M. Michel Vergoz, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, les consommateurs ultramarins sont frappés par une double inégalité quant à la qualité des produits alimentaires auxquels ils ont accès. Ces inégalités sont inacceptables, d’autant qu’elles sont susceptibles d’entraîner des effets néfastes sur la santé des personnes.

La première de ces inégalités concerne la teneur en sucres de certains produits alimentaires. En Martinique, des yaourts aux fruits produits localement contiennent ainsi de 27 % à 50 % de plus de sucres ajoutés que les spécialités comparables disponibles dans l’Hexagone. De fait, la recette de certains produits est adaptée lorsqu’ils sont distribués sur le marché ultramarin, en raison d’une prétendue préférence pour le sucre des consommateurs des outre-mer, qualifiée par les industriels de « goût local ».

Or plusieurs indices tendent à démontrer qu’il est nécessaire de limiter la consommation de sucres pour protéger la santé des personnes les plus fragiles.

Des études ont en effet mis en évidence le rôle spécifique de la consommation de boissons sucrées dans l’apparition du surpoids et de l’obésité chez l’enfant.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, le surpoids et l’obésité constituent d’importants facteurs de risque pour le développement de certaines pathologies non transmissibles et chroniques telles que le diabète, les troubles musculo-squelettiques, certains cancers et surtout les maladies cardiovasculaires, première cause de décès dans le monde.

Au total, selon un rapport de 2004 de l’AFSSA, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui n’était pas encore l’ANSES, il est certain qu’un régime alimentaire présentant un index ou une charge glycémique élevés a « des effets délétères sur la santé, au moins dans certaines catégories de la population » comme les sujets en surpoids et les personnes diabétiques.

Plusieurs organismes ont d’ailleurs émis des recommandations concordantes afin de diminuer la quantité de sucres consommés chaque jour, notamment de sucres ajoutés. Dans sa Stratégie mondiale de 2004 pour l’alimentation, l’exercice physique et la santé, l’OMS recommande ainsi aux pouvoirs publics d’adopter des mesures pour « réduire […] la teneur en sucre des boissons et en-cas ».

Nous sommes conscients que l’obésité est un problème de santé multifactoriel qui ne pourra être endigué par la seule baisse de la teneur en sucres de l’offre alimentaire. Cependant, au regard de ces éléments, il semble nécessaire d’intervenir.

La question est d’autant plus importante que la fréquence du surpoids, de l’obésité et du diabète est particulièrement forte parmi les populations ultramarines : la prévalence de l’obésité atteindrait 22 % en Martinique et 23 % en Guadeloupe, alors qu’elle n’est que de 14,5 % dans l’Hexagone.

L’obésité touche particulièrement les femmes et les enfants : 9 % des enfants seraient obèses en Guadeloupe et en Martinique contre 3,5 % dans l’Hexagone, soit près du triple.

Par ailleurs, les outre-mer figurent en France parmi les territoires les plus touchés par l’épidémie de diabète.

Quelques mesures, timides, ont été prises ces dernières années pour remédier à la progression constante de ces problèmes liés à l’excès de poids. Elles paraissent cependant très insuffisantes, ce qui justifie une intervention législative visant à mettre en œuvre des mesures plus contraignantes.

Le programme national nutrition santé, ou PNNS, créé en 2001, et le plan obésité ont fait l’objet d’une déclinaison spécifique en direction des populations d’outre-mer. Si les mesures préconisées se sont traduites par plusieurs initiatives intéressantes au niveau local, les effets de ces instruments tardent à se faire sentir.

Des actions ont également été entreprises en direction des industriels de l’agroalimentaire dans le cadre du PNNS 2 et du programme national pour l’alimentation : il leur a été proposé, sur la base du volontariat, de signer des chartes visant à améliorer la qualité nutritionnelle de leur production. Cependant, à l’heure actuelle, une seule charte concernant spécifiquement la question des taux de sucres dans les produits distribués outre-mer a été signée. La méthode de la concertation semble donc avoir atteint ses limites.

La seconde inégalité qui frappe les consommateurs ultramarins concerne les dates limites de consommation : quelques industriels apposent sur les produits très périssables qu’ils fabriquent sur le continent tels que, par exemple, les yaourts, un étiquetage indiquant une date limite de consommation différente selon qu’ils sont destinés au marché hexagonal ou au marché ultramarin.

Ainsi, tandis que l’étiquetage de la plupart des yaourts distribués en France hexagonale comporte une date limite de consommation calculée en fonction d’un délai de trente jours à compter de leur date de fabrication, ce délai peut atteindre cinquante-cinq jours – soit pratiquement le double – pour les mêmes produits lorsqu’ils sont commercialisés en outre-mer.

Si cette pratique ne concerne heureusement qu’un nombre restreint de fabricants, elle pose une question de principe qui ne peut être négligée, d’autant qu’elle pourrait être à l’origine de risques sanitaires inacceptables.

Les obligations posées par le droit communautaire sont justifiées par le fait que les produits microbiologiquement très périssables tels que les yaourts « sont susceptibles, après une courte période, de présenter un danger immédiat pour la santé humaine ». Raison pour laquelle la date limite de consommation de leurs produits doit être déterminée par les industriels eux-mêmes, sous leur responsabilité et à partir d’analyses de risque.

Or, dans le cas de la pratique de la double date limite de consommation, la fixation d’une date plus éloignée pour les produits destinés aux marchés ultramarins répond à une préoccupation uniquement commerciale : les denrées produites en France hexagonale doivent en effet être acheminées par bateau vers ces marchés, ce qui implique un délai de transport conséquent. La date limite de consommation de trente jours est donc souvent presque atteinte lorsque ces denrées arrivent à destination.

De telles modalités de transport impliquent pourtant un risque sanitaire plus important, en raison notamment des dangers de rupture de la chaîne du froid : en toute logique, la date limite de consommation des produits destinés au marché ultramarin devrait être rapprochée et non reculée !

La pratique de la double date limite de consommation, qui résulte d’une interprétation erronée des industriels sur la réglementation applicable, pourrait exposer les populations ultramarines à un risque sanitaire inacceptable.

On peut également relever que la présence sur le marché ultramarin de produits provenant de France hexagonale et disposant d’un délai de consommation plus long que le délai habituellement constaté crée une situation de concurrence déloyale à l’encontre des producteurs locaux respectant ce dernier délai.

Ce sont ces inégalités que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à corriger.

Le texte initial reprenait en partie les dispositions de la proposition de loi déposée par M. Victorin Lurel à l’Assemblée nationale, adoptée en commission des affaires sociales avant d’être rejetée en séance publique, à neuf voix près, en octobre 2011.

À l’origine, ce texte s’intéressait uniquement à la question de la teneur en sucres des produits alimentaires disponibles sur le marché ultramarin. Sont venus s’y ajouter, lors de l’examen à l’Assemblée nationale, le sujet des doubles dates limites de consommation et celui de la qualité nutritionnelle des repas distribués par les entreprises de restauration collective.

Au final, le texte qui nous est proposé porte sur la question plus globale de la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, ce dont je me félicite. Ses dispositions seront applicables dans les collectivités mentionnées à l’article 73 de la Constitution, c’est-à-dire en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à la Réunion et à Mayotte, ainsi qu’à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.

L’article 1er de ce texte vise à fixer une teneur maximale en sucres ajoutés pour les produits alimentaires distribués dans les outre-mer par référence à la teneur maximale constatée dans les produits comparables commercialisés dans l’Hexagone.

Deux catégories de produits sont concernées par ce plafond : d’une part, les denrées similaires et de même marque distribuées à la fois en outre-mer et en métropole et, d’autre part, les denrées alimentaires exclusivement distribuées dans les outre-mer et assimilables à celles de la même famille commercialisées dans l’Hexagone, dont la liste sera précisée par voie réglementaire.

Dans le cas où la teneur en sucres ajoutés des denrées équivalentes distribuées en métropole diminuerait, une période d’adaptation d’une durée maximale de six mois est prévue afin de permettre aux opérateurs d’écouler leurs stocks.

Le contrôle de ces dispositions est confié aux agents publics compétents, notamment à ceux de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF.

Monsieur le ministre, lors de la préparation de ce texte, mon attention a été attirée sur le fait que la DGCCRF, qui fournit un travail remarquable, fait face à la fois à un élargissement de ses compétences et à une réduction de ses moyens. Cet effet ciseau pourrait être susceptible d’entraver la pleine application de ce texte.

Afin de permettre aux industriels d’adapter leur production aux nouvelles contraintes, l’article 2 fixe un délai de transition de six mois à compter de la promulgation du texte, ce qui me semble raisonnable.

L’article 3 concerne les dates limites de consommation et dispose que, « lorsque la mention d’une date indiquant le délai dans lequel une denrée alimentaire doit être consommée est apposée sur l’emballage de cette denrée, ce délai ne peut être plus long […] que le délai prévu pour la même denrée de même marque distribuée en France hexagonale ».

Afin de lever toute ambiguïté de rédaction, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser que la formulation retenue concerne bien les « dates limites de consommation » figurant sur les emballages des denrées alimentaires microbiologiquement très périssables et non les fameuses « dates limites d’utilisation optimale », ou DLUO, utilisées pour les produits présentant une relative stabilité microbiologique ?

L’article 4, enfin, vise à rendre obligatoire la prise en compte des performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture dans les critères d’attribution des marchés publics de restauration collective.

L’article 53 du code des marchés publics prévoit déjà que les pouvoirs adjudicateurs peuvent prendre en compte ce critère pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse. Lui conférer un caractère obligatoire permettra de promouvoir une meilleure qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire en restauration collective en favorisant l’approvisionnement en produits frais et de saison et incitera aussi au développement des filières agricoles locales, en encourageant le développement des circuits courts.

Au final, mes chers collègues, cette proposition de loi constituera un pas important pour l’amélioration de la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire à destination de populations ultramarines particulièrement touchées par le surpoids et l’obésité. Elle permettra surtout d’assurer enfin l’égalité entre les consommateurs, et c’est pourquoi je vous demande, au nom de la commission des affaires sociales, d’approuver ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi doit être appréhendée, selon mon groupe, sous les deux angles de la santé publique et du pouvoir d’achat.

S’agissant de la santé publique, les chiffres qui nous ont été communiqués sont terribles : selon l’étude ObEpi-Roche, 32,3 % des adultes en métropole sont en surpoids, contre près de 40 % outre-mer ; 15 % d’entre eux sont considérés comme obèses dans l’Hexagone, contre 30 % outre-mer ; en métropole, moins de 5 % des enfants sont concernés, contre plus de 8 % outre-mer !

Ces chiffres ont été confirmés par d’autres études qui ont, elles aussi, souligné que le surpoids et l’obésité sont significativement plus élevés chez les femmes.

Par ailleurs, outre-mer, la prévalence de l’obésité et des autres pathologies associées – diabète, hypertension artérielle, maladies cardiovasculaires – est plus élevée qu’en métropole.

L’État a tenté de prendre quelques mesures en direction des populations d’outre-mer, notamment dans le plan obésité 2010-2013, ou encore dans le programme national nutrition santé 2011-2015, dont vous avez parlé, monsieur le rapporteur.

Une des mesures préconisées dans ce programme visait à « faire en sorte que, pour une gamme comparable de produits, la teneur moyenne en sucre soit identique dans les territoires des départements d’outre-mer et en métropole ». Cela mettait en évidence la responsabilité des industriels de l’agroalimentaire dans la progression de l’obésité.

Hélas ! rien n’indique que cette recommandation ait été prise en compte. Vous le rappeliez à l’instant, monsieur le ministre, rien n’a été fait depuis la discussion à l’Assemblée nationale de la proposition de loi dont vous étiez l’auteur.

Ce sont non seulement les producteurs ultramarins qui sont visés, mais aussi les fabricants de l’Hexagone qui, pour leurs productions destinées à l’outre-mer, augmentent les taux de sucre.

Ainsi, un même produit d’une même marque comporte plus de sucre s’il est destiné à la Réunion, à la Martinique, à la Guyane ou à la Guadeloupe, que s’il était vendu à Strasbourg, Toulouse, ou même à Grenoble, pour citer une ville du département dont je suis l’élue. Cette différence peut aller jusqu’à 50 %, au nom d’une supposée appétence des populations d’outre-mer pour le sucre. L’argument est complètement faux. Il est même méprisant pour ces populations qui, en réalité, n’ont pas vraiment le choix, puisque tous les produits de consommation sont plus sucrés sur ces territoires qu’en métropole.

Il n’est pas non plus possible de cautionner l’explication avancée dans l’introduction du programme national nutrition santé, selon lequel « la spécificité de la situation alimentaire en outre-mer est étroitement liée aux particularités culturelles et économiques mais aussi aux particularités géographiques et climatiques, donc aux productions agricoles ».

Ainsi, au prétexte que l’outre-mer produit du sucre, les populations d’outre-mer devraient en consommer plus !

On peut, en revanche, s’arrêter un instant sur ce que sont les « particularités économiques » de l’outre-mer. Un rapport de l’Agence française de développement, l’AFD, a mis l’accent sur l’indice de développement humain, ou IDH, dans tous les outre-mer. Cet indicateur prend en compte des données de 2010 relatives à l’éducation, aux revenus mais aussi à la santé.

En les comparant aux résultats enregistrés dans l’Hexagone, nous ne pouvons que constater que les retards sont flagrants : ils se montent à vingt ans, en moyenne. La Réunion, elle, accuse un retard de vingt-cinq ans. Pour la Guadeloupe, le retard se monte à douze ans, et pour la Polynésie, à vingt-huit ans !

Bien évidemment, cela se traduit aussi dans le PIB : en moyenne, pour l’année 2009, les PIB des départements d’outre-mer sont inférieurs de 75 % à la moyenne des PIB de l’Union européenne.

Le contexte socioéconomique est donc extrêmement difficile. La question du coût de la vie et du pouvoir d’achat est particulièrement importante. Récemment, comme l’avaient fait il y a quelques mois les habitants des Antilles et de la Réunion, les Calédoniens sont descendus dans la rue pour manifester contre la vie chère.

En outre-mer, une grande partie de la population vit avec un faible pouvoir d’achat, alors que le coût de la vie y est nettement supérieur à la moyenne nationale. Il y a là une inégalité inacceptable, qui en entraîne une autre, tout aussi inadmissible.

En effet, une analyse a montré que plus le niveau de revenus était élevé, moins la prévalence de la surcharge pondérale était importante. Par voie de conséquence, malheureusement, plus le pouvoir d’achat est faible, plus la prévalence de l’obésité est importante. Pour des raisons financières, en plus d’hésiter à se faire soigner, les familles les plus modestes ne peuvent acheter de produits alimentaires dits sains.

Il existe une troisième injustice, tout aussi inacceptable. Je veux parler de la question des dates limites de consommation. Comment peut-on justifier que certains produits périssables, comme les yaourts, aient une date de péremption plus longue en outre-mer qu’un produit identique, de même marque, vendu sur le territoire métropolitain ? Cet écart, mes chers collègues, peut parfois atteindre vingt-cinq jours !

Je dois le dire, mes chers collègues, Monsieur le ministre, c’est cette inégalité qui m’a le plus étonnée. Il n’y a aucune raison à une différence des dates de péremption. Vous citiez l’exemple du reblochon, monsieur le ministre, pour lequel je ne vois vraiment pas comment deux dates de péremption différentes peuvent être fixées !

Cette loi, si elle est adoptée, va donc permettre de supprimer non seulement quelques injustices, mais également des inégalités, ce qui est le plus important.

Néanmoins, il reste encore beaucoup de travail pour faire reculer le surpoids et l’obésité, et, ainsi, réduire les risques de maladies cardiovasculaires.

Il conviendrait, par exemple, de prendre les dispositions nécessaires pour que les préconisations du programme national nutrition santé soient enfin mises en œuvre. Celui-ci proposait, je le rappelle, d’« agir sur l’offre alimentaire en milieu scolaire », « de valoriser les ressources et la production agroalimentaire locales » ou d’« agir sur le dispositif d’aide alimentaire ».

C’est bien la question de l’approvisionnement des marchés qui se pose. L’article 4 de la présente proposition de loi vise à promouvoir les denrées issues des circuits courts de distribution, afin de favoriser l’approvisionnement des sites de restauration collective en produits frais et de saison.

L’intention est louable ; on ne peut qu’y adhérer. Mais – faut-il le rappeler ? – la loi Grenelle 1 ou la loi de modernisation agricole, entre autres, envisageaient déjà cette possibilité.

Or, comme souvent, les dispositions permettant de prendre en compte les spécificités de l’outre-mer n’ont jamais été prises. Ces spécificités ont trait à l’étroitesse des marchés locaux et à l’éloignement de ce que l’on appelle les « grands marchés », qui sont – histoire oblige – ceux de la France métropolitaine et de l’Europe.

Comme nous l’a souvent expliqué mon collègue et ami Paul Vergès, cette situation de dépendance économique est la traduction d’un développement qui s’est toujours fait dans le même sens : les anciennes colonies avec la « mère patrie », puis avec l’Europe.

Derrière cela se trouve donc la question des accords de partenariat économique. Bien évidemment, il s’agit, avant tout, de promouvoir la production locale. Celle-ci doit être non seulement préservée mais surtout renforcée pour promouvoir des prix supportables, dans l’intérêt des consommateurs.

On ne peut donc occulter la question de la diversification des sources d’approvisionnement. Cela doit se traduire par la prise en compte de la situation spécifique de la Réunion et des autres départements d’outre-mer, dans le cadre des accords de partenariat économique. C’est un chantier qu’il reste encore à mener à terme. Monsieur le ministre, le groupe CRC compte sur votre action ferme et déterminée pour faire valoir ces spécificités.

Pour l’heure, le groupe CRC votera la présente proposition de loi sur l’offre alimentaire en outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’objet principal de la présente proposition de loi est de s’attaquer à deux problèmes affectant la qualité de l’offre alimentaire ultramarine : la teneur en sucres ajoutés de certains produits et les dates limites de consommation, parfois différenciées pour les territoires ultramarins.

Plus précisément, le texte vise, d’une part, à fixer une teneur maximale en sucres ajoutés pour les produits alimentaires distribués dans les outre-mer et, d’autre part, à disposer que le délai limite de consommation ne peut être plus long pour les produits destinés à l’outre-mer que celui prévu pour la même denrée alimentaire distribuée dans l’Hexagone.

Bien sûr, nous partageons le constat fait dans le rapport.

Il est totalement anormal que la teneur en sucre des boissons sucrées et des yaourts puisse être supérieure en outre-mer que dans l’Hexagone. Les chiffres dont nous a fait part notre rapporteur sont édifiants : l’écart entre la teneur en glucides de boissons sucrées distribuées localement et dans l’Hexagone peut aller jusqu’à 47 %.

L’allégation par les industriels d’une prétendue préférence locale pour le sucre laisse sans voix. De deux choses l’une : soit, effectivement, cette préférence est culturelle, mais alors elle ne doit pas être entretenue, pour des raisons évidentes de santé publique, soit, au contraire, cette préférence est fictive, et elle se justifie encore moins. Il n’est pas non plus interdit de s’interroger sur la motivation réelle de cette explication.

Cela m’amène à la seconde question, celle des dates limites de consommation. Même constat et même réaction : qu’il puisse y avoir des dates limites de consommation selon que le produit est destiné au marché hexagonal ou au marché ultramarin est totalement injustifiable et totalement aberrant.

C’est, en tout cas, une illustration parfaite de l’anecdote que nous contait il y a peu Mme la garde des sceaux – certains ici s’en souviendront, sans doute –, qui, en arrivant en France, n’a pas retrouvé dans l’Hexagone le gruyère de son enfance. Et pour cause, ce dernier « picotait » !

Plaisanterie mise à part, encore une fois, les chiffres mentionnés par M. le rapporteur sont édifiants : il est tout bonnement invraisemblable que le délai de péremption affiché pour la consommation d’un produit soit de cinquante-cinq jours en outre-mer, quand il n’est que de trente jours en France.

Nous rejoignons votre raisonnement implacable, monsieur le rapporteur : compte tenu des conditions de transport desdits produits, s’il y avait un délai limite de consommation différencié, il devrait être avancé et non reculé ! Ou bien serait-ce que les produits en question contiennent davantage de conservateurs ? Soit dit en passant, il faudrait peut-être, d’ailleurs, reculer toutes les dates de péremption, y compris dans l’Hexagone.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, pour nous, la question du sucre et celle des dates de péremption sont liées. On le sait, le sucre conserve. Il est donc probable que l’une des raisons à l’intensification en sucre de certaines denrées microbiologiquement instables – les yaourts en sont l’exemple typique – soit de leur permettre de durer plus longtemps.

Cela, bien sûr, n’excuse rien et doit être combattu. C’est de la santé des habitants des territoires ultramarins qu’il est question.

Encore une fois, nous partageons le constat fait sur le surpoids, l’obésité et le diabète, tel qu’il a été rappelé par Mme David. Ces affections sont particulièrement fortes en outre-mer. Il n’est pas normal, et encore moins acceptable, que le taux de prévalence de l’obésité y soit de 23 %, contre 14,5 % dans l’Hexagone. Il est même près de trois fois plus important en Guadeloupe et en Martinique qu’en métropole. Il en va de même pour le diabète, dont le taux de prévalence à la Réunion est le double de celui de l’Hexagone.

Évidemment, ces pathologies ont des causes multiples, même si le lien avec la surconsommation de sucre est bien établi.

Si, donc, nous partageons le constat global fait par les auteurs de la proposition de loi, nous différons, en revanche, quant aux solutions à apporter au problème.

Tout d’abord, je voudrais, sans malice, faire observer qu’il y a comme un hiatus entre l’intitulé du texte, ambitieux, et son contenu véritable. Lorsqu’il ne s’agit que de légiférer sur le taux de sucre et sur la date de péremption de certains produits, on ne peut pas dire que l’on garantit de manière globale la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, sauf à considérer que l’outre-mer n’a vraiment aucun autre problème en la matière, ce qui, chacun le sait, est loin d’être le cas !

Ensuite, et plus fondamentalement, nous ne pensons pas que, en l’occurrence, le recours à la loi – à tout le moins, à une proposition de loi aussi circonstanciée – se justifie.

Encore une fois, de deux choses l’une : soit il n’est effectivement question que de traiter du taux de sucre et de la date de péremption de certains produits, et il ne revient donc pas à la loi de le faire, soit, au contraire, on entend traiter globalement les problèmes d’alimentation et de santé publique, et c’est alors d’un texte d’une autre envergure dont nous aurions aimé être saisis.

J’en reviens à la première branche de l’alternative : les seules questions du taux de sucre et de la date de péremption ne relèvent pas de la loi. Le rapporteur, lui-même, l’a dit : la question relève de divers plans et programmes, comme le programme national nutrition santé ou le plan obésité, qui ont fait l’objet de déclinaisons spécifiques pour l’outre-mer, ou encore le programme national pour l’alimentation.

Autrement dit, la proposition de loi qui nous est soumise couvre un champ qui est de nature strictement réglementaire.

En revanche, qu’il faille une grande loi de santé publique, qui revoit toutes les questions se posant en la matière, oui ! D’ailleurs, nous l’appelons fermement de nos vœux. La dernière date de 2004. Depuis, les choses ont évolué. Les sujets sont nombreux, ils vont de la fiscalité comportementale à l’éducation à la santé, en passant par la problématique des alicaments.

Cette loi nous a été annoncée à plusieurs reprises, mais nous ne la voyons pas venir. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

En attendant cette grande loi de santé publique, nous ne pouvons que regretter que, une fois de plus, les questions ultramarines ne soient pas traitées dans leur globalité. C’était déjà le sens de mon intervention sur la proposition de loi prorogeant le bonus exceptionnel outre-mer.

En même temps que nous appelons de nos vœux une grande loi de santé publique, nous réclamons aussi de véritables réformes, qui marqueraient un net progrès pour les collectivités ultramarines. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Jean-Paul Emorine applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la qualité de l’alimentation devrait être un droit imprescriptible pour chaque citoyenne et citoyen. La semaine dernière, la Haute Assemblée a adopté une proposition de résolution européenne déposée par nos collègues du groupe UDI-UC, et tendant à la création d’un droit européen pour le consommateur à la maîtrise et à la parfaite connaissance de son alimentation, qui touche aussi à cette problématique, ô combien essentielle.

De ce point de vue, l’injustice dont souffrent les populations ultramarines – du fait d’industriels peu scrupuleux, elles consomment des produits souvent beaucoup plus sucrés que ceux qui sont vendus en métropole, de surcroît avec une date de consommation qui est repoussée jusqu’à parfois vingt-cinq jours – est incompréhensible et intolérable !

La présente proposition de loi est donc un texte de « bon sens ». Il n’y a aucune raison pour qu’un même produit ait un taux de sucres ajoutés plus élevé, jusqu’à parfois plus de 50 %, quand il est destiné aux consommateurs ultramarins.

L’obésité et le surpoids, qui peuvent avoir les conséquences dramatiques que nous connaissons sur la santé, touchent très durement les populations ultramarines. En mettant fin à la pratique commerciale injustifiable consistant à sucrer davantage, car le sucre est moins cher, les produits vendus en outre-mer, la présente proposition de loi contribuera à la réduction d’un tel fléau.

Certes, la réduction du taux de sucre dans les yaourts ou les sodas ne résoudra pas à elle seule l’obésité et les risques pour la santé qui en découlent : diabète, hyper-tension, accidents cardio-vasculaires… Il faudra également renforcer la prévention et l’éducation alimentaire. Le ministre délégué chargé de l’agroalimentaire a annoncé qu’il avait engagé une concertation avec les industriels pour pouvoir améliorer la composition de certains ingrédients alimentaires et revoir leurs teneurs en sucre, sel et graisse. J’espère vivement qu’une telle démarche aboutira rapidement et contribuera à renforcer la prise en compte de la santé des consommateurs.

De plus, s’il me paraît utile de recourir au véhicule législatif pour encadrer la qualité de l’alimentation, il est également indispensable de nous assurer que les règles seront respectées et que les contrôles et sanctions seront adaptés. L’expérience a montré que nous ne pouvions pas nous reposer sur des chartes de « bonne conduite » de la part des industries agroalimentaires. Il y en a déjà eu plus d’une trentaine, et le moins qu’on puisse dire est que leur efficacité en matière de protection des consommateurs et de santé s’est révélée très limitée.

La présente proposition de loi prévoit que les manquements aux nouvelles obligations concernant les différences de taux de sucre dans les produits vendus en France métropolitaine et en outre-mer sont constatés par les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF. Mais encore faut-il, et la question se pose sur l’ensemble du territoire français, que cette dernière ait les moyens humains et financiers d’effectuer tous les contrôles qui sont de son ressort.

En effet, ses missions sont de plus en plus vastes, les types de fraudes sont de plus en plus variés et ils évoluent de plus en plus vite. Mais, pendant ce temps, les moyens de la DGCCRF sont en chute libre. Notre collègue Robert Tropeano a déjà dénoncé le phénomène dans une question d’actualité voilà quelques semaines. C’est un enjeu majeur. Nous ne pourrons pas garantir la qualité de notre alimentation si l’effectivité des contrôles et des sanctions contre les abus n’est pas assurée.

Le projet de loi relatif à la consommation que nous examinerons dans les prochains mois aborde les mêmes problématiques. Il renforce les sanctions contre les différents types de fraudes à l’encontre des droits des consommateurs et élargit les pouvoirs de la DGCCRF, mais la question des moyens de cette administration demeure en suspens... Or nous devons à nos concitoyens de donner à cette direction les moyens nécessaires pour lui permettre de protéger efficacement les consommateurs et leur santé.

Je referme cette parenthèse pour revenir à la proposition de loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer. Le texte, qui concernait seulement à l’origine l’interdiction de la différence de taux de sucre entre la composition des produits manufacturés et vendus dans les régions d’outre-mer et celle des mêmes produits vendus dans l’Hexagone, a été utilement précisé et complété à l’Assemblée nationale.

Les articles 1er et 2 concernent le sucre, et l’article 3 porte sur les dates limites de consommation. La pratique de certains industriels consistant à apposer une date limite de consommation différente pour des produits fabriqués en France hexagonale selon que ceux-ci sont destinés au marché hexagonal ou au marché ultramarin n’est pas plus acceptable que le fait d’ajouter davantage de sucres.

Cela montre combien la notion d’information et de protection du consommateur peut être manipulée. Ainsi, les consommateurs métropolitains jettent des produits dits « périmés » qui sont considérés comme encore consommables en outre-mer. Or, selon la directive européenne concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires, pour les denrées microbiologiquement très périssables, comme les yaourts, « au-delà de la date limite de consommation, une denrée alimentaire est dite dangereuse ».

Par conséquent, comment nous assurer qu’un tel allongement de la date limite de consommation par rapport au produit vendu en métropole ne présente aucun risque en matière de santé pour les consommateurs ultramarins ?

Il faudrait, me semble-t-il, mettre la question des dates de péremption des denrées alimentaires sur la table, si j’ose dire, au niveau européen. En effet, les fabricants sont libres de fixer ces dates, dans la mesure où ils respectent un certain nombre de garanties sanitaires. Mais force est de constater que les dates ne permettent pas d’assurer une bonne information du consommateur à l’heure actuelle.

D’une manière générale, la transparence de l’étiquetage et la traçabilité des denrées alimentaires doit être renforcée ; la législation européenne actuelle comporte trop de failles sur ces points. Je vous renvoie à la discussion que nous avons eue mercredi dernier lors de l’examen de la proposition de résolution de nos collègues du groupe UDI-UC dont j’ai parlé voilà quelques instants. J’espère que cette résolution portera rapidement ses fruits et que des avancées significatives seront prochainement actées au niveau communautaire.

La rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée nationale a également fait adopter un quatrième article, visant à promouvoir l’approvisionnement des sites de restauration collective – cantines scolaires, hôpitaux... – par des circuits courts de distribution. Il rend obligatoire, pour l’attribution de marchés publics de restauration collective, la prise en compte du critère de performance en matière de développement des approvisionnements directs en produits de l’agriculture.

C’est un apport majeur. En effet, les outre-mer ont souvent des productions locales de fruits et légumes importantes et diversifiées, mais dont une part très faible seulement est consommée dans les lieux de restauration collective. Ainsi, seuls 8 % des 90 000 tonnes de fruits et légumes produits chaque année à la Réunion sont consommés dans les écoles ou les hôpitaux de l’île. Ce dispositif est donc essentiel et mériterait probablement d’être étendu à la pêche et à l’aquaculture.

Le quatrième article de la proposition de loi contribuera donc à garantir une offre alimentaire de qualité dans les lieux de restauration collective, et en particulier à l’école, pour les enfants, tout en favorisant les producteurs locaux. Je rappelle cependant que seuls un tiers des établissements scolaires en Guyane disposent d’une cantine. Or la nécessité de disposer de telles infrastructures est une priorité avant de pouvoir garantir l’accueil et l’alimentation saine des enfants.

Quoi qu’il en soit, l’article 4 de la proposition de loi, en favorisant les circuits courts, permet à la fois de protéger la santé de nos concitoyens, de dynamiser le tissu économique local et de réduire l’impact environnemental lié au transport de marchandises. C’est donc une mesure de bon sens, aussi bien pour les territoires ultramarins que pour tous les territoires de l’Hexagone. J’espère vivement que d’autres textes s’en inspireront.

Pour conclure, la proposition de loi, qui répond à des exigences de justice, d’équité et de santé publique, mérite un soutien unanime de tous les parlementaires, qu’ils soient d’outre-mer ou de métropole. Tous nos concitoyens en saisissent l’importance et les enjeux. C’est pourquoi l’ensemble des membres du RDSE voteront pour ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.