M. Richard Yung, rapporteur. Voyons, dites-le donc !

M. Francis Delattre. Toujours est-il que nous sommes plutôt favorables au projet de loi, à une ou deux observations près.

Nos banques sont solides et, à vrai dire, la banque-assurance est le fleuron de notre économie. La France compte quatre banques systémiques, alors que l’Allemagne n’en a qu’une ; puisque l’on fait toujours des comparaisons, en voilà une qui nous est plutôt favorable ! Ce secteur est un atout précieux, qui représente 400 000 emplois directs. Surtout, grâce aux marges qu’elles peuvent encore réaliser, les banques sont en mesure de financer nos entreprises. Monsieur le ministre, n’oubliez pas qu’elles sont le principal moteur de l’investissement des entreprises, qu’elles financent à 75 % !

Dans ces conditions, et compte tenu de l’instabilité actuelle, toute régulation législative relative aux banques doit être envisagée avec beaucoup de prudence.

M. Richard Yung, rapporteur. Nous n’en manquons pas !

M. Francis Delattre. On peut regretter que nous, les Français, nous soyons lancés un peu seuls dans cette aventure, avec l’idée d’être à l’avant-garde de la régulation.

M. Roland Courteau. Au contraire, il est bon d’être pionnier !

M. Richard Yung, rapporteur. Nous ne sommes pas seuls !

M. Francis Delattre. Il peut être intéressant d’être à l’avant-garde si, derrière, les bataillons suivent ; car ce sont eux qui font que l’on gagne ou que l’on perd la bataille !

Pour ma part, je pense qu’il aurait été préférable de travailler en coordination avec les instances européennes et même mondiales. Pourquoi tant de précipitation, alors que nous savons tous que les propositions de M. Barnier vont être rendues publiques avant l’été ? Légiférer maintenant ne va-t-il pas à l’encontre de la future directive, fruit, elle, d’un travail collectif avec les autres pays européens ? De toute façon, nous serons tenus de la transposer dans notre droit !

En outre, comme l’a souligné le président Marini, il y a un risque de télescopage des règles. En effet, les contraintes issues des accords de Bâle III, qui visent à améliorer les fonds propres des banques, en elles-mêmes souhaitables, vont se superposer aux régulations mises en place par le projet de loi. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, nous nous demandons si votre tempo est bien le bon.

Vous avez la prétention de tracer la route aux autres pays.

M. Claude Bérit-Débat. Vous voulez dire l’ambition !

M. Roland Courteau. Le courage !

M. Francis Delattre. Seulement, votre bilan européen des dix mois écoulés n’est pas formidable et devrait nous inciter tous à un peu plus de modestie.

Par plusieurs aspects, le projet de loi manifeste le retour d’un interventionnisme économique qui pénalisera à terme nos banques dans le concert mondial, tant pour leurs alliances que pour leur développement international.

Certes, un superviseur bancaire est nécessaire ; mais faut-il doter l’Autorité de contrôle prudentiel de pouvoirs d’intervention aussi larges dans la structure capitalistique, et jusque dans le management des banques ?

M. Richard Yung, rapporteur. Oui !

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Bien entendu !

M. Francis Delattre. Cette autorité pourra même liquider une équipe qui, selon des critères restant à déterminer, aurait failli ! Toutes les banques françaises étant des entreprises privées, à l’exception de La Banque postale, de tels pouvoirs ne sont-ils pas exorbitants ? Monsieur le rapporteur, s’agit-il encore de régulation ou est-on déjà un peu dans la liquidation ?

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Il s’agit de précaution !

M. Francis Delattre. Il est bien évident que, si nous utilisions toutes ces possibilités de remaniement en profondeur du capital et de limogeage des équipes en place, ce qui, à mon avis, ne se produira pas pour une banque systémique, nous serions accusés de nationalisation rampante.

M. Richard Yung, rapporteur. Quelle horreur ! (M. le ministre délégué rit.)

M. Francis Delattre. Ce n’est pas une horreur, mais les conséquences financières peuvent être très dangereuses pour un État !

En outre, avec le système de régulation proposé, qu’adviendra-t-il des pouvoirs traditionnels de la Banque de France, lesquels sont pour le moins dissolus, et de l’autorité de son gouverneur, qui devra appliquer des mesures prises par une instance extérieure ? J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’une nouveauté, la Banque de France ayant toujours eu la mainmise sur l’essentiel de la régulation.

S’agissant de la filialisation, qui consiste à séparer les activités de banque et les activités de marché, on distingue actuellement le spéculatif du non-spéculatif. Reste que, malgré le travail approfondi de notre rapporteur, nous ne savons pas toujours très bien où est la différence.

Nous pensons, nous, qu’à tout le moins une nomenclature aurait pu être imaginée. Au lieu de s’en remettre, sans aucune concertation, à un simple arrêté du ministre, une disposition législative aurait été pour le coup nécessaire, d’autant que le projet de loi contient par ailleurs de nombreuses mesures d’ordre réglementaire dont nous aurions pu très bien nous passer !

Où placer la frontière entre les activités de trading utiles à l’économie et les activités de négociation spéculatives, qui devront être filialisées ? L’exercice est difficile, car les services financiers rendus à l’économie réelle impliquent quasi systématiquement des activités de trading pour compte propre.

En revanche, aux activités de trading à haute fréquence et sur les matières premières, qui mériteraient un traitement anti-spéculatif – c’est une préoccupation partagée sur toutes les travées de l’hémicycle –, on ne trouve aucune parade sérieuse ou limite vraie dans ce projet de loi, et les quelques amendements présentés ce matin ont été, pour des raisons diverses, écartés, monsieur le rapporteur.

Pour bien préciser les limites du texte dans le contexte mondial qui est le nôtre, j’évoquerai tout d’abord le problème des hedge funds, que l’on place souvent en tête de liste des sujets qui méritent notre vigilance.

Les hedge funds détiennent, certes, des capitaux très importants sur les États avec les fameuses dettes souveraines, mais c’est grâce à cette capitalisation qu’ils peuvent financer les banques. Dès lors que leurs dépôts sont inférieurs aux crédits qu’elles accordent, les banques vont en effet chercher auprès des hedge funds les financements nécessaires. Donc, ne l’oublions pas, les hedge funds approvisionnent financièrement les banques.

Toujours pour illustrer les limites de ce texte, comment les juges d’un pays étranger réagiront-ils, en cas de difficultés d’une filiale d’une banque française ? Croyez-vous qu’un juge américain, parce qu’on aura filialisé, fera la différence et n’ira pas rechercher la responsabilité de la maison mère ? Ces questions méritent d’être posées. Souvenez-vous de l’affaire Pinault, quelque peu scandaleuse, d’ailleurs, impliquant une filiale du Crédit Lyonnais !

Si, dans le cadre d’un système juridique de conception essentiellement anglo-saxonne, le juge américain demande des dédommagements à la société mère et non à la filiale, votre système ne fonctionnera pas ! Or les banques françaises évoluent dans un environnement mondial, dont les règles ne sont ni forcément françaises ni forcément européennes.

Monsieur le ministre, permettez-moi d’évoquer d’un mot le Fonds de garantie des dépôts, auquel nous sommes très attachés. Nous l’avions mis en place voilà déjà un certain nombre d’années, à l’occasion des problèmes rencontrés par le Crédit Lyonnais. Ce fonds visait à garantir les dépôts de tout un chacun jusqu’à un certain niveau. Or le nouveau fonds de garantie et de résolution voit ses missions élargies. Même si ce fonds est doté de deux milliards d’euros ou de six milliards d’euros,…

M. Richard Yung, rapporteur. Dix milliards !

M. Francis Delattre. … si, au nom de la régulation, on s’écarte trop de l’épure, c'est-à-dire de la garantie des dépôts, on ne parviendra jamais à régler les problèmes d’une banque systémique.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Francis Delattre. Monsieur le président, là où il y a une horloge, il y a un horloger ! (Sourires.) Je vais donc conclure.

M. Jean Desessard. Une minute et demie de plus !

M. Pierre-Yves Collombat. Il y a deux poids, deux mesures !

M. Francis Delattre. Pour le reste, il s’agit d’un texte technique, qui n’a pas appelé d’opposition formelle de notre part. Nous souhaitons simplement préciser un certain nombre de points grâce aux amendements que nous soutiendrons, en souhaitant simplement qu’ils puissent être examinés avec attention par le Gouvernement et par toutes celles et tous ceux qui contribueront à la discussion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. le président. Il n’y a pas deux poids, deux mesures, mes chers collègues, chacun doit respecter son temps de parole !

M. Pierre-Yves Collombat. Proportionnellement, il y a bien deux poids, deux mesures.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.

Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, dans un premier temps, de saluer l’excellent travail réalisé par notre rapporteur, sur ce texte ô combien complexe, qui déchaîne les passions, comme on peut le constater, tant les intérêts peuvent être contradictoires.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est équilibré. Il initie une nouvelle donne dans le secteur bancaire, en France et en Europe.

Comme on put le dire les orateurs qui m’ont précédée à la tribune, le texte qui nous est soumis aujourd’hui, adopté par l’Assemblée nationale le 19 février dernier, est pleinement d’actualité. En effet, alors que nous ressentons encore aujourd’hui les effets de la crise bancaire et financière née de la faillite, en 2008, de la banque Lehman Brothers et de la crise des dettes souveraines qui s’en est suivie, la réforme du secteur financier reste au cœur des préoccupations au niveau international.

On peut notamment citer les propositions de normes prudentielles issues des accords de Bâle III, ainsi que le « paquet européen » CRD IV. Ce dernier doit traduire en droit communautaire les règles de supervision bancaire européennes, ainsi que les travaux en cours au sein de la Commission européenne en vue de proposer une directive sur la résolution commune, autrement dit, la manière de faire face à la faillite d’un établissement bancaire.

Des démarches similaires ont guidé l’Allemagne et semblent inspirer le Royaume-Uni ou encore les États-Unis.

Mes chers collègues, je souhaiterais centrer mon intervention sur deux enjeux cruciaux de la réforme du système bancaire global : la transparence et la lutte contre les paradis fiscaux. Notre assemblée travaille depuis de nombreuses années sur ces sujets et maints rapports ont vu le jour. Or, force est de le constater, la mise en œuvre de leurs recommandations fut très souvent extrêmement limitée.

Mais il y a pire. Nous nous rappelons tous les G20 de Londres et de Pittsburgh, en 2009, au lendemain de la crise des subprimes, qui devait entraîner les banques et nos économies dans une spirale infernale dont nous commençons à peine à voir la fin.

À cette occasion, les chefs d’État et de gouvernement des vingt premières économies mondiales se fixent notamment comme objectif de réformer les modalités de régulation bancaire et financière.

La création d’une liste noire des paradis fiscaux, ou pays fiscalement non coopératifs, est annoncée en grande pompe. Les attentes et espoirs sont alors énormes, et le précédent Président de la République d’annoncer fièrement que « le temps du secret bancaire est révolu ».

Cerise sur le gâteau : le lendemain du sommet, une grande banque française annonce qu’elle fermera avant 2010 une douzaine de filiales figurant sur la fameuse liste grise de l’OCDE, faisant ainsi un premier pas sur la voie de la réforme des régulations bancaires et financières.

L’union sacrée est totale, décideurs politiques et acteurs de la banque main dans la main pour lutter contre les paradis fiscaux, coupables d’avoir encouragé et couvert les déviances d’un système bancaire et financier mondial devenu fou.

Mais qu’en est-il quatre ans après, mes chers collègues ? Quelques faits et chiffres viennent relativiser ce qui n’aura été qu’un ensemble de vœux pieux.

Selon un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires datant de juillet 2012, alors que le montant des impôts sur le revenu et sur la production des banques a augmenté en France d’environ 50 % entre 1996 et 2011, le produit net bancaire a plus que doublé, l’actif total des banques françaises ayant été multiplié par trois et leurs profits, par dix.

Loin de moi l’idée de dénigrer la réussite de nos banques ! Pour autant, je rappelle également que la même étude estime que jusqu’à 20 % des filiales étrangères des grandes banques françaises sont localisées dans des centres financiers offshore, lesquels permettent aisément des transferts de fonds entre paradis fiscaux, qui sont, vous en conviendrez, de puissants facteurs d’optimisation fiscale.

Si nous en revenons à la lutte contre les paradis fiscaux et le secret bancaire, nous ne pouvons à première vue que nous réjouir de voir fondre comme neige au soleil le nombre de pays et d’États figurant sur la liste de l’OCDE. Or, loin d’être l’aboutissement de la lutte contre les paradis fiscaux, cette liste révèle le refus de ces autorités de collaborer et un travail concerté de contournement de règles trop peu contraignantes. En effet, pour être rayé de cette liste, il suffisait de contracter des accords bilatéraux d’échanges d’informations, chose que ces autorités firent avec beaucoup d’aisance, je vous rassure, mais entre membres de cette fameuse liste, nouvelle preuve qu’en matière d’opacité bancaire et financière il vaut mieux être mal accompagné que seul !

Ainsi soit-il de cette initiative intergouvernementale sacrifiée sur l’autel des égoïsmes nationaux et des intérêts particuliers de certains grands groupes !

Loin de se résigner, le candidat François Hollande, devenu Président de la République, s’est, avec son gouvernement, investi pleinement dans la lutte contre les paradis fiscaux et l’opacité bancaire. Au niveau européen, la France œuvre en ce sens dans le cadre des accords CRD IV, instaurant notamment un reporting poussé pays par pays, qui permettra aux particuliers de connaître les activités de leurs banques et d’agir en conséquence.

Le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires que nous examinons aujourd’hui intègre une série de mesures concrètes qui vont dans ce sens. Nous avons travaillé en amont, avec nos collègues de la commission des finances, sous le regard bienveillant du Gouvernement, pour que ces mesures cruciales soient juridiquement les mieux cadrées et moralement les plus efficaces.

Richard Yung, notre rapporteur au fond, Jean-Pierre Caffet, Laurence Rossignol, Marie-Noëlle Lienemann et moi-même défendrons ainsi une série d’amendements permettant à ce texte d’aller encore plus loin sur la voie de la transparence financière et de la lutte in fine contre les paradis fiscaux.

Consciente que ce texte constitue une première étape vers la fin de ces pratiques et persuadée que notre action constituera un exemple pour l’ensemble de nos partenaires européens, je serai fière de voter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. Je vous remercie d’avoir strictement respecté votre temps de parole, ma chère collègue.

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on nous avait annoncé, lors des fameux G20 de 2008 et de 2009, qu’on allait moraliser le capitalisme et réguler l’économie, en particulier bancaire. La réalité, c’est que tout continue comme avant !

M. Philippe Dallier. Qu’attendez-vous ? (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Après avoir chuté, les bénéfices des banques sont revenus à leur niveau d’avant la crise. Les versements des dividendes n’ont enregistré presque aucun recul. La part de la rémunération variable moyenne des banques d’investissement actives au niveau mondial a, certes, diminué entre 2007 et 2011, mais les salaires fixes ont augmenté.

J’espère, monsieur le ministre, que vous y serez sensible, je me permets de citer l’excellent rapport de M. Peer Steinbrück, président du groupe SPD au Bundestag, qui prône une nouvelle approche des marchés financiers. Son diagnostic va particulièrement loin. Selon lui, les paradis fiscaux n’ont pas disparu et les produits dérivés, partout dans le monde, sont en hausse.

Ainsi, le montant global des actifs des hedge funds n’a-t-il jamais été aussi élevé dans l’histoire.

M. Albéric de Montgolfier. « L’ennemi, c’est la finance » !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il atteint 2 300 milliards de dollars, dont 1 395 milliards offshore. En 2000-2001, on n’en était qu’à 750 milliards de dollars, dont 500 milliards offshore. Certes, ces chiffres ont reculé en 2008, mais pour mieux reprendre leur ascension, et bien plus fortement qu’auparavant.

La spéculation continue, les produits dérivés se multiplient et le système français n’est, hélas, pas en reste. Penchons-nous, par exemple, sur les montants notionnels des instruments dérivés de la BNP, la tendance étant identique pour les autres grandes banques systémiques françaises. En 2011-2012, ils ont atteint 47 000 milliards d’euros. Ils n’étaient pourtant que de 10 000 milliards d’euros dans les années 2000, et ont donc été multipliés par quatre. En 2008, ils ne représentaient encore que 38 000 milliards d’euros.

La crise n’a donc pas réduit la demande de produits dérivés, qui a continué de progresser, et plus fortement que par le passé.

Donc, la spéculation ne recule pas, elle augmente.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pendant ce temps, les PME ont de plus en plus de mal à obtenir des crédits pour développer leurs activités. Il convient donc de se réjouir de la création de la BPI ! Pendant ce temps, un nombre de plus en plus important de nos concitoyens payent des frais bancaires importants, ont des difficultés pour accéder au crédit ou se trouvent pénalisés dans le cadre de leurs opérations bancaires.

Dans ces conditions, ce projet de loi est bienvenu, car son objectif, comme ce devrait d’ailleurs être celui des textes européens, est de recentrer notre secteur bancaire sur sa mission, à savoir l’intermédiation entre le dépôt, l’épargne et l’économie réelle. Voilà la seule mission qui compte pour les banques !

Ce texte devrait assurer une seconde mission : prémunir les déposants et les contribuables des risques, en particulier les risques spéculatifs.

Pour ma part, j’estime qu’il faut être lucide. Non, les crises bancaires, qu’elles soient européennes ou mondiales, ne sont pas obligatoirement derrière nous !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je suis d’ailleurs étonnée que personne n’ait parlé de Chypre. (« Jean Arthuis ! », précise-t-on sur plusieurs travées.) Je sais bien que son système bancaire est particulier. Néanmoins, quand il y a une crise bancaire quelque part, on observe toujours un effet ailleurs : c’est l’effet domino !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Surtout, M. Philippe Wahl, président du directoire de La Banque postale, affirmait, le 26 février dernier, dans un colloque organisé par The Economist : « Il y aura une nouvelle crise bancaire, nous le savons. […] Nous savons d’où elle viendra. » Il ciblait ce que l’on appelle les « systèmes parallèles », en particulier les fonds alternatifs.

Si nous sommes d’accord sur le risque d’une nouvelle crise bancaire, il faut regarder lucidement la situation française : nous sommes particulièrement vulnérables. Notre pays compte quatre, voire cinq, mégabanques. Au classement des plus grandes banques mondiales, la BNP occupe la sixième place, le Crédit agricole la neuvième, la Société générale la dix-neuvième, le groupe Banques populaires-Caisses d’épargne la quarante et unième. Or, dans toutes ces banques, la part des activités d’investissement est particulièrement élevée. Les activités d’investissement des deux premières banques françaises, la BNP et le Crédit agricole, sont plus importantes que celles de Goldman Sachs et de Morgan Stanley réunies !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Notre secteur bancaire est donc particulièrement vulnérable.

J’ai longtemps cru que disposer de banques de taille mondiale était un atout. J’étais de ceux qui pensaient que c’était bon pour la grandeur de la France. Eh bien aujourd’hui, je pense exactement l’inverse : ce sont des colosses aux pieds d’argile ! (M. Jean Desessard applaudit.) En Allemagne, ce pays auquel on se réfère toujours lorsqu’il s’agit de réduire les droits sociaux, il y a une mégabanque et 1 500 petites banques de proximité. Les ingénieurs allemands ne se consacrent pas, comme nos polytechniciens, à l’élaboration de produits dérivés : ils vont travailler dans l’industrie, parce que les banques allemandes pratiquent bien davantage l’investissement direct dans l’économie ou dans la dette nationale que les investissements spéculatifs.

M. Jean-Pierre Caffet. Les caisses d’épargne allemandes ont fait faillite !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous devons être conscients de la réalité de la situation des banques françaises. Évidemment, ce n’est pas du jour au lendemain que l’on pourra changer complètement de modèle !

Les actifs des cinq grandes banques françaises présentant un risque systémique s’élèvent à 335 % du PIB du pays. Aux États-Unis, les actifs des huit banques systémiques représentent 61 % du PIB national.

Pour ma part, j’estime que le temps est venu de tendre vers une séparation des activités. Je prends acte du fait que ce projet de loi qui, certes, ne va pas assez loin, constitue un progrès. (« Ah ! » sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations ironiques sur certaines travées de l'UMP.) Ce progrès, nous devons l’approfondir, comme l’Assemblée nationale l’a déjà fait ! À cette fin, j’ai déposé trente amendements : nous devons aller le plus loin possible pour instaurer une séparation étanche entre activités utiles à l’économie et activités spéculatives. Je le dis tout net, je crains que l’accélération des crises ne renforce la nécessité d’une seconde étape. Je pense que le Gouvernement, attentif à garantir la sûreté des dépôts des Français, soucieux de l’avenir de notre économie et du redressement de notre pays, sera amené, un jour ou l’autre, à nous proposer cette nouvelle étape ; réussissons déjà la première ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Pierre Moscovici, retenu à l’Assemblée nationale par le débat sur la motion de censure.

Au terme de cette discussion générale d’excellente qualité, je voudrais d’abord saluer, au nom du Gouvernement, le travail du rapporteur, Richard Yung. À bien des égards, l’Assemblée nationale avait déjà complété et enrichi le texte du Gouvernement ; il se trouve encore amélioré grâce à vos propositions, monsieur le rapporteur.

M. Roland Courteau. Du beau travail !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. D’ores et déjà, ce projet de loi vous doit beaucoup et nous vous remercions d’avoir voulu préserver l’équilibre recherché par le Gouvernement en matière de lutte contre les dérives de la finance.

Le Gouvernement entend mener une action résolue, au travers notamment du cantonnement des activités spéculatives, du contrôle préventif des risques systémiques, de diverses dispositions sur lesquelles je reviendrai, notamment celles qui concernent la protection des consommateurs. Il s’agit de tirer les leçons de la crise financière, qui a mis en évidence la nécessité de mieux réguler la finance, tout en garantissant que les banques françaises pourront financer notre économie, car le respect des exigences des accords de Bâle III imposera de plus en plus à nos entreprises de recourir aux marchés. Pour cela, elles devront être accompagnées de partenaires bancaires solides.

Puisqu’il a beaucoup été question, cet après-midi, du discours du Bourget et des engagements pris par le Président de la République, je voudrais rafraîchir la mémoire de certains d’entre vous.

« Les paradis fiscaux, c’est fini ! », disait Nicolas Sarkozy en 2009. Mme Espagnac en parlait à l’instant : si, aujourd’hui, le Parlement européen s’est saisi, dans le cadre du règlement CRD IV, de la question des paradis fiscaux, c’est à partir des engagements pris par le Gouvernement français et du vote de la réforme bancaire à l’Assemblée nationale.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. M. Delattre s’est demandé si nous étions dans le bon tempo. C’est le cas, dès lors que nous inspirons aujourd’hui l’Union européenne et le Parlement européen pour aller beaucoup plus loin qu’ils ne l’auraient fait si deux États, la France et l’Allemagne, n’avaient pas pris l’initiative.

De surcroît, dans l’attente de la proposition législative du commissaire européen Barnier, nous nous trouvons dans une période grise en matière d’initiative européenne. En effet, la plupart des textes que proposera la Commission européenne, s’ils ne sont pas déposés avant juillet, seront probablement examinés une fois celle-ci et le Parlement européen renouvelés. Nous ne pouvons donc pas espérer une mise en œuvre de ces textes avant 2017-2018. Or la crise nous impose d’envoyer dès maintenant un signal fort à la finance et au système bancaire, ainsi qu’aux déposants et aux épargnants. Il fallait donc agir sans tarder. C’est la raison pour laquelle la France a pris les devants et n’a pas souhaité attendre que la Commission européenne intervienne.

Nous sommes souverains pour décider de ce que nous voulons faire en matière de séparation des activités spéculatives des activités bancaires utiles à l’investissement et à l’emploi. Cela correspond à un engagement du Président de la République, mis en œuvre au travers de l’article 1er du présent projet de loi, qui prévoit qu’« il est interdit aux établissements de crédit, compagnies financières et compagnies financières holding mixtes, dont les activités de négociation sur instruments financiers dépassent des seuils définis par décret en Conseil d’État, d’effectuer autrement que par l’intermédiaire de filiales dédiées à ces activités les opérations suivantes […] ». L’engagement est donc tenu.

François Hollande avait également annoncé qu’il interdirait aux banques françaises d’exercer dans les paradis fiscaux. Là encore, des engagements sont pris : dès 2013, les banques françaises auront l’obligation de faire la transparence sur toutes leurs activités, pays par pays, y compris dans les paradis fiscaux.

À l’heure où nous parlons, Chypre est confrontée à une grave crise. L’économie de ce pays, entré dans la zone euro en 2008, alors que Nicolas Sarkozy était Président de la République, est très particulière, puisque les actifs des banques représentent à peu près huit fois le PIB. En outre, 45 % des déposants ne sont pas des résidents. Nombre d’entre eux sont des citoyens russes. L’exemple chypriote illustre bien la nécessité de mieux réguler les activités bancaires et de poser des exigences fortes à l’égard des pays qui ont une politique fiscale accommodante, pouvant mener à des pratiques douteuses.

François Hollande avait en outre déclaré qu’il interdirait les produits toxiques qui enrichissent les spéculateurs et menacent l’économie : tel est l’objet de l’article 11 ter du projet de loi, qui tend à encadrer les conditions d’emprunt des collectivités territoriales et de leurs groupements. De surcroît, le projet de loi vise à étendre les pouvoirs de l’ACPR pour interdire la commercialisation de ce type de produits.

En ce qui concerne les stock-options, l’article 7 de la dernière loi de finances les a soumis au barème de l’impôt sur le revenu. Par ailleurs, en matière d’imposition des bonus, la loi de finances pour 2013 a instauré une nouvelle tranche pour surtaxer les salaires les plus élevés servis dans le secteur financier. Je rappelle que, de plus, un projet de loi relatif à l’encadrement des pratiques de rémunération et à la modernisation de la gouvernance des entreprises est en préparation.

En ce qui concerne la taxation des bénéfices des banques, nous avons doublé la taxe pour risque systémique dès le projet de loi de finances rectificative de 2012. Elle a rapporté 500 millions d’euros.

Quant à l’instauration d’une taxe sur les transactions financières, son principe a été validé par onze pays lors du Conseil Ecofin. Nous avons élargi l’assiette de cette taxe, ce qui a permis d’augmenter son rendement, pour la France, de 400 millions d’euros.

Enfin, la création de l’agence publique européenne de notation – il s’agit là encore de l’engagement n° 7 du Président de la République – fera l’objet, à l’échelon européen, de l’élaboration d’un rapport, sur l’initiative de la France.

La mise en œuvre des engagements pris par le Président de la République dans le discours structurant du Bourget est donc d’ores et déjà très avancée. C’est pour moi un grand honneur de pouvoir le dire aujourd’hui devant vous.

M. Vaugrenard a évoqué l’activité de tenue de marché. L’Assemblée nationale a déjà amélioré le texte du Gouvernement sur ce point, en adoptant un amendement qui précise que c’est bien le régulateur, et non les banques, qui aura en main les outils pour faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. De surcroît, a été donné au ministre de l’économie le pouvoir de limiter les montants des opérations de tenue de marché conservées par les banques. Cela étant, nous sommes bien évidemment ouverts aux propositions du Sénat sur ce sujet.

M. Soilihi et Mme Dini, dont je salue la contribution, ont évoqué la protection des consommateurs. Le projet de loi manifeste la volonté de protéger les plus vulnérables d’entre eux, notamment en matière d’effectivité du droit au compte ou de lutte contre le surendettement. Des efforts considérables sont faits en vue de proposer des moyens adaptés de paiement aux consommateurs les plus vulnérables, d’introduire de la concurrence et de la transparence dans le domaine des assurances obligatoires liées au crédit immobilier. J’ajoute que le projet de loi relatif à la consommation que j’aurai l’honneur de défendre très bientôt devant vous pourra utilement compléter ces dispositions, notamment si vous jugez utile d’aller plus loin en matière de transparence des frais bancaires ou de plafonnement des commissions d’intervention, domaines dans lesquels beaucoup a pourtant déjà été fait.

Je voudrais remercier, au nom du Gouvernement, le président Marini pour son intervention, tout au moins une partie de celle-ci.