Sommaire

Présidence de M. Jean-Patrick Courtois

Secrétaires :

M. Marc Daunis, Mme Marie-Noëlle Lienemann.

1. Procès-verbal

2. Retrait de questions orales de l’ordre du jour

3. Questions orales

situation des enfants français nés à madagascar dont la transcription de l’acte de naissance est refusée

Question n° 322 de Mme Claudine Lepage. – Mmes Yamina Benguigui, ministre déléguée chargée de la francophonie ; Claudine Lepage.

avenir de la résidence universitaire d'antony

Question n° 203 de M. Philippe Kaltenbach. – Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ; M. Philippe Kaltenbach.

vente démembrée de terres agricoles et droit de préemption des safer

Question n° 272 de M. Marc Laménie. – MM. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ; Marc Laménie.

attaques du loup

Question n° 320 de M. Gérard Bailly. – MM. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ; Gérard Bailly.

projet d'implantation d'un centre de stockage de déchets ultimes sur le site de nonant-le-pin

Question n° 382 de M. Jean-Vincent Placé. – Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique ; M. Jean-Vincent Placé.

journée de carence non respectée par le conseil général du val-de-marne

Question n° 280 de Mme Catherine Procaccia. – Mmes Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique ; Catherine Procaccia.

rétribution des heures de vie de classe

Question n° 212 de M. Alain Houpert. – MM. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale ; Alain Houpert.

effectifs des rased en dordogne dans les années à venir

Question n° 294 de M. Bernard Cazeau. – MM. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale ; Bernard Cazeau.

réforme des rythmes scolaires et conséquences financières pour les communes

Question n° 329 de M. Jean-François Humbert. – MM. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale ; Jean-François Humbert.

langues de france

Question n° 332 de M. Alain Fauconnier. – MM. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale ; Alain Fauconnier.

impact de la modification des rythmes scolaires sur les communes

Question n° 336 de M. Robert Tropeano. – MM. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale ; Robert Tropeano.

proposition d’interdire de fumer en voiture

Question n° 305 de M. Yannick Vaugrenard. – Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille ; M. Yannick Vaugrenard.

projet de décret relatif à la gestion de la qualité des baignades artificielles

Question n° 331 de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. – Mmes Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille ; Marie-Hélène Des Esgaulx.

avenir de la plate-forme de services de la cpam à saint-pol-sur-ternoise

Question n° 334 de M. Jean-Claude Leroy. – Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille ; M. Jean-Claude Leroy.

Suspension et reprise de la séance

pôle judiciaire spécialisé compétent pour les crimes contre l'humanté

Question n° 338 de M. Yves Détraigne. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Yves Détraigne.

Suspension et reprise de la séance

maintien des services de l'état dans les territoires

Question n° 242 de M. Alain Fouché. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Alain Fouché.

bilan 2012 de la délinquance dans la drôme et mesures destinées à endiguer ce phénomène inédit en zone rurale

Question n° 346 de M. Didier Guillaume. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Didier Guillaume.

avenir des activités sociales et de santé

Question n° 323 de M. Michel Le Scouarnec. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Michel Le Scouarnec.

renforcement de la sécurité des salles de remise en forme

Question n° 293 de Mme Laurence Rossignol. – Mmes Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; Laurence Rossignol.

défaut de jalonnement directionnel vers melun

Question n° 341 de Mme Colette Mélot. – Mmes Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; Colette Mélot.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel

4. Rappel au règlement

MM. Yves Pozzo di Borgo, le président.

5. Débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle (suite)

M. Charles Guené, rapporteur de la mission commune d’information.

Mme Françoise Laborde, M. Jean-Vincent Placé, Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx, Frédérique Espagnac, MM. Jean-Marie Bockel, François Patriat, Claude Bérit-Débat.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume

6. Débat sur le rayonnement culturel de la France à l’étranger

M. Louis Duvernois, pour le groupe UMP.

Mmes Catherine Morin-Desailly, Françoise Laborde, Marie-Christine Blandin, MM. René Beaumont, Jean-Louis Carrère, Michel Le Scouarnec, Christophe-André Frassa, Jean Besson, André Vallini, Mme Claudine Lepage.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

7. Débat sur les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne

M. Bruno Sido, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, corapporteur ; Mme Catherine Procaccia, corapporteur pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

MM. Jean-Pierre Plancade, André Gattolin, Mme Sophie Primas, MM. Jacques Chiron, Michel Le Scouarnec, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Claude Lenoir, Jean-Étienne Antoinette.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

8. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

Secrétaires :

M. Marc Daunis,

Mme Marie-Noëlle Lienemann.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Retrait de questions orales de l'ordre du jour

M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 302 de M. Francis Grignon est retirée, à la demande de son auteur, de l’ordre du jour de la séance du 9 avril 2013, et que la question orale n° 234 de M. Christian Cambon est retirée, à la demande de son auteur, de l’ordre du jour de la séance du 23 avril 2013.

3

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

situation des enfants français nés à madagascar dont la transcription de l’acte de naissance est refusée

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, auteur de la question n° 322, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger.

Mme Claudine Lepage. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l’étranger.

Je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les difficultés que rencontrent les Français établis dans la circonscription consulaire de Tananarive, plus particulièrement ceux qui sont rattachés à la chancellerie détachée de Tamatave, pour faire transcrire les actes de naissance de leurs enfants sur les registres de l’état civil français.

Le refus des autorités consulaires est motivé par le non-respect, de la part des autorités locales, des règles de tenue de l’état civil fixées par les lois malgaches. En effet, à l’occasion de missions de vérification des registres locaux menées par les agents consulaires français, des irrégularités concernant les actes relatifs à des Français ont été constatées.

Je peux parfaitement comprendre que les impératifs de vérification sur place par les autorités consulaires, quasi systématique, provoquent des délais de traitement plus importants, voire, en cas d’irrégularité effectivement constatée, un refus provisoire de transcription. Toutefois, cette situation conduit de nombreux parents, dont la bonne foi est incontestable, au bord du désespoir et les condamne à une profonde injustice. Ces familles sont prises au piège et les enfants, bien que Français, ne peuvent obtenir de documents français et, ainsi, voyager hors de Madagascar : il leur faut un visa pour se rendre en France, ce qui, au regard des difficultés et délais pour son obtention, peut entraîner une séparation forcée de la famille.

Le ministre des affaires étrangères m’a indiqué il y a quelques mois que la solution la plus satisfaisante pour les familles consisterait à venir déclarer la naissance de leurs enfants à l’officier d’état civil consulaire à Tananarive, dans les trente jours prévus par les textes en vigueur. C’est en effet la meilleure chose à faire pour les naissances à venir.

Cependant, cette proposition ne règle pas le problème des enfants plus âgés dont les parents n’ont pu effectuer cette formalité, par méconnaissance des dysfonctionnements des services malgaches et des implications que cela aurait sur la transcription de l’acte de naissance malgache pour la reconnaissance de leur enfant.

Madame la ministre, pouvez-vous m’indiquer les solutions qui sont proposées à ces Français, parents d’enfants plus âgés, littéralement « pris au piège » ? Je souhaite également savoir si des dispositions adéquates sont prises par les services consulaires pour informer les futurs parents français de la nécessité pratique de déclarer la naissance de leurs enfants à l’officier d’état civil consulaire à Tananarive, dans les trente jours suivant la survenue de cet événement.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Yamina Benguigui, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée de la francophonie. Madame la sénatrice, vous interrogez Mme Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l’étranger, sur les difficultés que rencontrent les Français établis à Tananarive pour faire transcrire les actes de naissance de leurs enfants sur les registres de l’état civil français. Actuellement en déplacement aux États-Unis, Mme Conway-Mouret m’a chargée de vous répondre.

Madame la sénatrice, vous avez raison de le souligner : de nombreuses irrégularités sont constatées dans la tenue des registres de l’état civil à Madagascar, notamment dans la commune de Tamatave. Dans des administrations fragilisées et dépourvues de moyens, les actes d’état civil sont ajoutés, surchargés, non signés, voire recollés a posteriori dans des registres non reliés. Ils sont par conséquent non conformes à la loi locale et ne peuvent être transcrits en l’état, ainsi que le précise l'article 47 du code civil, compte tenu du défaut de force probante dont ils sont entachés.

Cet état de fait contraint le poste à vérifier in situ la quasi-totalité des actes établis localement qui lui sont présentés pour transcription, ce qui requiert une mise en œuvre particulièrement lourde en termes de moyens : véhicules, personnel, etc. Si l’on excepte les actes non conformes, seulement 15 % environ des actes vérifiés selon cette procédure sont authentiques. À titre d’exemple, en 2012, lors de la mission effectuée au mois de janvier dernier, sur 295 actes vérifiés, 46 étaient authentiques, 142 apocryphes, 43 non conformes et 12 introuvables.

Cette situation et les pratiques visant à créer une filiation fictive avec un parent français exigent la plus grande vigilance de la part de l’officier de l’état civil consulaire français.

Notre représentation diplomatique est intervenue à de nombreuses reprises auprès des autorités communales et judiciaires de Tamatave, pour essayer de remédier à cette situation et parvenir à des solutions acceptables par les usagers.

Par ailleurs, le poste a fortement encouragé nos compatriotes, notamment les futurs parents, à privilégier les actes dressés directement par les autorités consulaires dans les trente jours qui suivent la naissance de leur enfant. Cette information, qui figure sur le site internet du poste, a également été diffusée dans le réseau consulaire.

Une mission de l’état civil de Tananarive s’est rendue récemment à Tamatave pour y vérifier plus de 300 actes. À cette occasion, des familles dont les demandes de transcription avaient fait l’objet d’un refus ont été reçues pour être informées des voies de recours possibles.

Enfin, l’ambassadeur et le consul général se sont personnellement impliqués dans la résolution de cette situation complexe, notamment lors d’un déplacement à Tamatave le 25 février dernier. Des représentants des familles en difficulté ont été reçus en audience. Il a été décidé à cette occasion de mettre en place à la chancellerie détachée de Tamatave une cellule d’écoute, d’explication et de conseils pour guider nos compatriotes dans leurs démarches auprès du parquet.

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Madame la ministre, je me félicite vivement de la prise en compte du problème par les autorités consulaires et de la réponse que vous apportez à ces familles victimes d’une carence administrative malgache. C’est un premier pas encourageant.

J’aurais cependant souhaité une proposition plus pragmatique, moins administrative, qui apporterait une réponse rapide à un problème précis, au cas par cas. Un recours administratif est une procédure longue et je ne peux m’empêcher de demander : quand ces enfants auront-ils leurs papiers ?

avenir de la résidence universitaire d'antony

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, auteur de la question n° 203, adressée à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. Philippe Kaltenbach. Madame la ministre, le 10 mai 2012, le tribunal administratif de Versailles a annulé l’arrêté du 9 janvier 2009 du préfet des Hauts-de-Seine portant transfert à la communauté d’agglomération des Hauts-de-Bièvre de biens appartenant à l’État ou à un établissement public et affectés au logement des étudiants, constitués de la résidence universitaire Vincent Fayo à Châtenay-Malabry et de la résidence universitaire Jean Zay à Antony,. Il a également annulé la délibération n° 09/93 du conseil communautaire de la communauté d’agglomération des Hauts-de-Bièvre, en date du 9 octobre 2009, portant approbation du protocole d’accord relatif à la réhabilitation et au redéploiement des résidences universitaires Jean Zay à Antony et Vincent Fayo à Châtenay-Malabry.

Cette double décision vient annuler le transfert par l’État à la communauté d’agglomération des Hauts-de-Bièvre de la résidence universitaire Jean Zay d’Antony et remettre ainsi en cause le projet de démantèlement de celle-ci porté par les élus de cette communauté d’agglomération et soutenu par le président du conseil général des Hauts-de-Seine, par ailleurs actuel conseiller général et ancien maire d’Antony.

La mise en œuvre de ce démantèlement a déjà conduit à la destruction de plus de 600 logements étudiants. Pourtant, madame la ministre, la demande en Île-de-France demeure très largement supérieure à l’offre. On ne dénombre en effet dans cette région que 3 logements pour 100 étudiants, quand la moyenne nationale, déjà faible, s’élève à 8 logements pour 100 étudiants.

S’il est donc essentiel de construire de nouveaux logements, il est tout aussi primordial de ne pas détruire ceux qui existent quand leur rénovation est possible.

Madame la ministre, ce transfert n’avait été permis que par le dépôt opportun en 2006 par un sénateur alto-séquanais d’un amendement modifiant l’article L. 822-1 du code l’éducation que l’on peut aisément qualifier de « sur-mesure » et assurément de « cavalier législatif ». Pour mémoire, lors de son examen par la Haute Assemblée, M. Brice Hortefeux, alors ministre délégué aux collectivités territoriales, avait relevé que cet amendement s’inscrivait étrangement dans le projet de loi relatif à la fonction publique territoriale, avant de dire qu’il en comprenait les motivations et d’adresser ses salutations à Patrick Devedjian.

Cette nouvelle disposition législative n’a d’ailleurs été mise en œuvre qu’une seule fois pour le transfert de la résidence universitaire d’Antony. Heureusement, ce transfert a fait l’objet d’une annulation par la justice.

J’en suis convaincu, ce site peut et doit faire l’objet d’une rénovation. C’est une demande forte des étudiants, de l’association de défense, des élus et de la région d’Île-de-France. Madame la ministre, quel avenir envisagez-vous pour la résidence universitaire d’Antony, maintenant que, grâce à cette décision de justice, l’État a repris la main sur ce site ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question. Faciliter l’accès au logement pour nos étudiants constitue un facteur décisif de leur réussite et est au cœur des priorités du Gouvernement et de mon ministère. Cette problématique s’inscrit dans un contexte d’insuffisance notoire de logements étudiants. Le Président de la République s’est engagé en faveur de la construction de 40 000 logements au cours de son quinquennat, alors que seuls 20 000 logements ont été construits ces huit dernières années à la suite du plan Anciaux dont les objectifs n’ont été réalisés qu’à hauteur de 50 %.

À mon arrivée au Gouvernement, je me suis immédiatement saisie du dossier de la résidence d’Antony, après publication de la décision de justice que vous évoquez.

En juillet dernier, en concertation avec la région, j’ai missionné le recteur de Versailles et le préfet des Hauts-de-Seine pour trouver une solution rapide commune à toutes les parties intéressées. Cette négociation n’a malheureusement pas abouti. En même temps, l’article L. 822-1 du code de l’éducation rend obligatoire le transfert à titre gratuit d’une résidence étudiante dès lors que ce transfert est demandé par un établissement public de coopération intercommunale, ce qui est le cas.

Cette obligation a été confirmée par la justice en juillet dernier.

Je suis bien consciente de l’intérêt important qui se focalise sur cette résidence et je comprends tout à fait vos préoccupations. La priorité d’intérêt général m’impose toutefois de raisonner à une échelle plus large : l’offre de logements étudiants dans le sud des Hauts-de-Seine, qui accuse un déficit de l’ordre de 4 000 logements. L’objectif que je me suis fixé est d’arriver, avec les collectivités les plus concernées – de la commune à la région, en passant par le département et l’intercommunalité –, à un accord permettant de construire dans ce département 4 050 logements sur cinq ans, dont plus de 1 000 au titre des places perdues sur la résidence universitaire d’Antony.

Comme vous le savez, la négociation se poursuit pour parvenir à fixer un chiffre acceptable pour tous sur ce site, et je souhaite que l’on aboutisse rapidement à un accord surmontant les blocages actuels.

Mon souci, monsieur le sénateur, c’est que si l’État et les collectivités partenaires devaient se diriger vers un contentieux juridique à Antony, les principaux perdants seraient avant tout les étudiants, contraints de se loger à des coûts très élevés ou dans des endroits éloignés de leurs lieux d’études, pendant que la résidence continuerait de se dégrader, ainsi que vous l’avez-vous-même signalé.

Il faut savoir que le logement en Île-de-France peut représenter jusqu’à 70 % du budget d’un étudiant. On imagine alors ce qu’il reste pour satisfaire d’autres besoins comme l’accès aux soins ou à une alimentation correcte.

Il nous faut donc, en urgence, construire davantage de logements.

Je souhaite par conséquent que le débat autour de cette résidence aboutisse rapidement à une solution constructive. C’est la condition pour que soit préservé l’intérêt général, en premier lieu celui des étudiants, et que l’on sorte de l’impasse actuelle.

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.

J’ai bien noté la volonté du Président de la République d’amplifier l’effort de l’État en matière de logement étudiant, avec la construction programmée de 40 000 logements au cours de son quinquennat.

Nul doute que nous devons construire et réhabiliter davantage de logements.

Le dossier de la résidence d’Antony est certes complexe juridiquement. Je sais que vous avez engagé des négociations avec le conseil général et la communauté d’agglomération des Hauts-de-Bièvre.

Je souhaiterais toutefois que les élus régionaux, les associations de défense de la résidence et les syndicats étudiants, tous partie prenante à ce dossier, soient associés à la négociation en cours, afin que les avis de l’ensemble des acteurs puissent être pris en compte.

Nous espérons qu’une solution consensuelle pourra être trouvée le plus rapidement possible, car il y a urgence à rénover cette cité, à permettre l’accueil d’étudiants et à poursuivre la construction de logements étudiants.

vente démembrée de terres agricoles et droit de préemption des safer

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, auteur de la question n° 272, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

M. Marc Laménie. Je me permets à travers cette question d’attirer l’attention de M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt sur l’exercice du droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER, en cas de vente de terrains aux droits démembrés.

En effet, le décret n° 2012-363 du 14 mars 2012, inséré à l’article R. 143-9 du code rural, ordonne à la personne chargée de dresser un acte d’aliénation de l’usufruit ou de la nue-propriété d’un bien rural de le déclarer préalablement à la SAFER.

Il résulte de cette obligation une contestation de plus en plus fréquente, par la SAFER, des promesses de vente de biens démembrés, notamment en cas de ventes concomitantes d’usufruit et de nue-propriété, qui sont suspectées d’être des cessions déguisées de pleine propriété.

Cette démarche est source d’incertitude pour les parties, d’allongement de la durée de traitement des dossiers et, surtout, d’un surplus de contentieux devant les juridictions.

Au vu de ces difficultés, je demande à M. le ministre de bien vouloir expliciter les finalités du décret, ce qui permettra aux SAFER de clarifier l’approche qu’elles peuvent avoir de ce type de cessions.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur, vous me posez une question technique extrêmement précise sur le décret du 14 mars 2012, qui fait suite à la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche de 2010.

Au-delà des problèmes juridiques qui peuvent se poser, ne perdons pas de vue l’objectif principal de cette disposition, qui vise à mesurer les changements de vocation des terres agricoles.

La loi de modernisation a visé à une meilleure analyse et à une meilleure maîtrise de la perte du foncier agricole, dénoncée de longue date au Sénat comme à l’Assemblée nationale : tous les dix ans, en effet, l’équivalent d’un département français est en effet « consommé » sur les terres agricoles.

Je reste attaché à cet objectif.

Sur le plan technique, afin que les SAFER puissent transmettre aux services de l’État les informations les plus exhaustives possible sur l’évolution du foncier agricole, le décret prévoit que les ventes séparées portant sur l’usufruit ou la nue-propriété des biens seront déclarées aux SAFER, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Comme vous l’avez souligné, monsieur Laménie, en cas de contestations de ces déclarations, ce système peut fragiliser des contrats conclus entre personnes privées.

Toutefois, au-delà des perturbations que ces déclarations peuvent engendrer et qui ne remettent pas en cause les échanges pouvant intervenir, nous devons garder comme objectif principal – et j’affirme que le ministre de l’agriculture sera vigilant à cet égard dans la prochaine loi d’avenir – d’inverser la tendance actuelle à la consommation inconsidérée de l’espace agricole.

Nous avons besoin aujourd’hui de revenir à une politique de maîtrise du foncier et, surtout, d’éviter le gaspillage que l’on a connu durant de trop longues années.

Nous avons besoin de terres agricoles, et nous devons être vigilants. C’est la raison d’être de ce décret de mars 2012, qui me semble juste.

Cela ne nous empêche pas d’essayer d’améliorer les conditions d’échange des terres. Dans cette optique, n’hésitez pas, monsieur Laménie, à me faire remonter les problèmes que vous rencontrez sur le terrain. Mais l’objectif prioritaire du Gouvernement, qui fait suite à ce décret, est de limiter la consommation d’espace agricole. Je voulais ce matin le réaffirmer au Sénat.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. J’ai bien noté votre réponse, monsieur le ministre.

Voilà longtemps en effet que les gouvernements successifs se préoccupent du problème que vous avez évoqué. Ma question l’abordait sous l’angle technique et juridique, car les procédures ne sont pas exceptionnelles.

Je partage bien évidemment la nécessité de soutenir nos territoires ruraux et les terres dédiées à l’agriculture.

On peut aussi comprendre les contraintes en termes d’urbanisme, même si des gâchis peuvent exister.

Quoi qu’il en soit, je vous remercie de l’attention toute particulière que vous portez à cette question, monsieur le ministre.

attaques du loup

M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, auteur de la question n° 320, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

M. Gérard Bailly. Président du groupe « élevage » au Sénat, je souhaitais attirer une nouvelle fois l’attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur le problème des prédateurs.

Monsieur le ministre de l’agriculture, je connais votre attachement à ce problème. J’aurai du mal à prêcher un converti, et c’est bien Mme la ministre que j’aurais voulu convaincre s’agissant de ce problème particulier des attaques du loup, qui deviennent de plus en plus insupportables pour les éleveurs dans les zones de montagne. Bon nombre d’entre eux sont découragés, et des conséquences graves s’ensuivent, tel l’abandon de pans entiers d’alpages ou de pâturages, qui laissent place à la friche. D’après les chiffres communiqués par la fédération nationale ovine, le nombre de loups augmente de 27 % par an.

À l’heure où le plan loup 2013-2017 est en préparation, je me demande s’il est suffisamment ambitieux pour réduire de façon significative la présence de ce prédateur dans les territoires d’élevage. J’aimerais donc en connaître les objectifs.

Des mécontentements s’élèvent de tous nos massifs, de la Méditerranée aux Vosges en passant par les Pyrénées et même, désormais, le Massif Central, y compris la Lozère.

Tous les éleveurs se sentent trahis, sous prétexte de biodiversité ou de satisfaction accordée aux mouvements écologistes.

M. Jean-Vincent Placé. Pas seulement !

M. Gérard Bailly. Mais si, monsieur Placé !

Plus de 1 415 attaques en 2011, contre 1 842 en 2012 ; plus de 4 900 têtes en 2011, contre 6 021 en 2012 ; des bêtes qui meurent dans d’atroces conditions… L’éleveur que je suis ne peut comprendre cela. Comment peut-on dans le même temps exiger le respect du bien-être animal dans les étables et les bergeries ?

Le précédent plan loup n’a permis aucune diminution des attaques sur les territoires concernés. Au contraire, ces attaques ne cessent de progresser, avec toutes les conséquences que cela engendre. Devant cet état de fait, les ministres de l’environnement successifs restent sourds et ne prennent pas de réelles décisions. Je m’interroge : faut-il attendre que des enfants soient attaqués pour que les éleveurs soient entendus ?

D’autres territoires subissent des attaques fréquentes de prédateurs comme le lynx, et rien n’est fait pour diminuer ses effectifs, son image étant même, au contraire, vantée.

Je souhaite donc poser deux questions.

Premièrement, j’aimerais obtenir des éléments précis sur le coût du maintien des prédateurs – personnels de gestion, identification, moyens de prévention, indemnités versées, etc –, estimé à 15 millions par an par le Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée.

Deuxièmement, comme de nombreux parlementaires français et suisses, je demande au Gouvernement s’il envisage de solliciter la révision de la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe et de la directive « habitat » Natura 2000, comme l’ont déjà souhaité d’autres pays. Le Gouvernement demandera-t-il la révision de cette convention dans un avenir très proche, avant que la colère des éleveurs ne gronde et ne s’étende aux populations de ces territoires ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur, cette question du loup fait l’objet de beaucoup d’attention de la part du Gouvernement.

Vous posiez la question de savoir si vous pourriez convaincre Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, que j’ai l’honneur de remplacer ce matin. Je peux vous dire que le ministre de l’agriculture, qui est très attaché à la protection de l’élevage, en particulier l’élevage ovin, dans les zones de montagne, a travaillé en parfaite cohérence avec la ministre de l’écologie. C’est ensemble que nous avons préparé le plan loup.

Des éléments concrets publiés récemment ont fait évoluer les esprits de manière significative. Ainsi, tout le monde a compris que la pression qui s’exerce est aujourd’hui telle qu’il convient de prendre des décisions.

Vous avez évoqué le coût des mesures : 8,5 millions d’euros environ sont actuellement affectés aux protections passives, au travers notamment du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER ; ensuite viennent les indemnisations, à hauteur de 2,2 millions d’euros, versées par le ministère de l’environnement. Le coût total résultant de l’application de la convention de Berne avoisine 10 millions d’euros.

« Le Gouvernement souhaite-t-il une révision de la convention de Berne ? », avez-vous demandé, monsieur le sénateur. La réponse est non. Nous l’avons dit, nous ne reviendrons pas sur cette signature. Des progrès significatifs sont en train d’être accomplis, et je vais vous donner quelques éléments à cet égard.

Tout d’abord – c’est à la fois très intéressant et important –, la semaine dernière, dans le cadre de la préparation du fameux plan loup, les ONG et les éleveurs se sont mis d’accord pour doubler le nombre de prélèvements sur l’année, le faisant passer de douze à vingt-quatre.

De plus, lors de la préparation de ce plan, le ministère de l’agriculture et le ministère de l’environnement ont estimé nécessaire de changer de stratégie. Alors que nous avons longtemps adopté une stratégie de défense passive – à cet égard, j’évoquais tout à l'heure les 8 millions d’euros consacrés à la protection des troupeaux et, par exemple, le recours aux chiens –, nous passons maintenant à un système de défense beaucoup plus réactif et offensif, avec l’instauration d’un protocole de tir gradué et une organisation de terrain, associant aux louvetiers les chasseurs locaux plus à même, de par leur connaissance du terrain, de réagir rapidement.

Nous avons donc mis en place un système de gradation des tirs en fonction de la situation rencontrée : tir de défense systématique, qui permet d’effaroucher ; tir direct à canon rayé, en cas d’attaque préalable ; tir de défense renforcé, en cas d’attaques constatées et récurrentes, à partir de postes fixes. C’est d’ailleurs dans ce dernier cas de figure que l’on pourra mobiliser les chasseurs.

Vous savez combien il est toujours difficile de parvenir à un accord lors de négociations entre éleveurs, dont je défends les intérêts, et organisations non gouvernementales – vous avez évoqué les mouvements écologistes – sur les questions de biodiversité. Avec le ministère de l’environnement, nous avons justement fait en sorte de trouver cet accord afin d’avancer sur la question de la protection de l’élevage dans les zones de montagne, et d’y répondre.

M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.

M. Gérard Bailly. Je remercie M. le ministre de sa réponse. Je retiens l’espérance d’en finir avec le système de défense passive d’hier et de parvenir à une solution réactive plus efficace.

Je voudrais rappeler le bilan de vingt ans d’action : 1 200 troupeaux protégés, 2 000 chiens de protection à l’œuvre, 1 000 emplois de bergers spécifiques pour la protection du loup. Or tout cela s’est soldé par un échec puisque, comme je l’ai dit tout à l'heure, le nombre de loups a augmenté de plus de 27 % chaque année. Je m’interroge d’ailleurs sur la pertinence de prélever seulement vingt-quatre loups : sur un effectif estimé de 250 à 300 bêtes, cela correspond à peine au taux de progression annuel.

De plus, au vu des difficultés budgétaires de l’État, des prélèvements supplémentaires sur les retraites, les salaires et les revenus, j’ai peur que nos concitoyens ne se demandent s’il s’agit bien d’une priorité. Le Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes Méditerranée a récemment estimé à 60 000 euros le coût total des dépenses liées à un loup. Il faut bien prendre cet élément en compte pour aller plus loin dans la réflexion.

Vous avez rencontré les éleveurs et les éleveuses, monsieur le ministre, et vous savez combien ils peuvent être catastrophés – notamment ceux qui font de la sélection – après des attaques de leurs troupeaux. Ces attaques ne sont pas anodines ; elles ont des répercussions psychologiques. La mutualité sociale agricole a d’ailleurs dû mettre en place une cellule pour s’occuper de ce genre de traumatismes. Peut-être avez-vous un animal chez vous ? Il en va de même quand il s’agit de ses bêtes, dans sa bergerie ou son étable : nous les aimons et ne pouvons accepter qu’ils meurent dans des conditions aussi déplorables. Je voudrais terminer mon intervention sur ces mots, en ayant une pensée pour les éleveurs traumatisés par ces attaques qui se multiplient sans arrêt.

J’évoquerai un dernier point. Voilà quelques instants, monsieur le ministre, vous répondiez à mon collègue que nous avons besoin de terres agricoles. Je partage complètement votre avis. Rappelons que, durant les années quatre-vingt, 12 millions d’ovins se trouvaient dans notre pays ; aujourd’hui, ils ne sont plus que 7,4 millions ! Il s’agit d’une diminution drastique ! Je suis effrayé de voir des pans entiers de nos alpages ne plus être pâturés. L’élevage ovin a connu des situations difficiles ces dernières années, encore accentuées par les attaques de prédateurs. C’est pourquoi, monsieur le ministre, comme je sais que vous êtes bien conscient de ces difficultés, j’aimerais que vous essayiez de convaincre aussi tous vos collègues du Gouvernement.

J’ai été un peu long, et je vous prie de bien vouloir m’en excuser, mais il s’agit d’un dossier que j’ai vraiment à cœur.

projet d'implantation d'un centre de stockage de déchets ultimes sur le site de nonant-le-pin

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé, auteur de la question n° 382, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question porte sur le projet d’implantation d’un centre de stockage de déchets ultimes sur le site de Nonant-le-Pin, dans l’Orne.

Si je ne suis pas un élu de ce territoire, j’ai pour lui un attachement significatif : ma mère en est originaire, et j’ai eu l’occasion d’y gambader quand j’étais petit. (Sourires.)

Mon attention a été particulièrement appelée par ma collègue du groupe de l’UDI-UC, Nathalie Goulet, qui, elle, est élue de ce département. Nous nous sommes rendus sur le terrain et avons constaté la réalité des méfaits environnementaux que pourrait engendrer ce centre de stockage de déchets ultimes.

L’ensemble de la population s’est bien évidemment émue de ce projet, d’autant plus que ce site est au centre des haras historiques de notre beau pays. Comment ne pas comprendre que des éleveurs, présents sur ce territoire depuis des dizaines d’années, parfois même des centaines d’années, puissent se montrer extrêmement combattifs et opposés à cette idée tout à fait saugrenue d’implantation d’un centre de déchets ? J’ai l’occasion ici de relayer leur colère.

Ce site et la nature des déchets stockés font peser un vrai risque environnemental, notamment par le ruissellement des eaux, sans compter les désagréments du trafic routier engendré par l’infrastructure. Cette dernière, après de nombreuses péripéties, y compris judiciaires – mais je n’y reviens pas, allant directement à l’essentiel – doit ouvrir dès le mois de juin prochain. Questionné le 28 juin 2012, le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie affirmait, le 25 octobre, que le préfet de l’Orne, saisi d’une mission, devait rendre un rapport d’ici à la mi-novembre 2012

La mobilisation s’accroît très fortement : le conseil régional de Basse-Normandie, réuni le 14 février en assemblée plénière, a voté à l’unanimité une motion demandant à l’entreprise Guy Dauphin Environnement, dite GDE, et au ministère de l’écologie de mettre en place une concertation et un moratoire avant que le préfet de l’Orne ne prenne – ou plutôt, ce que je souhaite, ne prenne pas – l’arrêté définitif d’autorisation d’ouverture.

Une mobilisation citoyenne, associative, politique, a permis à plusieurs idées de germer. C’est d’ailleurs tout l’intérêt des mobilisations. Un comité de soutien à la candidature au patrimoine mondial de l’UNESCO a ainsi vu le jour. Il s’agit de consacrer, par ce classement, le caractère exceptionnel des terres d’élevage équin qui entourent le haras national du Pin.

Je rappelle également que se tiendront l’année prochaine, sur ce site, les championnats du monde équestres. Nous sommes encore leaders mondiaux dans cette filière, mais que dirons nos partenaires étrangers en voyant que nous avons eu l’idée incroyable, à l’heure du Grenelle de l’environnement, d’installer un site de déchets ultimes toxiques dans un remarquable berceau vert de la Basse-Normandie, de l’Orne et de la France ? Cela nuira fortement, à mon avis, à l’image de notre pays à l’étranger ; nous n’en n’avons pas besoin.

Ma question est très simple, madame la ministre : quels sont les résultats de la mission demandée au préfet de l’Orne et qu’envisagez-vous de mettre en œuvre pour protéger ce site de Nonant-le-Pin contre les dangers environnementaux que représente l’implantation de ce centre de stockage de déchets ultimes ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur Jean-Vincent Placé, je vous prie de bien vouloir excuser Delphine Batho, qui n’a pu se libérer ce matin pour répondre à votre question.

Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie vous a reçu personnellement, le 4 mars dernier, pour discuter de ce projet d’implantation d’un centre de stockage de déchets ultimes sur le territoire de la commune de Nonant-le Pin, dans l’Orne, à proximité de nombreux haras dont vous avez rappelé la remarquable notoriété.

Ce projet est fortement contesté, comme vous l’avez souligné, et le président de la région, Laurent Beauvais, a tenu à faire part à l’ensemble du Gouvernement de son opposition, au nom de son assemblée plénière qui a délibéré à l’unanimité.

Rappelons brièvement les faits. Ce projet de centre d’enfouissement de déchets industriels banals et de résidus de broyages automobiles a fait l’objet d’une demande d’autorisation d’exploiter de l’entreprise Guy Dauphin Environnement, dite GDE, en septembre 2006.

Après un avis défavorable de l’enquête publique, le préfet de l’Orne a pris un arrêté de refus en janvier 2010. Le tribunal administratif de Caen a cependant annulé cet arrêté préfectoral en février 2011 et accordé l’autorisation d’exploiter au pétitionnaire. Force est de constater que le gouvernement d’alors n’a pas interjeté appel et que le préfet de l’Orne a pris un arrêté de prescriptions, le 12 juillet 2011. Il ne pouvait, à l’époque, faire autrement puisqu’il n’y avait pas appel de la décision.

Cette absence d’appel pèse lourd aujourd’hui. Elle éteint toute marge de manœuvre juridique pour l’État. Compte tenu des fortes inquiétudes soulevées par ce projet, Delphine Batho a demandé au préfet de l’Orne, en août 2012, de procéder à une expertise complète, à la fois juridique et technique.

Toutefois, l’État se trouve aujourd’hui dans une impasse juridique et doit appliquer la décision du tribunal administratif.

J’ajoute que les récentes requêtes tendant à la suspension de l’arrêté du 12 juillet 2011 ont également été rejetées par le tribunal administratif de Caen, le 14 février 2013. La mise en service de l’installation est donc prévue par l’exploitant au début du mois de juin prochain.

Nous partageons beaucoup de vos avis sur cette question. Comme vous le savez, le conseil régional de Basse-Normandie a demandé à GDE d’entamer une vraie concertation en vue d’un moratoire. Le fait d’interrompre la poursuite du chantier et de réaliser des études supplémentaires sur les risques mis en avant par les experts désignés par les associations permettrait peut-être à l’exploitant de se poser la question de l’opportunité de son installation sur ce site.

Nous espérons beaucoup que ces démarches aboutissent. Pour sa part, l’État s’assure de la stricte surveillance du chantier. Il ne dispose pas d’autre moyen d’action au regard de l’ensemble des prescriptions prévues pour ce type d’installation.

Le Gouvernement connaît votre mobilisation sur ce sujet, monsieur Placé, et a conscience de l’inquiétude de tous ceux qui sont attachés à l’excellence de la filière équine française et au rayonnement de ce patrimoine lors des Jeux équestres mondiaux de 2014.

Tels sont les éléments de réponse que nous sommes dans l’obligation de vous apporter, avec une certaine forme de déception et en regrettant que l’appel n’ait pas été interjeté par le gouvernement d’alors.

J’espère que le moratoire sera obtenu et que les études supplémentaires permettront à l’ensemble des acteurs, en particulier à celui qui a déposé cette demande de permis, de progresser positivement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.

M. Jean-Vincent Placé. Merci, madame la ministre, de cette réponse très complète qui démontre l’attachement du Gouvernement aux préoccupations de défense de la nature et de l’environnement sur les sites remarquables de notre beau territoire français.

Vous avez rappelé les éléments politiques mais aussi les éléments de droit, en particulier de droit administratif, de ce dossier.

Vous avez surtout souligné, et je vous en remercie, la responsabilité du gouvernement précédent qui n’a pas interjeté appel dans une affaire particulièrement contestable, qui n’est pas allé jusqu’au bout des procédures.

Cela démontre – je le dis même si la séance du mardi matin n’est pas le lieu des polémiques – qu’il y a très loin de l’affichage en faveur de l’écologie à la réalité. Quel décalage entre le souci de l’environnement et la tranquillité d’une antichambre qui laisse s’éteindre les procédures administratives au profit des industriels ! Voilà une contradiction soulevée par un élément factuel.

Par ailleurs, je vous remercie d’indiquer que Delphine Batho, qui m’a reçu avec des habitants et des associations du territoire concerné, est particulièrement mobilisée. Je lui ai demandé que nous nous rendions très rapidement sur place, avec le président de région et le président du conseil général de l’Orne, afin d’avoir avec les dirigeants de GDE une discussion sérieuse, économique, témoignant de notre détermination. Nous souhaitons leur expliquer que, eu égard à la détérioration de l’image de leur entreprise, pourtant censée s’occuper de problématiques environnementales, un sursis à l’implantation du centre de stockage en cause, dans le cadre du fameux moratoire, pourrait, à ce stade du dossier, être une issue intelligente, à condition bien sûr que soit parallèlement étudié un nouveau projet sur un autre site pouvant satisfaire l’ensemble des parties. Telle est la proposition que j’ai formulée à Mme Batho, ainsi qu’aux présidents du conseil régional et du conseil général.

Je remercie le Gouvernement, particulièrement vous, madame Lebranchu, de l’intérêt qu’il a porté à cette question.

journée de carence non respectée par le conseil général du val-de-marne

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 280, adressée à Mme la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, je veux attirer votre attention sur la décision du président du conseil général du Val-de-Marne de ne pas appliquer, depuis le mois de juillet 2012, l’article 105 de la loi de finances n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, qui prévoit le non-versement aux agents publics civils de la rémunération au titre du premier jour de congé de maladie. Cette disposition législative est pourtant entrée en vigueur au 1er janvier 2012 et précisée dans la circulaire d’application du 24 février 2012.

En effet, dans un souci de redressement des comptes de l’assurance maladie et d’égalité professionnelle entre la fonction publique et le secteur privé, secteur dans lequel un délai de carence de trois jours est imposé aux salariés, le gouvernement précédent avait mis en place la disposition pour les fonctionnaires des trois fonctions publiques.

Récemment, vous avez proposé la suppression de ce jour de carence, mesure qui, pour être effective, devra figurer dans une prochaine loi de finances, puisque seule une loi peut en abroger une autre. En attendant, les dispositions en vigueur me paraissent devoir être respectées. Par conséquent, le versement d’une indemnité de compensation me semble demeurer une infraction.

Dans votre réponse apportée à la question écrite de notre collègue Jacques Mézard, publiée au Journal officiel du 8 novembre 2012, vous avez clairement précisé que la journée de carence s’appliquait bien aux trois fonctions publiques et que les modalités d’application de cette disposition étaient précisées dans la circulaire du 24 février 2012.

En conséquence, madame la ministre, me confirmez-vous oui ou non que la non-application de la journée de carence demeure illégale jusqu’au vote et à l’entrée en vigueur de la future loi ? Si tel est le cas, quelles sont les sanctions applicables aux collectivités ?

Par ailleurs, le président du conseil général, notre collègue Christian Favier, nous a indiqué que, alors qu’il portait la pétition des fonctionnaires de sa collectivité à Matignon, des conseillers l’avaient informé que des collectivités proches du Premier ministre n’appliquaient pas l’article 105 de la loi susvisée. De ce fait, il se sentait autorisé à faire de même. J’aimerais donc connaître le nombre de collectivités actuellement dans la même situation que le conseil général du Val-de-Marne. Quelle mesure comptez-vous prendre dans le projet de loi qui aura pour objet d’abroger cet article 105 ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Madame la sénatrice, pour justifier la création du jour de carence, le précédent gouvernement avait avancé les arguments simples suivants : les fonctionnaires sont avantagés par rapport aux salariés du secteur privé soumis à trois jours de carence ; l’absentéisme est plus important dans le secteur public que dans le secteur privé ; il est nécessaire de restaurer l’équité entre salariés et agents publics. Comme vous l’avez rappelé en posant votre question, l’objectif sous-jacent était, en fait, de réaliser des économies budgétaires puisque ce sont les administrations elles-mêmes, et non l’assurance maladie, qui assurent le versement du traitement des fonctionnaires pendant leurs arrêts pour maladie de ces derniers.

Le Gouvernement a décidé d’abroger ce dispositif dans la prochaine loi de finances. En effet, un an après la création de celui-ci, un premier bilan a été établi ; il démontre, d’une part, que le jour de carence n’a pas les effets que l’ancien gouvernement escomptait et, d’autre part, que de nombreuses craintes n’étaient pas fondées.

Ainsi, en termes d’équité, 77 % des salariés du secteur privé qui appartiennent à de grands groupes ne sont pas soumis à un jour de carence car ils sont couverts par des systèmes de prévoyance ou par des conventions de branche ou d’entreprise, tout comme 47 % des salariés des toutes petites entreprises, pour les mêmes raisons. En revanche, le jour de carence dans la fonction publique a concerné 100 % des agents publics dès le premier jour de leur arrêt maladie. Afin de corriger une iniquité, on en crée en réalité une nouvelle, et non des moindres.

Ensuite, l’absentéisme a été décrit comme un phénomène majeur. Or selon les chiffres fournis – j’ai d’ailleurs attendu d’en disposer avant de soumettre une proposition à M. le Premier ministre –, la proportion d’agents en arrêt de courte durée est passée de 1,2 % à 1 % dans la fonction publique d’État, de 0,8 % à 0,7 % dans la fonction publique hospitalière, tandis qu’elle est restée stable dans la fonction publique territoriale. Ces données montrent que les « récupérations » de journées travaillées redoutées n’ont pas eu lieu.

En revanche, dans le même temps, on note une durée plus longue des arrêts pour maladie. Le salarié qui justifie son jour de carence en produisant un certificat médical a tendance à suivre les préconisations de son médecin et à prendre les trois ou quatre jours d’arrêt maladie que celui-ci lui conseille. Nous sommes donc perdants de ce point de vue.

Toutes choses égales par ailleurs, puisque la mesure a rapporté 60 millions d’euros à l’État, alors que son produit avait été évalué à 120 millions d’euros, j’ai proposé que soit supprimé le jour de carence.

Je rappelle également qu’un certain nombre de collectivités territoriales sont en train de négocier des systèmes de prévoyance supplémentaires, qui vont coûter fort cher.

Comment vérifier que chaque collectivité locale soit en accord avec la loi ? À l’heure actuelle, aucun dispositif ne le permet. Je rappelle le principe de libre administration des collectivités locales. Il appartient donc à chaque citoyen ou à toute personne qui y a intérêt d’ester en justice en la matière.

Mais compte tenu de la grande difficulté à mettre en place le dispositif actuellement en vigueur, du coût qu’il représente pour les fonctions supports, notamment l’établissement de nouveaux logiciels de paye, je comprends qu’il ne soit pas forcément appliqué les prochains mois de son existence. Il revient à l’exécutif de chaque collectivité de décider ce qu’il doit faire.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, comment voulez-vous que je me satisfasse de votre réponse ? Je vous ai posé une question précise : la non-application de la journée de carence est-elle légale ou pas ? Vous ne me répondez pas !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Si, j’ai répondu !

Mme Catherine Procaccia. Vous avez justifié pendant une minute et demie l’abrogation du jour de carence, après l’avoir expliqué en long et en large dans les journaux. Je vous demande simplement : est-ce légal ou non ? Or vous ne me répondez pas ! Vous comprenez, dites-vous, que la disposition actuellement en vigueur ne soit pas appliquée, mais vous ne vous prononcez pas sur l’aspect juridique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Si, je vous ai répondu !

Mme Catherine Procaccia. Vous êtes ministre. Vous devez pouvoir me répondre sur ce point ! Par conséquent, je m’étonne de votre réponse.

Par ailleurs, vous me dites que vous n’avez pas de remontées. Or, dans la circulaire d’application, il est bien précisé qu’un tableau des remontées statistiques serait réalisé, qu’un bilan chiffré du nombre de jours ayant fait l’objet d’une retenue devrait être produit tous les trimestres et que la direction générale des collectivités locales et la direction générale de l’organisation des soins feraient remonter toutes les informations. Est-ce à dire que les circulaires de l’État ne sont pas non plus appliquées ?

Par votre absence de réponse, vous montrez l’ambiguïté de la situation dans laquelle vous vous trouvez. Vous refusez de nous dire que cela ne coûtera pas très cher. Or hier, comme par hasard, j’ai réussi à obtenir le coût de la mesure pour ma collectivité. En deux mois, cette dernière a enregistré 1 890 jours d’arrêt maladie pour un montant total de 128 000 euros, soit annuellement – j’ai fait le calcul – 768 000 euros, et ce alors que la loi s’appliquait. Alors que l’on demande aux collectivités locales de réaliser des économies, en l’espèce, en attendant le vote d’une prochaine loi, on n’essaie même pas d’appliquer les dispositions en vigueur !

Madame la ministre, je suis assez scandalisée par votre absence de réponse et par l’attitude du Gouvernement.

rétribution des heures de vie de classe

M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, auteur de la question n° 212, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.

M. Alain Houpert. Monsieur le ministre, ma question porte sur la rétribution des heures de vie de classe, motif fréquent de désaccords entre les professeurs principaux et leur direction.

L’heure de vie de classe est intégrée à l’emploi du temps des élèves depuis la rentrée de 2002. L’organisation de cette heure incombe au professeur principal de la classe, à qui il revient de faire appel à divers intervenants pour l’animer, s’il le souhaite.

Une dizaine d’heures annuelles sont consacrées à la vie de classe, mais aucune rémunération spécifique n’est prévue. En effet, le décret n° 50-581 concernant les obligations réglementaires de service pose des principes clairs : toute heure au-delà des obligations réglementaires de service inscrite à l’emploi du temps est rémunérée en heure supplémentaire annuelle. Toute heure supplémentaire effectuée ponctuellement est payée en heure supplémentaire effective.

Une indemnité de suivi et d’orientation des élèves a été instituée en 1993 ; elle n’a cependant pas vocation à rémunérer les heures de vie de classe créées par les arrêtés postérieurs du 14 janvier 2002 et du 6 juillet 2004. De plus, ces arrêtés prévoient que le professeur principal est chargé d’organiser l’heure de vie de classe, non de la faire. Si rien n’est effectivement indiqué sur leur rémunération, le fait qu’elles soient considérées comme supplément du service dû implique, de facto, qu’elles soient rétribuées en heures supplémentaires effectives.

Force est de constater qu’il existe un flou persistant autour de la rémunération des heures de vie de classe. Cette situation est d’autant plus anormale qu’elle cause de réelles disparités d’un établissement à l’autre.

Ce faisant, de telles disparités s’accroissent, au point de devenir intolérables avec la fiscalisation des heures supplémentaires.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous informer sur la manière dont le Gouvernement entend désormais rétribuer les heures de vie de classe ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le sénateur, intégrées à l’emploi du temps des élèves depuis la rentrée scolaire de 2002, les heures de vie de classe ont pour objet de permettre un échange au sein de la classe entre les élèves et les adultes sur toutes les questions liées à la vie scolaire, à l’éducation et à l’orientation.

Elles représentent environ, comme vous l’avez rappelé à juste raison, dix heures par an et sont placées sous la responsabilité du professeur principal.

Elles peuvent également être animées, vous le savez, par d’autres enseignants, mais toujours sur leur temps de travail.

Les heures de vie de classe, eu égard à leur objet, sont assez satisfaisantes.

Monsieur le sénateur, vous soulevez plus spécifiquement la question de la rémunération de ces heures consacrées à la vie de classe.

Ces heures, comme cela a toujours été le cas, relèvent des obligations de service des personnels concernés et ne donnent donc lieu à aucune rémunération supplémentaire.

L’indemnité de suivi et d’orientation des élèves, l’ISOE, instituée en 1993 et à laquelle vous avez fait référence, n’a donc pas pour vocation de rémunérer ces heures de classe. Mais l’attribution de la part modulable de l’ISOE peut reconnaître le travail particulier et l’investissement des professeurs principaux, qui assurent à la fois une tâche de coordination des élèves et apportent à ceux-ci un soutien dans la préparation de leur orientation.

Vous le savez, notre position est de conforter les moyens qui permettent une meilleure vie scolaire comme une meilleure orientation. Le Sénat aura l’occasion de débattre de ces questions à partir du 20 mai prochain, et la commission saisie plus prochainement.

À l’heure actuelle, il n’existe aucune difficulté majeure concernant la rétribution des heures en cause. Si l’heure de vie de classe se déroule sur un temps de service normal, sa rémunération relève du traitement normal ; si elle s’effectue dans le cadre d’heures supplémentaires, elle sera rétribuée à ce titre.

Si, en raison de l’apparition de vraies difficultés – je n’en ai pour l’instant pas connaissance –, nous devions envisager des rétributions particulières, nous le ferions.

Par ailleurs, je ne vois pas de rapport entre cette question et la défiscalisation des heures supplémentaires, qui correspond à une autre préoccupation.

M. le président. La parole est à M. Alain Houpert.

M. Alain Houpert. Monsieur le ministre, il me semble que cette question est légitime, et nous l’entendons souvent posée dans nos permanences. Tout travail mérite salaire, et l’absence de rémunération peut démotiver les enseignants, qui effectuent un travail noble. Comme le disait le sénateur Victor Hugo, « chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne ».

effectifs des rased en dordogne dans les années à venir

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, auteur de la question n° 294, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.

M. Bernard Cazeau. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur l’évolution du nombre de postes dans les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, en Dordogne.

En effet, 23 postes – soit la moitié des effectifs – ont été supprimés dans les écoles primaires en 2012, et aucune indication n’a été fournie pour les années à venir, du moins pour l’instant. Les syndicats d’enseignants et les associations de parents d’élèves se sont d'ailleurs mobilisés récemment sur ce sujet.

Le simple maintien du nombre de postes à son niveau actuel ne permet pas de répondre efficacement aux besoins des élèves les plus fragiles et les plus « en souffrance », comme on dit, dans l’école. Il ne permettra pas non plus de réduire les inégalités entre les élèves.

La situation est particulièrement préoccupante en Dordogne. Le dernier rapport relatif aux résultats de l’académie de Bordeaux, publié le 4 septembre 2012, relevait, certes, que le taux de réussite au baccalauréat général en Dordogne était à peu près identique au taux national, mais il indiquait également que, dans les filières technologiques et professionnelles, le taux de réussite dans ce département était inférieur à celui de la moyenne de la région Aquitaine depuis plusieurs années.

Mis en place en 1990, le dispositif RASED a fait la preuve de ses effets positifs sur la réussite des enfants dans le secondaire. Réduire les effectifs de ces réseaux revient donc – vous le savez, monsieur le ministre – à créer un important échec à long terme, notamment dans les filières d’apprentissage.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec 31 671 enfants scolarisés en Dordogne à la rentrée 2012-2013, il ne reste plus qu’un enseignant RASED pour 1 319 élèves dans ce département, contre un pour 546 élèves à l'échelon national. Cet écart illustre parfaitement les difficultés que nous rencontrons. Je sais bien, monsieur le ministre, que vous avez créé un millier de postes de professeurs des écoles en juillet 2012 et que 104 postes ont été réaffectés aux RASED. Nous nous en félicitons, mais ce ne sont malheureusement pas des académies de notre secteur qui en ont bénéficié.

Les difficultés scolaires existent également dans les milieux ruraux, j’y insiste. Et pour ces futurs adultes en délicatesse avec l’école, l’insertion professionnelle est fortement problématique. Il importe que nos élèves en décrochage puissent bénéficier de nouveau d’un soutien pédagogique spécifique. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous demande quelles propositions concrètes vous comptez mettre en œuvre pour renforcer le dispositif RASED ou tout autre système d’aide spécialisée aux élèves en difficulté scolaire, en particulier en Dordogne.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le sénateur, vous soulevez un problème qui nous préoccupe au premier chef : le traitement de la difficulté scolaire.

Nous avons affirmé que l’école était l’une de nos priorités, et nous avons déjà traduit cette assertion en actes, y compris du point de vue budgétaire, afin de nous donner les moyens, après la suppression de 77 000 postes en cinq ans, de traiter progressivement cette difficulté et de permettre à la France de retrouver de meilleures performances scolaires. C’est en effet notre avenir qui est en jeu : l’avenir de nos enfants, mais aussi, bien entendu, celui de notre pays.

Le Président de la République a souhaité inscrire cet engagement dans la durée, par le biais d’un projet de loi de programmation. Dès l’arrivée aux responsabilités de la nouvelle majorité, un collectif budgétaire exceptionnel a permis de créer un millier de postes supplémentaires dans l’enseignement primaire. Chaque académie gère ses postes de la manière qui lui semble la plus appropriée. Environ 10 % des postes ont été affectés à la reconstitution des RASED.

Notre action se poursuivra à l’avenir. Elle continuera à concerner en priorité les zones urbaines en difficulté, les zones rurales et les départements, régions et collectivités d’outre-mer. Ces territoires doivent être les premiers à bénéficier des moyens supplémentaires que nous mettons en œuvre, par exemple pour l’accueil des enfants de moins de trois ans ou le dispositif « plus de maîtres que de classes » ; cinq postes ont d'ailleurs été attribués à votre département grâce à ce dispositif. Le souci d’aider les départements comme le vôtre anime toutes nos décisions.

Nous avons entamé une réflexion globale sur le traitement de la difficulté scolaire et l’organisation des RASED, qui, dans votre département, avaient été réorganisés au début de l’année 2012.

Nous voulons mieux articuler ces réseaux avec le traitement des difficultés dans les classes – tel est l’objet du dispositif « plus de maîtres que de classes » – et en dehors des classes. Des travaux sont en cours au ministère de l’éducation nationale, avec l’ensemble des organisations représentatives des personnels. Un rapport a été demandé à l’inspection générale de l’éducation nationale. Ce document nous permettra bientôt de définir les principes d’une organisation optimale du traitement de la difficulté scolaire, en nous appuyant sur les 7 000 postes programmés dans le cadre du dispositif « plus de maîtres que de classes ».

J’examinerai tout particulièrement les situations locales, comme j’ai eu l’occasion de l’annoncer à l’Assemblée nationale. Je n’ai pas pu me rendre dans votre département il y a une quinzaine de jours, comme je souhaitais le faire, mais ce n’est que partie remise. Je dois en effet vous dire que j’ai été quelque peu surpris par votre description de la situation lorsque je l’ai découverte, hier après-midi.

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.

M. Bernard Cazeau. Monsieur le ministre, je me félicite de l’action que vous menez. Comme vous l’avez souligné, il est important que les postes qui seront créés cette année permettent, sinon de favoriser les zones rurales, du moins d’examiner plus particulièrement les problèmes auxquels elles sont confrontées.

En effet, il existe des difficultés, liées notamment à un travail moindre dans la famille ou à la fatigue supplémentaire causée par les déplacements, que ne rencontrent pas les enfants vivant en milieu urbain.

Je vous remercie de considérer particulièrement les problèmes qui existent en Dordogne. Je vous demande d’imposer, si cela est possible, des obligations de concertation aux inspecteurs d’académie et aux recteurs. En effet, je le remarque, notamment dans mon département, c’est par la concertation, qui fait quelque peu défaut actuellement, que nous permettrons aux parents d’élèves et aux enseignants, tout à fait demandeurs en la matière, de se rendre compte de la situation et des efforts qui seront réalisés.

réforme des rythmes scolaires et conséquences financières pour les communes

M. le président. La parole est à M. Jean-François Humbert, auteur de la question n° 329, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.

M. Jean-François Humbert. Monsieur le ministre, j’attire votre attention sur les modalités concrètes de la réforme des rythmes scolaires applicable en 2013 ou en 2014. Je souhaite relayer les craintes exprimées par la grande majorité des maires du département du Doubs dans leurs réponses à un questionnaire relatif à la réforme des collectivités territoriales que je leur ai récemment adressé.

À la lecture de ces réponses, il apparaît clairement que les maires sont très inquiets quant aux conséquences de cette réforme sur la gestion de leur budget. Il en ressort que la majorité des communes rurales pensent ne pas être en mesure de mettre à disposition les activités péri-éducatives, culturelles, artistiques et sportives de qualité que la réforme promet, ni d’assumer cette nouvelle dépense.

En effet, le milieu rural se trouve doublement pénalisé, dans la mesure où il ne dispose pas toujours de structures sportives et culturelles pour accueillir les écoliers après le temps scolaire. C’est pourquoi, dans le département du Doubs, qui compte 594 communes, moins de 10 communes devraient a priori s’engager dans la réforme dès 2013. Hier, la ville de Besançon a ainsi annoncé qu’elle reportait à 2014 son application.

En somme, la mise en œuvre de cette réforme s’annonce bien difficile, et la majorité des maires souhaitent une compensation financière pérenne de l’État, et non une aide ponctuelle, pour assumer cette nouvelle charge.

Je vous rappelle que, juridiquement, la prise en charge des activités périscolaires ne relève pas des obligations des communes, alors que celles-ci assurent généralement un service de qualité aux enfants de leur territoire. Par conséquent, monsieur le ministre, êtes-vous en mesure de rassurer les communes rurales en leur garantissant une prise en charge financière durable ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le sénateur, vous avez raison de le souligner, la modification des rythmes scolaires est une réforme difficile. J’imagine d'ailleurs que notre pays, s’il veut trouver la voie du redressement, devra réaliser bien des réformes difficiles. Il faudra faire preuve de volonté et fournir un certain nombre d’efforts.

Je viens de rappeler à Bernard Cazeau que le Gouvernement avait affirmé, dès la présentation de son premier collectif budgétaire, que l’école constituait l’une de ses priorités. Cette politique concerne non pas uniquement une partie de la France, mais bien tous les élèves, car il y va de l’intérêt du pays. Gouverner, c’est choisir, et nous avons fait ce choix.

Chacun le sait, la situation de nos élèves se détériore de manière terrible depuis quelques années. Cette dégradation a des causes, auxquelles il faut remédier. Tout le monde s’accorde à considérer nos rythmes scolaires comme l’une de ces causes. Des rapports parlementaires ont montré qu’il existait un consensus politique sur ce sujet. Mon prédécesseur avait d'ailleurs organisé une très longue consultation, qui avait débouché sur des recommandations : revenir à la semaine de quatre jours et demi et limiter les journées d’étude à cinq heures.

Or il arrive un moment où la France doit être capable de réaliser les réformes de structure dont elle a besoin. C’est ce que fait le Gouvernement, même si je conçois que cette mesure soit difficile à mettre en œuvre.

L’éducation nationale reprend trois heures le mercredi matin ; c’est l’essentiel. J’y insiste, nous n’avons pas transféré une seule heure aux collectivités territoriales : nous reprenons trois heures. Certaines communes accueillaient déjà les enfants le mercredi matin, d’autres ne le faisaient pas.

En revanche, pour la première fois dans l’histoire de notre République, nous avons créé un fonds, doté de 250 millions d'euros, pour aider les collectivités territoriales à assumer leurs activités périscolaires. Vous aurez noté que nous n’avons pas consenti le même geste en faveur des professeurs, qui devront pourtant travailler le mercredi matin et qui n’en sont pas toujours ravis.

Le Président de la République a souhaité que ce fonds permette de faire un geste particulier en direction des communes rurales. La première année, ces dernières bénéficieront donc de 90 euros par élève, soit 40 euros de plus que les autres communes, et nous envisageons d’allouer 45 euros par élève en 2014.

Monsieur le sénateur, vous me dites que la plupart des communes de votre département ne souhaitent pas bénéficier de ces aides. Nous le comprenons, car il leur faut peut-être du temps pour trouver les activités les mieux adaptées aux élèves. Nous partageons cette préoccupation, mais si nous voulons réussir cette réforme, dont personne ne conteste la nécessité pour les élèves – récemment encore, l’Académie de médecine a encouragé les élus que vous êtes à aller dans cette direction –, nous devons nous mettre en mouvement.

L’État, plus particulièrement le ministère de l’éducation nationale, assume ses responsabilités. Dès notre premier collectif budgétaire, nous avons créé des postes, dont certains dans votre département, monsieur le sénateur, et nous allons maintenant reprendre trois heures le mercredi matin, tout en aidant les collectivités locales, si elles le souhaitent, à définir progressivement leurs projets éducatifs de territoire. Pour celles qui ne peuvent pas appliquer la réforme en 2013, nous verrons en 2014. Puis, lorsque la réforme aura été mise en œuvre, nous déciderons si nous pérennisons les soutiens financiers. En tout cas, pour le moment, les aides existantes ne sont même pas toutes utilisées par les collectivités locales.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Humbert.

M. Jean-François Humbert. Monsieur le ministre, je n’ai pas remis en cause la réforme que vous défendez et je n’ai pas l’intention de le faire. Étant issu d’une famille d’enseignants, je considérais depuis très longtemps qu’il fallait en arriver là.

En revanche, je n’ai pas eu de réponse à la question que je vous ai posée : la modeste aide financière de l’État sera-t-elle pérenne ? Si elle n’est prévue que pour l’année scolaire 2013-2014, les communes se trouveront inévitablement ensuite devant le problème que j’ai évoqué. Je dis oui à la réforme, mais pas dans ces conditions, monsieur le ministre !

langues de france

M. le président. La parole est à M. Alain Fauconnier, auteur de la question n° 332, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.

M. Alain Fauconnier. Monsieur le ministre, nous le savons tous, la France est multilingue, et ce malgré les nombreuses tentatives, dans un passé plus ou moins ancien, d’éradiquer les langues régionales, longtemps appelées « patois ». Cette attitude a assis notre réputation de pays « glottophage », pour reprendre l’amusante expression d’un écrivain contemporain.

Aujourd’hui encore, ces langues concernent 13 des 26 régions françaises, soit la moitié de notre territoire national. Que ce soit dans l’Hexagone ou dans les départements d’outre-mer, le français coexiste avec l’occitan, le breton, le provençal ou le créole. Elles sont encore parlées quotidiennement par de nombreux citoyens et sont inscrites dans la toponymie du territoire national comme dans l’histoire et la culture de notre nation. Depuis 2008, elles sont reconnues officiellement par la Constitution comme appartenant au patrimoine de la France.

Ces langues constituent bien souvent des vecteurs de solidarités transrégionales et transnationales. Jean Jaurès, voilà exactement un siècle, l’avait perçu, puisqu’il recommandait aux enseignants de les prendre en compte, à une époque où Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature en 1904, était déjà considéré comme l’un de nos grands auteurs.

C’est bien l’intérêt éducatif de l’enseignement des langues de France qui doit être reconnu et valorisé par la loi. Ainsi, comme le soulignent nombre d’experts, le bilinguisme précoce paritaire français-langue régionale apporte des résultats tout à fait satisfaisants dans trois domaines principaux : la maîtrise de la langue nationale ; celle des disciplines scolaires comme les mathématiques ou les sciences ; celle, enfin, des langues étrangères. L’enseignement des langues régionales facilite donc un véritable plurilinguisme.

Par ailleurs, une meilleure reconnaissance de notre multilinguisme historique dans les écoles de France est aussi un bon argument pour conforter la légitimité de la politique de promotion du français dans le monde. Ce « gisement linguistique national » doit donc être de nouveau valorisé et utilisé.

Or, depuis la rentrée scolaire 2002, ces disciplines ont perdu une grande partie de leurs possibilités et moyens d’enseignement. Leur valorisation aux examens a été réduite. Pour 2013, malgré une augmentation de 35 % des recrutements dans l’éducation nationale, l’ensemble des CAPES de langues régionales, lesquels représentent 0,1 % des effectifs de ces enseignants, n’a pas évolué.

Rappelons que, pour l’heure, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République n’évoque ni plurilinguisme ni langues régionales, si ce n’est en annexe, ce qui est éminemment regrettable.

Monsieur le ministre, je vous remercie de nous faire part des mesures que vous comptez prendre ou proposer pour encadrer la reconnaissance des langues de France et le développement de leur enseignement, notamment dans le projet de loi d’orientation.

Comment comptez-vous traduire concrètement cette légitime reconnaissance, en nombre de postes au CAPES et en moyens horaires, afin de rattraper le retard accumulé depuis bientôt dix ans et mettre en œuvre le changement attendu et annoncé ? Le devoir de mémoire est souvent invoqué, dans toutes sortes de domaines. Convenez qu’il s’applique parfaitement à ce sujet !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le sénateur, je voudrais tout de même souligner la persistance de l’effort de l’État sur ce dossier.

Vous l’avez fort bien rappelé, c’est au plus haut niveau de l’ordre juridique interne que les langues régionales ont été consacrées. L’article 75-1 de la Constitution dispose, sans que personne ne songe à l’interroger, qu’elles appartiennent au patrimoine français.

À cet égard, une attention toute particulière est portée, de manière continue depuis un certain temps, à leur apprentissage. Ainsi, la loi du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’école, dite « loi Jospin », et la loi du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, dite « loi Fillon », ont affirmé la possibilité pour les élèves qui le souhaitent de suivre un enseignement dans une des langues régionales, dans les régions où celles-ci sont en usage. Dans ces territoires, la promotion et le développement des langues et cultures régionales sont encadrés par des conventions liant l’État et les collectivités territoriales, comme vous le savez.

J’ai déjà eu l’occasion de dire, lors d’une séance de questions à l’Assemblée nationale, que je souhaitais voir ce mode de collaboration avec les associations concernées, qui n’existe pas dans toutes les régions, mais qui a été couronné de succès, maintenant généralisé. En tout cas, l’État y est prêt.

Permettez-moi de donner quelques chiffres : cet engagement bénéficie à 272 000 élèves, répartis dans 13 académies et pratiquant onze langues régionales. Il faut savoir que, en deux ans, de 2009 à 2011, une augmentation de 24 % du nombre d’élèves concernés a été constatée.

Les moyens attribués, notamment les effectifs de professeurs, n’ont peut-être pas toujours suivi. Je me suis engagé à corriger cela, notamment en augmentant le nombre de postes offerts aux concours d’enseignants pour répondre à une demande réitérée.

Le débat parlementaire a déjà permis, à l’Assemblée nationale, d’enrichir notre texte du point de vue de la reconnaissance des langues régionales, en particulier s’agissant de la possibilité de les pratiquer dès le plus jeune âge. À ce sujet, monsieur le sénateur, vous avez eu raison de rappeler que les études dont nous disposons montrent que, même pour l’apprentissage du français, qui demeure constitutionnellement la seule langue de la République, le fait de pratiquer une langue régionale est bénéfique pour les élèves.

À l’occasion des débats qui se tiendront bientôt au Sénat, nous verrons si nous pouvons encore avancer, raisonnablement – en effet, bien des propositions qui m’ont été adressées étaient anticonstitutionnelles –, dans la voie de cette reconnaissance des langues régionales, que nous souhaitons accompagner.

M. le président. La parole est à M. Alain Fauconnier.

M. Alain Fauconnier. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos engagements. Sachez que nous serons quelques-uns au Sénat à tenter d’enrichir le texte sur la refondation de l’école.

Je voudrais simplement vous dire que, en 1988, avec Lionel Jospin, la ville de Saint-Affrique, dont je suis le maire, s’est engagée avec Albi dans le plurilinguisme, de la maternelle jusqu’au lycée. Nous disposons donc aujourd’hui d’un recul de vingt-cinq années et je reste très attaché à cette pratique, car je peux mesurer au quotidien, auprès des familles et des enfants, combien cette expérience a été un succès. Les jeunes concernés ont bien réussi, les familles se sont investies et une véritable dynamique s’est créée autour des écoles bilingues.

Cependant, je trouve que les choses se sont dégradées depuis une dizaine d’années, même si nous avons pu maintenir la qualité de l’enseignement grâce aux associations, au militantisme des maîtres et à l’engagement des parents. Aujourd’hui, tous sont en droit d’espérer que le changement sur lequel vous vous êtes quelque peu engagé aujourd’hui se concrétise rapidement, car ils sont épuisés par les coupes claires ayant affecté les moyens depuis des années.

Pour finir sur le problème des rythmes scolaires, qui a été évoqué précédemment, sachez que la ville de Saint-Affrique s’engagera à appliquer la réforme avec enthousiasme, en associant les parents, les enseignants et les associations. Enfin, monsieur le ministre, je vous remercie de tout ce que vous faites pour l’école.

impact de la modification des rythmes scolaires sur les communes

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano, auteur de la question n° 336, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.

M. Robert Tropeano. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur les conséquences de la mise en place des nouveaux rythmes scolaires dans les communes, notamment en milieu rural.

Sans vouloir remettre en cause la nécessité de cette réforme, qui est très largement fondée, les élus s’inquiètent de son impact sur le budget de leur commune.

L’organisation d’activités périscolaires nécessite, tout d’abord, de répondre à plusieurs questions : quelles activités extrascolaires faut-il prévoir et avec quels intervenants ? Quelle organisation des transports scolaires, de la cantine et, enfin, quel coût cette modification entraînera-t-elle ?

Trouver des intervenants qui viendraient travailler une heure par jour sur quatre jours par semaine sera probablement plus difficile en milieu rural qu’en zone urbaine, où les temps et les coûts de déplacement ne sont pas les mêmes.

Si une telle démarche n’était pas engagée, le plus grand risque serait de voir se développer des garderies, qui ne répondraient en rien à l’ambition voulue par le Gouvernement pour son système éducatif.

C’est pourquoi, j’y insiste, il est indispensable d’apprécier et de prendre en compte la diversité des réalités territoriales et géographiques et d’adapter le soutien de l’État en fonction de celles-ci.

Le second point de ma question concerne le transfert de compétences vers les collectivités locales. Malgré la mise en place du fonds d’amorçage de 250 millions d’euros, uniquement pour la rentrée 2013, les élus restent cependant très réservés quant à une application de ces nouveaux rythmes scolaires dès cette échéance.

Une base forfaitaire de 50 euros par élève, augmentée de 40 euros pour les communes éligibles à la dotation de solidarité rurale cible ou à la dotation de solidarité urbaine cible, sera accordée aux collectivités mettant en place la réforme dès la rentrée 2013. Pour l’application à la rentrée 2014, seules les communes éligibles à ces dotations percevront 45 euros par élève. Autant dire que très peu de communes seront concernées.

Par ailleurs, le Gouvernement ayant déjà annoncé la diminution des dotations aux collectivités à l’horizon 2014-2015, il est légitime que les élus se préoccupent de l’équilibre des finances de leur commune.

C’est la raison pour laquelle je souhaite que, au regard des premiers retours d’information de la part des élus et des services académiques dont vous disposez, vous puissiez nous informer des adaptations pérennes que vous envisagez de mettre en place pour aider et soutenir les élus locaux, afin que ce projet ambitieux, que je soutiens pleinement, soit une véritable réussite.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le sénateur, la France s’est passionnée, ces dernières semaines, pour la question des rythmes scolaires et éducatifs. Je vois d’ailleurs comme un premier acquis de l’action du Gouvernement le fait que, partout dans le pays, on ait parlé des élèves et des enfants.

Il s’est noué des dialogues qui n’existaient pas entre les associations périscolaires, les collectivités locales, les parents, les professeurs, pour essayer de répondre à une question dont personne, dans la majorité comme dans l’opposition, ne nie l’intérêt essentiel pour les élèves.

Vous me dites qu’il y a des difficultés d’application. Je m’en suis rendu compte, même si je n’en doutais pas. Une telle perspective a d’ailleurs justifié, dans le passé, que tous ceux qui étaient convaincus de la nécessité de faire cette réforme ne l’aient pas faite. Il y a bien d’autres sujets comme cela en France, mais il arrive un moment où il faut agir !

J’installerai la semaine prochaine un comité de suivi, car, en réalité, ce que je constate sur le terrain, aujourd’hui, est très disparate. Par exemple, il faut savoir que le président de l’Association des maires ruraux de France appliquera la réforme dès cette année dans sa commune, à l’instar de ce qui se passera dans l’ensemble des communes du Tarn-et-Garonne, un département rural s’il en est, où j’étais récemment. J’ai pu faire le même constat dans le département de l’Aude.

Par ailleurs, vous aurez remarqué que, hormis Paris, Nantes et quelques autres, les grandes villes ont beaucoup de difficultés. Tel est le cas pour Lyon, Lille, soit des municipalités qui, politiquement, nous sont assez proches.

L’opposition entre le rural et l’urbain n’est donc pas si nette, de même que celle qui se fonde sur le critère de la richesse. J’ai noté, par exemple, que la ville la plus pauvre de France, Denain, appliquera la réforme en 2013 et se réjouit de la chance que l’État lui accorde au travers du fonds d’amorçage, considérant qu’elle n’a jamais eu autant de moyens pour ses enfants.

Je souhaite donc que cette passion bien française, qui s’est agitée ces derniers temps, se calme. Il faut examiner la question de façon rationnelle, parce que nous voulons tous réussir cette réforme, comme vous l’avez rappelé.

Il nous faut impliquer les différents ministères concernés – je tiens d’ailleurs à saluer Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille, ici présente, qui est très engagée dans cette réforme – pour observer précisément ce qui se fait sur le terrain, d’autant que nous avons répondu à la demande qui nous avait été faite d’accorder la plus grande liberté possible.

Les associations d’élus nous ont demandé de les laisser construire le dispositif localement, sans trop de contraintes. Il s’agit d’une première, qui a pu poser quelques problèmes aux professeurs, lesquels sont concernés dans leur temps de travail. Le mot d’ordre a été : laissez-nous construire nos projets éducatifs !

Nous tirerons les conclusions de cette première démarche dans les mois qui viennent et continuerons d’accompagner, comme nous le faisons quotidiennement en mobilisant autant que nous le pouvons les services de l’éducation nationale, les élus qui s’engagent dans ce processus. Bien entendu, si le besoin de modifications se fait sentir, tant dans les modalités d’organisation que dans les moyens, nous aurons à en débattre collectivement. Le fonds d’amorçage est d’ores et déjà prévu dans le projet de loi ; le Sénat aura bientôt à en discuter.

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.

M. Robert Tropeano. Monsieur le ministre, vous avez évoqué dans votre réponse la concertation que les élus ont pu engager avec les associations sportives et culturelles, ainsi qu’avec les parents d’élèves et les enseignants.

Or j’ai réussi à établir ce dialogue dans ma commune de Saint-Chinian, et je dois dire que tout s’est très bien passé. Les parents d’élèves et les associations sont prêts à nous aider afin que cette modification des rythmes scolaires puisse intervenir en 2013, sans attendre 2014.

En effet, si cette réforme est exigeante dans ses ambitions, sa mise en œuvre doit l’être également. Nous nous attacherons donc à ce qu’elle réussisse, avec l’aide de l’ensemble des associations, des parents d’élèves et des enseignants !

proposition d’interdire de fumer en voiture

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, auteur de la question n° 305, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au travers de cette intervention je soutiens l’idée d’une interdiction de fumer en voiture en présence d’enfants mineurs.

Rappelons que le tabagisme fait aujourd’hui plus de cinq millions de victimes par an dans le monde : toutes les six secondes, une personne meurt du tabac. En France, il tue chaque année plus de 60 000 personnes, soit autant que l’alcool, les accidents de la route, le sida, les suicides, homicides et drogues illicites réunis – ce chiffre est effrayant !

La législation a déjà bien évolué, pour mieux protéger les mineurs, cible particulièrement sensible de la lutte anti-tabac. La loi du 31 juillet 2003 a mis plus particulièrement l’accent sur la protection des mineurs : elle interdit la vente de tabac aux jeunes de moins de seize ans, ainsi que la vente de paquets de moins de vingt cigarettes, qui étaient plus facilement achetés par les mineurs ; elle prévoit aussi, dans le cadre de l’éducation à la santé, une sensibilisation obligatoire au risque tabagique dans les classes de l’enseignement primaire et secondaire. Autant de bonnes mesures !

Madame la ministre, je vous suggère aujourd’hui d’aller plus loin. En effet, dans la lutte contre le tabac, si l’on veut assurer efficacement la protection des mineurs, le véritable problème est la lutte contre le tabagisme passif auquel ceux-ci sont particulièrement exposés.

Les mesures de lutte contre le tabagisme visent notamment à protéger les non-fumeurs contre les risques liés à l’exposition à la fumée de tabac. Cette dernière est très dangereuse, dans la mesure où il n’existe pas de seuil minimal d’exposition sans risque pour la santé, car il n’est pas nécessaire d’être exposé des années pour en subir les conséquences. Au bout de quelques minutes, et même à partir d’une faible exposition, le tabagisme passif représente un réel danger.

C’est pourquoi, dans le cadre d’une politique globale de prévention du tabagisme, l’exposition des mineurs au tabac, dans des endroits clos, tels que les voitures, nécessite une vigilance accrue.

Dans le monde, plusieurs États ont déjà franchi le pas de l’interdiction de fumer en voiture en présence d’enfants mineurs. En Europe, une réflexion sur ce sujet est menée depuis plusieurs mois par l’Irlande, le Royaume-Uni ou encore l’Allemagne. La Grèce a mis en œuvre cette interdiction depuis décembre 2010. Un rapport allant dans le même sens a également été approuvé par le Parlement européen en 2007.

Je souhaiterais donc, madame la ministre, que vous m’indiquiez l’état d’avancement des réflexions de votre ministère sur l’interdiction de fumer dans les voitures en présence d’enfants mineurs. Je pense en effet qu’une telle mesure de santé publique serait salutaire.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Marisol Touraine, la ministre des affaires sociales et de la santé, qui est retenue par d’autres obligations. Votre question porte sur l’interdiction éventuelle de fumer en voiture.

Vous avez rappelé, à juste raison, que le tabagisme était la première cause de mortalité évitable en France ; il entraîne le décès de 73 000 de nos concitoyens chaque année. Le tabagisme passif, celui du fœtus au cours de la grossesse ou celui des personnes côtoyant des fumeurs actifs, est source de morbidité et de mortalité dans des proportions importantes. Il augmente de manière significative les risques de cancer du poumon et de cardiopathie ischémique chez les adultes, de mort subite du nouveau-né et d’infection pulmonaire, d’asthme et d’otites chez les enfants. Chaque année, plus de mille décès sont attribués au tabagisme passif. Sa diminution doit donc rester une priorité.

Le décret du 15 novembre 2006 a sensiblement renforcé l’interdiction de fumer dans les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail, les moyens de transport collectif et les espaces non couverts des écoles, collèges et lycées publics et privés, ainsi que des établissements destinés à l’accueil, à la formation ou à l’hébergement des mineurs. Cette mesure a entraîné un changement majeur de l’exposition passive au tabac en France, en particulier dans les lieux de loisirs et de travail. Toutefois, des améliorations restent possibles.

La protection des mineurs, et plus particulièrement des plus jeunes, contre le tabagisme passif doit être une priorité. D’une part, elle contribue à réduire les pathologies induites par l’exposition au tabac ; d’autre part, elle doit contribuer à rendre le tabac moins attractif pour les plus jeunes générations, en quelque sorte à le « dé-normaliser ».

L’article 8 de la convention-cadre de lutte antitabac de l’Organisation mondiale de la santé et la recommandation du Conseil de l’Union européenne du 30 novembre 2009 relative aux environnements sans tabac suggèrent d’élaborer ou de renforcer des stratégies et des mesures visant à réduire l’exposition des enfants et des adolescents à la fumée de tabac secondaire.

Vous proposez de réfléchir à l’interdiction de fumer dans les voitures en présence d’un enfant mineur. Si cette solution est intéressante, elle peut se heurter au statut privé du véhicule, ce qui ferait douter de la faisabilité d’une telle mesure. D’autres pistes de réflexion doivent être explorées, et nous pensons, en particulier, à l’extension de l’interdiction de fumer dans tous les lieux collectifs où sont présents des mineurs, tels que les parcs publics, les jardins d’enfants et les plages.

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, mais je tiens à souligner que la protection de l’enfance ne s’arrête pas à la porte du domicile privé ! Elle doit être garantie partout sur l’ensemble du territoire, que les lieux concernés soient publics ou privés. Je souhaitais donc savoir s’il était envisagé d’interdire de fumer en voiture, notamment dans l’intérêt de la protection des enfants.

Dans ma prime jeunesse, j’ai appris que ma liberté s’arrêtait là ou commençait celle des autres. Tel doit précisément être l’objet de notre préoccupation : les enfants ne peuvent pas se défendre directement et il appartient aux adultes de les protéger. J’insiste donc pour que votre ministère s’empare de ce dossier, dans le cadre de la protection de l’enfance, madame la ministre, afin de préserver effectivement la santé de nos enfants.

projet de décret relatif à la gestion de la qualité des baignades artificielles

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, auteur de la question n° 331, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai souhaité attirer l’attention de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé sur la teneur du projet de décret relatif à la gestion de la qualité des baignades artificielles.

Ce projet de décret ajoute, dans le chapitre II du titre III du livre III de la première partie du code de la santé publique, une section 4 portant sur les règles sanitaires applicables aux baignades artificielles.

Afin d’éviter le confinement et la stagnation de la masse d’eau et d’assurer une hydraulique satisfaisante, le projet de texte prévoit, dans l’article D. 1332-50 portant sur les baignades artificielles en système ouvert, l’exigence de « renouveler la totalité du volume de la zone de baignade en moins de douze heures au moins pendant la période d’ouverture au public, ce renouvellement étant permanent, et assuré par un apport d’eau neuve ».

Si le bien-fondé de cette nouvelle réglementation, qui apportera une amélioration de la sécurité sanitaire des baigneurs, n’est pas contestable, il est en revanche possible d’émettre quelques réserves sur la faisabilité du comptage des baigneurs, qui vise à limiter le nombre de ces derniers.

Le plus grave est que les baignades aménagées « maritimes », dont l’alimentation est soumise à un régime de marées macrotidales, sont dans l’impossibilité – j’y insiste – de respecter les prescriptions sur le renouvellement en « eau neuve » relatives à un système ouvert.

En effet, ces bassins, en raison de l’éloignement de la ressource en eau à marée basse, n’assurent l’apport en eau de mer qu’en période de marée haute. Cette contrainte n’est pas toujours compatible avec la période d’ouverture au public et elle est difficilement réalisable en moins de douze heures. En l’état, l’application de cette nouvelle réglementation reviendrait à condamner l’existence des baignades artificielles dites « à marées ».

En conséquence, dans le respect de cette volonté d’assurer le meilleur niveau de sécurité, il serait souhaitable de nuancer cette contrainte, en substituant un objectif de résultat à l’actuelle obligation de moyens. Cette disposition pourrait alors ouvrir aux baignades aménagées « maritimes » dont l’alimentation est soumise à un régime de marées macrotidales la possibilité de trouver des solutions compatibles avec leur spécificité.

Dans ces circonstances, je souhaiterais connaître la position du Gouvernement sur cette approche. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, si ce projet de décret restera en l’état et quand il sera promulgué ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Madame la sénatrice, vous interrogez la ministre des affaires sociales et de la santé sur la teneur du projet de décret relatif à la gestion de la qualité des eaux de baignades artificielles. Votre question porte, notamment, sur le renouvellement de la totalité du volume des zones de baignade artificielles maritimes par un apport d’eau neuve. Ces zones de baignade, dites « à marée », sont en effet soumises au régime des marées.

Cette question fait ressortir deux enjeux importants : d’une part, il faut assurer à nos concitoyens l’accès à des lieux de loisirs tels que les baignades artificielles, et, d’autre part, il convient de répondre à des impératifs de sécurité sanitaire face aux risques identifiés pour les baignades artificielles.

Les baignades artificielles recevant du public ne correspondent ni à la définition d’une eau de baignade dite « naturelle » ni à celle qui est fixée pour une piscine par le code de la santé publique. Les règles techniques relatives aux eaux de baignades naturelles et celles qui sont relatives aux piscines ne s’appliquent donc pas à ce type d’installation.

Les ministères chargés de la santé et de l’écologie ont saisi l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail pour évaluer les risques sanitaires associés à ce type de baignades artificielles et définir les prescriptions techniques assurant la sécurité sanitaire des baigneurs.

L’expertise collective intitulée « Évaluation des risques sanitaires liés aux baignades artificielles », publiée en 2009, a identifié divers dangers sanitaires qui peuvent être préoccupants pour les baigneurs, si aucune mesure n’est mise en œuvre. Il en va ainsi des risques infectieux liés à la présence de micro-organismes apportés par les baigneurs et des risques liés à l’environnement, tels qu’une prolifération de micro-algues et de cyanobactéries, une contamination chimique ou des eaux souillées par l’intrusion d’animaux.

Sur la base du rapport, un projet de décret, dont vous soulignez le bien-fondé pour améliorer la sécurité sanitaire des baigneurs, a été élaboré par les services du ministère des affaires sociales et de la santé. L’exigence de renouvellement de la totalité du volume de la zone de baignade en moins de douze heures, pendant la période d’ouverture au public, figure dans le projet de texte soumis à consultation.

Compte tenu des contraintes liées au mode d’approvisionnement en eau de certaines baignades artificielles en façade maritime, les services du ministère modifieront le projet de décret afin de prévoir un système de dérogation pour le renouvellement de l’eau des bassins à marée, sous réserve du respect des limites de qualité de l’eau fixées dans le projet de texte.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je vous remercie de votre réponse très encourageante pour les collectivités locales, madame la ministre.

Nous comprenons tous qu’il faille respecter les exigences de sécurité en matière de santé. Toutefois, tel qu’il a été porté à notre connaissance, ce projet de décret est extrêmement contraignant.

Le bassin d’Arcachon comprend trois bassins de cette nature et ma ville envisage également d’en créer un. En ce qui me concerne, puisque je n’ai pas encore eu à définir les conditions de réalisation de ce bassin, je suis en mesure de prendre en compte les nouvelles contraintes. Il n’en reste pas moins que je m’intéresse aussi aux trois autres bassins qui, en l’état actuel du texte, seraient condamnés. En effet, respecter le niveau d’exigence que j’ai rappelé tout à l’heure suppose un travail de mise aux normes que les collectivités locales ne sont pas en mesure d’assumer.

Je peux vous parler de cette question en connaissance de cause, parce que j’ai demandé à un bureau d’études de réfléchir aux aménagements rendus nécessaires par cette nouvelle norme. Il ressort de ces travaux que, pour appliquer ce texte, il faudrait non pas un seul bassin, mais au moins deux : un véritable bassin de baignade et un bassin en alimentation d’eau, proche du premier !

Or, dans certains endroits, c’est absolument impossible. En ce qui concerne mon territoire, je sais pouvoir le faire, même si je n’ai pas encore choisi exactement le lieu ; je poursuis d'ailleurs ma réflexion avec les services de l’État, dans le cadre d’un comité de pilotage. Toutefois, les bassins de baignade qui existent aujourd’hui sont absolument incompatibles avec la nouvelle réglementation. Et je vous remercie, madame la ministre, de nous avoir ouvert, dans votre réponse, la porte de l’espérance.

Faute d’inflexion, en effet, il va falloir choisir : soit on cesse de demander aux collectivités ce type de dépenses inconsidérées, soit on prive les familles – nous sommes ici au cœur de votre compétence, madame la ministre, et je vous sais très attachée à ce sujet – et les enfants de bassins de baignades artificielles sur le littoral.

N’exagérons rien : il n'y a ni des morts ni des malades en nombre à déplorer dans ces bassins de baignade ! La presse n’en a pas encore parlé. Croyez-moi, s’il y avait eu le moindre problème à ce sujet, les médias s’en seraient emparés ! Il ne faut donc rien exagérer.

Pour ma part, je suis d’accord pour que l’on améliore encore les normes en matière de sécurité, mais il ne faut pas en demander trop aux collectivités, que la diminution des subventions et dotations met déjà aujourd'hui en difficulté.

avenir de la plate-forme de services de la cpam à saint-pol-sur-ternoise

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Leroy, auteur de la question n° 334, adressée à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille.

M. Jean-Claude Leroy. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé. Elle porte sur l’avenir de la plate-forme de services de la caisse primaire d’assurance maladie, la CPAM, située à Saint-Pol-sur-Ternoise, dans le Pas-de-Calais.

Cette plate-forme téléphonique, inaugurée en février 2004, est à la disposition de l’ensemble des assurés du département, soit 1,5 million de personnes.

Pensé comme un atout de développement de la qualité du service auprès de l’assuré, le système de plate-forme de services saint-polois occupe une position majeure. Lors de la mise en place de ce dispositif, celui qui était alors le président de la CPAM d’Arras indiquait, d’ailleurs, que le site de Saint-Pol revêtait un enjeu important en raison de sa situation centrale dans le département et de la qualité du service rendu à l’assuré.

Pourtant, un projet de départ de cette plate-forme de Saint-Pol et le transfert de cette activité sur le site arrageois ont été annoncés ; ce transfert est prévu pour le dernier trimestre de cette année.

Selon le directeur de la CPAM de l’Artois, cette décision serait motivée par le fait que la plate-forme de services du Pas-de-Calais ne répondrait plus aux contraintes de l’assurance maladie, notamment en termes de distance par rapport aux sites principaux.

Autrement dit, le transfert du site ternésien serait motivé par son éloignement des sites principaux d’Arras et de Lens, ce qui semble contradictoire avec les propos tenus il y a dix ans, lors de l’installation du site.

Ce projet suscite, vous vous en doutez, de nombreuses inquiétudes chez les élus locaux et les différents acteurs du territoire. La plate-forme de Saint-Pol emploie actuellement une cinquantaine de salariés, dont la majorité habite dans le territoire saint-polois. Si ce projet devait se concrétiser, la durée du trajet entre le domicile et le travail de ce personnel s’en trouverait obligatoirement allongée dans des proportions considérables.

Par ailleurs, la disparition de cette activité à Saint-Pol constituerait un nouveau coup porté à ce territoire rural déjà touché par la suppression de certains services administratifs ; il a notamment été confronté au départ de la direction départementale de l’équipement, la DDE, de l’antenne de la préfecture, ainsi qu’à la fermeture du tribunal d’instance.

Cette décision, qui pénalise un secteur rural, va ainsi à l’encontre des politiques d’aménagement du territoire. On constate qu’il y a malheureusement toujours un fossé entre les discours et la réalité des faits. Aménager un territoire, c’est assurer le maillage de ce territoire.

Or, aujourd’hui, quoi qu’on en dise, on concentre les activités au moment où les nouvelles technologies permettent de mieux les diffuser sur les territoires et, surtout, de les mettre en réseaux. C’est cela une authentique politique d’aménagement du territoire !

Aussi, je souhaiterais, madame la ministre, que vous nous fassiez connaître les actions que compte entreprendre votre ministère afin de maintenir la plate-forme de la CPAM à Saint-Pol-sur-Ternoise.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le sénateur, vous interrogez la ministre des affaires sociales et de la santé sur l’avenir de la plate-forme de services de la caisse primaire d’assurance maladie à Saint-Pol-sur-Ternoise, dans le Pas-de-Calais.

Le service de réponse téléphonique aux assurés de la CPAM de l’Artois est organisé sur deux sites : Saint-Pol-sur-Ternoise et Arras. Le conseil de la CPAM a délibéré en faveur du transfert de la plate-forme téléphonique de Saint-Pol vers Arras, qui est prévu pour le dernier trimestre de l’année 2013.

Cette évolution vise à permettre le maintien de la qualité de services aux assurés, ainsi qu’à répondre aux problèmes rencontrés sur le site de Saint-Pol en termes de conditions de travail.

En effet, l’augmentation du nombre de télé-conseillers, qui résulte de l’augmentation du nombre d’appels téléphoniques et de la prise en charge par les plates-formes des réponses aux courriels des assurés, a conduit à des difficultés sur le site de Saint-Pol. Ce transfert permettra aux salariés de la plate-forme de Saint-Pol de revenir à un espace par agent et à un niveau sonore conformes aux objectifs de la caisse.

Par ailleurs, compte tenu de la disponibilité de l’espace nécessaire sur le site d’Arras, ce transfert contribuera à une meilleure mobilisation de l’immobilier de la caisse.

En termes de temps de transport, une analyse a été réalisée par la CPAM afin d’évaluer l’impact sur les salariés de la plate-forme. Le site de Saint-Pol comprend aujourd’hui 56 agents et cadres. Il apparaît que seuls 25 % d’entre eux résident dans le canton de Saint-Pol, les trois quarts vivant en dehors de ce dernier, sur l’ensemble du territoire de l’Artois. Des mesures d’accompagnement de cette mobilité seront définies en concertation avec les représentants du personnel.

Ce changement de localisation ne remet pas en cause la présence de la CPAM de l’Artois auprès des assurés de Saint-Pol-sur-Ternoise. Un lieu d’accueil doit, en effet, être maintenu sur le territoire de la commune, en lien entre la CPAM de l’Artois et la municipalité.

Enfin, les locaux libérés par la CPAM ont d’ores et déjà fait l’objet d’une offre de reprise, ce qui témoigne de projets d’activités économiques sur le territoire de la commune.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Leroy.

M. Jean-Claude Leroy. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Je persiste néanmoins à déplorer cette décision, car elle concerne une plate-forme dont le degré avancé de déconcentration constituait, à mon sens, un véritable signal adressé il y a dix ans en termes d’aménagement du territoire. On ne peut que regretter qu’un territoire rural soit, une fois de plus, la victime de cette politique de concentration, qui ne se justifie pas au moment où se développent les nouvelles technologies, comme le télétravail.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, dans l’attente de l’arrivée de Mme la garde des sceaux.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures vingt, est reprise à onze heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

pôle judiciaire spécialisé compétent pour les crimes contre l’humanté

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, auteur de la question n° 338, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Yves Détraigne. Madame la garde des sceaux, je souhaite vous interroger sur le pôle judiciaire spécialisé compétent pour les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, créé au sein du tribunal de grande instance de Paris à la suite de l’adoption de la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles.

À l’époque des discussions autour de cette création, la commission des lois du Sénat avait, de manière tout à fait légitime, me semble-t-il, émis le souhait que ce nouveau pôle permette à la justice française de traiter avec la plus grande efficacité les dossiers relatifs à ce type de crimes et demandé aux ministères de la justice et de l’intérieur que lui soient attribués des moyens suffisants pour agir efficacement, qu’il s’agisse des effectifs de magistrats et d’enquêteurs ou des moyens matériels indispensables pour mener les enquêtes dans les pays où ces crimes ont été commis.

Plus d’un an après l’adoption et la promulgation de cette loi, les associations qui militent pour que les responsables de ces crimes, notamment ceux qui ont été perpétrés au Rwanda en 1994, soient déférés devant la justice, regrettent que la situation n’ait pas évolué et que les magistrats chargés d’intervenir et de poursuivre les auteurs de ces crimes manquent de moyens et de temps.

Je souhaite donc que vous nous indiquiez, madame la ministre, ce qui a été fait pour la mise en place de ce pôle, mais également ce que vous entendez faire pour qu’il trouve sa pleine efficacité et pour que les magistrats qui lui sont affectés puissent agir avec toute l’efficacité requise. Il y va, me semble-t-il, de la crédibilité de l’État français auprès des victimes de ces crimes et de leurs familles.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, il faudra que je m’habitue à la célérité du Sénat ; l’expérience montre qu’il prend souvent de l’avance lors des séances consacrées aux questions orales... (Sourires.)

Je vous remercie pour votre question, monsieur le sénateur, car elle renvoie à un sujet d’une extrême importance, et qui est cher au Sénat. Lors d’un débat récent organisé sur l’initiative du président de la commission des lois, M. Jean-Pierre Sueur, votre assemblée a en effet examiné et adopté sa proposition de loi visant à élargir la compétence territoriale des tribunaux français pour leur permettre de poursuivre et de juger des auteurs de génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis à l’étranger.

Vous savez, monsieur Détraigne, pour suivre ces travaux de près, que ladite proposition de loi visait à faire sauter quatre verrous limitant, dans le cadre du statut de la Cour pénale internationale, la compétence des juridictions françaises, et plus particulièrement trois d’entre eux : l’exigence de résidence habituelle sur le territoire français, la double incrimination, l’inversion du principe de complémentarité entre les juridictions nationales et la Cour pénale internationale.

Ces trois verrous ont été levés. Reste le quatrième : le monopole pour engager l’action publique dont dispose le ministère public qui, rappelons-le, peut toutefois être saisi par tout citoyen.

La compétence française était déjà établie par la loi du 9 août 2010. La loi du 13 décembre 2011, que vous avez citée, a créé un pôle judiciaire spécialisé en matière de crimes contre l’humanité, génocides, crimes et délits de guerre, mis en place le 1er janvier 2012 au sein du tribunal de grande instance de Paris.

Actuellement, quelque 33 procédures d’instruction sont suivies par le pôle spécialisé, dont 27 concernent le génocide commis au Rwanda en 1994. Enfin, s’ajoutent à ces procédures 9 enquêtes préliminaires concernant d’autres pays et confiées à la section de recherche de Paris.

Les procédures suivies pour crimes contre l’humanité et génocides commis à l’étranger, complexes et volumineuses, nécessitent du temps, ainsi que des effectifs et des moyens importants. Par exemple, les demandes d’entraide adressées au Rwanda imposent des déplacements d’une quinzaine de jours en moyenne, requérant une semaine de préparation.

Vous avez raison, monsieur le sénateur, il convient de veiller au niveau des effectifs et des moyens afin de garantir l’opérationnalité du pôle spécialisé.

Ce pôle, initialement composé d’un magistrat du parquet et d’un juge d’instruction, nous l’avons renforcé. Il comprend désormais deux magistrats du parquet, trois magistrats instructeurs, quatre assistants spécialisés issus des juridictions pénales internationales, dont un sociologue, étant précisé que deux autres assistants spécialisés devraient être recrutés au cours de l’année 2013.

Je vous propose que nous procédions à une évaluation de l’application de la proposition de loi de M. Jean-Pierre Sueur d’ici à la fin de l’année. Nous verrons bien si, en l’absence des trois verrous que je viens de citer, une masse de procédures vient s’ajouter, ou non, aux 33 informations judiciaires et aux 9 enquêtes préliminaires en cours.

Connaissant votre intérêt de longue date pour ces questions et votre compétence en la matière, je vous invite, monsieur le sénateur, à participer à cette évaluation.

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Je vous remercie de ces précisions, madame la ministre.

Il ne vous a pas échappé que les événements du Rwanda se sont produits il y a près de vingt ans. Or plus le temps passe et plus les familles et les associations, souvent créées par des parents de victimes, désespèrent de connaître la vérité et de voir sanctionnés les responsables de ces crimes, qui continuent à vivre en toute impunité.

Vous l’avez dit, vous êtes consciente de la nécessité de renforcer les moyens de ce pôle. Il faut également veiller, me semble-t-il, à ce que les moyens qu’on lui affectera soient spécialement dédiés à ses missions. J’ai en effet entendu dire que certains des magistrats chargés de ces questions n’étaient pas entièrement déchargés de leurs autres dossiers, que je qualifierai de « métropolitains ».

Il est donc important, non seulement de mener à bien cette évaluation, mais aussi de donner à ce pôle les moyens de réussir et ainsi, parce que la justice française aura fait ce qu’elle devait faire, d’apaiser les familles.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à onze heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

maintien des services de l'état dans les territoires

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, auteur de la question n° 242, adressée à Mme la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.

M. Alain Fouché. Madame la ministre, ma question concerne la présence de l’État et des services publics dans nos territoires.

Je précise pour commencer que j’ai toujours défendu les services publics en milieu rural, quels que soient les projets des différents gouvernements. Ainsi, je n’ai pas soutenu le gouvernement qui avait décidé de supprimer des tribunaux d’instance ou encore des classes dans les écoles. Je suis donc très à l’aise pour intervenir aujourd'hui.

Voilà quelques mois, le nouveau pouvoir a formulé des promesses sur le maintien des services publics. Malgré tout, nous nous trouvons dans une situation d’indécision, qui préoccupe tous les élus. La présence de l’État dans les territoires ruraux semble menacée. Je pense en particulier à l’avenir des sous-préfectures, à propos duquel j’ai lu, dans le journal Le Monde daté du 19 mars dernier, un article qui m’a rendu très inquiet.

Par exemple, en ce moment, dans mon département de la Vienne, les sous-préfectures de Montmorillon et de Châtellerault subissent une restructuration, voire un rabotage de leurs missions.

La sous-préfecture de Montmorillon vient d’être dépossédée de ses services dédiés au permis de conduire – commissions médicales, rétention de permis… –, sans concertation naturellement. Selon ce qui m’a été indiqué à la préfecture de région, il est même envisagé de lui retirer des compétences dans le domaine de la pêche. Toutes ces missions font l’objet d’une recentralisation au niveau de la préfecture.

Ce faisant, on fragilise un peu plus les territoires, et je crains que l’on ne revienne sans le dire à une logique comptable comparable à la révision générale des politiques publiques, la RGPP.

Madame la ministre, l’intérêt des sous-préfectures n’est plus à prouver : bien souvent, elles sont le dernier lieu de contact entre l’État, les élus et les citoyens.

Dès lors, quel est l’intérêt de tout recentraliser à l'échelon des préfectures et des capitales départementales ? D'ailleurs, je rappelle que c’est exactement la même logique qui a inspiré la réforme des tribunaux d’instance, que l’opposition d’alors avait critiquée… Je me souviens même que l’actuel Président de la République avait quitté la préfecture, où la ministre s’était déplacée pour évoquer cette question ! Du reste, je note que ces tribunaux n’ont toujours pas été rétablis.

Ne serait-il pas préférable de déconcentrer certaines missions essentielles pour le fonctionnement de la ruralité ? A-t-on oublié le rapport Patriat sur les sous-préfectures ?

Les élus ruraux, inquiets de la réforme des cantons, ont un sentiment d’abandon. Cette situation est difficilement acceptable pour des populations touchées par des difficultés importantes.

Madame la ministre, je sais l’intérêt que vous portez à la ruralité. Pouvez-vous rassurer les personnels, les élus et les habitants qui s’inquiètent et nous dire quels sont les projets du Gouvernement pour les sous-préfectures ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question.

Vous mettez l’accent sur un point qui continue de préoccuper tous les membres du Gouvernement, en particulier s’agissant des zones rurales. Comme vous, j’ai le sentiment que ces dernières se sentent abandonnées et ont l’impression d’être victimes une certaine indécision.

Au problème que vous évoquez, le Gouvernement essaie d’apporter deux types de solutions. Les premières concernent les sous-préfectures ; les secondes, les services publics de façon plus générale.

S’agissant des sous-préfectures, elles constituent un échelon indispensable : c’est un lieu de solidarité et de cohésion sociale. Nous sommes tous d’accord sur ce point.

C'est la raison pour laquelle le ministre de l’intérieur – au nom duquel je réponds sur ce point, les sous-préfets relevant de son autorité – a mis en place une commission d’évaluation qui, de façon tout à fait impartiale, s’est déplacée dans nos sous-préfectures pour se rendre compte des missions qui sont aujourd'hui les leurs et des améliorations devant être apportées aux conditions de travail de leurs agents.

Bien évidemment, il n’est pas question aujourd'hui de revenir à un dispositif « à la mode RGPP ». Il est question de mettre en place des structures qui répondent aux attentes de nos citoyens et leur apportent les meilleures réponses possibles.

Ce travail d’évaluation est en cours. Après restitution, il sera soumis aux élus pour négociation, conformément à la méthode du Gouvernement, qui privilégie l’écoute et la concertation.

Je peux vous assurer qu’il ne s’agit en rien de recentraliser pour recentraliser, à l'échelon régional. Notre volonté est d’apporter un meilleur service, tout en maîtrisant les dépenses.

S’agissant plus globalement de la réflexion sur les services que l’on doit aux citoyens et de la réforme de l’action publique, elles relèvent d’un domaine partagé entre le ministre de l’intérieur, M. Manuel Valls, et la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, Mme Marylise Lebranchu. Elles relèvent également de la compétence de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. Ensemble, nous essayons d’étudier les modalités les plus à même d’apporter des services cohérents répondant aux besoins de nos concitoyens sur l’ensemble du territoire.

Monsieur le sénateur, soyez assuré que nous recherchons des solutions efficaces et durables et que nous mettons tout en œuvre pour que le meilleur service soit rendu aux concitoyens sur nos territoires fragilisés.

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Oui, dans les territoires ruraux, nous sommes inquiets. Quand nous voyons que d’autres services, comme les gendarmeries ou les perceptions, disparaissent, nous avons l’impression que les suppressions continuent de plus belle.

J’ai pris bonne note de l’évaluation en cours. Je souhaite que la concertation que vous avez évoquée ait lieu, que l’on tienne bien compte des facteurs spécifiques de la ruralité et que l’on ne supprime pas les sous-préfectures, qui jouent un rôle majeur dans le dispositif français.

bilan 2012 de la délinquance dans la drôme et mesures destinées à endiguer ce phénomène inédit en zone rurale

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, auteur de la question n° 346, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Didier Guillaume. Madame la ministre, j’ai souhaité interpeller le ministre de l’intérieur à propos d’un problème qui inquiète un grand nombre d’élus locaux, notamment les maires, ainsi que, sans doute, une grande partie des parlementaires de la Haute Assemblée : les chiffres de la délinquance en zone gendarmerie pour 2012.

Le 18 janvier 2013, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales a présenté le bilan annuel de la délinquance enregistrée par la police et la gendarmerie. Pour la première fois, les chiffres de la police et de la gendarmerie ont été présentés séparément, ce qui a permis de constater une hausse de certains indicateurs en zone gendarmerie, c’est-à-dire dans les territoires périurbains et ruraux. Ainsi, une augmentation globale des cambriolages et des atteintes aux personnes a pu être mise en évidence dans ces zones.

Dans mon département de la Drôme, les actes de délinquance ont stagné en 2012, sur l’ensemble du territoire. On peut s’en réjouir, et je tiens d'ailleurs à saluer ici l’ensemble des forces de l’ordre, de la police comme de la gendarmerie, qui accomplissent un travail remarquable.

Cependant, si l’on examine dans le détail les relevés des services de l’État, certains indicateurs semblent beaucoup plus préoccupants. Ainsi, pour l’année 2012, les atteintes volontaires à l’intégrité physique ont progressé de 18,24 % en zone gendarmerie, contre 2,5 % en zone police. Les violences à dépositaire de l’autorité publique ont quant à elles connu une hausse de 5,41 %, alors que, en zone police, leur nombre restait stable. Si l’on descend encore plus dans le détail, les statistiques nous révèlent une hausse des cambriolages dans les communes proches de l’autoroute A7.

Ces chiffres bruts nous enjoignent de nous interroger sur la réalité des faits. Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser si ces hausses révèlent un phénomène de fond, l’apparition d’une nouvelle forme de délinquance, ou si, au contraire, ces augmentations proviennent de la mise en place d’un nouvel outil statistique de récolement des faits de délinquance en France ?

Vous le savez, je partage l’analyse de Manuel Valls sur la nécessaire modernisation de l’organisation territoriale des services de sécurité. De la même façon, nous pouvons nous accorder sur le bien-fondé des renforts apportés aux territoires les plus touchés par la création des zones prioritaires de sécurité.

Toutefois, cette réorganisation ne peut se faire au détriment des zones rurales. Nous ne devons pas sous-estimer l’intelligence des délinquants, qui savent qu’il vaut mieux commettre un méfait dans un endroit paisible que sous une caméra de vidéosurveillance.

Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur l’interprétation qu’il convient de faire des chiffres de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ? Dans l’hypothèse où ils traduiraient l’apparition d’un nouveau phénomène, pouvez-vous nous préciser les mesures qui seront mises en place pour endiguer celui-ci ?

Je le répète, les petites communes de notre territoire sont inquiètes !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, votre question fait écho à celle à laquelle je viens de répondre, s'agissant de nos zones rurales.

Je vous prie d’excuser l’absence du ministre de l’intérieur, auditionné en ce moment même par la mission d’information de l’Assemblée nationale relative à la mesure statistique des délinquances et de leurs conséquences. M. Manuel Valls m’a chargée de vous communiquer sa réponse, qui, je l’espère, vous rassurera.

À titre liminaire, je reviendrai sur les chiffres nationaux de la délinquance, pour insister sur le travail approfondi mené en commun par le ministère de l’intérieur et l’Office national de la délinquance et des réponses pénales. Cette collaboration a permis d’aboutir, en 2013, à la rénovation des indicateurs, désormais plus pertinents et de nature à permettre un réel suivi de l’efficacité des services. Il était grandement nécessaire de réviser ces instruments, qui ne traduisaient pas la réalité vécue sur les territoires.

S’agissant en particulier de votre département de la Drôme, sur lequel vous avez interrogé le ministre de l’intérieur, la comparaison des années 2011 et 2012 fait apparaître une hausse des atteintes aux biens limitée à 0,8 %, représentant soixante-douze faits supplémentaires, dont six cambriolages. J’entends bien que le nombre de faits ne paraît pas important. Néanmoins, il représente une véritable augmentation.

L’action conduite localement par la gendarmerie pour lutter contre la délinquance repose sur une étude préalable de la géographie et de la typologie des faits constatés. Répressifs et préventifs, les dispositifs retenus visent à dissuader les malfaiteurs d’agir en toute impunité dans les zones concernées. En particulier, des opérations de contrôle des territoires et des axes de communication sont régulièrement menées. À ce sujet, vous avez justement évoqué les accès par l’autoroute.

En partenariat avec de nombreux autres acteurs, au premier rang desquels se trouvent les maires, des actions de prévention ont été développées. Il s’agit des opérations « tranquillité vacances », « tranquillité seniors » et du dispositif « participation citoyenne », très important dans certaines communes drômoises. Avec l’appui des spécialistes « référents sûreté » de la gendarmerie, les élus peuvent explorer de nouvelles modalités de sécurisation de leurs territoires, avec la prévention technique de la malveillance ou la mise en place de systèmes de vidéosurveillance.

Des directives ont également été diffusées aux enquêteurs pour mieux orienter leurs actes d’investigation : systématisation des opérations de police technique et scientifique, enquêtes de voisinage, renforcement de la surveillance des sites de revente d’occasion, réalisation de cartographies partagées… Autant de modes d’action qui ont dynamisé la lutte contre les cambriolages, en contribuant à la résolution d’affaires de façon significative. Les cellules anti-cambriolages ont complété le dispositif de lutte contre ce délit, en permettant des échanges plus fréquents et plus nourris entre les enquêteurs de la gendarmerie et de la police.

Sur la période 2011-2012, cette adaptation des modes opératoires dans la Drôme a également porté ses fruits sur d’autres phénomènes délictuels. Elle s’est traduite par une augmentation de 1,4 % des infractions relevées par l’action des services et par la progression de 31,9 % du taux de résolution en matière d’atteinte volontaire à l’intégrité de la personne, soit tout de même 268 auteurs supplémentaires interpellés.

Par ailleurs, le ministre de l’intérieur fait observer que la population augmente plus rapidement dans la Drôme que dans les autres départements de la région Rhône-Alpes. Cette hausse est constatée sur l’ensemble des cantons et concerne 84 % des communes, pour l’essentiel celles qui se trouvent dans les espaces ruraux, ce qui n’est pas sans conséquence sur le nombre de faits constatés dans les zones placées sous la responsabilité de la gendarmerie. On le voit, l’évolution des statistiques résulte d’une accumulation de phénomènes.

Soucieuse d’adapter son dispositif territorial aux évolutions de la délinquance, et malgré un contexte budgétaire particulièrement contraint, la gendarmerie nationale conduit dans la Drôme une réflexion sur différentes opérations de réorganisation qui permettraient de mieux appréhender les particularités de la délinquance locale.

Monsieur le sénateur, telle est la réponse que le ministre de l’intérieur m’a chargée d’apporter à la question que vous avez posée, qui, il est vrai, mérite une attention particulière.

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse très intéressante, que vous m’avez apportée au nom du ministre de l’intérieur.

Toutefois, je veux insister sur un phénomène qui se développe aujourd'hui : celui de la délinquance en zone rurale, qui, évidemment, est sans commune mesure avec ce qui peut exister dans la vallée du Rhône ou en ville, mais dont il faut se préoccuper avant que les choses ne dégénèrent.

Aujourd'hui, la prévention, la collaboration avec les villes ou encore la présence de caméras de vidéosurveillance font qu’il est plus compliqué de commettre des méfaits en zone urbaine, ce qui incite les délinquants à aller un peu plus loin, en zone rurale, là où c’est plus facile.

Je soutiens évidemment la politique du Gouvernement. Le ministre de l’intérieur conduit une authentique politique de sécurité, au service des citoyens. Je voulais simplement attirer l’attention sur l’avenir des zones rurales, qui paraissent aujourd'hui un peu plus protégées que les autres, même si ce n’est pas toujours vrai, afin qu’elles ne soient pas, demain, handicapées par des transferts d’effectifs.

Je ferai partie de ceux qui, dans le département, accompagneront l’évolution de l’organisation des services de sécurité, parce qu’ils sont indispensables. Toutefois, prenons garde à ne pas nous tromper de prisme, au risque, demain, de ne pas avoir vu la délinquance se déplacer.

Enfin, je veux saluer de nouveau les forces de l’ordre – police et gendarmerie – qui, partout en France et en particulier dans la Drôme, accomplissent un travail remarquable.

avenir des activités sociales et de santé

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, auteur de la question n° 323, transmise à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Antoine Vitez a dit : « Une mise en scène n'est jamais neutre. Toujours, il s'agit d'un choix ».

En ces temps difficiles, notre choix doit être celui de la solidarité, pour développer les activités sociales et de santé et continuer la lutte contre les inégalités. Ce sujet peut paraître secondaire alors que des millions de nos concitoyens n'ont plus d'emploi. Pourtant, la solidarité est plus que jamais nécessaire, car nombreux sont ceux qui diffèrent la souscription d’une mutuelle de santé ou leur départ en vacances.

Face au recul constant de l'accès aux soins médicaux et à la baisse continue du pouvoir d'achat des ménages, tout le monde a besoin de cette garantie complémentaire pour l’accès à la santé, mais aussi au repos personnel et au dépaysement.

Composante des garanties collectives, qu'elles soient statutaires ou conventionnelles, les activités sociales et la santé des salariés des industries électriques et gazières constituent un élément indiscutable de progrès social et économique, en termes d'accès aux vacances, à la culture et à la santé. J’en veux pour preuve que 400 000 personnes partent chaque année dans un des centres de vacances qui leur sont ainsi proposés, ou que 339 000 contrats d'assurance complémentaires soient souscrits.

Toutefois, le secteur de l'énergie subit l'ouverture du marché de l'électricité et du gaz à la concurrence, avec, en particulier, des dizaines d'entreprises qui ne participeraient pas au fonds du 1 % prélevé sur les recettes des ventes d'électricité et de gaz.

Selon un rapport de la Cour des Comptes, le manque à gagner serait de l'ordre de 180 millions d'euros en cinq ans pour les bénéficiaires de ce fonds que sont les CMCAS, les caisses de mutuelle complémentaires et d'action sociale, et la CCAS, la caisse centrale d’activités sociales.

Pourtant, le prélèvement de 1 % actuel est un droit lié à la création de richesse par le travail des salariés. Il constitue un élément du salaire social différé, au même titre que les autres prestations sociales. Le fonds ainsi constitué est une propriété collective des salariés, dont tous doivent pouvoir bénéficier sur une base solidaire.

Malgré cela, les associations patronales n'ont de cesse de remettre en cause le financement des œuvres sociales et de santé dans les entreprises, en proposant, par exemple, une assiette de financement basée sur la masse salariale plutôt que sur la création de richesses, comme c’est actuellement le cas dans la branche professionnelle.

Or ce changement de financement porterait un coup fatal à la pérennité des activités sociales et, au-delà, aux acquis sociaux des salariés concernés.

La précédente majorité présidentielle avait apporté des garanties en ce sens aux organisations patronales et s'était engagée « à éclaircir et réguler le financement des activités sociales et de santé des entreprises ». Ces propos ne sauraient être encore d'actualité.

Madame la ministre, en la matière, quels choix de mise en scène allez-vous effectuer en concertation avec les représentants syndicaux des salariés ? Celui de la destruction des acquis ou celui du maintien, de la sécurisation et du développement de l'accès des pensionnés et de leurs familles aux activités sociales et aux prestations de santé ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, Delphine Batho, qui n’a pu se rendre disponible, m’a chargée d’apporter des éléments de réponse à votre question, qui s’inscrit dans la problématique de la solidarité, et d’essayer de vous dire ce que seront les choix du Gouvernement, qui seront des choix politiques et non pas simplement de mise en scène.

Vous le savez, la Caisse centrale d'activité sociale est le fruit de l'histoire. Elle trouve son origine dans le statut des personnels des industries électriques et gazières issu de la loi de 1946. Elle gère les œuvres sociales des agents et des retraités du secteur, soit plus de 600 000 ayants droit. Il s’agit donc non pas d’un comité d'entreprise de droit commun, mais d’un comité de branche, dont la dimension doit être prise en compte.

Cette caisse est financée par un prélèvement de 1 % sur le chiffre d'affaires des entreprises du secteur. Cette assiette de financement, vous l’avez relevé, est devenue fragile depuis la fin du monopole de l'opérateur historique. En effet, l'introduction de la concurrence dans le secteur de l'énergie a entraîné la séparation des activités de production, de distribution et de fourniture, ainsi que l'arrivée de nouveaux opérateurs alternatifs.

Ces évolutions rendent le calcul de plus en plus difficile : certains opérateurs sont soumis au prélèvement alors qu'ils n'ont pas d'agents sous statut, tandis que d'autres ne le sont pas alors qu'ils ont des agents sous statut. Le constat de l'essoufflement de cette assiette est donc partagé.

En 2010, à la suite de plusieurs rapports de la Cour des comptes, dont la presse s'était fait l'écho, le ministre alors en charge de l'énergie, M. Jean-Louis Borloo, a demandé aux employeurs d'engager une réforme pour faire évoluer la façon dont était géré le prélèvement de 1 % sur le chiffre d'affaires des entreprises du secteur.

Il avait fixé trois axes à cette réforme. Le premier était le mode de calcul du prélèvement – en d'autres termes, son assiette. Le deuxième axe avait trait à la gouvernance des œuvres sociales qui sont alimentées par ce prélèvement. Le dernier axe concernait les modalités de contrôle et la transparence du système.

En avril 2012, le ministre alors en charge de l'énergie, M. Besson, avait demandé aux employeurs chargés de mener la concertation, conformément à leur rôle, de lui en remettre un bilan assorti d'un relevé de positions final au mois de décembre 2012.

Comme vous l’imaginez, l'actuel gouvernement a considéré que, sur un sujet aussi important pour les agents, une concertation réduite à six mois – un délai que vous avez dénoncé –, qui touche au statut des industries électriques et gazières, n'était pas suffisante. Il a donc fait savoir qu'il n'accepterait pas que des conclusions clôturant la concertation lui soient remises par les employeurs dès le mois de décembre 2012.

Il faut du temps pour s’approprier un sujet difficile sur lequel nous avons bien l'intention d'avancer, mais seulement conformément à la méthode générale fixée par le Premier ministre, c'est-à-dire en respectant le rôle de chacun – celui des employeurs et des organisations syndicales, d'un côté, et celui des pouvoirs publics, de l'autre, et en donnant à la concertation le temps et le cadrage dont elle a besoin pour se dérouler dans de bonnes conditions.

Delphine Batho a fait savoir que, au cours de ces discussions, chacun devrait assumer ses responsabilités dans l'intérêt général. Les organisations syndicales et les employeurs seront tous reçus. Ce n’est qu’à l'issue de ces discussions, qui prendront le temps nécessaire, dans un cadrage redéfini, que des conclusions pourront être apportées, avec pour objectif la pérennisation des œuvres sociales de la branche des industries électriques et gazières.

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Madame la ministre, j’ai bien compris que la concertation se développerait et que vous prendriez votre temps. L’essentiel est que nous allions dans la bonne direction et que le progrès social, ainsi que la justice sociale, inspirent la décision finale.

J’ai reçu des délégations syndicales sur le sujet. Elles ne demandent pas une réponse pour demain matin ! Ce qui est important pour elles, ce qui leur tient à cœur, c’est la pérennisation des œuvres sociales qui ont été mises en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1946.

Il faut donc être très vigilant sur la position adoptée, et ces délégations espèrent que celle du Gouvernement sera différente de celle de la précédente majorité.

renforcement de la sécurité des salles de remise en forme

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, auteur de la question n° 293, adressée à Mme la ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative.

Mme Laurence Rossignol. Madame la ministre, en France, le marché des salles de remise en forme est en constant développement. L'activité dégage plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires et, aujourd'hui, entre 12 et 13 millions de Français pratiquent fitness, musculation ou gymnastique d'entretien.

L'offre de biens et de services sportifs s'est fortement accrue ces dernières années et l'appellation de « salle de remise en forme » recouvre des activités diversifiées, proposées par des organismes très différents.

Un peu partout en France apparaissent des salles de sport low cost. Leur point fort est, en toute logique, de proposer un tarif d'abonnement deux à trois fois moins élevé que celui des clubs classiques et des associations.

Pour parvenir à proposer de tels tarifs, des économies sont réalisées sur les services proposés. Ainsi, le personnel encadrant est réduit au minimum, quand il n’est pas inexistant. Ces entreprises commerciales mettent à la disposition de leurs clients des équipements sans que leurs activités soient surveillées ou encadrées. Les cours se font avec des coachs virtuels ; des écrans géants diffusent des vidéos de cours, si bien que les clients ne sont aucunement encadrés par de véritables coachs.

Les structures associatives et affiliées à une fédération doivent aujourd’hui affronter une offre concurrentielle avec l’apparition de ces salles low cost, qui ne sont pas soumises à la même réglementation en matière d’encadrement des pratiques.

Les conséquences sont lourdes pour les clubs associatifs, qui subissent ainsi une concurrence peu loyale et même faussée. Au fur et à mesure que s'ouvrent des salles low cost, les clubs environnants perdent des adhérents et connaissent des difficultés financières grandissantes, comme j’ai pu le constater dans plusieurs villes de mon département. Rappelons ici que la masse salariale d'une salle de remise en forme peut constituer jusqu'à 50 % de ses charges.

L'encadrement des activités physiques et sportives est réglementé afin de garantir la sécurité de ceux qui les pratiquent. Ainsi, pour tout acte d'enseignement, d'animation, d'entraînement ou de présence considérée comme un encadrement des utilisateurs, la personne dispensant cette prestation doit justifier de diplômes spécifiques.

Or les salles de remise en forme low cost ne mettent pas en place d'encadrement sportif spécifique. Certes, le sport doit être à la portée de tous. Néanmoins, il faut également que sa pratique s’effectue dans des conditions optimales de confort et de sécurité.

En conséquence, je souhaiterais connaître, madame la ministre, votre position sur le sujet et savoir si vous envisagez de rendre obligatoire la présence de personnel d'encadrement diplômé dans les salles de remise en forme low cost, de telle sorte qu’il soit mis fin à cette concurrence déloyale à l’égard des clubs de sport.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Madame la sénatrice, je vous prie d’excuser Mme Fourneyron, ministre des sports, qui se trouve à Annecy pour l'ouverture des Jeux mondiaux militaires. Je vais m’efforcer de vous transmettre les termes de sa réponse qui, je le crois, répondront à vos attentes.

L'évolution des salles de remise en forme vers la mise à disposition de matériel sans encadrement est une tendance récente, qui soulève effectivement les problèmes que vous avez indiqués.

Vous l’avez rappelé, la France a fait le choix de réglementer l'encadrement des activités physiques. Pour garantir la sécurité des usagers, tout professionnel de l'encadrement de ces activités doit être titulaire d'une qualification reconnue par le ministère chargé des sports.

Le développement de la pratique d'activités physiques dans les salles de remise en forme, que le Gouvernement salue, conduit des entreprises à ouvrir ces nouvelles salles, économiquement plus accessibles mais dépourvues d'encadrement.

Dans ce cadre, le client sait dans quel type de salle il se trouve et la réglementation de l'encadrement ne s'applique pas, puisqu'il n'y a pas d'encadrement à proprement parler.

Ces salles doivent toutefois répondre à des exigences réglementaires en termes d'hygiène et de sécurité, ainsi qu’à certaines dispositions du code de la consommation, en particulier l’article L. 221-1 relatif à l'exigence de sécurité qui incombe à tout professionnel proposant un produit ou un service.

Par ailleurs, un travail a été effectué pour améliorer la qualité des installations et une norme AFNOR concernant les salles de remise en forme à usage public a été définie en 2011 pour traiter des exigences de conception et de fonctionnement de ces salles.

Bien qu’elle repose sur le volontariat, cette norme constitue une référence pour le juge en cas de litige concernant l'obligation générale de sécurité, si bien qu’elle devrait donc s’imposer dans les salles.

Il faut aussi s'interroger sur l'application de l'obligation de surveillance permanente des établissements recevant du public de cinquième catégorie pour les salles de remise en forme. La question sera traitée.

Une autre question, juridiquement délicate, concerne la nature de l’encadrement virtuel, souvent des conseils d'utilisation transmis par écran ou conseils interactifs, via un logiciel. Cet encadrement relève-t-il de l'obligation de qualification comme tout encadrement effectué en présence physique de l’encadrant ?

Ces questions juridiques trouveront des réponses dans le cadre de la modification du code du sport, qui est programmée pour la fin de l'année 2013. Ce sera l’un des objectifs de ce travail législatif, auquel vous participerez, madame la sénatrice, que d'apporter des réponses aux questions d'actualité que pose le sport, pour préserver l'équilibre entre les différents acteurs de la pratique sportive – fédérations, entreprises, ligues professionnelles –, dans le respect de l'unicité du sport et de l'intégrité physique et morale de ses adeptes.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Madame la ministre, je vous remercie de ces éléments de réponse que vous a transmis le ministère des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, et je suis satisfaite que celui-ci se pose des questions.

Vous avez fort bien décrit la situation actuelle, qui aboutit cependant à la fragilisation du mouvement sportif et associatif. Tout ne peut être mis sur le même plan, tout ne se vaut pas ! Les collectivités territoriales soutiennent des clubs sportifs associatifs, qui jouent un rôle utile non seulement dans l’accès à la pratique sportive, mais également dans le développement du lien social, la prise en charge des enfants et l’encadrement, ce que ne font pas les salles de sport low cost.

J’ai bien compris que nous discuterions de ces sujets dans le cadre d’une future loi sur le sport. En effet, nous ne pouvons pas à la fois soutenir le mouvement sportif et associatif et, dans le même temps, fragiliser celui-ci par le développement d’activités low cost qui, quel que soit le domaine abordé, ont toujours le même effet de déstructuration du tissu social et de perte de qualité de la prestation offerte.

J’espère donc que nous pourrons, par ce projet de loi, renforcer le rôle des associations sportives, mais également celui des clubs de sport professionnels, qui exigent, pour eux-mêmes et pour leurs pratiquants, une haute qualité sportive, ainsi qu’un haut niveau de sécurité.

défaut de jalonnement directionnel vers melun

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, auteur de la question n° 341, transmise à M. le ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

Mme Colette Mélot. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur le défaut de jalonnement directionnel vers la commune de Melun, ville-préfecture du département de la Seine-et-Marne, premier département d’Île-de-France en superficie.

En effet, au fil des années, on ne peut que déplorer la disparition progressive de jalonnement de la commune de Melun sur les routes nationales et les axes autoroutiers, et ce au bénéfice d’autres agglomérations, notamment de Sénart, seule indiquée à la sortie de l’autoroute A4 en direction de la Francilienne en provenance de Paris ou bien après la sortie de l’autoroute A6 en direction de l’autoroute A5.

Il est à noter que la ville préfecture de Seine-et-Marne n’est jalonnée que dans un périmètre de vingt kilomètres autour de Melun. Cette situation handicape Melun et son agglomération, qui, je le rappelle, est la première de Seine-et-Marne et la sixième d’Île-de-France par sa population – plus de 110 000 habitants.

Il est donc regrettable et fort dommageable que ce territoire, qui est un important pôle d’activité économique, universitaire, touristique et le siège de l’École des officiers de la gendarmerie nationale, ne soit pas signalé, voire mieux signalé bien au-delà du périmètre actuel.

Aussi, j’aimerais que vous puissiez m’éclairer, madame la ministre, sur les mesures qu’envisage de prendre le Gouvernement pour pallier cette situation, qui pourraient être simples, peu coûteuses et qui permettraient de mettre un terme à cette discrimination dont est victime la préfecture du département de Seine-et-Marne et toute son agglomération.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Madame la sénatrice, veuillez excuser l’absence de Frédéric Cuvillier, ministre des transports, de la mer et de la pêche, qui assiste en cette fin de matinée à Orly – j’aurais d'ailleurs pu être à ses côtés ! – au lancement de la nouvelle compagnie aérienne, « HOP ! ».

En matière de signalisation routière sur le réseau national, il s’agit de concilier deux principes : d’une part, l’équité de traitement de toutes les localités éligibles à un jalonnement vert – c’est le cas du secteur que vous évoquez ; d’autre part, la limitation du nombre de mentions possibles pour préserver la lisibilité par l’usager en tenant compte de ses possibilités de lecture dans un véhicule en déplacement, en termes de sécurité.

Ces deux principes régissent le schéma directeur actuel appliqué sur l’ensemble du territoire par les services de l’État, ainsi que les règles de signalisation en découlant.

Ainsi, pour ce qui concerne votre territoire, les éléments suivants m’ont été communiqués. Dans le schéma directeur national de signalisation d’Île-de-France, la mention était jusqu’à 1997 « Melun-Sénart » et concernait les deux agglomérations, ville nouvelle et préfecture. Au changement de nom en 1997, la mention « Melun-Sénart » est devenue « Sénart ». Depuis lors, et à l’occasion des travaux de modernisation du réseau, l’État met en conformité les panneaux de signalisation directionnelle avec le schéma directeur national de signalisation d’Île-de-France approuvé en décembre 2002, qui actait ce changement de dénomination de la ville nouvelle.

Aujourd’hui, les villes de Melun et de Sénart sont classées au même niveau d’importance pour leur jalonnement, compte tenu du statut de chef-lieu de département de Melun. Ainsi, par l’autoroute A4 en venant de Paris, puis par la Francilienne jusqu’à l’autoroute A5b, c’est Sénart rencontrée la première qui est signalée. En revanche, en venant des autoroutes A5 et A6, c’est Melun, rencontrée la première, qui est indiquée.

Les principes d’équité de traitement des localités et de limitation du nombre de mentions possibles pour plus de lisibilité, madame la sénatrice, paraissent, au cas particulier, parfaitement respectés.

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir rappelé les règles concernant le jalonnement directionnel sur le plan national. Vous avez rappelé l’histoire des agglomérations de mon département ; je sais bien que la mention « Melun-Sénart », qui prévalait jusqu’en 1997, a disparu, laissant place à deux agglomérations distinctes.

Je comprends que l’on indique la première des agglomérations à la sortie de l’autoroute, mais il me semble tout de même fort dommage de ne pas mieux indiquer Melun – ou Sénart, d’ailleurs, sur d’autres voies –, afin d’éviter la confusion liée à la proximité des deux agglomérations.

Sur l’autoroute A4, par exemple – c’est un itinéraire que je connais bien –, Melun et Sénart sont annoncées, puis simplement Sénart sur la Francilienne. Cette signalisation est conforme aux règles, certes, mais les personnes qui ne connaissent pas la région peuvent penser qu’elles se ne trouvent plus sur la route menant à Melun. Des efforts pourraient donc être engagés sur ce point, d’autant plus que l’agglomération d’Évry, située dans le département voisin de l’Essonne, est indiquée, me semble-t-il.

Madame la ministre, je voulais vous faire part de cette situation, qui inquiète les habitants, mais surtout les entreprises et tous ceux qui font vivre l’agglomération melunaise. Je remercie le Gouvernement de s’être penché sur cette question et j’espère qu’une amélioration pourra être apportée.

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel

M. le président. La séance est reprise.

4

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour un rappel au règlement.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, mes chers collègues, ce rappel au règlement, que je fais au nom du groupe UDI-UC, se fonde sur l’article 29 de notre règlement et porte sur l’attitude du ministre de l’intérieur au sujet de la manifestation qui a eu lieu avant-hier, dimanche, à Paris, à l’occasion de la discussion au Parlement du projet de loi sur le mariage.

En l’occurrence, ce n’est pas le fond qui est en cause, chacun exprimant ses positions comme il l’entend.

Élu de Paris, je puis témoigner que la préfecture de police de Paris est une très belle machine, une structure très efficace – l’une des meilleures du monde –, rodée au maintien de l’ordre. Les fonctionnaires qui y travaillent sont d’une grande qualité et n’ont été que très rarement impliqués dans des dérapages.

D’ailleurs, lors de la manifestation du 13 janvier, qui avait rassemblé sensiblement le même nombre de manifestants que celle du 24 mars, aucun incident – je dis bien aucun ! – n’avait été déploré. Selon la préfecture elle-même, il s’agissait pourtant de la manifestation la plus importante depuis 1984, année qui a vu des foules extrêmement nombreuses défiler pour défendre l’école libre.

Le dimanche 24 mars, l’ambiance était tout autre : tensions lors des négociations sur le parcours de la manifestation ; blocage de la place de l’Étoile ; tenues anti-émeute généralisées pour les CRS et les gendarmes ; dotation exceptionnellement large des unités de maintien de l’ordre en aérosols et gaz lacrymogènes ; consignes données – beaucoup d’officiers, de gendarmes et de CRS que nous avons rencontrés nous l’ont confirmé – de « taper fort ».

Comme d’autres élus, j’étais sur place. J’ai vu des familles avec des poussettes ainsi que des personnes âgées atteintes par des gels lacrymogènes alors qu’elles regagnaient les transports en commun. J’ai vu des jeunes matraqués à terre par la police après avoir été bousculés par la foule paniquée, et j’ai ensuite appris que l’inspection générale des services avait refusé d’enregistrer leurs plaintes. J’ai vu des élus en état de choc.

Il se peut que quelques provocateurs se soient glissés dans la foule pacifique… Trente, selon la préfecture de police. En tout cas, sur plusieurs centaines de milliers de manifestants, la police n’a placé que six personnes en garde à vue.

On est donc en droit de s’interroger sur la teneur des consignes données par le ministre de l’intérieur à la préfecture de police : n’ont-elles pas été disproportionnées ? N’a-t-il pas, par son énervement, par sa volonté, peut-être, de dévaloriser cette manifestation, provoqué tout ce qu’il s’est passé ?

Il ne m’appartient pas de répondre à ces questions. Je ne fais que les formuler et je pense qu’il serait bon que les parlementaires puissent s’intéresser à ces incidents, en dehors du débat de fond sur le mariage.

Je demande donc, au nom groupe UDI-UC, la constitution, sinon d’une commission d’enquête, au moins d’une mission d’information sur ces événements, qui auraient pu très mal se terminer, et sur la responsabilité éventuelle du ministre de l’intérieur dans les débordements qui ont été constatés.

Le ministère de l’intérieur et la préfecture de police de Paris sont, je l’ai dit, de très belles machines, mais il faut que ces machines soient bien conduites. Or nous avons eu le sentiment que, lors de la manifestation de dimanche dernier, on avait induit chez les forces de l’ordre un état d’esprit tel que, s’il ne fait pas de doute que les fonctionnaires concernés ont avant tout cherché à bien faire leur travail, ils n’ont pas eu la réaction adéquate.

M. le président. Mon cher collègue, acte vous est donné de votre rappel au règlement.

5

Débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle (suite)

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite du débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l’État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale (rapport d’information n° 611 [2011-2012].)

Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avions entamé ce débat lors de notre séance du 30 janvier dernier.

M. Jean-Claude Lenoir. On a eu le temps de réfléchir ! (Sourires.)

M. le président. Conformément à la décision de la conférence des présidents, la parole est à M. le rapporteur.

M. Charles Guené, rapporteur de la mission commune d’information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l’État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quelques semaines, à travers l’étroite « fenêtre de tir » consentie par les amis des loups, j’avais pu brosser devant vous le tableau détaillé des conséquences de la réforme de la taxe professionnelle. Mais la plupart d’entre vous étaient sortis frustrés d’un débat tronqué.

Aujourd’hui, grâce à la pugnacité du groupe RDSE, nous pouvons mener notre exercice à bonne fin. Aussi, je tiens à remercier le président Jacques Mézard de m’avoir donné la possibilité de m’exprimer de nouveau, fût-ce de manière légèrement réduite, pour introduire la reprise attendue de ce débat.

Après avoir rappelé les insuffisances de la réforme et les ajustements qui restent à lui apporter après plusieurs lois de finances, je tenterai d’expliquer comment les textes affectent profondément le paysage fiscal et notre conception même des finances publiques.

Il est indéniable que la réforme de la taxe professionnelle a renforcé la compétitivité des entreprises, ainsi que l’établissent tous les rapports. Rappelons que seules 20 % des entreprises ont été reconnues perdantes, alors que 20 % d’entre elles ont connu la stabilité et que les 60 % restantes, relevant essentiellement du secteur industriel, ont enregistré une évolution favorable de leur imposition – l’allégement allant de 30 % à 80 % –, certes au détriment des services et au prix de quelques désagréments pour l’intérim.

Pour l’État, la réforme a eu un coût de l’ordre de 4,5 milliards d’euros en régime de croisière, après une année charnière qui lui en aura coûté le double. En revanche, l’État a « fixé » l’hémorragie que lui imposaient les contreparties aux collectivités locales au titre de cet impôt et dont il était le principal pourvoyeur : c’est là le gain essentiel qu’il en a retiré. Il a, en quelque sorte, « payé pour solde de tout compte ».

Enfin, s’agissant des collectivités locales, si elles ont été indemnisées à l’euro près, ce que plus personne ne conteste, la réforme a profondément affecté leur relations avec l’État ; j’y reviendrai.

D’un point de vue pratique, l’incidence majeure de la réforme est le rebasage de la ressource sur les ménages, notamment pour le bloc communal, et sur une part d’impôt économique considérablement diminuée, qui évolue désormais au même rythme que la richesse nationale. Cela induit une dynamique nouvelle, corrélée à l’évolution économique et aux capacités contributives des habitants.

Les parlementaires ont, à cet égard, dû affiner considérablement les critères, de manière à corriger les anomalies et à tenir compte du poids de l’histoire. Nous ne reviendrons pas sur ce travail fastidieux, mais nous soulignerons les résultats obtenus et la nécessité de poursuivre la tâche.

Les deux dernières lois de finances ont procédé à des ajustements afin de mieux prendre en compte les établissements industriels et leurs spécificités, tout comme leurs effectifs, et introduit certaines mesures préconisées par notre rapport sénatorial, telle l’indexation de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, l’IFER.

À l’heure actuelle, subsiste la problématique liée à la poursuite de la mise en place de la péréquation, corollaire essentiel du nouveau système, car le fondement de la ressource nouvelle des collectivités et son dynamisme asymétrique exigent une appréciation de la richesse en stock, mais aussi une appréciation des charges des collectivités.

La mise en œuvre de ces corrections est l’un des chantiers essentiels sur lesquels le Parlement est appelé à travailler.

Il importe que la montée en puissance programmée puisse suivre le calendrier fixé, mais en prenant garde au contexte contraint que nous traversons et en liant l’effort aux flux annuels.

S’agissant du bloc communal, nous pouvons nous féliciter du cap maintenu par le Gouvernement quant à la progression du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC, voire son rattrapage.

Comme la répartition sur la base du coefficient d’intégration fiscale – CIF – à l’échelon intercommunal, l’introduction du revenu des habitants – il vient modifier le prélèvement à hauteur de 20 % – constitue une correction utile apportée par la loi de finances pour 2013 au profit de certains territoires urbains.

Le dossier de l’appréciation des charges de centralité reste également ouvert. Il conviendra sans nul doute d’introduire des correctifs en déplafonnant progressivement le prélèvement du FPIC et du FSRIF – fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France –, mais nous devons aussi attendre que l’Île-de-France puisse ajuster son propre système en tenant compte des besoins spécifiques et différenciés de son territoire, qui n’a pas encore, rappelons-le, opéré sa mutation intercommunale.

Il reste beaucoup plus de travail au sujet des mécanismes de solidarité concernant les régions et les départements, ces collectivités ayant apporté moins d’attention auxdits mécanismes. Elles auraient sans doute intérêt à faire rapidement des propositions concrètes à cet égard.

Sur le plan technique, monsieur le ministre, il convient d’insister sur les trois pierres d’achoppement subsistant autour de la CET, la contribution économique territoriale.

Il s’agit tout d’abord du dossier de la cotisation minimale au titre de la contribution foncière des entreprises – ce qu’on appelle la « CFE minimale » –, que le Gouvernement n’a pas voulu régler définitivement dans la dernière loi de finances. Nous avions proposé un plafonnement sur la valeur ajoutée, à l’instar de ce qui existe pour les autres contribuables. Il est indispensable de le décider pour 2014, en temps utile, dans un cadre constitutionnel durable.

Il sera également impératif d’adapter la répartition de la CVAE, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, aux caractéristiques des groupes. En effet, actuellement, les décisions d’organisation juridique des groupes permettent de déterminer largement les lieux de répartition de la valeur ajoutée. Sachant que ces groupes réalisent plus de la moitié de la valeur ajoutée au niveau national et qu’ils sont concentrés sur certaines zones, le mécanisme n’est pas neutre...

Il a été proposé, dans le rapport parlementaire, que cet aspect soit corrigé pour ramener les principes à ceux qui régissent les entreprises multi-établissements classiques. Tant Valérie Pécresse que son successeur, Jérôme Cahuzac, ont prétexté le besoin de simulations pour envisager d’en modifier l’approche. Mais le phénomène est maintenant parfaitement identifié.

Enfin, subsistera la mesure des incidences de la revalorisation des valeurs locatives, dont le calendrier est désormais établi. Cette dernière révolution fiscale produira de nouvelles modifications sur la géographie fiscale locale, mais aussi sur la fiscalité locale, car elle porte également en germe une nouvelle carte des richesses et, par là même, des critères qui sont utilisés pour la péréquation de ces mêmes richesses sur le territoire.

Cette réforme est d’autant plus nécessaire que la perte du levier fiscal impose la revalorisation permanente de la matière fiscale, de manière différenciée.

Convenons à cet égard que la mise en place d’une nouvelle fiscalité locale qui ne s’appuie plus pour l’essentiel sur le levier fiscal doit pouvoir bénéficier d’un renseignement, d’une expertise et de rapports permanents qui ne soient pas à la seule discrétion du Gouvernement.

Il faut que les parlementaires puissent disposer en permanence des simulations et des états nécessaires, de façon qu’ils n’aient pas à s’en remettre à la seule expertise de leurs associations d’élus, dont les rapports de prospectives sont au demeurant très intéressants. Il est urgent de mettre à la disposition des parlementaires les outils et les sources nécessaires à une veille et à une mise à jour permanentes de la fiscalité locale.

Venons-en maintenant à l’aspect prospectif et aux conséquences les plus durables de cette réforme.

La taxe professionnelle a vu le jour à la fin des Trente glorieuses, sur des bases conceptuelles liées à une ère de croissance, ainsi qu’à une volonté d’autonomie fiscale des collectivités locales et de transfert de compétences à ces dernières, de façon à leur permettre d’assumer elles-mêmes, en lieu et place de l’État, les besoins de reconstruction et de développement.

Le texte sur la taxe professionnelle, dont les fondements remontent à 1959, arriva à maturité alors que nous venions juste de changer d’époque, avec le choc pétrolier de 1974 et, en 1975, la fin des budgets en équilibre : ces deux événements vont placer le pays en situation de crise, laquelle ira crescendo avec la mondialisation.

La taxe professionnelle en subira très rapidement les conséquences avec la suppression de la part salaires en 1987, avec sa compensation relative en 1999, au grand dam d’un État soucieux de ses finances, avec la prise en compte de la valeur ajoutée à travers les modifications de 1979 et 2006, qui portaient déjà en germe la réforme de 2009.

Comme l’indique le rapport Fouquet, dès lors que la taxe professionnelle n’était plus portée que par les seuls investissements, elle était condamnée.

Alors que les collectivités se réjouissaient de la liberté fiscale acquise, ailleurs, on réfléchissait à de nouvelles étapes. L’État était déjà en période de contrainte, et l’on va assister à un chassé-croisé de mesures contradictoires, avec l’illusion d’une autonomie fiscale, les collectivités étant en fait, à travers des dégrèvements croissants, de plus en plus financées par l’État.

Il faudra attendre la charnière de 2002-2004, avec l’inscription de l’article 72-2 dans la Constitution, pour que l’horizon bascule. Cependant, sur le moment, le monde élu n’a pas perçu la portée de cette disposition. Le Gouvernement et l’administration venaient d’imposer définitivement la norme de référence : exit l’autonomie fiscale ; l’autonomie financière était née !

En 2009, la réforme de la taxe professionnelle, a priori à destination des entreprises, vient porter le coup de grâce en diminuant le poids de l’économie dans la ressource locale, en figeant les taux et en réaffectant les impôts par niveaux, souvent sous forme de parts d’impôt national.

Pour être tout à fait complète, cette réforme exigeait un second pilier, celui de la péréquation horizontale : en effet, si elle a réduit le poids de la richesse économique dans la ressource, elle n’en a pas moins laissé subsister les inégalités territoriales accumulées. En même temps, la réforme permet à l’État de substituer la péréquation horizontale à la péréquation verticale dont il était comptable, dernier verrou posé sur le dispositif, avant que ne vienne s’ajouter la rationalisation des compétences, qui nous occupera dans les deux mois à venir.

Il est important de souligner ce double mouvement contradictoire, où le cheminement des élus s’est heurté à une radicalisation de l’administration et des gouvernements, et où les élus ont accusé un temps de retard par rapport à l’évolution de l’histoire fiscale.

Cela ne veut pas dire que ce mouvement est inéluctable et ne peut être inversé ; cela signifie seulement que les circonstances l’imposent pour quelques décennies et qu’il importe d’en prendre acte, à l’instar de nos collègues européens.

Je formulerai une interrogation supplémentaire, en lien avec la réduction drastique des dotations qui vient de nous être annoncée : 4,5 milliards d’euros sur deux ans, soit 6 % de leur montant.

Si l’on peut comprendre une telle décision dans le contexte que je viens d’évoquer, il importe que sa nécessité soit rapidement et largement admise et que, en outre, la répartition de l’effort au sein des niveaux de collectivités soit équitablement répartie.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet, dans le cadre de la nouvelle gouvernance qui s’installe ?

Pour terminer sur une note prospective, je souhaite dire que la taxe professionnelle ne correspond pas seulement à une grande réforme fiscale technique ; elle doit aussi être lue, selon la formule du professeur Michel Bouvier, comme « le basculement tangible d’un monde quasi révolu, fondé sur une régulation par des États nationaux maîtres de leurs choix financiers, à un autre, fondé sur des espaces supranationaux intégrant des espaces territoriaux et fonctionnels à autonomie financière limitée ».

La crise que nous traversons accélère cette évolution avec une violence inaccoutumée, en poussant à une plus forte intégration des acteurs publics locaux, nationaux et européens, et à la mise en place d’outils nouveaux, comme le Conseil des exécutifs, hier, ou, demain, le Haut Conseil des territoires, auquel nous devons donner force opérationnelle au plus vite, dans le cadre d’un véritable dialogue.

C’est l’équilibre de la société et du lien social qui est en jeu, avec une nouvelle forme de gouvernance qui intégrera démocratie, solidarité et liberté. Le seul risque que comporte l’exercice, c’est que cette intégration prenne la voie d’une recentralisation.

Aussi, souhaitons que le Parlement ne se contente pas de considérer cet épisode comme celui d’une réforme réalisée à la hâte ou souffrant d’improvisation, où les uns et les autres auraient failli, car il passerait alors à côté de l’histoire fiscale de nos collectivités. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean-Vincent Placé applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme cela a été rappelé par Jacques Mézard le 30 janvier, dans l’espace réservé du RDSE, le débat sur les suites de la suppression de la taxe professionnelle a été organisé sur l’initiative de notre groupe, qui est aussi à l’origine de la constitution de la mission commune d’information que présida notre ancienne collègue Anne-Marie Escoffier, mission dont les conclusions et le rapport en deux tomes ont été rendus public au mois de juin 2012.

Un tel débat avait toute sa place dans une semaine sénatoriale de contrôle. C’est pourquoi nous nous réjouissons qu’il puisse être poursuivi précisément dans ce cadre-là aujourd’hui.

La tenue de ce débat dans notre hémicycle ne pouvait plus attendre, car les conclusions de la mission commune d’information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l’État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale méritent que le Gouvernement fournisse certains éclaircissements, informe la Haute Assemblée de ses intentions en la matière et, plus largement, nous dise comment il appréhende la question de plus en plus sensible des finances des collectivités territoriales.

Sur cette question, mon groupe s’enorgueillit d’être en pointe et de remplir ainsi la mission que nous confère, à nous sénateurs de la République, l’article 24 de la Constitution.

Désormais, les vingt-cinq propositions formulées par la mission d’information sont autant de pistes pour « limiter les dégâts », dont les effets se font toujours sentir, causés par la réforme de la taxe professionnelle, mais aussi pour apporter des compléments utiles sur des points qui n’ont pas été traités jusqu’à présent.

Malheureusement, l’évaluation des conséquences de la réforme s’est révélée particulièrement délicate compte tenu des difficultés rencontrées par les membres de la mission pour obtenir certains chiffres et informations.

En effet, un des éléments les plus frappants, à la lecture de ce rapport, est bien le déficit d’informations qu’ont constaté les auteurs et dont ils ont eux-mêmes souffert. Je citerai quelques passages très révélateurs.

Le rapport rappelle, par exemple, qu’«aucune estimation n’a été fournie par le Gouvernement s’agissant des conséquences de [la] nouvelle définition des potentiels fiscal et financier, sur le classement des communes et des EPCI en fonction de leur potentiel par habitant ».

À propos des fonds de péréquation de la CVAE, on peut lire : « Votre rapporteur regrette que, malgré les travaux approfondis menés par la commission des finances sur ce sujet, le Gouvernement n’ait procédé à aucune évaluation détaillée des conséquences de ces dispositifs de péréquation pour les départements et les régions. »

Ce constat a conduit les membres de la mission à recommander de « renforcer les dispositifs départemental et régional de péréquation de la CVAE et [de] simuler leurs effets en amont de l’examen de la loi de finances pour 2013 » ; il s’agit de leur seizième proposition.

De telles simulations ont, certes, été partiellement fournies avec le projet de loi de finances pour 2013, dont l’article 69 revoyait en profondeur le fonctionnement et les modalités de répartition des fonds de péréquation de la CVAE, qui doivent être mis en place cette année. Cependant, le rôle des parlementaires est nécessairement contraint par le fait qu’ils n’ont pas les moyens de réaliser leurs propres simulations, donc d’élaborer des propositions alternatives de manière éclairée, ce qui est tout à fait regrettable. Il me semble en effet indispensable que, dans une démocratie parlementaire moderne, le Parlement dispose de toutes les simulations nécessaires pour éclairer les décisions qu’il prend.

Mais nous n’avons pas tous la même préoccupation si l’on en juge par le vote des députés, qui ont, lors de l’examen en deuxième lecture du projet de loi de finances pour 2013, adopté un amendement gouvernemental modifiant à nouveau totalement les modalités de fonctionnement des fonds de péréquation de la CVAE, et ce sans aucune simulation.

Je pourrais citer de nombreux autres passages du rapport qui relèvent l’absence d’information et de simulation sur tel ou tel point. C’est significatif du peu de cas qui est fait du rôle et des droits du Parlement et des parlementaires. Nous regrettons qu’il en soit ainsi et, monsieur le ministre, puisque vous êtes nouveau à ce poste, nous espérons que vous faciliterez au maximum la diffusion des informations demandées par les parlementaires, notamment à vos services de Bercy, qui font parfois de la rétention…

Je reviens maintenant aux conclusions du rapport de la mission. Que nous apprend-il ?

Tout d’abord, que l’effet « positif » attendu de la réforme de la taxe professionnelle sur les entreprises n’est pas aussi évident qu’il y paraît et, surtout, pas aussi mirobolant que ce qu’on nous avait laissé entrevoir.

Certes, cette réforme a été bénéfique pour un nombre non négligeable d’entreprises, notamment dans le secteur industriel, mais trois ans après sa mise en œuvre, la situation n’a pas fondamentalement changé, car les ressorts de notre perte de compétitivité, qui se poursuit depuis plus de dix ans, comme l’a rappelé l’excellent rapport de Louis Gallois, se trouvent ailleurs.

En outre, cette réforme a été pénalisante pour un certain nombre de petites entreprises, notamment des artisans et des commerçants.

Elle ne s’est pas non plus traduite par des créations d’emplois, contrairement à ce qui était prévu et annoncé. De nouvelles mesures doivent donc être mises en place d’urgence pour restaurer la compétitivité, la croissance et l’emploi. Le Gouvernement s’y attache et le groupe RDSE lui apporte tout son soutien à cet égard.

Pour ce qui concerne les collectivités territoriales, le principal constat du rapport est sans appel : la réforme de la taxe professionnelle a eu pour conséquence de les maintenir dans un état d’incertitude quant à leurs ressources fiscales et budgétaires.

M. Jean-Jacques Mirassou. « Incertitude », le mot est faible !

Mme Françoise Laborde. Certes, du chemin a été fait depuis, mais l’incertitude a laissé la place à un très grand scepticisme, car la réforme de la taxe professionnelle, c’est bel et bien, pour reprendre les mots employés par notre rapporteur Charles Guené le 30 janvier, le « coup de grâce » porté à l’autonomie financière des collectivités.

Les élus rencontrés par les membres de la mission lors de leur déplacement à Toulouse ont très bien résumé, me semble-t-il, le « sentiment général » des collectivités quant à cette réforme. Ils ont en effet déploré « le manque d’informations et de simulations concernant leurs recettes au moment de la réforme, qui a pu conduire certains d’entre eux à prendre des décisions inadaptées ».

Ils avaient également évoqué, à juste titre, le risque d’une augmentation du poids de l’imposition sur les ménages, un risque qui est aujourd’hui devenu réalité, comme l’a montré le rapport présenté le 6 novembre 2012 par le Gouvernement devant le Comité des finances locales.

Pour conclure, je dirai que la réforme de la taxe professionnelle n’a que très partiellement atteint ses objectifs qu’étaient l’amélioration de la compétitivité des entreprises françaises, d’une part, la simplification et la clarification de la fiscalité locale, d'autre part. Aujourd’hui nous sommes toujours face aux mêmes défis.

Je tiens, pour terminer, à insister sur un point auquel tous les membres du RDSE sont très attachés : pour réduire les inégalités entre les territoires, inégalités qui ne cessent de s’accroître depuis la réforme de la taxe professionnelle, il est urgent de mettre en place un système de péréquation verticale et horizontale véritablement juste et efficace. Beaucoup de chemin reste à parcourir pour y arriver, mais nous espérons que le Gouvernement ne ralentira pas le pas au premier obstacle. En tout cas, il peut compter sur le Sénat et sur le RDSE pour lui rappeler à la fois ses engagements et ses obligations envers les collectivités territoriales de notre pays. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste. –  M. Christian Favier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme la fiscalité nationale, la fiscalité locale constitue certes un enjeu pragmatique – les moyens dont on dispose pour agir –, mais également un enjeu démocratique, puisque le citoyen doit pouvoir juger les élus en fonction de leur gestion des deniers publics. Or, de ce point de vue, eu égard au manque de lisibilité de la fiscalité locale, il y a de quoi s’inquiéter !

En tant que sénateur, je me réjouis que nous puissions avoir ce débat. J’en remercie le groupe RDSE, et spécialement son président, Jacques Mézard. Nous écologistes, nous aimons envisager le Sénat comme la « future chambre des régions ». Aussi, je crois que notre assemblée est l’endroit idéal pour soulever cette question, particulièrement en amont de notre réflexion sur la réforme des collectivités territoriales.

Le rapport d’information de notre collègue Charles Guené, fait au nom de la mission commune d’information sur la taxe professionnelle, présidée en son temps par Anne-Marie Escoffier, qui est depuis entrée au Gouvernement et à laquelle je tiens à rendre hommage, établit un remarquable tableau de la situation et des conséquences de la réforme de la taxe professionnelle.

Il est un point sur lequel nous serons probablement tous d’accord, c’est que la taxe professionnelle n’était pas un impôt satisfaisant. Cette taxe donnait en réalité lieu à de nombreuses exonérations, permanentes ou temporaires, son assiette était à revoir puisqu’elle reposait sur une valeur locative obsolète des immeubles et terrains et elle pénalisait l’investissement des entreprises. On avait même parlé de « taxe imbécile »… Enfin, elle coûtait très cher aux finances de l’État dans la mesure où la puissance publique se substituait bien souvent aux entreprises, grâce à des compensations et dégrèvements, pour devenir, au final, le premier contribuable à la taxe professionnelle.

Ces dérives ont profondément remis en cause le principe constitutionnel selon lequel les « ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ». Nous pouvons en effet déplorer que l’autonomie financière des collectivités ait radicalement diminué depuis l’acte II de la décentralisation.

La fin de la taxe professionnelle était inévitable, mais elle a mis beaucoup de temps, beaucoup trop de temps, à s’opérer, rendant cette taxe encore plus illisible et absurde. Cependant, sa suppression n’a pas forcément permis d’aller dans le sens d’un meilleur respect des principes de la décentralisation.

La nouvelle contribution économique des territoires, mise en place, sinon dans la précipitation, à tout le moins très rapidement, est assez opaque et accroît encore davantage la perte d’autonomie fiscale des territoires.

Tandis que les collectivités prennent en charge le quotidien des Français, l’aménagement du territoire, les transports, les dépenses de la solidarité, l’accompagnement économique des territoires, la formation professionnelle et, de plus en plus, les politiques culturelles, sanitaires, etc., elles continuent de vivre avec des budgets étriqués, dont elles ne maîtrisent quasiment pas les taux ni l’assiette.

Les collectivités constituent, on le sait, un véritable rempart en faveur de la protection des services publics, elles assurent près de 80 % de l’ensemble des investissements publics et elles assument toujours plus de compétences en raison du désengagement de l’État. Or la part des recettes fiscales correspondant à des impôts dont les collectivités territoriales votent les taux devient de plus en plus en marginale. Élu régional, je suis en mesure de le constater tous les jours : nous ne contrôlons plus guère de ressources fiscales.

Je vois le président Patriat opiner. Je suis d’autant plus sensible à son approbation qu’il connaît cette question bien mieux que moi !

Par ailleurs, il existe une véritable incohérence dans cette réforme puisqu’elle rompt le lien entre l’implantation d’entreprises et les collectivités territoriales, notamment la région, pourtant chef de file en matière économique.

Cette réforme a d’ailleurs eu des conséquences néfastes sur la situation économique de nombreuses entreprises, notamment les plus petites, qui doivent, au titre de la cotisation foncière minimale des entreprises, acquitter des sommes trop lourdes pour elles.

La CFE ayant été particulièrement mal pensée, les collectivités locales qui ont voté une augmentation de la cotisation minimale n’ont pas eu les moyens de calculer les conséquences financières de leur décision pour les assujettis.

M. Jean-Marie Bockel. Très juste !

M. Jean-Vincent Placé. C’est pourquoi le Sénat, par la voix de notre rapporteur général de la commission des finances, François Marc, a proposé de revenir sur les modalités de fixation des bases de calcul de la cotisation minimale de la CFE. Je me réjouis que l’actuel gouvernement, notamment votre prédécesseur, Jérôme Cahuzac – je rends hommage à ses qualités et à son talent, et je suis certain, monsieur le ministre, que vous marcherez dans ses pas –, ait accepté la disposition qui donne à ces collectivités la possibilité de revenir sur des délibérations déjà prises.

À l’instar de la taxe professionnelle, la contribution économique territoriale révèle chaque année ses effets pervers ; nous nous devons de les corriger.

Il nous faut envisager une réforme ambitieuse et consensuelle, qui préserve les intérêts des uns et des autres, qui respecte tout à la fois l’efficacité économique, l’égalité des territoires, le principe de libre administration et d’autonomie fiscale des collectivités territoriales.

De plus, la fiscalité locale doit être enfin pensée comme un instrument politique et marquer une rupture avec la conception administrative des collectivités territoriales, héritée du passé. La situation actuelle suscite notre interrogation sur le fonctionnement démocratique de notre République que nous, écologistes, souhaitons la plus décentralisée possible. Comment encourager par son vote ou, au contraire, sanctionner la politique des élus locaux lorsque ces derniers, en fait, ne sont pas responsables de l’évolution de la fiscalité locale ?

Pour une meilleure lisibilité, et en ma qualité d’écologiste, je crois également qu’il est essentiel de respecter le principe « décideur-payeur » : l’instance qui décide de la dépense doit être la même que celle qui engage cette dépense sur les ressources dont elle est responsable. Cela peut apparaître comme une lapalissade, mais ce rappel ne m’en paraît pas moins utile.

Enfin, je soulignerai l’importance qu’il y a à envisager une taxe qui ne favorise pas l’étalement urbain, pour un meilleur respect de l’environnement et de la biodiversité. Grâce à la fiscalité locale, nous pouvons aussi promouvoir des comportements écologiques. Nous pourrions, par exemple, réfléchir à l’établissement d’une fiscalité locale spécifique afin d’empêcher que les terrains agricoles ou non constructibles fassent l’objet d’une spéculation, ou encore à une modulation de la dotation générale de fonctionnement en fonction des actions relevant de l’ensemble des critères du développement durable.

La fiscalité locale, ce n’est pas simplement de la comptabilité : c’est avant tout un levier au service de nos politiques publiques et de la démocratie.

En conclusion, je tiens à remercier le président du groupe RDSE d’avoir proposé cette réflexion sur la taxe professionnelle et féliciter M. Guené de la qualité de ses travaux. J’espère que nous pourrons élargir ce débat à l’ensemble de la fiscalité locale. Ce serait utile à notre pays. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai mon propos par un constat : la réforme de la taxe professionnelle et la mise en place de la contribution économique territoriale par Nicolas Sarkozy n’ont pas été remises en cause par François Hollande.

Le 7 mars 2012, l’actuel Président de la République, alors candidat, reconnaissait : « Cette réforme de la taxe professionnelle a pu avoir des effets positifs sur un certain nombre d’entreprises [...], et tant mieux. [...] Nous n’allons pas rétablir la taxe professionnelle. Nous prendrons cette réforme pour ce qu’elle est, [mais] nous la corrigerons pour ses excès. »

Le groupe UMP ne dit pas mieux.

Je pense que nous pouvons presque tous nous retrouver, de manière consensuelle, sur un tel sujet.

La création de la contribution économique territoriale n’est pas un aboutissement, elle est une étape importante de la réforme de notre impôt économique local, mais cette réforme est encore appelée à évoluer : elle est perfectible.

La partie « salaires » de la taxe professionnelle avait été progressivement supprimée entre 2000 et 2002 par Dominique Strauss-Kahn et n’existe plus depuis le 1er janvier 2003. Avec la création de la CET, c’est la partie « investissements productifs » qui a été enlevée de l’assiette.

Si cette réforme était nécessaire, sa conception fut complexe : rappelons-nous le travail crucial qui fut mené ici, au Sénat, et qui permit de remanier profondément la réforme initialement proposée par le Gouvernement.

Notre travail fut transpartisan.

Nous introduisîmes notamment une clause de revoyure, qui signifiait bien que la réforme n’était pas achevée et qu’elle était sans doute perfectible, au vu des conséquences de son application concrète, susceptibles de diverger des simulations.

C’est ainsi que notre commission des finances s’est emparée voilà quelques semaines du problème de la cotisation foncière des entreprises, dont le relèvement en 2012 de la cotisation minimale par certaines collectivités, qui ne disposaient pas alors de simulations, a entraîné une taxation excessive de certains artisans et commerçants. Sur l’initiative de notre commission, nous avons adopté à l’unanimité un amendement autorisant les communes à délibérer de nouveau sur la cotisation minimum de CFE pour 2012.

Au final, c’est à l’Assemblée nationale, dans le collectif budgétaire de fin d’année, qu’un dispositif a été adopté définitivement : divers amendements de la majorité et de l’opposition ont ainsi autorisé les EPCI à revenir sur leur délibération de 2012 en prenant une nouvelle délibération jusqu’au 21 janvier 2013 : cela donnait la possibilité aux collectivités territoriales de diminuer ou d’annuler une part de la CFE votée.

Cette difficulté fut donc résolue de manière consensuelle.

La réforme, si elle doit être encore améliorée, ne sera pas remise en cause, car ses effets positifs ont été indéniables pour notre industrie.

À l’heure où le Gouvernement parle de réindustrialisation, de redressement productif, de compétitivité, la réforme de la taxe professionnelle a eu des effets bénéfiques dans ce domaine.

La suppression des investissements productifs de l’assiette de l’impôt économique local a favorisé la compétitivité des entreprises industrielles.

Selon Bercy, elle a donné lieu à 7,5 milliards d’euros d’allégements pour les entreprises en 2010, puis à 4 milliards d’euros par an.

Au total, 2 millions d’entreprises sont sorties gagnantes de la réforme, contre moins de 800 000 qui ont constaté une augmentation de leur cotisation de plus de 10 % et plus de 500 euros.

Selon Bercy, le premier bénéficiaire de la réforme en 2010 est le secteur de l’industrie, qui a profité d’une baisse d’impôt de près de 2 milliards d’euros, soit 26 % de l’allégement global.

Mais il est faux de dire que cette réforme a favorisé les grandes entreprises.

Les PME s’en sortent en effet mieux : alors que les grandes entreprises, dont le chiffre d’affaires excède 250 millions d’euros, qui produisent au total 33 % de la valeur ajoutée nationale, ne représentent que 19 % du gain global, a contrario, les entreprises réalisant moins de 1 million d’euros de chiffre d’affaires bénéficient, selon Bercy, de 36 % des allégements. C’est donc parmi les plus grandes entreprises que les perdants sont proportionnellement les plus importants.

Par ailleurs, l’effet d’aubaine a été évité pour certaines grandes entreprises non délocalisables, avec l’instauration de l’IFER, qui neutralise pour les entreprises de réseaux les bénéfices de la réforme.

Ainsi, l’effet jugé parfois quelque peu « anti-économique » de la taxe professionnelle, dans la mesure où cet impôt était fondé sur la valeur des investissements et sur la masse salariale, a été en grande partie corrigé.

Plus précisément, il s’agit d’un rééquilibrage : en effet, lorsque la taxe professionnelle a remplacé la patente en 1975, 15 % des assujettis, notamment des entreprises industrielles, virent leur cotisation à l’impôt économique local augmenter de plus de 70 %. Les principaux bénéficiaires de cette réforme furent les petites entreprises commerciales et artisanales.

D’une disposition fiscale de quelques lignes les corrections apportées au fil des années firent un texte de plusieurs pages, extrêmement complexe.

Pour autant, cet impôt économique local est indispensable.

Comme l’ancienne taxe professionnelle, l’actuelle CET est une ressource essentielle des collectivités territoriales et revêt une grande importance pour le développement de la coopération intercommunale.

Par ailleurs, la CET occupe une place centrale dans les politiques de péréquation des inégalités de richesse fiscale entre les collectivités.

La suppression d’une partie de l’assiette de la taxe professionnelle lors de la création de la CET n’a pas pour autant affecté les ressources des collectivités : une compensation relais leur a été versée par l’État en 2010, avant la mise en place, à compter de 2011, de mécanismes de garantie et l’attribution d’un nouveau panier de ressources. Ce dernier est composé de nouvelles recettes fiscales rétrocédées par l’État, comportant la taxe sur les surfaces commerciales, le solde de la taxe sur les conventions d’assurance, la fraction de DMTO – droits de mutation à titre onéreux – qui était encore perçue par l’État, ainsi qu’une partie des frais de gestion de la fiscalité directe locale revenant auparavant à l’État.

Ainsi, la réforme de la taxe professionnelle a profondément modifié non seulement le panier des ressources des collectivités, mais aussi la répartition de celles-ci sur le territoire.

Les départements et les régions furent les catégories de collectivités les plus affectées par cette réforme du fait de la quasi-disparition du levier du taux pour les premiers et de sa suppression totale pour les secondes.

Toutefois, plusieurs mécanismes ont été établis, qui ont permis d’améliorer fortement la péréquation : un fonds de péréquation de la CVAE a été institué pour les deux niveaux de collectivités et un fonds de péréquation des DMTO a été tout particulièrement créé pour les départements.

Pour ce qui concerne les DMTO, les écarts étaient auparavant élevés : en 2008, leur montant pouvait varier de 50 euros par habitant pour la Haute-Marne à 300 euros par habitant pour les Alpes-Maritimes, soit un rapport de un à six. Je prends cet exemple au hasard, sur une question que notre excellent rapporteur Charles Guéné connaît bien ! (Sourires.) Ces écarts ont été réduits grâce à la création du fonds de péréquation des DMTO, dont le mécanisme de redistribution a été amélioré au fil des lois de finances, notamment sous l’impulsion du groupe UMP du Sénat.

En effet, la péréquation est un enjeu essentiel, sur lequel nous nous sommes fortement engagés depuis la réforme de la taxe professionnelle.

Le Sénat a notamment obtenu de nouvelles avancées en faveur des territoires ruraux et des territoires défavorisés. Je songe, par exemple, au dispositif voté lors de l’examen de la loi de finances pour 2011.

Parallèlement, la création du fonds de péréquation des recettes intercommunales et communales a constitué une avancée décisive en matière de péréquation.

En résumé, la réforme de la taxe professionnelle, quoique complexe à mettre en œuvre, était nécessaire. Elle a été très substantiellement modifiée par le Sénat, et la clause de revoyure permet d’en corriger les imperfections.

Elle reste encore très certainement perfectible, mais ses effets positifs, notamment sur les entreprises industrielles et sur les PME, sont essentiels dans un contexte de déliquescence de notre industrie et de déclin de notre compétitivité.

Grâce à des mécanismes de garantie et de compensation, les ressources des collectivités territoriales n’ont pas été affectées. Le panier de ressources fiscales dont celles-ci disposent a été très opportunément diversifié et la péréquation, améliorée.

Au total, le groupe UMP, qui a soutenu cette réforme et participé à son amélioration, juge donc avec le recul que, si celle-ci reste perfectible, elle était nécessaire et a eu des effets positifs pour notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Mézard. Pas même des remords !

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.

Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un peu plus de trois ans, le Sénat engageait la discussion relative à la réforme de la taxe professionnelle. L’ampleur de cette réforme, les conséquences profondes qu’elle a entraînées pour nos territoires et la complexité des dispositifs concernés nécessitent, à l’heure où nous souhaitons débattre des perspectives, que nous dressions un bilan étayé de la suppression de la taxe professionnelle.

Il y a trois ans, un de nos collègues avait eu cette phrase, au moment d’aborder l’article 2 du projet de loi de finances pour 2010, qui portait suppression de la taxe professionnelle : « Cette réforme, née par surprise à l’Élysée, n’a connu que les couloirs de Bercy pour grandir. Or ce sont bien les territoires qui, demain, mourront de votre fausse réforme ! »

Alors que des rapports comme celui remis en novembre 2012 au Parlement par le Gouvernement établissent désormais des bilans objectifs, réfléchis et fondés sur les trois années d’exercice qui ont suivi réforme, je ne peux résister à l’envie de vous rappeler la réponse de Philippe Marini, alors rapporteur général de la commission des finances : « Tout ce qui est excessif est insignifiant ! »

Citer Talleyrand n’est pas toujours opportun, et cet échange semble aujourd’hui bien douloureux pour la majorité de l’époque. Cependant, cette douleur est éprouvée par l’ensemble des acteurs locaux, les départements comme les régions, les communes comme les intercommunalités.

De fait, dans cette réforme, tout a été excessif.

Tout d’abord, l’impréparation était manifeste, pour une mesure annoncée par surprise, un soir de février, par Nicolas Sarkozy ; aucune concertation, aucune simulation n’ont accompagné la suppression de la taxe professionnelle.

Quant à la précipitation, elle était évidente s’agissant d’un texte déposé en toute hâte à l’Assemblée nationale, puis transmis au Sénat et discuté dans des conditions indignes du Parlement, dont beaucoup d’entre vous se souviennent.

La taxe professionnelle représentait une masse de plus de 30 milliards d’euros en 2009, soit près de 18 % des recettes de fonctionnement de l’ensemble des collectivités locales. Cela équivaudrait, pour l’État, à remplacer l’impôt sur le revenu, qui lui procure près de 17 % de ses recettes fiscales.

Nous pouvons le dire, maintenant que nous sommes aux responsabilités et que nous avons la charge de redresser ce qui a été cassé : il y a eu une part d’irresponsabilité dans la manière de mener la réforme fiscale des territoires. Or, dans le cas qui nous intéresse, ce qui est excessif est loin d’avoir été insignifiant.

Bien entendu, l’effet de ciseaux que subissent les finances départementales depuis plusieurs années s’explique en partie par le rythme de croissance des dépenses sociales que les conseils généraux doivent assumer.

Toutefois, cette réforme a largement aggravé la possibilité pour les départements de se ménager des marges de manœuvre : levier fiscal étouffé, ressources peu dynamiques, dispositifs de péréquation tardant à voir le jour. À ce titre, la réforme territoriale de 2010 a constitué un leurre dès lors qu’était abordée la clause de compétence générale des collectivités locales. Quel département peut, aujourd’hui, envisager sérieusement de mener des actions sur des projets dépassant son « cœur de métier », à savoir les prestations de solidarité ?

Dans quelques instants, François Patriat évoquera le sort des régions. Sur ce sujet, je ne ferai qu’un constat : les impositions sur lesquelles les régions peuvent moduler les taux ne portent plus que sur un peu plus de 10 % de leurs ressources, contre 30 % avant la réforme. Soyons sérieux ! Quelle est l’autonomie fiscale, quel est l’avenir pour des collectivités locales dont le pouvoir de déterminer et de moduler l’impôt porte presque exclusivement sur les cartes grises ?

Et le bloc communal n’a pas été épargné : dans mon département, les Pyrénées-Atlantiques, j’ai eu l’occasion de suivre la progression des discussions relatives au schéma départemental de coopération intercommunale, le fameux SDCI. Chacun d’entre nous a son expérience de ces négociations. Toutefois, force est de constater que les discussions entre les intercommunalités et les communes achoppent bien souvent sur les facteurs financiers et fiscaux. L’épouvantail de la réforme fiscale de 2009 est dans tous les esprits lorsqu’il s’agit d’imaginer les mariages censés aboutir à cette fameuse rationalisation de la carte intercommunale.

La réforme de la taxe professionnelle a rendu illisibles les enjeux et les relations financières entre l’intercommunalité et les communes, là où elle était censée permettre une simplification de l’ensemble. À ce titre, je ne citerai que deux exemples.

D’une part, il convient d’évoquer le basculement généralisé vers la fiscalité touchant les ménages : pour les collectivités de proximité que sont les communes et les intercommunalités, le lien qui existait avant la réforme entre l’entreprise et le territoire a pour partie disparu. Aujourd’hui, pour ces territoires, ce sont les zones résidentielles qui paient, et non plus les zones d’activité accueillant des entreprises. Pour une réforme intervenue en pleine crise, et qui avait notamment pour objet de remettre au centre du jeu les acteurs économiques, le constat est cruel !

D’une part, la réforme territoriale, lancée dans la foulée de la suppression de la taxe professionnelle, s’est révélée un véritable jeu de dupes : en bouleversant les équilibres financiers entre collectivités, entre territoires, la droite ne pouvait que transformer les discussions sur les périmètres intercommunaux en batailles rangées. Celles-ci se sont déroulées dans un épais brouillard, qui, aujourd’hui, n’est pas encore dissipé. Chaque année, les « clauses de revoyure » que la droite nous avait tant vantées, ont en réalité fourni le prétexte de dizaines d’ajustements techniques, parfois essentiels, qui n’avaient pu être opérés au moment de la réforme.

Chers collègues de l’opposition, le bilan est une étape obligée. À ce stade, nous n’adoptons pas une posture, nous avons suffisamment eu l’occasion de vous faire part de nos critiques à l’encontre de cette réforme bâclée : les faits nous donnent hélas largement raison aujourd’hui.

Comme dans d’autres domaines, nous avons l’ambition de redresser ce qui avait été mal conduit ces dernières années, par des mesures contre lesquelles nous nous étions érigés. Depuis l’élection de François Hollande, de nombreuses mesures ont d’ores et déjà été prises, discutées et votées par le Parlement, dont certaines sur l’initiative du groupe socialiste du Sénat.

Pour les centaines de milliers de petites entreprises, qui, à l’automne dernier, ont été les victimes collatérales d’un énième épisode de la fin de la taxe professionnelle et qui ont subi des hausses d’impôt injustifiées, nous avons pris l’initiative de faire voter une disposition permettant aux collectivités de réparer cette injustice.

Pour les territoires, nous avons appelé de nos vœux la révision des valeurs locatives, que nous avons fait progresser, en décembre, dans cet hémicycle. Ce serpent de mer est une réforme majeure puisqu’elle touchera la substance même de l’ensemble des ressources fiscales perçues par les collectivités. Cependant, alors que la réforme fiscale de 2009 avait été menée en quelques semaines, nous souhaitons pour notre part un calendrier réaliste, raisonnable et efficace, qui laisse la place à l’expérimentation et à la concertation.

Enfin, pour les collectivités territoriales, les débats que nous avons consacrés, à l’automne dernier, à la péréquation des ressources entre territoires, continueront tout au long de 2013. Là encore, le but est de combattre des injustices qui ont été figées par la suppression de la taxe professionnelle.

La précédente majorité n’a eu de cesse de nous rappeler ce mot de François Mitterrand qualifiant la taxe professionnelle d’« impôt imbécile ». Bien entendu, cette taxe exigeait une vaste réforme de la fiscalité locale ! Qui le nierait, pour une imposition qui avait été modifiée près de soixante-dix fois par voie législative ? Mais cet impôt imbécile n’appelait pas une réforme ratée.

Bref, il faut rendre justice aux territoires. Cette valeur cardinale est au cœur de notre engagement socialiste, a fortiori au sein de la chambre des collectivités locales.

À l’injustice fiscale qui transparaît désormais, accrue par la réforme, succéderait, si rien n’était fait, la restriction des libertés locales. C’est contre le fatalisme d’une réforme bâclée que nous travaillons, que nous alimenterons le débat et que nous défendrons nos propositions durant les prochains mois, au sein de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, force est de constater que la réforme de la taxe professionnelle constituait, à première vue, une bonne initiative. En effet, elle s’inscrivait a priori dans une démarche de simplification de la fiscalité économique locale, l’objectif étant de développer la compétitivité des entreprises en allégeant leur charge fiscale à travers la suppression de la taxation sur les investissements productifs.

Cette démarche vient de loin : il y a une dizaine d’années, l’association des grandes villes de France, que je présidais alors, débattait déjà de cette question avec les entreprises et le gouvernement de l’époque. Par la suite, le rapport Lambert a été publié, des tables rondes ont été organisées. Bref, cette réforme n’est pas soudain tombée du ciel en 2009 : on en comprend mieux l’esprit lorsqu’on se réfère à toutes les réflexions qui l’ont précédée.

La taxe professionnelle représentait 45 % des recettes fiscales des collectivités territoriales dans leur ensemble et 18 % de leur budget de fonctionnement. Le produit payé par les entreprises était de l’ordre de 30 milliards d’euros. C’est dire si cette réforme a bouleversé le paysage de la fiscalité locale, sans pour autant donner aux acteurs locaux les outils nécessaires à leur dynamisme.

En 2010, les collectivités ont perçu une compensation relais qui s’est substituée à la taxe professionnelle. Très bien ! Toutefois, en 2011, leurs ressources ont subi d’importants changements, en raison de l’instauration du nouveau panier fiscal perçu en lieu et place de la taxe professionnelle. C’est alors que les difficultés se sont fait jour.

De fait, à l’origine, la réforme se fondait sur le principe de la compensation intégrale et de l’équilibre. Qu’en est-il aujourd’hui ? Que peut-on attendre de l’évolution à venir ? La contribution économique territoriale a-t-elle vocation à devenir une ressource dynamique pour soutenir l’investissement public, ou s’agit-il simplement de garantir un équilibre fixé pour la seule année 2010 ? À l’époque, la réforme nous semblait financièrement neutre. Néanmoins, à moyen et long terme, les transferts de ressources auront bien des effets différents selon le poids des diverses composantes du nouveau panier fiscal de chaque collectivité, notamment dans leurs potentiels de croissance respectifs.

Le risque est alors de créer des situations à géométrie variable en fonction des territoires et des collectivités, au point de rompre la solidarité de ces espaces et de creuser une fracture territoriale difficilement supportable, tant pour nos concitoyens que pour les collectivités.

En somme, le nouveau panier fiscal ne connaît pas une croissance aussi soutenue que la progression enregistrée par les bases de la taxe professionnelle. Dès lors, les leviers fiscaux dont disposent les collectivités sont moins importants qu’auparavant, avec une autonomie fiscale réduite et une perte de dynamisme des bases, le tout dans un contexte économique général particulièrement tendu, que nous avons tous mentionné.

Pour ma part, je m’attacherai à certains aspects de la situation actuelle.

Tout d’abord, la CET est plafonnée à 3 % de la valeur ajoutée des contribuables, au lieu de 3,5 % pour la taxe professionnelle, ce qui réduit le recours au levier fiscal. La collectivité vote le taux de la CFE, mais celui de la CVAE est, lui, établi au niveau national et figé à 1,5 %. Il est lié aux évolutions nationales et internationales : voilà pourquoi sa progression est, naturellement, fortement ralentie.

Monsieur le ministre, dans le contexte actuel de crise économique et de mutation profonde de nos territoires, ces mécanismes ne sont-ils pas de nature à affecter le dynamisme des collectivités locales, en amputant leur capacité à investir – à une époque où on attend beaucoup de leurs investissements, notamment dans le monde de l’entreprise – tout en accroissant leur dépendance à l’égard de l’État ?

Nous avons tous un vécu local particulier. J’ai à l’esprit, quant à moi, le devenir de mon agglomération mulhousienne. En 2011, nous avions modérément actionné le levier des taux d’imposition. Nous avions également agi sur la fiscalité additionnelle et mis en place notre propre politique d’abattement de taxe d’habitation, afin d’atteindre le niveau de ressources nécessaire pour couvrir nos dépenses. Nous avions dû agir sur deux postes, la CFE et les impôts-ménages, car les autres recettes étaient figées. Bien entendu, cela a entraîné une perte de dynamisme, que, par rapport aux évolutions antérieures à la réforme, nous avons évaluée à 1,5 million d’euros par an, chiffre indiscutablement important.

Les limites de ce levier fiscal sont apparues en 2012, dans le contexte de crise touchant aussi bien les entreprises que les ménages. Nous nous sommes alors engagés dans une politique d’économies – c’est toujours possible ! – et de modération de la fiscalité. Elle pèsera naturellement sur nos investissements et sur les services à la population. Certes, nous essayons de procéder de manière raisonnable et équilibrée, mais nos décisions ne sont évidemment pas neutres.

Voilà pourquoi, comme tous mes collègues, je m’interroge sur le bilan de cette réforme. Tout n’est pas noir ou blanc, comme pourrait le laisser penser le propos quelque peu manichéen de notre collègue Frédérique Espagnac.

Nous comptons sur vous pour, dans les mois ou les années qui viennent, améliorer la méthode, dont je reconnais qu’elle était perfectible, prendre en compte la situation économique et les attentes des collectivités ainsi que la défense de la justice fiscale. Peut-être, alors, porterez-vous un jugement plus nuancé sur l’exercice auquel nous nous sommes confrontés. Il était difficile hier et avant-hier, il l’est aujourd’hui et il le sera toujours demain ! Dans ce domaine, en effet, l’art est difficile…

Nous hésitons, bien sûr, à agir sur le levier fiscal. Nous nous contentons donc de limiter les dépenses et les investissements. Ces choix auront certainement des conséquences préjudiciables, qui doivent être évoquées avec le Gouvernement, dans un esprit ouvert.

Mme Françoise Laborde. Comme sous le précédent gouvernement ? Faites un effort de mémoire !

M. Jean-Marie Bockel. On le sait bien, en effet, l’essentiel des investissements créateurs d’emplois, en particulier dans le secteur du BTP, qui est en crise, provient des collectivités locales.

Nous attendons donc beaucoup du dialogue à venir entre le Parlement et le Gouvernement, afin de parfaire cette méthode, d’en éliminer les effets pervers et de retrouver l’esprit originel de cette réforme, qui était très positif. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat.

M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette discussion sur la taxe professionnelle a commencé il y a quelques semaines, avec Jérôme Cahuzac. Je voudrais à mon tour lui rendre hommage pour le travail accompli avec compétence et énergie, et saluer ses efforts pour le rétablissement des comptes publics. Monsieur le ministre, je connais votre énergie, votre clairvoyance et votre intelligence, et je vous souhaite bonne chance dans cette fonction exigeante à un moment difficile pour notre pays !

M. François Trucy. Tout à fait !

M. François Patriat. Nous sommes réunis aujourd'hui pour dresser le bilan d’une réforme dont certains vantent les mérites, tandis que d’autres la jugent totalement négative. Au passage, je me permets de dire que tel n’était pas le sens de l’intervention de Mme Espagnac, qui a mesuré ses propos en décrivant une réforme que je considère, moi, comme à la fois brutale, coûteuse et inefficace.

Pour autant, je ne nie aucunement la nécessité qu’il y avait de réformer un impôt qu’on était effectivement allé jusqu’à qualifier d’imbécile.

La réforme à laquelle il a été procédé était censée avoir deux vertus : mettre un terme à des iniquités et à des transferts vers l’État ; fonder un impôt sur les entreprises qui soit juste, efficace, et qui procure aux collectivités locales les ressources dont elles ont besoin.

Elle dissimulait cependant une arrière-pensée, que personne n’a encore évoquée aujourd’hui : il s’agissait aussi de régler des comptes avec des collectivités considérées comme non amies, auxquelles on faisait assumer de nouvelles charges, certes nécessaires, mais en leur interdisant de bénéficier des ressources afférentes.

Cette réforme a été brutale parce que sa mise en place n’a été précédée ni d’évaluations véritables ni d’une concertation digne de ce nom. Elle a été menée à la hussarde, un peu comme de la loi TEPA, celle qui devait, souvenez-vous, créer un « choc de confiance », un « choc de croissance » et faire croire que le problème de la compétitivité était résolu.

Cette réforme a été coûteuse : elle a induit, la première année, selon Gilles Carrez lui-même, une dépense représentant plus du double des 3,6 milliards d’euros prévus au départ. Avec la loi TEPA, elle a fait partie de ces mesures qui ont accru le déficit de la France, dont nous sommes aujourd’hui comptables et que nous devons effacer.

Cette réforme a été en outre injuste. Mme Des Esgaulx a prétendu tout à l'heure que les plus grands groupes n’en avaient pas vraiment bénéficié. Mais si ! Et à quoi servait-il de diminuer la taxe professionnelle d’Areva, d’EDF, de Carrefour et d’autres, alors que cela allait évidemment fragiliser les collectivités ?

Elle a aussi été injuste parce qu’elle s’est attaquée aux entreprises de travail temporaire d’insertion. Dans ma région, j’en connais auxquelles s’adressent des centaines, voire des milliers de jeunes, et qui ont vu leur taxe multipliée par sept ! Aujourd’hui, elles se plaignent de ne plus pouvoir remplir leur fonction sur le territoire. Or il s’agit là de l’aide directe à l’emploi pour des jeunes sortis du système !

En ce qui concerne les collectivités, je me souviens du cynisme d’un ancien membre du Gouvernement qui, rencontrant avec moi des élus locaux de la Puisaye, en Bourgogne, avait dit à peu près ceci : « Cette réforme, elle est vraiment bien pour les communes. Pour les intercommunalités, elle est bien. Pour les départements, ça va. Mais les régions, c’est vrai, elles n’auront rien ! »

Parlons donc un peu des régions. Avant la réforme, nous bénéficiions de 30 % d’autonomie fiscale. Elle a été ramenée à 9 % à l’issue de la réforme, et il faut voir à quels impôts elle a été cantonnée : les cartes grises et la TIPP ! On nous disait que celle-ci était un impôt porteur… Mais chacun voit bien où est aujourd’hui le problème pour les régions : les immatriculations sont en baisse, et nous faisons tout pour diminuer la consommation de produits pétroliers, et donc la recette de la TIPP !

Nos ressources autonomes sont donc en baisse et, parallèlement, nous n’avons plus aucun pouvoir ! Car vous auriez pu laisser le choix des taux aux collectivités, afin de leur donner une part de responsabilité. Mais vous ne l’avez pas fait, vous les avez confiés à l’État.

Aujourd’hui, les régions ont, en réalité, un budget affecté : on leur dit de combien elles disposent, on leur annonce que la somme va encore diminuer dans les années à venir, mais qu’avec ça il faudra faire plus ! Parce que, tout en leur disant qu’elles doivent s’en tenir à leurs compétences, on les invite à participer au financement des lignes de TGV, des autoroutes, de l’innovation, au plan Campus, au développement industriel, à l’aménagement du territoire, au déploiement du très haut débit, etc. D’où l’effet de ciseaux qui a été évoqué tout à l'heure et qui met nos collectivités en grande difficulté !

Il est vrai que les temps ont changé. Cette réforme n’a pas eu que des effets négatifs, mais nous sommes unanimes pour en demander l’amélioration. Aujourd’hui, il faut aller au-delà de ce qui a été fait et repenser à la fois les missions et les ressources des collectivités locales : il faut que nous ayons des ressources qui correspondent à nos compétences.

Les régions, par exemple, sont désormais en charge des TER. On s’accorde à dire que ce transfert a eu des effets très bénéfiques sur les dessertes locales, où la fréquentation est d’ailleurs en hausse de 30 %. Il y a cependant quelque chose d’incongru à accorder aux régions la responsabilité des TER tout en asseyant leurs ressources sur la TIPP ! Il nous faut corriger cela.

Les compétences des collectivités doivent donc être redéfinies. Ce sera l’objet de la loi future. Il faudra aussi repenser leurs ressources, en mettant l’accent sur les compétences et les responsabilités de chaque niveau de collectivités. Pour ce qui est des régions, nous avons des ressources potentielles avec les opérateurs de télécommunications, avec les moyens de transport, sur lesquels nous pouvons vraiment agir. Elles pourront permettre, demain, aux collectivités d’assumer leurs fonctions.

Je suis convaincu, monsieur le ministre, que vous êtes conscient de nos difficultés. Comme l’État, comme les communes, nous sommes confrontés à des problèmes quotidiens, tels que des fermetures d’entreprises, face auxquels nous tentons de continuer à investir. C’est le cas également avec le monde associatif.

Le budget total des communes s’élève en moyenne à 128 milliards d’euros, celui des départements à 70 milliards d’euros, alors que celui des régions n’atteint même pas 35 milliards d’euros. Dans ce domaine, nous devons donc avancer avec raison et modération, mais également faire preuve d’innovation, afin d’élargir l’horizon de nos territoires.

J’ai débattu un jour avec l’ancien Président de la République dans une usine travaillant pour l’industrie nucléaire au sein de la Metal Valley du nord de la Côte-d’Or. Il avait déclaré vouloir défendre les usines, pas les collectivités locales. Je refuse, quant à moi, d’opposer entreprises et collectivités locales ! À chaque difficulté dans les entreprises, ce sont les collectivités locales qui, prenant leurs responsabilités, sont là pour réparer les dégâts ! Après-demain encore, je recevrai des salariés d’entreprises qui s’apprêtent à fermer des sites dans quelques semaines, brutalement. Ce sont les collectivités locales qui prennent en charge les difficultés qui découlent de telles décisions. Alors, ne les opposons pas aux entreprises !

Je fais confiance au Gouvernement pour engager une réforme des collectivités et une réforme des finances locales qui tiendra compte des succès des réformes fiscales précédentes comme de leurs échecs, en menant les évaluations nécessaires, afin d’offrir aux collectivités les moyens d’assumer leurs missions dans le dynamisme, la sérénité et l’égalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

M. Claude Bérit-Débat. Je voudrais à mon tour rendre hommage à Jérôme Cahuzac et vous dire, monsieur le ministre, tout le plaisir que j’éprouve personnellement à vous voir occuper, avec vos compétences et votre pugnacité, cette fonction à la tête d’un ministère particulièrement important.

La question de la suppression de la taxe professionnelle fait partie, à plusieurs titres, de ces sujets auxquels le Sénat, représentant des collectivités locales, doit s’intéresser. Les orateurs précédents ont d’ailleurs montré l’importance de leur fonction élective dans leur approche de la situation, en mettant l’accent sur tel ou tel aspect.

Ce débat est d’autant plus important pour le Sénat que cette réforme n’a pas eu les effets économiques escomptés. Ce premier point mérite que nous nous y arrêtions. En tant que parlementaires, nous devons nous interroger sur la pertinence de cette réforme. On sait plus ou moins ce qu’elle coûte à l’État et aux collectivités, mais on ignore ce qu’elle leur rapporte, notamment en termes économiques.

Par ailleurs, les conséquences du remplacement de la taxe professionnelle par la CET doivent être précisément établies ; c’est l’objet du rapport qui est à l’origine de ce débat.

La fiscalité locale a été, pour le moins, profondément bouleversée par cette réforme. Les bouleversements sont de deux ordres.

La réforme de la taxe professionnelle a d’abord affecté la composition du panier fiscal des collectivités. Cela a eu d’importantes répercussions sur leur action et, notamment, sur leurs stratégies de développement. J’étais de ceux qui, lors de l’adoption de la réforme, avaient exprimé la crainte que la suppression de la taxe professionnelle n’engendre une perte de dynamisme des ressources fiscales. Cette crainte était fondée : j’en veux pour preuve que le bloc communal, dont il est admis qu’il a été le moins maltraité, en a tout de même été profondément affecté. C’est notamment vrai pour les EPCI dont la seule ressource fiscale était la taxe professionnelle unique, la TPU.

La communauté d’agglomération que je préside avait fait, au départ, le choix de la TPU, sans impôts-ménages additionnels. Cette simplicité fiscale relative avait deux avantages. Elle avait d’abord favorisé le renforcement du lien intercommunal. Elle avait ensuite permis d’élaborer un plan de développement fondé sur un dynamisme prévisible des recettes fiscales, sans peser sur les ménages. Cette époque, qui m’apparaît rétrospectivement comme particulièrement favorable, est bien révolue.

Notre recette unique a été remplacée par sept autres lignes de recettes d’origine économique ou en provenance des ménages, de recettes transférées d’autres collectivités, pour certaines appuyées sur la variable d’ajustement constituée par le FNGIR, le fonds national de garantie individuelle des ressources.

La conséquence de tout cela – le rapport l’établit très bien –, c’est que l’autonomie fiscale des communautés s’est dégradée. La réforme a en effet conduit à une forte augmentation de la part des impôts-ménages dans les ressources fiscales du bloc communal.

Ainsi, dans ma communauté d’agglomération, nous sommes passés d’un financement à 100 % par la TPU à un financement provenant à hauteur de 45 % des taxes- ménages. Dans ces conditions, l’autonomie financière et fiscale dont je suis, en théorie, censé disposer est, en pratique, très réduite.

Se pose un second problème qui est, lui, non plus fiscal, mais financier et économique : comment définir une stratégie d’investissement aussi efficace que celle dont nous avions pu bénéficier avec la seule TPU ?

Très concrètement – en témoigne le débat d’orientation budgétaire que nous avons eu au sein de ma communauté d’agglomération et le budget que nous allons mettre aux voix vendredi prochain –, alors que la recette de notre TPU augmentait en moyenne, sur notre territoire, de 4,5 % par an, nous avons connu, avec la suppression de la taxe professionnelle, deux années de « gel », entre 2009 et 2011, par l’effet du FNGIR. La dynamique de nos ressources a donc été rompue : notre produit fiscal a augmenté, entre 2009 et 2012, de 0,4 %, contre 4,5 % par an auparavant.

Or, dans le même temps, les attentes en matière d’investissements n’ont pas diminué, et je crois que tout le monde en est conscient. De fait, a fortiori en période de crise, les collectivités constituent une source d’investissements indispensable au soutien de l’activité économique et aux besoins sociaux de nos concitoyens. Un certain nombre de mes collègues ont rappelé qu’environ 70 % des investissements publics sont en effet assurés par les collectivités territoriales. C’est dire le rôle que jouent celles-ci en la matière ; on peut notamment évoquer la part du chiffre d’affaires que réalisent, grâce à elles, les entreprises du bâtiment ou des travaux publics.

C’est donc toute une stratégie de développement économique et social qui doit être repensée, pouvant conduire à un réajustement forcément à la baisse de nos priorités d’action.

Compte tenu de la conjoncture économique, la suppression de la taxe professionnelle est intervenue au plus mauvais moment. Elle a rendu l’action publique prisonnière d’un carcan fiscal qui, de toute évidence, ne répond pas aux besoins des collectivités.

À ce titre, les mécanismes de péréquation qui ont été mis en place sont encore très insatisfaisants puisqu’ils ne permettent pas de corriger suffisamment les disparités territoriales. C’est d’autant plus inacceptable pour certains que la suppression de la taxe professionnelle n’a pas, en fin de compte, donné aux territoires le coup de fouet escompté en termes de développement économique.

Certaines professions ont indiscutablement bénéficié d’importants effets d’aubaine. Globalement, la plupart des secteurs d’activité ont tiré profit de la suppression de la taxe professionnelle, mais, s’il fallait mettre en balance ces bénéfices avec le coût induit pour la collectivité, je ne suis pas du tout certain que l’on parviendrait à un équilibre satisfaisant.

Aussi, la réforme des collectivités territoriales doit être l’occasion de rétablir une fiscalité équitable et dynamique, qui redonne tout son sens à l’idée d’autonomie financière et fiscale. Je fais mien le plaidoyer de notre collègue François Patriat pour les régions en le transposant aux EPCI, car, à une échelle certes différente, le problème est le même.

C’est à ces seules conditions que l’on pourra redonner aux collectivités les marges de manœuvre dont elles ont effectivement besoin. C’est en tout cas ce que je souhaite très vivement, monsieur le ministre. J’espère que nous serons entendus à l’occasion de l’examen des prochains textes qui seront présentés devant la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, à qui j’adresse, à mon tour, tous mes vœux de réussite. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord vous remercier très sincèrement d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat.

Vos différentes interventions témoignent de l’importance de cette discussion dans la mesure où elles renvoient à un sujet central pour l’ensemble de ceux qui administrent des collectivités locales : je veux parler des relations financières entre les collectivités territoriales et l’État, qui leur garantit l’autonomie financière et fiscale afin qu’elles soient en situation d’assurer, dans la crise que nous connaissons, les investissements dont le pays a besoin pour créer les conditions de la croissance.

Le présent débat revêt une très grande importance, et cela pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, il intervient à la veille de la redéfinition par l’État de ses relations financières et fiscales avec les collectivités territoriales, conformément à ce qu’a annoncé le Premier ministre dans sa déclaration du 12 mars dernier.

Ensuite, il a lieu à la veille de la troisième étape de la décentralisation, annoncée par le Président de la République et le Premier ministre.

Enfin, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, il se déroule à un moment où l’État doit rendre compte devant la Haute Assemblée et l'Assemblée nationale des conditions dans lesquelles s’est accomplie la réforme de la taxe professionnelle de 2010, conformément d’ailleurs à la loi qui l’a introduite. Même si le précédent gouvernement n’a pas présenté les documents relatifs au bilan de la réforme à la fin de l’année 2011, l’actuel gouvernement a souhaité que cette photographie soit donnée aux parlementaires.

C'est la raison pour laquelle nous avons présenté au mois de novembre dernier, devant le Comité des finances locales, un rapport qui a fait l’objet d’un débat. Celui-ci a mis en évidence divers éléments et a débouché sur un certain nombre de conclusions qui rejoignent, en grande partie, celles du rapport d’information. À cet égard, je tiens à saluer, monsieur le rapporteur, tant la qualité de vos conclusions que la hauteur de vue qui a présidé à l’élaboration de ce document et dont a témoigné une fois de plus, s’il en était besoin, votre intervention d’aujourd'hui.

À l’instar de M. le rapporteur, relayé par l’ensemble des orateurs de tous les groupes qui se sont succédé à cette tribune, je veux évoquer trois sujets, ce qui me permettra, je l’espère, de répondre à la plupart des questions soulevées par les uns et les autres.

Le premier sujet concerne l’impact de la réforme de la taxe professionnelle pour le monde de l’entreprise.

Le précédent gouvernement avait pour objectif de procéder à une réforme visant à alléger la pression fiscale pesant sur les entreprises, de manière à améliorer leur compétitivité. Il est donc intéressant de voir si cet objectif a été atteint eu égard aux ambitions dont le texte de 2010 était porteur.

Le deuxième sujet a trait aux conséquences de cette réforme pour l’État. La compensation apportée par l’État n’est pas modique en termes de moyens mobilisés. Aussi nous faut-il considérer les conditions dans lesquelles elle est mobilisée et, surtout, celles dans lesquelles nous pouvons la maîtriser dans la durée. Personne ne comprendrait que le ministre chargé du budget, fût-il nouveau, ne se préoccupât point de cette question.

Enfin, le troisième sujet est relatif à l’impact de cette réforme pour les collectivités territoriales elles-mêmes.

S’agissant des conséquences de la réforme pour les entreprises, je veux tout d’abord souligner – le rapport de M. Guené est extrêmement précis sur ce point – l’effet de recomposition sectorielle qu’elle a engendré. Si l’on considère l’impact du nouveau dispositif sur les différents secteurs d’activité, on ne peut que constater qu’il les affecte de façon contrastée selon leur nature ou les activités concernées.

À cet égard, je prendrai quelques exemples très concrets.

L’impact de la réforme est très positif pour le secteur du bâtiment, qui voit ses contributions et sa pression fiscale diminuer de 46 % environ. Il est positif pour le secteur de l’industrie, qui bénéficie d’une diminution de ses contributions à hauteur de 29 %. Quant au secteur financier, il enregistre une stabilisation de sa contribution.

Si l’on s’attache plus particulièrement à certains secteurs industriels ou à certains services, on se rend compte que les entreprises ayant le plus bénéficié de la réforme sont celles du secteur automobile, ce qui n’est pas neutre au regard de la crise à laquelle il se trouve confronté, avec une diminution de près de 74 % de sa contribution, alors que les entreprises qui en ont le moins profité sont les entreprises financières, un certain nombre d’entre elles accusant une augmentation de leur contribution de l’ordre de 35 %.

L’effet de la réforme est donc très différent selon les secteurs d’activité.

Par ailleurs, je veux insister sur l’augmentation assez dynamique de la CVAE.

Il faut faire preuve de beaucoup d’honnêteté et de rigueur dans ce débat. Les chiffres ne mentent jamais lorsqu’il s’agit d’apprécier des évolutions.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Si l’on veut, comme vous l’avez tous manifesté, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, apporter une contribution honnête et rigoureuse à la réflexion menée sur les relations entre l’État et les collectivités locales en matière de finances publiques, il faut donc s’en tenir à ce que révèlent les chiffres.

Or ceux-ci établissent clairement que la CVAE a été dynamique pour les collectivités territoriales. La question n’est donc pas de savoir si elle a été dynamique ou pas ; ce que nous devons nous demander, c’est si cette dynamique ne risque pas, à terme, d’aboutir à un grignotage de l’effet de la réforme quant à la compétitivité des entreprises. Je citerai un chiffre simple : entre 2010 et 2011, le produit de la CVAE a augmenté de 9 %,…

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … ce qui représente un produit supplémentaire de près de 1 milliard d’euros.

C’est pourquoi il conviendra d’examiner de très près l’effet de l’évolution plutôt dynamique de cette contribution sur les entreprises.

Au demeurant, je veux insister sur l’impact de cette réforme sur les petites et moyennes entreprises. Si nous voulons que cette réforme soit positive pour ces entreprises, nous devons être particulièrement attentifs à la manière dont la fiscalité s’applique à elles.

Vous l’avez remarqué, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons maintenu le dégrèvement barémique dont bénéficient un certain nombre de petites et moyennes entreprises. Je rappelle que le dégrèvement est total pour celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 000 euros et qu’il existe un mécanisme de dégressivité du dégrèvement pour celles dont le chiffre d’affaires est compris entre 500 000 euros et 50 millions d’euros.

Ce dispositif garantit que les mesures fiscales mises en œuvre en faveur des PME et des PMI tiennent compte de la nécessité d’encourager ce secteur à maintenir sa dynamique. En effet, nous savons que ces entreprises jouent, dans notre pays, un rôle important dans la croissance et dans la capacité d’innovation.

Je veux également insister sur un point qui est évoqué dans le rapport d’information, à savoir la nécessité de ne pas faire de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux un dispositif qui viserait à mettre en œuvre une contribution généralisée sur toute l’économie que représentent lesdites entreprises.

Il importe de veiller à ce que l’IFER n’intervienne qu’en cas de décalage très important entre le produit fiscal issu de la taxe professionnelle et celui qui est issu du dispositif fiscal actuellement applicable à ces entreprises.

De manière générale, les collectivités territoriales ont été raisonnables, faisant en sorte que l’IFER ne soit mobilisé qu’en cas de neutralité ou d’effet d’aubaine pour les entreprises de réseaux.

Monsieur Guené, vous soulignez dans votre rapport qu’il est nécessaire de ne pas appliquer un dispositif général et qu’il faut veiller à ce que l’IFER ne soit mobilisé qu’en cas de décrochage résultant du passage d’une imposition à une autre. Je veux dire que nous partageons votre préoccupation sur ce point et notre accord avec votre vision quant à l’application de l’IFER.

Permettez-moi de dire également quelques mots sur un sujet qui a été évoqué par tous les orateurs, à savoir les conséquences, pour un certain nombre de petites entreprises, de l’augmentation de la cotisation minimale de CFE à laquelle ont procédé, de façon imprudente, certaines communes. Cette décision a entraîné des augmentations absolument dramatiques pour des entreprises qui étaient déjà très fragilisées par la crise et a conduit le Gouvernement à prendre, dans le cadre d’une loi de finances rectificative, des dispositions destinées à corriger les effets de cette mesure.

C’est ainsi que, dans la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012, nous avons donné la possibilité aux communes qui le souhaitaient de corriger, jusqu’au 21 janvier dernier, les effets de l’augmentation de cette cotisation minimale de CFE. Nous avons également permis aux communes, si elles le souhaitent, d’exonérer à hauteur de 50 % les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 000 euros. Ces mesures ont permis des corrections, mais il va de soi que nous devons rester vigilants pour l’avenir.

S’agissant des auto-entrepreneurs, je vous rappelle que, dans la même loi de finances rectificative, nous avons prorogé l’exonération de CFE dont ils bénéficient. Nous jugeons important de pouvoir examiner, avant de prendre des mesures définitives, les conclusions des inspections et des évaluations qui sont en cours. En effet, il importe de bien mesurer les effets de cette exonération pour apprécier l’opportunité de la pérenniser.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais vous apporter en ce qui concerne les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle pour les entreprises. Soyez assurés que, dans les débats budgétaires des prochains mois, le Gouvernement fera preuve de la plus grande transparence au sujet de l’incidence de cette réforme sur notre tissu économique.

J’en viens aux conséquences de la suppression de la taxe professionnelle pour l’État. Plusieurs orateurs, parmi lesquels Mme Des Esgaulx et M. Bockel, ont insisté sur le volume de la contribution que l’État a apportée à la réforme : 4 milliards d’euros. Si l’État doit naturellement assumer ses obligations vis-à-vis des collectivités territoriales, conformément à un engagement fort du Premier ministre et du Gouvernement, je ne peux pas ne pas considérer qu’il est nécessaire de maîtriser cette contribution dans le temps. D’ailleurs, un certain nombre d’entre vous ont eu la sagesse de reconnaître que les parlementaires et le Gouvernement avaient l’obligation d’œuvrer de concert au rétablissement de nos comptes.

Je vous rappelle que la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2009 sur l’assiette applicable aux bénéfices non commerciaux pour les entreprises de moins de cinq salariés était susceptible d’avoir une incidence sur le volume de la contribution apportée par l’État à la réforme. Le Conseil constitutionnel ayant dit le droit, nous avons essayé de compenser les effets de sa décision sur le budget de l’État en mettant en place, entre 100 000 et 250 000 euros, une nouvelle tranche de CFE.

Par ailleurs, je trouve légitime la volonté qui s’est exprimée sur l’ensemble des travées de voir l’État rendre compte, de façon précise et en toute transparence, des conditions dans lesquelles il organise ses relations financières avec les collectivités territoriales, particulièrement en ce qui concerne les conséquences de la réforme dont nous parlons. À cet égard, soyez assurés que le « jaune » qui retrace les relations financières entre les collectivités territoriales et l’État sera suffisamment documenté pour que cette transparence soit garantie.

S’agissant, enfin, des conséquences de la réforme pour les collectivités territoriales, de nombreux orateurs ont montré que la situation des différentes catégories de collectivités territoriales était très contrastée.

Les communes et les intercommunalités bénéficient d’un panier de ressources très diversifié qui leur garantit, malgré la réforme, la possibilité d’agir sur les taux pour assurer la dynamique de leurs ressources.

En ce qui concerne les départements, la relation entre la ressource prélevée sur les ménages et celle qui est prélevée sur les entreprises n’a pas été modifiée au point que les ressources totales en auraient été affectées. Reste que les départements sont victimes d’un effet de ciseaux qui leur pose un réel problème, leurs ressources étant moins dynamiques que les charges auxquelles ils doivent faire face.

Pour ce qui est des régions, M. Patriat a décrit leur situation particulière en soulignant qu’elles avaient pu pâtir de la réforme dans la mesure où leur degré d’autonomie fiscale s’en est trouvé amoindri. C’est un fait que la disparition d’une grande partie des contributions foncières autrefois perçues par les régions a entraîné un accroissement de leur dépendance à l’égard de la dotation de l’État.

Ainsi, lorsqu’on examine les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle pour les collectivités territoriales, on ne peut pas ne pas tenir compte du fait que la situation est très contrastée, chaque catégorie de collectivités ayant ses spécificités.

Au sujet des collectivités territoriales, je tiens également à insister sur notre souci de faire en sorte que des mécanismes de correction et de garantie des ressources soient mis en œuvre.

Je vous rappelle qu’un fonds d’urgence de 170 millions d’euros a été mis en place pour permettre aux départements de faire face à leurs charges obligatoires. Nous devons regarder de très près les conditions dans lesquelles ce fonds est mobilisé et nous assurer qu’il permet de répondre à la situation des départements, dont nous savons bien que les charges sociales augmentent de façon significative.

Concernant les communes, le Gouvernement a pris l’engagement de lancer la révision des valeurs locatives. Nous verrons de quelle façon ce processus se déroule et s’il est de nature à garantir les ressources communales et intercommunales.

S’agissant de la situation particulière des régions, des expertises et des investigations sont en cours qui nous permettront d’examiner la demande formulée par certains acteurs d’un versement transport en faveur des régions.

Tout cela mérite expertise et attention. Une fois les analyses qui sont en cours terminées, le Gouvernement saura prendre les décisions qui relèvent de sa responsabilité.

Un certain nombre d’orateurs ont soulevé la question de la péréquation. Je vais la traiter en considérant successivement chaque catégorie de collectivités territoriales.

Pour ce qui est des communes et des intercommunalités, je vous rappelle que le critère du revenu par habitant est désormais pris en compte pour l’alimentation du FPIC. L’objectif est que ce fonds soit abondé par les intercommunalités et les communes qui sont plus que d’autres en état de le faire ; son alimentation mais aussi sa mobilisation doivent présenter toutes les garanties d’équité. Ce progrès peut en appeler d’autres, mais il convient de le noter à ce moment de la réforme.

Pour les départements, deux fonds de péréquation existent, dont les évolutions méritent aussi d’être signalées, car un certain nombre d’entre elles sont positives.

Le premier fonds concerne les droits de mutation à titre onéreux. Pour son alimentation, le critère du revenu par habitant a également été pris en compte : ainsi, ce sont bien les départements les plus riches, ceux dont la capacité de mobilisation est la plus forte, qui participent le plus à l’abondement de ce fonds. Pour la distribution de l’argent, d’autres critères ont été retenus, mais les départements qui bénéficieront de ce fonds sont ceux dont le revenu par habitant est inférieur à la moyenne nationale des revenus des départements. Par conséquent, à cet égard aussi, des progrès sont accomplis au regard des objectifs d’équité et de justice.

Le second fonds dont les départements peuvent bénéficier concerne la CVAE. Cette péréquation a permis la mobilisation de 60 millions d’euros sur le fondement de critères dont 80 % sont en correspondance avec les compétences « régaliennes » des départements ; je pense en particulier au nombre de personnes âgées de plus de 75 ans, au nombre de bénéficiaires du RSA et au revenu par habitant, qui mesure la situation socio-économique d’un département.

Enfin, pour répondre à la préoccupation exprimée par M. Patriat, nous devons nous interroger sur la péréquation concernant les régions. Dans la mesure où elles sont les collectivités territoriales dont l’autonomie financière a été le plus réduite au cours des différentes étapes de la réforme, elles doivent bénéficier du dispositif de péréquation le plus élaboré et le plus achevé.

À cet égard, des progrès ont été accomplis puisque l’assiette des ressources fiscales qui sert de base au calcul de la péréquation intègre désormais l’ensemble des ressources et impôts issus de la réforme, de sorte que les prélèvements opérés portent sur le flux cumulé de toutes ces ressources. Sans doute ce progrès n’est-il pas encore tout à fait suffisant ; mais il faut en tenir compte lorsqu’on cherche, comme le Sénat s’y est attaché, à évaluer la réforme et à définir les conditions dans lesquelles elle peut être optimisée pour aboutir à une relation transparente entre l’État et les collectivités territoriales et ne pas priver ces dernières de leurs ressources.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai tâché de vous présenter un exposé très objectif et assez peu passionnel, parce que c’est le ton qui me semble convenir à ces questions. J’ai voulu vous faire connaître l’état d’esprit du Gouvernement en ce qui concerne la suppression de la taxe professionnelle et, plus généralement, les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales.

Nous sommes à la veille d’un nouvel acte de décentralisation, destiné à donner aux collectivités territoriales les moyens de se mobiliser autour de l’objectif de redressement qui préside à la politique du Gouvernement. Cette démarche suppose que les collectivités territoriales puissent être raisonnablement appelées à participer à l’effort de redressement, car la difficulté est si grande que nous devons nous rassembler pour la surmonter.

De même que nous sommes ensemble pour surmonter les difficultés, nous devons être ensemble pour exiger la transparence. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a la volonté de garantir une information complète à la représentation nationale, notamment à vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs, qui représentez les collectivités territoriales de notre pays. Nous voulons approfondir avec vous la réflexion et le débat ; la Haute Assemblée le mérite, compte tenu de la qualité de ce débat et du rapport qui l’a précédé ! (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-sept heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Didier Guillaume.)

PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

6

Débat sur le rayonnement culturel de la France à l’étranger

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le rayonnement culturel de la France à l’étranger, organisé à la demande du groupe UMP.

La parole est à M. Louis Duvernois, pour le groupe UMP.

M. Louis Duvernois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans mon rapport d’information présenté au Sénat en 2004 et intitulé Pour une nouvelle stratégie de l’action culturelle extérieure de la France : de l’exception à l’influence, je mesurais le poids des attentes envers l’autorité et la puissance publiques, attentes insatisfaites qui engendraient l’immobilisme.

Le déclin de la France se nourrit d’abord de conservatismes et autres corporatismes.

En 2010, rapporteur pour avis du projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État, je faisais le constat de la dispersion des différents opérateurs de la diplomatie culturelle, trop nombreux pour être efficaces et estimais qu’il était urgent de remédier à ce problème. C’est à la suite de l’adoption de ce texte que trois établissements publics, l’Institut français, dont j’ai obtenu l’appellation de haute lutte, Campus France et France expertise internationale ont vu le jour, concentrant, chacun dans son domaine, différentes activités relatives à l’action culturelle extérieure.

Je me réjouis ainsi de l’organisation de ce débat sur les enjeux du rayonnement culturel de la France et remercie le groupe UMP du Sénat de cette initiative.

Lors d’une récente intervention, monsieur le ministre, à l’École normale supérieure, sur le thème « La France, une puissance d’influence », vous avez souligné l’importance du défi éducatif et culturel que doit relever notre pays dans un monde complexe, en constante évolution. Pour notre croissance économique et notre influence diplomatique, il s’agit d’un enjeu décisif.

La compétition est rude dans le domaine tant de l’éducation que de l’apprentissage de la langue française et de la diffusion de notre culture.

Si elle a largement perdu l’influence qu’elle exerçait au XIXe siècle, face à la concurrence des États-Unis et, désormais, des pays émergents, la France a néanmoins des atouts considérables pour assurer son rayonnement dans le monde : son histoire, ses musées de renommée internationale, sa création artistique, ses écoles et, bien évidemment, la langue française, qui reste parlée par plus de 220 millions de personnes dans le monde.

Pour développer notre influence, nous avons des instruments de qualité, dont nous devons ici vanter les performances face à ceux de nos compétiteurs tels le Royaume-Uni, avec le British Council, l’Allemagne, avec le Goethe Institut, l’Espagne, avec les instituts Cervantes ou la Chine, avec les instituts Confucius, qui se multiplient sur tous les continents.

Ces instruments, dont nous pouvons être fiers, sont l’Institut français, présidé par un homme de grande culture, universitaire et ancien ministre, Xavier Darcos, et le remarquable réseau des Alliances françaises, qui sont près d’un millier dans le monde. Je ne manque pas de visiter ses établissements à chacun de mes déplacements à l’étranger. N’oublions pas non plus Campus France, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, réseau de plus de 500 établissements scolaires, et la Mission laïque française, que nombre de pays nous envient.

J’évoquerai enfin notre présence en matière d’audiovisuel extérieur, avec TV5 Monde, France 24 et sa diffusion trilingue français-anglais-arabe, ainsi que Radio France internationale et son rayonnement multilingue.

Le premier vecteur d’influence culturelle est l’Institut français. La loi du 27 juillet 2010 a conduit à mettre en place un appareil législatif et réglementaire complet, conférant un statut, un mode de gestion et une gouvernance compatibles avec la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, et comparables à ceux du Goethe Institut ou du British Council.

Le ministère des affaires étrangères, son ministère de tutelle, est chargé de définir des stratégies et d’établir des priorités politiques. Le pilotage opérationnel du réseau est confié à l’Institut français, avec des objectifs précis.

L’expérimentation en cours a déjà contribué à démontrer, dans les douze premiers pays concernés, la cohérence d’une architecture dans laquelle chacun trouve son rôle.

En moins de deux ans, les modes de gestion ont connu une modernisation majeure, alors que, dix ans plus tôt, le réseau culturel faisait figure de mauvais élève aux yeux de Bercy : passage à une norme comptable plus efficace, mise en place d’une nomenclature budgétaire partagée entre l’Institut français et les douze pays d’expérimentation, mise en place de logiciels communs et formation intégrée des gestionnaires et des comptables.

Les conséquences positives et concrètes pour les postes sont importantes : fongibilité des crédits et souplesse de gestion, flux financiers plus rapides, possibilité d’accorder des subventions, jusqu’ici interdites par le décret de 1976. À noter que cette dernière disposition permet de recourir aux Instituts français pour mettre en œuvre la coopération universitaire et qu’aucune difficulté de gestion n’est depuis apparue dans ce secteur.

De la même manière, les bureaux locaux de l’Institut français verseront en 2012 près de 3 millions d’euros sous forme de bourses à des étudiants ou des universitaires étrangers. C’est un axe fort de la politique française d’attractivité.

Quelles que soient les décisions prises, les avancées ayant conduit un opérateur public de l’État à gérer des représentations pilotes à l’étranger devraient concerner maintenant l’ensemble du réseau. Pour mémoire, l’Agence française pour le développement international des entreprises, UBIFRANCE, a également créé une soixantaine de bureaux entre 2006 et 2009, mais l’ensemble des recettes est perçu auprès des entreprises à Paris, les postes se contentant de gérer des budgets limités de fonctionnement.

Autre avancée notoire, la mutualisation des processus professionnels. L’Institut français a pu bénéficier d’une identité partagée avec le réseau : la fusion des services de coopération et d’action culturelle, les SCAC, avec les établissements à autonomie financière, les EAF, a entraîné la création d’établissements à partir de 2009 et l’appellation « Institut français » s’est généralisée dès 2010, renforçant la notion d’appartenance à un réseau. En effet, le partage d’une « marque unique » a été le début d’un travail de mutualisation des outils et des bonnes pratiques, créatrices d’économies d’échelle entre membres du réseau : mise en place d’outils numériques, notamment de Culturethèque, plateforme de produits culturels en ligne.

Le ciment de la formation a, par ailleurs, été fondamental pour appuyer ce processus. Quelque 1 300 agents ont été formés en 2012, près de la moitié ayant été recrutés localement. Toutes les formes de mutualisation ont été encouragées, et l’Institut français, avec ses ateliers d’été, a rempli un rôle essentiel de modernisation et de cohésion.

Concernant la professionnalisation, axe fort de la loi de 2010, les acquis sont incontestables : préparation au retour, notamment par l’élaboration de passerelles professionnelles avec les structures d’origine, et mobilité professionnelle entre le réseau et l’Institut. La réforme connaîtra une réussite durable si les personnels exerçant des responsabilités sont accompagnés dans leur progression de carrière par l’État employeur.

Localement, la création des conseils d’orientation stratégiques, présidés par l’ambassadeur et compatibles avec la LOLF, s’est avérée efficace. La fonction de pilotage stratégique cadre en outre avec le rôle d’animation et de coordination des chefs de poste. Sans être décisionnaires, ces conseils d’orientation stratégiques prennent en compte les réalités du terrain et permettent de mener des réflexions sur des stratégies ou des priorités régionales, en accord avec les ambassadeurs.

De plus, un élargissement des compétences géographiques fait des bureaux locaux de véritables relais régionaux. C’est un acquis considérable pour la mise en œuvre de projets multilatéraux. La compétence nationale des établissements à autonomie financière leur interdisait en effet de participer à l’élaboration de projets régionaux. Des programmes adaptés seront ainsi organisés, notamment au Chili, en Serbie et à Singapour.

Enfin, en période de contrainte budgétaire forte, les compétences régionales des bureaux locaux de l’Institut français les autorisent à lever des fonds multilatéraux. C’est un aspect important pour le développement futur du réseau, comme le montre l’exemple du British Council, qui remporte tous les mois, dans toutes les régions du monde, des appels d’offres européens.

L’éducation constitue le deuxième axe majeur de la politique de rayonnement culturel de la France. Dans ce domaine, notre pays dispose d’une « force de frappe » puissante : un réseau de 480 établissements homologués par l’éducation nationale, dans 130 pays. Cette homologation en garantit à la fois la qualité et l’homogénéité. Au-delà du service majeur qu’il rend à nos compatriotes et à nos entreprises, ce réseau de l’AEFE, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, et de la Mission laïque française constitue aussi un levier de la politique d’influence, car il permet de contribuer à la formation des élites étrangères.

Il faut le souligner, nos établissements scolaires à l’étranger constituent une autre grande valeur culturelle ajoutée. Au-delà du simple apprentissage du français, ils permettent un travail en profondeur de formation d’individus bilingues et biculturels, qui pourront être à leur tour des ambassadeurs de la culture française. Nombre d’entre eux font d’ailleurs de brillantes carrières dans le secteur privé, la haute administration, la politique ou les domaines des sciences, des arts et de la culture. Ils constituent tous des relais très précieux pour notre pays.

Il convient de relever un autre élément important. Au moment où des études internationales mesurent et comparent l’efficacité respective des systèmes éducatifs, le réseau des établissements français à l’étranger offre une vitrine de l’excellence éducative à la française, porteuse de valeurs reconnues et recherchées : laïcité, universalité, humanisme, développement de l’esprit critique, exigence intellectuelle. Le réseau s’attache aussi à promouvoir la dimension plurilingue et multiculturelle si essentielle aujourd’hui.

Une table ronde, organisée récemment par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat et réunissant les principaux acteurs éducatifs et culturels a permis de mieux saisir l’articulation entre les différents opérateurs de la langue et de la culture françaises : Institut français, Alliance française, Mission laïque française, AEFE. Il est donc indispensable que des liens forts se tissent entre tous ceux qui œuvrent pour la même cause.

Ainsi, au moment où nous souhaitons attirer plus de jeunes vers les universités françaises, je pense que les chercheurs dans nos instituts de recherche – CNRS, École française d’Extrême-Orient, Institut de recherche pour le développement, etc. – peuvent jouer un rôle auprès des jeunes des lycées français en leur montrant en quoi nos universités et nos grandes écoles sont à la hauteur des meilleures institutions internationales et notamment nord-américaines.

Les lycées français sont des pépinières de futurs étudiants de choix pour nos filières d’excellence dans l’enseignement supérieur. Il faut aider l’AEFE à préserver cette richesse pédagogique et humaine et utiliser au mieux ce magnifique outil de développement que sont les lycées français à l’étranger.

Plus concrètement, nous devons continuer à aider l’opérateur public à remplir sa mission. L’AEFE organise la gestion de l’intervention de la puissance publique, en cofinancement avec les familles, selon un équilibre de plus en plus difficile à atteindre, mais qu’il faut néanmoins préserver entre ses différentes missions : assurer la continuité de la scolarité pour les familles françaises par le maintien prioritaire des bourses scolaires, contribuer au rayonnement de la culture française en accueillant aussi des élèves étrangers, participer aux actions de coopération avec les systèmes éducatifs étrangers.

M. Jean-Louis Carrère. Il fallait le dire à Nicolas Sarkozy !

M. Louis Duvernois. C’est dans le droit fil de cette coopération que j’ai souhaité la tenue au Sénat, le 29 novembre dernier, des premières Rencontres internationales de l’enseignement bilingue francophone, événement qui a reçu l’approbation de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir.

S’y sont rencontrés pour la première fois des chefs d’établissements scolaires ayant reçu le label FrancEducation, accordé depuis 2012 à des établissements offrant à leurs élèves un enseignement renforcé de la langue française dans plusieurs disciplines.

Monsieur le ministre, ce label est décerné par votre ministère après avis d’une commission consultative interministérielle. Le programme est géré par l’AEFE, avec l’expertise spécifique du CIEP, le Centre international d’études pédagogiques de Sèvres.

Ont étroitement contribué au succès de ces premières Rencontres l’Institut français, le CIEP et l’AEFE, ainsi que, naturellement, la direction de la politique culturelle et du français du ministère des affaires étrangères.

Les Rencontres ont permis à plus de 200 intervenants de faire le point sur la situation de l’enseignement du français dans des filières bilingues d’excellence à travers le monde et d’envisager les perspectives offertes par le label FrancEducation » en termes de rayonnement de la langue et de la culture françaises sur les cinq continents. Il s’agit de favoriser la complémentarité et non de substituer ce label aux dispositifs existants.

Convaincu de l’utilité de ces missions, le Sénat se réjouit que vous ayez choisi, monsieur le ministre, de préserver les moyens dévolus à l’AEFE. La Haute Assemblée continuera d’accompagner cet opérateur, acteur référent d’une offre éducative française, singulière et performante.

Le troisième axe de l’influence française dans le monde est constitué par l’action audiovisuelle extérieure.

Dans ce domaine, la France est attendue. Dans un monde globalisé et qui a tendance à s’uniformiser, son avis est respecté, bien au-delà de son poids démographique ou de sa puissance économique.

L’audiovisuel français vers l’international occupe une place à part à côté des grandes chaînes anglo-saxonnes et des médias du monde arabe. À l’heure de la mondialisation, face à des populations en quête de repères et de compréhension, il offre un regard particulier sur l’information internationale.

Cette vision trouve son ancrage dans le monde francophone. Elle est porteuse de valeurs universelles attachées à la République qui nous gouverne : liberté, pluralisme des idées, confrontation des points de vue, indépendance de la presse, laïcité, égalité entre femmes et hommes, autant de principes qui restent à promouvoir, à tout le moins à conforter, dans une partie importante du monde.

Les médias audiovisuels français constituent de formidables caisses de résonnance. C’est une situation peu connue en France, et nous pouvons regretter que nos compatriotes sur le territoire national n’aient pas une meilleure idée de l’action extérieure de l’État au sein d’une société mondialisée.

Ces médias sont également pour nos 2,5 millions de compatriotes expatriés un lien irremplaçable avec notre pays.

Face aux enjeux, l’État s’est trop longtemps épuisé dans des réformes de structures coûteuses et souvent mal comprises. Ces dernières années, deux plans de départs volontaires non ciblés ont touché 22 % des effectifs de l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF. Une fusion et un déménagement conjoints se sont traduits par une profonde désorganisation des entreprises.

Monsieur le ministre, le pilotage fondé sur la recherche exclusive d’une réduction des coûts a marqué ses limites.

L’État consacre pourtant moins de 9 % du budget total de l’audiovisuel à son action audiovisuelle extérieure, comme s’il en mésestimait l’importance.

Au total, ce sont un peu plus de 300 millions d’euros chaque année, soit l’équivalent de la Deutsche Welle, la moitié des budgets d’Al Jazeera ou de CNN, 100 millions d'euros de moins que BBC World.

Ces 300 millions d'euros sont répartis entre France 24, qui regroupe trois chaînes d’information continue en trois langues – français, anglais, arabe –, RFI, radio internationale en treize langues, Monte Carlo Doualiya, radio arabophone de l’AEF, et TV5 Monde, chaîne généraliste francophone sous-titrée en plus de dix langues, qui réunit une audience hebdomadaire de plus de 50 millions de téléspectateurs.

Cet investissement est néanmoins insuffisant au regard des défis à relever dans un contexte mondial très concurrentiel.

Médias de référence, France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya réalisent aussi des audiences en progression constante. RFI est écoutée par 40 millions d’auditeurs, Monte Carlo Doualiya par 8 millions et France 24 est regardée par 45 millions de téléspectateurs. En Tunisie, la chaîne en langue arabe devance légèrement Al Jazeera, preuve que France 24 sait répondre à l’envie de liberté et de modernité des téléspectateurs de ce pays.

Toutes chaînes confondues, les environnements nouveaux médias de l’AEF ont établi un record au mois de janvier dernier avec 25 millions de visites. Les nouveaux médias permettent de s’affranchir des frontières territoriales pour toucher les diasporas au-delà de leurs pays d’origine. C’est vrai tant pour les populations arabophones qu’aux États-Unis, avec 7 millions à 8 millions d’auditeurs, autant en Amérique latine et en Europe. C’est vrai aussi pour d’autres langues : le site en vietnamien de RFI est, en termes de visites, le deuxième site le plus visité de la radio mondiale.

Ces études ne mesurent cependant pas l’impact en termes d’influence de nos médias. L’information de RFI et de France 24 en français est écoutée ou regardée au quotidien par les chefs d’État africains de l’univers de la francophonie. Les versions arabophones de France 24 et de Monte Carlo Doualiya sont en passe de réussir le même exploit dans le monde arabe.

Enfin, depuis le 27 février dernier, France 24 en langue anglaise est disponible dans tous les bureaux du Département d’État des États-Unis, du Département de la sécurité intérieure et du Département de la justice. La qualité de la couverture éditoriale de l’intervention au Mali a motivé cette décision.

Monsieur le ministre, il s’agit aujourd’hui de conforter ce qui existe et de développer cette présence audiovisuelle indispensable de la France hors de ses frontières.

Les objectifs de croissance seront, bien entendu, fonction des moyens que l’État mettra à la disposition de son action audiovisuelle extérieure. Les entraves à la présence sur certains marchés sont multiples et souvent coûteuses : elles vont de la censure politique au protectionnisme économique, sans oublier la concurrence exponentielle, qui entraîne des coûts de distribution parfois prohibitifs.

Pour réussir, des virages doivent être négociés très rapidement, à commencer par celui de la télévision numérique terrestre. L’Afrique va basculer en TNT à partir de 2015. Si France 24 et TV5 Monde ne parviennent pas à profiter de la TNT, elles seront fortement pénalisées et rapidement marginalisées. Vient ensuite le virage de la haute définition. Là encore, France 24 comme TV5 Monde doivent bénéficier d’un financement spécifique pour ne pas se voir interdire demain l’accès à certains marchés.

L’objectif de notre action audiovisuelle extérieure est bien d’être présents mondialement, au-delà des zones d’influence traditionnelles de la France que sont l’Afrique et le monde arabe, en s’appuyant sur tous les leviers d’action existants et en jouant de la complémentarité des médias.

Nos médias doivent enfin disposer d’un point d’appui sur le territoire national. Il n’est pas concevable que France 24, seule chaîne d’information continue de service public, ne bénéficie pas d’une fenêtre de diffusion sur la TNT, qui doit être aussi une fenêtre ouverte sur le monde, le grand large.

Si la France a un rôle à jouer, elle doit s’en donner les moyens. Cela passe aussi par l’adhésion de la communauté nationale à une France de « nouveaux territoires » à conquérir en matière culturelle et économique.

En conclusion, nous pourrions dire que le monde change et que nous voulons changer avec lui, mais ce n’est pas si sûr ! En règle générale, les Français vivent mal la mondialisation. Ils admettent leur anxiété sondage après sondage. La question est pourtant de savoir si nous voulons être des « mondialisateurs » ou des « mondialisés ». La réponse n’est pas encore évidente.

Aux discours entretenus par des élites démissionnaires, convaincues que la conduite d’une globalisation profitable, à défaut d’être heureuse, se fait uniquement en anglais, nous n’avons pas encore de réponse affirmée et nous ne savons pas comment lutter contre les rigidités françaises. La recherche d’une meilleure compétitivité pour notre pays, grâce à l’innovation et à une confiance en soi retrouvée, est indissociable de la volonté de l’État de promouvoir une action culturelle extérieure. On cite souvent les États-Unis. Pourtant, sait-on que le deuxième poste d’exportation est constitué par les industries culturelles ?

Puissance d’influence, la France a des talents divers. Notre pays doit d’abord réapprendre – je pèse mes mots – à aimer sa langue, l’architecte de la pensée et de la créativité,...

M. Louis Duvernois. ... et s’ouvrir parallèlement à l’apprentissage d’autres langues vivantes.

Monsieur le ministre, votre volonté de développer une « diplomatie économique » au sein de la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats aux côtés de la « diplomatie culturelle » et du français participe, me semble-t-il, de cette prise de conscience. N’avez-vous pas d’ailleurs été surpris par une récente étude, d’origine suisse me semble-t-il, qui démontre que les échanges commerciaux induits par l’appartenance à l’espace géographique francophone se sont traduits ces dernières années par un supplément de PIB par tête de 6 % en moyenne dans les pays concernés ?

M. Louis Duvernois. Voilà de quoi méditer !

Au regard de ce fort « désir de France » observé à l’international, monsieur le ministre, le moment n’est-il pas venu de « ré-enchanter » à notre tour le « rêve de France » sur le territoire national ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la diffusion culturelle au sens large est plus que jamais un enjeu politique et économique que l’on ne peut ignorer. Figurant parmi les premiers pays pratiquant une diplomatie culturelle depuis le XVIIIe siècle, la France conserve une place de choix dans ce domaine, mais elle doit s’adapter aux nouveaux défis contemporains.

Notre pays attache depuis longtemps une grande importance aux échanges culturels – cinéma, théâtre, arts, livres, idées, médias –, à la promotion de la langue française et au plurilinguisme. C’est pourquoi, je le rappelle, la France s’est battue pour obtenir de l’UNESCO, en 2005, une convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Elle entretient également un important réseau d’instituts culturels, d’Alliances françaises et de lycées français à travers le monde. Elle contribue au renforcement de la présence de ses médias avec TV5 Monde, France 24 et RFI, au sein de l’Audiovisuel extérieur de la France.

Nos principaux moyens d’actions sont la mobilité des étudiants, le développement de la recherche et des échanges de scientifiques et, bien entendu, la langue, avec l’expansion et l’affirmation de notre politique en faveur de la francophonie.

La construction d’équipements phares et le développement d’offres événementielles à portée internationale, comme les capitales européennes de la culture ou les expositions universelles, sont autant d’exemples de moyens d’influence et de diffusion de la culture.

Néanmoins, il est nécessaire de s’interroger sur notre stratégie de rayonnement culturel, ainsi que sur les moyens que l’on souhaite, et peut, y consacrer. Ce débat est donc le bienvenu.

Plus que jamais, nous vivons dans un monde globalisé et standardisé. Plus que jamais, la diffusion massive, de par le monde, de la culture mainstream nord-américaine met, d’une certaine manière, en péril notre identité culturelle, et pas seulement la nôtre au demeurant ! Ainsi, plus que jamais, la France et l’Europe ont besoin d’affirmer et de défendre les valeurs qui leur sont propres, valeurs que notre collègue Louis Duvernois a fort bien rappelées.

Telles sont les conclusions du rapport sur la gouvernance européenne du numérique, que je viens de terminer au nom de la commission des affaires européennes.

L’avènement de l’internet représente un potentiel énorme de promotion de la richesse et de la diversité culturelles française et européenne. Mais elle peut également, si nous n’y prenons garde, être synonyme d’homogénéisation culturelle. On le sait, internet déstabilise les modalités actuelles du financement de la culture, à la fois par son apparente gratuité et son absence de territorialité, qui lui permet d’échapper aux régulations nationales.

Si l’expression des contenus émane des territoires nationaux, il revient à l’Europe d’organiser la stimulation de la création et la transition numérique de l’ère industrielle. En ce domaine, plusieurs instruments que j’évoque dans mon rapport sont mobilisables, mais l’Union doit savoir si elle veut poursuivre cette politique culturelle ou se livrer, pieds et mains liés, à quelques géants, principalement américains, qui ambitionnent d’organiser l’information du monde.

Un débat au sein de l’Union est en cours. Douze États, dont la France, ont appelé en novembre dernier la Commission à soutenir la culture, par une lettre conjointe adressée aux commissaires Vassiliou, Barnier et Kroes, dans laquelle ils les invitaient à faire de la création culturelle en Europe un enjeu majeur.

Dans ce domaine principalement, nous avons besoin de renouveler totalement notre stratégie, faute de quoi nous sommes voués au sous-développement et à n’être qu’une colonie du monde numérique.

Cela étant dit, j’aimerais revenir sur quelques autres aspects de notre rayonnement culturel.

Tout d’abord, il me semble opportun de pouvoir faire un bilan des deux premières années de fonctionnement de l’Institut français, présidé par Xavier Darcos, et chargé, dans le cadre de la politique et des orientations arrêtées par l’État, « de porter une ambition renouvelée pour la diplomatie d’influence et de contribuer au rayonnement de la France à l’étranger dans un dialogue renforcé avec les cultures étrangères ».

Comme l’a rappelé Louis Duvernois, l’Institut a vocation à s’imposer comme l’opérateur central de notre action culturelle extérieure, en déclinant selon les zones géographiques les priorités stratégiques de notre politique d’influence. Pour ce faire, il doit articuler et soutenir la programmation culturelle développée par notre réseau de 98 établissements à autonomie financière culturels et le réseau associatif des 445 Alliances françaises conventionnées. Il lui appartient, en particulier, de professionnaliser les leviers de notre dispositif d’influence culturelle à l’étranger, en mettant l’accent sur la formation de nos agents culturels et le développement des outils numériques de diffusion culturelle et d’enseignement du français. L’Institut a d’ailleurs commencé à s’acquitter de cette mission.

En revanche, comme le soulignait le rapporteur pour avis sur la mission budgétaire, Louis Duvernois, les « relations avec les Alliances françaises mériteraient d’être clarifiées ». Celles-ci ne doivent en effet pas être marginalisées parallèlement au développement de l’Institut français.

Je conserve encore le souvenir ému de cette toute petite Alliance française, îlot de résistance, au cœur de la forêt amazonienne, à Manaus ! Dans le cadre de notre mission sur l’année de la France au Brésil en 2009, les membres de la commission de la culture avaient rencontré sa directrice, qui se sentait bien seule et démunie. Et pourtant, quel travail elle accomplissait ! L’activité des alliances est précieuse, comme notre commission le constate à chacun de ses déplacements.

Aussi, le travail de l’Institut français devrait se concentrer sur l’animation effective et efficace de tout le réseau culturel extérieur. Quelle est, à cet égard, monsieur le ministre, votre ambition ? Quelles missions nouvelles et innovantes souhaitez-vous confier à l’Institut français, pour qu’il rivalise avec ses concurrents britanniques ou néerlandais, très bien organisés ?

J’aimerais à présent revenir rapidement sur les crédits de la mission « Action extérieure de l’État ». On ne peut que constater et regretter les coupes budgétaires opérées dans le cadre de la loi de finances pour 2013, dans un secteur déjà très contraint. Naturellement, je partage la nécessité de maîtriser nos dépenses publiques ; néanmoins, la diplomatie culturelle et d’influence a déjà subi d’importantes contractions de ses moyens.

On peut regretter que les efforts de réduction des dépenses portent principalement sur des politiques fondamentales.

Les crédits dédiés à l’animation du réseau, qui comprennent non seulement les frais de communication, d’informatique, de missions et de représentation, mais également les moyens consacrés à la formation des agents, diminuent de 6,4 %, les crédits de soutien au réseau culturel étant en particulier réduits de 5,6 %.

Les crédits de la coopération culturelle et de promotion du français accusent pour leur part la baisse la plus importante du programme, de l’ordre de 6,5 millions d’euros, soit une diminution de 7,66 %. Or, concernant la francophonie, un appui politique fort et déterminé est nécessaire.

Je ne rappellerai pas le rôle fondamental que joue l’Organisation internationale de la francophonie, qui rassemble 63 États, dans la promotion de la langue française, notamment face à la prééminence de l’anglais. Tous les moyens doivent être mis en œuvre, y compris les plus innovants, pour maintenir, à travers le français, une nécessaire diversité linguistique et des idées. Quelle est la réflexion du ministère à ce sujet ?

Aussi, il est important que la France renforce sa position sur le marché international de l’économie du savoir, en exportant l’enseignement supérieur en français ou à la française et en cherchant à attirer et à fidéliser les jeunes générations, notamment les meilleurs étudiants étrangers, par des programmes d’échanges et de mobilité.

Là encore, il faudra s’appuyer sur l’Institut français pour moderniser l’enseignement du français dans les systèmes éducatifs locaux, à tous les niveaux d’enseignement.

Je voudrais également dire quelques mots des années croisées qui ont le bénéfice de l’échange et portent le dialogue des cultures.

En 2009, dans le rapport d’information que nous avions rédigé, à la suite du déplacement de la commission de la culture au Brésil, nous concluions que le bénéfice de tels investissements devait induire des prolongements en matière de coopération. En a-t-on aujourd’hui les moyens ?

On notera que le rayonnement extérieur de la France ne passe pas exclusivement par l’État et que les territoires développent souvent des politiques durables, comme nous avons pu le constater, voilà encore deux semaines, lors du déplacement de notre commission au Vietnam. La coopération entre la province de Hué et la région Nord-Pas-de-Calais a entraîné d’autres coopérations et des réflexes dans les échanges. Certains pays de la francophonie sont très demandeurs du renforcement de ce type de coopération.

Pour prendre un exemple concret, l’orchestre du troisième cycle du conservatoire de la ville de Rouen, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, est intervenu avec ses enseignants à Hanoï à l’occasion de son millénaire en 2010, en échange de quoi des étudiants vietnamiens sont venus dans notre ville apprendre la musique et la langue.

On constate donc que les bénéfices sont réciproques.

Pour terminer, il me semble indispensable, pour soutenir et mettre en avant toute cette politique de rayonnement et d’influence, que la France s’appuie sur un audiovisuel extérieur totalement imprégné par cette réflexion. Là encore, la concurrence avec les autres pays doit nous conduire à renforcer notre pôle audiovisuel extérieur.

Forte de l’expérience de TV5 Monde, la nouvelle présidente de l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF, Marie-Christine Saragosse, a bien engagé son mandat. Il convient de saluer son travail.

Fin 2011, un rapport de l’inspection générale des finances sur la santé financière des chaînes de l’AEF soulignait que, si les chaînes avaient su s’imposer malgré un environnement fortement concurrentiel, l’application d’un principe de précaution budgétaire et le renforcement des synergies au sein du groupe devaient être mis en œuvre.

Sur ce sujet, je vous remercie de bien vouloir nous éclairer, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l'UMP et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues : « Tout a changé, nous ne sommes plus les rois du monde... » Voilà ce que déclarait Bernard Kouchner, alors ministre des affaires étrangères, en juillet 2010, lorsque fut lancé l’Institut français, la nouvelle agence pour l’action culturelle extérieure de notre pays.

C’est probablement, en partie, parce que nous avons cru trop longtemps que nous étions « les rois du monde » que notre diplomatie culturelle accuse un certain retard et souffre parfois d’un manque de légitimité.

L’anthropologue Philippe Descola, professeur au Collège de France, a bien résumé le défi auquel est confrontée notre diplomatie d’influence : « Incarner une civilisation singulière, sans pour autant présumer de la supériorité de sa culture. »

En ce sens, l’expression apparemment consensuelle de « rayonnement culturel de la France » mérite d’être questionnée. Ne fait-elle pas référence en creux à une certaine « splendeur passée », que d’aucuns aimeraient retrouver, sans pour autant remettre en question notre modèle ? Ne nous ramène-t-elle pas à une époque désormais lointaine où la culture française dominait, si ce n’est le monde, du moins l’Europe ?

Or, les choses ont bien changé, notamment depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, après laquelle Paris a perdu sa place de capitale des artistes et du marché de l’art. Il est sans doute temps d’en prendre véritablement conscience si nous voulons construire la diplomatie culturelle du XXIe siècle.

Quand on aborde l’action culturelle extérieure de la France, deux types de chiffres sont à distinguer.

Certains témoignent de la vitalité et de l’attractivité de la culture made in France dans le monde : 50 000 manifestations culturelles organisées chaque année par le réseau culturel français, 101 instituts français, plus de 8 000 artistes, auteurs ou professionnels de la culture soutenus dans plus de 150 pays.

D’autres en revanche, moins glorieux, reflètent le déclin apparemment irréversible de notre diplomatie culturelle traditionnelle : un tiers de nos centres et instituts culturels à l’étranger ont été fermés depuis l’an 2000, le budget de l’action culturelle extérieure a baissé de plus de 20 % depuis 2007…

Cela explique notamment que, dès 2007, un rapport d’information sénatorial s’interrogeait sur « les réponses [à] apporter à une diplomatie culturelle en crise ».

Le chercheur et journaliste Frédéric Martel a dressé un constat volontairement provocateur : « Notre réseau culturel est déprimé, ses moyens dilués, sa gouvernance obsolète, ses nominations politisées ou dictées par l’énarchie diplomatique – bref, il ne fonctionne plus. »

Même si je n’adhère pas à de tels propos, ils ont le mérite de soulever un certain nombre des difficultés réelles que rencontre notre diplomatie culturelle depuis plusieurs années.

Que pouvons-nous donc faire pour redynamiser ce ressort essentiel de toute politique étrangère complète et efficace ?

Les Chinois l’ont bien compris, eux qui investissent massivement dans leurs instituts Confucius, présents à ce jour dans une centaine de pays, alors que les premiers ont ouvert leurs portes voilà seulement quelques années.

Si les baisses drastiques des moyens accordés à notre réseau culturel à l’étranger ne sont pas acceptables, elles ne nous empêchent pas de nous interroger sur les alternatives possibles pour développer un véritable soft power à la française.

D’ailleurs, particulièrement en matière de diplomatie d’influence, l’argent n’est peut-être pas le « nerf de la guerre », si je puis m’exprimer ainsi. Ce n’est pas parce que l’Institut français a un budget supérieur à celui des instituts Goethe et Cervantes ou du British Council que notre diplomatie culturelle est nécessairement plus efficace.

M. Jean-Louis Carrère. Elle ne l’est pas nécessairement moins non plus !

Mme Françoise Laborde. D’ailleurs, comment mesurer la réussite et l’efficacité en la matière ? C’est une question délicate. Si la diplomatie culturelle est un aspect essentiel de la diplomatie, elle ne doit pas, pour autant, être laissée entre les mains des seuls diplomates, aussi brillants soient-ils.

Par exemple, si le British Council ou le Goethe Institut sont de véritables bras armés de la diplomatie culturelle, ils restent autonomes vis-à-vis des ministères des affaires étrangères de leurs pays respectifs. Est-ce ce qui fait leur force ?

Le mot « culture » est tout aussi essentiel que celui de « diplomatie ». C’est peut-être, non pas aux diplomates, non pas aux pouvoirs publics en général, mais avant tout aux artistes, aux professionnels de la culture et aux industries culturelles elles-mêmes qu’il incombe de faire vivre la culture française à travers le monde et de faire vivre, dans le même temps, la francophonie.

Le rôle de la puissance publique est alors d’encourager, d’accompagner, de favoriser les synergies plutôt que de définir elle-même les standards culturels qu’elle voudrait voir « rayonner » dans tous les pays. Il faut arrêter, comme c’est encore malheureusement le cas dans certains services culturels des ambassades, de vouloir imposer de façon unilatérale notre culture, nos artistes, nos œuvres.

Laissons au contraire les acteurs et les institutions étrangères venir elles-mêmes, naturellement, vers eux, grâce à une diplomatie d’influence subtile et véritablement efficace.

C’est au nombre de commissaires d’exposition étrangers qui présenteront des artistes français et de théâtres qui programmeront des auteurs ou collaboreront avec des metteurs en scène français que nous pourrons mesurer ce fameux rayonnement culturel.

Plutôt que de fournir à des professionnels des expositions d’artistes français « clés en main », aidons ces derniers à les construire. Il s’agit d’ailleurs d’une condition indispensable pour offrir à nos artistes une véritable légitimité internationale.

Un certain nombre d’initiatives de notre diplomatie culturelle vont d’ailleurs dans ce sens, tel l’échange entre galeries d’art contemporain françaises et allemandes à travers le projet Paris-Berlin, rendu possible grâce au soutien des services culturels de l’ambassade de France à Berlin.

Le numérique, encore trop souvent considéré comme un danger alors qu’il constitue également une chance incroyable pour le développement de notre soft power, présente un potentiel dont notre diplomatie culturelle devra également se saisir pleinement.

Enfin, le rayonnement de la France passe par la capacité de notre réseau diplomatique à susciter et à encourager le débat d’idées et les échanges avec les autres cultures. Cet axe essentiel de notre diplomatie culturelle, dont nous pouvons être particulièrement fiers, mérite d’être préservé et renforcé.

La diplomatie culturelle peut également se manifester par d’autres canaux, notamment ceux d’une diplomatie plus classique – ou hard power – dans le domaine commercial, par exemple.

L’annonce récente de l’engagement des négociations sur un accord de libre-échange historique entre l’Union européenne et les États-Unis a relancé le débat sur l’exception culturelle. Défendue par certains diplomates français dans les coulisses du GATT puis de l’OMC, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, cette notion a finalement abouti à la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle, adoptée en 2005.

Constant sur ce point, le Président de la République a déclaré, le 15 mars dernier, que l’exception culturelle ne devrait donc plus faire partie des points de négociation de l’accord de libre-échange entre Union européenne et États-Unis.

Pour conclure, je souhaite insister sur la nécessité de donner une dimension européenne à la diplomatie culturelle. C’est en construisant avec nos voisins l’identité d’une culture européenne, dont la force réside dans la diversité et qui ne signifie en rien l’effacement des cultures nationales ou régionales, que nous pourrons construire un soft power véritablement puissant face aux États-Unis, qui demeurent pour l’instant les maîtres en la matière, et aux puissances émergentes, telles que la Chine ou les pays du Golfe. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la compétition est une réalité dans le monde actuel, la culture mérite mieux que l’exacerbation des rivalités. Même avec des moyens modestes, et particulièrement avec des moyens modestes, c’est la qualité des liens tissés qui importe.

Riche, de par son histoire, en ressources, compétences et institutions en charge de l’action extérieure, la France doit veiller à ne pas faire montre de supériorité face aux autres pays, qui ont bien compris l’importance de la diplomatie culturelle et de la sobriété de ton dans le monde d’aujourd’hui.

Une grande attention doit être portée à ce que nos opérateurs ou représentants ne se fassent pas de concurrence déconcertante sur le terrain.

La réforme de la précédente mandature a donné la main au Quai d’Orsay, qui a ses propres stratégies et qui s’inscrit dans des conflits mondiaux auxquels la France a décidé de prendre part. Mais la culture est un dialogue permanent entre les peuples, qui ne s’arrête ni aux frontières, ni aux conflits, dans lesquels elle doit rester le fil ténu qui permet encore de s’entendre et de faire résonner les atouts de la diversité culturelle.

Le rayonnement ne se décrète pas ; il s’apprécie a posteriori dans l’estime que nous gagnons chaque fois que nous ouvrons des espaces de formation, que nous faisons se rencontrer des artistes ou circuler des œuvres, dans les deux sens, bien sûr, ou chaque fois que des équipes mixtes de recherche travaillent pour répondre à de vrais besoins et partagent la signature de publications.

L’impératif de maîtrise des finances publiques ne doit pas nous faire perdre de vue que l’action culturelle extérieure de la France doit être appréhendée comme un investissement d’avenir. Nous sommes attendus sur la formation des formateurs en enseignement artistique, sur la francophonie et les échanges de professeurs et d’étudiants, sur les meilleures méthodes d’aide au cinéma, à l’édition, à la protection des droits des artistes, à la gestion du patrimoine...

Nous avons à apprendre et à nous émerveiller des cultures à découvrir.

Nous navrons nos amis quand, au nom de la prévention de l’immigration clandestine, nous bloquons aux frontières le violoniste du sextuor à cordes, les percussionnistes africains du festival de Bidon, un jeune chercheur en informatique qui sera accueilli à bras ouverts chez Apple. Et l’incompréhension est totale quand notre consulat de Yaoundé ne délivre pas de visa à la déléguée africaine de l’école Freinet, l’empêchant de participer au congrès mondial de cette institution, malgré son billet de retour payé, malgré son hébergement assuré, malgré l’invitation montrée et malgré les interventions de plusieurs parlementaires.

Tout cela, c’était avant 2012. Les écologistes attendent le changement et les preuves de ce changement...

Nous sommes convaincus que la réciprocité est davantage porteuse d’espoirs de retombées d’échanges plus marchands et durables que la simple volonté offensive de rayonnement motivée par la seule envie de conquérir de nouveaux marchés.

Malheureusement, les missions culturelles du ministère des affaires étrangères ont souffert d’une baisse significative de leurs crédits.

Si nous voulons repenser notre politique de coopération culturelle en sortant des vieux schémas hérités de la période postcoloniale, la culture ne doit pas être la « cerise sur le gâteau » de notre politique de développement.

Dans un monde en tension, la coopération culturelle constitue un moyen de prévention des conflits. Sans culture, pas de paix ; sans paix, pas de développement possible. Je pense donc que l’Agence française de développement gagnerait à soutenir de tels projets.

De retour d’un déplacement au Vietnam avec une délégation de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, j’ai noté que le financement de la saison croisée était assuré pour plus d’un tiers par des entreprises. De fait, l’attaché d’ambassade en charge des questions économiques gérait davantage ce dossier que le conseiller culturel. Le mécénat ne saurait dissimuler un désengagement financier de l’État. Il ne s’agirait pas d’un bon signal envoyé à nos partenaires

Savez-vous que l’École française d’Extrême-Orient ne compte plus qu’un seul chercheur en poste à Hanoï, contre trois auparavant ?

Toujours en matière de recherche, alors que l’Europe nous emmène vers une mutualisation de nos outils de coopération, notre Agence nationale de recherche ne finance pas les projets montés en collaboration avec des équipes étrangères. N’est-ce pas contradictoire ?

Pour éviter de vous dresser un tableau trop noir, je tiens néanmoins à saluer l’excellent modèle que constitue le laboratoire de recherche consacré à la génomique du riz, partenariat exemplaire de chercheurs français et vietnamiens, avec de jeunes étudiants, sur un sujet essentiel pour l’avenir et la sécurité alimentaire du Vietnam, et cela sans OGM ni brevets confiscatoires.

Je suis en revanche toujours déçue du peu d’importance accordée par l’État à l’action de nos collectivités territoriales, parfois réduites au simple statut de co-financeur, alors qu’elles savent souvent tisser des liens plus étroits dans la durée.

Enfin, je souhaite que la France fasse vivre partout la convention de l’UNESCO relative à la diversité culturelle. Ce texte de référence doit s’appliquer dans toutes ses dimensions et inspirer de multiples chantiers auxquels nous pourrons participer grâce à des coproductions et à une diffusion de qualité, en lien avec nos partenaires et dans le respect de leurs attentes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –  M. Jacques Legendre applaudit également.)

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Merci !

M. le président. La parole est à M. René Beaumont.

M. René Beaumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons tous que la dimension culturelle et linguistique constitue un atout incontournable pour le développement de l’influence de notre pays et la promotion de nos intérêts.

Héritière d’un patrimoine prestigieux, d’une culture vivante et d’une certaine singularité dans l’expression de ses positions, la France bénéficie encore d’une forte attractivité. Cependant, sa place se banalise sur la scène mondiale. Dans le domaine de la culture et des idées, elle demeure bien évidemment une puissance qui compte, mais jusqu’à quand ?

Dans le contexte de la mondialisation, le rayonnement culturel de la France est soumis à des tensions contradictoires.

Toutefois, grâce aux nouvelles technologies de l’information qui offrent des capacités de diffusions considérables, le nombre de personnes pouvant avoir accès à la culture française n’a jamais été aussi important.

Nos opérateurs culturels nationaux publics et privés, dans le domaine des arts mais aussi des sciences, les utilisent largement. Les universités, les centres de recherche et les opérateurs en charge de l’action culturelle extérieure y ont recours également.

Leurs contenus, diffusés en langue française, font aussi l’objet, de plus en plus souvent, d’une traduction afin d’accroître leur diffusion. Ainsi, le nombre de personnes dans le monde susceptibles d’accéder à ces contenus est infini. Il n’est limité que par la capacité des individus à accéder aux technologies et par les obstacles posés par certains États soucieux de contrôler l’accès aux sites internet.

Les nouvelles technologies nous offrent donc un potentiel extraordinaire pour décupler nos efforts. Nous devons nous atteler à les développer, car la concurrence étrangère est sévère.

Non seulement nos concurrents traditionnels, Américains, Britanniques et Allemands, accentuent leurs efforts, mais on voit bien qu’avec le développement des nouvelles technologies d’autres puissances émergentes deviennent beaucoup plus offensives et mènent une action culturelle au-delà de leurs frontières, à l’image de la Chine, des pays du Golfe ou encore de la Turquie dans le monde arabo-musulman.

La capacité de rayonnement culturel d’un État à l’étranger va donc dépendre très largement de sa capacité à créer les conditions de promotion de sa culture et de sa langue, qui en est le premier vecteur. Or cette promotion suppose des investissements que, malgré le « désir de France » que l’on peut observer lorsque l’on est en déplacement à l’étranger, nous sommes parfois en mal de financer aujourd’hui.

Le budget voté pour 2013 dans le domaine de la diplomatie culturelle et d’influence est caractéristique de ces limites, puisqu’il se traduit par une stabilité apparente qui masque en fait une réduction continue des moyens. Les crédits du programme 185 sont en diminution de 0,5 %, parce que leur composante majeure en termes budgétaires, l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger, n’est pas affectée par les règles de cadrage imposées aux autres secteurs.

Nombre de composantes se voient en effet appliquer des réductions de crédits pouvant aller jusqu’à 7 %. L’Institut français, dont la loi du 27 juillet 2010 a fait l’opérateur de l’action culturelle extérieure de la France, voit ainsi ses crédits diminuer de 7 %. Il en va de même des crédits pour opérations du réseau culturel dans ses deux composantes, en particulier les Alliances françaises.

Est-ce donner les meilleurs atouts à la rénovation de nos outils entreprise sous le gouvernement de François Fillon, il est vrai, mais sur la base d’un rapport conjoint des commissions de la culture et des affaires étrangères du Sénat adopté, il faut le rappeler, à l’unanimité ?

Sans doute des économies peuvent-elles être réalisées, mais je crains qu’à force de récurrence on n’en soit davantage à réduire la voilure plutôt qu’à rechercher des gains de productivité.

La dernière invention est l’appel à l’autofinancement, qui, il est vrai, est devenu un indicateur de gestion et de performance figurant en bonne place dans les instruments d’évaluation du projet annuel de performance et des contrats d’objectifs et de moyens. Il a cependant des limites.

D’abord, selon la nature des activités, la régularité de la ressource peut être plus ou moins certaine. Si en 2011 les établissements d’enseignement français ont réuni des cofinancements à hauteur de 174,6 millions d’euros, essentiellement grâce aux cours de langue, le montant attendu pour 2012 ne devait être que de 150 millions d’euros.

Ensuite, des disparités existent non seulement selon les domaines d’activités, mais aussi selon les pays, leurs ressources, le degré d’implication des entreprises françaises et, bien sûr, selon la conjoncture économique.

Il ne faudrait pas que la quête d’autofinancement introduise des facteurs d’exclusion et se traduise par un désengagement dans les pays économiques les plus vulnérables.

J’ajoute que, en période de crise, les entreprises réduisent singulièrement les sommes qu’elles peuvent consacrer à des actions de mécénat et se tournent en priorité vers la préservation de leurs marges et de leurs emplois.

Dans un tel contexte budgétaire, la conciliation du développement de nos actions et des restructurations en cours est une équation impossible. C’est bel et bien à une réduction tant des activités de notre opérateur que des réseaux que nous allons assister.

En revanche, je me réjouis des efforts conduits en matière d’attractivité et de mobilité des jeunes, y compris dans le financement de notre système d’enseignement supérieur. C’est un enjeu important.

La population étudiante étrangère atteint près de 290 000 étudiants, soit une augmentation de 65 % en dix ans ; elle représente 12,3 % des inscrits.

Il existe certes une demande forte, mais aussi une véritable concurrence internationale. Ainsi, selon les données de l’UNESCO, la mobilité étudiante à l’étranger devrait doubler dans les dix prochaines années et concerner environ 7 millions d’étudiants en 2025.

La France reste bien placée, mais la part relative des intervenants traditionnels commence à se réduire avec l’arrivée de nouveaux entrants, notamment en Asie.

Il est important que nous puissions maintenir nos capacités, car c’est un élément d’influence que de pouvoir former les élites des autres pays, non seulement dans le domaine des humanités, mais aussi dans les matières scientifiques et technologiques.

Notre attractivité doit d’abord se fonder sur l’excellence de nos cursus de formation ainsi que sur leur capacité à proposer des formations de standard international et adaptables aux besoins des publics.

La politique des bourses est évidemment un pilier important, mais à condition d’être vraiment sélective.

Enfin, il appartient à l’État d’être un facilitateur, en diffusant l’information, en favorisant les partenariats et en apportant des services.

À cet égard, je me réjouis de la rationalisation de nos outils et du développement par Campus France d’une capacité à proposer aux gouvernements étrangers, notamment à ceux des pays émergents, un système performant de gestion des bourses de leurs étudiants en France, en apportant, outre un suivi, les ressources nécessaires sans solliciter le budget de l’État.

En effet, nombre de gouvernements étrangers ont mis en place des modes de financement des études à l’étranger de leurs ressortissants, qu’ils considèrent comme un investissement d’avenir. De ce point de vue, le partenariat conclu récemment avec le Brésil dans le cadre de son programme Sciences sans frontière est exemplaire.

Néanmoins, le développement de cette politique suppose quelques moyens budgétaires. À observer l’utilisation des crédits de la diplomatie culturelle et d’influence comme une traditionnelle variable d’ajustement, je crains que nous ne puissions poursuivre nos efforts dans les années à venir. Mais peut-être me démentirez-vous, monsieur le ministre ? Je le souhaite en tout cas !

Par ailleurs, nous sommes toujours en attente du projet de contrat d’objectifs et de moyens de Campus France.

Dans l’actuel contexte économique et budgétaire difficile, j’ai l’impression que la limitation des crédits résulte d’une application quasi uniforme qui ne permet pas d’afficher les véritables priorités de notre action, ce qui me navre

On a un peu le sentiment, monsieur le ministre, d’un navire sur son aire dont on alimente de moins en moins le moteur, mais auquel on ne donne plus de véritables orientations. En l’occurrence, les orientations sont les priorités thématiques. Est-ce l’action culturelle ? Est-ce l’attractivité et la mobilité des jeunes ? Est-ce la coopération scientifique, puisque votre ministère vient d’annoncer une stratégie portant sur la diplomatie scientifique ? Est-ce le développement de l’enseignement français à l’étranger ? Faut-il continuer à conventionner et à créer des établissements dès qu’un État étranger le souhaite ?

Monsieur le ministre, à l’automne dernier, en commission, vous avez annoncé une réflexion sur ce sujet. Qu’en est-il ? Quelles sont les premières orientations ? Est-ce la diffusion de la langue française ?

Pouvez-vous nous dire où en est la rédaction du contrat d’objectifs et de moyens de l’AEFE ?

Des priorités géographiques doivent également être envisagées. Quels sont les pays cibles ? Dans quelles zones voulons-nous affirmer prioritairement notre présence ? Quels moyens affecterez-vous à ces priorités ?

Parce que, choisir, c’est aussi renoncer, en contrepartie nous devrons indiquer en quels lieux nous limiterons notre présence et nos efforts. Nous devons fixer le dispositif minimal que nous souhaitons conserver et restructurer à cette fin notre réseau.

Monsieur le ministre, je le reconnais, au cours de mon propos, je vous ai « soumis à la question ». En tout cas, je vous ai posé de nombreuses questions. Mais il est essentiel que la représentation nationale connaisse toutes les orientations envisagées pour pouvoir en apprécier la portée. Ainsi, votre présence dans cet hémicycle vous permettra de donner un peu plus de relief aux pistes que vous avez esquissées et dont la concrétisation est encore difficile à percevoir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rayonnement culturel d’un pays ne se décrète pas. Il est un état, au sens physique du terme, qui résulte de la combinaison de plusieurs facteurs.

Il est d’abord fonction de l’intensité du patrimoine culturel. De ce point de vue, la France reste une référence, une matrice qui continue à produire, et c’est bien là l’essentiel : il faut poursuivre en ce sens.

En l’espèce, l’action de l’État consiste à maintenir un environnement favorable à la création culturelle, à son renouvellement, à son investissement sur de nouveaux supports et de nouveaux modes d’expression. Elle repose sur l’éducation et l’investissement public.

Dans la politique du Gouvernement, nous mesurons l’effort consenti dans le secteur de l’éducation. En revanche, nous sommes plus inquiets pour ce qui concerne l’investissement dans le domaine de la création.

S’agissant du rayonnement culturel à l’étranger, il me semble que les filières qui permettent de développer l’excellence française ne doivent pas être négligées, car elles tirent les secteurs concernés vers le haut et permettent l’exportation de modèles de référence.

Mais le rayonnement culturel, c’est aussi la capacité pour une culture de prétendre à l’universel. Cela suppose un pouvoir de dialoguer avec l’extérieur et à intégrer pour se renouveler sans perdre de son être. Là où la liberté d’expression culturelle est restreinte, là où les idées ne peuvent pas être confrontées, le rayonnement culturel s’étiole. Il est fondamental que notre pays continue à défendre la liberté de l’expression culturelle sous toutes ses formes, milite pour la liberté de diffusion des œuvres et accueille des artistes étrangers.

Il doit aussi préserver l’économie qui sous-tend la création artistique et donc faire en sorte que cette liberté ne se trouve pas absorbée par des lois du marché qui l’affaiblissent.

La mondialisation de la diffusion des productions culturelles est relativement paradoxale.

D’une part, les nouvelles technologies permettent de diffuser de façon quasi universelle et à moindre coût des données et de s’adresser directement aux individus. Certains l’ont bien compris, et pas seulement dans le domaine culturel ! De ce point de vue, le rayonnement culturel de la France à l’étranger est sans doute plus important qu’il ne l’a jamais été.

Mais, d’autre part, la concurrence plus vive entre producteurs et le dialogue entre les cultures peuvent aussi déboucher sur une uniformisation des goûts et une standardisation des produits et au mépris de la créativité.

Pour l’État, il convient donc, tant dans sa législation intérieure que sur la scène internationale qui s’empare progressivement de la régulation des industries culturelles, d’affirmer un modèle, sans pour autant s’isoler afin de continuer à diffuser nos productions originales.

Enfin, le rayonnement à l’étranger est fonction de notre capacité à promouvoir notre culture, à susciter, serais-je tenté de dire, un « désir de France ». L’intervention de l’État reste indispensable, car le secteur culturel est fragile, surtout lorsque la concurrence s’accroît, des puissances de plus en plus nombreuses déployant une diplomatie culturelle et y consacrant des moyens importants, y compris dans les zones traditionnelles d’influence de la France.

C’est dans ce cadre qu’a été entreprise une modernisation de nos outils par la mise en place d’opérateurs. Cette modernisation doit se poursuivre et gagner en autonomie, parce qu’elle professionnalise la gestion et pérennise des modes d’action. Le pilotage, par le biais de contrats d’objectifs, me paraît une solution intéressante si, toutefois, l’État se contente de fixer des objectifs réalistes, apporte les moyens adéquats et, surtout, réguliers, se dote enfin d’une véritable capacité d’évaluation des opérateurs, point très important.

Monsieur le ministre, ces quelques observations générales devraient ou, à tout le moins, pourraient, me semble-t-il, contribuer à orienter notre réflexion.

Les rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, MM. Vallini et Besson, s’exprimeront sur leurs domaines de compétences respectifs.

Le rayonnement culturel est sans doute l’un des meilleurs atouts d’influence dont nous disposons. Vous trouverez dans cette assemblée des soutiens actifs, conscients des enjeux de long terme que représente l’action culturelle extérieure pour maintenir et développer l’influence de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rayonnement culturel international est une composante à part entière de la politique étrangère française. Dans un monde globalisé où intérêts économiques, culturels et diplomatiques paraissent plus que jamais liés, il est fondamental.

Il est la base de notre soft power, notre pouvoir doux, comme l’a théorisé Joseph Nye, et il est constitutif de la diplomatie d’influence.

Le rayonnement culturel permet non seulement d’influer indirectement sur un certain nombre d’acteurs internationaux par des moyens non coercitifs, contrairement au hard power, ou pouvoir dur, mais aussi de séduire et de convaincre d’autres États, sans utiliser la force.

Ainsi, la langue, les idées, la création artistique concourent au développement du positionnement et de l’influence générale et durable de notre pays à l’étranger. Le soutien des échanges artistiques et le développement de l’apprentissage de notre langue permettent de promouvoir intérêts politiques et économiques.

De ce point de vue, la France paraît assez bien positionnée sur la scène mondiale. Mais le modèle français ne doit pas cacher un certain nombre de problèmes et de faiblesses qui pourraient continuer à dégrader la situation de notre pays à l’avenir.

La France a un réseau encore puissant.

La diplomatie culturelle française s’appuie sur la coopération et les actions culturelles des ambassades. Avec ses 154 services de coopération et d’action culturelle, notre pays dispose du premier réseau mondial.

La France possède également le premier réseau scolaire à l’étranger. Elle est présente dans plus de 130 pays : 485 établissements accueillent environ 310 000 élèves, dont 115 000 Français, ce qui est positif.

Avec 175 espaces dans 110 pays, Campus France, créé en 2010, regroupe sous un statut unique d’EPIC, ou établissement public à caractère industriel et commercial, l’ensemble des moyens humains et financiers de l’enseignement supérieur français à l’étranger, dans un objectif de valorisation de l’image et de l’influence de notre pays.

À cette action s’ajoutent les 145 instituts et centres culturels dans 92 pays et les 1 075 Alliances françaises dans 134 pays, qui, si elles ne dépendent pas directement du ministère des affaires étrangères, bénéficient, pour 300 d’entre elles, d’une aide financière de ce ministère. Tous ces organismes contribuent, quel que soit leur statut, au rayonnement de la culture française, notamment par l’offre de cours de français à l’étranger, chapeautée depuis 2010 par l’Institut français, qui est chargé de coordonner l’action culturelle internationale.

Le réseau culturel français est donc puissant, mais il est déclinant, et ce déclin est accentué par un désengagement financier et humain. Si la France est toujours considérée comme un modèle en termes de rayonnement culturel à l’étranger, puisque nos partenaires d’Amérique latine et d’Asie du Nord-Est sollicitent encore notre expertise, le recul de l’influence française sur le terrain culturel, le déclin de la francophonie et l’étonnement des pays francophones lorsqu’ils voient la France en retrait dans le combat pour la promotion de sa langue et de sa culture, sont bien des réalités.

La culture française est moins présente sur la scène mondiale qu’il y a quelques décennies. La langue et la culture française sont en recul. L’anglais est la langue internationale et la langue officielle dans 94 pays, sans compter tous ceux où il est couramment parlé, tandis que le français n’est une langue officielle que dans 54 pays. L’influence culturelle de la France diminue en conséquence, alors même qu’elle est le fondement de notre action et de notre conception de la diplomatie.

Cette diminution de notre influence a une cause évidente : malgré son importance stratégique, la diplomatie culturelle a été durement soumise à la RGPP, la révision générale des politiques publiques, et donc à des suppressions d’empois et à une diminution drastique de ses moyens.

Force est de constater que le nouveau gouvernement n’a pas suffisamment inversé les orientations budgétaires. Nous le regrettons. Le budget pour l’année 2013 s’inscrit dans l’effort de réduction des dépenses publiques : 184 postes seront supprimés en 2013 ; les crédits budgétaires baissent de 7 % en 2013 et devraient baisser de 4 % en 2014 et en 2015. Au total, la réduction globale cumulée sera donc de 15 % sur la période 2012-2015. J’ajoute que les crédits du programme 185, consacré à la diplomatie culturelle et d’influence, s’élèvent à 665 millions d'euros pour l’année 2013, hors dépenses de personnel, ce qui représente une diminution de 0,54 % par rapport à 2012.

Certains instruments de la diplomatie d’influence ont certes été préservés, conformément aux priorités et orientations gouvernementales, mais cela ne suffira sans doute pas à enrayer le déclin.

L’enseignement fait partie des secteurs préservés. Les bourses de mobilité des étudiants étrangers en France constituent le cœur du dispositif d’influence et d’attractivité de la France et du français : la dotation affectée à ce dispositif reste stable. Les crédits pour les échanges d’expertise et scientifiques sont également maintenus à leur niveau de 2012. La diplomatie culturelle est ainsi recentrée sur une vision plus utilitaire, dans la perspective très claire d’éventuels débouchés économiques.

Cette baisse de moyens intervient à un moment où les grands pays émergents, conscients du pouvoir qu’apporte le rayonnement culturel, commencent à investir pour imiter notre modèle. Lancé en 2004 par Pékin, qui a ouvert six établissements cette année-là, dont le premier implanté en France, le réseau Confucius a connu depuis lors une croissance exponentielle : il y avait 118 centres dès 2006, 249 en 2008 et 358 en 2010, l’objectif étant d’atteindre le nombre de 500 instituts dans le monde. La France, loin de s’implanter à des points stratégiques des pays en plein développement, consacre la majorité de ses effectifs et ressources à l’Europe ou à ses anciennes colonies, contrairement à l’Allemagne et au Royaume-Uni, qui n’hésitent pas à déléguer en Europe pour mieux s’imposer dans les pays émergents.

C’est dans ce contexte global que, ces dernières années, l’approche de la France a semblé plus timorée, puisqu’elle n’a consacré que des moyens et instruments plus modestes et moins efficaces à ce volet de sa politique extérieure. Ainsi, le Maroc demeure le premier budget du réseau français pour des raisons historiques – du fait de l’héritage colonial –, mais les investissements dans les pays émergents, notamment les pays dits BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine –, ne sont pas revalorisés.

Or, si le rayonnement culturel a pour finalité d’améliorer son attractivité, de promouvoir ses savoir-faire, sa culture et ses créations, la France doit développer sa présence dans les pays d’avenir. Le risque est en effet que la baisse de l’influence française continue, alors qu’elle a été à l’origine d’initiatives internationales fortes, telles que l’exception culturelle et la lutte contre l’impérialisme culturel.

Dans un contexte de mondialisation, l’enjeu va même au-delà de la stratégie politique et économique nationale : il y va de la survie des spécificités culturelles dans un monde globalisé et uniformisé. Notre culture est porteuse de paix et de solidarité. La France doit poursuivre ses efforts : notre avenir et de notre espoir commun en dépendent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa.

M. Christophe-André Frassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, je serai naturellement tenté d’évoquer devant vous des sujets tels que la prise en charge des frais de scolarité ou l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, car ce sont des outils qui répondent aux besoins de nos expatriés tout en participant à notre rayonnement culturel.

J’ai entendu les différents et brillants orateurs qui se sont exprimés avant moi, et j’essaierai donc d’éviter les redites.

Chacun de nous sait que la France bénéficie de l’un des réseaux diplomatiques les plus denses et les plus anciens. Cependant, je me laisse aller à penser que, ça, « c’était avant ».

Notre réseau est le fruit du travail de personnalités issues de la société civile, qui, au fil des siècles et des expéditions, n’ont cessé de promouvoir les valeurs et les connaissances françaises dans le monde entier, de créer un besoin et de répondre à une immense attente de France.

Ce réseau est un héritage inestimable par son histoire, son ancienneté et sa diversité. Cependant, comme tout héritage, il importe de le faire fructifier : sinon, il serait dilapidé et risquerait de disparaître.

Or c’est malheureusement ce qui est en train de se passer. En effet, le rayonnement culturel et l’influence de la France reculent, quoi qu’on en dise et même si on le regrette. C'est la raison pour laquelle notre politique doit s’adapter aux nouveaux comportements et aux nouvelles attentes.

Cette situation résulte de la confluence de plusieurs phénomènes, à commencer par la concurrence féroce de pays qui n’ont plus rien d’émergents et par la mise en place de politiques très offensives par des pays comme les États-Unis ou la Chine.

En 2013, nous sommes bien loin des seules stratégies d’influence fondées sur le rayonnement culturel, l’héritage des philosophes des Lumières ou un style d’architecture.

Mes chers collègues, vous pardonnerez mon pragmatisme : face aux nouveaux défis de la mondialisation, nous ne sommes plus en mesure, tant budgétairement que structurellement, de répondre à la demande de France à l’étranger, mais c’est d’abord parce que nous la suscitons de moins en moins !

Nous faisons face à la concurrence d’instituts culturels emblématiques, très facilement reconnaissables et identifiables. Qu’il s’agisse du British Council ou des instituts Confucius et Goethe, ces établissements représentent bien plus qu’un patrimoine culturel : ils sont de véritables marques nationales.

Je me permets d'ailleurs de souligner que ces instituts ont un point commun : les pays qu’ils incarnent à l’étranger possèdent un gouvernement qui sait faire face à la crise. C’est cela, le véritable smart power qu’a souhaité mettre en place Hillary Clinton au cours du premier mandat de Barack Obama.

J’en profite pour rappeler que nous avons voté voilà deux ans une loi relative à l’action extérieure de l’État, dont l’objectif était de rendre notre action extérieure plus lisible et plus efficace. Cette ambition s’est traduite par la création de l’Institut français, et je m’en félicite.

Toutefois, la création d’EPIC et leur meilleure coordination ne suffisent pas à pallier le recul de l’influence de la France, même si nous possédons enfin un établissement à vocation culturelle facilement identifiable.

Il importe d’adopter une stratégie globale de diplomatie culturelle et d’influence qui ne soit plus conçue sous le seul prisme de l’action extérieure de l’État. Qu’en est-il aujourd’hui ? La diplomatie culturelle et d’influence, ou ce qu’il convient d’appeler le soft power, se mesure à l’aune du dynamisme d’un pays et de sa bonne santé économique et financière.

Or – peu d’entre vous me contrediront sur ce point –, notre pays est plongé dans un marasme économique dont nous ne sommes pas près de sortir. Il ne parvient à donner confiance ni aux Français en France ni aux investisseurs internationaux.

Selon une étude du cabinet PricewaterhouseCoopers publiée en janvier dernier, le nombre de jeunes Français expatriés devrait augmenter de 50 % dans les années à venir. Vous le voyez, mes chers collègues, les futurs exilés ne sont pas des milliardaires fuyant pour dissimuler des comptes bancaires, mais simplement des jeunes en quête d’un avenir meilleur, et d’abord d’un emploi qu’ils ne trouvent plus en France !

Du fait de leur attractivité, des pays tels que l’Australie, la Corée du Sud, le Canada, Singapour ou la Chine accueillent bon nombre de nos jeunes. À titre d’exemple, la moyenne d’âge des quelque 20 000 Français de Shanghai est de vingt-neuf ans.

À terme, cette tendance peut devenir inquiétante, car il ne faudrait pas que nous assistions à de trop nombreux départs de futurs actifs qualifiés. Si j’étais provocateur – mais je ne le suis pas –, je vous dirais que le rayonnement culturel de la France devrait d’abord s’exercer auprès des Français et à l’intérieur de nos frontières.

S'agissant du rayonnement culturel de la France à l’étranger, je souhaite rendre hommage à nos personnels diplomatiques, qui font avec ce qu’ils ont, c’est-à-dire avec peu, et qui œuvrent pour que la France maintienne son rang sur la scène internationale, à un moment où leur sécurité peut être compromise.

Je pense également à nos expatriés, qui, à côté de nos personnels diplomatiques et de coopération, sont les ambassadeurs « civils » de notre pays. Parce qu’ils continuent d’entreprendre et assurent la promotion de ce qu’il nous reste d’énergie malgré les trop lourdes charges financières et administratives qui pèsent sur notre pays, ils sont les premiers acteurs de la francophonie.

On ne peut que s’insurger quand on lit, de-ci de-là, que ce sont des exilés fiscaux ou qu’ils manquent de patriotisme : il est lamentable de lancer de telles accusations, qui sont plus qu’irrespectueuses envers ces pionniers de l’« envie de France » que nous souhaitons tant susciter.

Monsieur le ministre, vous me pardonnerez ces propos un peu vifs, parce que vous pensez comme moi à ce sujet et parce que nous voulons tous la même chose : plus de France et encore mieux de France à l’étranger ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Besson.

M. Jean Besson. Monsieur le ministre, le président de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Jean-Louis Carrère, vous a à l’instant appelé à actualiser notre démarche stratégique en matière de diplomatie d’influence.

Il y a cinq ans, nous avions engagé au sein de cette assemblée un travail de réflexion de grande ampleur, qui réunissait les commissions des affaires étrangères et de la culture. Ce travail a débouché sur un rapport adopté, chose rare, à l’unanimité.

J’ai relu hier les constats effectués et les propositions formulées en matière d’action culturelle : nous pourrions les reprendre aujourd’hui.

Sans doute la loi du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État a-t-elle mis en place les opérateurs que sont l’Institut français, Campus France et France expertise internationale, dont la vocation est de professionnaliser et de rationaliser la diplomatie culturelle et d’influence, conformément à notre souhait.

Cependant, nous sommes restés au milieu du gué, et les mêmes faiblesses continuent de peser sur le développement de notre action culturelle extérieure, alors que nous sommes confrontés à une concurrence de plus en plus vive, notamment de la part de pays émergents comme la Chine ou de pays du Golfe, singulièrement du Qatar.

En la matière, il faut aussi compter sur des opérateurs privés, organisations non gouvernementales, fondations ou entreprises.

Je remarque d’ailleurs que, si quelques opérateurs publics dans le domaine muséographique et quelques grandes écoles ou universités dans le secteur éducatif mènent des actions à l’étranger, nos opérateurs privés sont peu engagés dans ce domaine. C’est un constat. Il n’y a sans doute pas de marché suffisamment porteur pour soutenir leur action…

Je ne veux pas avoir une vision trop « décliniste », car les moyens modernes de communication permettent une diffusion importante de notre culture et de nos idées en nous affranchissant des barrières étatiques, encore que le perfectionnement des outils de contrôle de l’internet donne à certains États de puissants moyens d’obstruction.

Toutefois, la baisse tendancielle de nos moyens depuis de nombreuses années, quels que soient les gouvernements, est une source d’inquiétude très vive.

Le rayonnement culturel est une affaire de long terme, sans doute, mais à force de réduire notre investissement, nous perdons effectivement notre influence et retrouver un crédit est souvent très coûteux, parfois impossible.

Nous avons mis en place les opérateurs, mais leurs moyens sont en diminution. Pour 2013, la dotation budgétaire de l’Institut français est en baisse de 7 %, celle des réseaux de 4 %. Un constat identique vaut pour le soutien aux Alliances françaises. Le principal objectif est donc de réaliser des économies ou de rechercher des ressources propres.

Je veux bien admettre que la recherche de solutions moins coûteuses et plus efficaces soit un exercice vertueux. Je salue, à cet égard, la remise en ordre de la mobilité des étudiants étrangers grâce à Campus France, la modernisation de la diffusion culturelle par l’utilisation des nouvelles technologies par l’Institut français, ainsi que les réflexions engagées pour s’orienter vers une labellisation d’établissements enseignant le français à l’étranger, sans nécessairement les porter financièrement. Mais cela ne doit pas devenir la principale activité de ces opérateurs.

Souvent, on se berce d’illusions, lorsque, pour présenter des budgets en équilibre, on affiche des prévisions de ressources propres irréalistes, satisfaisant à court terme le ministère du budget, qui tient solidement les cordons de la bourse, et le ministère de tutelle, lequel admet mal de revoir ses ambitions à la baisse.

Monsieur le ministre, en dehors de quelques opérations de prestige, il n’y a pas d’énormes gisements de ressources propres pour les opérateurs et pour le réseau, si l’on excepte les cours de langue. Or le fait de trop augmenter les tarifs de ces cours a aussi un effet sur la fréquentation.

Quant au mécénat, il est florissant lorsque nos entreprises se portent bien, mais, en temps de crise, celles-ci sont confrontées aux mêmes difficultés que l’État. Aidons-nous les opérateurs en procédant de la sorte ?

Si la contrainte est rude et pour les opérateurs et pour le réseau, elle est aussi démotivante pour les personnels, qui ont besoin d’être professionnalisés et de voir s’ouvrir à eux des perspectives de carrière.

Lors de nos travaux, voilà cinq ans, nous avions constaté que les personnels appelés à diriger les centres culturels ne se voient proposer qu’une formation de cinq jours, alors que la formation initiale est de six mois en Allemagne.

Par ailleurs, la durée d’immersion dans un pays est relativement courte, de l’ordre de trois années, alors qu’elle est de cinq ans pour le British Council ou pour l’Institut Goethe. Enfin, l’Allemagne et le Royaume-Uni offrent de bien meilleures perspectives de carrière aux agents de leur réseau culturel à l’étranger.

Dans notre rapport, il y a cinq ans, nous affirmions déjà que la rénovation de la gestion des ressources humaines du personnel de notre réseau culturel à l’étranger devait être l’une de nos préoccupations centrales.

Qu’en est-il de nos objectifs en la matière ? Avons-nous véritablement progressé ?

Je voudrais aussi souligner, monsieur le ministre, l’importance que nous accordons, pour cette raison, au rattachement du réseau culturel des établissements à autonomie financière à l’Institut français.

Comment imaginer un pilotage de notre action en ayant, d’un côté, un opérateur avec des objectifs de long terme, définis par un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, et, de l’autre, déconnecté, le personnel chargé de leur mise en œuvre ?

Il faut que l’administration du ministère se rassure : le pilotage par objectifs est souvent plus efficace qu’une tutelle tatillonne et de court terme. Il convient, dans cette perspective, de se donner les outils nécessaires à ce pilotage, de définir des priorités et non un catalogue, comme c’est le cas dans le contrat d’objectifs et de moyens de l’Institut français. Il faut aussi se doter de moyens d’évaluation et de contrôle et, surtout, mettre en place des équipes bien formées.

À la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous devons donc être particulièrement vigilants sur les modalités d’évaluation de l’expérimentation du rattachement du réseau culturel à l’opérateur Institut français.

Essayons de conforter nos opérateurs en leur assurant une continuité dans leur action et une régularité dans leur financement. La démarche stratégique du Gouvernement doit être plus explicite, car le pilotage du dispositif existant nous inquiète. En effet, nombre d’opérateurs, tels que Campus France et l’Audiovisuel extérieur de la France, restent sans contrat d’objectifs, les moyens publics se rétrécissent ; la capacité d’évaluation et de management au sein du ministère nous semble pouvoir être améliorée, et je sais que telle est votre volonté, monsieur le ministre. À mon sens, il est temps de faire l’autre moitié du chemin.

La situation doit surtout inviter le Gouvernement, mais aussi nos diplomates et les opérateurs, à un effort de réflexion pour redéfinir de façon plus exigeante nos ambitions et faire de véritables choix non seulement entre les objectifs, mais également entre les territoires vers lesquels nous devons faire porter nos efforts, en utilisant les leviers les plus efficaces.

Étant réaliste, je comprends bien qu’il est difficile de demander des moyens supplémentaires, mais, depuis trop d’années, les crédits de l’action culturelle extérieure sont une trop facile variable d’ajustement. Des efforts peuvent être conduits dans d’autres secteurs.

Soyez assuré, monsieur le ministre, que nous serons attentifs à vos efforts et que nous soutiendrons votre action pour redonner à notre pays une diplomatie d’influence à la hauteur de ses ambitions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. –  MM. François Trucy et Bernard Fournier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. André Vallini.

M. André Vallini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rayonnement d’un pays dépend, nous le savons tous, de multiples facteurs, au premier rang desquels figure sa culture, bien sûr, mais il dépend aussi de sa capacité d’ouverture sur le monde.

Or, aujourd’hui, de nombreux pays font preuve d’une volonté farouche de promouvoir leur culture hors de leurs frontières, notamment grâce à l’essor des nouvelles technologies de la communication.

Cette explosion de la diffusion culturelle sur la planète rend la concurrence de plus en plus vive, en particulier dans le domaine de l’audiovisuel et du multimédia.

Aussi, pour que notre culture continue à rayonner au-delà de nos frontières, il faut non seulement veiller à encourager et à soutenir sa créativité, et donc sa capacité de production, mais aussi être attentif à la promotion et à la diffusion de cette production.

Afin d’atteindre cet objectif, l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF, peut et doit jouer un rôle de premier plan. En a-t-il les moyens ?

Monsieur le ministre, si le Gouvernement a commencé, depuis l’été dernier, à remettre de l’ordre dans une situation qui était devenue inextricable, il reste à valider les buts assignés à notre audiovisuel extérieur, et, surtout, à lui donner les moyens de les mettre en œuvre.

Cela entraîne plusieurs questions.

Première question : où en est l’élaboration du contrat d’objectifs et de moyens de l’AEF et celle du projet pluriannuel de TV5 Monde.

De ce contrat, et de ce projet, dépend en effet l’efficacité de notre audiovisuel extérieur comme outil de notre influence et, donc, de notre rayonnement.

Deuxième question : quel rôle le ministère des affaires étrangères entend-il jouer en la matière, notamment face au ministère de la culture qui, je veux le rappeler ici, a balayé notre souhait d’affecter à l’audiovisuel extérieur quatre petits millions d’euros issus du supplément de recettes de la redevance au profit de France Télévisions, qui a, pour sa part, reçu 50 millions d’euros ?

Pour mémoire, notre collègue Duvernois l’a dit avant moi, l’audiovisuel extérieur ne recevra donc en 2013 que 314 millions d’euros de contributions publiques, soit un peu plus de 8 % seulement des contributions à l’audiovisuel public de la France.

Troisième question : quelle stratégie pour les médias français au Maghreb et au Proche-Orient, où chacun connaît le rôle joué par les chaînes de radio et de télévision, notamment lors des printemps arabes, et où nous constatons aussi l’influence croissante de certaines chaînes de télévision du golfe Persique.

Ne devrait-on pas développer les médias en langue arabe pour offrir aux populations l’alternative d’une information objective et professionnelle, et dépasser la cible traditionnelle des élites locales afin de toucher une population plus large ?

Pourquoi ne pas enrichir aussi l’offre radiophonique sur notre territoire national par la diffusion de Monte Carlo Doualiya sur la bande FM dans certaines agglomérations, notamment face au développement d’une offre parfois orientée non seulement politiquement, mais aussi religieusement ?

Quatrième question : quelle utilisation faire de l’Internet, aussi bien dans les médias classiques que dans les médias spécifiques, ou encore des réseaux sociaux ?

Dans ce cadre, l’action audiovisuelle et l’action culturelle convergent largement. Ainsi, le développement d’une méthode d’apprentissage du français par le site internet de TV5 Monde constitue un outil utile pour les centres culturels français à l’étranger, comme cela a été dit par un des orateurs précédents.

On peut aussi imaginer la mise à disposition, à travers des opérateurs spécialisés, de livres sous format électronique, ce qui accroîtrait l’offre culturelle française à un moindre coût, au fur et à mesure de la diffusion des tablettes numériques.

En la matière, il importe de ne jamais oublier que le français est parlé sur toute la planète et que, d’ici à trente ans, le nombre de locuteurs francophones va être multiplié par trois pour atteindre un milliard.

Monsieur le ministre, l’action audiovisuelle extérieure est une composante importante, essentielle, non seulement de notre diplomatie d’influence, mais aussi de notre rayonnement. Nous continuerons d’y être attentifs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous comptons 478 établissements d’enseignement français dans 130 pays, fréquentés par 310 000 élèves, dont les deux tiers sont étrangers, 101 instituts français, 125 antennes d’instituts français et 900 Alliances françaises dans 161 pays, 11 centres ou instituts franco-nationaux, 27 instituts français de recherche à l’étranger, 161 services de coopération et d’action culturelle, 10 services pour la science et la technologie, 135 espaces Campus France…

Inutile de poursuivre l’énumération : la France possède, encore, l’un des réseaux culturels les plus denses du monde. Il s’agit d’un atout formidable pour notre pays !

C’est bien la culture et la langue française qui font notre force à l’étranger, cette « influence douce », je n’ose dire soft power, qui contribue assurément à la place de la France dans le monde et constitue, avec notre politique d’exception culturelle, la « marque de fabrique » de la diplomatie française.

Mais, depuis plusieurs années, le cœur n’y est plus ; un profond mal-être est apparu. Certes, la présidence de Nicolas Sarkozy a pâti d’une absence de vision stratégique dans ce domaine essentiel. À cet égard, la réforme de l’action extérieure de l’État, en 2010, n’a pas rempli son objectif. Le nouvel Institut français peine à mettre en place une politique ambitieuse, notamment en matière de coopération. Je ne développerai pas plus avant ce sujet, notre collègue Jean Besson l’ayant déjà traité.

D’autres vecteurs permettent à la France de déployer sa culture, sa langue, mais aussi ses valeurs sur tous les continents. Je pense à la société Audiovisuel extérieur de la France, AEF, qui chapeaute la troisième radio internationale, RFI, la chaîne d’info internationale France 24 et Monte Carlo Doualiya, sans oublier la chaîne partenaire TV5 Monde, première chaîne mondiale de télévision en français.

André Vallini en a déjà très bien parlé, mais je ne résiste pas à l’envie d’évoquer la situation de AEF, que je connais particulièrement bien, en ma qualité d’administratrice de cette société, et de saluer le travail de sa nouvelle présidente, Marie-Christine Saragosse, qui, en quelques mois, a su redonner espoir aux salariés durement éprouvés par l’ère Sarkozy-de Pouzilhac.

Pour ce qui concerne l’enseignement français à l’étranger, nous revenons également de loin. En effet, la prise en charge des frais de scolarité mise en place par Nicolas Sarkozy n’a fait qu’accentuer les inégalités, excluant les familles des classes moyennes, mais aussi les familles étrangères, en fait toutes celles qui ne pouvaient effectivement pas supporter l’augmentation faramineuse des coûts de scolarité pour tous les autres élèves, ceux qui ne bénéficiaient pas de la gratuité et n’entraient pas dans le cadre d’attribution des bourses scolaires.

Dans le souci de redonner à l’enseignement français à l’étranger ses objectifs de justice et de mixité sociale, mais aussi d’universalité et d’influence, l’une des premières mesures de François Hollande a donc été la suppression de la prise en charge des frais de scolarité des Français de l’étranger, ou PEC.

Je terminerai en évoquant cependant une inconnue qui demeure quant aux suites qui seront réservées à l’arrêt Chauvet, rendu en mars 2012 par la cour administrative d’appel de Paris. Cette décision de justice souligne que l’AEFE a l’obligation, dans ses établissements en gestion directe, d’inscrire tout élève français dont la famille le demande et seulement une obligation dite « de moyens » pour les enfants non français. Ces derniers ne peuvent ainsi être accueillis que dans la limite des places disponibles, qui s’entendent alors comme les places non susceptibles d’être occupées par les petits Français.

Aux côtés de ces inconnues judiciaires, il nous faut aussi évoquer la position de la Commission européenne sur la non-discrimination entre citoyens des États membres de l’Union qui, si elle se confirmait, induirait de profonds bouleversements au sein de notre dispositif d’enseignement français à l’étranger et de notre système d’aides à la scolarité.

Compte tenu de ces différentes incertitudes, je me réjouis que Mme la ministre déléguée ait constitué une mission de réflexion et de proposition sur l’avenir de notre réseau d’enseignement français à l’étranger, à laquelle je souhaite, bien sûr, activement collaborer. Nous sommes tous conscients de la nécessité absolue de réfléchir à la mise en œuvre d’une nouvelle politique scolaire à l’étranger, capable de relever les défis auxquels est et sera confronté notre réseau tout en maintenant sa double fonction, la scolarisation des enfants français, bien évidemment, mais aussi sa mission d’influence, pour que de futurs Boutros Boutros Ghali, Jodie Foster ou Atiq Rahimi fréquentent encore nos établissements et deviennent ambassadeurs de notre langue et de notre culture ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –  M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs qui avez eu la patience de rester jusqu’à cette heure tardive…

M. Jean-Claude Lenoir. Parce que vous étiez là !

M. Laurent Fabius, ministre. … et que je salue avec amitié et respect, je vais articuler mon propos en deux temps : je souhaite tout d’abord revenir sur l’intervention de chaque orateur, avant de développer un propos plus général, afin que personne ne soit oublié.

M. Duvernois, qui connaît admirablement ces questions, a centré son propos essentiellement sur l’Institut français, en portant un jugement positif sur le travail réalisé. Il a développé également un certain nombre de considérations sur l’enseignement français à l’étranger, passant en revue ses différents outils. Comme de nombreux orateurs, il a souligné l’importance de l’audiovisuel extérieur français, insistant sur le soutien dont celui-ci doit disposer. Je lui répondrai dans le cours de mon propos, mais je crois que vous avez mis l’accent, à juste raison, sur les principaux instruments de notre influence, monsieur le sénateur.

Mme Morin-Desailly, comme tous les autres intervenants, a souligné l’importance du rayonnement culturel de notre pays. Elle a insisté sur la nécessité d’une approche européenne et a regretté ce qu’elle a appelé des « coupes budgétaires ». Même si, comme tous les ministères, le ministère des affaires étrangères a été soumis à des coupes, certains d’entre vous ont eu l’équanimité de rappeler que toute la partie éducative du budget du ministère en avait été exclue. Ce rappel permet, à mon sens, de modérer le jugement que l’on peut porter.

Par ailleurs, Mme Morin-Desailly a insisté sur l’importance de l’Organisation internationale de la francophonie, l’OIF, elle m’a interrogé sur l’évaluation des « années croisées » et a également évoqué la situation de l’audiovisuel extérieur.

Mme Blandin a rappelé que la culture était un investissement d’avenir et souligné l’importance de la formation des professionnels. À partir d’un exemple précis, elle s’est interrogée sur les restrictions mises à l’octroi de visas, notamment pour des professionnels de la culture. Madame la sénatrice, je ne sais pas si vous avez pris connaissance de la décision que mon collègue Manuel Valls et moi-même avons adoptée – elle a été rendue publique il y a un ou deux jours –, tendant à faciliter la délivrance de visas courts à toute une série de catégories de personnes, notamment les hommes d’affaires et les professionnels de la culture, car nous souhaitons faciliter leurs déplacements. Après avoir étudié attentivement ce dossier, nous avons envoyé des instructions à l’ensemble de nos postes à l’étranger, ce qui devrait permettre de résoudre à l’avenir des questions du type de celle qui a été évoquée.

Mme Blandin a également insisté sur l’action des collectivités locales et souligné l’importance de la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle. Sur ce dernier point, nous n’avons aucune divergence et le Gouvernement souscrit à ces analyses.

Mme Laborde s’est demandé comment dynamiser notre réseau culturel. Elle a également abordé un sujet délicat, à savoir ce que j’appellerais la dialectique du diplomate et de l’artiste : faut-il que les artistes dirigent les choix culturels, ou cette mission revient-elle aux diplomates ? La bonne réponse consiste à établir un mélange harmonieux – et cette position n’est pas dictée par le fait que je suis Normand d’adoption ! Il n’est pas possible de mener une action culturelle sans faire appel aux artistes ni aux professionnels de la culture, mais je connais beaucoup de diplomates cultivés... (Sourires.) Ils le sont même tous, dans leur immense majorité ! C’est d’ailleurs avec désolation qu’ils ont vu arriver à leur tête un ministre qui n’apportait peut-être pas toutes les garanties nécessaires, mais il fait des efforts… (Nouveaux sourires.)

Redevenons sérieux : c’est un bon brassage des diplomates et des artistes qui permet à notre politique culturelle extérieure d’avancer.

Enfin, comme beaucoup d’autres orateurs, Mme Laborde a soulevé la question de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Le Président de la République a demandé instamment que l’audiovisuel et la culture soient exclus de cet accord, car la Commission européenne ne l’avait pas fait spontanément, vous l’aurez peut-être noté. La position de la France – qu’elle n’est pas seule à défendre – mérite donc d’être soutenue avec force et nous avons l’intention de la maintenir dans toute cette discussion. Je crois comprendre que le même souci de préservation de la diversité culturelle s’exprime sur toutes les travées de votre assemblée, ce qui sera un atout pour défendre notre position.

M. Beaumont a souligné que la France était une puissance culturelle qui comptait, tout en se demandant jusqu’à quand, manifestant ainsi son inquiétude. Cette interrogation est légitime, mais je ne suis pas pessimiste. Étant, par profession, amené à faire un tour du monde à peu près tous les mois, je mesure que nous avons non seulement un réseau – essentiel ! –, mais aussi un rayonnement culturel qui reste absolument exceptionnel.

Bien sûr, nous devons rester vigilants, en raison non seulement des contraintes budgétaires, mais aussi de la concurrence. Les nouvelles technologies nous imposent de changer un certain nombre de nos méthodes, mais elles rendent également possible le maintien de notre rang de puissance culturelle. Il n’y a pas de fatalité négative dans ce domaine et la France, à condition bien sûr que nous réfléchissions ensemble et que nous prenions les bonnes décisions, peut tout à fait se maintenir à la pointe avancée du rayonnement culturel.

M. Le Scouarnec a insisté, au début de son propos, dans une énumération parfaitement exacte, sur la place tout à fait éminente dans le monde de notre réseau culturel et scolaire. D’une façon plus prudente, il a évoqué un risque de déclin, se demandant si l’usage de notre langue ne serait pas en recul. Il a également souligné la baisse d’un certain nombre de crédits, même s’il sait que le secteur de l’enseignement a été entièrement préservé.

Sur une question que nous nous posons tous quant aux orientations à donner à notre politique culturelle, j’ai apprécié qu’il exprime son choix en faveur de ce qu’il appelle les « pays d’avenir ». Bien sûr, j’imagine que si l’on posait cette question à chaque pays, peu d’entre eux s’excluraient de la liste, mais vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur. Il faut que notre réseau, sur le plan culturel comme sur le plan diplomatique, s’adapte : le monde de 2030 n’est plus celui de 1980.

Nous nous retrouverons donc facilement sur la nécessité d’être présents en Afrique, grand continent potentiellement francophone. Plusieurs d’entre vous ont indiqué que nous étions aujourd’hui environ 230 millions de francophones, les chiffres sont discutés, mais ils ne le sont pas pour le futur : d’ici à une trentaine d’années, avec le développement de l’Afrique, nous pourrions être 800 millions et voisiner le milliard. Nous devons donc y travailler.

Enfin, monsieur Le Scouarnec, vous avez également insisté sur l’exception culturelle. Je compte donc sur le rassemblement de tous les groupes politiques de votre assemblée pour nous aider à faire prévaloir cette notion extrêmement importante.

M. Christophe-André Frassa, avec force et humour, s’est désolé du recul de notre influence culturelle. Je ne suis pas aussi pessimiste que lui et je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’il le soit lui-même, puisqu’il connaît très bien nos compatriotes de l’étranger. Même si la situation est difficile, il voit bien que notre influence reste très importante, même si nous avons affaire à une très forte concurrence de la part des États-Unis ou de la Chine.

M. Frassa a aussi évoqué, comme un reproche, l’attractivité que les autres pays exercent sur notre jeunesse. S’il s’agissait d’une fuite de nos jeunes, le phénomène serait préoccupant, et il faut tout faire pour éviter d’en arriver là. En même temps, nous devons nous féliciter du fait que nos jeunes aillent à l’étranger, car ils sont nos ambassadeurs et ils portent beaucoup d’espoirs – beaucoup d’intervenants ont parlé de « l’envie de France », il ne faudrait évidemment pas que ces départs expriment un « dépit de France ». J’estime cependant que nous devons nous réjouir de la présence de nombreux Français à l’étranger, notamment de jeunes.

Enfin, M. Frassa a rendu hommage à l’action de nos diplomates et de nos expatriés ; je pense que nous devons tous nous retrouver sur ce point.

M. Jean Besson, qui, lui aussi, connaît très bien ces questions, a souligné la concurrence culturelle des BRICS, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Il s’est interrogé sur les opérateurs nouveaux, portant ce qui me paraît être un jugement positif. Mais il attire l’attention sur la baisse des moyens et il souligne que les gisements de ressources propres sont limités. Ils sont, certes, limités, mais ils ne sont pas nuls, loin de là ! Sans aller, bien évidemment, jusqu’à considérer que tout va se faire par autofinancement, il faut avoir à l’esprit, eu égard aux trajectoires budgétaires, dont il est improbable qu’elles deviennent spontanément merveilleuses dans les prochains mois, de faire flèche de tout bois.

J’évoquerai, dans le cours ultérieur de mon propos, l’Institut français, sur lequel il me paraît prématuré de porter un jugement. D’ailleurs, vous avez prévu, dans votre sagesse, de faire établir cette année un certain nombre de rapports et évaluations. De bonnes choses ont été faites. Ce qui reste en question, c’est l’opportunité d’une extension. En tout cas, nous disposons, grâce à vous, de premiers d’éléments d’évaluation, et je veux vous en remercier.

M. Vallini, qui connaît extrêmement bien notamment les sujets audiovisuels, m’a posé une série de questions. Faute de pouvoir répondre à toutes, ce dont je le prie à l’avance de bien vouloir m’excuser, j’en ai pris note. En effet, il y avait, comme souvent, d’ailleurs, la réponse dans la question (Sourires.), ce qui me permettra de compléter mon approche de ces sujets.

Il l’a dit, l’offre audiovisuelle est renforcée, y compris en France. J’ai demandé aux nouveaux responsables des différentes chaînes de travailler sur cette idée, qui est très juste, notamment pour les chaînes en arabe. Il reste à régler des questions techniques, qui ne sont pas simples. Cependant, compte tenu de la grande qualité de la plupart des chaînes diffusées à l’étranger – France 24, TV5 Monde, Radio France Internationale, Monte Carlo Doualiya, par exemple –, on doit creuser la possibilité de faire profiter très largement l’intérieur de notre pays de ces programmes. Les nouveaux responsables y travaillent actuellement.

M. Vallini a eu parfaitement raison d’insister sur l’importance des nouvelles technologies pour faire rayonner notre culture à l’extérieur.

Dernière à intervenir, Mme Lepage a souligné la densité de notre réseau culturel français à l’étranger. J’ai cru comprendre qu’elle était assez critique quant au fonctionnement de l’Institut français. Elle a décerné la mention « bien » à Mme Marie-Christine Saragosse. Comme dans The Voice, je me retourne et vote aussi pour elle. (Sourires.)

Elle a rappelé la réforme intervenue sur la PEC. Cette réforme était importante, à défaut d’être facile. Et je note que, une dizaine de mois après le changement de gouvernement, ce n’est tout de même pas, si je vous ai bien écoutés, votre souci principal. Cela prouve que vous avez, les uns et les autres, bien travaillé et que la réforme est maintenant passée dans les faits. Vous avez eu raison de rendre hommage – je le fais à mon tour – à notre ministre déléguée, votre ancienne collègue, Mme Conway-Mouret, qui a passé beaucoup de temps sur ce problème difficile.

Mme Lepage a soulevé une question que vous connaissez et dont la réponse déterminera beaucoup d’éléments. Car des décisions judiciaires sont intervenues, dont on ne connaît encore ni la portée exacte ni le degré d’extension. Si elles devaient avoir une extension maximale, cela remettrait en cause beaucoup de choses dont nous sommes en train de discuter, ce qui nous obligerait, bien sûr, à reprendre toute une série de ces sujets.

Après ces réponses aux orateurs, qui ne prétendent pas être exhaustives, je voudrais vous livrer quelques réflexions personnelles. Lorsque vous m’avez, sur l’initiative de M. Duvernois, posé la question du rayonnement culturel de la France à l’étranger, il m’est venu un souvenir. Nous avons tous un, voire plusieurs souvenirs de scènes ou d’éléments qui, tout à coup, vous sautent au visage ou à la mémoire et rendent évidente la réponse à la question.

J’ai effectué, il n’y a pas si longtemps, un voyage en Amérique du Sud, qui m’a conduit successivement au Panama, en Colombie et au Pérou.

À Bogota, l’ambassadeur m’a parlé d’une cérémonie traditionnelle qui allait se dérouler dans le lycée français, situé pas très loin de l’ambassade. Elle avait lieu assez tôt le matin, aux environs de sept heures, mais l’ambassadeur trouvait ma présence tout de même intéressante parce qu’il s’agissait de quelque chose de marquant.

Dans la cour du lycée, assez exiguë, il y avait 800 élèves, de toutes les classes, des plus petites à celles du baccalauréat. Ces élèves, en majorité des Colombiens, portaient, comme c’est l’usage là-bas, l’uniforme. Après nous avoir accueillis, ils ont chanté, dans un français absolument impeccable, non pas le premier couplet de la Marseillaise, mais ses cinq premiers couplets. Je ne demanderai pas de faire l’exercice dans cette enceinte. (Sourires.) Quoi qu’il en soit, cela veut dire un certain nombre de choses sur l’amour de la France, sur notre culture, sur la maîtrise de notre langue. Quand on assiste à cela, si loin de Paris, en la présence des professeurs et de nombreux représentants de parents d’élèves, on se dit que le rayonnement culturel de la France, ce n’est pas uniquement un sujet de discussion ! C’est vraiment quelque chose d’extrêmement fort !

Oui, la France c’est une puissance d’influence. Je n’identifie pas, pour ma part – nous n’allons pas entrer dans des querelles de vocabulaire – l’influence et le soft power. Je pense qu’il y a trois notions différentes. M. Joseph Nye, dont les travaux fort intéressants peuvent fournir l’objet de longues discussions, a inventé la notion de soft power et de hard power. Je pense, pour ma part, que la France est à la fois une puissance soft et une puissance hard et que l’ensemble de tout cela forme un troisième concept, qui n’est pas présent chez M. Nye et qui, pour moi, est une puissance d’influence. L’influence de la France est liée à l’ensemble de ces facteurs et notre influence culturelle fait évidemment partie de ce qui constitue notre puissance d’influence.

Ce rayonnement est une composante majeure de notre attractivité, de notre image, de notre réputation. Notre dernier prix Nobel, M. Serge Haroche, nous le prouve. De même, lorsque nous voyons la liste de nos médailles fields, lorsque nous voyons – même si cela se raréfie – la liste de nos prix Nobel de littérature, lorsque nous voyons la liste des Oscars remportés par des Français – qui, elle, tend à s’étoffer ! –, lorsque nous voyons les établissements prestigieux implantés en France, par exemple, le Louvre dans sa diversité, mais aussi leurs démembrements à l’étranger, la Sorbonne, nos écoles de commerce et leurs antennes extérieures, l’Institut Pasteur, nos intellectuels, nos écrivains, nous pouvons le dire, sans arrogance et sans chanter cocorico, nous avons une capacité de rayonnement culturel tout à fait remarquable !

Et ce rayonnement dépasse nos professions « traditionnelles ». Nos designers, nos architectes – vous voyez leurs réalisations lorsque vous vous déplacez à l’étranger –, nos cinéastes sont connus à travers le monde. Ce n’est pas un hasard si la France est le premier pays d’accueil de touristes internationaux, même si je pense, à titre personnel, que le tourisme pourrait donner beaucoup plus de choses qu’il ne donne en France. Ce n’est pas un hasard si Paris est la ville la plus visitée du monde. Et tout cela, causes et conséquences – parce que c’est un processus dialectique –, est à la fois créateur de culture et, en même temps, récepteur de culture.

Vous l’avez souligné, tout cela est indissociable de l’aspect économique puisque nos industries culturelles comptent déjà pour 5 % de nos exportations et, à mon sens, pourraient compter pour beaucoup plus.

Cela signifie que contribuer à notre rayonnement culturel, éducatif, linguistique, scientifique, c’est un volet très important de notre politique étrangère. Bien sûr, il ne dépend pas que de l’État, il dépend de beaucoup d’autres éléments. Cependant, comme responsables politiques, nous avons, à tous les niveaux, une mission essentielle d’appui. Le ministère des affaires étrangères a pour tâche de promouvoir cette culture à l’étranger, de développer nos échanges, de défendre notre modèle dans les enceintes multilatérales et les discussions bilatérales.

Pour cela, nous nous appuyons sur un réseau exceptionnel. Sans rappeler les chiffres que vous avez donnés, je voudrais simplement, à cette occasion, rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui le font vivre.

Ce n’est pas simplement un héritage ou une situation acquise. Vous l’avez souligné, il y a une compétition pour l’influence, une compétition qui est extrêmement rude, et pas seulement avec les très grands pays. Cette compétition concerne le Royaume-Uni, avec le British Council, l’Allemagne, avec notamment l’Institut Goethe qui, outre le fait de m’avoir permis d’apprendre l’allemand, m’a mis en contact avec ma première fiancée. À ce titre, je ne peux que saluer, avec une part de nostalgie, l’efficacité de cet institut… (Sourires.) Sont également concernés le Japon, qui s’est doté en 1972 d’une Fondation du Japon, l’Espagne, avec le réseau Cervantès. Parmi les autres acteurs, on cite toujours la Chine, qui, pour ne parler que d’elle, produit, si je peux m’exprimer ainsi, six millions de diplômés universitaires par an !

Il faut donc, de notre part, une action extrêmement forte pour développer notre rayonnement. Cela dépasse très largement la promotion de la culture et de la langue françaises. C’est la raison pour laquelle, comme cela a été souligné, une même direction de mon ministère, la direction de la coopération culturelle, universitaire et de la recherche, recouvre les différents aspects de cette politique d’influence.

Beaucoup d’entre vous m’ont demandé quels sont nos objectifs.

D’abord, promouvoir la création française et le patrimoine français dans tous les domaines, ce qui veut dire l’écrit, la musique, les arts plastiques, les arts de la scène, le cinéma, l’architecture, le design… et on pourrait allonger la liste.

Je lie patrimoine et création. La mission prioritaire de notre réseau culturel, c’est de promouvoir notre culture, notre langue, nos créateurs là où, comme vous l’avez souligné tout à l’heure, se construit le monde de demain, et où notre présence n’est pas nécessairement spontanée. Au-delà de l’Afrique, que j’ai mentionnée, on doit également parler de l’Amérique latine et de l’Asie. Notre image est souvent spontanément positive. Il y a une tradition francophile, je pense à l’Amérique latine, où nous sommes très aimés. Certains qui ont le goût du paradoxe – mais, comme le disait Jean-Jacques Rousseau, un paradoxe n’est pas automatiquement une vérité – disent que si nous sommes aimés c’est parce que nous sommes absents. Or si nous sommes aimés, ce n’est pas parce que nous sommes absents, c’est quoique nous soyons absents ou insuffisamment présents.

Toutefois, rien n’est acquis.

Pour ce faire, nous devons travailler notamment en partenariat avec les grandes institutions culturelles. Ce point n’a pas été cité dans le débat, mais vous l’avez tous à l’esprit : nos grands musées, Orsay, le centre Pompidou, le Quai Branly, le Louvre Abou Dabi, autant de réalisations et de projets qui sont des vitrines extraordinaires de la France.

Nous devons soutenir la création française dans toute sa diversité, soit au travers d’artistes ou de créateurs déjà établis, dont je n’énumérerai pas la liste, car il n’est pas question ici d’opérer une hiérarchie, soit au travers d’œuvres, qu’il s’agisse de peinture, de sculpture, de ballet, de cinéma ou d’architecture. Il faut soutenir, à la fois, les talents établis et la génération montante.

Nous agissons également en faveur de la promotion des industries culturelles et créatives françaises, qui représentent 350 000 emplois dans les domaines de la musique, de l’audiovisuel, du cinéma et du livre. Notre rôle consiste à la fois à soutenir ces industries dans leur promotion à l’international et à défendre la spécificité des biens culturels, afin de maintenir la créativité et la diversité de ces secteurs. Nous y serons vigilants, je l’ai dit, dans le cadre des négociations en vue d’un accord entre les États-Unis et l’Europe.

Il faut être particulièrement attentif au secteur de l’édition française, qui est la première de nos industries culturelles par son poids économique, et dont 25 % du chiffre d’affaires est réalisé à l’international.

Les enjeux liés aux négociations européennes et internationales sont majeurs. Les éditeurs du Syndicat national de l’édition que j’ai rencontrés récemment à l’occasion du Salon du livre m’ont également indiqué à quel point ils étaient attentifs à la liberté de publier dans le monde.

Nous devons aussi veiller à la diffusion d’un regard français sur le monde. Si l’influence passe par de multiples canaux, le rayonnement est très lié à l’audiovisuel. En 2015, plus de 30 000 chaînes télévisées émettront dans le monde. Il est donc fondamental que la France ait toute sa place dans cette société des médias. C’est la mission que Mme Filippetti et moi-même avons confiée à la nouvelle direction de l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF.

Les chaînes françaises qui diffusent à l’étranger sont de très bonne qualité : TV5 Monde, qui touche 235 millions de foyers ; France 24, désormais bien implantée dans le paysage des chaînes internationales d’information ; RFI, l’une des radios internationales les plus écoutées, notamment en Afrique ; Monte Carlo Doualiya. Nous avons là des atouts majeurs.

Après ce que j’appellerai pudiquement les « turbulences » passées, les choses semblent apaisées. Une réflexion est en cours dans le cadre des discussions sur le nouveau contrat d’objectifs et de moyens de l’AEF pour obtenir la meilleure adaptation possible de notre dispositif audiovisuel extérieur à l’évolution des enjeux internationaux, avec une attention particulière portée aux spectateurs et auditeurs des zones jugées prioritaires. Le pôle médias de l’AEF sera renforcé, ainsi que le souhaitait M. Vallini. Nous assumons totalement le rôle stratégique qui est le nôtre. Le ministère des affaires étrangères entend jouer totalement son rôle, car c’est vraiment un outil majeur.

Le deuxième axe prioritaire est la francophonie, qui constitue un atout énorme, quelquefois insuffisamment apprécié en France. Je dis parfois pour plaisanter – mais est-ce vraiment une plaisanterie ? – que le français devrait être développé partout dans le monde, y compris en France. Il nous faut vraiment insister sur ce point.

Nous voulons miser sur la francophonie, non pas seulement parce que nous avons cette langue en partage, mais aussi parce qu’elle porte un certain nombre de valeurs. Elle permet de faciliter les échanges et a un impact économique positif.

Vous faisiez allusion, monsieur Duvernois, à une récente étude, dont j’ai également eu connaissance, selon laquelle les échanges commerciaux induits par l’appartenance à l’espace francophone se sont traduits ces dernières années par un supplément de PIB par tête de 6 % en moyenne dans les pays concernés.

M. Louis Duvernois. C’est exact !

M. Laurent Fabius, ministre. Il serait d’ailleurs intéressant de transmettre à nos collègues cette étude qui montre que la francophonie n’est pas une vieille lune,…

M. Louis Duvernois. Tout à fait !

M. Laurent Fabius, ministre. … mais un élément d’avenir jouant un rôle positif à tous points de vue, tant culturel qu’économique, ainsi que sur le plan des valeurs.

La francophonie ne concerne évidemment pas simplement la France : nous sommes cocréateurs de la francophonie, avec beaucoup d’autres pays.

Avec eux, nous avons mis sur pied un plan d’action : consolider la famille des pays francophones, en particulier en Afrique et dans les pays arabes ; renforcer l’enseignement du français dans les pays non francophones ; promouvoir le français dans la vie internationale.

Je tiens à dire à cet égard, puisque les propos que nous tenons à cette tribune sont destinés à être reproduits, que je ne trouve pas absolument indispensable, lorsqu’une assemblée totalement francophone est réunie, que les personnalités présentes s’expriment en anglais (M. François Trucy sourit.), et ce pour deux raisons. Tout d’abord, ils ne rendent pas, en général, un grand service à l’anglais, qu’ils parlent souvent de façon approximative (Sourires.)

M. Bernard Fournier. Tout à fait !

M. Laurent Fabius, ministre. Par ailleurs, peut-on imaginer qu’un parfait francophone, voire même un Français, s’exprime en anglais à une tribune, tandis que lui fait face un collègue francophone d’un autre pays qui a passé des années à apprendre le français, et qui le parle dans un milieu parfois hostile ? Non ! (Applaudissements.) Ne soyons pas non plus chauvins.

L’anglais est une langue-outil, comme l’est l’informatique. Je devrais d’ailleurs plutôt parler de l’américain. En effet, ce n’est pas faire grande injure à nos collègues britanniques que de dire que la langue anglaise aurait une influence bien plus limitée si elle n’était parlée qu’en Grande-Bretagne.

Permettez-moi, à cet égard, de vous citer une anecdote historique, qui pourra vous servir à introduire un propos devant une assemblée francophone.

Lorsque les États-Unis d’Amérique ont eu à choisir leur langue, étaient en concurrence le français, l’anglais et l’allemand.

L’allemand n’a pas obtenu beaucoup de suffrages.

L’anglais, qui n’était pas un choix évident pour les Américains, compte tenu de leurs rapports conflictuels avec le colonisateur britannique, ne l’a emporté que d’une voix.

M. Gérard Longuet. Comme l’amendement Wallon !

M. Laurent Fabius, ministre. Comme pour la République, en effet !

M. Gérard Longuet. Et pour la tête de Louis XVI !

M. Laurent Fabius, ministre. L’histoire dit que deux des votants, qui avaient, paraît-il, l’intention de donner leur suffrage au français, sont arrivés en retard. Je vous laisse imaginer ce que serait la francophonie si ces deux retardataires – je ne fais pas allusion à M. Longuet qui vient de nous rejoindre, et que je salue (Sourires.) – étaient arrivés à l’heure !

Pour la francophonie, l’enseignement du français est absolument décisif. Il s’appuie sur un magnifique réseau d’établissements scolaires, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger – AEFE–, l’opérateur de l’État, et la Mission laïque française.

Le label FrancEducation lancé en 2012 est une bonne initiative. Il encourage le développement d’un enseignement bilingue francophone d’excellence à l’étranger.

Ce réseau d’établissements à l’étranger est un atout que nous voulons tous développer. J’ai demandé à Mme Conway-Mouret de me faire des propositions pour son renforcement. Elle me rendra son rapport au mois de juin, après qu’elle aura procédé à une large consultation des acteurs de la communauté éducative française à l’étranger. Cette réflexion prendra en compte les conséquences possibles – ce point a été évoqué par Mme Lepage – des développements juridiques. Il s’agit d’un exercice important, auquel vous serez associés, si vous le souhaitez, mesdames, messieurs les sénateurs, afin de donner votre opinion.

Cette mission fait également suite à la suppression de la prise en charge des droits de scolarité à l’étranger. Ce sujet ayant été évoqué, il ne me semble pas utile d’y revenir. Je précise simplement que sa suppression était la première étape d’une réforme plus globale d’aide à la scolarité. Nous allons progresser dans cette voie.

Une fois la mission de Mme Conway-Mouret menée à bien, un contrat d’objectifs et de moyens sera conclu avec l’AEFE.

La troisième priorité est l’attractivité pour les étudiants et les chercheurs étrangers. Cet élément essentiel de notre rayonnement passe par la promotion de l’enseignement supérieur français, l’amélioration de l’accueil des étudiants et des chercheurs étrangers, et la mobilisation de nos scientifiques partout où se créent des normes, où se développent des idées, où se forment des élites.

C’est la mission confiée notamment à Campus France. À cet égard, monsieur Beaumont, le contrat d’objectifs et de moyens devra être conclu avant l’été. Là encore, le Sénat sera consulté, afin que les choix retenus soient pertinents.

Nous travaillons avec le ministère de l’éducation nationale à renforcer le lien entre Campus France et les universités. En appui de ce dispositif, le Quai d’Orsay finance chaque année un grand nombre de bourses pour permettre à des étudiants et jeunes chercheurs à potentiel élevé de poursuivre leur cursus en France. Malgré la contrainte budgétaire, nous avons maintenu les crédits qui sont alloués aux bourses étudiantes pour soutenir la destination France.

Comme vous le savez, et j’espère ne fâcher personne en disant cela, nous avons abrogé la circulaire Guéant parce que, indépendamment d’autres considérations, elle nous paraissait ne pas comprendre exactement le monde de demain.

M. Jean Besson. Tout à fait !

M. Laurent Fabius, ministre. Ce monde de demain est un monde ouvert, qui a besoin de brassage. C’est un grand atout pour la France que d’accueillir des étudiants étrangers qui se forment chez nous, qui peuvent occuper un premier emploi ici, et qui, revenus chez eux, seront les meilleurs ambassadeurs de la culture française.

Cette circulaire, prise sans doute pour remplir d’autres objectifs, ne procédait pas d’une vision moderne du monde ; je crois donc que nous avons eu raison de la supprimer d’entrée de jeu.

Nous voulons attirer la mobilité étudiante – 300 000 étudiants étrangers ! –, car celle-ci répond aux besoins de nos écoles, qui doivent demeurer dans le peloton de tête de l’économie de la connaissance, ainsi qu’à ceux de nos entreprises, lesquelles se tournent vers ces étudiants qualifiés pour développer leurs activités internationales.

Vous connaissez tous des entreprises qui souhaitent recruter d’excellents étudiants étrangers. Il nous faut aller dans ce sens. C’est une immense force pour notre pays que de savoir accueillir, le temps de leur formation, ces étudiants qui retourneront, le moment venu, dans leur pays.

Vous avez tous évoqué la question de la concurrence. Celle-ci ne saurait consister à nous refermer sur nous-mêmes !

Je travaille, avec M. Valls, sur le moyen de préciser les conditions d’accueil des étudiants étrangers sur notre territoire, afin que nous puissions tenir notre rang dans la compétition internationale.

Toute politique de visas comporte deux aspects.

Le premier aspect, c’est la politique migratoire. Je n’ai pas besoin de vous rappeler, à cet égard, la formule célèbre de Michel Rocard,…

M. Laurent Fabius, ministre. … que vous avez tous à l’esprit. Il est vrai que nous ne pouvons pas laisser nos frontières ouvertes sur le monde entier.

Le second aspect, c’est la dimension d’attractivité. Il est évident que nous devons adopter, à l’égard de maintes populations, une attitude bien plus réactive et pertinente que dans le passé.

Si nous distinguons politique migratoire et attractivité, si nous gardons à l’esprit les deux facettes de cette même question, nous pourrons alors mener une politique adaptée dans ce domaine.

L’accent mis sur l’attractivité de notre pays pour les talents est indissociable d’une réflexion sur les visas. Nous voulons que la France devienne le pays de ceux qui développent des échanges, qui participent à la recherche ou qui contribuent à l’effort de création artistique.

Combien d’entre nous – même s’il est plus facile pour moi que pour vous de délivrer des visas – ont connu ces situations où tel artiste étranger était accueilli dans un festival, tandis qu’un autre qui devait l’accompagner ne pouvait venir, faute de visa ! Ces « sottises » donnent de la France une image négative ; nous devons donc adopter une vision beaucoup plus adaptée. Mme Blandin y a insisté, à juste raison, sont concernés des hommes d’affaires, des universitaires, des scientifiques, des artistes ou des touristes ayant la France pour destination privilégiée.

Nous avons donné, avec Manuel Valls, l’instruction au réseau diplomatique et consulaire d’améliorer, partout où cela est possible, le taux de délivrance des visas dits « de circulation », c’est-à-dire de court séjour, ainsi que leur durée de validité.

Ces visas permettront notamment à leurs titulaires d’entrer et de sortir à plusieurs reprises de l’espace Schengen, sans être contraints de demander un nouveau visa à chaque déplacement. Cette nouvelle politique est équilibrée : elle répond, d’un côté, aux exigences de maîtrise des flux migratoires et des enjeux de sécurité, et, de l’autre, à la volonté d’accroître l’attractivité de notre pays. Ces sujets, que vous aborderez certainement avec le ministre de l’intérieur, nous continuons à y travailler ensemble. C’est en dépassionnant le débat que l’on peut parvenir à mener des actions intéressantes.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Laurent Fabius, ministre. Enfin, nous mettons également en œuvre, en concertation avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et les autres acteurs français concernés, une stratégie cohérente de diplomatie scientifique avec des outils comme le réseau des instituts français de recherche à l’étranger, qui développent une coopération scientifique d’excellence en sciences humaines et sociales avec nos partenaires, les missions de fouilles archéologiques à l’étranger, qui approfondissent notre connaissance de l’histoire des pays concernés, ou encore les programmes de recherche pour le développement, lesquels contribuent à la constitution de capacités de recherche au Sud.

Pour relever les trois défis que je viens d’évoquer, ainsi que ceux que vous avez mentionnés, mesdames, messieurs les sénateurs, notre dispositif doit évidemment tenir compte des évolutions du monde.

Le premier chantier, c’est la modernisation du réseau culturel. Le ministère des affaires étrangères doit évidemment participer à la maîtrise des dépenses publiques. Cela a été souligné, nous avons déjà beaucoup contribué à cet effort, sur le plan tant des effectifs que des moyens financiers. Mais si nous voulons faire œuvre utile, nous devons définir précisément nos actions. Cela implique de fixer nos priorités géographiques et stratégiques tout en développant des méthodes de travail nouvelles. Mes services me feront des propositions de redéploiements pertinents de nos ressources pour accompagner l’émergence de pays ou de régions du monde devenus ou en passe de devenir prescripteurs.

Il ne s’agit pas de négliger le rayonnement de la France dans des pays qui sont des partenaires traditionnels, comme l’Italie ou l’Allemagne, mais nous devons projeter aussi notre pays dans d’autres zones à très fort potentiel, où se trouvent de plus en plus les enjeux de l’influence internationale. Je pense aux grands émergents – la Chine, l’Inde, le Brésil –, mais aussi à d’autres pays d’Asie, d’Amérique latine ou d’Afrique. Il nous faut répondre à ce que vous appelez le « désir de France », et même le susciter.

Nous devons également mieux coordonner nos missions, notamment avec l’action extérieure des collectivités territoriales ou avec l’action des grandes ONG et de la société civile.

Nous devons aussi coordonner notre action au niveau européen pour lever des financements communautaires ou monter des opérations conjointes, par exemple au sein du réseau qui rassemble les agences culturelles européennes, réseau dont la France assure actuellement la présidence.

À cet égard, je veux répondre à M. Besson et à M. Beaumont en rappelant que notre réseau culturel a tout de même levé en 2012 plus de 180 millions d’euros de cofinancement, une somme non négligeable.

Une approche « régionale » de nos actions a été développée sur certains programmes de recherche, par exemple au Maghreb.

La modernisation de notre réseau passe aussi par celle de ses emprises et de ses supports techniques, par une adaptation de la formation professionnelle de nos agents, qui doit s’accorder avec l’évolution de nos industries culturelles. Ces hommes et ces femmes, qui, pour l’essentiel, sont non pas des diplomates statutaires, mais des contractuels, sont vraiment le cœur battant de notre réseau d’influence dans le monde. Ils accomplissent un travail remarquable, qui demeure malheureusement souvent méconnu. En votre nom à tous, en mon nom, je veux les féliciter et les mettre en valeur. Un chantier est en cours visant à valoriser leur parcours professionnel, au Quai d’Orsay et à l’extérieur.

Je veux également, s’agissant de l’évolution du réseau, évoquer la question du rattachement du réseau à l’Institut français.

En 2010, à la suite de l’adoption d’un amendement parlementaire, une disposition législative a été votée autorisant, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, le rattachement du réseau de coopération et d’action culturelle à cet opérateur, expérimentation conduite dans douze pays, selon un cahier des charges établi en 2011, et mise en œuvre à compter du 1er janvier 2012.

Une première évaluation interne de l’expérimentation a été conduite par Pierre Sellal, le secrétaire général du Quai d’Orsay. Ces éléments sont repris dans le rapport annuel, au titre de 2012, d’évaluation des résultats de cette expérimentation, qui, conformément à la loi et au décret d’application, sera remis avant le 31 mars 2013 aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Pour ma part, je retiens du travail de M. Sellal la nécessité de conforter l’EPIC Institut français à Paris. Dans cet objectif, le ministère a veillé à ce que son budget soit préservé. Grâce à la prise en charge de la réserve légale, la subvention à l’Institut français est quasiment stabilisée en 2013.

De plus, l’Institut français doit être conforté dans son rôle d’opérateur culturel au service de l’ensemble de nos postes qui doit l’inciter à développer ses capacités en matière de levées des fonds européens et de mécénat et encourager la mobilité entre les personnels.

Ces évolutions n’ont pas d’influence déterminante sur la question du rattachement de l’ensemble du réseau, dont le coût – 50 millions d’euros sur trois ans, selon M. Sellal – est difficilement compatible avec le contexte budgétaire que nous connaissons.

Il nous faudra avoir l’ensemble de ces éléments à l’esprit lorsque nous devrons prendre une décision.

La prochaine étape est l’élaboration d’une nouvelle stratégie culturelle. Des consultations sont en cours, notamment avec la mission d’évaluation menée actuellement par la Cour des comptes sur le réseau culturel. Cette mission a lieu à la demande du comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale. Plus largement, j’ai demandé que soient recueillis et intégrés les avis et les attentes des acteurs du monde culturel, des personnels du réseau, des parlementaires, des autres ministères, des établissements culturels, des collectivités territoriales, des organismes professionnels de la culture et des industries culturelles.

Je disposerai cet été des éléments qui me permettront de préciser nos grandes orientations stratégiques et de décider de la configuration d’ensemble de notre réseau.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pardonnez-moi d’avoir été un peu long, mais je voulais répondre à chacun d’entre vous et vous exposer une vision prospective, à la hauteur des propos remarquables que nous avons entendus cet après-midi. Il n’y a pas d’un côté la diplomatie des capitales et des chancelleries et, de l’autre côté, l’action culturelle et éducative ; il n’y a pas d’un côté l’action économique et, de l’autre côté, l’action culturelle. La France est influente à la fois par son image, par son message et par sa présence. La diplomatie culturelle est tout entière au service de ces différents volets. Elle vise à faire rayonner la France à l’étranger et, pour reprendre l’expression très juste qu’ont utilisée plusieurs d’entre vous, à donner aux étrangers et aux Français une véritable, profonde et justifiée « envie de France ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur plusieurs travées de l’UMP.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le rayonnement culturel de la France à l’étranger.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

7

Débat sur les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne, organisé à la demande de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

La parole est à M. Bruno Sido, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, corapporteur.

M. Bruno Sido, président de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, corapporteur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons le plaisir de vous présenter aujourd’hui, avec Catherine Procaccia, le rapport que nous a confié l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, saisi par la commission des affaires économiques du Sénat, sur les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne.

En tant que président de l’Office parlementaire, je suis particulièrement heureux que ce débat puisse avoir lieu.

Tout d’abord, parce que ce débat est l’occasion de mieux faire connaître les travaux approfondis menés par l’Office et les suites qui y sont données. Vous le savez, l’Office est la seule délégation commune à l’Assemblée nationale et au Sénat. Les sujets que nous traitons sont parfois ardus, mais ils occupent une place croissante dans le débat public. Les questions technologiques sont en effet au cœur de nombreuses préoccupations de nos concitoyens. On le constate dans des domaines comme l’énergie ou la bioéthique, qui sont l’objet de nombreux travaux de l’Office parlementaire.

Ensuite, je suis particulièrement heureux de ce débat sur la politique spatiale parce qu’il nous semble, avec Catherine Procaccia, que l’espace n’a peut-être pas – justement – la place qu’il mérite dans le débat public et parlementaire.

Comme on a pu le voir récemment avec les images du satellite Planck de l’Agence spatiale européenne, qui dévoilent les débuts de l’univers, la recherche française et européenne a conduit à des résultats remarquables. Mais ceux-ci demeurent trop méconnus. Qui sait, par exemple, parmi nos concitoyens, que le robot Curiosity, que la NASA a fait atterrir d’une manière remarquable sur Mars au cours de l’été dernier, est en réalité issu d’une coopération franco-américaine ?

Nous souhaitons instamment que la politique spatiale ait, à l’avenir, une place accrue dans les travaux parlementaires. C’est déjà le cas aujourd’hui grâce à ce débat, qui se déroule peu après l’audition par la commission des affaires économiques, cet après-midi, du candidat pressenti à la présidence du Centre national d’études spatiales, le CNES – l’agence française de l’espace –, et dont je salue la présence dans nos tribunes. (Mme Sophie Primas applaudit.)

J’en viens à la présentation de nos conclusions, en remerciant Mme la ministre – ancienne membre de l’Office parlementaire – d’être présente pour répondre à nos interrogations.

Je présenterai nos recommandations concernant la gouvernance de la politique spatiale et la préservation de notre autonomie d’accès à l’espace. Puis, Catherine Procaccia présentera nos conclusions concernant les objectifs et la durabilité de notre politique spatiale.

Nous avons intitulé notre rapport « Europe spatiale : l’heure des choix », car il a été élaboré dans la perspective de la réunion des ministres en charge de l’espace des pays membres de l’Agence spatiale européenne, l’ESA, qui s’est déroulée les 20 et 21 novembre dernier, à Naples.

Cette réunion de l’ESA a constitué un tournant, avec des décisions importantes prises dans un contexte économique et financier ne permettant pas d’envisager un subventionnement massif du secteur spatial, alors même que l’Europe dépense déjà six fois moins que les États-Unis pour l’espace.

L’Europe est dotée aujourd’hui d’au moins deux politiques spatiales : celle de l’Union européenne, que le traité de Lisbonne a doté d’une compétence spatiale depuis 2009 ; celle de l’ESA, première institution à avoir incarné l’Europe de l’espace, à sa création en 1975.

Par ailleurs, les États membres, notamment la France, demeurent très actifs, car la politique spatiale comporte trop d’enjeux de souveraineté nationale pour ne pas reposer, en dernier ressort, sur leur volonté.

L’industrie spatiale a également un rôle à jouer, puisqu’elle est seule garante in fine de l’autonomie de l’Europe.

Cette énumération des principaux acteurs de la politique spatiale européenne laisse déjà entrevoir les difficultés de gouvernance susceptibles d’en résulter. Ce « mille-feuille » spatial européen peut être source de confusion dans les objectifs et de dispersion des moyens.

Dans ce contexte, nous proposons de clarifier la gouvernance de la politique spatiale.

En France, il nous semble qu’il faudrait réintroduire l’espace dans l’intitulé d’un ministère chargé d’en valoriser l’utilité auprès du grand public : en effet, l’ambition spatiale est trop peu portée aux niveaux politiques et administratifs ; en conséquence, elle est peu partagée par l’ensemble des Français.

Toujours en France, et comme je l’évoquais précédemment, il serait souhaitable d’associer davantage le Parlement à la programmation spatiale. Nous avons été frappés, lors de notre déplacement aux États-Unis, par la place que le Congrès occupe dans l’élaboration de la politique spatiale. La NASA est en effet en constante négociation avec les deux chambres du parlement pour la définition des objectifs et des budgets de sa politique. Le secteur spatial n’est certes qu’une illustration parmi d’autres des différences d’approches entre les parlements français et américain. Il nous paraîtrait néanmoins légitime qu’en France le Parlement puisse être saisi à intervalles réguliers de la politique spatiale française et de la vision défendue sur le plan européen par notre pays.

Par ailleurs, lors de nos auditions, les industriels ont exprimé le sentiment de ne pas être associés comme ils le souhaiteraient à la définition de la politique spatiale. Il nous semble qu’un dialogue pérenne doit être organisé, grâce à la création d’une structure de concertation État-industrie, présidée par une personnalité indépendante.

Quant à l’ESA, elle doit faire évoluer sa règle de « retour géographique », selon laquelle plus un État contribue à un programme, plus son industrie reçoit de contrats pour la réalisation de ce programme. Suivant une logique inverse, une règle de « juste contribution » de chaque État, en fonction de l’implication de son industrie dans les projets, paraîtrait préférable.

S’agissant enfin de la politique spatiale de l’Union européenne, c’est un processus en devenir dont les objectifs et le cadre de gouvernance demeurent pour le moins flous. Le budget de l’Union finance le programme de navigation-localisation-synchronisation Galileo, qui doit aboutir d’ici à 2015, ainsi que le lancement du programme de surveillance pour l’environnement et la sécurité, le GMES, dont le financement, demeuré longtemps incertain, semble aujourd’hui garanti, mais a minima.

Si elle veut exercer pleinement la compétence que lui a confiée le traité de Lisbonne, l’Union devra élaborer un véritable programme spatial plus exhaustif dans ses ambitions.

Elle devra également élaborer un cadre juridique pour la gouvernance de cette politique spatiale, en faisant de l’ESA son agence spatiale, sans que cela remette en cause par ailleurs le fonctionnement intergouvernemental de l’Agence.

L’Union doit aussi pouvoir faire appel aux compétences des agences nationales et privilégier, plus généralement, le recours aux organisations existantes, plutôt que de créer ses propres structures de gestion opérationnelle des programmes spatiaux, redondantes par rapport aux compétences existant déjà sur le territoire européen.

Enfin, l’Union doit reconnaître comme prioritaire l’application d’un principe de préférence européenne. Ce principe doit entraîner l’obligation de recourir à ses propres lanceurs. Ce n’est pas le cas actuellement, comme l’illustre le recours à un lanceur russe – au demeurant excellent – pour la mise en orbite de certains satellites du programme GMES.

Ce constat me permet d’en venir à la question, cruciale, de la préservation de notre autonomie d’accès à l’espace.

D’abord, je le rappelle, c’est par l’intermédiaire d’Arianespace, créée en 1980, que l’Europe accède aujourd’hui de façon indépendante à l’espace.

Arianespace exploite à ce jour trois lanceurs depuis le centre spatial guyanais.

Tout d’abord, Ariane 5 – à tout seigneur tout honneur, allais-je dire –, dont la capacité d’emport, dans sa version ECA, est de 10 tonnes vers l’orbite géostationnaire, et qui se caractérise par des lancements doubles. Ariane 5 est le n° 1 des lancements en orbite géostationnaire, avec près de 50 % de parts de marché et, à ce jour, il faut le souligner, 54 succès d’affilée.

Le deuxième lanceur d’Arianespace est Soyouz, exploité depuis Baïkonour, par l’intermédiaire de la filiale d’Arianespace, Starsem, créée en 1996. Depuis 2011, Soyouz est aussi lancé depuis la Guyane, avec une capacité d’emport de 3,2 tonnes vers l’orbite de transfert géostationnaire, en application d’un accord intergouvernemental franco-russe, signé en 2003.

Enfin, le dernier-né des lanceurs européens est Vega – lanceur italien riche de promesses – dont la capacité d’emport est de 1,5 tonne en orbite basse, mais qui a vocation à monter en puissance.

Cette gamme devra, à l’avenir, répondre à l’évolution prévisible des marchés. Il faut d’abord répondre à la demande institutionnelle.

À l’heure actuelle, le lanceur Ariane 5 est surdimensionné pour ce marché. L’Europe a donc recours à Soyouz, ce qui n’est pas complètement satisfaisant, car il ne s’agit pas d’un lanceur développé par l’Europe, et parce que la coopération avec la Russie n’est assurée que jusqu’en 2020. La qualification du lanceur Vega devrait résoudre une partie du problème, en permettant à tout le moins d’éviter le recours aux lanceurs russes dérivés, il faut le souligner, d’anciens missiles intercontinentaux. Il n’en reste pas moins qu’Ariane, conçu pour des objectifs de souveraineté, est en réalité peu utilisé pour le lancement de nos satellites gouvernementaux.

Il faudra aussi, à l’avenir, répondre à une demande commerciale, dont l’Europe dépend pour ces lanceurs, en raison de la faiblesse de son marché institutionnel. Or de nouveaux acteurs émergent. Ainsi, l’Américain Space X a récemment remporté plusieurs contrats de lancement de satellites de télécommunications. Cette entreprise est directement héritière du tournant pris par la politique spatiale sous la présidence de Barack Obama, consistant à recentrer la NASA sur sa mission de recherche et développement en vue de l’exploration lointaine, et à octroyer des subventions à des entreprises privées pour la reconquête de l’orbite basse, c’est-à-dire la desserte habitée de la Station spatiale.

Nous avons visité Space X dans le cadre de nos travaux. Cette entreprise est fondée sur un principe tiré, a contrario, des leçons de la navette spatiale : de la simplicité découlent à la fois la fiabilité et la modicité des coûts ; son lanceur est fondé sur un système modulable et sur une simplification de l’organisation productive.

Par ailleurs, la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie développent d’autres lanceurs potentiellement concurrents des nôtres. Or cette concurrence croissante intervient sur un marché où la demande est appelée à demeurer stable, autour de 20 à 25 satellites de télécommunications par an.

Dans ce contexte, deux projets de lanceur, conçus à l’origine comme complémentaires, sont devenus progressivement concurrents.

Démarré après la conférence ministérielle de l’ESA de 2008, Ariane 5 ME, ou Midlife Evolution – pardonnez-moi cet anglicisme –, est une évolution du lanceur actuel vers un lanceur plus performant – douze tonnes – et plus « versatile », c’est-à-dire doté d’un étage supérieur réallumable grâce au moteur Vinci, développé par notre entreprise Safran.

Ariane 6 est un lanceur de nouvelle génération, doté du même moteur réallumable pour son étage supérieur, mais plus modulable – de deux à huit tonnes – et surtout susceptible de procéder à des lancements simples, c’est-à-dire monosatellites.

Le lancement double est en effet devenu très problématique pour Arianespace, car il implique l’appairage des satellites, susceptible, vous l’avez bien compris, de faire perdre du temps et donc de l’argent aux opérateurs.

Notre rapport fait état de tous les arguments avancés au cours de nos auditions, en faveur de l’un ou l’autre de ces deux projets.

Il nous a semblé in fine qu’Ariane 6 apportait une réponse plus tardive qu’Ariane 5 ME, mais plus durable, aux évolutions en cours.

Procédant à des lancements « simples », Ariane 6 doit permettre d’accroître la cadence de production, afin de ne pas passer sous le seuil de cinq lanceurs par an, en deçà duquel il est unanimement reconnu que la fiabilité et la viabilité financière d’Ariane seraient remises en cause.

Dans sa version dite PPH, ou poudre-poudre-hydrogène – veuillez m’excuser pour ces termes un peu techniques –, le lanceur de nouvelle génération serait complémentaire de Vega, et privilégierait la poudre, technologie très fiable – je dirai même qu’aucun lancement ayant échoué n’est dû à l’étage poudre – et peu coûteuse. Cette configuration permettrait de bénéficier d’effets de standardisation.

D’un coût de production moindre, ce lanceur est sans doute plus susceptible qu’Ariane 5 ME de réduire la subvention publique actuellement versée pour garantir l’équilibre de l’exploitation d’Ariane 5, c’est-à-dire 120 millions d’euros par an.

C’est pourquoi nous avons préconisé de développer aussi rapidement que possible ce lanceur de nouvelle génération en mettant la priorité sur la réduction des coûts.

En novembre dernier, la Ministérielle de l’ESA a ouvert la voie au développement, en synergie, des deux lanceurs Ariane 5 ME et Ariane 6. L’idée est de développer un étage supérieur commun aux deux lanceurs, dont les caractéristiques doivent être définies au cours des prochains mois. La décision définitive de développement d’Ariane 6 doit être prise lors d’une nouvelle Ministérielle en 2014.

L’objectif est de développer en sept ans un lanceur dont le coût unitaire devrait être d’environ 70 millions d’euros, à condition de réorganiser la production industrielle du lanceur, actuellement trop éparpillée.

À ce sujet, je souhaiterais, madame la ministre, que vous puissiez nous informer des conditions industrielles et financières de développement de ces deux lanceurs. Comment l’Europe, qui traverse actuellement l’une des plus graves crises de son histoire, va-t-elle développer parallèlement deux projets d’une telle envergure ? N’aurait-il pas fallu – mais je sais que c’est compliqué – passer directement à l’étape « Ariane 6 » ? (Mme Sophie Primas s’exclame.) Enfin, l’industrie est-elle prête à se réorganiser pour diminuer les coûts de nos lanceurs ?

Je laisse maintenant la parole à Catherine Procaccia pour développer les autres aspects de notre rapport. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. –  M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, corapporteur pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Mme Catherine Procaccia, corapporteur pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’évoquerai pour ma part les objectifs et la durabilité des activités spatiales de l’Europe.

Dans le contexte d’une concurrence croissante, déjà évoqué par Bruno Sido, il est tout d’abord indispensable d’aider l’industrie européenne à demeurer compétitive.

Nous avons préconisé, dans notre rapport, de poursuivre le soutien à la filière européenne de satellites de télécommunications par de grands programmes structurants, par exemple en suscitant le développement d’une filière européenne de satellites à propulsion tout électrique – nous en avons parlé cet après-midi –, afin de répondre à l’avance prise par Boeing dans ce domaine, cette entreprise bénéficiant d’une technologie développée pour les satellites de télécommunications militaires.

Il faut également agir pour réduire la dépendance technologique de l’Europe, notamment dans le domaine des composants microélectroniques durcis.

Cette dépendance est en effet préjudiciable dans le contexte des règles d’exportation américaines ITAR – International Traffic in Arms Regulations –, qui interdisent aux industriels européens d’exporter sans autorisation des produits qui comporteraient des composants ou technologies développés aux États-Unis. Mais la question de la dépendance de l’Europe à l’égard de technologies importées ne se réduit pas à celle des règles ITAR. C’est une question de compétitivité, car la dépendance entraîne des difficultés d’accès aux technologies de dernière génération, ainsi qu’une limitation de l’accès à la documentation, engendrant des difficultés à gérer, par exemple, des anomalies. L’existence d’une source d’approvisionnement unique est en soi un facteur de risques.

Le concept de non-dépendance implique donc une maîtrise des technologies et l’existence d’une double source, dont l’une au moins située en Europe. Mais il implique aussi une maîtrise des coûts. Le maintien à tout prix en Europe de filières beaucoup plus coûteuses qu’aux États-Unis n’est pas viable. Il faut par conséquent veiller à la rentabilité économique des filières développées et concentrer les moyens disponibles sur quelques priorités.

S’agissant des autres objectifs de la politique spatiale, il nous semble que ceux-ci doivent être orientés, en priorité, vers les services aux citoyens et privilégier les retombées concrètes. Notre rapport évoque en particulier l’observation, en vue de la compréhension des mécanismes du fonctionnement terrestre, qui est aujourd’hui devenue un enjeu scientifique et économique majeur.

L’Europe doit se donner pour priorité de demeurer précurseur dans ce domaine. Elle dispose d’une compétence reconnue dans ce que l’ESA nomme « les Explorateurs de la Terre », c’est-à-dire les satellites d’observation dédiés à l’étude de domaines précis tels que l’océanographie, l’étude des sols, de l’eau, de la glace, de l’atmosphère ou du champ magnétique.

L’observation spatiale présente l’avantage d’offrir une vision globale et continue dans le temps, qui permet des progrès considérables de la recherche sur l’environnement et le climat. Elle sera un instrument essentiel à l’évaluation du changement global et de l’impact des activités humaines sur le fonctionnement du système terrestre. Pour l’avenir, la surveillance des émissions de gaz à effet de serre deviendra un enjeu international majeur, et les moyens de mesure seront un atout important pour ceux qui les maîtriseront.

Mais pour que l’observation spatiale soit efficace, encore faut-il qu’elle soit continue et produise des données homogènes. Or le mode de fonctionnement des agences, dont la vocation est d’innover, et non d’assurer la continuité de l’existant, n’est pas forcément propice à la poursuite de missions en vue non pas d’innover mais de prolonger en optimisant les coûts. Il faudrait, pour cette raison, garantir la continuité des missions dès leur conception.

Nous préconisons également de poursuivre activement la mise en place des infrastructures du programme GMES de surveillance globale pour l’environnement et la sécurité, en mettant en œuvre le financement et le pilotage nécessaires à l’entrée en phase opérationnelle des services de ce programme. Lors de notre unique déplacement à Bruxelles, nos interlocuteurs de la Commission nous ont en effet confié être « très en amont » de la réflexion sur ce sujet...

Notre rapport examine aussi la question de l’exploration spatiale. Nous avons préconisé de continuer à participer à la Station spatiale internationale jusqu’en 2020.

Mais l’Europe doit apporter une contribution de nature technologique, comme elle le fait actuellement en fournissant le véhicule automatique de ravitaillement de la Station, l’ATV.

Cette contribution pourrait d’ailleurs participer plus tard au démantèlement de l’ISS, c’est-à-dire à sa désorbitation. Ce démantèlement doit d’ores et déjà être envisagé. Ses modalités ne sont pas encore fixées. Son coût est évalué à 2 milliards de dollars, ce qui ne représente finalement que 2 % du coût exorbitant de cette Station.

Pour l’avenir, l’Europe doit par ailleurs privilégier les missions robotiques remplissant des objectifs d’innovation scientifique, à coûts maîtrisés et autant que possible dans le cadre de coopérations internationales. Bruno Sido a parlé de Curiosity, mais c’est aussi le cas du projet ExoMars : lancé dans un premier temps par l’ESA en partenariat avec la NASA, il est aujourd’hui envisagé avec l’agence russe Roskosmos, à la suite de la défection de la NASA.

Si l’exploration de Mars est prioritaire, ce n’est pas par goût de l’aventure, mais parce que l’on estime que cette planète a pu abriter la vie et qu’une meilleure connaissance de son histoire pourrait être utile à la compréhension de l’évolution de notre propre planète.

Quant à l’exploration habitée de Mars, elle nécessiterait des ruptures technologiques importantes et la fixation d’objectifs intermédiaires. Elle requerrait, surtout, un investissement massif, puisque son coût est estimé à 600 milliards d’euros, voire 800 milliards d’euros, soit de l’ordre de cent fois plus qu’une grosse mission robotisée.

Par le passé, l’exploration habitée a toujours répondu à des objectifs d’abord politiques, plutôt que scientifiques. Les conditions ne nous paraissant pas réunies pour le moment, et les montants financiers en jeu étant exorbitants, nous n’avons pas souhaité formuler de préconisations sur la question du vol habité, au-delà de l’orbite basse, même si, depuis quelques semaines, a beaucoup été évoqué le projet Mars One, 8 000 personnes acceptant d’aller sur Mars sans espoir de retour (Sourires.), personnes qui ne seraient pas nécessairement françaises ou européennes.

Dans l’immédiat, nous remarquons que le plus gros programme souscrit lors de la récente Ministérielle de l’ESA concerne la Station spatiale internationale. La France s’est engagée à financer 20 % de la contribution européenne à la Station. Après 2017, cette contribution consistera à produire un module de service pour la capsule habitée de la NASA, Orion, destinée à voler au-delà de l’orbite basse.

À ce sujet, nous souhaiterions vous interroger plus particulièrement, madame la ministre. Sait-on quels seront les objectifs de ces missions de la NASA auxquelles l’Europe s’est donc engagée à contribuer ? Quel en sera le retour technologique et industriel pour notre continent ?

J’achèverai cette intervention en mettant l’accent sur un enjeu trop méconnu, et qu’il nous a paru urgent de mettre en lumière : celui de la durabilité des activités spatiales, aujourd’hui menacée par la multiplication des déchets.

Le nombre d’objets de plus de dix centimètres en orbite autour de la Terre est estimé à 20 000. Leur quantité s’accroît naturellement en conséquence de réactions en chaîne, ce que les scientifiques désignent sous le nom de syndrome de Kessler.

Le risque de collision n’est pas purement théorique. La première collision répertoriée a eu lieu en 1996. Un satellite militaire français avait alors été affecté. Plus récemment, en 2007, les Chinois ont détruit à l’aide d’un missile l’un de leurs satellites météorologiques, ce qui a engendré environ 2 500 débris de taille supérieure à dix centimètres. Enfin, en 2009, la collision entre un satellite Iridium et un satellite inactif Kosmos a été à l’origine d’environ 2 000 gros débris.

À cet égard, l’ISS procède environ une fois par an à des réajustements de sa trajectoire pour éviter des collisions.

Par ailleurs, il existe un risque de dommages au sol lors des rentrées atmosphériques. Sur ce sujet, notre rapport comprend un intéressant cliché. On estime à une tonne les retombées quotidiennes de débris qui s’évaporent ou non dans l’atmosphère. Le danger est certes minoré par le fait que 70 % de la surface de la Terre est océanique, mais le risque de dommages voire de victimes au sol n’est pas négligeable.

Notre rapport identifie trois types d’actions pour faire face à ces risques.

Premièrement, il convient de promouvoir des règles de conduite renforcées. Des règles sont en vigueur au niveau international, ainsi qu’en France, depuis la loi de 2008 relative aux opérations spatiales. Il existe également une proposition de code de conduite émise par l’Union européenne, et actuellement en cours de négociation à l’échelle internationale.

Des désaccords subsistent entre pays sur la forme – contraignante ou non – que devrait revêtir ce code de bonne conduite. Il serait regrettable d’attendre qu’un accident majeur se produise pour accélérer les négociations.

Pour l’Europe, l’arrivée d’un lanceur à étage supérieur réallumable, point qui a été évoqué par Bruno Sido, constituera une avancée, car cela permettra de désorbiter l’étage supérieur après accomplissement de la mission. Rappelons-le, Ariane 5 est actuellement le seul lanceur commercial qui ne le permet pas.

Deuxièmement, il est indispensable de mettre en place un système européen complet de surveillance de l’espace, fédérant les moyens existants.

À l’heure actuelle, l’Europe dépend des États-Unis, qui possèdent le réseau de surveillance le plus vaste et le mieux distribué au monde. La coopération avec ce pays permet d’éviter un certain nombre de collisions, en déplaçant, comme je l’ai indiqué il y a quelques instants, le véhicule concerné par une alerte, du moins lorsque c’est possible, c’est-à-dire lorsqu’il est encore actif. Toutefois, cette coopération ne garantit pas l’indépendance de l’Europe.

Pour assurer cette autonomie, il faut renouveler le radar Graves et mettre en place des capteurs supplémentaires, afin d’améliorer l’identification de la nature des objets et de leur trajectoire.

L’ESA a lancé un programme de surveillance dit SSA, Space situational awareness, qui, pour l’heure, n’est pas réellement mis en œuvre.

Par ailleurs, notre rapport évoque la surveillance de l’espace lointain. La chute d’une météorite en Russie le 15 février dernier a montré que nous n’avions pas parlé et traité de science-fiction. Il s’agit non seulement de surveiller les objets géocroiseurs, mais aussi de prévoir les variations d’activité du soleil, qui représentent une menace pour l’intégrité de nos satellites et de nos réseaux terrestres.

Troisièmement, et enfin, il faut développer des solutions technologiques innovantes pour le nettoyage des débris. D’après les modèles existants, il suffirait de retirer chaque année de l’ordre de cinq à dix gros débris pour stabiliser le nombre de déchets actuellement en orbite basse. Nous avons même suggéré une solution quelque peu originale : instaurer un prélèvement sur les mises en orbite, afin de financer ces futures opérations de nettoyage.

Il nous est apparu que l’effort accompli dans le domaine de la surveillance de l’espace demeurait insuffisant, les pays membres de l’ESA ayant quelque peu délaissé le programme qu’ils avaient lancé en 2008.

Madame la ministre, c’est la raison pour laquelle nous vous interrogeons sur ce volet de la politique spatiale, qui est la condition sine qua non de tous les autres : quelles sont les actions menées par la France pour promouvoir la durabilité comme un axe majeur de la coopération internationale dans le secteur spatial ?

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’Europe a récemment accompli un tournant majeur en décidant de développer le lanceur Ariane 6, qui nous paraît le seul garant à long terme de notre autonomie d’accès à l’espace.

Cependant, de nombreux motifs de vigilance demeurent, dans un contexte financier qui impose de faire des choix en application d’une stratégie claire.

Nous sommes heureux que le Sénat puisse aujourd’hui débattre de cette stratégie, et ainsi contribuer à la réflexion sur ce sujet majeur pour notre industrie, notre économie et, au-delà, pour notre rayonnement international. À cet égard, je remercie les sénatrices et sénateurs ici présents, qui ont préféré assister à ce débat plutôt qu’à la diffusion télévisée d’un match de football ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l'UMP et du groupe socialiste. –  M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à féliciter les deux corapporteurs pour leur excellent rapport, qu’ils ont voulu le plus exhaustif possible. En tant que Toulousain, je connais quelque peu les problèmes de l’aérospatiale, et je souligne qu’il s’agit là d’un travail remarquable.

Mme Catherine Procaccia, corapporteur. Merci !

M. Jean-Pierre Plancade. Comme la plupart des grandes aventures humaines, les progrès de l’industrie spatiale ont été permis par la compétition et la coopération.

Si le contexte international ne s’est pas figé au temps de la guerre froide, la politique spatiale conserve un schéma marqué par des grands blocs, États-Unis, Russie et, désormais, Union européenne.

Avec l’entrée en scène de grandes puissances émergentes, comme le Brésil ou l’Inde, aspirant, à juste titre, à leur propre autonomie d’accès à l’espace, la compétition s’est intensifiée. Parallèlement, les trois puissances spatiales historiques se maintiennent dans un contexte budgétaire et financier très différent de celui qui a permis les grandes avancées opérées des années 1950 aux années 1970, et même un peu au-delà.

La politique spatiale s’est rapidement fondée sur la coopération. Elle a permis de favoriser la mutualisation des moyens et de réaliser des projets plus ambitieux, notamment en matière de défense ou de surveillance de l’espace, indispensables à la sécurité de tous.

En France, le programme spatial lancé en 1961 sur l’initiative du général de Gaulle, alors Président de la République, est allé de pair avec la naissance de l’Europe spatiale. Celle-ci a traduit la volonté de s’associer et de développer ensemble des projets de grande envergure plutôt que de travailler de manière isolée. Du reste, on le constate clairement aujourd’hui : nous ne serions pas dans la compétition si nous avions choisi une autre voie que celle-ci !

À la course vers l’accès à l’espace se substitue en grande partie la maîtrise des nouvelles technologies répondant à de nouveaux besoins et à de nombreuses activités civiles dans divers secteurs de l’économie, mais aussi dans des domaines comme la sécurité, les sciences, le climat, la gestion des catastrophes naturelles ou les transports.

Par ailleurs, la politique spatiale participe également à la diffusion de l’information et de la culture, avec le développement du numérique qui permet la démocratisation du savoir et l’accès de tous à ces contenus.

Les technologies spatiales représentent donc un instrument vital de l’aménagement du territoire via l’amélioration de l’accès de tous aux services publics à travers les télé-services, le télétravail ou l’éducation à distance.

Nos sociétés sont partant dépendantes de ces extraordinaires outils qui irriguent les activités de notre vie quotidienne : en conséquence, il convient de conserver une réelle indépendance dans l’accès à l’espace.

Aux nombreuses démonstrations de puissance se substitue progressivement une stratégie économique et scientifique.

Pour illustration, l’homme a marché sur la Lune en 1969. Toutefois, le président des États-Unis, Barack Obama, a pris la décision d’abandonner le programme « Constellation » mis en place par son prédécesseur à la Maison Blanche et qui prévoyait notre retour sur la Lune pour 2020.

De toute évidence, les missions d’exploration de l’espace ne seront pas prioritaires au cours des prochaines années, même si la Chine et l’Inde ont exprimé des prétentions en la matière. On se contentera de l’accord conclu entre les États-Unis et l’Union européenne visant à réaliser un vol non habité autour de la Lune. Cette opération est prévue pour 2017.

Néanmoins, les missions vers Mars – planète dont les récentes découvertes ont confirmé que l’ancien environnement était propice à la vie – se poursuivront grâce à la robotique, et peut-être grâce à ces 8 000 volontaires dont Mme Procaccia nous a rappelé l’existence ! (Sourires.)

Si ces missions ne sont pas prioritaires par rapport aux activités économiques, la course aux technologies spatiales reste effrénée.

Dans ce cadre, l’Europe doit réaffirmer sa position et conserver ses compétences dans une activité à très forte valeur ajoutée, et au titre de laquelle il serait risqué de sous-investir. Cinquante ans après les grandes conquêtes technologiques, l’Europe spatiale a encore devant elle un avenir très long, pour ne pas dire infini.

Seule la coopération permettra à l’Europe de relever ce défi et de conserver sa place au sein du club des grandes puissances spatiales auprès des États-Unis, de la Russie, du Japon et de la Chine.

Des projets tels que le système de navigation Galileo ou le GMES, pour l’observation de la Terre, illustrent les avantages de cette coopération. Galileo nous permettra notamment de nous affranchir du GPS américain et de renforcer notre indépendance. Comme M. Sido l’a souligné il y a quelques instants, cette opération a véritablement été réalisée a minima. Toujours est-il qu’elle se poursuit. (M. le corapporteur acquiesce.) Ce constat n’a pas toujours été dressé avec autant de clarté, et je vous en remercie, monsieur le corapporteur.

De plus, l’engagement de l’Europe autour du lanceur de nouvelle génération Ariane 6 est incontournable face à la concurrence, comme l’a pertinemment rappelé le rapport de l’OPECST.

Cependant, le dernier conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne, qui s’est tenu le 22 novembre dernier à Naples, n’a pas clairement tranché entre les deux projets à la fois concurrents et complémentaires, Ariane 6 et Ariane 5 ME.

Il s’agit là d’un enjeu primordial. Arianespace rassemble 60 % des commandes dans le marché du lancement de satellites, prenant de l’avance sur le russe Proton et sur l’américain Space X. Les cinquante-trois lancements consécutifs, accomplis avec succès en 2012 pour Ariane 5, démontrant sa forte fiabilité, ont largement contribué à ce succès. Pourtant, les subventions dont Arianespace bénéficie diminuent avec le temps. Elles se sont réduites de 250 millions d’euros à 100 millions euros en une dizaine d’années. Ces atouts doivent donc faire l’objet de tout le soutien des États membres.

Au sein de l’Union européenne, la France joue un rôle essentiel en raison de ses compétences et de son savoir-faire acquis au long de toutes ces années grâce à l’excellent travail du Centre national d’études spatiales, le CNES, que je tiens à saluer.

Cet organisme emploie 2 400 salariés, dont environ 1 700 à Toulouse, ce qui est incontestablement un atout pour la région Midi-Pyrénées. Celle-ci concentre à elle seule le quart des effectifs européens dans ce domaine. En 2012, le conseil régional a contribué à hauteur de 33,8 millions d’euros en matière de recherche et d’innovation.

En France, la filière spatiale représente environ 13 000 emplois directs – soit deux fois plus qu’en Allemagne – sur lesquels nous ne pouvons pas faire l’impasse. De surcroît, d’après l’Agence spatiale européenne, ils représentent un nombre d’emplois indirects dix fois plus élevé, d’où l’importance de préserver la compétitivité de cette filière industrielle stratégique et garante de notre souveraineté.

De nombreux projets titanesques continuent à être lancés, malgré le manque de financements. Cette aventure en vaut-elle la chandelle ? Je l’ignore. Néanmoins, au regard des avantages que l’on peut tirer de l’espace, il est incontestable que cette nouvelle dimension nous offre un potentiel économique non négligeable.

L’industrie spatiale européenne est alimentée par un budget annuel de 6,5 milliards d’euros, soit 10 euros par an pour chaque citoyen européen. Comme le rappelle l’Agence spatiale européenne sur son site internet, le coût de cette politique représente le prix d’un ticket de cinéma par habitant de l’Union européenne et par an. En ramenant à cette échelle les sommes colossales qui sont régulièrement évoquées, on observe que l’effort peut être poursuivi !

À ce prix-là, bien dérisoire au regard des enjeux, le groupe du RDSE, profondément attaché aux progrès de la recherche et de l’innovation, ne peut qu’inviter la France, qui contribue déjà activement dans ce domaine, et l’Europe tout entière à relever pleinement ces défis : en la matière, le retour sur investissement bénéficie immédiatement à l’ensemble de nos concitoyens et, plus encore, aux générations futures. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. –  M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je dois tout d’abord avouer que le sujet qui nous occupe ce soir n’est pas des plus familiers aux écologistes. Nous ne comptons pratiquement, hélas ! aucun spécialiste du domaine spatial. Voilà sans doute pourquoi c’est à moi, membre de la commission des affaires européennes et passionné d’espace depuis ma plus tendre enfance, que revient l’honneur et le plaisir d’intervenir devant vous.

M. Bruno Sido, corapporteur. C’est très bien !

M. André Gattolin. À moins que ce ne soit parce que je suis le membre du groupe écologiste ayant la plus forte empreinte carbone en raison de mes très nombreux voyages intercontinentaux ! (Sourires.) La question reste ouverte, mes chers amis.

Mme Françoise Laborde. En tout cas, vous avez de l’humour, c’est bien !

M. André Gattolin. Pourtant, à bien y réfléchir, il s’agit d’un élément essentiel pour nous qui nous fixons comme ligne de conduite de penser global et d’agir local.

L’espace est en effet le lieu le plus absolu de cette pensée à l’échelle globale – et, ajouterais-je, inscrite dans le temps long – que nous appelons de nos vœux.

Nous nous efforçons d’agir en cohérence avec notre souci de préserver la planète, ses ressources, son équilibre et ses dynamiques.

De ce point de vue, l’espace nous donne à voir un spectacle singulier : celui d’un globe fini, fragile, isolé… et finalement pas tant que cela.

L’espace nous fait prendre conscience de notre propre finitude et en même temps, par la fascination qu’il exerce, nous fait rêver et nous aide à comprendre que ces limites ne demandent qu’à être surmontées.

En disant cela, je pense notamment à un article publié en une du journal Le Monde le 21 mars dernier. On y voyait un ovale coloré de multiples taches aux tons bleus et ocrés. Il s’agissait d’une image représentant l’univers à son stade le plus jeune jamais observé, soit 380 000 ans. C’était il y a 13,8 milliards d’années.

Ce cliché offre aux chercheurs du monde entier une gigantesque mine d’informations à analyser. Il a été rendu possible grâce à la politique spatiale européenne ; ce sont en effet des scientifiques travaillant pour l’ESA, l’Agence spatiale européenne, qui l’ont réalisé à partir des données transmises par le satellite Planck. Il pourrait justifier à lui seul, je crois, l’existence de cette politique.

Elle connaît pourtant actuellement une période difficile, en raison, d’abord, du contexte économique et, ensuite, du contexte institutionnel.

Sur le plan économique, elle risque de pâtir, comme toutes les autres politiques, des restrictions budgétaires engagées dans toute l’Europe. Quand les Américains consacrent 48 milliards de dollars à l’espace, les Européens n’en consacrent que 6.5 milliards.

Et si cette politique ne représente « que » 35 000 emplois à travers l’Europe, ses retombées sont difficilement quantifiables. Elles vont des satellites météorologiques à l’aide à la navigation, en passant par les études qu’une telle politique rend possibles en matière d’environnement ou de changement climatique.

La concurrence est vive, en provenance des États-Unis mais aussi de la Russie, de la Chine ou de l’Inde, pays qui cherchent à engager ou à renouveler une politique de prestige et de puissance peu commune.

Sur le plan institutionnel, nous sommes face à une redéfinition, au moins partielle, de la politique spatiale européenne et de son organisation.

Depuis 1975, l’ESA, qui fonctionne sur un mode intergouvernemental, est l’organe européen de cette politique, soutenue pour l’essentiel par deux États membres, la France et l’Allemagne.

Mais depuis le traité de Lisbonne et l’article 189 du traité sur le fonctionnement de l’Union, cette politique est devenue un domaine de compétences partagé entre l’Union et les États membres. Ce n’est pas un problème en soi, car des programmes comme Galileo ou GMES, Global Monitoring for Environment and Security, ont besoin de nouveaux financements, d’une impulsion permanente et d’une collaboration toujours plus forte.

Cependant, des ajustements sont nécessaires, ne serait-ce que pour éviter que les industries des deux pays que je citais à l’instant ne soient dépossédées de leurs outils, sans que de nouvelles dynamiques se mettent en place par ailleurs.

Parmi ces outils, ces richesses, ces moyens dont disposent la France et l’Europe, je pense en particulier au centre spatial guyanais. C’est un dispositif essentiel de cette politique en raison de sa localisation géographique, au niveau de l’équateur. De nulle part ailleurs aujourd’hui la mise en orbite de satellites géostationnaires n’est aussi fiable que depuis Kourou, quels que soient le type de lanceurs ou l’altitude visée, ce qui explique la très forte compétitivité du site.

Les écologistes soutiennent l’existence d’une politique spatiale européenne ambitieuse.

M. Bruno Sido, corapporteur. Très bien !

M. André Gattolin. Mais il ne faudrait pas que son développement ignore certains principes.

Le premier de ces principes, c’est l’équité entre les diverses politiques, sciences ou disciplines dans l’accès aux financements publics. Aujourd’hui, le Parlement européen semble encore déterminé à faire amender le projet de budget présenté par les États membres. Des programmes comme GMES, devenu aujourd’hui Copernicus et dont certaines composantes nous plaisent plus que d’autres, ne doivent pas être les seuls à être préservés dans le programme de recherche et d’innovation de l’Union européenne à l’horizon 2020. Bien d’autres domaines, tout aussi fondamentaux, méritent également d’être sanctuarisés ou développés. On ne comprendrait pas que la France oublie cela en cherchant à favoriser sa propre industrie.

Le deuxième principe, c’est la « soutenabilité ». L’espace est une réalité durable. On peut en tout cas souhaiter qu’il le reste ! Mais la politique spatiale ne peut être durable sans, par exemple, une réflexion sur la gestion des satellites qui ont cessé d’être opérationnels. On compte environ 20 000 objets de plus d’une dizaine de centimètres placés en orbite autour de la Terre. Cela pose des questions évidentes en termes de sécurité et de pollution de l’espace. Une politique de surveillance de l’espace et des objets spatiaux est aujourd’hui nécessaire. La France et l’Allemagne l’appellent de leurs vœux et la Commission européenne vient de faire une proposition sur ce sujet, que je rapporterai prochainement devant la commission des affaires européennes.

Par ailleurs, le centre spatial de Kourou dont je rappelais l’importance stratégique pose lui-même des problèmes environnementaux en Guyane. Pour être durable, la politique spatiale européenne doit prendre pleinement en compte ces problématiques.

Enfin, et en guise de conclusion, le dernier principe renvoie à l’utilité citoyenne et pacifique de cette politique. La politique spatiale peut être d’une immense utilité pour la communauté. Mais elle peut aussi se révéler particulièrement dangereuse, si les grands acteurs de cette planète se mettent à militariser l’espace, voire à le transformer en arsenal. L’usage de satellites dans des buts sécuritaires ou militaires est évidemment déjà courant – je rappelle que le GPS que nous utilisons tous est un système de géolocalisation militaire américain –, mais nous avons su jusqu’à présent nous prémunir de toute dérive d’usage en la matière.

Veillons donc à ne pas courir le risque de voir de telles dérives se développer à l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. –  MM. Michel Le Scouarnec, Jean-Pierre Plancade et Jean-Claude Lenoir applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas.

Mme Sophie Primas. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite en premier lieu et à mon tour remercier les rapporteurs Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido pour la qualité et la clarté de ce rapport de l’OPECST, au moment où notre industrie spatiale européenne doit faire des choix stratégiques majeurs. Ce rapport est tout à fait éclairant.

Alors que la France et l’ensemble de l’Union européenne sont à la recherche d’un nouveau souffle de croissance, et en particulier de croissance industrielle, l’industrie spatiale française et européenne démontre chaque jour son excellence, sa productivité et l’étendue des compétences technologiques de nos ingénieurs.

C’est un sujet de fierté, en particulier pour notre pays. J’en veux pour simple témoignage l’attention et quasiment l’émerveillement de lycéens des Yvelines, venus visiter le site Astrium des Mureaux la semaine dernière, dans le cadre de la semaine de l’industrie. C’est également un message fort sur l’Europe et ses capacités.

Mais l’industrie spatiale n’en est qu’à ses débuts, et les perspectives de croissance liées aux applications et aux services satellitaires en particulier laissent entrevoir des sources de développement économique considérables, à très forte valeur ajoutée pour les États qui s’en empareront. La France doit en être.

La France et l’Europe occupent l’un des premiers rangs mondiaux dans l’industrie spatiale grâce à la clairvoyance et à la pertinence de la vision stratégique de nos prédécesseurs, grâce à la maîtrise de l’ensemble des compétences et à une industrie redoutablement performante. L’industrie française compte 12 000 employés, soit un tiers des effectifs européens, et réalise 50 % du chiffre d’affaires de l’industrie européenne. Notre industrie spatiale française est précieuse.

Les groupes tels que Thales, Astrium, Safran sont des fleurons industriels qui ont créé de véritables filières de production, en collaboration avec des fournisseurs performants de haute technologie et qui sont désormais accompagnés par des filières entières d’activités, particulièrement dynamiques. Autant d’opportunités pour le développement d’entreprises françaises, y compris de PME.

Aujourd’hui, l’observation de la Terre, le renseignement, la météorologie, la géolocalisation et, bien sûr, les télécommunications sont les principaux champs de recherche et d’exploitation commerciale. Ils sont d’ores et déjà créateurs d’emplois, de gains de productivité, d’efficacité civile, mais aussi militaire, naturellement, pour les États qui les maîtrisent. Le champ des applications est très vaste et, je le pense, n’a été qu’à peine effleuré.

La géolocalisation, par exemple, presque familière désormais à tous les conducteurs ou tous les propriétaires de smartphones, est à l’aube de son exploitation. Son utilisation en marketing mobile, par exemple, ouvre d’immenses perspectives. Ainsi, le chiffre d’affaires estimé dans un rapport à 58 milliards d’euros en 2010 devrait atteindre 165 milliards d’euros en 2020, soit un triplement !

L’observation de la Terre offre, quant à elle, des champs d’application infinis en termes d’optimisation de nos modes de vie. Ainsi, le rapport de l’OCDE intitulé « L’espace à l’horizon 2030 » indique-t-il, par exemple, qu’une amélioration des prévisions météorologiques d’un seul degré Fahrenheit permettrait aux producteurs d’énergie d’économiser un milliard de dollars par an !

Que dire, également, de l’utilisation satellitaire pour l’agriculture, si chère à mon cœur ! Une pratique raisonnée, assistée par une observation satellitaire fine de chaque parcelle agricole réduit de façon considérable l’utilisation d’eau, l’apport d’engrais, le recours à des fongicides, des herbicides ou des insecticides, ce qui devrait faire plaisir à nos amis écologistes.

Au-delà de l’enjeu des seules perspectives de croissance économique qu’offrent toutes ces applications commerciales satellitaires, l’espace représente d’abord et avant tout un enjeu de souveraineté.

L’indépendance d’accès aux informations satellitaires est aussi stratégique que notre autonomie énergétique ou alimentaire. Nous devons bénéficier d’un accès souverain aux informations militaires, d’observations et d’analyse. Cela semble évident, mais il est nécessaire de le réaffirmer en cette période budgétaire difficile. Je ne reviens pas sur le caractère décisif de ces capacités au cours des opérations extérieures de la France, y compris dans l’actualité récente.

Au-delà du domaine militaire, ces informations nourrissent la puissance de notre pays, son influence géopolitique et son rayonnement, au travers également d’utilisations culturelles ou humanitaires.

En matière culturelle, par exemple, la promotion de notre langue, la diffusion de la culture européenne, la coopération universitaire, auxquels vous devez être sensible, madame la ministre, ainsi que la diffusion des médias et de l’information sont des enjeux qui vont au-delà de la seule croissance économique.

Même la tradition humaniste de notre pays peut s’exprimer grâce à l’exploitation de l’espace. Je pense bien sûr à la charte « espace et catastrophes majeures », créée voici presque quinze ans par l’ESA et le CNES, et qui permet de coordonner les secours de façon efficace en cas de catastrophes sismiques, météorologiques, ou environnementales. Votre rapport le souligne d’ailleurs fort bien, et fait état de plus de trois cents applications opérationnelles de cette charte dans le monde en dix ans. Le secours aux sinistrés d’Haïti a probablement été une opération emblématique en la matière.

Compte tenu de ces potentiels de croissance presque infinis, compte tenu, également, de l’enjeu géopolitique des applications satellitaires dans tous les domaines, stratégiques, industriels, militaires et commerciaux, la France a le devoir impératif de maintenir sa souveraineté au cœur de l’Europe et avec elle.

Mais cette souveraineté nationale a bien sûr un corollaire : notre souveraineté d’accès à l’espace.

Cette souveraineté commence par notre autonomie à disposer de lanceurs performants, fiables, évolutifs et dont l’économie globale est supportable par les États européens, y compris en ces périodes de crise.

Aussi, reconnaître le maintien de l’autonomie d’accès à l’espace comme un objectif européen prioritaire, en recourant à nos propres lanceurs européens, est absolument essentiel. Nous devons partager cet objectif avec tous les pays membres et contributeurs, y compris avec nos amis allemands.

Bien sûr, la France et l’Europe occupent aujourd’hui une place unique dans l’univers des lanceurs, et je veux dire notre fierté à chaque lancement, d’Ariane en particulier, vous me pardonnerez ce chauvinisme.

Cependant, la concurrence mondiale s’active de façon spectaculaire, engageant des moyens bien supérieurs aux nôtres, comme l’a indiqué mon collègue Bruno Sido il y a quelques instants. Aux États-Unis, avec des acteurs soutenus par la NASA – je pense bien entendu à Space X –, mais aussi en Russie, au Japon, en Chine et demain en Inde, sans oublier le Brésil. Tout cela est parfaitement décrit dans votre rapport.

Leader des lanceurs commerciaux, nous devons consolider nos positions, les protéger et pour cela optimiser chaque euro investi, sans aucune déperdition. En ce sens, chacune des recommandations de ce rapport est essentielle.

Réorganiser notre gouvernance européenne spatiale, clarifier les objectifs de notre politique – c’est essentiel –, soutenir une exploration spatiale à coûts limités, créer des filières, surveiller les débris spatiaux : ce sont là des recommandations fortes et tout à fait pertinentes.

Nous devons, en France en particulier, veiller à ce que le partenariat entre la maîtrise d’œuvre des projets de développement portés par le CNES et la maîtrise d’œuvre industrielle portée par Astrium puisse continuer à se renforcer, dans l’intérêt général. Comme cela a été souligné précédemment, l’industrie doit être directement intégrée aux décisions stratégiques.

Nous devons également prendre conscience des conséquences industrielles locales des choix stratégiques retenus par l’Europe et défendus pour la France par le CNES.

Le choix, par exemple, d’un lanceur Ariane 6 à propergols solides, ou PPH, a des conséquences en matière d’organisation industrielle sur les sites historiques d’Astrium ; je pense naturellement au site d’intégration des Mureaux. Il nous faut anticiper les conséquences de ces choix, afin d’opérer une transformation des sites industriels pour y maintenir activité, emplois et compétences.

Les pouvoirs publics ont aussi une responsabilité majeure en ce domaine pour toujours préférer la pérennité d’une excellence industrielle au redressement économique.

Enfin, considérant l’ensemble des recommandations de ce rapport d’information, je souhaite apporter tout mon soutien à celle qui est relative à la nécessité de maintenir les budgets spatiaux malgré la crise.

En effet, ces budgets, publics et militaires, sont à la fois les ferments de la croissance et le gage de notre indépendance sur la scène internationale. La dépense spatiale publique est, je le répète, cruciale pour l’avenir de notre économie, notamment eu égard à son puissant effet multiplicateur : « 1 euro investi dans l’industrie spatiale crée 20 euros de richesse. »

Les crédits du programme « Recherche spatiale » prévus dans la loi de finances pour 2013 s’élèvent à 1,143 milliard d’euros, soit une progression de 1 % par rapport à la loi de finances pour 2012. Nous pouvons nous réjouir de cette légère évolution, tout en remarquant que cette stabilité globale ne traduit peut-être pas encore assez le caractère prioritaire de la recherche spatiale.

Par ailleurs, je veux évoquer ici l’impact significatif du programme d’investissements d’avenir mis en place par le gouvernement précédent. Ce programme, au travers des dépenses ciblées destinées à améliorer la compétitivité de notre industrie, a ainsi alloué 600 millions d’euros à la recherche dans le domaine spatial.

De notre vision volontariste, partagée sur les différentes travées de cet hémicycle, à soutenir les efforts du secteur spatial dépendront nos capacités à créer de la valeur ajoutée industrielle, technologique et de la créativité technique et commerciale pour les prochaines générations.

Je salue en ce sens les résultats obtenus lors du conseil interministériel de l’ESA à Naples : concernant les lanceurs, le développement d’Ariane 5 ME et la décision de lancer les études pour Ariane 6 ont été obtenus au travers d’une mutualisation des dépenses. Cela permet aux industriels de s’organiser pour préparer la rupture technologique souhaitée et, en même temps, de préserver les compétences en matière de haute technologie présentes à ce jour sur les sites de recherche.

Madame la ministre, le maintien de ces compétences constitue un véritable enjeu, car leur déperdition serait malheureusement irrémédiable. Aussi avons-nous le devoir de soutenir avec force le ministère de la défense pour le maintien des budgets militaires consacrés à la recherche spatiale.

À ce sujet, il convient de préciser que le retard pris par le Livre blanc a des conséquences immédiates sur le maintien des moyens accordés dès 2013 à des sites mixtes, civils et militaires, sur lesquels les forces intellectuelles sont mutualisées. L’activité militaire peut représenter, dans certains sites industriels, deux tiers de l’activité – le site des Mureaux n’est pas le seul à être concerné. Le ralentissement de cette activité aurait des effets immédiats sur les capacités de développement de la partie civile.

Enfin, la dispersion des budgets entre les ministères et sur des lignes non agrégées est probablement un frein qui nuit, ainsi que l’a souligné tout à l'heure l’un de nos collègues, à une véritable vision globale de la politique spatiale, laquelle est trop peu souvent soumise à l’examen du Parlement.

Bien sûr, le maintien de ces budgets est difficile à expliquer aux Français et difficile à obtenir, je l’imagine, en cette période de crise économique, qui touche non seulement la France, mais aussi toute l’Europe. Aussi, l’idée de réintroduire l’espace dans l’intitulé d’un ministère est loin d’être anecdotique.

Valoriser l’utilité de l’espace auprès du grand public et expliquer la nécessité de protéger notre souveraineté, voilà qui est fondamental pour que les Français comprennent la nécessité de réaliser des efforts budgétaires. Peut-être devrions-nous envisager – je le dis sous forme de boutade ! – de créer un choc des consciences, en organisant un événement national ou européen, qui pourrait s’intituler : « Une heure sans l’espace », une heure pendant laquelle nous couperions toutes les applications satellitaires utiles dans la vie quotidienne ! (Très bien ! sur le banc des commissions.) Cela constituerait en effet un sacré choc ! (Sourires.)

Pour conclure, je veux, une nouvelle fois, saluer le travail réalisé par les coauteurs de ce rapport d’information, en m’associant pleinement aux recommandations qui y sont formulées, ainsi que l’action menée parallèlement par le groupe des parlementaires pour l’espace, que préside notre collègue sénateur de Haute-Garonne Bertrand Auban. Ces travaux conduiront, de toute évidence, le Gouvernement et le Parlement à la clairvoyance et à la sagesse dont ont fait preuve nos aînés. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Chiron.

M. Jacques Chiron. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d’emblée à saluer le travail très approfondi que nos collègues corapporteurs ont réalisé.

Dans le contexte actuel de crise économique, certains peuvent parfois s’interroger sur l’opportunité de continuer à investir dans l’activité spatiale. En effet, la complexité du domaine spatial peut donner l’impression que des budgets très lourds sont en jeu, pour des retours sur investissement peu connus du grand public.

Pourtant, non seulement l’activité spatiale résiste bien à la crise, tirée qu’elle est par les demandes croissantes de nos concitoyens, notamment en matière de télécommunications, mais en outre notre industrie européenne prend toute sa part dans cette dynamique, qui crée de nombreux emplois : 16 000 emplois en France dans le domaine spatial, dont 12 000 dans l’industrie.

L’espace constitue un véritable moteur de compétitivité et de croissance : les activités spatiales ont, dans l’économie, un effet multiplicateur important de l’investissement initial, sans compter les retours, plus difficiles à quantifier et à forte valeur ajoutée sociétale, tels que l’attrait des jeunes pour les études scientifiques, par exemple. J’ai d’ailleurs appris cet après-midi que Jean-Yves Le Gall, avait obtenu, au cours de ses études, une bourse du Centre national d’études spatiales !

Cette compétitivité de l’activité spatiale européenne trouve ses sources dans l’engagement résolu de l’Europe depuis plus de quarante ans à développer une stratégie cohérente et volontariste. Cette politique, qui s’est construite par étapes successives, permet aujourd’hui à l’Europe d’être en excellente position mondiale.

Dès 1975, l’Europe a su fédérer ses forces au travers de l’Agence spatiale européenne pour conquérir et garantir notre accès à l’espace. Elle a su mettre en place un programme scientifique permettant de maîtriser les technologies spatiales et d’explorer des applications innovantes, au service de nos concitoyens.

Quand certaines de ces applications se sont révélées pertinentes, l’Europe a su s’organiser pour les mettre en œuvre : on pourrait citer EUMETSAT, dans le domaine de la météorologie, ou encore EUTELSAT, dans le domaine des télécommunications, qui contribue à la couverture numérique du territoire en très haut débit.

Ce processus se poursuit aujourd’hui au sein de l’Union Européenne, en complémentarité avec l’Agence spatiale européenne et les États membres.

À cet égard, on peut citer le programme Galileo, système de positionnement des satellites, qui garantira l’autonomie de l’Union européenne, notamment par rapport au système GPS américain. On peut aussi évoquer le programme GMES, qui va doter l’Europe d’une capacité d’observation de la Terre, notamment dans le domaine environnemental.

Ainsi, l’Europe se positionne comme un acteur majeur dans le monde.

Si l’Europe spatiale est une réussite incontestable, elle doit toutefois aujourd’hui faire face à une concurrence croissante, avec l’émergence de nouveaux acteurs privés, mais aussi publics, en particulier l’Inde et la Chine, qui ont rejoint les États-Unis et la Russie au rang des acteurs incontournables dans le domaine de l’activité spatiale.

Face à ces nouveaux défis, et parce qu’une politique spatiale se pilote nécessairement sur le long terme, il est indispensable d’anticiper et de créer dès à présent les conditions nécessaires au maintien de la position européenne dans le monde.

Si vous me permettez de développer ce point, on peut identifier quatre conditions majeures.

La première de ces conditions tient évidemment aux moyens et à la part du budget que nous consacrons, au niveau européen comme au niveau national, à la politique spatiale.

Dans un contexte budgétaire extrêmement difficile, nous pouvons nous féliciter des orientations prises par le Gouvernement, et singulièrement le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans le cadre du budget pour 2013. Cela s’est traduit notamment par une augmentation de 3,7 % de la contribution française à l’Agence spatiale européenne, soit 29 millions d’euros supplémentaires sur une participation française de 799 millions d’euros, le budget global de l’ESA s’établissant à environ 4 milliards d’euros.

Cette contribution permet ainsi de garantir les engagements souscrits par la France et de participer à l’apurement de la dette de l’Agence spatiale européenne, conformément aux engagements pris par la France en 2008.

La deuxième des conditions est de faire évoluer nos lanceurs pour les adapter aux évolutions du marché commercial et institutionnel ainsi que pérenniser notre autonomie en matière d’accès à l’espace.

À cet égard, nous pouvons nous féliciter de la décision du conseil interministériel de l’Agence spatiale européenne, en novembre dernier, à Naples, qui marque l’acte de naissance d’Ariane 6.

Madame la ministre, vous avez réussi à convaincre certains autres États membres, ce dont nous pouvons nous réjouir. Cette nouvelle génération de lanceurs va, par ailleurs, permettre d’optimiser les coûts d’exploitation, tout en préservant les emplois, et garantir notre autonomie en matière d’accès à l’espace.

La troisième condition, à laquelle souscrit l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques - n’étant pas membre de la commission des affaires économiques, c’est de mon bureau que j’ai suivi cet après-midi ses travaux -, est la nécessité d’améliorer notre gouvernance en matière de politique spatiale.

Forts de notre histoire européenne, de nombreux acteurs interviennent dans la politique spatiale européenne.

Ce sont tout d’abord les États membres, au premier rang desquels la France. Premier pays à avoir développé une politique spatiale et à s’être doté d’une agence, le Centre national d’études spatiales, créé en 1961, la France consacre 2 milliards d’euros à cette politique - soit 31 euros par habitant et par an -, dont 799 millions d’euros pour l’Agence spatiale européenne. Le CNES est aussi le premier actionnaire d’Arianespace.

Il faut citer ensuite l’Agence spatiale européenne, créée en 1975, et l’Union européenne, qui dispose d’une compétence propre en la matière depuis 2009.

Il semble aujourd’hui nécessaire de réinterroger cette organisation, afin d’éviter autant que possible que le grand nombre d’acteurs n’entraîne une dispersion des forces et, au final, des moyens.

Concernant la question de la gouvernance, il semble aussi tout à fait essentiel d’associer davantage le monde industriel, en vue d’établir un programme spatial européen pleinement partagé par tous.

Ce dernier point me semble rejoindre la quatrième des conditions, puisqu’il s’agit d’aider l’industrie européenne et française à rester compétitive. Cela doit notamment passer, me semble-t-il, par les investissements d’avenir, qui permettent des financements ciblés répondant à des objectifs stratégiques partagés. D’ailleurs, même si nous devons conserver une politique spatiale française, car elle constitue l’élément moteur de la politique spatiale européenne, ces investissements devraient sans doute à terme être davantage portés par le budget de l’Union européenne.

La filière spatiale parvient bien souvent à réunir ce que l’on a trop tendance à séparer : les grands groupes industriels, les PME, les entreprises de taille intermédiaire et les laboratoires publics. En somme, elle réussit à réunir la recherche fondamentale et l’innovation appliquée à des besoins industriels. Vous êtes, je le sais, madame la ministre, aussi particulièrement sensible et attentive à de telles initiatives, que vous avez accompagnées sur le territoire grenoblois en particulier et dans l’Isère en général, comme je peux en témoigner pour être élu dans ce département.

C’est d’ailleurs en cette qualité que je me permets de citer l’exemple de l’entreprise Air Liquide, mondialement connue et dont le site isérois situé dans l’agglomération grenobloise est né, dans les années soixante, d’une collaboration avec le CNRS de Grenoble.

Par la conception d’oxygène et d’hydrogène liquides, Air Liquide a fourni, dès 1967, le ministère de la défense, puis le CNES. Depuis 1973, le site Air Liquide, en Isère, est étroitement lié à Ariane, puisque l’entreprise assure la propulsion des différents lanceurs.

Les technologies liées à l’hydrogène développées par Air Liquide, qui ont trouvé leurs origines dans la filière spatiale, permettent aujourd’hui des innovations remarquables. Ainsi, l’entreprise développe des véhicules électriques à l’hydrogène et a pour ambition de déployer une filière de l’hydro-énergie en Europe, s’affirmant ainsi comme un acteur clé de la transition énergétique.

Cet exemple est une nouvelle preuve que l’activité spatiale sait essaimer et contribuer au dynamisme de notre activité économique par la recherche et l’innovation qu’elle développe. Il montre aussi que c’est la collaboration entre le public et le privé qui crée l’innovation ; au bout du compte, c’est cette collaboration qui contribue et contribuera au redressement économique de notre pays. Tel est bien, madame le ministre, l’esprit du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi présenté par le Gouvernement, qui prévoit notamment le développement de trois CEA Tech en région.

Dans le spatial comme dans l’aéronautique, l’Europe a su se montrer exemplaire : en se fédérant autour d’objectifs partagés, elle est devenue compétitive et s’est affirmée comme un acteur incontournable dans le monde. Nos deux collègues Jean-Jacques Mirassou et Jean-Pierre Plancade, élus en Midi-Pyrénées, en savent quelque chose.

À l’heure où l’Europe est souvent sinon décriée, tout au moins critiquée, à l’heure où les États membres doivent faire face à un contexte économique et social difficile, la politique spatiale européenne nous montre combien il est indispensable de rester solidaires et d’aller encore plus loin dans le processus d’intégration européenne. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les corapporteurs, mes chers collègues, ce débat sur les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne tombe à point nommé, à la suite de la réunion des ministres chargés de l’espace des États membres de l’Agence spatiale européenne. Lors de cette réunion qui s’est tenue à Naples au mois de novembre dernier, les États engagés dans la réalisation de la politique spatiale européenne ont tenté de définir les axes et les contours de cette politique pour la décennie qui vient. Ils ont pris un certain nombre de décisions attendues tant par les acteurs de l’industrie spatiale que par les usagers, qu’ils soient institutionnels ou commerciaux.

En tant que parlementaires qui se préoccupent de la défense des intérêts nationaux, nous nous devons d’être attentifs à la politique menée par notre pays dans ce secteur crucial pour l’avenir de la planète tout entière. À cet égard, les enjeux de la réunion de Naples ont été très bien exposés dans l’excellent rapport que nos collègues Catherine Procaccia et Bruno Sido ont publié au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Dans ce rapport, qui justifie notre présent débat, nos collègues ont également fait d’utiles recommandations sur les perspectives du secteur spatial, dont la réunion de Naples a montré qu’il était à la croisée des chemins face aux nouveaux défis qu’il devrait relever au cours des dix prochaines années.

En effet, la situation a considérablement changé depuis la création de l’ESA, il y a maintenant près de quarante ans. De nouveaux acteurs, publics et privés, sont apparus et, avec eux, une concurrence qui s’exacerbe d’année en année. Ce sont aussi les modes de fonctionnement de l’Europe spatiale qui ont grandement évolué, en particulier depuis que le traité de Lisbonne, en 2009, a attribué à l’Union européenne une compétence dans ce domaine.

Ces données sont bien connues des spécialistes de la question, dont je ne suis pas, mais je les rappelle pour situer le contexte dans lequel évolue désormais l’Europe spatiale ; c’est notamment en fonction de ces données que doivent être prises les décisions lors des sommets européens consacrés à la politique spatiale.

Toutefois, d’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte. Car si la politique spatiale européenne est aujourd’hui à la croisée des chemins, c’est que, fondamentalement, elle n’a pas trouvé l’équilibre entre la nécessaire réponse aux besoins humains, économiques et industriels et la recherche d’une rentabilité financière fondée sur la seule réduction des coûts de production.

Le conseil interministériel de l’ESA a tenté de définir les besoins de l’Europe en matière de lanceurs sur une décennie. De fait, l’Europe est confrontée à un questionnement qui doit déboucher sur des options décisives pour l’avenir : il lui faut soit se plier à une logique purement commerciale de marchandisation des lancements, soit considérer les moyens de lancement comme une dimension stratégique de sa politique spatiale. Aujourd’hui, on doit malheureusement constater que la recherche d’une rentabilité financière rapide prime la réponse aux besoins humains. À cet égard, la réunion de Naples a été tout à fait significative de l’état d’esprit actuel des responsables européens.

Pourtant, il faut bien que des décisions fortes soient prises au niveau européen pour préserver la capacité de l’Europe à assurer son accès à l’espace. Dans cette perspective, la question des lanceurs est déterminante. C’est la raison pour laquelle la conférence interministérielle de l’ESA s’était fixé comme objectif de définir les grands axes des architectures de lanceurs, notamment sous l’angle de la propulsion, et de réduire les coûts de lancement d’environ 20 % en diminuant de façon drastique les financements publics, ce qui conduit à se plier à une logique commerciale dans le cadre d’une concurrence exacerbée. Les choix technologiques sont alors opérés en fonction de cette seule logique.

Je relève avec satisfaction que, dans leur rapport, nos collègues Catherine Procaccia et Bruno Sido ont fait l’intéressante proposition d’instaurer dans le domaine spatial un principe de réciprocité avec nos partenaires non européens, afin de lutter contre la fermeture par certains d’entre eux de leur marché. Reste que la logique purement commerciale choisie par les responsables européens ne permettra pas d’inverser la tendance : il faudrait admettre qu’il est décisif pour l’Europe d’avoir recours à ses propres lanceurs pour assurer le maintien de son autonomie d’accès à l’espace.

Certes, en décidant le lancement du programme Ariane 6, l’ESA a fait le choix judicieux de remplacer les vieux Soyouz par une solution européenne. Toutefois, on peut estimer qu’elle n’a pas fait preuve de beaucoup de détermination, puisqu’elle a timidement limité à deux ans le développement d’Ariane 5 ME avec ses moteurs Vinci et Vulcain. Souhaitons que, lors de sa prochaine conférence interministérielle, prévue en 2014, l’ESA décide enfin de donner une suite positive à Ariane 6 et à Ariane 5 ME !

À l’arrière-plan de ces aspects économiques et technologiques se pose une question fondamentale : la nécessaire clarification de la gouvernance de la politique spatiale européenne. À ce sujet, le groupe CRC souscrit à la plupart des recommandations formulées dans le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. En particulier, il soutient la proposition d’établir un véritable programme spatial de l’Union européenne à l’horizon de dix ans, dans le cadre duquel l’ESA et les agences spatiales nationales seraient les interlocuteurs privilégiés de la Commission de Bruxelles.

Pour notre part, nous considérons qu’il est nécessaire, afin que l’Union européenne puisse retrouver une politique spatiale ambitieuse, que les agences reprennent la main sur les industriels privés et se dotent de règles de solidarité. Il faut également favoriser les rapprochements entre l’ESA et les agences nationales, afin d’améliorer leur coopération ; nous pourrons ainsi, conformément aux préconisations du rapport, éviter les doublons et mieux utiliser les compétences réparties sur l’ensemble du territoire européen.

Chez nous, il faut que le CNES retrouve son rôle de maître d’œuvre des programmes spatiaux et qu’il coopère plus étroitement avec l’ESA, dont le fonctionnement et les processus de prise de décision doivent être plus transparents ; il faudrait en particulier en rationaliser les règles de fonctionnement et établir une répartition plus équitable des retombées économiques pour chaque pays.

Pour ma part, j’estime qu’afin de pallier la diminution des investissements publics, il faut exiger des industriels du secteur une participation accrue des capitaux privés à la relance de la politique spatiale européenne. C’est une question primordiale pour assurer l’avenir commun de nos sociétés. C’est aussi une exigence de justice et d’intérêt général pour des entreprises qui ont largement fait profiter leurs actionnaires d’activités très rentables. Si les entreprises concernées n’acceptaient pas cette responsabilisation sociale, l’État devrait envisager d’entrer dans leur capital ; après tout, c’est bien ce qui s’est produit dans le secteur bancaire de certains pays qui ne sont pas forcément les moins libéraux !

S’agissant enfin de quelques questions plus précises, j’estime, compte tenu de la position que je viens de présenter, qu’il faut maintenir la part de l’État français dans le capital d’EADS, nous opposer fermement à l’acquisition de l’entreprise Avio par l’américain General Electric et favoriser sans ambiguïté l’engagement européen sur une gamme pérenne de lanceurs fondée sur Vega, Ariane 6 et Ariane 5 ME.

Telles sont, madame la ministre, mes chers collègues, les observations que je souhaitais présenter, au nom du groupe CRC, sur la politique spatiale européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à féliciter les deux corapporteurs pour la qualité de leur travail.

Madame la ministre, je ne suis pas un grand spécialiste du domaine spatial, mais je me souviens qu’à l’automne 2009, lors d’un débat préalable à un Conseil européen, j’avais exhorté l’un de vos prédécesseurs à faire preuve d’une plus grande audace en matière de recherche spatiale. C’est avec beaucoup de regret que je me vois contraint, plus de trois ans plus tard, à renouveler mes encouragements dans le sens d’un accroissement massif de nos efforts en la matière.

Une chose a changé depuis octobre 2009 : la crise a consommé toutes nos marges de manœuvre budgétaires, atteint nos rêves spatiaux et ralenti nos perspectives de reprise économique. Dans ce contexte, nous voyons apparaître un réflexe somme toute bien naturel : la recherche spatiale serait une dépense somptuaire, un luxe ou une frivolité, l’apanage d’une puissance qui se veut encore grande, du moins plus grande que le bœuf. D’un coup, la recherche spatiale n’est plus une priorité ; bien au contraire, en période de tension budgétaire, c’est un poste qu’il faudrait rogner, redéployer ou pudiquement « stabiliser » en attendant des jours meilleurs.

C’est ainsi que l’administration Obama a décidé, en 2011, le gel du budget de la NASA pour cinq ans. De même, l’Espagne et la Grèce ont suspendu leur participation au financement de l’ESA jusqu’à nouvel ordre. Pour autant, les conséquences opérationnelles et stratégiques d’un gel budgétaire sont différentes lorsqu’il est question de plus de 17 milliards de dollars, budget annuel de la NASA, et de 4 milliards d’euros, budget annuel de l’ESA.

J’observe qu’on tient le même type de raisonnement en matière de défense : à quoi bon nous défendre, à quoi bon entretenir nos forces de dissuasion si nous sommes en paix ? Pourquoi consacrer tant de milliards d’euros chaque année à des politiques qui passent, au café du commerce, pour des dépenses d’un autre temps ? Pourquoi ne pas consacrer ces sommes à l’éducation, qui est fondamentale, ou à l’investissement productif, dépenses sans doute plus utiles en temps de crise ?

Ces raisonnements sont le voile de notre ignorance. La vérité, madame la ministre, c’est que nous n’avons plus foi dans le progrès ni dans l’avenir. Aussi le moindre denier versé à la recherche spatiale fait-il immédiatement figure de dépense de science-fiction pour scientifiques et universitaires.

Mes chers collègues, je vais vous raconter une histoire qui devrait vous inciter à méditer sur la recherche spatiale. Il s’agit d’un vieux conte persan intitulé Les trois princes de Serendip. Ces princes, partis à la recherche d’un chameau, étant accusés du vol de l’animal, parviennent à force de sagacité à conserver la vie et à devenir riches en repartant chargés de trésors. Nous connaissons tous cette histoire, pour l’avoir nous-mêmes vécue : combien de fois n’avons-nous pas fait une découverte inattendue en poursuivant un autre but ?

L’homme de lettres anglais Horace Walpole a appelé ce phénomène la « sérendipité ». La sérendipité, qu’il définit comme « la découverte de quelque chose par accident et sagacité alors que l’on est à la recherche de quelque chose d’autre », est à l’origine de découvertes majeures dans tous les domaines, comme le vaccin contre la vache folle.

Au XXe siècle, les deux secteurs de la recherche fondamentale les plus fertiles en innovations ont été la recherche militaire et la recherche spatiale. Dans l’histoire, la recherche spatiale a démontré à quel point la sérendipité de ses personnels était féconde. Que l’on songe aux nombreuses innovations dont nous jouissons au quotidien et qui ont été produites par la recherche spatiale : les ordinateurs à circuits intégrés et les téléphones portables, mais aussi l’imagerie IRM, les airbags de sécurité et jusqu’au revêtement des poêles !

Le produit de la recherche spatiale se déverse dans toute l’économie et a bouleversé nos modes de consommation en nous permettant une incroyable série de bonds technologiques depuis plus d’un demi-siècle. Or, à l’heure actuelle, le budget de l’Agence spatiale européenne est de 4,2 milliards d’euros, alors qu’il était encore de 4,5 milliards d’euros en 2009. Autrement dit, nous avons perdu plus d’un milliard d’euros de financements sur cinq années à peine. Cette évolution est préoccupante et je ne peux que regretter que le fameux pacte européen pour la croissance et l’emploi négocié par le Président de la République en juin dernier ne contienne aucune stipulation relative à la recherche spatiale. Où est l’ambition pour cette filière ? Où est le soutien dont elle a besoin ?

Le dernier conseil ministériel de l’ESA, qui s’est tenu à Naples, en novembre dernier, et auquel, madame la ministre, vous avez participé, puis la conférence spatiale européenne de janvier dernier ont confirmé une stabilisation du financement de la recherche spatiale à son niveau actuel. Je sais, madame la ministre, que vous êtes pour beaucoup dans ce résultat. Reste qu’il s’agit d’une stabilisation alors que de nouvelles contributions vont être versées par la Pologne et la Roumanie.

Certes, nous avons pu nous satisfaire de la préservation du site de Kourou, en Guyane, dont le financement est assuré pour les cinq années à venir. Toutefois, est-ce suffisant pour placer la recherche européenne au niveau des enjeux ? Faut-il le rappeler, Kourou est le plus important site de lancement au monde et l’un des plus compétitifs, puisqu’il a attiré jusqu’au lancement des satellites Soyouz, même si les Russes deviennent de plus en plus indépendants. Une stabilisation de l’enveloppe est-elle à la hauteur de la promesse faite dans le Traité de Lisbonne de doter l’Europe d’une véritable politique spatiale internationale ?

Mes chers collègues, on ne mesure pas à quel point la recherche spatiale est devenue déterminante dans la compétition économique qui anime un monde globalisé. En particulier, les satellites sont devenus indispensables à notre mode de vie, à notre soif permanente d’informations et de communication.

Si nous ne nous donnons pas les moyens de préserver nos savoir-faire et de préparer l’avenir, notamment via le renouvellement des sites et des installations, ainsi que la formation de scientifiques de très haut niveau, ce sont nos concurrents qui prendront les décisions à notre place et nous imposeront, avec tous les risques stratégiques que cela suppose, leurs équipements.

Imagine-t-on l’Europe couverte par des satellites non européens, alors que de nombreux pays – je ne les citerai pas - animent une guerre permanente en matière d’intelligence économique et de déstabilisation des systèmes d’information ?

Par exemple, du point de vue des Chinois, la recherche spatiale est non seulement un enjeu économique, mais aussi une question de sauvegarde de la souveraineté nationale, ce depuis le Livre blanc qu’ils ont publié en 2002.

Joan Johnson-Freese, professeur à l’Académie navale de guerre des États-Unis, estimait déjà en 2005 que la Chine consacrait annuellement plus de 2,2 milliards de dollars américains à l’espace. Or, depuis le premier vol habité chinois en 2003, la Chine, c’est patent, ne cesse d’évoluer dans ce domaine.

On se rassure en évoquant les retards technologique et budgétaire du programme chinois. Ils doivent cependant être relativisés par rapport aux nôtres, puisque nous ne disposons pas de données fiables en la matière. La Chine s’est ainsi imposée comme une puissance majeure, y compris pour ce qui concerne le lancement et la mise sur orbite de satellites, en échange d’approvisionnements énergétiques. Je pense notamment au Venezuela et au Nigeria, qui rétribuent les lancements par des livraisons de barils de pétrole ou le contrôle de sources d’énergie.

Les pays européens, bien que soutenus par de puissantes économies, sont toutefois contraints par des pressions budgétaires, alors que les pays émergents disposent de masses financières beaucoup plus importantes. Sur les dix, quinze ou vingt prochaines années, cela fera peut-être la différence !

La multiplication des acteurs internationaux en matière de recherche spatiale pose d’importantes questions relatives au droit de propriété intellectuelle, principalement au regard de la coopération internationale qui anime la Station spatiale internationale. Un problème se pose déjà sur le statut des innovations qui pourraient avoir lieu au sein de l’ISS. Une découverte faite dans l’espace peut-elle être brevetée sur Terre et, si oui, dans quel pays ?

La question se pose plus particulièrement dans le cadre européen. Elle est d’autant plus problématique au regard de la faiblesse des garanties accordées par le droit chinois en matière de protection de la propriété intellectuelle. C’est la raison pour laquelle les spécialistes se penchent désormais sur ces problèmes cruciaux, les réponses apportées en la matière devant permettre de préserver la saine émulation qui anime nos équipes de recherches, ici, en Europe.

Comme vous pouvez le constater, madame la ministre, mes chers collègues, la situation de la recherche spatiale européenne est prise dans l’étreinte d’un étau à trois branches.

Nous faisons face à une contrainte budgétaire inédite qui ne fait qu’accentuer la concurrence et la montée en puissance des programmes spatiaux chinois et hindous, le fossé technologique qui nous sépare des États-Unis ne cessant de se creuser. Le programme européen n’a pas de satellite Hubble à mettre à son actif, et nous n’avons pas lancé le programme robotique Curiosity, mis en œuvre récemment sur Mars. L’Europe a de grands astrophysiciens, mais notre ambition et nos rêves ne sont pas relayés par des investissements privés ou émanant de la puissance publique.

Car il s’agit bien de cela, madame la ministre ! La recherche spatiale n’est pas une dépense somptuaire. C’est un investissement, éventuellement rentable pour des décennies. Ma collègue Sophie Primas le disait tout à l’heure, avec un euro d’investissement on obtient en retour vingt euros.

On parle beaucoup de la manière de rétablir, à moyen terme, la croissance économique en Europe par des réformes structurelles. Peut-être la recherche spatiale nous ouvre-t-elle la voie d’une prospérité industrielle de très long terme.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris et certains d’entre vous, qui sont spécialistes de la matière, le savent mieux que moi, la recherche spatiale est une entreprise de longue haleine. C’est un sentier escarpé où l’échec est toujours possible, mais où les récompenses sont sans commune mesure. Soyons hardis, soyons audacieux en matière de recherche et faisons confiance à nos chercheurs et à nos entrepreneurs.

Je me permettrai ainsi de formuler une proposition. Nous savons que, dans le cadre national, le Centre national d’études spatiales remplit globalement cinq missions. Parmi celles-ci, la recherche fondamentale, notamment l’astrophysique et les sciences de l’univers en général, ne peut être assumée que par l’État. En revanche, d’autres missions, telles que l’accès à l’espace, la gestion des déchets stellaires ou encore certaines opérations de lancement de satellites, pourraient donner lieu à un renforcement de la présence des entreprises françaises, européennes ou étrangères, ce qui améliorerait le délai de transmission de la recherche fondamentale à la recherche appliquée.

Renforçons donc les partenariats avec le privé ! Quitte à faire des choix budgétaires courageux, ouvrons les vannes du financement privé. Tout le monde y gagnera !

N’ayons pas peur d’injecter, s’il le faut, des sommes folles – j’exagère peut-être, mais je ne suis pas loin de la réalité –, pour que notre programme spatial soit comparable, en termes de moyens, à celui des États-Unis. L’Europe en a la capacité. Le préalable à une recherche spatiale européenne digne de ce nom, c’est une ambition européenne robuste. Nous avons les talents nécessaires en Europe, donnons-nous les moyens de les exploiter ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette journée aura été marquée par les questions spatiales. Cet après-midi, la commission des affaires économiques a procédé à l’audition du candidat pressenti pour la présidence du Centre national d’études spatiales, et nous nous retrouvons ce soir – hasard du calendrier ! –, pour un débat sur l’avenir de l’Europe spatiale, largement initié par l’excellent travail fourni dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, pour lequel j’assure leurs auteurs de mes compliments.

Aujourd’hui, nous nous rendons compte que notre pays est le vrai moteur de la politique spatiale européenne. Sans la France, on peut le dire sans crainte d’être détrompé, il n’y aurait pas de politique spatiale en Europe.

D’abord, depuis 1961, nous affichons une ambition dont nous nous donnons les moyens, à travers la création, par le général de Gaulle, du Centre national d’études spatiales.

Des ressources importantes ont été allouées, il faut le souligner. Alors que les États-Unis consacrent des sommes considérables à l’espace - à hauteur de 49 euros par habitant pour ce qui est du spatial civil -, la France y affecte 31 euros par habitant, ce qui est loin d’être négligeable, alors que l’Allemagne – mais il ne s’agit pas ici de classer par ordre de mérite les pays concourant à la politique spatiale européenne – n’y consacre, toujours par habitant, que 17 euros et le Royaume-Uni, 6 euros.

La France supporte, aux deux sens du terme, presque la moitié du budget consacré à l’Europe spatiale. En retour, bien entendu, elle dispose d’un leadership, qui se manifeste d’abord par la localisation à Paris du siège de l’Agence spatiale européenne, ensuite par la place qu’occupent ses industriels, la science en général, dans cette politique spatiale, et enfin par le rôle majeur joué par la base spatiale de Kourou.

Ce n’est pas être cocardier – même si, de temps en temps, on peut l’être, surtout lorsqu’on vient de perdre un match important au Stade de France (Sourires.) – que de dire que la France a donné l’essentiel de l’impulsion nécessaire à la politique spatiale européenne.

Cette politique européenne dispose d’un certain nombre d’atouts. Quand on regarde ce qui a été réalisé depuis une cinquantaine d’années, on se rend compte que le premier de ces atouts réside dans la volonté politique.

Madame la ministre, dans le sillage des ministres qui vous ont précédée, vous avez affiché une vraie volonté dans ce domaine, et ce que vous avez obtenu à la conférence de Naples illustre qu’une telle volonté permet de surmonter bien des difficultés. Cela n’était pas facile. Lorsqu’on connaît un peu la position des pays qui s’intéressent à l’espace, on s’aperçoit que beaucoup traînent les pieds, ou sont plus que réservés.

J’ai eu la chance d’exercer, par le plus grand des hasards, que j’ai assumé avec bonheur, la présidence du groupe des parlementaires pour l’espace, dans une autre assemblée et dans une autre vie. À l’époque, j’avais pris l’initiative d’organiser un certain nombre de rencontres avec nos collègues des principaux pays de l’Union européenne. À chaque fois, j’avais été surpris de constater leur réticence, leurs réserves, leur capacité à imaginer toutes sortes de difficultés, tout simplement pour retarder les décisions, et ce alors que les contraintes budgétaires n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui.

En France, nous avons cette volonté politique et j’ai été frappé de constater, dans un hémicycle abondamment garni ce soir (Sourires.), malgré les tentations qui pouvaient attirer certains des nôtres dans un autre lieu,…

M. Yves Pozzo di Borgo. Les meilleurs sont là ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir. … le large consensus qui s’est manifesté, la presque unanimité, qui a fait que la plupart des orateurs – modestement, je ne veux pas anticiper le sort qui sera réservé à mon intervention – ont été chaleureusement applaudis par ceux qui les avaient écoutés.

Mais je vois un deuxième atout : la communauté scientifique française. Les meilleurs, et ce n’est pas pour le coup être cocardier de le dire, sont français. Les scientifiques, qui travaillent depuis longtemps sur ces questions, ont besoin non seulement du soutien de nos gouvernements et du Parlement, mais aussi, vous le savez, madame la ministre, de moyens très importants en termes de formation.

L’un de mes collègues l’a dit à la tribune, nous avons été particulièrement frappés, cet après-midi, d’entendre le futur président du CNES expliquer dans quelles conditions il avait mis les pieds dans l’espace, si je puis dire : une bourse lui avait été octroyée, alors que la carrière qui lui était destinée ne l’aurait pas forcément conduit dans les étoiles. Cet effort de formation doit évidemment être amplifié, pour que cette communauté scientifique continue d’être la meilleure.

Enfin, nous avons un troisième atout : les industriels. Notamment sur le sol français, un certain nombre d’entre eux contribuent à faire en sorte que l’Europe spatiale se manifeste concrètement par des tirs réussis et l’envoi dans l’espace de satellites utiles.

Pour autant, nous sommes exposés à une concurrence sévère. Il y a encore une vingtaine ou une trentaine d’années, le leadership des États-Unis était incontesté, l’Union soviétique occupait une place importante et l’Europe essayait de se frayer un chemin, malgré des débuts un peu difficiles, notamment pour les lancements. Aujourd’hui, nous occupons une place déterminante, la moitié des satellites civils étant lancés par l’Europe. Toutefois, nous sommes assez surpris de voir qu’un certain nombre de pays sont devenus nos concurrents, grâce, évidemment, aux politiques de bas salaires qui sont les leurs, alors que nous pensions détenir le meilleur, pour ce qui est à la fois de la science, des technologies et du savoir-faire industriel.

Mais il ne faut pas se résigner, car l’exercice qui consiste à envoyer des satellites dans l’espace à des prix extrêmement élevés est difficile. Je parle non seulement des lanceurs, mais aussi des satellites eux-mêmes. Il faut savoir coordonner et organiser la coopération. Tout seuls, nous ne pouvons évidemment pas assumer une telle responsabilité.

Pour ma part, je suis convaincu que la coopération avec la Russie s’impose, car nous partageons avec ce pays une même plaque continentale. Tout d’abord, le savoir-faire des Russes est incontestable. On est encore émerveillés de voir, aujourd’hui, le nombre de vols réalisés grâce à Soyouz, dont, finalement, la géométrie n’a pas tellement varié au cours des années. Nous nous émerveillons également du nombre de satellites envoyés dans l’espace, d’abord par l’Union soviétique, ensuite par les régimes qui ont suivi, je pense notamment à Mir. Au final, on s’aperçoit - sans ironie - que la seule vraie révolution qu’ait réussie la Russie, c’est bien celle de ses satellites autour de la Terre. (Sourires.)

Aujourd’hui, nous avons besoin de cette coopération, qui se manifeste à Kourou par la place maintenant réservée à la base de Soyouz. Je pense que, dans les années qui viennent, nous aurons besoin de la concrétiser de façon encore plus forte, car les contraintes budgétaires sont énormes et on ne voit pas que l’on puisse dilapider nos deniers publics dans des options qui seraient hasardeuses ou inutiles.

Je sais qu’il est extrêmement délicat d’aborder la question de l’utilité de certaines initiatives. Est-il utile d’aller creuser, à des prix extraordinaires, le sol de Mars, comme certains le voudraient, alors que nous avons besoin de mobiliser nos moyens surtout pour rendre l’Europe spatiale utile pour les citoyens ?

On a largement décrit les applications, notamment dans la vie quotidienne, issues de la recherche spatiale. À cet égard, madame la ministre, Galileo constitue évidemment l’un des objectifs essentiels, qui sera d’ailleurs atteint dans un an et demi ou deux ans et permettra aux Français d’être complètement autonomes. Aujourd’hui, en effet, la politique spatiale, c’est aussi le renforcement de l’indépendance de notre pays et de l’Europe.

Madame la ministre, la politique spatiale a besoin du soutien de l’opinion. Celle-ci doit être partie prenante et ne doit à aucun moment pouvoir estimer que les crédits dégagés sont autant d’argent jeté par les fenêtres. Il faut donc assurer ce lien entre l’opinion et la politique spatiale et faire en sorte que les Français connaissent mieux l’espace.

L’espace, on ne le découvre souvent que lorsque le ciel est dégagé et que l’on admire les étoiles. Car on aime regarder les étoiles, mais on ignore souvent tout de l’univers qui nous entoure comme des finalités très concrètes que son exploration nous offre.

Je ne saurais trop redire le rôle important que peut jouer le CNES, notamment grâce aux initiatives qu’il prend sur le terrain et qui sont régulièrement saluées. Les merveilleuses expositions qui sont organisées pour en rendre compte témoignent du génie français et de l’excellence du travail de nos scientifiques. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les corapporteurs, mes chers collègues, il y a moins d’une semaine, le satellite Planck de l’Agence spatiale européenne a révélé une image de la formation de l’univers d’une qualité exceptionnelle, dix fois plus précise que celle qu’avait proposée la NASA en 2003.

Ce soir, le débat proposé par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques nous projette non pas 13,8 milliards d’années en arrière, mais dans la vingtaine d’années à venir.

En nous faisant naviguer dans le temps, l’Observatoire spatial européen, qui a secoué le monde des astrophysiciens, révèle le paradoxe de l’image d’une politique spatiale européenne nébuleuse dans au moins trois de ses composantes : son pilotage, sa finalité, sa portée.

Le pilotage de la politique spatiale, c’est-à-dire sa composante institutionnelle, est qualifié de « millefeuille » dans le rapport de l’OPESCT. L’image d’un agrégat friable semble tout aussi juste.

Le projet Planck, qui a retenu notre attention, est développé par l’Agence spatiale européenne, mais il a pour origine la fusion de deux projets, l’un français, l’autre italien, et a demandé la collaboration des Américains. Il est ainsi à l’image de la multiplicité européenne des institutions privées et publiques ayant une compétence générale ou particulière dans le domaine spatial.

Alors que chaque État possède ainsi son agence spatiale dont l’action est coordonnée par l’Agence spatiale européenne, le Traité de Lisbonne dote l’Union européenne de compétences pour élaborer son propre programme spatial.

Les vingt-sept États membres de l’Union européenne ne sont pas tous membres de l’ESA. En effet, l’Agence spatiale européenne compte vingt membres, dont la Norvège et la Suisse, qui ne font pas partie de l’Europe politique. En France, le Centre national d’études spatiales fait figure d’agence spatiale nationale. Toutefois, il faut distinguer, quasiment en son sein, des acteurs opérationnels et institutionnels majeurs, puis ajouter l’ensemble de l’industrie spatiale.

Est-il possible de mener à bien des projets technologiques et industriels avec ces différentes structures ? Les réalisations passées de l’Agence spatiale européenne sont le gage de futures réussites, mais le pilotage de l’Union européenne reste pour le moment problématique.

Le projet Galileo de navigation par satellite est cité en exemple de cette réussite, mais les retards et les difficultés de financement du programme attestent que les montages institutionnels rendent une opération de cette envergure aussi compliquée que complexe, entraînant des difficultés pour imposer le système face à un GPS modernisé.

Le programme européen de surveillance de la Terre, le GMES, est encore plus symptomatique des difficultés du millefeuille institutionnel, la Commission européenne tentant, contre la position des États membres, de se retirer du financement et de faire peser sur les États le coût du projet, estimé à près de 6 milliards d’euros.

Enfin, le programme MUSIS, initialement européen puisqu’il associait huit États membres et l’Agence européenne de défense, marque encore la faiblesse de l’intégration d’une politique spatiale à l’échelle de l’Union européenne.

Dans cette Europe « à la carte », c’est finalement le couple franco-italien qui prend la main pour monter un programme spatial de renseignement, alors que les Britanniques s’en sont déjà remis à un opérateur privé pour leurs télécommunications militaires.

La difficulté d’engager des projets est-elle liée à cette stratification institutionnelle ?

L’importance moindre du budget spatial européen, même si l’on additionne les moyens des différents acteurs, comparée aux budgets américain, russe ou chinois, témoigne de ce manque de direction politique européenne, la contrainte économique étant ressentie partout.

La finalité de la politique spatiale est encore à définir.

L’accès à l’espace est un enjeu : il reçoit des applications dans les domaines économique – télécommunication, localisation, météorologie, aménagement du territoire –, scientifique – surveillance de la planète, réchauffement climatique, exploration spatiale, origine de l’univers – et militaire avec le renseignement, la communication sécurisée et le commandement des opérations.

Deux directions apparaissent alors possibles pour mobiliser face à ces enjeux : la souveraineté et le marché. Est-ce à la souveraineté, entendue comme l’indépendance et l’autonomie, ou au marché, entendu comme la recherche du service à moindre coût, de fonder le ressort d’une politique européenne d’accès et d’utilisation de l’espace ?

La politique de l’Agence spatiale européenne et celle de l’Union européenne contrastent singulièrement sur la direction empruntée.

Alors que l’ESA connaît un principe de retour géographique visant à une participation des États au programme spatial correspondant à leur participation financière, les règles du marché européen ignorent cette volonté des États de voir le fruit de leur effort budgétaire consacré à leur économie nationale.

De même que la sécurité de la double source industrielle pour l’approvisionnement en satellites du projet Galileo est abandonnée par l’Union européenne en raison de son coût, les deux prochains satellites destinés au projet GMES seront lancés par des vecteurs russes, moins onéreux.

Certes, la préservation des ressources publiques doit faire l’objet d’une mobilisation importante de tous les acteurs et la compétitivité de l’industrie spatiale demeurer un objectif important, puisque leur absence conduirait à l’échec certain de toute politique spatiale. Toutefois, l’autonomie et l’indépendance de l’accès à l’espace sont des enjeux de souveraineté que les États de l’Union européenne ne peuvent abandonner aux géants américains, russes, chinois, japonais et bientôt brésiliens et indiens.

En effet, l’enjeu pour ces États est avant tout militaire, et l’Europe ignore complètement cette utilisation de l’espace. C’est encore une juxtaposition de programmes nationaux, bilatéraux ou trilatéraux, qui constitue la politique spatiale militaire en Europe, ce qui entraîne des écarts de 1 à 20 entre la somme de ces budgets et les dépenses américaines.

L’image qui en ressort, celle d’une Union européenne absente du domaine spatial, joue au renfort de la souveraineté des États mais au détriment de la cohésion et de l’intégration européennes ; on en ressent de plein fouet les effets.

Cette absence de l’Europe du domaine spatial se retrouve encore sur le terrain symbolique.

Être une puissance spatiale est un vecteur d’engouement et de fierté, une affaire de prestige et d’affichage politique. La concurrence entre Russes et Américains pour la conquête spatiale, la capacité d’envoyer des taïkonautes chinois dans l’espace, la douloureuse dépendance des Américains pour l’accès à la Station spatiale internationale sont autant d’indicateurs de la puissance symbolique inscrite dans l’accès à l’espace. Mais alors qu’Ariane domine le secteur du lancement des satellites, que l’Europe est capable d’approvisionner la station spatiale, la portée symbolique de la politique spatiale européenne est encore invisible.

La Guyane peut servir de champ d’analyse à ce décalage entre les prouesses technologiques, industrielles et économiques du secteur spatial et leur réception par nos concitoyens.

Malgré une contribution économique non négligeable à l’économie guyanaise ou à l’effort pédagogique du Centre spatial guyanais, les blessures de l’expropriation, le décalage entre la puissance des moyens techniques et sécuritaires mis en œuvre pour le lancement d’une fusée et les conditions de vie des habitants provoquent quelquefois chez les Guyanais, tout au moins une partie d’entre eux, un sentiment d’indifférence à l’égard de l’activité spatiale.

Plus généralement, le rapport qui nous est présenté témoigne de l’inquiétude des membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques quant au manque de valorisation du spatial. Je soutiens pleinement la préconisation qui y figure d’indiquer le terme « espace » dans l’intitulé du ministère et de prévoir la saisine régulière du Parlement sur le programme spatial et la stratégie qu’il traduit.

Hélas ! je crains que l’intérêt du spatial ne progresse que fort peu quand je note la différence de tonalité de l’OPESCT entre le rapport de 2007 et celui de 2012.

Dès son titre, Politique spatiale : l’audace ou le déclin », le premier rapport annonçait un thème fort et ne laissait guère de doute quant à la place première qui devait revenir à la politique spatiale européenne dans le monde. Ainsi, le secteur spatial militaire devait se faire, avec ou sans l’Europe ; la maîtrise technologique était nécessaire et « l’exploration et les vols habités, inséparables et inconcevables sans l’Europe ». La question du lanceur était autant d’accompagner les mutations du marché des satellites que de permettre les vols habités.

Aujourd’hui, une même politique volontariste et ambitieuse est soutenue, mais elle est tempérée, peut-être par la crise économique.

Ainsi, la conquête spatiale et les vols habités sont des domaines que la politique spatiale européenne a abandonnés pour elle-même et les secteurs autres que les satellites commerciaux semblent trop peu mobiliser l’intérêt européen.

Sans direction unique, écartelée entre la volonté de souveraineté des États et les contraintes du marché, ignorant la portée symbolique de la conquête spatiale, la politique européenne en la matière offre, on l’espère, un reflet déformé et temporaire de l’intégration politique, industrielle et spatiale de l’Union européenne. Le succès français, italien et allemand que constitue la décision prise à l’issue de la conférence interministérielle des 20 et 21 novembre dernier de lancer le programme d’Ariane 6 ne demande qu’à être partagé avec l’ensemble des partenaires européens. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie Bruno Sido, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et Catherine Procaccia, corapporteur, dont le rapport sur les enjeux et les perspectives de notre politique spatiale nationale et européenne est tout à fait remarquable, je tiens à le souligner à mon tour.

Je me réjouis que la Haute Assemblée ait inscrit ce débat à l’ordre du jour de ses travaux en séance publique. Je sais que la commission de l'économie, dont je salue le président ici présent, a également consacré une partie de ses travaux aujourd'hui à ce sujet.

Je salue également Jean-Yves Le Gall, président-directeur général d’Arianespace, qui assiste à ce débat. Il est manifestement appelé à occuper prochainement d’autres fonctions, mais je ne souhaite pas plus anticiper sur une nomination à venir même si plusieurs d’entre vous l’ont évoquée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous abordé le conseil ministériel 2012 de l’ESA et ses suites. J’en rappellerai brièvement les résultats et évoquerai les perspectives que nous en attendons.

Naples a été un succès pour l’Europe spatiale. Je souhaite dissiper la morosité ambiante et apporter cette touche d’optimisme, car notre enthousiasme peut aussi provoquer des rebonds et il ne faut pas de priver d’une occasion de le manifester.

Les ministres des vingt États membres de cette organisation et du Canada ont décidé d’allouer un budget de 10 milliards d’euros aux activités et programmes spatiaux de l’ESA pour les années à venir. Dans le contexte que nous connaissons, c’est un engagement important et tout à fait structurant. Les ministres ont concentré leurs investissements sur les domaines ayant un fort potentiel de croissance ou un impact direct et immédiat sur l’économie, mais également sur les grands programmes scientifiques. Évidemment, dans ce domaine comme dans d’autres, on voudrait toujours investir davantage, et c’est bien normal.

Ce conseil ministériel de l’ESA a été l’occasion tout à la fois de dresser un constat - les objectifs français sont parfaitement atteints –, de conforter le programme Ariane et de garantir un accès autonome à l’espace pour l’Europe.

Je tiens à lever le doute qui m’a semblé subsister : l’évolution vers Ariane 6 a été actée, avec l’objectif d’un lanceur plus robuste et mieux adapté à l’évolution des besoins internationaux, tout en optimisant la transition, pour garantir les emplois et pérenniser les compétences industrielles, sans rupture de charge. Voilà ce à quoi nous nous sommes engagés.

Le leadership d’Ariane 5 durant cette période sera donc conforté, avec un programme d’évolution adapté et détaillé.

Je voudrais rendre hommage à Arianespace et à l’ensemble des scientifiques, en particulier ceux du Centre national d’études spatiales. Tous ont contribué au succès de ce lanceur. Réussir 54 lancers consécutifs, c’est une grande première à l’échelle internationale, et je salue également cette forme d’élégance qui a consisté à réussir tous les lancers depuis que je suis ministre,…

Mme Sophie Primas. Et avant aussi !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. … consciente que tous mes prédécesseurs n’ont pas eu cette chance… (Sourires.)

Nous avons également validé une nouvelle approche, fondée sur la recherche d’une synergie maximale entre la future Ariane 6 et les évolutions d’Ariane 5 pour optimiser les développements et les coûts, tout en minimisant les risques. J’espère que cette trajectoire sera confirmée lors du conseil ministériel de 2014, à l’issue d’études plus approfondies.

Nous avons voté un programme de deux ans, qui représente 300 millions d’euros pour la France, sur un total de 619 millions d’euros.

Nous confirmons notre engagement pour mener toutes les études intermédiaires qui nous permettront d’aboutir à la confirmation de la trajectoire décidée.

La France est également co-leader avec l’Allemagne, sur Metop-SG, le programme européen de météorologie opérationnelle, avec une contribution de 27 %.

L’industrie européenne des satellites de télécommunications s’est essentiellement fédérée autour du projet NEOSAT, programme de plateforme innovante à propulsion électrique ou mixte.

La quote-part de la France dans le financement de l’exploitation de la Station spatiale internationale, l’ISS, diminue de manière significative, passant de 27 % à 20 %, à la suite d’un compromis avec l’Allemagne et d’un engagement récent du Royaume-Uni. La France va contribuer au développement du module de service du futur véhicule de desserte de l’ISS, que Mme Procaccia et M. Sido appellent de leurs vœux dans leur rapport.

Enfin, au-delà de l’ISS, tous les programmes scientifiques dont les résultats contribuent au rayonnement de la science spatiale française et européenne dans de nombreux domaines – univers, sciences de la Terre, etc. – ont été maintenus et amplifiés. Prises depuis le satellite Planck, les magnifiques images nous ont tous fait rêver, d’autant plus que ce formidable outil concentre beaucoup de science, de technologie et d’industrie française, notamment, et vous me permettrez un instant de régionalisme, le groupe Air Liquide et certains laboratoires du CEA.

La recherche scientifique a ainsi vu renforcer ses instruments spatiaux lors de ce conseil, avec une nouvelle période quinquennale du programme scientifique obligatoire.

La base spatiale de Kourou, vous avez été nombreux à le dire, a également été confirmée, et son financement assuré pour les cinq années à venir.

En cette période de difficultés économiques et financières, chacun est conscient du fait que l’effort budgétaire important des pays européens, notamment de la France, doit trouver sa contrepartie dans une maximisation des retours économiques, opérationnels, scientifiques et technologiques.

Dans cet esprit, les enjeux de cette nouvelle phase de mise en œuvre sont nombreux.

Je citerai tout d’abord la nécessaire collaboration entre l’industrie, le CNES et l’ESA, sur les travaux industriels d’Ariane 6 entre 2013 et 2014, la configuration technique et le schéma industriel devant tendre vers l’objectif primordial qu’est la minimisation du coût de production de ce nouveau lanceur, tout en préservant les filières technologiques et industrielles essentielles des différents contributeurs. C’est, je ne vous le cache pas, l’enjeu majeur de la période finalement très courte qui nous sépare du prochain conseil ministériel de l’ESA en 2014.

Je citerai ensuite le lancement d’un processus rigoureux de mise en concurrence sur Metop-SG, l’aboutissement de NEOSAT sur les technologies du futur dans les meilleures conditions économiques et industrielles, afin que l’exploitation de ces travaux débouche sur une ligne de produits compétitifs au niveau mondial, ainsi qu’une maîtrise des dépenses d’exploitation de l’ISS.

Pour ce qui concerne plus spécifiquement le positionnement de notre industrie dans la suite d’Ariane, la meilleure garantie reste l’engagement financier important de la France, puisque l’ESA applique le principe opportun du « retour géographique ». La France a contribué à hauteur de la moitié du programme correspondant. Ariane 6 aura une configuration technique différente de celle d’Ariane 5 : c’est même en cela qu’elle constituera un progrès déterminant. Mais son entrée en service opérationnel complet n’aura lieu qu’au milieu de la prochaine décennie, ce qui laisse à l’industrie le temps de se reconfigurer progressivement.

À mon arrivée au ministère, j’ai beaucoup consulté – croyez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, c’était indispensable, je n’en dis pas plus, les spécialistes me comprendront… –, et je suis parvenue à la conclusion que cet équilibre était nécessaire.

Naples a été un succès pour l’Europe spatiale, avec un budget de 10 milliards d’euros destinés aux activités et programmes spatiaux de l’ESA pour les années à venir. Je vous laisse apprécier ce montant, tout sauf négligeable dans le contexte actuel !

Pour la France, ce sont plus de 2,3 milliards d’euros d’investissements, comme en 2008, tandis que l’Allemagne a consenti un effort à hauteur de 2,5 milliards d’euros. Il s’agit du plus gros investissement commun entre la France et l’Allemagne, et du plus gros projet commun, aussi. Je l’ai fait remarquer, car cela avait échappé à certains, à l’occasion du conseil ministériel organisé dans le cadre du sommet franco-allemand de Berlin, en présence du Président de la République, François Hollande, et de la Chancelière allemande, Angela Merkel, à qui naturellement cela n’avait pas échappé !

Naples, ce furent aussi des négociations difficiles que nous ne sommes parvenus à conclure qu’au petit matin, après deux jours et deux nuits de discussions compliquées. Nous n’avons pas beaucoup vu Naples, le président du CNES et nos collaborateurs respectifs peuvent en témoigner ! (Sourires.) Du coup, j’en ai modestement tiré quelques leçons pour notre industrie et pour l’ambition française de cette filière spatiale en Europe.

Si nous avons pu faire prévaloir notre vision auprès de nos interlocuteurs allemands, et cela n’a pas été facile, c’est que nous avons respecté quelques conditions préalables qu’il me paraît indispensable de conforter à l’avenir.

Je vois une première condition dans l’expertise d’une filière complète, depuis la recherche fondamentale jusqu’à la valorisation et au transfert vers l’industrie, dans toute sa diversité, qu’il s’agisse des grands groupes comme Safran, Astrium, TAS, Air Liquide, ou des ETI, PMI et PME, sans opposer les uns aux autres.

Je vois une deuxième condition dans la solidarité d’une « équipe France » qui, in fine, a joué groupée, et dont les membres ont su renoncer à faire valoir leurs intérêts spécifiques pour s’accorder sur un projet commun et cohérent.

C’est cette intelligence collective qui a prévalu à Naples, et je tiens à saluer tous les artisans de ce succès - publics et privés -, au premier rang desquels le CNES – je rends hommage à Yannick d’Escatha, qui a depuis pris sa retraite -, mais aussi Arianespace et l’ESA, à travers notamment son directeur général, Jean-Jacques Dordain.

Rien n’était acquis d’avance, et tous ont largement contribué à cette issue heureuse.

Il s’agit, troisième condition, d’anticiper, en jouant toujours un coup d’avance, car nous sommes dans un monde où les mutations sont rapides, avec un marché très évolutif. Les pays émergents investissent beaucoup dans la recherche-développement. Ils ont davantage de facilité pour le faire que les pays européens.

Il s’agit, quatrième condition, de préserver et de développer l’emploi et l’expertise industrielle, avec la recherche de solutions évitant les ruptures de charges et la fragilisation des emplois. C’est une priorité pour le Gouvernement.

Enfin, cinquième condition, au-delà de nos frontières, il s’agit de construire un projet fédérateur pour la France et pour l’Europe, en nous appuyant sur des alliances avec l’Italie, la Suisse, le Luxembourg qui ont très bien fonctionné à Naples, et qui ont facilité l’accord final avec notre partenaire allemand.

Le spatial est un exemple dont de grands secteurs industriels pourraient utilement s’inspirer. Il contribue, grâce à la diffusion de technologies de pointe dans de nombreux secteurs industriels, au redressement du pays par l’innovation et la compétitivité-qualité, la seule durable.

Vous avez également été nombreux, au cours du débat, à évoquer la question des relations entre l’Union européenne et l’Agence spatiale européenne.

Nous abordons ici un sujet qui, je crois, est d’une très grande importance pour le présent, au travers des programmes Galileo et GMES, ou en cours de développement, mais aussi pour le futur de l’activité spatiale en Europe. Le Traité de Lisbonne ayant conféré à l’Union européenne une compétence spatiale parallèlement à celle qui est exercée par ses États membres, il convient maintenant d’en clarifier les contours, au plan tant du contenu que des modalités d’application, pour former une politique spatiale ambitieuse, à la hauteur des enjeux qui se présentent au continent européen.

C’est une formidable occasion qui nous est offerte. Rendons-nous compte : entre Galileo – 6,3 milliards d’euros –, GMES – 3,8 milliards d’euros – ou le grand programme-cadre européen Horizon 2020 – 1,2 milliard d’euros pour le secteur, ce ne sont pas moins de 11,3 milliards d’euros qui seront consacrés au spatial par l’Union européenne durant la période 2014-2020, soit un budget annuel de 1,6 milliard d’euros, supérieur à la moitié du budget annuel de l’Agence spatiale européenne !

C’est considérable, et cette montée en puissance s’est faite dans une période relativement courte, sur une décennie. Le chemin parcouru est vraiment très impressionnant.

S’il s’agit incontestablement d’un grand succès, il convient néanmoins de clarifier la gouvernance du spatial en Europe. Le sujet a été évoqué sans tabou à Naples, et plus récemment à Bruxelles.

Il s’agit, pour l’essentiel, d’organiser les relations entre l’ESA et l’Union européenne. Rien ne serait pire que l’Union européenne mettant en place une agence doublon de l’ESA. La réactivité de l’ESA est appréciée de tous les pays membres et je crois qu’il faut la préserver. Je l’ai dit récemment à Bruxelles, lors d’un débat présidé par le Commissaire européen à l'industrie et à l'entreprenariat, Antonio Tajani, également vice-président de la Commission européenne.

Ce sujet était déjà sur la table lors du conseil ministériel de l’ESA à Naples. Les ministres ont adopté, à l’unanimité, une déclaration politique sur l’avenir de l’Agence. Cette déclaration prévoit que les travaux devront être menés en collaboration avec la Commission européenne et faire l’objet de propositions lors la prochaine conférence ministérielle de l’ESA, en 2014.

Du côté Union européenne, une communication de la Commission européenne, intitulée « Instaurer des relations adéquates entre l’Union européenne et l’Agence spatiale européenne », a été publiée le 14 novembre 2012. Le conseil Compétitivité, qui s’est tenu à Bruxelles le 12 décembre dernier, j’y ai fait allusion à l’instant, a été l’occasion d’un échange de vues extrêmement riche et direct sur ce sujet.

Toutes les options pour un rapprochement de l’ESA vers l’Union européenne seront étudiées, notamment la solution qui nous apparaît aujourd’hui comme la plus prometteuse et qui consisterait à placer l’ESA sous l’autorité de l’Union européenne, en lui conservant son caractère d’agence intergouvernementale, ce qui lui permettrait de continuer à mener des programmes non communautaires pour le compte de ses États membres.

Nous veillerons à ce que les évolutions de l’ESA soient bénéfiques à l’ensemble de la communauté spatiale, notamment aux communautés utilisatrices. Je pense, en particulier, à celles qui sont regroupées au sein d’EUMETSAT pour l’exploitation des satellites météorologiques.

Pour ce qui est du SSA, ou Space Situational Awareness, la France est en pointe, grâce notamment à l’engagement de la défense.

Le caractère dual de la plupart des recherches est extrêmement important ; il faut le préserver. C’est ce qui a poussé l’excellence de la recherche française et de ses applications. La France a ainsi développé une coopération avec l’Allemagne : après un premier programme ESA, nous sommes en train de mettre sur pied une initiative dans le cadre d’Horizon 2020, preuve, là encore, d’une belle complémentarité.

La politique industrielle spatiale européenne constitue le deuxième thème de discussions au sein du conseil Compétitivité, dont la prochaine réunion, le 30 mai, devrait être l’occasion de donner des orientations sur un sujet qui a fait l’objet d’une communication de l’Union européenne le 28 février dernier.

Nous soutenons les cinq objectifs énumérés dans ce document : premièrement, mettre en place un cadre réglementaire cohérent et stable – c’est fondamental –; deuxièmement, continuer à développer une base industrielle compétitive, solide, efficace et équilibrée en Europe et soutenir la participation des PME en accompagnant leur croissance, afin qu’elles deviennent des entreprises de taille intermédiaire solides au plan national et international ; troisièmement, soutenir la compétitivité mondiale de l’industrie européenne, en encourageant le secteur à devenir plus rentable tout au long de la chaîne de valeur ; quatrièmement, développer les marchés pour les applications spatiales et les services ; enfin, cinquièmement, assurer la non-dépendance technologique et l’accès indépendant à l’espace. L’importance de ce dernier enjeu a été soulignée à juste titre par nombre d’entre vous.

Nous sommes particulièrement sensibles aux propositions de l’Union européenne en vue de l’élaboration d’une politique européenne pour assurer un accès indépendant à l’espace. Il s’agit à nos yeux d’un élément de crédibilité pour l’Europe, car il ne peut y avoir de politique spatiale sans politique d’accès à l’espace.

Nous soutenons également les efforts déployés par l’Union pour encourager la participation des PME qui contribuent à la compétitivité de l’industrie européenne, notamment par le développement des applications aval, ainsi que ses efforts en matière de financement de la recherche-développement au travers du programme Horizon 2020.

Les enjeux économiques et sociétaux du secteur spatial ont fait l’objet de nombreux développements de votre part, tous très pertinents.

Je voudrais à mon tour dire à quel point l’espace représente un objectif stratégique pour la France et pour l’Europe, du fait des enjeux de défense et de sécurité qu’il recouvre et de la diversité de ses applications. Ces dernières concernent de nombreux secteurs de la vie du pays, qu’il s’agisse de l’observation de la Terre et de l’environnement, des télécommunications ou encore du triptyque « localisation, navigation, datation par satellite ».

Au-delà des 16 000 emplois directs qu’il représente en France, ainsi que du retour sur investissement de vingt euros pour un euro investi – il me semble reconnaître là une petite musique chère au président du CNES (Sourires.) –, le secteur spatial est source de développement technologique et d’innovations qui irriguent l’ensemble du tissu industriel. Les infrastructures spatiales constituent souvent de véritables clés de voûte pour des applications et des services bien plus vastes.

L’espace est ainsi à la fois un outil de développement économique et une composante essentielle de l’autonomie de décision et d’action de la France et de l’Europe.

Il constitue également un formidable champ d’étude, tant pour les sciences de l’univers que pour celles de la Terre ou de la physique fondamentale.

La politique spatiale française doit pouvoir s’appuyer sur des capacités industrielles nationales techniquement performantes et compétitives. Le modèle économique de notre industrie repose notamment sur une présence importante du secteur commercial, ce qui conditionne les emplois.

La concurrence croissante de l’industrie américaine en particulier – nous constatons son retour en force aussi bien dans le domaine des télécommunications que dans celui des lancements associés – mais aussi, à terme plus ou moins rapproché, des pays émergents que vous avez tous cités, constitue un véritable défi.

Pour le relever, j’ai décidé, en plein accord avec mon collègue ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, d’instituer un comité de concertation État-industrie, le COSPACE, à l’image de celui qui existe dans le domaine de la recherche aéronautique civile, le CORAC. Ce comité aura pour objectif principal d’élaborer des feuilles de routes technologiques permettant la convergence des efforts de l’ensemble des acteurs nationaux.

Mme Sophie Primas. Très bien !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. J’ai profité de l’unanimité qui régnait, non pas à mon arrivée au ministère, je ne vous le cache pas, mais à la suite de la conférence de Naples, pour créer ce nouveau comité. Il faut toujours savoir profiter d’un bon état d’esprit pour lancer des initiatives convergentes ! (Sourires.)

Le secteur spatial, en sus de son impact sur la formation et l’emploi des jeunes, a le mérite de rendre attractives les carrières scientifiques. Or stimuler l’attrait des plus jeunes pour ces carrières est justement l’une des priorités de mon ministère.

S’il est vrai que l’intitulé de ce dernier ne comprend pas l’espace, je peux vous rassurer : le décret de nomination indique que ce secteur fait bel et bien partie de mon périmètre de compétence. Je crois me souvenir d’ailleurs que le ministre de la recherche qui, le premier, a vu son titre complété par le terme « espace » fut Hubert Curien. Je veux lui rendre hommage ce soir : lui qui a en quelque sorte propulsé Ariane 5 restera comme une belle étoile dans le firmament de notre recherche et de notre technologie spatiales dont il a grandement contribué au rayonnement.

Vous l’avez dit, les découvertes et les explorations scientifiques font rêver le grand public, tout particulièrement les jeunes.

L’ampleur de la couverture médiatique suscitée par les images provenant des engins posés sur Mars est frappante. Le dernier en date de ces robots, Curiosity, embarque des instruments français de très haute technologie. Il constitue un témoin de l’excellence de la science française, de l’expertise du CNRS, du CEA et de l’université Paul-Sabatier de Toulouse.

Au sein de notre société baignée par le numérique, ces images, au-delà de tout témoignage, nous donnent à tous l’impression d’être réellement sur Mars. Et je dois avouer que je me sens plus à l’aise avec cette translation virtuelle qu’avec le voyage auquel vous nous invitiez, madame la sénatrice, et pour lequel je ne serai pas encore candidate. (Sourires.)

Au-delà de l’émerveillement, l’espace est également un formidable champ de problématiques scientifiques et technologiques intellectuellement stimulantes : notre jeunesse y est particulièrement sensible. Le rêve et l’excitation intellectuelle se côtoient.

Avec l’arrivée des nano-satellites, nos établissements d’enseignement supérieur peuvent utiliser le secteur spatial comme un vecteur d’apprentissage couvrant une large gamme de spécialités et permettant de confronter nos étudiants à des réalisations à la fois concrètes, opérationnelles et relativement complexes pour un coût raisonnable.

Au total, le secteur spatial constitue un formidable facteur d’attraction vers les filières scientifiques.

Il y a quelques années, afin de convaincre des collégiens – et des collégiennes, car nous manquons encore plus de jeunes filles dans les carrières scientifiques – de s’orienter vers ces filières, nous avions demandé à un astronaute du Corps européen des astronautes de venir en tenue dans les classes. Cela peut paraître un peu folklorique, mais je peux vous assurer que nous avons réussi à déclencher de véritables vocations grâce au rêve devenu tangible en un instant.

Pour illustrer très concrètement ce sujet, deux cas de réussites exemplaires me viennent à l’esprit : je pense tout d’abord aux étudiants de l’université de Montpellier II qui, sous la conduite de leur professeur et après avoir satisfait aux obligations de la loi spatiale, ont lancé leur premier nano-satellite, Robusta, sur le premier vol du petit lanceur Vega ; je pense ensuite à la jeune et dynamique entreprise lyonnaise NovaNano, start-up créée par deux jeunes ingénieurs de l’INSA de Lyon, qui propose sa propre gamme de nano-satellites et de services complets « clefs en main » à des clients, institutionnels ou privés, désireux de conduire des expériences en orbite. Il s’agit là aussi d’une translation virtuelle, mais extrêmement efficace.

En résumé, sur la base d’un socle franco-allemand à consolider, sur lequel il faut être très vigilant mais aussi confiant, d’un travail commun à optimiser vers Ariane 6 pour les lanceurs, de programmes scientifiques à développer dans le cadre de l’Union européenne comme de l’ESA, sans doublons mais en complémentarité et en partenariats européens et supra-européens, le développement de cette politique spatiale est tout à fait crucial.

La constance des investissements, le partenariat entre recherche publique et recherche privée, les transferts technologiques vers l’industrie, l’attractivité de la filière pour susciter des vocations scientifiques, nous en sommes tous d’accord, constituent les axes forts de cette politique.

Votre rapport, monsieur Sido, madame Procaccia, y contribue largement, ainsi que l’organisation de débats et de journées dédiées.

Cet enjeu est porté par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, soyez-en convaincus, avec enthousiasme et volontarisme. Soyez assurés aussi du soutien plein et entier de mon ministère et de celui de la défense dans cette action duale et doublement stratégique.

Félicitons-nous de la convergence, vécue ce soir, au service de l’emploi, de la science et du progrès.

Félicitons-nous également de la productivité de nos investissements : si l’Europe investit moins que les États-Unis, notre productivité est meilleure. Sachons voir le verre à moitié plein. En cette période, je crois que c’est important !

En conclusion, je tiens à vous remercier tous de votre engagement, de votre passion. L’espace, vous le savez, suscite immédiatement la passion, et cette passion, il nous faut la partager davantage pour pouvoir l’amplifier, et amplifier à son tour notre excellence, nationale et européenne, pour la faire rayonner encore davantage à l’international. Merci d’y contribuer avec nous ! (Vifs applaudissements.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne.

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Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 27 mars 2013 :

De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

1. Proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire au service d’aide à l’enfance lorsque l’enfant a été confié à ce service par décision du juge (n° 640, 2011-2012) ;

Rapport de Mme Catherine Deroche, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 430, 2012 2013) ;

Texte de la commission (n° 431, 2012-2013).

À vingt et une heures :

2. Débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART