M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour présenter l’amendement n° 39.

M. Yves Détraigne. Je ne vous surprendrai pas en rappelant mon opposition, déjà affirmée lors de la discussion générale, à cette disposition visant à abaisser de 1 000 à 800 le seuil du nombre d’habitants ouvrant droit à un délégué supplémentaire dans les communes de plus de 30 000 habitants, et ce pour trois raisons.

Tout d’abord, cette disposition constitue clairement une atteinte au monde rural, déjà fortement touché par l’instauration, contre l’avis du Sénat, du fameux binôme paritaire pour les élections départementales.

Ensuite, l’étude d’impact de cette disposition est très incomplète. On nous parle de 3 000 délégués supplémentaires, mais nous n’avons aucune indication chiffrée par département. Or les élections sénatoriales ont lieu à l’échelle départementale !

Enfin, si cet article était adopté, l’augmentation du nombre de délégués serait telle, dans certains départements, qu’un certain nombre de sénateurs ne devraient leur élection qu’à ces grands électeurs supplémentaires, qui ne seraient pas des élus de terrain, des élus locaux.

Cela pose un vrai problème par rapport au rôle même des sénateurs. Le Sénat est en effet, en vertu de la Constitution, le représentant des collectivités territoriales de la République.

Pour ces raisons, nous sommes totalement opposés à cet article.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Le projet de loi comporte deux dispositions essentielles : l’instauration du scrutin proportionnel dans les départements où seront élus trois sénateurs et une légère augmentation du nombre de grands électeurs dans les communes de plus de 30 000 habitants, soit 3 000 délégués supplémentaires sur un total de 151 000. Il s’agit donc, au travers de ce texte, de corriger, de rectifier et d’équilibrer le dispositif en vigueur afin que les grandes villes soient un peu mieux représentées.

Je tiens à rassurer tous ceux qui s’érigent en défenseurs du monde rural : celui-ci demeure très largement avantagé. Dans les petites communes, en effet, un grand électeur continuera à représenter 200 ou 300 habitants, tandis que dans les villes dont la population est supérieure à 30 000 habitants, un grand électeur, qui représente aujourd’hui 1 000 habitants, en représentera 750 après la réforme. Pour ce qui est du nombre de grands électeurs ramené à la population, le monde rural restera donc privilégié.

L’un de nos collègues a fait référence à l’usage qui veut que l’on ne modifie pas les règles électorales dans l’année précédant les élections. Or il ne s’agit que d’un usage ! Par ailleurs, nous sommes encore bien loin des élections sénatoriales, qui se dérouleront dans la moitié des départements en septembre 2014 – et non pas en 2013 ! –, soit dans quinze mois. Cela laisse largement le temps au Parlement de voter la loi.

Je suis certain que tous les candidats seront rapidement informés de cette légère modification des règles relatives au corps électoral pour les élections de septembre 2014...

Référence a également été faite à la décision du Conseil constitutionnel précisant qu’il ne saurait y avoir parmi les grands électeurs d’un département, à l’exception de la capitale, davantage de personnes non élues que d’élus.

L’étude d’impact montre bien que le département le plus concerné par la modification proposée, les Bouches-du-Rhône, verrait la part de grands électeurs non élus passer, sur l’ensemble du corps électoral, de 32 % à 36 %. Point n’est besoin d’être grand mathématicien pour comprendre que, de 36 % à 50 %, la marge est grande ! Cette modification, qui vise à rééquilibrer la représentation des territoires et à y introduire un peu d’équité, a d’ailleurs souvent été jugée modeste par nombre de groupes politiques.

Je crois cependant qu’il nous faut aller dans ce sens : rééquilibrer de manière raisonnable en faisant passer la tranche d’un grand électeur pour 1 000 habitants à un pour 800, afin de tenir compte des évolutions démographiques. Il nous faut prendre en considération les grandes villes, sans pour autant les opposer au monde rural, qui continue d’être privilégié pour ce qui concerne la répartition des grands électeurs.

Cela a été dit lors de la discussion générale, cette modification est raisonnable et renforce la légitimité du Sénat, qui a pour vocation, bien sûr, de représenter les zones rurales, mais également les villes et les grandes villes. N’opposons pas les unes aux autres, car elles sont complémentaires : le monde urbain a besoin du monde rural, et vice-versa. Le Sénat a vocation à représenter toutes les collectivités, qu’elles soient rurales ou urbaines.

L’avis de la commission est donc défavorable.

M. André Reichardt. Alors, ne changeons rien !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je suis quelque peu étonné par certaines réactions.

L’objet du projet de loi est de faire passer, pour les villes de 30 000 à 40 000 habitants, le nombre d’habitants représentés par un grand électeur de 800 à 780.

Il existe en réalité d’immenses disparités puisque, dans certains cas, le grand électeur représente 800 habitants, et d’autres dans lesquels il représente 100, voire 50, ou même 10 habitants.

Le Gouvernement, en présentant ce projet de loi, a fait preuve d’une modération que je tiens à saluer,...

M. Jean-Jacques Hyest. Il ne pouvait pas faire autrement ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. ... par respect pour les communes rurales.

M. Jean-Jacques Hyest. Et pour le Conseil constitutionnel !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Si l’on avait choisi de prendre davantage en compte la démographie et, après tout, le principe d’égalité, on aurait pu prévoir des changements du type de ceux préconisés par Mme Klès, ou d’autres plus amples encore.

Le Gouvernement ne le fait pas, et la majorité non plus. Je vous prierai donc de ne pas instruire un procès qui, en l’espèce, n’a pas lieu d’être.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Il est difficile d’argumenter davantage après les excellents propos du rapporteur et du président de la commission.

Cet article a pour objet, vous le savez, de rééquilibrer la représentativité entre les différentes catégories de communes, afin de tenir compte de la croissance démographique. Par ailleurs, l’article 24 de la Constitution ne nous oblige pas à respecter une stricte égalité de la représentation. En outre, nous devons tenir compte de la décision rendue en 2000 par le Conseil constitutionnel.

Compte tenu de ces éléments, nous opérons avec une prudence toute particulière un changement, un rééquilibrage, qui ne remet pas en cause les grands équilibres et qui reste très favorable au monde rural pour ce qui concerne la désignation des délégués sénatoriaux.

Cette prudence, associée au respect de l’application de l’article 24 de la Constitution et des décisions du Conseil constitutionnel, nous permettra d’évoluer favorablement tout en maintenant un équilibre qui, je le crois, devrait convenir à tous. Cette disposition ne représentant en rien un bouleversement, elle ne mérite aucune critique sévère.

L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

Article 1er (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'élection des sénateurs
Discussion générale

8

Souhaits de bienvenue à une parlementaire finlandaise

M. le président. Je suis heureux de saluer la présence dans la tribune officielle de Mme Miapetra Kumpula-Natri, présidente de la Grande commission de l’Eduskunta finlandaise. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le ministre se lèvent.)

Mme Kumpula-Natri est en visite en France pour une série d’entretiens sur les questions européennes.

Elle s’est entretenue au Sénat avec notre collègue Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes.

En notre nom à tous, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue et un bon séjour en France. (Applaudissements.)

9

Article 1er (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'élection des sénateurs
Article 1er

Ėlection des sénateurs

Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif à l’élection des sénateurs.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'élection des sénateurs
Articles additionnels après l'article 1er

Article 1er (suite)

M. le président. La parole est à M. Alain Chatillon, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 2, 23, 32 et 39.

M. Alain Chatillon. Nous avons évoqué l’opération de rééquilibrage des zones rurales visant les communes de 5 000 à 10 000 habitants. Ne faudrait-il pas, en l’occurrence, faire de même ? Réalisons l’étude, présentons-la le plus tôt possible, à la fois pour le monde rural et pour le monde urbain ! Pourquoi proposer une meilleure représentation des villes au détriment des zones rurales, sans tenir compte des problèmes de celles-ci ?

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.

M. Dominique de Legge. Lorsqu’on parle d’élection et de représentation, il faut trouver le juste équilibre entre la représentation démographique et celle des territoires.

Force est de constater que les textes que vous nous soumettez depuis quelques semaines vont tous dans le même sens et portent un message clair : l’atténuation de la représentation territoriale au profit d’une représentation démographique.

Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas nous dire, la main sur le cœur, combien vous êtes attaché aux territoires ruraux et, dans le même temps, envoyer lors de chaque texte le même message !

Je me suis penché sur le cas de mon secteur, comme chacun a pu le faire dans son département. Que vous le vouliez ou non, ce n’est pas tant la division par deux du nombre de cantons qui me préoccupe (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) que le fait que le redécoupage des cantons se fasse « essentiellement sur une base démographique », ce qui aura pour effet d’amoindrir, dans chaque conseil général, la représentation territoriale. Voilà ce que vous avez fait voter à l’Assemblée nationale ! Le Sénat souhaitait, au contraire, prévoir la possibilité de s’écarter de la moyenne démographique de plus ou moins 30 %.

La réforme de la désignation des grands électeurs va, elle aussi, dans le sens d’un amoindrissement de la représentation territoriale.

Par conséquent, étant, comme nombre de mes collègues, opposé à cet article, je voterai ces amendements identiques de suppression. En effet, ce sont les territoires ruraux qui feront les frais de cette réforme.

M. Dominique de Legge. Monsieur le ministre, je ne sais si vous aviez des intentions malignes concernant un résultat électoral que vous anticiperiez... (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

Mme Isabelle Debré. Non, sûrement pas !

M. Dominique de Legge. Je ne peux pas le croire… J’en conclus que la seule justification de cette disposition est l’affaiblissement des territoires ruraux. (M. François Trucy applaudit.)

Mme Isabelle Debré. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur de Legge, je ne peux accepter les malentendus, encore moins les faux procès. En l’occurrence, c’est bien de cela qu’il s’agit.

Vous confondez l’élection des délégués au Sénat et l’élection aux conseils départementaux. Dans le second cas, des principes constitutionnels s’appliquent, même si nous avons aussi intégré dans le redécoupage la représentation des territoires par le biais d’un amendement centriste, qui a été voté à l’Assemblée nationale, puisqu’une majorité du Sénat a rejeté ce texte. Personne, ni un ministre ni un parlementaire, ne peut les remettre en cause.

Cette représentation des territoires repose sur des bases démocratiques, mais tient compte aussi de la réalité de notre pays. Je suis convaincu qu’il en sera de même du redécoupage cantonal. Toutefois, dans une démocratie, notamment pour les élections au suffrage direct, il n’est pas totalement inconcevable que s’impose le principe « un homme – ou une femme – une voix ».

Pour ce qui concerne le Sénat, plus des deux tiers des délégués des conseils municipaux représentent les communes de moins de 10 000 habitants, alors que celles-ci ne regroupent que la moitié de la population. Or nous ne modifions pas sensiblement ce rapport.

La population totale des communes de plus de 100 000 habitants est deux fois plus élevée que celle des communes de moins de 500 habitants, tandis que ces dernières disposent de deux fois plus de délégués. Là encore, nous n’apportons pas de bouleversement notable.

Dans les communes de plus de 100 000 habitants, le nombre des délégués désignés, par rapport au nombre total de délégués, a même évolué dans un sens défavorable à ces grandes communes, passant de 8,3 % en 1964 à 7,45 % en 2010.

Par conséquent, ne nous faites pas de procès sur la représentation des territoires ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Gérard Cornu. Si vous n’attaquez pas les territoires ruraux, que faites-vous, alors ?

M. Manuel Valls, ministre. Comme viennent de l’expliquer très bien M. le rapporteur et M. le président de la commission des lois, l’article 1er a pour objet de rééquilibrer la représentativité entre les différentes catégories de communes, de façon à tenir compte de la croissance démographique dans les plus grandes communes.

Il s’agit donc d’ajouter pour les grandes communes un délégué supplémentaire par tranche de 800 habitants au-dessus de 30 000 habitants, sans que cela remette en cause la représentativité des petites communes. C’est tout le débat que nous avons eu.

Dans ces communes de plus de 300 000 habitants, un délégué représenterait 760 habitants, alors que, dans les communes de moins de 500 habitants, il continuerait à en représenter 227. Au regard des évolutions démographiques que notre pays a connues, nous ne pourrions pas permettre aux grandes communes de disposer de seulement quelques délégués supplémentaires ?

Nous avons été très raisonnables, pour les raisons qui ont été exposées, notamment par Jean-Pierre Sueur : le caractère contraignant de la décision du Conseil constitutionnel et le souhait du Gouvernement de ne pas mettre en cause les équilibres du Sénat.

Acceptez donc la diversité du pays telle qu’elle est, y compris dans sa représentation au Sénat, sans oublier que ce dernier représente les territoires et les collectivités. Ne nous faites pas un faux procès, car il est sans fondement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

(M. Didier Guillaume remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume

vice-président

M. le président. La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.

M. Christian Favier. Nous avons pris acte du rééquilibrage très modeste – « très prudent », selon vos propres termes, monsieur le ministre – que propose le Gouvernement, à savoir un délégué supplémentaire pour 800 habitants.

Vous connaissez notre attachement à l’égalité des citoyens. Nous pensions, quant à nous, que nous aurions pu aller plus loin – nous l’avions d’ailleurs suggéré –, d’autant que la mesure ne concerne que les communes de plus de 30 000 habitants. Cela ne retire absolument rien aux communes plus petites, dont le nombre de délégués reste inchangé.

De la part de mes collègues de l’opposition, il y a une certaine contradiction à voter dans l’enthousiasme, voilà quelques jours à peine, la création des grandes métropoles, dont on sait qu’elles conduiront inévitablement à réduire très fortement le rôle et la place des communes rurales, et, aujourd’hui, à défendre à tout prix les communes rurales.

Pour notre part, nous ne voterons pas ces amendements identiques de suppression, car nous sommes favorables à l’article 1er, même s’il constitue une avancée modeste.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Pour M. le rapporteur et M. le ministre, que j’ai écoutés attentivement, il s'agirait d'une modification minime. Raison de plus pour ne pas l'accepter ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)

Il y a vraisemblablement une arrière-pensée, monsieur le ministre. Nous le savons bien : notre majorité, elle aussi, a pratiqué des découpages ! (Mêmes mouvements.) Ne nous voilons pas la face : derrière ces montages se cache toujours une volonté de faire en sorte que les élections se déroulent au mieux pour celui qui découpe.

On affirme vouloir défendre le monde rural, mais au moment de passer à l'acte et de décider, on prend le contre-pied, et ce à quelques minutes d’intervalle ! Ainsi, Alain Richard a brillamment expliqué qu’il était peut-être préférable de recalculer pour atteindre le bon nombre de délégués. Pourtant, à peine son intervention finie, on examine des mesures qui, insidieusement, modifient les équilibres entre le rural et l’urbain.

Nous avons consacré un certain nombre d'heures dans cet hémicycle à travailler sur les élections municipales, les élections départementales et, aujourd’hui, les élections sénatoriales. Pour ma part, je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec le découpage territorial relatif aux futurs conseillers départementaux.

D’un côté, le binôme « un homme, une femme », élu des villes, ne siégera peut-être même pas dans un collège, parce qu'il n'y en aura pas. Étant à l'intérieur d'une agglomération, il n'aura pas à défendre de route départementale, puisque, bien souvent, grâce à des accords entre le département et l'agglomération, les routes à l’intérieur des agglomérations ne sont plus départementales. Avec un peu de chance, il aura l'occasion d'exercer des compétences sociales au travers de circonscriptions de la solidarité, si son canton en est pourvu.

De l'autre côté, le binôme, toujours « homme, une femme », de conseillers départementaux du monde rural siégera peut-être dans un ou deux collèges – il n’est qu’à voir la carte – de plus de 90 communes – 110 communes dans l'un des éventuels futurs cantons du département de la Marne, si vous en décidez ainsi, monsieur le ministre. Il aura à sa charge des centaines de kilomètres de routes départementales.

Vous le voyez, dans les deux cas, les missions respectives de ces binômes seront bien différentes. Nous sommes donc légitimement en droit de penser qu'il faut veiller à cet équilibre entre monde rural et monde urbain.

Il faut en outre souligner qu'il s'agit d'une élection au scrutin indirect : les conseillers municipaux sont désignés par les électeurs pour assumer des responsabilités et aussi pour former le corps électoral du Sénat. Ajouter à ce collège d’autres membres élus indirectement par des personnes désignées indirectement revient à s’éloigner complètement des électeurs de base.

C’est la raison pour laquelle je suis particulièrement hostile à cet article 1er qui, en fait, habille surtout l'article suivant, prévoyant le passage à la proportionnelle dans les départements de trois sénateurs. Il est vrai qu'il est préférable de faire passer une telle mesure à travers un projet de loi comprenant plusieurs articles, plutôt que par le biais d’un texte dont l’article unique n’aurait que cette seule finalité !

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voterai les amendements identiques de suppression de l’article 1er, pour les raisons qui sont exposées dans l'étude d'impact. Comme cela a été rappelé, cette disposition a pour objet d'assurer une meilleure représentation des zones urbaines et une meilleure prise en compte du poids démographique des communes. Or je suis en désaccord total avec ce double objectif !

Renforcer les zones urbaines se fait forcément au détriment du monde rural, n'en déplaise à M. le ministre, qui s'est agacé à ce sujet, ce qui montre d'ailleurs qu'il n'est pas très à l'aise. (M. le ministre s'exclame.) L'inverse n'est pas possible, et j'ai vraiment apprécié l'expression utilisée par l'un de nos collègues, qui parlait de texte « ruralicide ». En effet, c’est bien de cela qu’il s’agit. Et n'en déplaise, là encore, à M. le ministre, le texte relatif au mode de scrutin binominal pour les élections départementales va dans le même sens.

Texte après texte, dispositif après dispositif, on s’achemine donc toujours vers la réduction du poids du monde rural.

Monsieur le ministre, au cours de la discussion générale, vous avez affirmé qu'il s’agissait d’assurer une meilleure prise en compte du poids démographique des communes. Je m'en étais d’ailleurs étonné : comment espérer renforcer les territoires en accentuant le poids de la démographie ? C'est exactement l’inverse qui se produira ! Quand on parle de territoires, on ne doit pas prendre en compte leur poids démographique, c’est-à-dire leur nombre d’habitants. C'est l'Assemblée nationale qui représente le peuple. Le poids de la démographie et le nombre d'habitants d'un territoire s’expriment lors des élections législatives, et non lors des élections sénatoriales. (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.)

Monsieur le ministre, selon vous, deux tiers des délégués représenteraient les communes de moins de 10 000 habitants. Je rappelle que les deux tiers des communes comptent moins de 500 habitants. Le poids relatif des collectivités est donc déjà clairement pris en compte.

L'argument avancé pour tenter de nous rassurer est que cette réforme ne changerait finalement pas grand-chose : 3 000 délégués seraient concernés sur 150 000, ce qui ne serait pas beaucoup. C’est peut-être vrai, mais j'observe tout de même, et cela a été souligné par Michel Mercier et Yves Détraigne, que, dans certains départements, dont le Rhône et le Val-de-Marne, cette réforme aura un impact très fort sur le collège électoral.

En outre, comme je viens de l'indiquer, il s’agit encore et encore de porter des mauvais coups au monde rural.

En écoutant Gaëtan Gorce, dont les propos pouvaient paraître provocants – ils l'étaient, de fait –, je me suis demandé s'il n'était pas d'une certaine façon en service commandé (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)...

M. Jean-Jacques Mirassou. Ce n'est pas son genre !

M. Hervé Maurey. … pour exprimer tout haut ce qu'un certain nombre de parlementaires socialistes pensent tout bas : le Sénat est une « anomalie démocratique », pour reprendre la formule d’un illustre socialiste. Par conséquent, on essaie peu à peu – heureusement, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est là – de rogner son rôle comme représentant des territoires et des collectivités locales. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Monsieur le ministre, je me garderai bien de faire un procès d'intention au Gouvernement. Les différentes interventions des membres du groupe auquel j'appartiens n’ont pas du tout cet objet.

Certes, ce texte ne diminue pas le nombre de représentants du monde rural, mais, comme il augmente le nombre de représentants du monde urbain, en valeur relative, le monde rural sera moins représenté qu'avant !

M. Jean-Jacques Mirassou. Quel sophisme !

M. Philippe Bas. Ce n'est pas un procès d'intention, c'est une constatation objective.

La question de principe soulevée ici est grave. À désigner de plus en plus de grands électeurs qui ne sont pas des élus de leur collectivité territoriale, nous nous engageons sur un mauvais chemin, puisque cela revient à diminuer la portée du principe constitutionnel selon lequel le Sénat représente les collectivités territoriales de la République.

M. Philippe Bas. Et si, dans leur sagesse, les constituants des régimes républicains successifs ont prévu exactement la même chose, ce n'était pas simplement pour faire plaisir aux communes, c’était avec l'idée que la deuxième chambre, si elle existe, doit avoir une part d’originalité. En l’occurrence, celle-ci repose sur le fait que les membres de cette assemblée sont sélectionnés par des élus, en raison de l'expérience qu'ils ont des affaires publiques, laquelle leur permet d'avoir une vision originale de la manière dont ils entendent remplir leur fonction sénatoriale.

Dès lors que, dans certains départements – on a cité par exemple le cas des Hauts-de-Seine –, la part des grands électeurs qui ne sont pas des élus, mais des militants,…

M. Philippe Bas. … va passer de 30 % à 35 %, on dénature l'institution sénatoriale. Pour moi, cette question de principe, absolument essentielle, ne peut pas être passée par pertes et profits. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

À partir du moment où vous rapportez systématiquement le nombre de délégués sénatoriaux supplémentaires non élus à l'ensemble des délégués sénatoriaux d'un même département, vous êtes sur la mauvaise voie.

Vous prétendez que c’est une goutte d'eau à l’échelle du département, mais, dans la commune qui passera, de ce fait, à 50 % de délégués sénatoriaux non élus, ce ne sera pas négligeable.

Si les cas de villes importantes comptant davantage de délégués non élus que de délégués élus se multiplient – cela existe parfois déjà, mais sous forme de correctif démographique –, nous considérons que les dispositions de l'article 24 de la Constitution ne sont plus respectées.

C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues, je ne voterai pas cet article 1er. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, pour explication de vote.

M. François Rebsamen. En prenant deux ou trois notes, je me suis aperçu que nous reprenons largement le débat que nous avons déjà eu lors de la discussion générale.

Chers collègues, tout ce qui est excessif est insignifiant, et certaines des remarques que vous avez formulées n'ont pas lieu d'être. Comment pouvez-vous parler d’un texte « ruralicide » ? Son objet n’est absolument pas de diminuer la représentation du monde rural. Il est d'augmenter légèrement la représentation du monde urbain. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Christian Cointat. Cela revient au même !

M. François Rebsamen. Non, ce n'est pas la même chose !

Chers collègues, vous connaissez suffisamment le fait rural pour savoir que, par exemple, une commune comprenant de zéro à dix habitants désigne un représentant, donc un grand électeur. En revanche, une commune de 200 000 habitants désigne à peine 200 grands électeurs. Le rapport qui prévaut aujourd'hui dans la représentation démographique des territoires est donc tout simplement d’un à cent.

Il n'agit non pas de diminuer le poids du monde rural, mais de rééquilibrer légèrement la représentation à l’avantage du monde urbain. Car dans quel monde vivez-vous, chers collègues ? Je suis d’ailleurs prêt à parier que la plupart d'entre vous habitent en ville. (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. François Rebsamen. Ce n’est pas en refusant ainsi de reconnaître le fait urbain que vous défendrez au mieux le monde rural. En effet, les interactions entre les deux sont nombreuses. C’est bien souvent dans nos agglomérations que l’on trouve du travail, qu’ont lieu des échanges et des activités culturelles. Les ruraux sont heureux de venir en ville, tout comme les citadins sont contents de partir à la campagne le week-end. Or, au lieu de voir la richesse de cet échange, vous restez bloqués sur l'image d'un monde figé.

Vous êtes des conservateurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)