Mme Françoise Férat. Enfin, la réforme des rythmes scolaires n’a pas été débattue devant le Parlement et elle est imposée aux collectivités territoriales sans qu’on leur donne les moyens de la mettre en œuvre. Je regrette que, une fois encore, aucune réelle concertation n’ait été conduite avec les acteurs concernés. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le constat est sans appel : l’école est devenue, dans notre pays, le lieu de reproduction des inégalités sociales, tant et si bien que la France figure parmi les pays de l’OCDE où le lien entre les origines sociales et culturelles des parents et les résultats de leurs enfants est le plus caractérisé. Ce triste constat suffit à lui seul pour conclure que l’école de la République est en crise, et ce depuis trop longtemps, ajouterai-je.

Les moyens humains et financiers consacrés à l’école ne sont pourtant pas négligeables, diront certains. Alors, à qui la faute ? Peu importe, ai-je envie de répondre. J’aurai l’occasion de revenir sur ce point au cours de nos débats.

Le moment est venu d’entamer la refondation de l’école, de revenir aux fondamentaux, de fixer des objectifs à la fois ambitieux et raisonnables, de permettre à l’école de renouer avec son rôle d’ascenseur social et sa mission de transmission des connaissances, des savoirs et des valeurs républicaines.

Pour y parvenir, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut entrer dans le concret, celui du fonctionnement d’une école, de la vie quotidienne d’une classe, de la relation à la fois complexe et merveilleuse qui s’établit entre le maître et l’élève. Faut-il le rappeler ici, cette relation est fondée sur la transmission et l’échange. Dans la pratique, et dans le meilleur des cas, les deux principaux acteurs, le maître comme l’élève, reçoivent, et aucun ne doit perdre.

Aussi l’école a-t-elle besoin, avant tout, d’enseignants en nombre suffisant et dotés d’une solide formation. Ce métier, qui compte parmi les plus beaux, s’apprend : n’est pas pédagogue qui veut ! En effet, si la pédagogie a longtemps été définie comme l’art d’éduquer, elle est devenue une science, celle de l’éducation, qui rassemble les méthodes et pratiques d’enseignement et d’éducation, met en exergue toutes les qualités requises pour transmettre un savoir ou un savoir-faire. En un mot, il est nécessaire d’apprendre à apprendre !

C’est pourquoi aucune refondation de l’école ne sera possible sans le concours et l’engagement des enseignants : leur formation doit être professionnalisée et à la hauteur des enjeux, leur métier revalorisé aux yeux de la société, tout comme leur salaire, qui doit refléter la confiance et les attentes très fortes que nous plaçons en eux.

Nous devons reconstituer un corps d’enseignants motivés, responsabilisés, engagés, soutenus financièrement et moralement, un corps d’enseignants qui aiment leur métier et qui, tout simplement, croient en leur mission quotidienne au service des élèves et de la République.

Les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation devront jouer un rôle clé dans le nouveau dispositif, puisqu’elles auront la noble charge de former et de préparer tous les enseignants, de la maternelle à l’université, ainsi que le personnel d’éducation. Elles contribueront aussi à la formation continue pour adapter les méthodes d’enseignement et les connaissances aux évolutions de la société.

La refondation de l’école passe par la priorité donnée à l’école maternelle et à l’école élémentaire. Bien des choses se jouent, en effet, en matière d’apprentissage des savoirs et de transmission des valeurs, dès les premiers pas de la scolarisation ! Nous partageons, monsieur le ministre, votre volonté de développer la scolarisation dès l’âge de 2 ans, alors que son taux a fortement chuté en dix ans, passant de 35 % à 11 %.

Sans passer en revue l’ensemble des moyens nécessaires – la discussion des amendements sera l’occasion d’entrer dans le détail –, je souhaite toutefois insister sur certains choix qu’il convient de faire.

J’évoquerai d’abord l’aide personnalisée aux élèves en difficulté, qui doit être revue, car on ne peut pas continuer à la dispenser pendant la pause du déjeuner, tôt le matin ou tard le soir, c’est-à-dire à des horaires incompatibles avec l’attention et la concentration.

Une autre décision incontournable concerne les RASED, qui doivent absolument être rétablis.

Quant à la révision des programmes, elle doit s’accompagner de l’instauration d’un vrai parcours culturel et artistique, tout comme du renforcement de la place du sport à l’école. Art et culture contribueront ainsi, aux côtés des autres matières, à une meilleure transmission des connaissances essentielles pour la réussite éducative et, plus encore, pour le « vivre ensemble ».

Enfin, je partage, monsieur le ministre, votre objectif de mettre en place un service public du numérique éducatif et de l’enseignement à distance renforçant l’offre pédagogique. Il s’agira, notamment, de permettre aux élèves en situation de handicap et à ceux qui ne peuvent être scolarisés de se rapprocher de l’école, en bénéficiant de ressources adaptées, afin de tendre vers une école réellement inclusive. Ce service devra venir s’ajouter à l’enseignement classique, sans s’y substituer. Comme je l’ai indiqué, le fondement de l’apprentissage doit reposer avant tout sur la relation entre l’enseignant, l’élève et ses pairs.

Avant de conclure, et parce que nous sommes au Sénat, je souhaite dire quelques mots du rôle clé joué par les collectivités territoriales dans notre système éducatif, qu’il s’agisse des communes, pour l’école primaire, ou des départements et des régions, pour le secondaire. Chacun sait ici que ces collectivités s’investissent autant qu’elles le peuvent dans l’éducation. C’est pourquoi je salue la création du fonds d’aide aux communes pour la mise en place de la réforme des rythmes scolaires. Monsieur le ministre, il faut leur laisser du temps pour s’organiser ! Le temps passé à l’école par les enfants doit être un temps d’apprentissage de qualité, aménagé sans précipitation et avec les moyens nécessaires.

Monsieur le ministre, j’ignore, à ce stade, si le Sénat approuvera votre projet de loi, amendé par la commission de la culture du Sénat, dont je félicite la rapporteur pour le travail qu’elle a accompli. La majorité des membres du RDSE espèrent qu’il sera adopté, même si, à nos yeux, il peut encore être amélioré. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons déposé près de quatre-vingts amendements.

Quoi qu’il en soit, vous savez pouvoir compter sur les radicaux de gauche pour soutenir l’école de la République, une école publique et laïque de qualité, afin de lui permettre de retrouver toute sa place dans la préparation de l’avenir de la France. Combattre la grave crise morale que traverse notre pays, c’est aussi redonner force et vigueur à notre école. C’est en refondant l’école que nous redonnerons espoir à la jeunesse ! (Applaudissements sur la plupart des travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, afin de compléter l’intervention de Corinne Bouchoux sur les objectifs du projet de loi, je souhaite appeler l’attention sur la section de ce texte consacrée à l’éducation aux usages du numérique, rebaptisée à juste titre par nos collègues de l’Assemblée nationale « service public du numérique éducatif ».

Je ne reviendrai pas sur le bilan des différents plans de développement des usages du numérique à l’école. Le rapport de notre collègue Françoise Cartron est très clair sur le sujet. En ce qui concerne la formation des enfants et des adolescents à l’utilisation des outils numériques, la France reste en retard, malgré un taux moyen d’équipement relativement satisfaisant, qui masque toutefois d’importantes disparités entre zones urbaines et zones rurales, ainsi qu’au sein des zones rurales.

Compte tenu de la réalité des moyens déployés pour faire face à ce retard et des difficultés de l’institution scolaire à intégrer la dimension numérique dans l’enseignement, le groupe écologiste recommande de s’inscrire dans une vision plus réaliste et pragmatique et, en même temps, plus inventive de l’apport des nouvelles technologies de l’information à l’enseignement.

À ce stade, la plus-value de l’intégration des nouvelles technologies du numérique dans les enseignements réside principalement dans les possibilités qu’elles ouvrent en termes de changements pédagogiques. En effet, ces nouveaux services numériques ne doivent pas seulement offrir un « outil de plus », à utiliser comme les autres parmi l’offre fournie par l’institution scolaire. Ils doivent servir de base à une refonte critique des approches pédagogiques, favorisant l’innovation et les expérimentations, au profit du travail collaboratif entre les élèves, ainsi qu’entre les enseignants. C’est le sens des amendements qui ont été déposés tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat par les parlementaires écologistes.

Utiliser uniquement les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement, les TICE, comme un nouveau support au service de pédagogies anciennes serait contre-productif et ne répondrait pas aux enjeux de la révolution numérique dans le secteur éducatif.

De la même manière, la proposition de favoriser l’usage de logiciels libres et de formats ouverts pour les ressources pédagogiques et les contenus numériques va dans le sens d’une extension de l’interactivité des outils mis à disposition des élèves et des personnels, alors que les logiciels dits « propriétaires » entravent, au contraire, le libre accès aux savoirs et la mutualisation des contenus.

Parallèlement, il convient de relativiser l’apport des nouvelles technologies dans l’enseignement. Pour nous, la plus grande des interactivités, en matière d’éducation, reste d’abord celle qui s’établit entre un enseignant et chacun des élèves à l’intérieur d’une salle de classe. Aucune technologie, aussi innovante soit-elle, ne peut se substituer à cette relation singulière.

S’il est important que l’école valorise les usages numériques dans le cadre des apprentissages, notamment pour améliorer le suivi personnalisé des élèves, il faut néanmoins se garder de faire des outils technologiques l’alpha et l’oméga de toute forme de modernisation des pratiques éducatives, car, dans les faits, les enseignants restent le plus souvent des praticiens des nouvelles technologies bien moins expérimentés que leurs élèves. Chacun connaît l’écart générationnel qui existe en matière d’appropriation des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

En ce qui concerne la mise en œuvre du plan pour le développement des usages du numérique à l’école, j’observe que le portail unique de référencement de l’ensemble des ressources pédagogiques n’a toujours pas vu le jour. La faute en revient à un dispositif extrêmement lourd, peu ergonomique et contraint par les conditions posées par les éditeurs de manuels pédagogiques. Ce serait pourtant un outil essentiel à mettre au service de la communauté éducative.

Surtout, le numérique ne peut ni ne doit se substituer à l’éducation aux médias, au sens large du terme, telle que mise en œuvre dans les établissements, sur la base du volontariat des enseignants, depuis une trentaine d’années.

Or, j’ai déjà alerté la commission de la culture sur le fait que le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information, le CLEMI, créé en 1983 par l’universitaire Jacques Gonnet, auquel je rends hommage, et chargé d’accompagner cette politique, a vu, ces dernières années, ses moyens humains et financiers limités, quand ils n’ont pas été tristement amputés.

M. David Assouline. Par la droite !

M. André Gattolin. La faiblesse des budgets consacrés à cette mission ne permet plus de propager et d’étendre les expérimentations et les initiatives très riches conduites par le CLEMI. Je pense notamment au travail essentiel mené en direction des enseignants stagiaires, afin qu’ils ne soient pas démunis en matière d’éducation aux médias d’actualité, que ceux-ci soient numériques ou pas ! En effet, on aurait tort de considérer que l’accès à une vidéo sur internet peut remplacer le visionnage d’un journal télévisé ou la lecture analytique d’un article pour l’apprentissage du décryptage de l’information.

Mes chers collègues, le numérique éducatif représente sans conteste une voie de transformation des méthodes pédagogiques de l’enseignement. Pour autant, et au vu des contraintes financières subies par l’État et les collectivités locales, le groupe écologiste reste lucide quant à l’impact des mesures proposées au travers du présent projet de loi. Ce n’est que par un ensemble de dispositions, encore à développer et à améliorer, que nous pourrons véritablement renforcer et adapter aux temps présents le service public de l’enseignement dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.

M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, la mise en place des PPRE dans les réseaux ECLAIR pilotés par les DASEN, bientôt renforcée par l’instauration du PET, peine à produire ses effets. (Sourires.) Il est vrai que le simple manque d’outils scripteurs pour l’apprenant en ZEP, que peine à reconnaître la DGESCO, ne facilite pas la mise en œuvre efficace de ces projets ! Espérons que le maintien des ATSEM, auxquels viendront bientôt s’ajouter des adultes surnuméraires, permettra enfin la concrétisation des objectifs qui leur sont assignés. Sinon, les apprenants se verront contraints de rejoindre la cour de récréation pour y jouer avec un référentiel bondissant. (Nouveaux sourires.)

Voilà ce qu’est devenu le système « éducation nationale » ! Seuls les initiés, les « sachants », s’y retrouvent, tandis que les autres acteurs, parents, élus ou même enseignants, n’y comprennent plus rien.

En conséquence, aucun objectif assigné au système éducatif n’a été atteint depuis vingt ans. Chaque année, notre école est plus inéquitable et plus inefficace, comme l’attestent toutes les enquêtes nationales ou internationales.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. La faute à qui ?

M. Jean-Claude Carle. Pourtant, les objectifs assignés à l’éducation nationale sont assez simples à définir.

Premièrement, l’école doit apprendre à lire, à écrire et à compter à tous les élèves. Or, aujourd’hui, le nombre d’élèves quittant le système éducatif avec de graves lacunes scolaires est inacceptable pour notre pays. Ainsi, 40 % des élèves qui entrent au collège connaissent des difficultés en lecture, en calcul ou en écriture.

À ce propos, je me réjouis que le Président de la République ait fait de l’éducation la priorité de son quinquennat et que le Gouvernement ait érigé la lutte contre l’illettrisme en grande cause nationale de l’année 2013.

Deuxièmement, l’école a pour mission de détecter les talents, aussi divers soient-ils, dans les domaines des arts plastiques, de la musique, des sciences, de l’histoire, etc. Les talents sont multiples et la sensibilité de chacun doit pouvoir être accompagnée et valorisée par l’école.

Troisièmement, l’école doit assurer la mise en adéquation des formations scolaires proposées avec les débouchés professionnels. C’est le meilleur moyen de prémunir la jeunesse contre le fléau du chômage, qui conduit un jeune sur quatre, au terme de son cursus scolaire, à pousser la porte non pas d’une entreprise ou d’une administration, mais de Pôle emploi !

Monsieur le ministre, venons-en au projet de loi que vous nous présentez. Je le dis clairement : ce texte est pavé de bonnes intentions.

M. Daniel Raoul. Ça change !

M. Jean-Claude Carle. Que l’on me permette de saluer le travail de Mme le rapporteur, Françoise Cartron. Même si je ne suis pas d’accord avec elle sur plusieurs points et si nos avis sont souvent divergents, je veux rendre hommage à son implication et à son engagement au service de l’école.

La première bonne intention que je tiens à souligner, c’est la priorité accordée au primaire, dont je me félicite. En effet, le primaire, terreau de la construction des inégalités et du décrochage scolaire, a été le grand oublié des réformes précédentes.

Autre bonne intention, la volonté de donner davantage aux élèves les plus en difficulté, qui se traduit par la mesure intitulée « plus de maîtres que de classes », laquelle témoigne, monsieur le ministre, de votre détermination à lutter contre le décrochage scolaire.

M. Daniel Raoul. Ça nous change !

M. Jean-Claude Carle. Nous savons que l’amélioration de la performance globale de notre système éducatif passe par la diminution du pourcentage d’élèves rencontrant de grandes difficultés scolaires dans notre pays. J’expliquerai ultérieurement pourquoi, si je partage cet objectif, je suis en désaccord avec les mesures que vous proposez.

M. Daniel Raoul. Ben tiens !

M. Jean-Claude Carle. La création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation relève également d’une bonne intention. Évidemment, il est fondamental de reconstruire la formation des enseignants.

M. Alain Néri. Alors pourquoi l’avez-vous supprimée ?

M. Jean-Claude Carle. Mon cher collègue, j’ai été le premier à dénoncer les mesures prises à cet égard et à interroger le prédécesseur de M. le ministre à l’occasion d’une séance de questions cribles.

M. Alain Néri. Vous êtes donc d’accord avec nous ? (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Claude Carle. J’en conviens, supprimer les IUFM sans les remplacer par rien n’était pas la meilleure chose à faire. (Exclamations et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Mes chers collègues, dans ce domaine, nous avons tous une part de responsabilité.

M. Alain Néri. Faute avouée est à moitié pardonnée !

M. Jean-Claude Carle. En proposant de créer les ESPE, vous prenez en compte le fait que la formation initiale des enseignants peut améliorer de manière significative leur pratique en salle de classe et, par voie de conséquence, l’apprentissage des élèves.

Enfin, il y a consensus sur la réforme des rythmes scolaires. Il est assez rare que tous les rapports soulignent la nécessité d’une telle réforme.

Cela étant, monsieur le ministre, je ne voterai pas le présent projet de loi en l’état.

M. Daniel Raoul. C’est dommage !

M. David Assouline. Pourtant, nous l’espérions !

M. Jean-Claude Carle. Je vais m’en expliquer en reprenant les quatre axes que je viens d’évoquer, qui constituent les principaux piliers de la refondation de l’école que vous proposez.

Afin d’éclairer mon propos, je souhaite tout d’abord rappeler le contexte dans lequel vous nous présentez ce projet de loi.

Premièrement, vous êtes ministre de l’éducation nationale en une période où la prise de conscience de l’iniquité dramatique de notre système éducatif et de sa trop faible efficacité émerge. De ce point de vue, vous êtes ministre au bon moment, si tant est qu’il y ait un bon moment, rue de Grenelle, pour engager une réforme profonde du système éducatif. (M. le ministre sourit.)

Deuxièmement, vous bénéficiez d’un climat politique favorable puisque, comme l’a souligné mon collègue Benoît Apparu à l’Assemblée nationale, votre majorité accuse la droite d’avoir bradé le système éducatif. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est tout de même la vérité !

M. Jean-Claude Carle. Troisièmement, vous êtes issu du milieu enseignant, dont vous étiez et vous demeurez, je l’espère, apprécié et respecté. Pour ma part, j’ai du respect pour votre fonction, votre personne et votre engagement. (Mme Dominique Gillot applaudit.)

M. Alain Néri. Très bien !

M. Jean-Claude Carle. Quatrièmement – c’est certainement le point le plus important –, l’éducation est la priorité du quinquennat de François Hollande. De ce fait, vous bénéficiez d’une importante marge de manœuvre, y compris budgétaire, pour réformer l’école.

M. Alain Néri. Le changement, c’est maintenant !

M. Jean-Claude Carle. Tous les voyants sont donc au vert pour réformer profondément et efficacement l’école. Cependant, vos choix m’interpellent.

Commençons par la réforme des rythmes scolaires. Ce n’est pas parce que le sujet fait consensus qu’il est efficace de le traiter maintenant. Dans un pays où 20 % des élèves sortent sans diplôme du système éducatif, la priorité budgétaire devait-elle être donnée à cette réforme ? Depuis des mois que nous parlons de celle-ci, l’accent est mis sur les activités périscolaires. Or, selon moi – je l’ai écrit –, la lutte contre l’illettrisme, le décrochage scolaire et les inégalités scolaires suppose la mise en œuvre de mesures politiques centrées sur la maîtrise des fondamentaux.

L’une des questions centrales de l’enseignement dispensé en primaire est celle du temps d’enseignement disponible.

Pour lutter efficacement contre les inégalités scolaires, il faut renforcer le temps dédié à l’apprentissage des fondamentaux, notamment pour les élèves les plus en difficulté. C’est pourquoi je m’inquiète de l’accent mis sur les activités périscolaires ou sur d’autres enseignements, comme l’éducation aux arts plastiques, l’introduction de l’apprentissage d’une langue étrangère ou de cours de morale laïque dès le cours préparatoire. En effet, quel bénéfice pourrait en retirer un jeune qui ne maîtrise pas les fondamentaux ? Ces enseignements limiteront nécessairement encore plus le temps alloué à l’apprentissage des fondamentaux. Cela ne va pas dans le bon sens, me semble-t-il.

Personnellement – mais ce point de vue est largement partagé –, j’aurais consacré la marge budgétaire dont vous bénéficiez non à la réforme des rythmes scolaires, mais à des actions plus efficaces à destination des élèves et des écoles les plus en difficulté. Mais surtout, monsieur le ministre, vous vous êtes trompé sur la méthode ; j’y reviendrai.

Pour ce qui concerne maintenant la réforme de la formation des enseignants, je suis favorable à la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, mais l’important, c’est le contenu des enseignements dispensés en leur sein. C’est de ce point que le Parlement devrait débattre. Or, à ce jour, nous n’avons aucune idée de la nature de ces enseignements. Les pédagogies enseignées répondront-elles aux attentes des enseignants sur le terrain ? Les enseignements prodigués donneront-ils des outils concrets à des enseignants dont la moitié de la classe est parfois en grande difficulté scolaire ? Ces enseignants pourront-ils être soutenus pédagogiquement lorsqu’ils éprouveront des difficultés à faire progresser leurs élèves ? Telles sont les questions que nous nous posons. Monsieur le ministre, force est de le constater, nous avons besoin d’éclaircissements sur ces points.

J’en viens à la priorité donnée au primaire, à propos de laquelle nous avons une divergence profonde. Pour moi, l’enseignement primaire, c’est l’école maternelle et l’école élémentaire. Agir au stade de l’école élémentaire, c’est déjà tard. Pour prévenir le décrochage scolaire, il faut renforcer la préparation à l’apprentissage des savoirs fondamentaux à l’école maternelle, notamment en grande section.

De nombreux pays nous envient notre école maternelle, dites-vous.

M. Alain Néri. C’est vrai !

M. Jean-Claude Carle. On nous l’envie certainement en tant que structure d’accueil, mais pas comme structure de préparation à l’apprentissage des savoirs fondamentaux.

Mes chers collègues, l’écart de performance scolaire entre les élèves, déjà extrêmement important dès l’entrée au cours préparatoire, ne cesse de s’accroître par la suite. La maternelle est le terreau de la construction du décrochage et des inégalités scolaires.

M. Alain Néri. C’est faux !

M. Jean-Claude Carle. Je regrette donc qu’une véritable redéfinition de la mission assignée à l’école maternelle ne figure pas dans le présent projet de loi.

Cette mission est simple à définir : l’école maternelle doit résorber les inégalités de départ, afin de mettre tous les élèves sur un pied d’égalité au moment de l’entrée à l’école élémentaire. Cela suppose de renforcer le temps d’apprentissage des élèves pour qui l’école maternelle est la seule structure de développement cognitif. En clair, pour lutter efficacement contre les inégalités scolaires, il faut « primariser » la grande section de l’école maternelle.

M. Alain Néri. Ça commence avant !

M. Jean-Claude Carle. La préparation à l’apprentissage des savoirs fondamentaux est tellement importante pour lutter contre les inégalités scolaires que je propose l’intégration de la grande section de maternelle à l’école primaire et, en conséquence, l’instauration de l’obligation de scolarisation à l’âge de 5 ans.

Dois-je vous rappeler, mes chers collègues, que, lors de l’élaboration de la loi Jospin, en 1989, puis de la loi Fillon, en 2005, le souhait de la représentation nationale était de faire de la grande section de maternelle le premier lieu d’apprentissage des savoirs fondamentaux ?

Aujourd’hui, l’école maternelle prépare trop peu à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul.

M. Alain Néri. C’est faux !