M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous comptons 478 établissements d’enseignement français dans 130 pays, fréquentés par 310 000 élèves, dont les deux tiers sont étrangers, 101 instituts français, 125 antennes d’instituts français et 900 Alliances françaises dans 161 pays, 11 centres ou instituts franco-nationaux, 27 instituts français de recherche à l’étranger, 161 services de coopération et d’action culturelle, 10 services pour la science et la technologie, 135 espaces Campus France…

Inutile de poursuivre l’énumération : la France possède, encore, l’un des réseaux culturels les plus denses du monde. Il s’agit d’un atout formidable pour notre pays !

C’est bien la culture et la langue française qui font notre force à l’étranger, cette « influence douce », je n’ose dire soft power, qui contribue assurément à la place de la France dans le monde et constitue, avec notre politique d’exception culturelle, la « marque de fabrique » de la diplomatie française.

Mais, depuis plusieurs années, le cœur n’y est plus ; un profond mal-être est apparu. Certes, la présidence de Nicolas Sarkozy a pâti d’une absence de vision stratégique dans ce domaine essentiel. À cet égard, la réforme de l’action extérieure de l’État, en 2010, n’a pas rempli son objectif. Le nouvel Institut français peine à mettre en place une politique ambitieuse, notamment en matière de coopération. Je ne développerai pas plus avant ce sujet, notre collègue Jean Besson l’ayant déjà traité.

D’autres vecteurs permettent à la France de déployer sa culture, sa langue, mais aussi ses valeurs sur tous les continents. Je pense à la société Audiovisuel extérieur de la France, AEF, qui chapeaute la troisième radio internationale, RFI, la chaîne d’info internationale France 24 et Monte Carlo Doualiya, sans oublier la chaîne partenaire TV5 Monde, première chaîne mondiale de télévision en français.

André Vallini en a déjà très bien parlé, mais je ne résiste pas à l’envie d’évoquer la situation de AEF, que je connais particulièrement bien, en ma qualité d’administratrice de cette société, et de saluer le travail de sa nouvelle présidente, Marie-Christine Saragosse, qui, en quelques mois, a su redonner espoir aux salariés durement éprouvés par l’ère Sarkozy-de Pouzilhac.

Pour ce qui concerne l’enseignement français à l’étranger, nous revenons également de loin. En effet, la prise en charge des frais de scolarité mise en place par Nicolas Sarkozy n’a fait qu’accentuer les inégalités, excluant les familles des classes moyennes, mais aussi les familles étrangères, en fait toutes celles qui ne pouvaient effectivement pas supporter l’augmentation faramineuse des coûts de scolarité pour tous les autres élèves, ceux qui ne bénéficiaient pas de la gratuité et n’entraient pas dans le cadre d’attribution des bourses scolaires.

Dans le souci de redonner à l’enseignement français à l’étranger ses objectifs de justice et de mixité sociale, mais aussi d’universalité et d’influence, l’une des premières mesures de François Hollande a donc été la suppression de la prise en charge des frais de scolarité des Français de l’étranger, ou PEC.

Je terminerai en évoquant cependant une inconnue qui demeure quant aux suites qui seront réservées à l’arrêt Chauvet, rendu en mars 2012 par la cour administrative d’appel de Paris. Cette décision de justice souligne que l’AEFE a l’obligation, dans ses établissements en gestion directe, d’inscrire tout élève français dont la famille le demande et seulement une obligation dite « de moyens » pour les enfants non français. Ces derniers ne peuvent ainsi être accueillis que dans la limite des places disponibles, qui s’entendent alors comme les places non susceptibles d’être occupées par les petits Français.

Aux côtés de ces inconnues judiciaires, il nous faut aussi évoquer la position de la Commission européenne sur la non-discrimination entre citoyens des États membres de l’Union qui, si elle se confirmait, induirait de profonds bouleversements au sein de notre dispositif d’enseignement français à l’étranger et de notre système d’aides à la scolarité.

Compte tenu de ces différentes incertitudes, je me réjouis que Mme la ministre déléguée ait constitué une mission de réflexion et de proposition sur l’avenir de notre réseau d’enseignement français à l’étranger, à laquelle je souhaite, bien sûr, activement collaborer. Nous sommes tous conscients de la nécessité absolue de réfléchir à la mise en œuvre d’une nouvelle politique scolaire à l’étranger, capable de relever les défis auxquels est et sera confronté notre réseau tout en maintenant sa double fonction, la scolarisation des enfants français, bien évidemment, mais aussi sa mission d’influence, pour que de futurs Boutros Boutros Ghali, Jodie Foster ou Atiq Rahimi fréquentent encore nos établissements et deviennent ambassadeurs de notre langue et de notre culture ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –  M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs qui avez eu la patience de rester jusqu’à cette heure tardive…

M. Jean-Claude Lenoir. Parce que vous étiez là !

M. Laurent Fabius, ministre. … et que je salue avec amitié et respect, je vais articuler mon propos en deux temps : je souhaite tout d’abord revenir sur l’intervention de chaque orateur, avant de développer un propos plus général, afin que personne ne soit oublié.

M. Duvernois, qui connaît admirablement ces questions, a centré son propos essentiellement sur l’Institut français, en portant un jugement positif sur le travail réalisé. Il a développé également un certain nombre de considérations sur l’enseignement français à l’étranger, passant en revue ses différents outils. Comme de nombreux orateurs, il a souligné l’importance de l’audiovisuel extérieur français, insistant sur le soutien dont celui-ci doit disposer. Je lui répondrai dans le cours de mon propos, mais je crois que vous avez mis l’accent, à juste raison, sur les principaux instruments de notre influence, monsieur le sénateur.

Mme Morin-Desailly, comme tous les autres intervenants, a souligné l’importance du rayonnement culturel de notre pays. Elle a insisté sur la nécessité d’une approche européenne et a regretté ce qu’elle a appelé des « coupes budgétaires ». Même si, comme tous les ministères, le ministère des affaires étrangères a été soumis à des coupes, certains d’entre vous ont eu l’équanimité de rappeler que toute la partie éducative du budget du ministère en avait été exclue. Ce rappel permet, à mon sens, de modérer le jugement que l’on peut porter.

Par ailleurs, Mme Morin-Desailly a insisté sur l’importance de l’Organisation internationale de la francophonie, l’OIF, elle m’a interrogé sur l’évaluation des « années croisées » et a également évoqué la situation de l’audiovisuel extérieur.

Mme Blandin a rappelé que la culture était un investissement d’avenir et souligné l’importance de la formation des professionnels. À partir d’un exemple précis, elle s’est interrogée sur les restrictions mises à l’octroi de visas, notamment pour des professionnels de la culture. Madame la sénatrice, je ne sais pas si vous avez pris connaissance de la décision que mon collègue Manuel Valls et moi-même avons adoptée – elle a été rendue publique il y a un ou deux jours –, tendant à faciliter la délivrance de visas courts à toute une série de catégories de personnes, notamment les hommes d’affaires et les professionnels de la culture, car nous souhaitons faciliter leurs déplacements. Après avoir étudié attentivement ce dossier, nous avons envoyé des instructions à l’ensemble de nos postes à l’étranger, ce qui devrait permettre de résoudre à l’avenir des questions du type de celle qui a été évoquée.

Mme Blandin a également insisté sur l’action des collectivités locales et souligné l’importance de la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle. Sur ce dernier point, nous n’avons aucune divergence et le Gouvernement souscrit à ces analyses.

Mme Laborde s’est demandé comment dynamiser notre réseau culturel. Elle a également abordé un sujet délicat, à savoir ce que j’appellerais la dialectique du diplomate et de l’artiste : faut-il que les artistes dirigent les choix culturels, ou cette mission revient-elle aux diplomates ? La bonne réponse consiste à établir un mélange harmonieux – et cette position n’est pas dictée par le fait que je suis Normand d’adoption ! Il n’est pas possible de mener une action culturelle sans faire appel aux artistes ni aux professionnels de la culture, mais je connais beaucoup de diplomates cultivés... (Sourires.) Ils le sont même tous, dans leur immense majorité ! C’est d’ailleurs avec désolation qu’ils ont vu arriver à leur tête un ministre qui n’apportait peut-être pas toutes les garanties nécessaires, mais il fait des efforts… (Nouveaux sourires.)

Redevenons sérieux : c’est un bon brassage des diplomates et des artistes qui permet à notre politique culturelle extérieure d’avancer.

Enfin, comme beaucoup d’autres orateurs, Mme Laborde a soulevé la question de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Le Président de la République a demandé instamment que l’audiovisuel et la culture soient exclus de cet accord, car la Commission européenne ne l’avait pas fait spontanément, vous l’aurez peut-être noté. La position de la France – qu’elle n’est pas seule à défendre – mérite donc d’être soutenue avec force et nous avons l’intention de la maintenir dans toute cette discussion. Je crois comprendre que le même souci de préservation de la diversité culturelle s’exprime sur toutes les travées de votre assemblée, ce qui sera un atout pour défendre notre position.

M. Beaumont a souligné que la France était une puissance culturelle qui comptait, tout en se demandant jusqu’à quand, manifestant ainsi son inquiétude. Cette interrogation est légitime, mais je ne suis pas pessimiste. Étant, par profession, amené à faire un tour du monde à peu près tous les mois, je mesure que nous avons non seulement un réseau – essentiel ! –, mais aussi un rayonnement culturel qui reste absolument exceptionnel.

Bien sûr, nous devons rester vigilants, en raison non seulement des contraintes budgétaires, mais aussi de la concurrence. Les nouvelles technologies nous imposent de changer un certain nombre de nos méthodes, mais elles rendent également possible le maintien de notre rang de puissance culturelle. Il n’y a pas de fatalité négative dans ce domaine et la France, à condition bien sûr que nous réfléchissions ensemble et que nous prenions les bonnes décisions, peut tout à fait se maintenir à la pointe avancée du rayonnement culturel.

M. Le Scouarnec a insisté, au début de son propos, dans une énumération parfaitement exacte, sur la place tout à fait éminente dans le monde de notre réseau culturel et scolaire. D’une façon plus prudente, il a évoqué un risque de déclin, se demandant si l’usage de notre langue ne serait pas en recul. Il a également souligné la baisse d’un certain nombre de crédits, même s’il sait que le secteur de l’enseignement a été entièrement préservé.

Sur une question que nous nous posons tous quant aux orientations à donner à notre politique culturelle, j’ai apprécié qu’il exprime son choix en faveur de ce qu’il appelle les « pays d’avenir ». Bien sûr, j’imagine que si l’on posait cette question à chaque pays, peu d’entre eux s’excluraient de la liste, mais vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur. Il faut que notre réseau, sur le plan culturel comme sur le plan diplomatique, s’adapte : le monde de 2030 n’est plus celui de 1980.

Nous nous retrouverons donc facilement sur la nécessité d’être présents en Afrique, grand continent potentiellement francophone. Plusieurs d’entre vous ont indiqué que nous étions aujourd’hui environ 230 millions de francophones, les chiffres sont discutés, mais ils ne le sont pas pour le futur : d’ici à une trentaine d’années, avec le développement de l’Afrique, nous pourrions être 800 millions et voisiner le milliard. Nous devons donc y travailler.

Enfin, monsieur Le Scouarnec, vous avez également insisté sur l’exception culturelle. Je compte donc sur le rassemblement de tous les groupes politiques de votre assemblée pour nous aider à faire prévaloir cette notion extrêmement importante.

M. Christophe-André Frassa, avec force et humour, s’est désolé du recul de notre influence culturelle. Je ne suis pas aussi pessimiste que lui et je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’il le soit lui-même, puisqu’il connaît très bien nos compatriotes de l’étranger. Même si la situation est difficile, il voit bien que notre influence reste très importante, même si nous avons affaire à une très forte concurrence de la part des États-Unis ou de la Chine.

M. Frassa a aussi évoqué, comme un reproche, l’attractivité que les autres pays exercent sur notre jeunesse. S’il s’agissait d’une fuite de nos jeunes, le phénomène serait préoccupant, et il faut tout faire pour éviter d’en arriver là. En même temps, nous devons nous féliciter du fait que nos jeunes aillent à l’étranger, car ils sont nos ambassadeurs et ils portent beaucoup d’espoirs – beaucoup d’intervenants ont parlé de « l’envie de France », il ne faudrait évidemment pas que ces départs expriment un « dépit de France ». J’estime cependant que nous devons nous réjouir de la présence de nombreux Français à l’étranger, notamment de jeunes.

Enfin, M. Frassa a rendu hommage à l’action de nos diplomates et de nos expatriés ; je pense que nous devons tous nous retrouver sur ce point.

M. Jean Besson, qui, lui aussi, connaît très bien ces questions, a souligné la concurrence culturelle des BRICS, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Il s’est interrogé sur les opérateurs nouveaux, portant ce qui me paraît être un jugement positif. Mais il attire l’attention sur la baisse des moyens et il souligne que les gisements de ressources propres sont limités. Ils sont, certes, limités, mais ils ne sont pas nuls, loin de là ! Sans aller, bien évidemment, jusqu’à considérer que tout va se faire par autofinancement, il faut avoir à l’esprit, eu égard aux trajectoires budgétaires, dont il est improbable qu’elles deviennent spontanément merveilleuses dans les prochains mois, de faire flèche de tout bois.

J’évoquerai, dans le cours ultérieur de mon propos, l’Institut français, sur lequel il me paraît prématuré de porter un jugement. D’ailleurs, vous avez prévu, dans votre sagesse, de faire établir cette année un certain nombre de rapports et évaluations. De bonnes choses ont été faites. Ce qui reste en question, c’est l’opportunité d’une extension. En tout cas, nous disposons, grâce à vous, de premiers d’éléments d’évaluation, et je veux vous en remercier.

M. Vallini, qui connaît extrêmement bien notamment les sujets audiovisuels, m’a posé une série de questions. Faute de pouvoir répondre à toutes, ce dont je le prie à l’avance de bien vouloir m’excuser, j’en ai pris note. En effet, il y avait, comme souvent, d’ailleurs, la réponse dans la question (Sourires.), ce qui me permettra de compléter mon approche de ces sujets.

Il l’a dit, l’offre audiovisuelle est renforcée, y compris en France. J’ai demandé aux nouveaux responsables des différentes chaînes de travailler sur cette idée, qui est très juste, notamment pour les chaînes en arabe. Il reste à régler des questions techniques, qui ne sont pas simples. Cependant, compte tenu de la grande qualité de la plupart des chaînes diffusées à l’étranger – France 24, TV5 Monde, Radio France Internationale, Monte Carlo Doualiya, par exemple –, on doit creuser la possibilité de faire profiter très largement l’intérieur de notre pays de ces programmes. Les nouveaux responsables y travaillent actuellement.

M. Vallini a eu parfaitement raison d’insister sur l’importance des nouvelles technologies pour faire rayonner notre culture à l’extérieur.

Dernière à intervenir, Mme Lepage a souligné la densité de notre réseau culturel français à l’étranger. J’ai cru comprendre qu’elle était assez critique quant au fonctionnement de l’Institut français. Elle a décerné la mention « bien » à Mme Marie-Christine Saragosse. Comme dans The Voice, je me retourne et vote aussi pour elle. (Sourires.)

Elle a rappelé la réforme intervenue sur la PEC. Cette réforme était importante, à défaut d’être facile. Et je note que, une dizaine de mois après le changement de gouvernement, ce n’est tout de même pas, si je vous ai bien écoutés, votre souci principal. Cela prouve que vous avez, les uns et les autres, bien travaillé et que la réforme est maintenant passée dans les faits. Vous avez eu raison de rendre hommage – je le fais à mon tour – à notre ministre déléguée, votre ancienne collègue, Mme Conway-Mouret, qui a passé beaucoup de temps sur ce problème difficile.

Mme Lepage a soulevé une question que vous connaissez et dont la réponse déterminera beaucoup d’éléments. Car des décisions judiciaires sont intervenues, dont on ne connaît encore ni la portée exacte ni le degré d’extension. Si elles devaient avoir une extension maximale, cela remettrait en cause beaucoup de choses dont nous sommes en train de discuter, ce qui nous obligerait, bien sûr, à reprendre toute une série de ces sujets.

Après ces réponses aux orateurs, qui ne prétendent pas être exhaustives, je voudrais vous livrer quelques réflexions personnelles. Lorsque vous m’avez, sur l’initiative de M. Duvernois, posé la question du rayonnement culturel de la France à l’étranger, il m’est venu un souvenir. Nous avons tous un, voire plusieurs souvenirs de scènes ou d’éléments qui, tout à coup, vous sautent au visage ou à la mémoire et rendent évidente la réponse à la question.

J’ai effectué, il n’y a pas si longtemps, un voyage en Amérique du Sud, qui m’a conduit successivement au Panama, en Colombie et au Pérou.

À Bogota, l’ambassadeur m’a parlé d’une cérémonie traditionnelle qui allait se dérouler dans le lycée français, situé pas très loin de l’ambassade. Elle avait lieu assez tôt le matin, aux environs de sept heures, mais l’ambassadeur trouvait ma présence tout de même intéressante parce qu’il s’agissait de quelque chose de marquant.

Dans la cour du lycée, assez exiguë, il y avait 800 élèves, de toutes les classes, des plus petites à celles du baccalauréat. Ces élèves, en majorité des Colombiens, portaient, comme c’est l’usage là-bas, l’uniforme. Après nous avoir accueillis, ils ont chanté, dans un français absolument impeccable, non pas le premier couplet de la Marseillaise, mais ses cinq premiers couplets. Je ne demanderai pas de faire l’exercice dans cette enceinte. (Sourires.) Quoi qu’il en soit, cela veut dire un certain nombre de choses sur l’amour de la France, sur notre culture, sur la maîtrise de notre langue. Quand on assiste à cela, si loin de Paris, en la présence des professeurs et de nombreux représentants de parents d’élèves, on se dit que le rayonnement culturel de la France, ce n’est pas uniquement un sujet de discussion ! C’est vraiment quelque chose d’extrêmement fort !

Oui, la France c’est une puissance d’influence. Je n’identifie pas, pour ma part – nous n’allons pas entrer dans des querelles de vocabulaire – l’influence et le soft power. Je pense qu’il y a trois notions différentes. M. Joseph Nye, dont les travaux fort intéressants peuvent fournir l’objet de longues discussions, a inventé la notion de soft power et de hard power. Je pense, pour ma part, que la France est à la fois une puissance soft et une puissance hard et que l’ensemble de tout cela forme un troisième concept, qui n’est pas présent chez M. Nye et qui, pour moi, est une puissance d’influence. L’influence de la France est liée à l’ensemble de ces facteurs et notre influence culturelle fait évidemment partie de ce qui constitue notre puissance d’influence.

Ce rayonnement est une composante majeure de notre attractivité, de notre image, de notre réputation. Notre dernier prix Nobel, M. Serge Haroche, nous le prouve. De même, lorsque nous voyons la liste de nos médailles fields, lorsque nous voyons – même si cela se raréfie – la liste de nos prix Nobel de littérature, lorsque nous voyons la liste des Oscars remportés par des Français – qui, elle, tend à s’étoffer ! –, lorsque nous voyons les établissements prestigieux implantés en France, par exemple, le Louvre dans sa diversité, mais aussi leurs démembrements à l’étranger, la Sorbonne, nos écoles de commerce et leurs antennes extérieures, l’Institut Pasteur, nos intellectuels, nos écrivains, nous pouvons le dire, sans arrogance et sans chanter cocorico, nous avons une capacité de rayonnement culturel tout à fait remarquable !

Et ce rayonnement dépasse nos professions « traditionnelles ». Nos designers, nos architectes – vous voyez leurs réalisations lorsque vous vous déplacez à l’étranger –, nos cinéastes sont connus à travers le monde. Ce n’est pas un hasard si la France est le premier pays d’accueil de touristes internationaux, même si je pense, à titre personnel, que le tourisme pourrait donner beaucoup plus de choses qu’il ne donne en France. Ce n’est pas un hasard si Paris est la ville la plus visitée du monde. Et tout cela, causes et conséquences – parce que c’est un processus dialectique –, est à la fois créateur de culture et, en même temps, récepteur de culture.

Vous l’avez souligné, tout cela est indissociable de l’aspect économique puisque nos industries culturelles comptent déjà pour 5 % de nos exportations et, à mon sens, pourraient compter pour beaucoup plus.

Cela signifie que contribuer à notre rayonnement culturel, éducatif, linguistique, scientifique, c’est un volet très important de notre politique étrangère. Bien sûr, il ne dépend pas que de l’État, il dépend de beaucoup d’autres éléments. Cependant, comme responsables politiques, nous avons, à tous les niveaux, une mission essentielle d’appui. Le ministère des affaires étrangères a pour tâche de promouvoir cette culture à l’étranger, de développer nos échanges, de défendre notre modèle dans les enceintes multilatérales et les discussions bilatérales.

Pour cela, nous nous appuyons sur un réseau exceptionnel. Sans rappeler les chiffres que vous avez donnés, je voudrais simplement, à cette occasion, rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui le font vivre.

Ce n’est pas simplement un héritage ou une situation acquise. Vous l’avez souligné, il y a une compétition pour l’influence, une compétition qui est extrêmement rude, et pas seulement avec les très grands pays. Cette compétition concerne le Royaume-Uni, avec le British Council, l’Allemagne, avec notamment l’Institut Goethe qui, outre le fait de m’avoir permis d’apprendre l’allemand, m’a mis en contact avec ma première fiancée. À ce titre, je ne peux que saluer, avec une part de nostalgie, l’efficacité de cet institut… (Sourires.) Sont également concernés le Japon, qui s’est doté en 1972 d’une Fondation du Japon, l’Espagne, avec le réseau Cervantès. Parmi les autres acteurs, on cite toujours la Chine, qui, pour ne parler que d’elle, produit, si je peux m’exprimer ainsi, six millions de diplômés universitaires par an !

Il faut donc, de notre part, une action extrêmement forte pour développer notre rayonnement. Cela dépasse très largement la promotion de la culture et de la langue françaises. C’est la raison pour laquelle, comme cela a été souligné, une même direction de mon ministère, la direction de la coopération culturelle, universitaire et de la recherche, recouvre les différents aspects de cette politique d’influence.

Beaucoup d’entre vous m’ont demandé quels sont nos objectifs.

D’abord, promouvoir la création française et le patrimoine français dans tous les domaines, ce qui veut dire l’écrit, la musique, les arts plastiques, les arts de la scène, le cinéma, l’architecture, le design… et on pourrait allonger la liste.

Je lie patrimoine et création. La mission prioritaire de notre réseau culturel, c’est de promouvoir notre culture, notre langue, nos créateurs là où, comme vous l’avez souligné tout à l’heure, se construit le monde de demain, et où notre présence n’est pas nécessairement spontanée. Au-delà de l’Afrique, que j’ai mentionnée, on doit également parler de l’Amérique latine et de l’Asie. Notre image est souvent spontanément positive. Il y a une tradition francophile, je pense à l’Amérique latine, où nous sommes très aimés. Certains qui ont le goût du paradoxe – mais, comme le disait Jean-Jacques Rousseau, un paradoxe n’est pas automatiquement une vérité – disent que si nous sommes aimés c’est parce que nous sommes absents. Or si nous sommes aimés, ce n’est pas parce que nous sommes absents, c’est quoique nous soyons absents ou insuffisamment présents.

Toutefois, rien n’est acquis.

Pour ce faire, nous devons travailler notamment en partenariat avec les grandes institutions culturelles. Ce point n’a pas été cité dans le débat, mais vous l’avez tous à l’esprit : nos grands musées, Orsay, le centre Pompidou, le Quai Branly, le Louvre Abou Dabi, autant de réalisations et de projets qui sont des vitrines extraordinaires de la France.

Nous devons soutenir la création française dans toute sa diversité, soit au travers d’artistes ou de créateurs déjà établis, dont je n’énumérerai pas la liste, car il n’est pas question ici d’opérer une hiérarchie, soit au travers d’œuvres, qu’il s’agisse de peinture, de sculpture, de ballet, de cinéma ou d’architecture. Il faut soutenir, à la fois, les talents établis et la génération montante.

Nous agissons également en faveur de la promotion des industries culturelles et créatives françaises, qui représentent 350 000 emplois dans les domaines de la musique, de l’audiovisuel, du cinéma et du livre. Notre rôle consiste à la fois à soutenir ces industries dans leur promotion à l’international et à défendre la spécificité des biens culturels, afin de maintenir la créativité et la diversité de ces secteurs. Nous y serons vigilants, je l’ai dit, dans le cadre des négociations en vue d’un accord entre les États-Unis et l’Europe.

Il faut être particulièrement attentif au secteur de l’édition française, qui est la première de nos industries culturelles par son poids économique, et dont 25 % du chiffre d’affaires est réalisé à l’international.

Les enjeux liés aux négociations européennes et internationales sont majeurs. Les éditeurs du Syndicat national de l’édition que j’ai rencontrés récemment à l’occasion du Salon du livre m’ont également indiqué à quel point ils étaient attentifs à la liberté de publier dans le monde.

Nous devons aussi veiller à la diffusion d’un regard français sur le monde. Si l’influence passe par de multiples canaux, le rayonnement est très lié à l’audiovisuel. En 2015, plus de 30 000 chaînes télévisées émettront dans le monde. Il est donc fondamental que la France ait toute sa place dans cette société des médias. C’est la mission que Mme Filippetti et moi-même avons confiée à la nouvelle direction de l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF.

Les chaînes françaises qui diffusent à l’étranger sont de très bonne qualité : TV5 Monde, qui touche 235 millions de foyers ; France 24, désormais bien implantée dans le paysage des chaînes internationales d’information ; RFI, l’une des radios internationales les plus écoutées, notamment en Afrique ; Monte Carlo Doualiya. Nous avons là des atouts majeurs.

Après ce que j’appellerai pudiquement les « turbulences » passées, les choses semblent apaisées. Une réflexion est en cours dans le cadre des discussions sur le nouveau contrat d’objectifs et de moyens de l’AEF pour obtenir la meilleure adaptation possible de notre dispositif audiovisuel extérieur à l’évolution des enjeux internationaux, avec une attention particulière portée aux spectateurs et auditeurs des zones jugées prioritaires. Le pôle médias de l’AEF sera renforcé, ainsi que le souhaitait M. Vallini. Nous assumons totalement le rôle stratégique qui est le nôtre. Le ministère des affaires étrangères entend jouer totalement son rôle, car c’est vraiment un outil majeur.

Le deuxième axe prioritaire est la francophonie, qui constitue un atout énorme, quelquefois insuffisamment apprécié en France. Je dis parfois pour plaisanter – mais est-ce vraiment une plaisanterie ? – que le français devrait être développé partout dans le monde, y compris en France. Il nous faut vraiment insister sur ce point.

Nous voulons miser sur la francophonie, non pas seulement parce que nous avons cette langue en partage, mais aussi parce qu’elle porte un certain nombre de valeurs. Elle permet de faciliter les échanges et a un impact économique positif.

Vous faisiez allusion, monsieur Duvernois, à une récente étude, dont j’ai également eu connaissance, selon laquelle les échanges commerciaux induits par l’appartenance à l’espace francophone se sont traduits ces dernières années par un supplément de PIB par tête de 6 % en moyenne dans les pays concernés.