M. Bruno Sido. Cahuzac !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Pour s’en convaincre, il suffit de suivre l'actualité de ces derniers jours, de ces dernières semaines et de ces derniers mois.

Nous n'acceptons pas que certains puissent prétendre qu’il n'y a rien à faire. Aucun d'entre vous, vous le savez bien, ne peut défendre aujourd'hui un quelconque statu quo.

Pour ma part, je salue l’initiative prise par le Président Hollande de présenter cette grande loi de transparence de la vie politique. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Gérard Longuet. Qu’il fasse une déclaration patrimoniale et paie ses impôts !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Certes, comme l’a dit notre collègue Pierre-Yves Collombat, citant Malebranche, cette grande loi s’explique bien par une « cause occasionnelle ». Mais elle mérite d’être soutenue, même si le texte doit être amélioré ou précisé.

Quoi qu’il en soit, à chaque loi de moralisation, des réticences se sont exprimées, puis chacun a fini par reconnaître que ces lois étaient justifiées, nécessaires, et personne n'est revenu sur ces textes.

Je vous invite à saisir l'occasion qui nous est offerte de contribuer – même s’il faudra bien d’autres apports – à réconcilier les Français avec la politique.

M. Henri de Raincourt. Cette loi ne sert à rien !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Monsieur de Raincourt, je ne partage pas votre défaitisme. La vérité rend libre !

M. Gérard Longuet. Vous voulez surtout enterrer l’affaire Cahuzac !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La transparence, le contrôle et le respect de la vie privée seront des garanties pour la démocratie. On sert toujours la République lorsque l'on écrit des lois qui réconcilient les citoyens avec la chose publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. Henri de Raincourt. Ce sera l’inverse !

M. Bruno Sido. Saint-Sueur !

M. Gérard Longuet. Transparence à Singapour !

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner ces textes, disons-le, c'est que nous sommes victimes de M. Cahuzac ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Louis Masson. On met dans le même sac M. Cahuzac et les parlementaires honnêtes !

Le Président Hollande aurait mieux fait de régler le problème de son ancien ministre plutôt que d'embêter les parlementaires en les obligeant à exposer leur vie privée dans tous les domaines ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Dans un premier temps, j'ai hésité à m'abstenir sur ces textes. Mais notre assemblée, sur un point précis, pour faire plaisir à M. Hollande, a adopté une position qui me scandalise et qui me conduira finalement à voter résolument contre ce projet de loi : je veux parler de la possibilité de publicité du patrimoine personnel des parlementaires.

Cette atteinte à la vie privée est tellement révoltante que la majorité socialiste de l'Assemblée nationale avait fait un pas en arrière. Mais, au Sénat, certains en rajoutent toujours une couche pour bien se faire voir du Président de la République.

M. Bruno Sido. Saint-Sueur ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Louis Masson. En l’occurrence, ils en ont rajouté une bonne couche, en affirmant n’importe quoi !

Nous dire que l'on ne peut pas à la fois autoriser la consultation des déclarations de patrimoine et empêcher leur publication dans la presse ou sur internet est un énorme mensonge ! Actuellement, nos concitoyens, y compris nos adversaires politiques, peuvent aller consulter nos déclarations d’impôt sur le revenu ou d’impôt de solidarité sur la fortune.

M. Jean Louis Masson. Mais leur publicité étant sanctionnée par la loi, pas un ne s’est jusqu’à présent permis de passer outre l’interdiction de publication !

Prétendre que ce système, qui fonctionne très bien pour les déclarations d'impôt sur le revenu ou sur la fortune, ne serait pas valable pour les parlementaires, c’est incompréhensible. Ou bien je suis complètement incohérent et je ne comprends rien à rien, ou bien ceux qui affirment cela ne sont pas de bonne foi !

Cette proposition n’a d’autre but que de faire diversion et de faire plaisir à une presse malsaine et démagogique, qui, pour vendre du papier, confond caractère public d'un document et publicité tous azimuts. Ce n'est pas en exhibant la vie privée des parlementaires dans les journaux ou ailleurs…

M. Bruno Sido. En les traînant dans la boue !

M. Jean Louis Masson. … que l’on ira vers plus de transparence dans la vie publique et que l’on empêchera les gens d'être malhonnêtes.

Par exemple, s’agissant de M. Cahuzac, personne n'aurait su à la lecture de sa déclaration d’impôt qu'il avait planqué de l'argent en Suisse, pour la simple raison que ces avoirs n’y auraient pas été mentionnés !

M. Gérard Longuet. Élémentaire, mon cher Watson !

M. Jean Louis Masson. Publier dans un journal la situation détaillée du patrimoine familial des parlementaires et exhiber leur vie privée est une honte. C'est d'autant plus scandaleux que, contrairement à ce qu’on a affirmé, cela n’entraînerait aucun progrès dans la moralisation de la vie publique.

M. Jean Louis Masson. Celui qui est corrompu et qui touche des pots-de-vin ne le mentionnera pas dans sa déclaration ! De fait, ce n'est pas en rendant publique celle-ci qu'on réglera le problème. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, j'interviendrai sur bien d’autres points durant les débats. Mais je tiens d’ores et déjà à vous dire que je suis radicalement contre ces projets de loi, qui portent atteinte à la démocratie !

J’espère qu’au moins un parti aura le courage de saisir le Conseil constitutionnel. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme l’a souligné M. Masson, la raison qui nous amène à discuter aujourd’hui des projets de loi visant prétendument à introduire plus de transparence dans la vie publique, c’est l’affaire Cahuzac !

M. Roland Courteau. On l’aura compris !

M. Jean-Jacques Hyest. C’est bien cela qui motive depuis plusieurs mois la grande farce dans laquelle aimerait nous entraîner le Gouvernement, après s’être lui-même tourné en ridicule.

Ainsi, après avoir fait le grand déballage du patrimoine des membres du Gouvernement, ce qui provoqua les spéculations les plus folles, les moqueries les plus viles et les classements les plus loufoques, il faudrait que les parlementaires et les élus locaux, qu’on avait un peu oubliés, en fassent autant !

J’ouvre une parenthèse et remarque au passage que, depuis plusieurs mois déjà, le Président de la République fait exactement ce qu’il reprochait à son prédécesseur : un fait, une loi ; un événement, une mesure !

Mme Éliane Assassi. C’est l’hôpital qui se moque de la charité !

M. Jean-Jacques Hyest. Aux échecs, je vous prie de me croire, cette asymétrie s’appelle « la défense hollandaise ». C’est l’ouverture version socialiste ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Faut-il alors, comme sur bien d’autres sujets, reléguer au passé l’engagement de François Hollande qui, avec beaucoup de simplicité, nous disait : « moi, Président de la République, j’essaierai d’avoir de la hauteur de vue pour fixer les grandes orientations, les grandes impulsions, mais en même temps, je ne m’occuperai pas de tout » ?

Pour ma part, j’entends déjà les Français lui répondre gentiment : « Des mots faciles, des mots fragiles, c’était trop beau. » (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Ainsi, disais-je, il faut bien comprendre que la philosophie du texte, c’est tenter de faire rejaillir la faute d’un homme sur l’ensemble de la classe politique, notamment les parlementaires. Sauf que cela ne s’appelle pas « prendre de la hauteur de vue », cela s’appelle « prendre la fuite » ou échapper à ses responsabilités.

M. Henri de Raincourt. C’est dégueulasse !

M. Jean-Jacques Hyest. Beaucoup de choses ont été dites sur l’affaire Cahuzac, parfois avec précision, parfois avec hésitation, parfois en vérité, et sans doute d’autres fois dans le mensonge.

Un certain nombre de questions doivent aujourd’hui trouver des réponses. Des auditions ont lieu actuellement à l’Assemblée nationale. Comme j’ai confiance en la justice, je crois que l’instruction judiciaire fera toute la lumière sur ce scandale politique.

Néanmoins, il est des faits incontestables. Je veux parler de la faute morale et du cynisme de M. Cahuzac qui, en connaissance de cause, disait vouloir prendre les mesures nécessaires « pour faire en sorte que ceux qui abusent des lois et conventions existantes pour s’exonérer de leur juste contribution à l’effort national ne soient plus en mesure de le faire ». Je veux parler également de l’erreur, aussi involontaire soit-elle, qui a conduit le Président de la République à se tromper à ce point sur l’un des piliers de son gouvernement.

Cette dernière erreur est pardonnable. Peut-on tout connaître d’un homme ? En revanche, ce qui l’est moins, c’est l’utilisation qui est faite d’une affaire néfaste pour toute la République.

M. Jean-Jacques Hyest. Ce qui l’est moins c’est de réveiller, que vous le vouliez ou non, l’antiparlementarisme primaire fondé sur le postulat selon lequel tous les élus seraient corruptibles.

Pourtant, les chiffres parlent pour nous : les affaires sont rares et, comme le dit le proverbe, un arbre qui tombe fait toujours plus de bruit qu’une forêt qui germe !

Le rapport de la commission des lois que vous avez cité abondamment, monsieur le rapporteur, tout comme vous, monsieur le ministre, rappelait que 51 condamnations avaient été prononcées en 2006 et 49 en 2007.

M. Gérard Longuet. Pour prise illégale d’intérêt !

M. Jean-Jacques Hyest. Ou corruption ! Mais ces affaires ne concernaient, dans les deux cas, qu’une dizaine d’élus sur un total de responsables certainement supérieur aux 7 000 visés par la loi, et plus proche des 40 000, les maires de petits villages pouvant être concernés.

C’est pourquoi je regrette parfois que certains jeunes élus, sans doute pleins d’enthousiasme, adoptent une attitude qui, en d’autres temps, a porté un coup fatal à la République.

M. Jean-Jacques Hyest. Que chacun veuille renforcer la transparence, cela va de soi pour la majorité des parlementaires et personne ne s’y opposera ; mais à ceux qui se sont fait embobiner, je dis qu’il faut avoir l’art et la manière pour se montrer digne des fonctions que le suffrage a bien voulu leur confier.

Les émoluments que chacun, depuis « l’appel des dix », nomme des privilèges, et qui permettent en réalité de subventionner des activités d’intérêt général, ne sont pas décernés intuitu personae. Ils ne sont pas dévolus à M. Le Maire, à M. Wauquiez, à M. Darmanin ou à d’autres, ils le sont à l’ensemble des parlementaires de la République. On peut discuter de la réserve parlementaire, mais il ne faut pas pousser le bouchon trop loin !

Faire croire ainsi aux Français que nous sommes des citoyens privilégiés et jouer le jeu des politiciens cyniques, c’est en somme jouer contre la République !

Nous n’avons pas attendu l’affaire Cahuzac pour nous intéresser à la question de la transparence.

M. Charles Revet. Bien sûr !

M. Jean-Jacques Hyest. J’ai aussi participé, monsieur le rapporteur, à l’élaboration de toutes les législations depuis celle de 1988.

C’est pourquoi le Gouvernement et votre majorité n’ont pas manqué de supports pour travailler, puisqu’un certain nombre de documents de travail avaient été commandés à ce sujet.

Je pense au rapport Sauvé, élément important, même si les définitions qu’il mettait en avant de la transparence et du conflit d’intérêts étaient un peu compliquées pour nous.

Je pense au rapport d’information de l’Assemblée nationale résultant des travaux d’un groupe de travail sur la prévention des conflits d’intérêts, constitué le 6 octobre 2010 ; après une série d’auditions publiques, celui-ci avait remis ses propositions au bureau de l’Assemblée nationale le 6 avril 2011.

Enfin, je n’ai pas besoin de rappeler que la commission des lois du Sénat avait rendu un rapport d’information afin de prévenir les conflits d’intérêts relatifs aux parlementaires. Ce rapport ambitieux a été salué et faisait consensus. Il aurait mérité – la commission des lois a tenté de le faire – que le débat soit rouvert dans ce sens par la nouvelle majorité.

Force est de constater que cette large réflexion a permis, lors de la précédente législature, de grandes avancées dans ce domaine, notamment en ce qui concerne les déclarations auxquelles nous sommes déjà, aujourd’hui, soumis.

Malheureusement, le Gouvernement a souhaité agir dans la précipitation. La consultation des professionnels des branches d’activité concernées, qui pour la plupart sont favorables à l’encadrement interne de leurs activités au travers de codes de déontologie, aurait pourtant permis de conjuguer nos efforts pour aboutir à un dispositif plus efficace, plus large et plus respectueux des libertés individuelles. Je pense, notamment, à la profession d’avocat qui dispose d’un code de déontologie très élaboré.

Je regrette également que le Gouvernement recoure à la procédure accélérée. Franchement, pour un texte d’une telle complexité, c’est une aberration…

M. Charles Revet. C’est étonnant !

M. Jean-Jacques Hyest. Cette procédure n’offre pas, tout le monde en convient, l’exhaustivité nécessaire à l’étude d’un sujet aussi technique que celui-ci. D’ailleurs, monsieur le ministre, vous nous faites travailler dans des conditions invraisemblables.

M. Éric Doligé. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest. Je reviendrai sur les points particuliers qui me paraissent fragiles, mais je relève d’ores et déjà qu’un certain nombre de questions restent sans réponse après l’examen des textes à l’Assemblée nationale. Rien ne permet aujourd’hui de dire que nous en obtiendrons davantage lors de leur examen au Sénat.

Si ces textes me paraissent confus, c’est qu’ils sont nés dans la confusion ! Or ce n’est pas en nous les faisant avaler pièce par pièce qu’ils nous paraîtront plus digestes !

Fidèle à son habitude, le Gouvernement préfère aborder tous les sujets sensibles de manière distincte, comme si le plus dur était de faire passer la première part du gâteau.

On l’a vu à l’occasion du débat sur le mariage pour tous où un certain nombre de points ont été laissés de côté pour plus tard !

La réforme sur la moralisation de la vie publique repose sur quatre textes : un texte de loi organique et un texte de loi ordinaire, présentés aujourd’hui, un texte de loi relatif à la fraude fiscale et, enfin, cerise sur le gâteau, son avatar, le texte relatif au procureur de la République financier.

Quoi qu’il en soit, pour rationaliser autant que possible un débat trop passionnel, il convient de rappeler un certain nombre de choses.

Tout d’abord, le conflit d’intérêts n’est pas propre à la sphère publique.

M. Jean-Jacques Hyest. Il est plutôt propre à la vie des individus dès lors qu’ils exercent une activité susceptible de faire naître un intérêt collectif. La notion de conflit d’intérêts ne devrait donc pas être confinée à la sphère publique, car nous parlons non pas de criminalité ni de délinquance, mais bien de déontologie ! On a toujours tendance à confondre les deux !

Par ailleurs, il convient de rappeler qu’il existe dans notre droit des dispositifs de prévention – l’encadrement du financement des partis politiques et des campagnes électorales, les obligations déclaratives et les dispositions réglementaires propres aux assemblées –, mais également des dispositifs répressifs : la prise illégale d’intérêt, la corruption active ou passive sont poursuivies et font l’objet de condamnations.

Cependant, sauf à changer le code pénal, un conflit d’intérêts n’est pas un délit.

Plusieurs de mes collègues reviendront sur ces points plus en détail aux cours des débats, mais convenons dès à présent que la réglementation a ses limites et que tous les contournements restent envisageables. C’est d’ailleurs pourquoi cette loi n’aurait pas permis d’éviter l’affaire Cahuzac. Il est utile de le dire ici !

De plus, il faut bien comprendre qu’une prévention excessive est susceptible de nuire aux libertés individuelles de chacun et d’avoir un effet contre-productif. La prévention outrancière se fait au détriment des libertés publiques et la mise en œuvre de ce principe induit une logique selon laquelle nous sommes tous des délinquants potentiels. Il en va autrement de la répression, trop souvent stigmatisée.

Vous partez du principe selon lequel tous les parlementaires sont sujets à la corruption. En procédant de la sorte, vous renforcez l’idée populiste selon laquelle « les élus sont tous pourris ».

M. Jean-Jacques Hyest. Nous avons toujours souhaité échapper à ce lieu commun néfaste pour la démocratie.

Permettez-moi de citer le rapport d’information de la commission des lois du Sénat, qui était clairvoyant à ce sujet : « […] il a semblé essentiel à vos co-rapporteurs de trouver des mécanismes qui, tout en permettant de prévenir effectivement les conflits d’intérêts et tout en concourant à l’apparition de la nouvelle culture de la déontologie qu’ils appellent de leurs vœux, ne transforment pas les acteurs publics en suspects permanents qui seraient tenus à une transparence totale. Le contrôle de la probité des membres du Parlement, qui est indispensable et qui sera à terme un gage d’approfondissement de la démocratie, ne doit pas basculer dans un voyeurisme qui serait à l’inverse un facteur d’affaiblissement de la dignité et de la légitimité des représentants du peuple. »

Tous nos collègues étaient d’accord sur cette définition. Tenons-nous-y !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Bien sûr !

M. Jean-Jacques Hyest. Ne modifions pas toujours tout au gré des affaires !

Pourquoi, d’ailleurs, ne devrait-on viser que les élus ? Pourquoi ne pas élargir la réforme de la lutte contre le conflit d’intérêts à tous les magistrats de la Cour des comptes, à tous les représentants du Conseil d’État, à tous les inspecteurs des finances et à tous les grands corps de l’État français ?

M. Jean-Jacques Hyest. On pourrait également envisager de l’étendre aux magistrats de l’ordre judiciaire.

Je signale qu’aucun critère d’objectif ne laisse à penser qu’un haut fonctionnaire serait moins corruptible qu’un homme politique, d’autant que le premier a souvent plus de pouvoir que le second !

M. Gérard Longuet. Évidemment !

M. Jean-Jacques Hyest. Pour en revenir concrètement aux textes, je dirai qu’ils sont contraires à nos principes constitutionnels et républicains.

Ces textes portent atteinte à la liberté de chacun d’exercer une activité. On ne peut pas interdire les activités annexes, sauf à vouloir qu’il n’y ait plus que des parlementaires hors sol, qui dépendraient uniquement de leur mandat et de leur parti.

M. Marcel-Pierre Cléach. Des apparatchiks !

M. Jean-Jacques Hyest. Je vois bien ce que serait le Parlement dans quelques années !

M. Alain Gournac. Les parlementaires seraient envoyés par le parti !

M. Jean-Jacques Hyest. De même, ces textes portent atteinte au principe d’égalité entre les candidats.

M. Patrice Gélard. Évidemment !

M. Jean-Jacques Hyest. Ainsi, lors des élections législatives, un candidat sortant, soumis aux obligations de la loi sur le patrimoine, sur les intérêts, sera traité différemment des autres candidats dont le patrimoine et les intérêts ne seront pas encore déclarés.

M. Jean-Jacques Hyest. On nous raconte tout un tas de fariboles sur l’interdiction de diffuser l’information, mais je crains bien que le tout ne se retrouve sur la place publique !

Faut-il s’arrêter là ? Je ne crois pas. Il faut encore dire que, par les principes qu’ils mettent en avant, les projets de loi qui nous sont proposés sont contraires à la démocratie. Ils portent atteinte aux droits et libertés fondamentales qui doivent normalement être garantis aux citoyens, car les parlementaires sont aussi des citoyens !

Il en est ainsi du principe de légalité des délits : les textes tendent à prévoir que puisse être puni le fait de ne pas déclarer « une part substantielle » ou de ne pas indiquer « une modification substantielle » de son patrimoine. Or rien n’est établi clairement quant à ces notions qui restent floues. Par ailleurs, l’élément intentionnel n’est pas pris en compte, alors que notre code pénal tend à le prévoir, sauf exception, pour engager la responsabilité des personnes soumises à l’obligation de déclaration.

Il en va de même pour le droit au respect de la vie privée : les hommes politiques ne sont pas seuls ; nous ne sommes pas des moines-soldats ; nous avons une famille qu’il faut respecter.

Toutes ces atteintes commencent à faire beaucoup ! En fin de compte, elles mettront en cause la personne au-delà de l’élu !

Il convient donc d’être extrêmement vigilant et de rejeter ces mesures, comme l’avait fait d’ailleurs à une époque la commission des lois. N’avait-elle pas alors tiré la sonnette d’alarme ?

En outre, ces textes portent atteinte au principe d’égalité devant la justice : avec une grande naïveté, les auteurs de ces projets ont prévu de réprimer les dénonciations calomnieuses ou simples divulgations publiques. Toutefois, l’accès aux informations d’intérêt et patrimoniales est parfaitement anonymisé, ce qui ne permettra pas la poursuite effective des personnes malintentionnées.

La commission des lois a donc essayé de trouver une solution, mais il est certain qu’il y aura des divulgations et on ne réprimera pas !

M. Gérard Longuet. Comme pour le secret de l’instruction !

M. Jean-Jacques Hyest. À partir du moment où il y a publication, ce sera trop tard. Si, en plus, on demande à la justice de s’en mêler, je crains que cela n’aille dans le sens de la publication intégrale !

Je passe sur le principe de confiance avec l’administration fiscale. Comme nous devrons envoyer toutes nos déclarations, des confrontations seront systématiquement faites et nous serons contraints, comme, hélas ! les chefs d’entreprise, à dialoguer sans fin avec l’administration fiscale.

Enfin, n’oublions pas le principe de séparation des pouvoirs : le fait que la Haute autorité de la transparence de la vie publique puisse, contrairement à la commission actuelle, recueillir les déclarations d’intérêts des parlementaires me paraît absolument contraire à tout principe de séparation des pouvoirs.

M. Gérard Longuet. C’est la mort de la déontologie !

M. Jean-Jacques Hyest. On ne peut pas accepter cela !

Dans toutes les assemblées parlementaires du monde – nous avons vérifié aux États-Unis, en Allemagne et ailleurs -, les problèmes de déontologie, donc de conflits d’intérêts, sont traités par des structures internes, jamais par une autorité extérieure. Pour cette raison, nous ne pouvons approuver ces projets de loi. (Bien sûr ! sur les travées de l'UMP.)

Nous aurions pu mettre en avant les alternatives proposées par la commission des lois.

De surcroît, pourquoi ne pas contrôler la probité des membres de la Haute autorité ? Ne devraient-ils pas également faire une déclaration ? Quand je suis jugé – même si c’est par une Haute autorité indépendante et non par une juridiction – je veux savoir par qui je suis jugé !

De toute façon, je n’aime pas beaucoup entendre parler de moralisation. J’entends la morale, j’entends aussi la vertu, chère à Montesquieu, cité par M. le ministre tout à l’heure, mais pas la moralisation !

M. Gérard Longuet. C’est pour les dames patronnesses ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Jacques Hyest. La moralisation, c’est l’égocentrisme dans toute sa splendeur ! Comme l’homme ne peut être qu’homme, c’est – passez-moi l’expression – l’hôpital qui se moque de la charité !

Malheureusement, c’est exactement ce que vous êtes en train de faire ! Le Gouvernement, qui a confié à Jérôme Cahuzac la tâche de lutter contre la fraude fiscale, va nous apprendre comment on peut gagner en transparence et le Président de la République, ancien élève de la promotion Voltaire de l’École nationale d’administration – Voltaire, attaché aux libertés comme peu le sont encore aujourd’hui ! –, va nous expliquer comment lutter contre les conflits d’intérêts ! Faisons preuve d’un peu d’humilité, l’objectif de moralisation de la vie publique, tel qu’il nous est présenté, n’est qu’un rideau de fumée !

Pourquoi ne pas avoir fait le choix de mettre en place une organisation interne aux assemblées, déjà dotées d’un règlement intérieur qui, jusque-là, a fait ses preuves ? Nous avons, j’imagine, les moyens d’encadrer par nous-mêmes les conflits d’intérêts et les principes déontologiques, comme nous l’avons toujours fait, et comme le font beaucoup d’autres institutions et organisations collectives.

Il faudrait faire tout cela parce que la majorité d’entre nous – la quasi-totalité même, je l’espère ! – est déterminée à lutter efficacement contre la corruption, parce que nous avons perdu, injustement, un peu de la confiance des électeurs et parce que certains d’entre nous n’échapperont peut-être pas à quelques sanctions électorales qui ne profiteront qu’aux extrêmes.

Croyez-vous vraiment que nous pourrions être assez fous pour ne pas nous rendre compte que, lorsque l’un des nôtres est mis en cause, nous sommes tous soumis à la défiance de nos concitoyens ? Pour autant, faut-il vraiment céder à une inclination trop souvent observée, consistant en une repentance perpétuelle qui nous conduit à douter d’une probité que personne d’autre que nous n’oserait remettre en question ? On se repent pour les autres, et il faudrait encore se repentir pour des actes que l’on n’a pas commis, comme un enfant inventerait des bêtises pour se punir d’avoir été trop sage !

La question de la confiance des citoyens envers les élus est éminemment importante. Elle se posait avant, et elle se posera malheureusement encore après l’adoption de ces textes qui ne prennent pas toute la mesure de la situation.

J’entends dire, il est vrai, que le Président de la République tente de sauvegarder les apparences, mais ne nous y trompons pas ! Il faut cesser de prendre les citoyens pour des benêts, il faut cesser de croire que l’on remontera dans les sondages par quelques petits calculs politiques qui sont décryptés le lendemain dans tous les journaux et sur tous les plateaux de télévision : je le sais, beaucoup d’entre vous le savent et je ne doute pas un seul instant que François Hollande ne le sache également !

Ainsi, j’affirme que ce texte ne doit pas être voté. Malheureusement, c’est avec beaucoup de lucidité que j’aborde ce débat. Je connais bien l’opinion de la majorité des élus sur ce texte, mais je ne minimise pas la rigueur trop rigide de la discipline partisane ! Je n’aurai pas la candeur d’imaginer que le Gouvernement n’arrivera pas, par une manœuvre ou par une autre, à faire adopter ces projets de loi !

Au cours des débats, nous serons une force de proposition pour faire en sorte que ce texte respecte les droits et les libertés de chacun, ne fragilise pas l’indépendance et l’autonomie financière des parlementaires et inverse la tendance d’opinion des citoyens envers leurs élus.

Quoi qu’il arrive, j’espère que les membres du Gouvernement qui défendent ces projets de loi auront la sagesse de prévoir qu’ils ne s’appliqueront pas aux mandats en cours. Je sais, en effet, pour en avoir parlé avec mes collègues, que beaucoup d’entre eux se font un point d’honneur de protéger leur vie privée – je ne parle pas des parlementaires, mais des élus locaux ! – et qu’ils n’auraient donc pas, pour cette raison, accepté de faire étalage d’informations aussi personnelles lorsqu’ils se sont portés candidats.

Monsieur le ministre, votre majorité nous reprochait, ou plutôt reprochait au président Sarkozy son « agitation ». Je constate néanmoins qu’il y a plus d’action dans le mouvement que dans la parole. Vous parlez plus que vous n’agissez, sur la transparence de la vie publique comme sur beaucoup d’autres sujets ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)