M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 15 septembre 2008, voilà à peine plus de quatre ans, la banque d’investissement Lehman Brothers faisait faillite avec fracas, après l’échec des plans de reprise tentés par d’autres établissements et le choix fait alors par l’administration américaine de ne pas « utiliser l’argent des contribuables pour sauver Lehman ».

La crise des subprimes, qui avait éclaté un an plus tôt, se mua alors en une crise boursière et bancaire d’une ampleur inédite, laquelle entraîna toute l’économie mondiale.

Cet épisode mit en lumière les agissements d’un secteur où régnaient sentiment d’impunité, opacité et « aléa moral », mais aussi déresponsabilisation, derrière la maxime too big to fail, en français, « trop gros pour faire faillite ».

M. Jean-Michel Baylet. C’est peu de dire qu’il y avait besoin de réformes structurelles. La dernière loi de régulation bancaire et financière, celle du 22 octobre 2010, constitua certes une avancée tangible, mais bien insuffisante. Il fallait donc aller plus loin.

Reprenant les propositions faites par François Hollande durant la campagne présidentielle, le Gouvernement s’est attelé à mettre en œuvre cet engagement et à l’appliquer au modèle dominant dans le paysage bancaire français : la banque universelle.

C’est ainsi qu’est apparue la notion de séparation des activités utiles au financement de l’économie et des activités d’investissement spéculatif, afin que les épargnants et les ménages n’aient pas à payer les pertes essuyées par les banques dans leurs activités spéculatives.

Dans l’entremêlement des activités bancaires, il nous revient donc de tenter de définir ce qui relève de l’un de ce qui est du domaine de l’autre. Il y va de la portée et de l’efficacité du présent texte.

C’est l’objet de son titre Ier, dont la version initiale a été amendée par l’Assemblée nationale, mais également par la commission des finances du Sénat.

Monsieur le ministre, je comprends la posture du Gouvernement, qui souhaite concilier protection des déposants et contribuables, d’une part, compétitivité de nos établissements, d’autre part, et c’est bien naturel. Cependant, pour rendre plus opérante la séparation entre l’utile à l’économie et le spéculatif, le groupe des radicaux de gauche défendra, à l’article 1er, plusieurs amendements portant notamment sur les activités de tenue de marché et le cantonnement strict des filiales, ainsi que sur le trading haute fréquence.

Cette filialisation des activités spéculatives empêchera-t-elle les crises à l’avenir ? Elle pourra en tout cas, nous l’espérons, contribuer à les prévenir ; elle permettra d’en limiter les effets sur nos banques ; elle servira à établir une distinction entre les banques pour lesquelles la puissance publique devra intervenir et les autres.

Mais, avouons-le, reconnaissons-le, ce texte ne pourra empêcher les faillites. La preuve en est que la banque Lehman Brothers constituait un idéal type de l’établissement d’investissement spéculatif.

Cependant, l’objectif principal de ce texte est ailleurs : il est de permettre et de contenir les futures alertes, c’est-à-dire de prévoir un réseau de digues capables d’empêcher l’inondation de nos établissements de dépôt lors d’un éventuel tsunami bancaire.

C’est pourquoi je souhaite insister sur le volet du texte relatif à la résolution des crises, contenu dans les titres II et III du projet de loi. Aux termes de ceux-ci, chaque établissement doit élaborer un plan préventif de rétablissement. En outre, l’Autorité de contrôle prudentiel, qui devient l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, le Fonds de garantie des dépôts, qui devient le Fonds de garantie des dépôts et de résolution, et l’Autorité des marchés financiers, se voient attribuer de nouvelles missions en matière de surveillance, mais aussi, et c’est important, des moyens d’action accrus en cas de crise.

Dans votre rapport, dont je relève l’exhaustivité, cher Richard Yung, vous vous félicitez de la mise en place « d’une architecture générale qui permet à l’autorité de résolution d’intervenir de manière forte dans des conditions d’urgence ». Vous avez raison. Dans ces cas, l’ACPR est dotée de pouvoir exorbitants : elle pourra par exemple « révoquer tout dirigeant responsable » de l’établissement entré en résolution et nommer un administrateur provisoire.

Ce mécanisme complexe, s’il reste perfectible, semble enfin avoir tiré les enseignements des dernières interventions de la puissance publique auprès des banques, en 2008.

Mes chers collègues, parmi les autres avancées du texte, je souhaite également relever les outils de lutte contre la spéculation sur les matières premières agricoles, alors que l’on sait l’effet dévastateur de la volatilité des prix de ces matières premières sur les producteurs comme sur les consommateurs, cependant que plane le spectre d’émeutes de la faim. Notre groupe défendra, lors de la discussion des articles, des amendements visant à renforcer la lutte contre cette spéculation.

S’agissant de la protection des consommateurs, le texte, reconnaissons-le, contient des progrès notables, notamment en direction des clients les plus fragiles, car il vient combler les lacunes des précédentes lois bancaires. Le plafonnement des commissions d’intervention prélevées sur un compte en cas de difficultés de paiement en est la disposition phare.

L’Assemblée nationale a amendé le texte initial en élargissant ce plafonnement à tous les clients particuliers, sans le réserver aux seules personnes en difficulté.

En matière de transparence et de lutte contre le blanchiment d’argent, le groupe du RDSE proposera des améliorations, en particulier quant au fonctionnement de TRACFIN et à la lutte, bien évidemment indispensable, contre les paradis fiscaux.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. Néanmoins, il nous apparaît vain d’appréhender ce texte dans une perspective uniquement franco-française, sans prendre en compte, et c’est indispensable, le contexte international. En effet, est-il un domaine plus mondialisé et plus dématérialisé que la finance ?

C’est la raison pour laquelle je souhaite conclure mon intervention en attirant votre attention sur l’action menée au niveau européen, tout d’abord. Le groupe présidé par Erkki Liikanen, président de la Banque centrale finlandaise, a remis un ensemble de recommandations à la Commission européenne, en octobre 2012.

Michel Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services, s’est saisi de ces pistes, dont une partie se retrouve également dans le projet dont nous discutons, et prépare une série de directives sur le sujet.

Parallèlement, le conseil des ministres européens des finances réuni les 13 et 14 décembre dernier a jeté les bases d’une Union bancaire sur le plan communautaire. Cette supervision unifiée des banques de la zone euro, qui a tant fait défaut ces dernières années, comme tant d’autres dispositions, devrait se mettre en place dans les prochains mois. Même s’il eût été préférable qu’elle intervienne plus tôt, elle constitue néanmoins un pas supplémentaire sur la voie de l’achèvement d’une véritable union monétaire dont nous avons tellement besoin.

Au niveau mondial, maintenant, la crise bancaire de 2007-2008 a conduit à une remise en cause du modèle de supervision et de régulation de la finance, dont les acteurs s’étaient de surcroît largement affranchis. Les accords de Bâle III ont été conclus à la fin de l’année 2010, sur l’initiative du G20. À ce jour, ses préconisations ne sont malheureusement pas entrées en vigueur et les États-Unis semblent s’acheminer vers un report de leur application.

Mis ainsi en perspective, le projet de loi français est à la fois insuffisant et capital.

Il est insuffisant – vous connaissez l’attachement des radicaux à la construction européenne –, car, sans avancées à l’échelle européenne et même globale, il sera aisément contournable et, pire, grèvera la compétitivité de nos banques.

Il est cependant capital, car il permet d’œuvrer, comme cela a pu être le cas avec le projet de taxe sur les transactions financières, en faveur de la diffusion des mécanismes de régulation et de supervision de la sphère financière.

Les choses bougent, en Europe notamment. Le Royaume-Uni a voté, en 2011, une réforme bancaire issue des conclusions du rapport Vickers, dont l’entrée en vigueur sera progressive, jusqu’en 2019. L’Allemagne a également engagé une réforme du secteur. Et que dire du référendum suisse du 3 mars dernier sur l’encadrement des bonus et des rémunérations des dirigeants de grandes entreprises ? (Exclamations sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. C’est tout de même un signal dans le monde de la finance, mes chers collègues.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs radicaux de gauche, même s’ils souhaitent que des améliorations soient apportées à ce texte, qu’ils auraient voulu plus ambitieux, voteront ce projet de loi pour les avancées qu’il présente et la légitimité qu’il donne à notre pays pour négocier à l’échelon européen comme à l’échelon international. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. - M. Jean Boyer applaudit également.)

(M. Didier Guillaume remplace M. Charles Guené au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, la réforme bancaire peut apparaître comme un sujet technique et complexe, ce qu’il est, mais c’est aussi un sujet politique qui revêt une importance essentielle pour les Françaises et les Français.

Cette réforme est aussi un enjeu démocratique. Les attentes sont fortes, car ce sujet concerne directement le contribuable, qui supporte les déboires des banques irresponsables – on l’a trop vu par le passé –, le citoyen, qui ne maîtrise plus son épargne, et les acteurs économiques auxquels on refuse des crédits pour entreprendre.

De plus en plus, la sphère financière est déconnectée de l’économie réelle, mais, lorsque la bulle explose, la réalité nous rattrape et c’est toujours le citoyen qui paye la facture !

La défiance à l’égard des banques est palpable aujourd’hui, et pour cause : nous avons assisté ces dernières années aux dérives des banques espagnoles, irlandaises, islandaises, américaines, aux emprunts toxiques, aux scandales, aussi, avec l’affaire Kerviel ou le Crédit Lyonnais. Nous pourrions remonter très loin dans le passé bancaire.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Jean-Vincent Placé. Je vous remercie, cher collègue, de cet avis neutre et objectif ! (Sourires.)

Rappelons qu’en France, 360 milliards d’euros ont été débloqués pour le sauvetage des banques en 2008, comme l’a évoqué notre excellent rapporteur, Richard Yung, que j’ai l’occasion de saluer ainsi. Aujourd’hui, cette défiance se traduit très concrètement. À Chypre, même si tout n’est pas comparable, le Parlement a rejeté le plan de sauvetage, ne pouvant se résigner à accepter la taxe sur les dépôts bancaires. Le peuple a clairement manifesté sa colère et son opposition contre ces mesures injustes.

Les défaillances du système bancaire actuel font peser des risques trop lourds, non seulement sur l’état des finances publiques et l’épargne des citoyens, mais également sur la situation économique de l’Union européenne, dans son ensemble.

Les Français doivent savoir que les erreurs du passé ne seront pas répétées : il faut rétablir la confiance. Tirer les conséquences des échecs, c’est bien tout l’enjeu de cette réforme. La loi bancaire doit assurer un meilleur contrôle démocratique, une véritable régulation, un encadrement strict. L’État français ne peut pas continuer à récompenser les faillites bancaires et les dirigeants irresponsables. C’est un engagement fort du Président de la République, qui a promis de « mettre les banques au service de l’économie », et je salue la volonté du Gouvernement et des ministres de mettre en œuvre ces changements nécessaires.

De nombreux pays se sont déjà engagés dans cette voie, je pense aux États-Unis, à l’Italie, à l’Islande ou à la Suède.

Au Royaume-Unis, par exemple, pays qui ne figure pas au nombre des plus « régulationnistes », le ministre des finances, George Osborne, a clairement menacé : si une banque passe outre les règles, le régulateur – c’est-à-dire la Banque d’Angleterre – et le Trésor auront ensemble le pouvoir d’opérer, au sein de l’établissement, une « séparation totale » entre activités de détail et activités d’investissement, et non plus « juste un cloisonnement ».

Réformer les banques n’est pas chose facile, nous le savons, y compris au regard de la tradition bancaire française qui est, comme souvent, particulière. Mais ce ne sont pas des exceptions qui me choquent, je crois qu’il est bien que nous puissions avoir notre spécificité.

On ne peut pas nier les risques systémiques, la mondialisation, les normes extérieures. C’est la raison pour laquelle, bien sûr, j’aurais voulu, comme nombre d’entre vous, mes chers collègues, que le Gouvernement aille plus loin dans le sens d’une séparation stricte des activités bancaires, mais je comprends la nécessité des compromis, y compris dans une perspective européenne, j’y reviendrai.

La première lecture du projet de loi à l’Assemblée nationale a permis des évolutions positives. Je tiens d’ailleurs à saluer le remarquable travail des ministres, Benoît Hamon et Pierre Moscovici, qui est absent en cet instant, mais je ne doute pas que ces propos lui seront rapportés.

Le texte initial a été considérablement renforcé. Je pense notamment à la lutte contre les paradis fiscaux, sujet essentiel sur lequel nous souhaitons d’ailleurs aller plus loin. Nous avons abordé ce sujet en commission des finances et je sais que le rapporteur partage cette volonté.

Le rapport de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, de juillet 2012, voté à l’unanimité au Sénat, a mis en lumière l’impérieuse nécessité de la transparence.

Au sein de notre Chambre haute, je crois que d’autres points méritent d’être améliorés. Je veux en particulier attirer votre attention sur une question importante : la réforme doit s’attaquer à la spéculation sur les matières premières alimentaires.

M. Jean-Michel Baylet. Parfaitement !

M. Jean-Vincent Placé. Plusieurs orateurs, dont M. Baylet, l’ont souligné : on ne peut plus tolérer que des spéculateurs, qui ne connaissent pas les marchés agricoles, puissent parier sur l’évolution du prix des produits agricoles, à la hausse ou à la baisse, en achetant ou en vendant au moment le plus opportun, sans se soucier de la flambée des prix ou des émeutes de la faim que cela engendre. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.) La volatilité et l’instabilité des prix sont un fléau contre lequel il faut se battre.

M. Jean-Pierre Caffet. Tout à fait !

M. Jean-Vincent Placé. Les écologistes vous présenteront leurs propositions pour aller dans ce sens, mais je sais que le rapporteur est extrêmement attentif sur ce sujet. Il en est de même du trading à haute fréquence, des rémunérations des dirigeants, des bonus des traders. S’il y a des excès, il faut les réguler, les maîtriser.

M. Jean-Vincent Placé. Je n’entrerai pas dans le détail, nous reviendrons sur toutes ces questions lors de la discussion des articles durant les prochaines journées qui seront, je l’espère, fructueuses pour le travail parlementaire.

M. Jean-Pierre Caffet. Elles le seront !

M. Jean-Vincent Placé. Je n’en doute pas !

Je salue, enfin, l’amendement présenté par le Gouvernement visant à autoriser les collectivités territoriales à créer un nouvel outil de financement de leurs investissements qui, je le crois, répond à une attente forte des associations d’élus. C’est une avancée extrêmement importante.

Je sais aussi que nos réflexions, au Sénat, s’inscrivent dans un débat plus large, à l’échelle de l’Union européenne. La directive européenne sur les marchés d’instruments financiers est en cours de révision, il faut garder cela présent à l’esprit.

M. Jean-Pierre Caffet. Très juste !

M. Jean-Vincent Placé. Je pense que c’est une chance pour l’Europe, une chance pour la France. Notre pays doit être à l’avant-garde, impulser une dynamique, comme il a pu le faire sur les paradis fiscaux.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a là une affirmation d’ambition et de détermination pour moraliser la finance. Il y a là aussi une capacité à écouter que j’ai pu constater au long des mois pendant lesquels nous avons, avec Jean Desessard, qui est notre chef de file, discuté avec le Gouvernement, avec les différents groupes, avec le rapporteur, avec la commission.

Comme ce fut le cas pour la Banque publique d’investissement, sur des sujets lourds, importants pour l’avenir de notre pays, je trouve sur toutes les travées une vraie volonté de discuter et de travailler en commun pour l’intérêt général, pour réaliser les ambitions que porte notre peuple aujourd’hui en souffrance.

Pour toutes ces raisons, je me réjouis à la perspective de la belle discussion que nous allons avoir, animés de la volonté d’aller tous ensemble de l’avant ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier.

M. Albéric de Montgolfier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, je veux d’emblée rassurer Jean-Vincent Placé : nous allons travailler dans un esprit constructif !

Permettez-moi de commencer mon propos par une citation de François Hollande, mais je suis sûr que vous ne m’en voudrez pas.

M. Pierre-Yves Collombat. On ne s’en lasse pas !

M. Jean-Pierre Caffet. C’est parfait !

M. Albéric de Montgolfier. Le 22 janvier 2012, au Bourget, le candidat à la présidence de la République, à l’occasion de son premier grand meeting, annonçait dans une diatribe quelque peu démagogique, que son adversaire était le monde de la finance.

M. Jean-Pierre Caffet. Il avait raison !

M. Albéric de Montgolfier. Dans son engagement n° 7, il précisait qu’il entendait séparer « les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives ».

Toutefois, nous le savons, et les Français l’ont désormais l’ont bien compris, dans ce gouvernement, on constate parfois un retour aux réalités. En conséquence, on nous propose ici non pas une séparation stricto sensu des activités bancaires, mais une simple filialisation des activités spéculatives, et uniquement pour le compte propre des établissements bancaires.

Force est donc de constater que les promesses électoralistes du candidat Hollande se heurtent au principe de réalité. En effet, nous ne pouvons pas nous affranchir du contexte et du monde dans lequel nous vivons.

Ainsi, Barack Obama n’est pas revenu au Glass-Steagall Act parce qu’il ne voulait pas fragiliser les banques américaines face aux banques européennes.

La règle Volker promue par Wall Street, et reprise par le Président américain, limite certains types de spéculation, mais établit tant d’exceptions que certains analystes parlent d’un véritable gruyère.

L’option Vickers, sortie tout droit de la City, n’instaure pas de séparation puisque les activités de dépôts et les activités spéculatives restent sous le même toit.

Le rapport Liikanen, rédigé pour la Commission européenne, est beaucoup plus strict, mais il ne touche pas plus au modèle de la banque universelle.

La réalité est que nous devons nous féliciter de disposer de grandes banques nationales qui ont su résister à la crise. Elles contribuent à notre croissance, au soutien de nos entreprises et de la consommation.

Il serait contre-productif pour la France et pour notre croissance de les fragiliser outre mesure, et par là même, de favoriser les autres banques européennes ou américaines.

Certes, il ne s’agit pas d’être naïf. La crise économique a d’abord été une crise financière et bancaire. L’excès de spéculation et de financiarisation, peut-être irraisonné, a été à plusieurs reprises incontrôlé : je rappellerai, comme d’autres avant moi, les affaires Madoff, Kerviel, UBS, la crise des subprimes, le scandale de la « baleine de Londres », celui du LIBOR, autant de crises qui montrent les excès de la finance.

La crise bancaire de 2009 a convaincu les grandes puissances de la nécessité de réformer les banques, devenues trop grosses et trop risquées pour la stabilité de l’économie mondiale.

À titre d’exemple, les actifs détenus par le secteur bancaire européen représentent aujourd’hui 300 % du PIB de l’Union européenne – le chiffre est impressionnant –, et les actifs détenus par une seule banque française, BNP Paribas, représentent à eux seuls la totalité du PIB français.

Les banques sont devenues systémiques, c’est-à-dire trop grandes pour faire faillite : en cas de défaut d’un seul établissement, les États sont contraints d’intervenir pour éviter la déstabilisation de l’économie. C’est ce que les Anglo-Saxons appellent le concept de « too big to fail » qui a été rappelé tout à l’heure.

Ainsi, entre octobre 2008 et octobre 2011, les États européens ont mobilisé 4 500 milliards d’euros en aides et garanties publiques à leurs banques, même s’il convient de noter que le sauvetage des banques en France n’a rien coûté à nos finances publiques.

M. Roland Courteau. Nous le savons !

M. Albéric de Montgolfier. Par ailleurs, les activités de marché ont connu une croissance exponentielle.

Néanmoins, nous devons nous interroger sur la nécessité et la pertinence de la mise en œuvre d’une réforme structurelle des banques dans la mesure où le modèle de banque universelle est désormais bien inscrit dans le paysage bancaire français et s’est révélé solide à l’épreuve de la crise.

Le rapport Liikanen évoque d’ailleurs l’absence de liens démontrés entre la faillite d’une banque et son modèle d’activités.

Un certain nombre d’initiatives, acceptées par les banques, ont déjà été prises au niveau européen depuis la crise, et elles entraînent des bouleversements profonds pour le fonctionnement des marchés : renforcement des normes prudentielles, exigences en capital et mise en place de nouveaux ratios de liquidité, les fameux ratios de Bâle III ; en outre, à partir du 1er mars 2014, supervision unique des banques par la Banque centrale européenne dans la zone euro, ainsi que par l’Autorité bancaire européenne dans l’ensemble de l’Union européenne, par ailleurs chargée d’établir des règles destinées à prévenir les défaillances des établissements financiers, et lancement de l’union bancaire à l’échelle de la zone euro.

Certains effets de ces différentes mesures se font déjà sentir, mais il est encore trop tôt pour en mesurer l’impact.

Les banques ont d’ores et déjà procédé à des réductions de leurs activités de marché en raison de ces nouvelles contraintes. D’aucuns dénoncent le fait que la filialisation des activités spéculatives pour compte propre, qui est au cœur de ce projet de loi, ne représentera que de 0,5 % à 2 % des actifs des banques, mais avant la crise, c’eût été plutôt de 10 % à 15 % de leurs actifs,…

M. Richard Yung, rapporteur. Et même 25 % !

M. Albéric de Montgolfier. … selon les estimations du président de l’Autorité de contrôle prudentiel.

Cela signifie bien que l’activité spéculative a été réduite. Nous pouvons nous en féliciter, mais il faut se garder de placer le curseur trop loin, car cela pourrait aussi avoir pour conséquence la réduction des activités de financement, et donc impacter le financement des entreprises et l’activité économique en général.

Il faut donc veiller à ne pas ajouter trop de contraintes, car cela réduirait clairement les capacités de financement et fragiliserait les activités de la banque de financement et d’investissement.

Cela pourrait aussi avoir pour conséquence une hausse du coût des crédits pour les entreprises, qui ne pourraient plus négocier des tarifs globaux, et sans doute une hausse du coût des opérations, du fait d’une augmentation du coût de refinancement des banques.

Il faut par ailleurs veiller à conserver des réseaux bancaires français puissants, capables de proposer aux entreprises la palette des services dont elles ont besoin, et ce à des coûts compétitifs.

Comme je l’ai déjà dit, l’existence de banques françaises et européennes puissantes et fortement internationalisées est un facteur de compétitivité pour la France et pour l’Europe.

Mais voyons ce qu’il en est de ce projet de loi au regard de Bâle III.

Vous le savez, les États-Unis ont fait savoir qu’ils renonçaient sine die, unilatéralement, à appliquer Bâle III au 1er janvier 2013, ce qui aggravera encore les distorsions de concurrence.

Je rappelle qu’ici, au Sénat, la commission des finances a réagi en votant le 20 novembre dernier une résolution n°32, proposant notamment un principe de réciprocité avec les États-Unis s’agissant de la mise en œuvre des règles de Bâle III.

En réalité, les banques européennes risquent d’être les seules à appliquer Bâle III. C’est la raison pour laquelle ce n’est pas le moment de les surcharger en leur imposant des réformes structurelles qui ne seraient pas nécessaires.

Sur un tel sujet, la réflexion doit se faire au niveau international pour être efficace.

Examinons le calendrier : dans la mesure où la Commission européenne a publié en juin 2012, vous le savez tous, une proposition de directive établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances bancaires, la France pourrait ne pas anticiper sur cette directive en cours de discussion – nous avons eu ce débat en commission – et inscrire pleinement sa réforme dans un cadre européen. Pour rappel, la réglementation bancaire en France est à 90 % d’origine européenne.

L’adoption de cette directive nous obligera de toute façon à voter un nouveau texte, donc un projet de loi l’anticipant demeure, avouons-le, un texte purement d’affichage. Le Gouvernement entend laisser croire qu’il a agi en la matière, alors qu’en réalité, sur certains aspects, la montagne va accoucher d’une souris...

Ce texte ne fait que compléter la réforme bancaire qui avait été engagée en 2011 sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, avec la loi de régulation bancaire et financière.

Pour autant, au-delà de ces considérations générales, je souhaiterais, au nom du groupe UMP, saluer certaines avancées du texte qui nous est proposé, notamment en matière de protection des consommateurs.

Certaines questions restent en débat et seront peut-être discutées lors de l’examen des amendements. Par exemple, fallait-il aller jusqu’à plafonner les frais bancaires pour l’ensemble de nos concitoyens – nous avons eu ce débat en commission ce matin, monsieur le rapporteur –, alors que le projet de loi initial le limitait simplement aux Français dont les revenus sont les plus modestes ? À titre personnel, je ne suis pas favorable à un plafonnement général.

Par ailleurs, le présent projet de loi prévoit un renforcement des pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel en matière de contrôle de l’honorabilité, de la compétence et de l’expérience des dirigeants des établissements de crédit. Un pouvoir d’opposition à leur nomination et à leur renouvellement serait confié à l’ACP, qui deviendra l’ACPR – R pour « Résolution » –, et ses contrôles seraient étendus, dans le projet de loi adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, à l’ensemble des administrateurs des banques coopératives régionales, alors qu’ils portaient jusqu’à présent sur les seuls dirigeants responsables des banques au sens du code monétaire et financier.

Le texte ne tient pas compte, me semble-t-il, de la nature même des banques coopératives et de l’existence d’un organe central qui dispose déjà de larges prérogatives.

L’Assemblée nationale a adopté un texte excluant du périmètre d’application du dispositif les caisses locales, qui bénéficient déjà d’un agrément collectif, mais pas les caisses régionales.

C’est pourquoi certains de mes collègues et moi-même avons déposé plusieurs amendements en vue de compléter cette exemption pour les caisses locales et de l’étendre éventuellement aux administrateurs des banques coopératives régionales, sauf pour les dirigeants de ces établissements.

Au-delà de toutes ces remarques, ce texte n’est donc pas révolutionnaire. Il comporte quelques points positifs, il faut le souligner, mais demeure essentiellement technique.

C’est pourquoi le groupe UMP se prononcera sur l’ensemble du projet de loi en fonction des amendements qui seront adoptés au cours de la discussion. Notre groupe pourrait s’abstenir, sauf si les nouvelles dispositions retenues durcissaient excessivement le texte adopté par la commission, dont nous partageons un certain nombre d’orientations, et je voudrais à cet égard saluer le travail effectué par M. le rapporteur sur le texte initial. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP. –  MM. Jean Boyer et Aymeri de Montesquiou applaudissent également.)