M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 218 rectifié.

M. Jean Desessard. Par un heureux hasard, cet amendement est identique à celui que vient de présenter Mme Lienemann, ce qui confirme la convergence de nos analyses !

Nous voyons ce texte comme une étape dans la construction, à l’échelon européen, d’une dynamique de lutte contre la spéculation.

À l’instar de Mme Lienemann, nous souhaitons que le rapport prévu à l’article 1er A aborde les conséquences de l’application de la loi sur la taille et la nature des opérations des filiales, ainsi que sur les volumes des opérations de négoce à haute fréquence, ces manipulations purement spéculatives d’une durée d’une fraction de seconde visant à provoquer des variations artificielles des prix. Nous souhaitons qu’une attention particulière soit portée à cette pratique, ainsi qu’à la spéculation sur les matières premières agricoles.

Nous avons donc une vraie convergence de vues avec Mme Lienemann sur ce point.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et avec le parti socialiste !

M. Jean Desessard. Par ailleurs, nous demandons nous aussi que la remise du rapport soit repoussée du 30 juin au 31 décembre, afin qu’une étude sérieuse des conséquences de l’application de la loi puisse être menée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Richard Yung, rapporteur. Ces trois amendements, qui tendent à élargir le champ du rapport demandé au Gouvernement, sont très proches. La commission est favorable à leur dispositif, en préférant la formulation des amendements identiques nos 136 rectifié bis et 218 rectifié, plus ramassée.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Bricq, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission. Je suggère à M. Collombat de se rallier aux amendements qui ont été présentés par Mme Lienemann et M. Desessard ; cela permettrait d’avoir un texte commun aux trois groupes socialiste, écologiste et RDSE.

M. le président. Monsieur Collombat, acceptez-vous de retirer l’amendement n° 35 rectifié ?

M. Pierre-Yves Collombat. J’ai le sentiment qu’on se moque un peu du monde… J’ai beaucoup de sympathie pour Mme Bricq, mais sa demande de retrait a-t-elle pour objet d’améliorer les statistiques du groupe socialiste ? (Sourires.) Je maintiens mon amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 35 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 136 rectifié bis et 218 rectifié.

(Les amendements sont adoptés.)

Article 1er A (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires
Article 1er (suite)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er A, modifié.

(L'article 1er A est adopté.)

Article 1er (début)
Dossier législatif : projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er

La section 7 du chapitre Ier du titre Ier du livre V du code monétaire et financier est complétée par des articles L. 511-47 à L. 511-50 ainsi rédigés :

« Art. L. 511-47. –  I. –  Afin de garantir la stabilité financière, leur solvabilité à l’égard des déposants et leur capacité à assurer le financement de l’économie, il est interdit aux établissements de crédit, compagnies financières et compagnies financières holding mixtes, dont les activités de négociation sur instruments financiers dépassent des seuils définis par décret en Conseil d’État, d’effectuer autrement que par l’intermédiaire de filiales dédiées à ces activités les opérations suivantes :

« 1° Les activités de négociation sur instruments financiers faisant intervenir leur compte propre, à l’exception des activités relatives :

« a) À la fourniture de services d’investissement à la clientèle ;

« b) À la compensation d’instruments financiers ;

« c) À la couverture des risques de l’établissement de crédit ou du groupe, au sens de l’article L. 511-20, à l’exception de la filiale mentionnée au présent article ;

« d) À la tenue de marché. Le ministre chargé de l’économie peut fixer, par arrêté et après avis de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, un seuil valable pour tous les établissements ou pour un établissement en particulier, exprimé par rapport au produit net bancaire de l’établissement de crédit de la compagnie financière ou de la compagnie financière holding mixte, au-delà duquel les activités relatives à la tenue de marché d’un établissement de crédit ne bénéficient plus de cette exception ;

« e) À la gestion saine et prudente de la trésorerie du groupe, au sens de l’article L. 511-20, et aux opérations financières entre les établissements de crédit, compagnies financières et compagnies financières holding mixtes, d’une part, et leurs filiales appartenant à un même groupe, au sens du même article L. 511-20, d’autre part ;

« f) Aux opérations d’investissement du groupe, au sens dudit article L. 511-20 ;

« 2° Toute opération conclue pour son compte propre avec des organismes de placement collectif à effet de levier ou autres véhicules d’investissement similaires, répondant à des caractéristiques fixées par arrêté du ministre chargé de l’économie, lorsque l’établissement de crédit n’est pas garanti par une sûreté. Les organismes de placement collectif eux-mêmes investis ou exposés, au-delà d’un seuil précisé par arrêté, dans les organismes de placement collectif à effet de levier ou autres véhicules d’investissement similaires visés au présent 2° sont assimilés à ces derniers. À cet effet, l’établissement de crédit transmet à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, selon des modalités qu’elle définit, les informations relatives aux engagements auprès de ces organismes.

« II. –  Les seuils d’exposition mentionnés au premier alinéa du I sont déterminés sur la base de l’importance relative des activités de marché et, le cas échéant, des activités mentionnées au premier alinéa du 1° et au 2° du I dans l’ensemble des activités de l’établissement de crédit, de la compagnie financière ou de la compagnie financière holding mixte.

« III. –  Au sens du présent article, on entend par “fourniture de services d’investissement à la clientèle” l’activité d’un établissement :

« 1° Consistant à fournir les services d’investissement mentionnés à l’article L. 321-1 et les services connexes mentionnés à l’article L. 321-2 en se portant partie à des opérations sur des instruments financiers dans le but de répondre aux besoins de couverture, de financement ou d’investissement de ses clients ;

« 2° Et dont la rentabilité attendue résulte des revenus tirés des services fournis à la clientèle et de la gestion saine et prudente des risques associés à ces services. Les risques associés doivent répondre au strict besoin de gestion de l’activité, dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l’économie.

« IV. –  Au sens du présent article, on entend par “couverture” l’activité d’un établissement mentionné au I qui se porte partie à des opérations sur des instruments financiers dans le but de réduire ses expositions aux risques de toute nature liés aux activités de crédit et de marché. Les instruments utilisés pour ces opérations de couverture doivent présenter une relation économique avec les risques identifiés, dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de l’économie.

« V. –  Au sens du présent article, on entend par “tenue de marché” l’activité d’un établissement qui, en tant qu’intermédiaire, se porte partie à des opérations sur des instruments financiers :

« 1° Soit consistant en la communication simultanée de prix d’achat et de vente fermes et concurrentiels pour des volumes de taille comparable, avec pour résultat d’apporter de la liquidité aux marchés sur une base régulière et continue ;

« 2° Soit nécessaires, dans le cadre de son activité habituelle, à l’exécution d’ordres d’achat ou de vente de clients ou en réponse à des demandes d’achat ou de vente de leur part.

« L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution contrôle que la distinction de l’activité de tenue de marché, mentionnée aux 1° et 2°, par rapport aux autres activités est bien établie en se fondant, pour les activités mentionnées au 1°, notamment sur des indicateurs précisant les conditions de présence régulière sur le marché, l’activité minimale sur le marché, les exigences en termes d’écarts de cotation proposés et les règles d’organisation internes incluant des limites de risques. Les indicateurs sont adaptés en fonction du type d’instrument financier négocié et des lieux de négociation sur lesquels s’effectue l’activité de tenue de marché. Le teneur de marché fournit sur base régulière les indicateurs à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et à l’Autorité des marchés financiers.

« Pour les activités visées au 2°, l’établissement doit pouvoir justifier d’un lien entre le besoin des clients et les opérations réalisées pour compte propre. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution contrôle l’existence de ce lien au regard notamment de la fréquence des opérations réalisées et de l’organisation interne mise en place pour répondre aux besoins des clients. Elle informe l’Autorité des marchés financiers des conclusions des contrôles réalisés.

« Un arrêté du ministre chargé de l’économie fixe, après avis de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et de l’Autorité des marchés financiers, la liste des indicateurs transmis à ces autorités.

« VI. –  Au sens du présent article, les “opérations d’investissement du groupe” désignent :

« 1° Les opérations d’achat ou de vente de titres financiers acquis dans l’intention de les conserver durablement, ainsi que les opérations sur instruments financiers liées à ces dernières ;

« 2° Les opérations d’achat ou de vente de titres émis par les entités du groupe.

« Art. L. 511-48. –  I. –  Les filiales dédiées à la réalisation des activités mentionnées au I de l’article L. 511-47 sont agréées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution comme entreprises d’investissement ou, le cas échéant et par dérogation au même article L. 511-47, comme établissements de crédit.

« Lorsqu’elles sont agréées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en tant qu’établissements de crédit, ces filiales ne peuvent ni recevoir des dépôts garantis au sens de l’article L. 312-4, ni fournir des services de paiement aux clients dont les dépôts bénéficient de la garantie mentionnée au même article L. 312-4.

« Les filiales mentionnées au I de l’article L. 511-47 doivent respecter, individuellement ou de manière sous-consolidée, les normes de gestion prévues à l’article L. 511-41, dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l’économie.

« Sans préjudice des dispositions de l’article L. 511-41-2, les établissements de crédit, compagnies financières ou compagnies financières holding mixtes qui contrôlent les filiales mentionnées au I de l’article L. 511-47 sont tenus de respecter les normes de gestion mentionnées à l’article L. 511-41 sur la base de leur situation financière consolidée en excluant de celle-ci les filiales mentionnées au présent article, dans les conditions prévues par arrêté du ministre chargé de l’économie.

« La souscription par les établissements de crédit, compagnies financières ou compagnies financières holding mixtes qui contrôlent ces filiales à une augmentation de capital de ces filiales est soumise à autorisation préalable de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

« Pour l’application du ratio de division des risques, les filiales mentionnées au I de l’article L. 511-47 sont considérées comme un même bénéficiaire, distinct du reste du groupe. Pour l’application du règlement relatif au contrôle des grands risques par les établissements n’appartenant pas au groupe, les filiales et le groupe auquel elles appartiennent sont considérés comme un même bénéficiaire. 

« Les filiales définies au présent article doivent utiliser des raisons sociales et des noms commerciaux distincts de ceux des établissements de crédit du groupe qui les contrôlent, de manière à n’entretenir aucune confusion dans l’esprit de leurs créanciers et cocontractants.

« Les personnes mentionnées à l’article L. 511-13 ou, selon le cas, à l’article L. 532-2, qui assurent la détermination effective de l’orientation de l’activité de ces filiales, ne peuvent assurer la détermination effective de l’orientation de l’activité, au sens de ces mêmes articles, de l’établissement de crédit, de la compagnie financière ou de la compagnie financière holding mixte qui les contrôlent, ou de leurs filiales autres que celles mentionnées au présent article. 

« II. –  Les filiales mentionnées au I ne peuvent réaliser les opérations suivantes :

« 1° Les opérations de négoce à haute fréquence taxables au titre de l’article 235 ter ZD bis du code général des impôts ;

« 2° Les opérations sur instruments financiers à terme dont l’élément sous-jacent est une matière première agricole.

« III. –  Ni l’État ni aucune autre personne publique contrôlée, directement ou indirectement, par l’État ne peut souscrire à un titre ni prendre aucun engagement financier nouveau au bénéfice de cette filiale dès lors que celle-ci fait l’objet d’une des mesures mentionnées à l’article L. 613-31-16 du présent code.

« Art. L. 511-49. –  Les entreprises d’investissement, établissements de crédit, compagnies financières et compagnies financières holding mixtes, ainsi que leurs filiales mentionnées à l’article L. 511-48 qui réalisent des opérations sur instruments financiers, assignent à leurs unités internes chargées de ces opérations des règles d’organisation et de fonctionnement de nature à assurer le respect des articles L. 511-47 et L. 511-48.

« Ils s’assurent notamment que le contrôle du respect de ces règles est assuré de manière adéquate par le système de contrôle interne mentionné à l’article L. 511-41 et que les règles de bonne conduite et autres obligations professionnelles assignées à leurs services sont conformes aux III et IV de l’article L. 621-7.

« Ils communiquent à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ainsi que, pour ce qui la concerne, à l’Autorité des marchés financiers la description de ces unités ainsi que les règles d’organisation et de fonctionnement qui leur sont assignées en application du premier alinéa du présent article.

« L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution s’assure que les règles d’organisation et de fonctionnement comportent des limites de risques fixées aux unités internes réalisant des opérations sur instruments financiers, lesquelles sont cohérentes avec leurs mandats.

« Art. L. 511-50. –  (non modifié) L’agrément mentionné à l’article L. 532-1 peut être refusé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution si l’organisation et le fonctionnement, de même que le système de contrôle interne, d’un établissement de crédit, d’une compagnie financière ou d’une compagnie financière holding mixte ainsi que de leurs filiales mentionnées aux articles L. 511-47 et L. 511-48 ne permettent pas d’assurer de manière adéquate le respect de ces mêmes articles. »

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l'article.

M. Roland Courteau. Cet article, qui résonne encore des déclarations du candidat Hollande, est le moteur du nouveau modèle de régulation bancaire.

La Fédération bancaire française a qualifié son dispositif de « vraie contrainte ». Eh bien, mes chers collègues, cette vraie contrainte est la bienvenue ! (M. Jean Desessard applaudit.)

N’est-il pas légitime que l’État mette en place des règles strictes afin d’encadrer les activités de ce secteur, puisque c’est lui qui a dû venir au secours du système bancaire lorsque celui-ci était au bord de la faillite ?

Serions-nous les premiers en Europe à agir de la sorte ? Serions-nous des pionniers ? Je n’en sais rien, mais, si tel était le cas, j’en serais personnellement très fier, et je serais tenté de féliciter le Gouvernement d’avoir eu le courage de s’attaquer à cette question.

« Qui a fauté paiera », a dit M. Hamon. C’est très bien ainsi !

Nous n’avons que trop eu l’occasion de constater les conséquences néfastes, dans ce domaine, du laisser-faire, du laisser-aller et de l’autorégulation par la main invisible du marché, pour ne pas apprécier le réengagement de la puissance publique dans la maîtrise de la finance afin de parer aux défaillances du système bancaire, qui mettent en cause les dépôts des épargnants, la compétitivité de l’économie et même l’argent des contribuables.

Ce texte ambitieux, qui réformera durablement et en profondeur le secteur financier, offre des garanties pour que l’histoire ne se répète pas. Il va responsabiliser les acteurs du secteur, imposer un cadre plus strict aux activités spéculatives et accroître le contrôle des activités par les autorités, à la fois en interne et en externe.

Cet article 1er montre que le Gouvernement a souhaité suivre certaines des recommandations formulées dans le rapport Liikanen, qui définissait des pistes pour l’élaboration d’un cadre législatif communautaire, en proposant de rechercher un équilibre entre la prévention du risque systémique, le renforcement des activités d’un marché trop longtemps dérégulé et le financement efficace de notre économie.

Premièrement, il est primordial de séparer les activités utiles à l’investissement et à l’emploi des activités spéculatives afin de restaurer la confiance des clients échaudés par la crise de 2008 et de limiter les risques de faillite d’une banque.

Désormais, les établissements de crédit dont les activités de marché sont significatives ne pourront réaliser des opérations pour compte propre qu’à la condition expresse que celles-ci aient une utilité avérée pour le financement de l’économie. Ce texte définit les opérations justifiées, et donc autorisées. Je ne m’y attarderai pas davantage, mais il me paraît fondamental d’insister, dans le cadre d’une gestion saine et prudente de la trésorerie, sur les ratios de liquidité qui obligeront ces entités à détenir une réserve d’actifs liquides et sur l’interdiction de détenir des parts dans des fonds alternatifs.

Deuxièmement, cet article prévoit que les banques à forte activité spéculative devront créer des filiales spécifiques, juridiquement et financièrement séparées de la banque mère, afin de mettre un terme à toute forme de confusion et d’éviter la propagation d’une potentielle instabilité.

J’apprécie que ces filiales puissent être capitalisées et financées de manière autonome. Elles seront soumises aux exigences prudentielles en matière de grand risque et, fait nouveau dont nous pouvons nous féliciter, certaines activités spéculatives leurs seront désormais interdites, car trop préjudiciables : celles qui portent sur les matières premières agricoles ou les opérations de trading à haute fréquence.

Si nous pouvions, à l’avenir, circonscrire les crises aux marchés financiers, celles-ci auraient moins de répercussions sur les activités réelles et nous préserverions ainsi l’économie. Ces pare-feux n’éradiqueront pas les crises, mais ils limiteront les facteurs de risque.

Troisièmement, cet article va dans le bon sens en élargissant considérablement les pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Cette instance recevra désormais des établissements de crédit la description et les comptes rendus de leurs activités de marché, ce qui lui permettra d’en mesurer les risques. Elle pourra ainsi contrôler que les opérations en question ont une finalité utile au financement de l’économie.

En conclusion, je rejoins l’avis des commissions : ce texte va dans le bon sens, en préservant notre modèle de banque française universelle et en imposant des règles en vue de l’assainissement d’un système trop longtemps laissé libre de ses choix. Nous sommes parvenus à un texte assez équilibré, qui, je l’espère, pourra encore être enrichi d’un certain nombre d’amendements du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, sur l'article.

M. Éric Bocquet. Élément pivot du texte, l’article 1er appelle plusieurs observations de notre part.

Le simple examen du dispositif de l’article, fondé sur la filialisation des activités spéculatives et dites d’investissement, et de la liste des amendements déposés ne laisse aucun doute quant à l’importance du sujet.

Le fait que plus de quarante amendements portent sur cet article montre bien que le travail accompli par l’Assemblée nationale doit être approfondi, notamment parce que la notion de market making ou de tenue de marché demeure équivoque : tout le débat a montré qu’elle pouvait servir de paravent commode à des opérations dont l’utilité, du point de vue du financement de l’économie, est parfois assez douteuse, mais dont le caractère spéculatif est, en revanche, beaucoup plus clairement établi.

C’est peu dire que l’article 1er, tel qu’il a été adopté par nos collègues de l’Assemblée nationale, a attiré les commentaires les moins positifs quant aux objectifs du projet de loi, émanant d’analystes de tous horizons. Nous avons souligné, lors de la discussion générale, la position de Mme Scialom, mettant directement en question le titre même du projet de loi, en raison du contenu de l’article 1er, mais nous pouvons citer d’autres exemples.

Ainsi, permettez-moi de vous donner lecture d’une dépêche diffusée en ligne, le 20 février dernier, par Dow Jones, qui est, outre un indice boursier, un site d’information financière extrêmement intéressant :

« Le projet de réforme bancaire, qui obligerait les banques à cantonner une partie de leurs activités de banque d’investissement dans une entité séparée, n’affecterait qu’environ 1 % du produit net bancaire de Crédit agricole SA, a déclaré mercredi à la radio le directeur général de l’établissement, Jean-Paul Chifflet.

« Ce projet de loi a été adopté mardi par l’Assemblée nationale. Cette réforme, exposée en détail en novembre par le ministre des finances Pierre Moscovici, contraindrait les banques françaises à transférer leurs activités spéculatives au sein d’une entité financée séparément et interdirait certaines activités telles que le trading haute fréquence et certaines formes de trading sur les matières premières. »

Je pourrais également citer ici l’échange, rapporté par l’hebdomadaire Marianne, qui s’est tenu lors de la présentation du projet de loi devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, à l’occasion de l’audition de dirigeants de nos grands établissements de crédit.

Interrogé sur la part des activités des banques destinée à être filialisée, « Frédéric Oudéa, le P-DG de la Société générale, plus décomplexé sans doute que ses collègues, lâche l’aveu qui tue : “ Cela représente entre 3 et 5 % de nos activités de banque de financement et d’investissement, qui représentent elles-mêmes 15 % des revenus totaux de la banque. ” Autrement dit, 0,75 % des revenus annuels de sa banque, c’est-à-dire rien. Karine Berger pousse les feux : “ Alors cela veut dire que 99 % de vos activités ne seront pas concernés par la loi ? ” Réponse embarrassée de Frédéric Oudéa: “ Ce sera au superviseur d’en décider, moi je n’en sais rien. ” »

Marianne conclut en ces termes : « Voilà l’aveu : la loi bancaire préparée par Bercy aura l’effet du mercurochrome sur une jambe de bois. Elle impactera moins de 1 % de l’activité bancaire. Une goutte d’eau dans l’océan des profits bancaires. »

Pour ce qui nous concerne, l’ensemble des amendements que nous avons déposés sur l’article 1er relèvent d’une ligne directrice claire et précise : marquer au maximum la séparation entre activités spéculatives et financement réel de l’économie.

Reconnaissons d’emblée que notre démarche est sous-tendue par l’objectif de créer les conditions de la dévitalisation de la « banque pour la banque », de la « finance pour la finance », d’enrayer le développement continu d’un cancer qui gagne l’ensemble de la sphère économique à mesure de l’émergence de produits dérivés toujours plus sophistiqués, toujours plus nombreux, de mettre un terme à la déconnexion toujours plus évidente entre les exigences de rentabilité sans cesse accrues du monde de la finance et la réalité de l’activité productive.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)