Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il nous faut admettre que, à travers le temps, l’institution du mariage témoigne de la démocratisation des liens privés et des rapports sociaux. Cette institution a suivi l’évolution sociale et culturelle de la société. Parfois, elle l’a un peu forcée, pour aller vers plus de liberté et d’égalité, mais nous n’avons jamais eu à nous en plaindre, hormis les tenants d’un ordre immuable et inégalitaire.

Ainsi, en passant du sacrement matrimonial, qui d’ailleurs n’a pas toujours existé – il n’a été instauré qu’en 1215 – au mariage civil, l’institution a admis le pluralisme religieux d’abord, le pluralisme civique ensuite.

En ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe, nous franchirons un pas vers la reconnaissance du pluralisme familial, et cela sans dégâts. Qu’y a-t-il en effet de plus précieux pour les familles hétéroparentales et les couples homosexuels, dans l’institution du mariage ?

M. Bruno Sido. Et l’enfant ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout d’abord, le titre VII du code civil, qui régit la filiation biologique, ne sera pas modifié d’une virgule.

Ensuite, la présomption de paternité demeure absolument intacte. (Protestations sur les travées de l'UMP.) Quant aux modalités d’encadrement de la séparation, les droits sont étendus, et non pas réduits.

En revanche, grâce à ce texte, nous complétons ce qui était inachevé en matière d’exercice de l’autorité parentale ou de souplesse dans la détermination du lieu de la célébration du mariage, qui relèvera désormais de l’initiative exclusive des épouses ou des époux. Nous avons veillé à ce que ces dispositions profitent à tous, donc aussi aux familles hétéroparentales.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Par ailleurs, le projet de loi sur la famille, sur lequel travaille déjà Mme Bertinotti, introduira des améliorations substantielles au statut des familles recomposées et aux régimes d’adoption. Les familles hétéroparentales, par la simple loi du nombre, en profiteront beaucoup plus que les familles homoparentales.

Un sénateur du groupe UMP. C’est nous qu’il faut regarder !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous regarderais plus volontiers si vous m’aviez réservé un meilleur accueil ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)

Nous sommes donc face à l’altérité : non pas une altérité strictement sexuelle, car aucun d’entre nous ne se réduit à son genre ou à son orientation sexuelle (Mme Sophie Primas approuve.), mais une altérité « majuscule ». J’aurais pu parler d’altérité absolue, mais ce serait un oxymore, car l’altérité renvoie justement à ce qui est relatif en nous. (M. le président de la commission des lois applaudit.)

Comme le dit Hegel, cité par Tzvetan Todorov, il faut pour le moins être deux pour être humain. C’est bien le souci de l’autre qui me permet d’affirmer mon humanité et, socialement, ma civilité. (Vifs applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que vous êtes davantage portés sur le débat de fond et le droit que sur les joutes verbales et la polémique. Par notre action, qui ne se borne pas à des mots, « nous forçons de fumantes portes », comme le dit Aimé Césaire. (Applaudissements prolongés sur les mêmes travées.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà la possibilité de mettre un terme à des siècles de relégation… (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Henri de Raincourt. Ça commence bien !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je vous rappelle que, jusqu’en 1981, l’homosexualité était considérée comme un délit.

M. Gérard Longuet. Absolument pas !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Voilà donc, disais-je, la possibilité de mettre un terme à des siècles de relégation et de discrimination à l’encontre d’une partie de nos concitoyens. Voilà la possibilité de faire aboutir des combats menés depuis des décennies. Je sais que vous êtes nombreux, au Sénat, à avoir contribué à la longue histoire de l’égalité. Vous avez déposé des propositions de loi pour ouvrir le mariage aux couples homosexuels, leur permettre de fonder une famille, et ce dès 2005, puis en 2006, en 2010, en 2011 et en 2012. Ainsi, vous êtes nombreux, sur toutes les travées, à vous être engagés pour une meilleure reconnaissance de la diversité des familles. Soyez déjà remerciés de cette action passée.

Les associations qui soutiennent le projet de loi…

M. Bruno Sido. Elles sont peu nombreuses !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … que Christiane Taubira et moi-même avons l’honneur de vous présenter ont fait leur un très beau slogan : « l’égalité n’attend plus ».

Après le temps de l’Assemblée nationale vient aujourd’hui celui du Sénat. Je suis convaincue que ce sera le temps de la consolidation, de la solidification et de la confirmation de cette marche vers l’égalité.

Ce texte s’inscrit dans le contexte bien spécifique d’une révolution silencieuse (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. Un million de personnes silencieuses dans la rue !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … entamée dans les années soixante-dix, qui a fait éclater le modèle familial unique en une pluralité de modèles familiaux. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, grâce aux progrès de la contraception et à l’apparition de nouvelles techniques médicales, amour, conjugalité, sexualité et procréation se trouvent dissociés…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On aurait aimé que ce soit dissocié !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … et peuvent être composés et associés de multiples façons.

Mme Taubira l’a dit à l’instant : aujourd’hui, plus d’un enfant sur deux naît hors mariage,…

M. Gérard Longuet. Il y a 100 % de naissances hétérosexuelles !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … un sur quatre ne vit pas avec ses deux parents, un sur cinq vit dans une famille monoparentale et un sur neuf dans une famille recomposée. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. Et alors ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je conçois que cet état de fait vous dérange, mais ces quelques éléments statistiques suffisent à montrer la diversité du paysage familial.

M. François-Noël Buffet. Ce n’est pas le sujet !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Bien sûr que si ! (Mais non ! sur les travées de l’UMP.)

Pour autant, cette situation ne traduit pas une désaffection de nos concitoyens à l’égard de la valeur « famille » : bien au contraire, la très grande majorité d’entre eux estime que la famille reste le lieu de la sécurité et de la protection. Ce qui a changé, c’est que nos concitoyens refusent désormais que nous leur imposions un modèle familial unique. Ils attendent de nous que nous reconnaissions la diversité des modèles familiaux tout en assurant l’égalité des droits et des devoirs pour toutes les formes de familles.

Mme Sophie Primas. Et la filiation ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’y viens !

Aujourd’hui, à la suite d’une évolution engagée voilà de nombreuses années, la filiation biologique n’est plus la seule filiation possible ; il y a une multiplication des acteurs impliqués dans la conception et l’éducation des enfants.

M. Bruno Sido. C’est faux !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Chaque année, de 3 000 à 4 000 enfants sont adoptés et environ 1 500 naissent par insémination artificielle. Ces chiffres montrent que la filiation sociale est d’ores et déjà une réalité au sein des familles hétérosexuelles. On peut comprendre, en conséquence, la demande d’égalité de traitement pour les familles homosexuelles.

M. Bruno Sido. C’est incroyable !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je voudrais ajouter, après Mme la garde des sceaux, que cette loi ne créera pas de situations nouvelles : elle ne fera qu’adapter notre droit à des évolutions déjà présentes dans la société. En cela, elle s’inscrit dans la lignée des réformes qui ont marqué le droit de la famille depuis les années soixante-dix, comme l’assouplissement des règles du divorce, la suppression de la distinction entre enfants légitimes et enfants naturels ou l’institution de l’autorité parentale, reconnue aux deux parents à égalité. La législation ne fait que traduire une évolution déjà réalisée par nos concitoyens. Ceux-ci ne nous demandent pas une simple loi d’égalité ; ils veulent également que ce texte leur assure une sécurité et une protection juridiques. Pour l’heure, les dizaines de milliers d’enfants vivant déjà dans des familles homoparentales ne bénéficient pas de la même protection juridique que les autres enfants.

M. Gérard Longuet. Ce n’est pas le problème !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. C’est à cela que nous voulons remédier. C’est selon cet objectif d’égalité et de sécurité juridique que ce projet de loi ouvrant à tous le mariage et l’adoption a été conçu.

Il est temps de reconnaître à chacun, quelle que soit son orientation sexuelle, la liberté de choisir la façon dont il « fait famille ». Reconnaître cette liberté, c’est reconnaître la liberté de tous nos concitoyens. Cette liberté, elle est au cœur même de la République, celle que Jean Jaurès a si bien définie dans son Discours à la jeunesse : « Instituer la République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre ; […]. Oui, la République est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace. »

M. Bruno Sido. Tout ça, c’est du bla-bla !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’ajouterai que notre République n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle sait inclure tous ses citoyens, hommes ou femmes, en leur accordant les mêmes droits, quelle que soit la couleur de leur peau, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels. La France n’est jamais aussi forte ni confiante dans son avenir (Exclamations sur les travées de l'UMP.) que lorsqu’elle sait s’adresser à tous ses citoyens, à tous ses enfants, à toutes ses familles.

M. Bruno Sido. Les vraies familles !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Lors des auditions, des avis très différents ont été exprimés, mais je me souviens d’une phrase très simple prononcée par la présidente de GayLib : quand on aime la famille, on aime toutes les familles.

M. Bruno Sido. C’est ridicule !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je crois pourtant savoir que GayLib est un mouvement lié à l’UMP, monsieur le sénateur… (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. Et alors ? C’est n’importe quoi !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Ce projet de loi d’égalité s’inscrit dans le droit fil de ce que François Hollande rappelait lors de la campagne présidentielle (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.) : « Aucune loi de conquête n’a été arrachée sans combat parlementaire. Car les libertés, elles se conquièrent, elles se gagnent. […] L’âme de la France c’est l’égalité, l’égalité, l’égalité toujours. »

Ce projet de loi est l’expression de notre belle devise républicaine : liberté, celle pour chaque citoyen de prendre le gouvernement de sa propre vie ; égalité, celle des droits et des devoirs pour tous ;…

M. Bruno Sido. Et la fraternité ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … cette liberté, cette égalité vont permettre de renforcer la fraternité dans notre société. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à la confiance et à l’audace ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, indéniablement, le texte dont nous entamons aujourd’hui la discussion pose problème et provoque des débats au sein de notre société.

Pour ma part, je respecte toutes les opinions, dès lors qu’elles sont respectueuses des droits des citoyens, notamment de ceux des homosexuels.

M. David Assouline. Très bien !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Nous sommes saisis d’un projet de loi ; or « les lois ne sont pas des actes de puissances, ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ».

M. Gérard Longuet. Eh bien il y a beaucoup à faire !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. C’est sous l’égide de Portalis, dont je viens de lire une phrase extraite du Discours préliminaire au code civil, que je veux me placer dans ce débat.

Discuter d’un tel texte aujourd’hui est pertinent, non seulement parce qu’il transcrit une promesse du candidat François Hollande (Exclamations sur les travées de l'UMP.),…

M. Bruno Sido. Le roi de la promesse !

M. Jean-Noël Cardoux. Une République irréprochable !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … mais surtout parce qu’il est le produit d’une triple convergence qui lui donne toute sa force.

En effet, depuis la fin de la guerre, la perception sociale et juridique de l’homosexualité a évolué. Nous sommes passés de la condamnation à la reconnaissance. La famille et le mariage ont également connu une évolution sociologique importante, sur laquelle je reviendrai plus tard. Enfin, certains pays de l’Union européenne et d’autres extérieurs à celle-ci nous ont devancés dans l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe et la reconnaissance de l’homoparentalité, même si ces deux questions ne sont pas toujours liées dans ces différents pays.

En consacrant cette évolution, le projet de loi dont nous débattons marque un geste fort d’égalité. À cet égard, que l’on me permette de citer le père de nos constitutions et de notre démocratie parlementaire, Sieyès, qui écrivait ceci dans Qu’est-ce que le Tiers État ? : « Je me figure la loi au centre d’un globe immense ; tous les citoyens sans exception sont à la même distance sur la circonférence et n’y occupent que des places égales. » (M. le président de la commission des lois applaudit.)

M. Gérard Longuet. Ce n’est pas le sujet !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ce vœu d’égalité, déjà formulé lors des débats sur l’instauration du PACS, est conforme aux principes qui fondent notre République.

Cependant, il a été dénoncé à plusieurs reprises lors des auditions : certaines personnes entendues et certains de nos collègues ont fait valoir que l’égalité n’est pas l’identité…

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … et qu’elle n’impose de traiter également que des personnes placées strictement dans les mêmes situations.

L’argument mérite d’être entendu : l’égalité n’est pas l’identité. Pour autant, cet argument s’applique-t-il vraiment à la situation visée par le présent projet de loi ?

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Non, car ce texte écarte toute assimilation des couples homosexuels aux couples hétérosexuels en ce qui concerne la filiation biologique.

Hors ce cas, lorsqu’il s’agit de protection mutuelle, fondée sur l’amour que l’on se porte, quelle différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel ?

M. Gérard Longuet. Une différence énorme : la vie !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Lorsqu’il s’agit de la protection d’un enfant par la reconnaissance juridique des liens qui l’unissent à ceux qui l’éduquent, qui l’élèvent, qui l’aiment, quelle différence entre l’enfant de parents de même sexe et celui de parents de sexe différent ?

Mme Sophie Primas. D’accord.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Pourquoi réserver aux uns le mariage et ses effets, et tenir les autres à l’écart de ce statut protecteur ? L’exigence d’égalité commande d’ouvrir l’accès au mariage aux couples de personnes de même sexe, parce que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », comme le proclame l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Cette même exigence exclut qu’un statut social à part leur soit réservé. L’idée est souvent avancée, par ceux qui s’opposent au mariage des couples de personnes de même sexe, que l’égalité des droits pourrait être assurée par un statut spécifique, distinct du mariage, propre aux couples homosexuels : M. Gélard la développera tout à l'heure. Cette union civile s’ajouterait au pacte civil de solidarité, ou s’y substituerait, les droits et les obligations ouverts par ce dernier étant alors renforcés.

Outre le fait que, pendant les dix années que vous avez passées au pouvoir, vous n’avez pas renforcé le PACS, j’observe qu’une telle proposition ne peut être retenue, car elle contredit l’esprit qui anime la présente réforme, en perpétuant l’inégalité ou la différence de traitement appliquée à des situations pourtant identiques.

En effet, soit l’union civile offre aux couples homosexuels exactement les mêmes droits et les mêmes garanties que le mariage – mais quel serait alors l’intérêt de créer un doublon du mariage, sauf à vouloir priver les couples de personnes de même sexe d’une reconnaissance sociale symbolique, en réservant la dénomination « mariage » à l’union d’un homme et d’une femme ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.) –,…

M. Bruno Sido. L’adoption !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … soit elle est en retrait par rapport au mariage. Mais alors, comment justifier que l’on prive les couples homosexuels de droits – en dehors de ceux relatifs à la filiation biologique – reconnus aux couples hétérosexuels ? Un statut à part les cantonnerait dans une place à part au sein de notre société, ce qui ne correspond pas aux fondements de l’universalisme républicain.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Me Jacques Combret, s’exprimant devant la commission des lois au nom du Conseil supérieur du notariat, a d’ailleurs écarté en ces termes la possibilité de régimes juridiques spécifiques : « Les associations familiales ont demandé pourquoi on n’avait pas choisi un partenariat enregistré pour les couples homosexuels. Mais l’on ne pouvait guère revenir en arrière pour établir un PACS à géométrie variable selon l’orientation sexuelle des contractants ; […]. Enfin, il serait compliqué de juxtaposer mariage entre personnes de sexe opposé, contrat pour les personnes de même sexe, PACS et concubinage. […] S’il vous plaît, assez de régimes juridiques différents, tenons-nous-en là. »

Aucune norme constitutionnelle ou conventionnelle ne proscrit le mariage de deux personnes de même sexe ni l’adoption par un célibataire ou un couple homosexuel. Au contraire, le principe d’égalité et le droit à une vie familiale et personnelle peuvent fonder l’accès des intéressés à ces deux institutions. En la matière, toutefois, la décision ne peut venir que du législateur, c’est-à-dire de nous, mes chers collègues.

Saisie de l’annulation du mariage célébré à Bègles, en Gironde, entre deux hommes,…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Dans l’illégalité totale !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … la Cour de cassation a rappelé que, selon la loi française en vigueur, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme…

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … et « que ce principe n’est contredit par aucune des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui n’a pas en France de force obligatoire ».

Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité défendue par deux femmes qui souhaitaient se marier, a confirmé que la loi française n’est pas contraire à la Constitution du seul fait qu’elle réserve le mariage à deux personnes de sexe différent. Il a ainsi déclaré que le droit de mener une vie familiale normale, qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, n’implique pas le droit de se marier pour les couples de personnes de même sexe, qui peuvent vivre en concubinage ou bénéficier du cadre juridique du pacte civil de solidarité.

Pour autant, après avoir constaté que, en maintenant jusqu’à présent le principe selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, le législateur a considéré que la différence de situation entre les couples de personnes de même sexe et les couples de personnes de sexe différent peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il ne lui appartenait pas « de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ».

Cette dernière mention correspond, dans la jurisprudence constitutionnelle, à la limite que la haute instance donne à son propre contrôle et à la marge d’appréciation discrétionnaire qui relève de la compétence souveraine du législateur.

Ce faisant, le Conseil constitutionnel reconnaît que le choix d’ouvrir ou non le mariage aux couples de personnes de même sexe n’appartient qu’au législateur et qu’aucune norme constitutionnelle ne s’y oppose.

Les engagements internationaux de la France ne représentent d’ailleurs pas non plus un obstacle à la décision du législateur en cette matière.

Certains des principes qui inspirent les normes supérieures peuvent utilement guider le législateur dans son choix : la liberté, l’égalité, le droit de mener une vie familiale normale. Chacun plaide pour que ce droit, dont bénéficient aujourd’hui les couples hétérosexuels, soit ouvert aux couples homosexuels.

Sous cette lumière, la décision peut être débattue, mais l’avancée sociale apparaît plus que jamais nécessaire.

Mes chers collègues, je l’ai bien compris au cours des auditions et à l’écoute de vos interventions, c’est le mot « mariage » qui vous gêne… (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme Catherine Troendle. Ce n’est pas un mot, c’est une institution !

M. Bruno Sido. Il n’y a pas que le mot !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ne confondez pas le mot et la chose ! Rappelez-vous la formule de Jacques Lacan : « le mot est le meurtre de la chose » !

Ce sont les rédacteurs du code Napoléon qui ont employé le mot « mariage » pour désigner une union civile entre un homme et une femme dont le cœur était la présomption de paternité, comme le rappelle si justement Irène Théry. Ils auraient pu utiliser un autre terme afin de dissocier cet acte du mariage religieux, que certains d’entre vous ont en tête.

Aujourd’hui, l’évolution du mariage montre bien qu’il s’agit de tout autre chose, puisque le mariage civil n’a rien à voir avec le sacrement religieux et que le présent projet de loi ne dénature point l’institution du mariage républicain hétérosexuel, contrairement à ce qu’affirment ses opposants. Le texte qui nous est soumis sanctionne plutôt l’évolution de l’institution elle-même, qui s’est abstraite depuis longtemps déjà du modèle, cristallisé pendant plusieurs siècles, sur lequel elle reposait, pour revenir aux principes de liberté et d’universalité qui la caractérisaient à l’origine, définissant davantage la protection que se donnent les deux époux que le seul modèle de filiation possible.

« Une affirmation de la liberté de l’homme, dans la formation comme dans la dissolution du lien matrimonial, c’est, pour l’ordre terrestre, l’essentiel du message français », rappelait le doyen Jean Carbonnier dans sa célèbre étude Terre et Ciel dans le droit français du mariage.

L’article 146 du code civil, inchangé depuis 1804, en porte encore aujourd’hui la marque, puisqu’il dispose qu’« il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ».

Cet esprit de liberté s’appuie sur l’universalisme de l’accès au mariage : tout citoyen majeur peut y prétendre. La Révolution a ainsi opéré une rupture très nette avec le mariage religieux de l’Ancien Régime et confirmé l’égalité de tous devant le mariage. Aujourd'hui, le Gouvernement nous demande de franchir un pas supplémentaire dans cette voie.

En consacrant la liberté de mariage et en la rattachant à la liberté personnelle découlant des articles II et IV de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel manifeste qu’elle a partie liée avec l’universalisme républicain.

L’évolution du mariage vers plus de liberté et d’égalité s’est poursuivie aux XIXe et XXe siècles. Elle s’est manifestée dans la fin du monopole du mariage pour l’établissement de la filiation. La loi du 3 janvier 1972, inspirée par le doyen Carbonnier, a introduit une révolution totale du mariage et de la famille traditionnels tels qu’envisagés par certains d’entre vous, mes chers collègues. Elle a engagé l’abolition de la distinction entre enfants légitimes, enfants adultérins et enfants naturels, achevée avec l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation.

Parallèlement, les formes de conjugalité ont évolué : s’il reste une référence majoritaire, le mariage n’est plus la seule union possible. Une étude de l’INSEE montre que, en 2011, en France métropolitaine, sur 32 millions de personnes majeures déclarant être en couple, seules 23,2 millions étaient mariées et partageaient la même résidence que leur conjoint, tandis que 22,6 % vivaient en union libre et 4,3 % étaient pacsées.

Comme l’a rappelé tout à l’heure Mme la ministre chargée de la famille, cette évolution des conjugalités a eu des conséquences sur les filiations : depuis 2006, il naît plus d’enfants hors mariage qu’au sein du mariage. Selon des chiffres provisoires, en 2012, les naissances hors mariage représentaient près de 60 % du total des naissances.

Il n’est dès lors plus possible, pour l’ensemble de ces raisons, de considérer le mariage comme l’unique institution de la filiation, indissociable de la filiation biologique.

Cela étant, mes chers collègues, le présent projet de loi n’enlève rien au mariage, à la famille traditionnelle,…

M. Charles Revet. Ce n’est pas vrai !