre personnalités. (M. Alain Gournac s’esclaffe.)

Mais curieusement, en séance publique à l’Assemblée nationale, un amendement du Gouvernement a ramené de quatre à deux le nombre de ces personnalités désignées par les présidents des deux assemblées.

Quant aux personnes concernées par cette obligation de déclaration de patrimoine, vous avez établi une liste exhaustive ciblant les élus jusqu’aux maires de communes de plus de 20 000 habitants – pourquoi ce chiffre, d’ailleurs ? –,...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Non, 30 000 !

M. Jacques Mézard. ... tous les conseillers régionaux, la plupart des conseillers généraux, les personnes exerçant un emploi ou des fonctions par nomination en conseil des ministres. (M. le rapporteur le conteste.)

Laissez-moi aller jusqu’au bout de mon propos, monsieur le rapporteur, vous aurez des heures pour prêcher la bonne parole ! (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Il apparaît que vous avez reculé peu glorieusement quant au fait d’imposer cette déclaration aux membres du Conseil constitutionnel, et même de l’imposer à tous les magistrats, administratifs ou judicaires, alors que, voilà huit jours, Mme la garde des sceaux nous affirmait avec force que les Français ne croyaient plus à leur justice. (Mêmes mouvements.)

Oui, il est juste et sain que les responsables publics déclarent la totalité de leur patrimoine à une autorité indépendante disposant des pouvoirs et moyens pour en vérifier l’exactitude et l’évolution. Nous sommes d’accord : c’est cela, la transparence.

En revanche, le projet revisité par l’Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat, ce n’est plus seulement de la transparence, mais c’est du voyeurisme mâtiné de jésuitisme. (Sourires sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Jean-Michel Baylet. C’est grave !

M. Jacques Mézard. La consultation des patrimoines des parlementaires en préfecture pour tout électeur, avec une obligation de non-divulgation des informations pénalement sanctionnée, est un modèle du genre. C’est de l’hypocrisie institutionnelle, car on publie ou on ne publie pas ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Quant à la rédaction de la commission des lois, c’est du demi-jésuitisme ! (Sourires.) Il faut qu’un électeur aille en préfecture ; on ne sait pas s’il peut réclamer une photocopie, mais il peut communiquer l’information comme il l’entend !

M. Pierre Martin. Très bien !

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, pour justifier ce projet de loi, vous reprenez, dans la foulée d’antiparlementaristes, cette antienne des périodes de crise : « Tous pourris ! » Et vous dites : « Voyez les sondages ; ils l’affirment ! » Croyez-vous sérieusement que c’est la bonne méthode, que votre texte hypocrite aura un impact sur l’opinion à laquelle vous êtes soumis ?

Nous avons déjà un arsenal juridique considérable pour poursuivre et condamner les élus qui manquent à leurs devoirs, et transgressent la loi. Encore faut-il l’utiliser, et donner à la justice les moyens humains et financiers d’instruire les dossiers dans des délais suffisamment rapides !

Hier, après huit ans d’instruction, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé tous les prévenus dans le dossier « Pétrole contre nourriture », aucune infraction n’étant constituée. Cela se passe de tout commentaire, sauf de la part de ceux qui ont supporté huit ans de mise en examen et d’instruction. Et la presse informera en quelques lignes de cette relaxe, après avoir publié des dizaines de pages sur cette affaire pendant des années ! (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Pierre Martin. Très bien !

M. Jacques Mézard. Comme dans la société en général, il existe parmi les élus et les hauts fonctionnaires des brebis galeuses, et cela sous tous les régimes, sous toutes les républiques, au sein de toutes les sensibilités et de tous les partis politiques, y compris parmi ceux qui donnent le plus de leçons de morale. (C’est vrai ! sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Il convient de les poursuivre, de les condamner et de les écarter des responsabilités publiques.

Nous considérons, pour notre part, que la loi de la République doit être la même pour tout le monde, et doit s’appliquer avec d’autant moins d’indulgence que le délit est favorisé par l’exercice de la fonction.

Il s’agit de trier le bon grain de l’ivraie et de dissocier clairement et définitivement la fraude, l’enrichissement et la corruption de toutes les poursuites pénales, engagées souvent de manière aveugle, contre des élus et des fonctionnaires pour des faits relatifs à l’exercice de leurs mandats ou de leurs fonctions lorsqu’ils sont poursuivis, non à titre personnel, mais pénalement en qualité de président d’exécutif ou de préfet, ce qui est le cas aujourd’hui pour plusieurs dizaines d’entre eux. Et c’est profondément injuste car pour l’opinion la différence n’est pas faite. Mais notre bon gouvernement est-il préoccupé par l’inquiétude de ces nombreux maires, présidents et préfets ? Certes, ce n’est pas porteur dans l’opinion publique, monsieur le ministre, mais c’est une réalité de terrain.

Que chacun balaie devant sa porte, fasse son devoir. Le projet de loi est totalement réactif à l’affaire Cahuzac. Que je sache, monsieur le ministre, c’est un des vôtres. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Eh oui !

M. Jacques Mézard. Alors, de grâce, évitez les leçons de morale émanant de la direction de votre parti.

M. Henri de Raincourt. Effectivement !

M. Jacques Mézard. Je regrette que vous soyez trop souvent dans la contradiction, dans le « faites ce que je dis mais pas ce que je fais ». Quand le rapporteur à l’Assemblée nationale pour le non-cumul des mandats, nouveau député de Haute-Garonne, démissionnait de son mandat de conseiller régional d’Île-de-France voilà quelques semaines, que ne rapportait-il pas un texte contre le parachutage !

Quand Mme la ministre de la réforme de l’État et de la décentralisation prône le non-cumul des mandats verticaux pour permettre à d’éminentes personnalités PS de continuer à cumuler la mairie de grandes villes, la présidence de métropoles et de plusieurs SEM, sociétés d’économie mixte, cela relève-il de la cohérence et de l’exemplarité, ou de l’hypocrisie ?

Monsieur le ministre, quand dans ce projet de loi relatif à certaines incompatibilités, vous n’interdisez pas à des maires de villes importantes d’être membres appointés de cabinets ministériels importants, voire de la Présidence de la République,…

M. Jacques Mézard. … n’êtes-vous pas en totale contradiction avec votre propre argumentation ? (M. Alain Chatillon opine.) J’espère que vous vous rallierez à notre excellent amendement sur cette question !

Monsieur le ministre, quand, depuis un an à l’Assemblée nationale, n’ont pas été éradiqués les errements concernant par exemple nombre d’assistants parlementaires rémunérés en réalité par des lobbys, on peut s’interroger sur la volonté de faire le ménage.

M. Jacques Mézard. Notre groupe, pour sa part, a toujours eu une haute conception de l’engagement dans la vie publique : être un élu, quel que soit le mandat, est d’abord un honneur confié par les électeurs, dont la majorité place leur confiance dans le candidat élu. C’est le suffrage universel qui nous donne la légitimité d’agir, pour mettre en œuvre la puissance publique, qu’il s’agisse de mandats locaux ou nationaux.

À cet honneur, nous le savons, correspondent des devoirs, qui consistent à savoir se montrer digne de la fonction occupée, en agissant avec probité et exemplarité.

M. Henri de Raincourt. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. C’est bien pourquoi il nous paraît essentiel de garantir l’indépendance des élus vis-à-vis de toute tentation, d’une part, et de toute forme de pression extérieure, d’autre part.

Les incompatibilités sont ainsi une des formes de garde-fou que la République a mis en œuvre depuis les débuts de la IIIRépublique. Comme l’expliquait déjà Eugène Pierre, aux débuts de cette IIIRépublique, dans son Traité de droit politique, électoral et parlementaire, « l’incompatibilité s’appuie sur le principe de la séparation des pouvoirs ; elle a pour but de garantir à l’électeur l’indépendance de l’élu ».

Nous avons été les premiers à déposer une proposition de loi en ce sens, le 28 juin 1978, à l’Assemblée nationale. Nous avions également salué les travaux de la commission Sauvé, à l’occasion desquels nous avions formulé une série de mesures pour mieux assurer la transparence de la démocratie, en proposant, en particulier, le renforcement des obligations déclaratives des élus et des pouvoirs de contrôle de l’instance compétente.

Notre groupe n’a pas attendu l’affaire Cahuzac pour réagir. Non seulement nous avons inscrit dans notre espace réservé le projet de non-cumul des indemnités mais, depuis un an, nous avons déposé six propositions de loi sur les questions de transparence, d’incompatibilités, de cumul des indemnités, de renouvellement des mandats.

Manifestement aucun de ces textes n’attira en son temps l’attention de votre gouvernement. Il faut dire que nous sommes en désaccord profond sur une question de fond.

M. Jacques Mézard. Vous voulez faire du Parlement une assemblée de professionnels de la politique nourris dans le sérail du parti…

MM. Jean-Claude Lenoir et Alain Gournac. Effectivement !

M. Jacques Mézard. … dès l’université, voire avant – nous en avons eu un exemple récemment. Vous voulez faire du Sénat une réplique de l’Assemblée nationale pour corriger cette anomalie qui insupportait M. Jospin, autant avoir le courage de reconnaître que vous voulez supprimer le bicamérisme.

M. Jacques Mézard. À quoi servirait une deuxième chambre copie de la première ?

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, votre projet se veut un texte de loi, en réalité c’est un communiqué de presse parce qu’il y manque l’essentiel, la réflexion et la concertation dans un domaine où construire un large consensus est indispensable.

Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, en vous indiquant qu’aucun membre du groupe RDSE ne votera ce projet,…

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Ah !

M. Jacques Mézard. … permettez-moi de vous citer quelques vers :

« Quoi ! parce qu’un fripon vous dupe avec audace,

Sous le pompeux éclat d’une austère grimace,

Vous voulez que partout on soit fait comme lui,

Et qu’aucun vrai dévot ne se trouve aujourd’hui ?

Laissez aux libertins ces sottes conséquences ;

Démêlez la vertu d’avec ses apparences,

Ne hasardez jamais votre estime trop tôt […]. »

Vous aurez reconnu, monsieur le président de la commission des lois, vous qui êtes très cultivé, un passage de Tartuffe de Molière. Inutile d’en dire plus. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC ainsi que de l'UMP.)

M. Henri de Raincourt. C’est la curée !

M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, mes chers collègues, il sera difficile pour moi d’égaler le talent de M. Mézard.

M. Charles Revet. Si vous dites pareil, ce sera bien !

Mme Hélène Lipietz. Un seul être manque et tous sont mis à nu : telle pourrait être la leçon de ces derniers mois de la vie politique française.

Mais le désamour, voire le mépris, que les Français semblent éprouver pour les hommes et les femmes politiques est-il lié à l’affaire C. ?

N’est-ce pas à bon compte que l’on met sur le dos d’un seul la responsabilité de tous ?

Ce bouc émissaire est-il le responsable de tous les maux, chargé non pas de les emporter hors de nos villes mais essentiellement de cacher une réalité faite de petites entorses à la morale et, surtout, de nos grandes entorses à nos promesses de jours meilleurs, les écologistes ayant plutôt tendance à promettre des jours pires ?

En y réfléchissant bien, l’affaire C. …

Mme Hélène Lipietz. … n’est qu’un pâle reflet des scandales qui ont émaillé toutes les cités, tous les empires, toutes les sociétés depuis que l’écriture nous en transmet la mémoire.

Le roi David envoya Uri faire la guerre, lui-même préférant lutiner la femme de son général, la belle Bethsabée.

M. Jean-Claude Gaudin. Ce n’est pas grave ! (Sourires.)

M. Henri de Raincourt. C’est naturel ! (Nouveaux sourires.)

Mme Hélène Lipietz. Le romain Verrès s’est enfui avec le budget de l’armée, achetant, grâce à ce budget, ses électeurs, pillant la province dont il a été le légat. Puis, devenu magistrat, il vend ses jugements. (Des discussions sur les travées de l’UMP couvrent les paroles de l’orateur.)

Mme Cécile Cukierman. Peut-on écouter Mme Lipietz ?

M. le président. Mes chers collègues, veuillez écouter Mme Lipietz, je vous prie.

Mme Hélène Lipietz. Réélu en Sicile, il pille celle-ci jusqu’à ce que Cicéron, journaliste d’investigation de l’époque, révèle au monde sa turpitude.

Le troisième calife de l’empire arabo-musulman, Othman ibn Affan, n’eut pas besoin d’un ignoble vizir pour perdre sa place : son népotisme lui valut une révolution de palais et la perte de sa vie.

Nos rois et nos reines firent souvent du royaume de France le supplétif de leur domaine royal. Le régent fut un promoteur immobilier hors pair, doublé d’un visionnaire dans l’argent en papier.

Et si la République naissante fut friande de la transparence en stipulant, par décret du 14 mai 1793, « les représentants du peuple sont, à chaque instant, comptables à la Nation de l’état de leur fortune », Danton ne fut pas un Saint… Just.

Les turpitudes des politiques de la IIIe République permirent aux journaux de faire fortune tout autant qu’elles firent leur propre fortune. Le gendre du Président Grévy, Daniel Wilson, député, malgré sa condamnation pour trafic de légion d’honneur fut réélu deux fois. Panama fut un scandale tout autant qu’une réalisation technique exceptionnelle.

Des élus et des fonctionnaires de la IVe République retrouvèrent sans gloire le chemin des scandales en récoltant des piastres en lieu du Trésor public.

M. Jean-Claude Lenoir. L’affaire des piastres, l’affaire des fuites !

Mme Hélène Lipietz. Quant à la Ve République, elle n’a pas manqué d’attirer les escrocs et magouilleurs, qu’ils soient hommes politiques, fonctionnaires ou encore citoyens plus égaux que les autres dans le secret des dieux. Par respect pour ceux qui sont toujours en vie, je ne citerai pas de nom.

Mais si nos économies sont si mal en point, n’est-ce pas aussi parce que des banquiers ont grugé les emprunteurs en inventant des valeurs ne reposant, justement, sur aucune valeur ?

Et le sport national des Français n’est-il pas la fraude aux impôts et aux amendes avec demande d’appui à leur sénatrice préférée ?

Alors oui, la politique a des pourris, mais tous ne le sont pas et, surtout, ceux qui nous jugent devraient aussi faire l’inventaire de leurs compromissions avec l’intérêt général.

Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi nous ? Et surtout pourquoi comme cela ? Pourquoi cette loi sur « l’opaque transparence descendue d’un scandale » ? Cet oxymore est digne d’un Cid qui, parti 925, par un prompt défaut, se vit bien seul en arrivant en hémicycle.

La réponse est peut-être dans l’incapacité de nos politiques successives, qu’elles soient de droite ou de gauche, à résoudre des problèmes insolubles, tels que le chômage ou le retour de la croissance,…

M. Charles Revet. Exactement !

Mme Hélène Lipietz. … ou la perte de prestige de la France et la montée de nouvelles puissances mondiales,…

M. Charles Revet. C’est tout à fait la réalité !

Mme Hélène Lipietz. … ou encore l’incompréhension de nos citoyens face aux premiers signes tangibles de l’épuisement de notre planète, réchauffement climatique, envolée du prix des matières premières.

Tout cela augmente la défiance des citoyens vis-à-vis de l’action politique.

M. Charles Revet. On veut cacher la réalité !

Mme Hélène Lipietz. Or l’action politique c’est nous ; et nos concitoyens ne nous font plus confiance, parce que dans l’épreuve le capitaine est toujours responsable de tout et de tous. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Henri de Raincourt. Capitaine de pédalo ! (Sourires.)

Mme Hélène Lipietz. Et c’est ainsi que 80 % de nos concitoyens considèrent que nous sommes corrompus, indistinctement, les purs et les impurs, les bons et les méchants, les truands et les agneaux !

Et le pire, c’est que nous sommes d’accord avec cette défiance puisque nous nous apprêtons à voter un texte qui va mettre fin à la présomption d’innocence en instaurant une présomption de suspicion !

M. Gérard Longuet. Exactement !

Mme Hélène Lipietz. Fallait-il aller aussi loin, ou aussi peu loin, dans la mise au pilori de 7 000 personnes : les parlementaires, les ministres et leurs cabinets, les membres des autorités administratives indépendantes, les hauts fonctionnaires, mais pas les maires des communes de moins de 30 000 habitants ?

Poser la question c’est déjà y répondre. Toutefois, la réponse n’a aucun intérêt, puisqu’elle est inaudible, faussée par elle-même.

Une fois le grand déballage exigé, il n’est plus possible de reculer. Peut-on, un seul instant, imaginer que nous ne votions pas ce texte, aussi déplaisant soit-il ?

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Ah oui !

Mme Hélène Lipietz. Ceux d’entre nous qui ne le voteront pas, même s’ils sont majoritaires dans cet hémicycle, seront soupçonnés d’avoir des choses à cacher.

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Mais non !

Mme Hélène Lipietz. Quelles sont ces choses ? Peu importe qu’elles soient politiques, juridiques ou personnelles, elles seront inaudibles. Car c’est le refus qui sera montré du doigt.

M. Alain Gournac. Oh là là !

Mme Hélène Lipietz. Ainsi donc nous savons tous que nous allons devoir nous mettre à nu…

M. Jean-Claude Lenoir. Par pitié, non, pas ça ! (Sourires.)

M. Gérard Longuet. Restons sages ! (Nouveaux sourires.)

Mme Hélène Lipietz. Laissez-moi finir ma phrase !

M. Gérard Longuet. Vous nous tendez des perches !

Mme Hélène Lipietz. Nous savons tous que nous allons devoir nous mettre à nu, disais-je, reste à savoir comment présenter belle.

Pourtant, au lieu de foncer tête baissée dans l’effeuillage généralisé, nous, collectivement, élus et citoyens, aurions dû prendre le temps de réfléchir à cette question : comment empêcher le pouvoir de corrompre ?

À défaut d’avoir pris le temps de la réflexion, nous avons des réponses qui ne sont pas adaptées à la question et qui choquent plus d’un d’entre nous.

Ainsi, plutôt que le patrimoine de l’élu, n’est-ce pas la différence entre l’entrée et la sortie de mandat qui intéresse nos concitoyens, ce delta de toutes les turpitudes, là où se retrouve l’enrichissement sans cause ?

Ainsi, sur mon site internet personnel, la rubrique « La réserve parlementaire et son utilisation pour l’année 2013 » intéresse infiniment plus que « L’utilisation de l’indemnité représentative de frais de mandat », l’IRFM. Sur le site du Sénat, la rubrique « Les déclarations d’activités et d’intérêts » n’arrive qu’en quarante-cinquième position des pages consultées. Il semble bien que le déballage n’emballe les médias et les foules que tant qu’il n’a pas lieu !

La publication de mon patrimoine a eu pour unique conséquence une proposition m’incitant à placer mes économies en assurance vie plutôt que dans la pierre, pour permettre à mes enfants d’échapper à l’impôt sur les successions…

M. Jean-Claude Lenoir. C'était très sage !

Mme Hélène Lipietz. Au fond, ce que nous reprochent les citoyens, ce sont les connivences, les petits et gros arrangements entre amis qui conduisent à voter des lois, à adopter des amendements, au bénéfice non pas de l’intérêt général, mais d’industries, de sociétés de marchand de Tapie, de copains et de coquins, au détriment de la société, de l’environnement ou de la santé.

Ce qui intéresse aussi les citoyens, c’est que nous donnions l’exemple, en nous appliquant à nous-mêmes ce que nous voulons qu’eux-mêmes fassent, même s’ils ne le font pas... Voilà d’ailleurs qui ne manque pas d’étonner !

Ainsi, l’évasion fiscale, c’est mal, mais, quand l’évadé a des responsabilités politiques, c’est pire !

Nous avons aussi eu un cas chez les Verts : la grande évasion fiscale et la vendeuse de sextoys bio !

Pour autant, l’évasion fiscale n’est pas donnée à tout le monde : ne peuvent emporter de valises en Suisse que ceux qui gagnent des sommes substantielles !

J’ose le dire : il y a certainement en pourcentage plus de citoyens malhonnêtes en prison que d’élus malhonnêtes en liberté... J’ai bien dit « en pourcentage ».

C’est pourquoi il ne faut pas confondre honnêteté, contrôle et transparence.

Qui plus est, ces mêmes citoyens, si prompts à déclarer dans les sondages qu’ils nous estiment corrompus, sont pourtant les premiers à redonner leur confiance à des élus qui ont été effectivement condamnés. Ils ne s’interrogent même pas sur le message qu’ils envoient aux élus honnêtes : « Peu importent vos fautes, nos voix vous laveront de tous vos péchés. » L’onction démocratique est une amnistie,…