M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet des agences « des cinquante pas géométriques » peut sembler a priori assez technique et circonscrit, puisque celles-ci existent uniquement en Martinique et en Guadeloupe.

Pourtant, cette proposition de loi, tout comme celle qui est relative à la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer et que nous venons tout juste d’adopter, porte sur des enjeux essentiels pour tous.

Dans le cas présent, il s’agit notamment d’enjeux sociaux, au travers de la délivrance d’un titre de propriété pour des personnes qui en sont dépourvues et ne peuvent, de ce fait, accéder à un certain nombre de prestations publiques ou privées, telles qu’un crédit bancaire. Mais le régime applicable à la zone des cinquante pas géométriques recouvre aussi des questions d’aménagement du territoire et de protection des zones littorales.

Cet espace, qui a vu le jour il y a plus de trois siècles sous le nom de « zone des cinquante pas du roi » – je trouve cette formule assez jolie ! –, devait initialement servir à la protection des îles, l’avitaillement et l’entretien des navires. Elle a été très tôt confrontée au phénomène d’« occupation sans titre », auquel différentes réformes ont tenté d’apporter des solutions, sans qu’aucune ne se révèle jusqu’à présent réellement efficace.

Dès le XIXe siècle, des autorisations d’installation fondées sur des motivations économiques ont été délivrées. L’adoption de textes parfois contradictoires a eu pour conséquence une grande incertitude quant au régime juridique applicable à la zone des cinquante pas géométriques. Cela a rendu délicate la gestion des héritages et a conduit à ce que des milliers de concitoyens ultramarins construisent leurs habitations sur des terrains qui ne leur appartenaient pas. Aujourd’hui, près de 15 % de la population de la Guadeloupe et de la Martinique vit dans cette zone.

La loi du 30 décembre 1996 a créé, dans chaque département antillais, une « agence pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques », chargée d’assurer un « développement harmonieux de la zone » et d’en « organiser l’aménagement ».

Initialement créées pour dix ans, ces agences ont vu leur durée de vie modifiée à plusieurs reprises. Théoriquement, elles devaient cesser d’exister au 1er janvier 2014, date à laquelle leurs missions auraient dû être reprises par des établissements publics fonciers d’État. Mais il apparaît aujourd’hui que ces derniers ne seront pas créés puisque les collectivités de Guadeloupe et de Martinique ont décidé de constituer des établissements publics fonciers locaux.

En attendant que la question de la poursuite des missions des agences des cinquante pas géométriques soit clarifiée, il est donc indispensable de prolonger la durée de vie de ces agences, comme le prévoit l’article 1er de la présente proposition de loi.

Depuis la loi dite « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010, les missions des agences des cinquante pas géométriques ont évolué. La mission d’aménagement est devenue secondaire, tandis que la régularisation des occupants sans titre et l’établissement de programmes d’équipement de la zone sont devenus les missions prioritaires des agences.

Comme le rapporteur l’a très bien souligné, les différents bilans de l’action de ces agences sont mitigés : le nombre de régularisations reste faible et les installations illicites dans la zone des cinquante pas géométriques se poursuivent. Actuellement, même si aucun chiffrage précis n’a été établi, il y aurait environ 17 000 constructions illicites en Guadeloupe et 15 000 en Martinique. Un certain nombre de ces constructions menacent la sauvegarde du littoral dans les départements concernés.

Le bilan du processus de régularisation pour les occupants sans titre établi au 31 décembre dernier montre que sur plus de 5 000 dossiers déposés dans chacun des deux départements antillais, seuls 689 en Guadeloupe et 1 166 en Martinique ont abouti à des acceptations d’offres de cession, soit un taux respectif de 13,4 % et de 21,9 %. Ce résultat s’explique notamment par la situation financière fragile d’une grande partie de la population habitant cette zone. Le montant de l’aide publique dont peuvent bénéficier les personnes dont le dossier de régularisation est accepté pour acquérir leur résidence principale se révèle apparemment très insuffisant. Il serait souhaitable de trouver des solutions complémentaires pour permettre à ces personnes d’obtenir enfin en toute légalité un titre de propriété pour leur logement.

À ces difficultés financières s’ajoutent une certaine complexité et une certaine longueur du processus administratif, puisque le mécanisme de régularisation ne comprend pas moins de vingt-deux étapes.

Par ailleurs, un nombre important de dossiers ne peuvent aboutir car ils concernent des logements situés en « zones rouges » inconstructibles au titre des plans de prévention des risques naturels.

Il semble donc indispensable de trouver une solution de relogement pour les personnes vivant dans la zone des cinquante pas géométriques et dont la situation n’est pas régularisable, soit parce que leurs habitations sont situées en « zones rouges », soit pour d’autres raisons.

Enfin, comme l’a souligné le rapporteur, il est indispensable de mettre un terme à l’installation de nouveaux occupants sans titre dans la zone des cinquante pas géométriques, faute de quoi le problème de l’occupation sans titre dans cette zone ne sera jamais résolu.

Outre la question de la régularisation des occupants sans titre dans la zone des cinquante pas géométriques, il est également primordial de renforcer les efforts d’aménagement pour permettre aux familles qui sont installées dans cette zone d’avoir accès aux équipements publics essentiels, tels que l’assainissement.

Selon les estimations du ministère des outre-mer communiquées dans le rapport de notre collègue Serge Larcher, « les besoins financiers estimés étant de l’ordre de 280-300 millions d’euros sur le rythme actuel, il faudrait entre 10 et 15 ans pour mener à bien les travaux à leur terme ». Une telle attente pour nos concitoyens vivant dans ces zones n’est pas acceptable ; il faut donc trouver d’urgence des solutions pour leur permettre de vivre avec un titre de propriété et dans des conditions décentes.

Pour conclure, si la présente proposition de loi est nécessaire et répond à une urgence, elle n’apporte qu’une solution temporaire à la question de l’occupation sans titre. Elle vise à prolonger la durée de vie des agences ainsi que la date limite de dépôt des dossiers de régularisation de deux ans. En effet, environ 3 000 constructions seraient encore régularisables dans chacun des deux départements des Antilles. Il est donc utile de prolonger ce délai.

Toutefois, ces deux années supplémentaires ne suffiront ni pour achever la régularisation, ni pour finaliser l’aménagement de ces zones. Comme l’a souligné le rapporteur, il faudra apporter de nouvelles réponses à la difficulté que constitue l’absence massive de titres de propriété, laquelle dépasse largement la zone des cinquante pas géométriques et concerne non seulement les Antilles, mais aussi d’autres territoires ultramarins, comme le précise l’intitulé de la proposition de loi. Le Gouvernement devrait par conséquent profiter des deux prochaines années pour mener une réflexion globale sur le foncier en outre-mer.

À ce titre, je me réjouis que la commission ait ajouté à la proposition de loi initiale l’article 3, qui traite de la reconstitution des titres de propriété dans les outre-mer et qui offrira à chaque collectivité ultramarine une certaine souplesse pour utiliser un organisme foncier existant ou créer une nouvelle structure – par exemple un groupement d’intérêt public – chargée de mener cette mission de « titrement ».

Bien que n’apportant qu’une réponse partielle et transitoire aux problématiques de la zone des cinquante pas géométriques et de l’absence massive de titres de propriété en outre-mer, cette proposition de loi n’en est pas moins une étape importante et nécessaire, que l’ensemble des membres du RDSE soutiendront par leur vote unanime. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur plusieurs travées du groupe socialiste et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà trois jours, je n’avais jamais entendu parler de l’existence de la zone des cinquante pas géométriques ! Je commencerai donc mon intervention par un petit cours d’histoire.

La zone des cinquante pas géométriques, anciennement appelée les « cinquante pas du Roi », a été créée dans les Antilles sous l’Ancien Régime. Selon l’arrêt du Conseil supérieur du 3 mars 1670, « les cinquante pas du Roi doivent commencer leur hauteur du lieu où les herbes et arbrisseaux commencent à croître, et à continuer à mesurer dudit lieu, jusqu’à la longueur desdits cinquante pas. »

Si j’ai bien compris, la largeur de cette zone serait de l’ordre de 82,2 mètres.

M. Victorin Lurel, ministre. Elle s’établit à 81,2 mètres !

M. Joël Labbé. Je ne me battrai pas avec vous sur ce point, monsieur le ministre. (Sourires.)

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Soit 1,624 multiplié par 50 !

M. Joël Labbé. Je vous remercie de cette précision, monsieur le président de la commission.

Depuis leur origine, ces cinquante pas géométriques sont « inaliénables et imprescriptibles sans le consentement et le concours de la Nation ».

De nombreux particuliers se sont progressivement approprié des parcelles sur cette zone. La loi du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d’outre-mer a pris le parti d’ouvrir les droits de cession et de régularisation des occupants fonciers sans titre dans les espaces urbanisés, les espaces naturels étant confiés au Conservatoire du littoral.

Un amendement déposé par le Gouvernement lors de l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement visait à accélérer les processus de régularisation.

Nous en sommes bien conscients, depuis plus d’un siècle, la possession de la terre sur cette zone est devenue un enjeu symbolique fort pour la population locale, notamment depuis l’abolition de l’esclavage.

Comme cela est mentionné dans le rapport de Serge Larcher, 15 % de la population de Guadeloupe et de Martinique vit dans cette zone. Nous comprenons donc l’intérêt de régulariser les situations qui peuvent l’être et, par conséquent, la nécessité de prolonger l’existence des agences d’aménagement, couramment appelées « agences des cinquante pas géométriques ».

En effet, à compter du 1er janvier 2014, la mission de régularisation foncière qu’elles exercent devait être attribuée à des établissements publics fonciers d’État. Or la création de ces derniers n’est plus d’actualité, notamment à la suite de la décision des collectivités territoriales de créer leurs établissements publics fonciers.

De fait, si ces agences disparaissent, à cette date, aucun organisme ne sera en mesure de reprendre leurs missions de régularisation foncière et d’aménagement. La présente proposition de loi répond donc à une urgence. Elle est bienvenue.

Néanmoins, la prolongation de la durée de vie de ces agences ne résoudra pas à elle seule les problèmes liés à l’aménagement des espaces concernés.

Il convient de rappeler que les cessions ne doivent pas être effectuées en privatisant le littoral. Il est indispensable que les pouvoirs publics assurent le respect du libre accès au littoral et l’arrêt de l’accaparement des espaces naturels.

On le sait, malgré tout, le phénomène d’occupation sans titre sur la zone des cinquante pas géométriques continue de se développer. Et le bilan qui peut être dressé des différentes lois est décevant. Le Gouvernement établissait déjà le même constat à l’occasion de l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement. Près de quinze ans après la loi de 1996, le nombre des cessions-régularisations reste très faible, les zones aménagées et équipées sont peu nombreuses, et les constructions illicites sur les espaces littoraux ont continué à se développer, compromettant ainsi la sauvegarde du littoral pour les générations futures.

Ce bilan s’explique notamment par le fait que, depuis plus d’un siècle, tous les dispositifs mis en place pour tenter de régulariser la situation foncière sur ces espaces ont entretenu le sentiment que, de régularisation en régularisation, la zone des cinquante pas géométriques était un territoire ouvert, sur lequel il était possible de s’installer.

Le flux de nouveaux occupants sans titre doit cesser. Cela ne pourra être le cas qu’avec un soutien actif et fort des maires et des collectivités locales.

Plusieurs défis sont à relever : protéger le littoral en luttant contre les nouvelles installations illicites ; permettre un accès au littoral à tous, comme partout ailleurs ; lutter contre l’urbanisation exagérée de ces espaces et définir de justes perspectives pour l’utilisation de ceux-ci ; régulariser la situation foncière d’une population majoritairement âgée et pauvre, qui n’a bien souvent pas les moyens d’acquitter le prix demandé malgré l’aide financière exceptionnelle de l’État et qui, pour partie, est illettrée – ce paramètre doit effectivement être pris en compte ; assurer à ces populations les équipements publics essentiels, notamment pour ce qui concerne l’eau et l’assainissement ; proposer des relogements aux occupants sans titre non régularisables, car vivant en « zones rouges », c’est-à-dire en zones inconstructibles en vertu des plans de prévention des risques naturels.

C’est pourquoi, si la présente proposition de loi constitue une avancée nécessaire, que nous voterons, la réflexion doit se poursuivre, afin que soit organisé sur ces espaces un aménagement équilibré, en concertation avec les habitants et les collectivités locales. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et au banc des commissions. – MM. Yvon Collin et Jean-Claude Requier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Magras.

M. Michel Magras. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la situation de la zone des cinquante pas géométriques en outre-mer est étroitement liée à l’histoire et à l’évolution de la conception du droit de la propriété.

À cet égard, l’occupation sans titre de cette zone est un phénomène ancien, qui a engendré le développement d’un habitat spontané, renforcé plus tard par la pénurie de logements sociaux.

Mais cette situation correspond aussi à la réalité physique de l’outre-mer, caractérisée par la rareté du foncier du fait de l’insularité, accentuée sous le double effet de la pression démographique et du développement de l’urbanisation.

En 1986, après plusieurs modifications de régime juridique pour tenter d’apporter une solution durable à l’occupation sans titre, la loi Littoral a réincorporé la zone des cinquante pas géométriques dans le domaine public de l’État.

Les occupations sans titre, la résorption de l’habitat spontané sont ainsi au cœur de la mission des agences des cinquante pas géométriques, objet de la présente proposition de loi, nées pour harmoniser leur régularisation.

À cette mission principale se mêlent d’autres enjeux, tels que l’aménagement du territoire, la préservation du littoral et du patrimoine écologique, ou encore le développement économique.

Créées en 1996, ces agences sont en effet devenues l’outil au service de la recherche du nécessaire équilibre à trouver entre ces multiples problématiques et les moyens d’y répondre. Il s’agit de l’équilibre entre préservation du littoral et réponse sociale à la situation des occupants, entre préservation de la ressource et développement économique.

Le problème de la zone des cinquante pas géométriques renvoie donc à une question multiforme, qui dépasse la seule propriété et qui a fait l’objet d’un certain nombre de rapports, parmi lesquels celui qu’ont remis en 2004 Catherine Bersani et Gérard Bougrier.

Au sein de ce document, dans le volet relatif à l’occupation, les auteurs évaluaient entre 15 000 et 18 000 le nombre de familles concernées par l’occupation sans titre et soulignaient, par ailleurs, l’imbrication des enjeux autour de la zone des cinquante par géométriques.

Toutefois, parler des agences des cinquante pas géométriques, c’est en premier lieu aborder indirectement le sujet du logement, par le biais de la régularité de l’occupation. Dans le contexte que l’on connaît en outre-mer, ce sujet mérite toujours la plus grande attention.

L’intervention des agences a mis fin à de nombreuses situations d’occupation irrégulières au regard du droit et à la précarité qui en découle. Elle a en outre contribué à la sécurité des personnes, particulièrement exposées aux dangers liés aux phénomènes climatiques en bordure de mer et résidant dans un habitat souvent insalubre.

Quant aux programmes d’équipement, ils ont participé à la dynamisation économique des littoraux.

Enfin, en matière de préservation, il convient de relever le travail mené de concert avec le Conservatoire du littoral qui gère, respectivement en Guadeloupe et en Martinique, plus de 1 200 hectares et plus de 71 hectares situés dans la zone des cinquante pas géométriques.

Autant dire que la mission des agences est à la confluence du social, de l’économique et de l’écologique. Cela fait de ces structures l’acteur charnière du mouvement de régularisation et de préservation de cette zone.

En dépit du travail accompli, le maintien du nombre de dossiers de demande de cession déposés, voire son augmentation, montre que les différentes campagnes de sensibilisation de la population ont été fructueuses.

Si la conduite de la politique de régularisation a nécessité des ajustements au fil du temps, c’est sans doute en raison de la subtilité et d’une forme de complexité qui la caractérise, justifiant l’ajustement symétrique de son instrument fondamental. Tel est donc l’objet de la présente proposition de loi.

Ainsi au cours des dix dernières années, la programmation de la disparition des agences des cinquante pas géométriques a été revue pas moins de trois fois, comme vous le rappeliez, monsieur le rapporteur.

Elle l’a été tout d’abord en 2003, au travers de la loi de programme pour l’outre-mer, pour tirer les conséquences du retard pris dans la mise en place des agences. Puis, en 2009, la loi pour le développement économique des outre-mer leur a attribué une durée de vie potentielle jusqu’en 2027, avant que la loi Grenelle 2 ne revienne sur cette disposition et ramène l’échéance à 2014.

Bien qu’ayant raccourci leur espérance de vie, ce texte a fort opportunément élargi les compétences des agences pour la gestion du foncier, favorisant une accélération de la régularisation et accroissant l’efficacité de leur action.

C’est pourquoi il nous semble incontestable que les agences ont vocation à demeurer l’interlocuteur privilégié des différents acteurs de la régularisation – État, collectivités et occupants – dès lors que les établissements publics fonciers d’État prévus par la loi Grenelle 2 n’ont pas encore vu le jour.

Laisser disparaître les agences en l’absence d’établissements de relais laisserait un vide évidemment préjudiciable. Celui-ci serait d’ailleurs préjudiciable à double titre, en mettant un frein au processus en cours avec, de plus, le risque de voir se développer d’autres zones d’habitat spontané dans le même temps.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre opinion sur le rôle joué par les agences des cinquante pas géométriques étant particulièrement positive, tant leur mission nous semble globale, nous ne pouvons qu’approuver la démarche de Serge Larcher consistant à proroger leur existence au-delà du 1er janvier 2014.

En outre, comme je le rappelais, par leurs campagnes publiques, les agences des cinquante pas géométriques ont joué efficacement leur rôle dans la régularisation de l’occupation, par l’incitation des occupants à l’acquisition de titres de propriété.

Dans cette optique, il nous semble aussi que l’article 2 tend à introduire un dispositif pertinent en prévoyant, d’un côté, une date butoir à destination des publics concernés et, de l’autre, une période de gestion du stock de demandes du point de vue des agences. Nous souscrivons également à cette disposition.

Mais cette problématique du titrement en outre-mer dépasse largement la seule zone des cinquante pas géométriques. La loi pour le développement économique des outre-mer l’avait prise en compte et avait prévu la mise en place d’un GIP afin de centraliser la reconstitution des titres en outre-mer et à Saint-Martin.

L’article 3 de la présente proposition de loi a pour objet de décentraliser le procédé général de reconstitution des titres de propriété tout en laissant aux collectivités le choix de l’instrument. Celles-ci pourront soit s’appuyer sur une structure existante disposant de l’expérience, voire ayant anticipé le traitement de cette question, soit créer un GIP ad hoc.

Chaque collectivité pourra donc trouver la réponse la mieux adaptée à son contexte – je pense en particulier à Saint-Martin ou à Mayotte – et, en cela, cet article est pragmatique.

J’en profite d’ailleurs pour souligner l’extension du processus de titrement à Mayotte, qui nous semble en cohérence non seulement avec la récente départementalisation, mais aussi avec la situation estimée par la mission de préfiguration du GIP prévu par la LODEOM, dans ce département, en matière de titrement.

Enfin, l’adoption de la proposition de loi de notre collègue Serge Larcher à l’unanimité en commission des affaires économiques est le signe du caractère consensuel de ce texte, dont nous partageons la philosophie.

Comme vous l’indiquez, monsieur le rapporteur et cher collègue, il s’agit avant tout d’une mesure d’urgence destinée à ne pas fragiliser le mouvement de régularisation en cours. Le groupe UMP y souscrit et votera donc ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Joël Labbé et Thani Mohamed Soilihi ainsi que M. le rapporteur applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste.

M. Maurice Antiste. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la zone dite des « cinquante pas géométriques » qui nous préoccupe encore aujourd’hui a une histoire longue et très ancienne. Sa dénomination première en est bien la meilleure preuve : les « cinquante pas du Roi ».

Inaliénable et imprescriptible depuis l’origine, cette zone littorale sera occupée çà et là, et dès le XVIIIe siècle. Cette occupation sans titre va voir son régime évoluer à travers de nombreux textes de la fin du XIXe siècle à 1996, année de la création et de la mise en place des agences des cinquante pas géométriques, dont la durée de vie avait été fixée à dix ans par la loi de l’époque.

Ces agences ont pour mission de mettre en valeur les espaces urbanisés de cette zone. Celle-ci représente 3 543 hectares en Martinique, répartis en deux zones : une zone naturelle de plus de 2 500 hectares à protéger et une zone urbaine de près de 1 000 hectares sur laquelle vivent 15 000 foyers occupants sans titre, soit une densité d’environ 4 000 habitants au kilomètre carré. Ainsi, 15 % de la population se concentre sur 1 % du territoire ! En Guadeloupe, la zone des cinquante pas géométriques totalise 4 450 hectares.

Conscient de l’excellent travail entrepris par ces agences dans chacun des départements antillais, le législateur a, par trois fois déjà, jugé bon de prolonger leur durée de vie, leur expiration étant finalement fixée au 1er janvier 2014.

Si le travail effectué est de très grande qualité, il faut reconnaître que les difficultés de tous ordres n’ont pas manqué. Je suis très à l’aise pour en parler, d’abord pour être maire d’une ville côtière comptant 36 kilomètres de côtes, avec deux quartiers littoraux en fin d’aménagement, ensuite pour avoir été administrateur au sein du conseil d’administration de l’agence de la Martinique. Mais il reste tellement à faire !

Toutes les prévisions législatives, quoique louables dans leurs objectifs, ne sont pas prêtes à être appliquées et cela pose évidemment un réel problème : on risque de voir l’oiseau Agence abattu en plein vol, et il ne le faut pas ! C’est bien là l’objet de cette proposition de loi, que nous sommes nombreux à avoir signée.

Effectivement, beaucoup reste à faire, d’autant que les zones concernées ont continué à se modifier et dans les surfaces occupées et dans le nombre d’occupants, compliquant la tâche des agences, sans compter que celles-ci ont à relever un véritable challenge urbanistique : valoriser avec un maximum de cohérence des espaces occupés sans aucune logique d’aménagement.

Le chemin parcouru est bon, voire excellent, et il s’agit d’aller plus loin sans jeter les outils qui ont été utilisés jusqu’à présent. Prolongeons donc la durée de ces agences au-delà du 1er janvier 2014, soit jusqu’au 1er janvier 2016. De plus, repoussons la date limite de dépôt des demandes de régularisation des occupants sans titre.

Je suis conscient que ces seules mesures ne suffisent pas, comme le précise l’excellent rapport de notre collègue Serge Larcher,…

M. Serge Larcher, rapporteur. Merci !

M. Maurice Antiste. … mais je sais que les pouvoirs publics se donnent les moyens de fixer définitivement l’occupation, condition indispensable à la réussite et à l’achèvement de la mission.

Mon devoir serait incomplet si je n’attirais pas votre attention, monsieur le ministre, sur mon inquiétude quant à l’après-2016 car si ce n’est pas demain, c’est bien après-demain : les établissements publics fonciers locaux seront-ils déjà opérationnels lors du grand rendez-vous ?

Je veux aussi attirer votre attention sur la nécessité de rendre plus équitable l’assujettissement à la taxe spéciale d’équipement, qui alimente le budget des agences : elle ne concerne que les contribuables des villes littorales.

Le montant attendu et voté par le conseil d’administration de l’agence, après avis des conseils municipaux des communes concernées, pourrait être mieux réparti si la taxe était supportée par l’ensemble des contribuables du département. Après tout, sur une petite île, la mer n’est jamais bien loin et tous en profitent largement. Ce sont d’ailleurs les habitants les plus éloignés de la côte qui ont souvent cherché à occuper ces espaces.

N’oublions pas non plus le sort qu’il faudra réserver au personnel des agences quand celles-ci n’existeront plus.

Aussi donnons-nous les moyens de poursuivre toute la réflexion de manière à assurer nos objectifs, hors toute précipitation. Pour ma part, je suis prêt à apporter ma pierre à l’édifice. (MM. Jacques Chiron, Jacques-Bernard Magner et Yvon Collin applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano.

M. Jacques Cornano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, six minutes me suffisent pour vous confirmer que les agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des « cinquante pas géométriques » de Guadeloupe et de Martinique apportent aux services de l’État et des collectivités une aide incontournable au règlement de situations d’occupation du domaine public maritime.

Si leur utilité et leur efficacité sont indéniables, le travail à effectuer reste très important sur ces zones exposées à une occupation humaine en expansion continue et dont l’histoire est fortement imprimée dans notre mémoire collective.

Ainsi, je félicite notre rapporteur d’avoir été à l’initiative de cette proposition qui vise à prolonger l’existence des agences afin de permettre, dans l’attente de la mise en place des établissements publics fonciers, la poursuite des missions de régularisation foncière et d’aménagement.

La gestion de la régularisation de demandes est loin d’être achevée et la suppression des agences aurait eu des effets tout à fait préjudiciables pour les demandeurs vivant dans les zones du domaine public maritime et dont les situations financières et humaines sont souvent très difficiles.

En Guadeloupe et en Martinique, ce sont environ 3 000 constructions dont le dossier doit encore faire l’objet d’un traitement et l’expérience montre que le rythme de dépôt des demandes de régularisation par les occupants sans titre de propriété peut atteindre jusqu’à 1 000 demandes par an.

À ce gisement de matériel de bâtis, il convient d’ajouter un chantier inattendu résultant de la nécessité d’assurer un accompagnement de nature sociale personnalisé aux demandeurs de bonne foi dont les dossiers ont fait l’objet d’un refus, notamment parce que leur habitat se situe sur une zone supportant de forts risques naturels et qu’ils doivent être relogés.

Par ailleurs, les agences assurent un service d’équipement en voirie et réseaux divers des quartiers informels et la mise à disposition des communes de parcelles équipées pour la réalisation de logements sociaux est loin d’être achevée, comme le souligne le rapport de la commission des affaires économiques. Pourtant, cette mission essentielle ne saurait être prise en charge par nulle autre structure en raison de sa faible rentabilité financière.

Par conséquent, la création des établissements publics fonciers devra permettre de mettre en place des stratégies foncières afin de mobiliser du foncier et de favoriser le développement durable, mais elle devra également bien concilier et conforter le caractère social du rôle de ces structures à l’égard des occupants, ainsi que permettre l’aménagement des zones en protégeant les espaces naturels.

L’identification et la circonscription des priorités des établissements publics seront donc essentielles à la réussite des missions qui seront assignées à ceux-ci.

Nombre de questions demeurent en suspens quant à ces futurs établissements publics fonciers, qui seront a priori locaux. Nous espérons que des objectifs opérationnels seront strictement fixés et que les missions s’inscriront dans un calendrier à tenir avec rigueur.

Monsieur le ministre, pourriez-vous m’indiquer les raisons de l’exclusion d’établissements publics fonciers de l’État dans les départements de Guadeloupe et de Martinique, alors même que l’article L. 321–12 du code de l’urbanisme prévoit une telle possibilité et que c’est le cas en Guyane ? Le rapport de notre collègue Serge Larcher indique seulement que « deux établissements publics fonciers ne pouvant cohabiter en Martinique et en Guadeloupe, le projet de créer des EPF d’État a été écarté ».

Par ailleurs, il nous paraît indispensable de souligner l’importance de la protection de l’environnement dans ces zones en front de mer et la nécessité de maintenir le rôle fondamental de l’ONF dans les processus décisionnels.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’apporte certes aucune mesure nouvelle, mais comble un éventuel vide juridique, dont les conséquences auraient été véritablement catastrophiques pour nombre de nos concitoyens. Ainsi, je voterai ce texte avec l’espoir de voir fonctionner les nouveaux établissements publics fonciers guadeloupéen et martiniquais le plus rapidement possible. La Guadeloupe et la Martinique méritent une réflexion ambitieuse sur l’avenir de leur littoral. (MM. Maurice Antiste, Jacques Chiron et Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.