Mme Bernadette Bourzai. Premier pilier !

M. Philippe Bas. … quand on se souvient de l’engagement total du président Chirac et de son premier ministre de l’époque (Eh oui ! sur plusieurs travées de l'UMP.) – je salue Jean-Pierre Raffarin – face au chancelier Schröder…

M. Philippe Bas. … pour faire comprendre à nos partenaires qu’un intérêt vital de la France était en cause, quand on se souvient de l’accord finalement donné par l’Allemagne, entraînant avec nous une majorité d’États européens, on mesure combien sont préjudiciables à nos agriculteurs et à l’ensemble du monde rural la faiblesse actuelle de la France sur la scène européenne, son isolement politique face à un axe germano-britannique qui ne cesse de se renforcer (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) et son manque de volontarisme pour défendre les intérêts majeurs de notre agriculture, qui sont aussi ceux de la France. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

L’avenir de notre agriculture et l’avenir de notre modèle familial d’exploitation à taille humaine sont aujourd’hui en jeu, alors que les charges de nos entreprises agricoles ne cessent de s’aggraver.

M. Roland Courteau. Il fallait le dire il y a un ou deux ans ! Pourquoi vous avez été battus, alors ? C’est invraisemblable !

M. Philippe Bas. Il faut aussi compter avec l’impôt administratif qui pénalise nos exploitations, notamment les élevages, en prescrivant à l’agriculteur le respect d’un nombre croissant de normes au nom de la protection de l’environnement. Les unes sont nécessaires, les autres sont au contraire excessives, voire inutiles. Il est de la responsabilité du Gouvernement d’entreprendre une revue générale des normes pesant sur l’agriculture afin de les alléger et de refuser de nouvelles contraintes.

Si nous ne parvenons pas à donner aux agriculteurs des conditions plus favorables à leur activité, un mouvement de concentration sans précédent risque de se produire, ce qui pourrait déboucher sur des formes d’exploitation qui ont cours en Grande-Bretagne et en Europe du Nord, avec la disparition de très nombreuses exploitations. Ce n’est pas ce que nous voulons ! Le prix à payer serait terrible, avec une ruralité désertée par sa population, où se multiplieraient les étendues en friche.

Au moment où tant de défis assaillent le monde rural, le projet de loi que vous avez présenté affaiblira la représentation des territoires ruraux…

M. Rémy Pointereau. C’est vrai !

M. Philippe Bas. … dans de grands cantons qui regrouperont jusqu’à quatre ou cinq cantons actuels (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.) et aggravera encore les difficultés du monde rural, car il sera moins bien représenté. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Fauconnier. Et l’austérité territoriale ?

M. Philippe Bas. Nous devons également tirer la sonnette d’alarme s’agissant à la fois des moyens et des responsabilités de nos collectivités territoriales. Nous le savons bien, la compétition entre territoires a commencé.

La diminution des ressources des collectivités territoriales et la perspective de nouveaux transferts de compétences, qui ne seront pas financièrement compensés car le lien de confiance entre l’État et les collectivités est aujourd'hui rompu, nous rendent extrêmement inquiets pour l’avenir de la ruralité. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

Pour conclure, je tiens à le souligner, notre agriculture, à laquelle l’Europe ne fournira plus tous les moyens de se battre, est maintenant ouverte aux vents du large, la représentation politique du monde rural va être affaiblie (Eh oui ! sur plusieurs travées de l'UMP.) et les ressources propres des collectivités territoriales seront fortement amputées,…

M. Philippe Bas. … et se profile une nouvelle décentralisation qui visera davantage à alléger les charges de l’État qu’à renforcer les libertés locales. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Philippe Bas. Voilà à quoi se résume aujourd’hui l’action du Gouvernement à l’égard du monde rural ! Ce débat n’aura pas été inutile s’il permet de vous convaincre de vous engager résolument dans une autre politique, plus conforme aux attentes des territoires ruraux, qui représentent 78 % du territoire national et 22 % de notre population. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Vive la France de Bas ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Renée Nicoux et Gérard Bailly pour leur travail. Je remercie mes collègues de l’opposition d’avoir suggéré et suscité ce débat. Je remercie également M. le ministre de l’agriculture de sa présence. Il est bon d’avoir ici un ministre qui sait que, depuis déjà longtemps, « monde rural » et « monde agricole » ont cessé de se confondre, confusion que j’ai pourtant entendue dans de nombreuses interventions cet après-midi. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste. – Oh ! sur les travées de l'UMP.)

M. Rémy Pointereau. Ce qu’elle est désagréable…

Mme Laurence Rossignol. Le monde rural est mal connu, tout comme ses habitants. C’est la raison pour laquelle j’avais, très modestement, pris l’initiative d’un colloque scientifique qui s’est tenu au Sénat en décembre dernier en partenariat avec l’École normale supérieure et l’INRA, consacré aux représentations et aux évolutions des mondes ruraux et périurbains, auquel participait Mme Nicoux. Je vous ferai parvenir très prochainement, monsieur le ministre, les actes de ce colloque, qui seront également mis à disposition de l’ensemble de mes collègues.

Parlons d’abord des représentations.

Le monde rural est souvent utilisé, dans cette maison d’ailleurs, comme alibi des conservatismes…

Mme Laurence Rossignol. … par ceux-là mêmes qui sont les véritables conservateurs.

Que n’a-t-on entendu ici même à propos de la parité et que n’a-t-on fait dire aux élus locaux pour la combattre ! Or pour être l’élue d’un département comptant 690 communes, j’ai observé que ces fameux élus ruraux sont infiniment moins rétrogrades et réfractaires aux évolutions de la société que ceux qui parlent en leur nom et à leur place. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Sophie Primas et M. Gérard Bailly s’exclament.)

Alors que faut-il entendre par monde rural ? Où commence le rural, où s’arrête le périurbain ? Il est bien difficile de le dire dès lors qu’il n’y a plus de territoires dans lesquels les agriculteurs sont démographiquement majoritaires. Les habitants des mondes ruraux et périurbains sont principalement des salariés, des artisans, des retraités et des jeunes scolarisés et ils ont des problèmes de salariés, d’artisans, de retraités et de jeunes ! Certains y sont nés, d’autres y sont venus par choix de vie, d’autres enfin y ont été contraints, éloignés des villes par la pression foncière.

Leurs aspirations sont pourtant celles de tous les Français : ils veulent des écoles, des services publics, une gendarmerie ouverte au public, des accueils périscolaires pour que les femmes puissent aller travailler (Mme Sophie Primas s’exclame de nouveau.), des commerces et une convivialité de voisinage.

Or la promesse d’une vie tranquille et heureuse n’est pas toujours tenue.

Le bon air et l’espace ne suffisent malheureusement pas à compenser l’isolement, l’abandon et le sentiment de solitude qui prévalent désormais dans nombre de territoires. Cet isolement est aggravé par le renchérissement du prix de l’essence qui impacte fortement les budgets des habitants de ces territoires, contraints à des déplacements quotidiens.

Les politiques publiques qui ont été menées au cours des dix dernières années n’ont pas été en phase avec la réalité quotidienne des milieux ruraux.

Un sénateur du groupe socialiste. Bravo !

Mme Laurence Rossignol. Aujourd'hui, nous sommes dans l’urgence, une urgence qui s’est exprimée et s’exprime dans les fractures démocratiques dont témoignent l’abstention et les votes extrémistes lors des élections nationales.

Alors que ce matin s’est réuni le comité interministériel des villes, il est indispensable de mobiliser également le Gouvernement en faveur des mondes ruraux et périurbains. Il est primordial d’agir sur tous les sujets que j’ai précédemment cités : les services publics, l’aménagement numérique du territoire – ce point a déjà été évoqué par plusieurs intervenants –, l’économie et la santé. J’en profite pour saluer l’excellent rapport de nos collègues Jean-Luc Fichet et Hervé Maurey.

Le Gouvernement a d’ores et déjà pris la mesure des enjeux. Le Premier ministre l’a démontré en mobilisant ses ministres sur les questions du temps d’accès aux services publics et du développement du très haut débit.

Il faut inventer des nouveaux services publics, être créatif et sortir des moules que nous connaissons. Mais inventer n’est pas abdiquer ! Il faudra restaurer tout ce qui a été détruit au cours des dix dernières années,…

Un sénateur du groupe socialiste. Très bien !

Mme Laurence Rossignol. … et le constat dressé par notre collègue Gérard Bailly est aussi cruel pour les territoires dont il a parlé que pour les gouvernements qui se sont succédé de 2002 à 2012. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi enfin pour conclure d’insister sur un aspect d’une politique que nous pourrions engager en faveur des mondes ruraux et périurbains. Nous débattrons prochainement de la loi bancaire. Or nous constatons que les territoires dont nous parlons aujourd’hui produisent de l’épargne, mais que l’argent collecté par les banques n’est pas réinvesti dans ces mêmes territoires. (M. Alain Fauconnier opine.)

Mme Laurence Rossignol. Pour ma part, je souhaite que la loi oblige les banques françaises à territorialiser l’épargne et le crédit (Mme Bernadette Bourzai et M. Alain Fauconnier applaudissent.), à l’instar de ce qui se fait avec succès dans d’autres pays, en particulier aux États-Unis.

Ce serait d’ailleurs un moyen efficace pour financer aussi l’économie sociale et solidaire, qui représente plus de 10 % du PIB, particulièrement dans ces territoires car c’est un secteur créateur d’emplois non délocalisables.

Mes chers collègues, puisque nous convergeons vers les mêmes constats, je propose que nous convergions au moment de la discussion de la future loi bancaire pour montrer aux territoires ruraux que nous voulons de la transparence et du réinvestissement en leur faveur. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Joël Labbé applaudit également.)

M. Stéphane Le Foll, ministre. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous formulons tous le même constat : la ruralité est une chance pour la France. Puisque ce constat nous rassemble, essayons, lorsque nous parlons de ruralité, oui, essayons tout simplement d’en évoquer les points positifs : loin d’être des pleurnicheurs, sachons nous faire les promoteurs de la ruralité !

Songez à toutes celles et à tous ceux qui, comme beaucoup d’entre nous, résident dans des villages ou des communes rurales, à ces milliers de femmes et d’hommes agriculteurs, artisans, commerçants ou présidents d’association qui font vivre nos territoires ruraux.

Oui, la ruralité est une chance, parce que la ruralité ce sont ces femmes et ces hommes qui croient en leur avenir, qui croient en leur choix de vie, qui croient en leurs territoires parce qu’ils savent être la chance de notre pays.

Alors, allons-y, avançons, battons-nous, défendons, promouvons, mais parlons toujours de la ruralité en termes positifs. Fernand Braudel affirmait : « La France se nomme diversité ». Eh bien, cette diversité est notre richesse !

Cependant, la ruralité a souffert, et même beaucoup souffert ; elle a été stigmatisée. J’en prendrai deux exemples.

Premièrement, mes chers collègues, la révision générale des politiques publiques, la RGPP, a été dévastatrice pour les zones rurales. (Oui ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Mme Sophie Primas. Mais bien sûr !…

M. Didier Guillaume. Nous l’avons tous dit, et nous l’avons tous entendu !

Lors des dernières municipales et des dernières sénatoriales, que nous ont dit les maires ruraux ? Que nous ont dit les acteurs de la diversité, les acteurs de la ruralité ? Que la RGPP s’était appliquée partout, et non en fonction de la situation locale. (Mme Sophie Primas proteste.)

M. Didier Guillaume. Cela a été une erreur, et la ruralité en a pâti.

Deuxièmement, pour ce qui concerne la gouvernance des territoires ruraux, la création du conseiller territorial, qui était envisagée,…

Mme Sophie Primas. Excellente réforme !

M. Didier Guillaume. … aurait diminué le nombre d’élus par deux. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Relisez la loi !

Mme Sophie Primas. Elle était excellente !

M. Didier Guillaume. Bien au contraire, nous voulons maintenir le nombre d’élus à son niveau actuel.

M. Benoît Huré. Vous le divisez par deux !

M. Didier Guillaume. Les cantons seront plus grands : ils sont identiques à ceux que vous alliez créer. Simplement, chacun d’entre eux comptera deux fois plus d’élus que ce que vous aviez prévu. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

En effet, nous pensons que la proximité et le lien avec le territoire sont essentiels, et nous voulons les préserver ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Sophie Primas. Mensonges !

M. Didier Guillaume. En bref, notre perception du monde rural doit changer.

Pour m’en tenir au thème de notre débat de cet après-midi, je soulignerai de façon très rapide quatre défis auxquels est confronté le monde rural et sur lesquels, chers collègues de l’opposition comme de la majorité, nous pouvons tous nous retrouver, tant en termes de constats qu’en termes de propositions.

Le premier défi, dont nous parlent tous les jours les personnes âgées comme les habitants des villages très reculés de montagne, est celui de la santé.

Les territoires vont-ils continuer à se vider de personnels médicaux ? Les zones rurales seront-elles de plus en plus nombreuses à ne plus avoir ni permanence de soins ni médecins ? Non ! Le Gouvernement, avec le Pacte territoire-santé présenté par Mme Touraine, veut combattre ce déclin.

M. Gérard Bailly. Nous verrons !

M. Didier Guillaume. Combattons-le ensemble ! Il faut moderniser l’appareil de santé, moderniser les maternités, moderniser les hôpitaux locaux. Les médecins ne doivent pas quitter les territoires ruraux ; il faut les conforter dans leur implantation rurale. Nous nous y employons !

Le deuxième défi est, tout simplement, celui de l’école. Beaucoup de nos villages – plus tristes que les autres… – n’ont d'ores et déjà plus élèves ni école.

Depuis des années, chaque rentrée scolaire amenait son lot de fermetures de classes en zone rurale. Cette année, le Gouvernement, en créant des postes et en les pourvoyant dès la rentrée,…

M. Gérard Bailly. Ce n’est pas vrai !

M. Didier Guillaume. … a permis des ouvertures de classes en zones rurales. (Mme Odette Herviaux applaudit. – Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Daniel Laurent. Il a surtout créé des charges supplémentaires !

M. Didier Guillaume. Voilà encore un point positif.

Le troisième défi a été évoqué : c’est celui du numérique. En la matière, grâce aux schémas régionaux et départementaux et au Fonds national pour la société numérique, lequel avait été créé avec zéro euro, les collectivités locales sont, depuis quelques années – cinq, six, sept ans peut-être –, à la pointe des réseaux et des usages.

M. Didier Guillaume. Nous devons tous nous battre pour que, demain, par la création des réseaux et par les usages que nous en ferons, la ruralité soit couverte par les liaisons FTTH. Beaucoup de régions et de départements se sont déjà engagés dans ce combat.

Bien évidemment, le quatrième défi est celui de l’économie. Combien de commerçants, combien d’artisans, combien de TPE font vivre les territoires ruraux ? Du reste, dans les zones de montagne ou les territoires très reculés, ce sont les associations d’aide à la personne qui sont les premiers employeurs, et ces emplois de l’économie sociale et solidaire ne sont pas délocalisables !

J’aurais pu citer beaucoup d’autres défis auxquels le monde rural doit faire face, notamment, monsieur le ministre, celui de l’agriculture ! J’aurais alors porté un message d’espoir parce que vous avez sauvé la politique agricole commune. Néanmoins, il faut encore aller plus loin. Il faut régler le problème du foncier. Il faut lutter contre l’artificialisation des terres. Il faut faire en sorte que les 5 000 installations prévues soient effectives ; jusqu’à présent, on en décidait beaucoup plus, mais sur le papier…

Monsieur le ministre, si vous souhaitez que la ruralité se développe véritablement, je vous le dis tout de go : le loup est incompatible avec le pastoralisme ! (Sourires. – M. François Fortassin applaudit.) Je ne pouvais pas ne pas en parler…

Monsieur le ministre, mes chers collègues, de la même manière qu’il existe des contrats urbains de cohésion sociale et des contrats d’agglomération pour les villes, mettons-nous autour de la table pour créer les « contrats ruraux de cohésion territoriale » : c’est par un tel accord gagnant-gagnant entre l’État, les collectivités locales et les acteurs de la ruralité que nous arriverons à relever les défis du monde rural ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Camani.

M. Pierre Camani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le monde rural est un espace en constante évolution et en éternelle recomposition. Comme le monde urbain, il réagit aux évolutions technologiques et sociétales, parfois rapides, mais agit aussi sur elles.

Selon l’INSEE, les trois quarts des communes, soit 95 % de la population, vivent dans l’aire d’influence des villes.

Depuis le début des années 2000, nous assistons à une inversion de la tendance démographique de l’après-guerre. L’exode rural se transforme en exode urbain : 75 % des cantons ruraux voient leur population progresser. Les Français aiment leur espace rural et 10 millions de citadins nourriraient le projet ou le désir de vivre en milieu rural.

La formule de Jean-François Gravier, « Paris et le désert français », n’est plus de mise. Une dynamique des territoires s’est mise en place depuis les années soixante et s’est accentuée avec les politiques de décentralisation des années quatre-vingt. Les inégalités régionales se sont considérablement réduites, même si les inégalités infrarégionales et infradépartementales restent importantes.

Élu du treizième département le plus rural de France, je mesure chaque jour les difficultés qui ont provoqué le malaise des territoires. Oui, chaque jour, je mesure les défis que nous avons à relever pour combattre les fractures, accentuées par les politiques publiques du précédent gouvernement et par les évolutions sociétales et technologiques.

Comme beaucoup d’autres, mon département a souffert de la stigmatisation des territoires et du désengagement de l’État, lequel s’est traduit par la fermeture de nombreux services publics ces dix dernières années.

La révision générale des politiques publiques, réalisée dans une logique purement comptable, a constitué un non-sens en matière d’aménagement de l’espace national et s’est traduite par un malaise profond des populations au sein des territoires.

Monsieur le ministre, les défis sont nombreux pour le nouveau gouvernement, dans un contexte économique et financier exceptionnellement dur dont nous savons qu’il va peser sur les politiques publiques et les rendre plus difficiles.

Cependant, nous sommes confiants, parce que la nouvelle approche du Gouvernement a pour matrice la reconnaissance du rôle majeur que jouent les collectivités locales dans les dynamiques économiques, sociales et territoriales. Cette nouvelle confiance dans l’intelligence des territoires nous permettra de mieux faire face, ensemble, aux nouveaux défis du monde rural.

Au-delà des enjeux majeurs concernant l’agriculture, l’économie rurale, les services publics, la péréquation et les capacités financières des collectivités qui animent les territoires ruraux, je souhaite revenir à mon tour sur deux thèmes qui constituent des défis particulièrement sensibles et urgents pour les territoires ruraux : la démographie médicale et le très haut débit.

La question de la démographie médicale a déjà été évoquée par Jean-Luc Fichet, dont je fais miennes les analyses. Je veux simplement rappeler ici que l’urgence est avérée et que, si nous ne prenons pas rapidement les mesures adaptées, la situation pourra devenir irréversible dans certains territoires ruraux ou même périurbains.

En Lot-et-Garonne, la démographie médicale est telle que, avec les départs en retraite prévus pour ces cinq prochaines années, un tiers du territoire pourrait se retrouver sans médecin si la tendance au non-remplacement n’était pas inversée. C’est pour cette raison que le département, en partenariat avec les services de l’État, les professionnels de santé et l’ensemble des acteurs intéressés, a mis en place une commission départementale de la démographie médicale. Celle-ci a établi un cadre pour l’accueil et l’exercice des professionnels de santé, autour de quinze aires de santé qui concernent tout le département.

Dans ces aires, les professionnels sont regroupés en réseau et bénéficient de maisons de santé multisites. Ils doivent établir un projet de santé qui définit et organise les moyens d’accéder aux soins dans chacune des aires de santé.

Le très haut débit constitue également un enjeu majeur pour l’avenir de nos territoires : un enjeu en termes d’attractivité, de compétitivité économique, sociétale et territoriale ; un enjeu à la mesure de ce que fut la généralisation de l’adduction de l’eau et de l’électrification par le passé.

Le Président de la République a très clairement indiqué sa volonté de faire du très haut débit une priorité pour notre pays – c’était le quatrième engagement de son programme électoral.

La mission « Très haut débit », installée par Fleur Pellerin, a récemment présenté son projet de feuille de route pour une « stratégie nationale de déploiement du très haut débit ». Elle ouvre des perspectives intéressantes pour le déploiement de cette technologie, avec la mise en perspective de l’extinction progressive de la boucle cuivre et le rôle prépondérant donné aux collectivités territoriales dans l’élaboration et la mise en œuvre des déploiements sur l’intégralité de notre territoire, y compris dans les zones denses. L’architecture assurant une complémentarité entre le département, pour le déploiement, et la région, pour la commercialisation, me paraît aussi novatrice et efficace.

Les territoires ruraux sont en attente de mesures fortes concernant le déploiement de ces réseaux, ainsi que des financements qui permettront aux collectivités territoriales d’agir, mais des incertitudes pèsent encore en la matière. À cet égard, j’appelle de mes vœux un abondement pérenne du Fonds d’aménagement numérique du territoire, un fonds national.

Le monde rural n’est pas replié sur lui-même. Il est capable de faire face à ces nouveaux défis et de construire un avenir meilleur, pour peu que l’État donne l’impulsion et s’engage aux côtés des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que dernière intervenante dans ce débat, je veux aborder un enjeu souvent oublié dans les défis du monde rural – il l’a encore été aujourd'hui. Je veux parle de l’avenir des territoires insulaires, qui, pourtant, participent au rayonnement maritime et au dynamisme littoral et touristique de notre pays.

Ces territoires représentent souvent un véritable condensé des potentialités des territoires ruraux, mais aussi des problèmes qu’ils connaissent.

Mes chers collègues, nous sommes nombreux à aimer les îles,… l’été, pendant les vacances. Mais nous sommes bien peu à connaître réellement les difficultés des îliens et les combats quotidiens de leurs élus, ne serait-ce que pour garder leur population.

Toujours concernées par l’application de la loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite « loi Littoral », contraintes sur le plan financier, ne pouvant bénéficier de ressources intercommunales suffisamment importantes, fragilisées par la spéculation immobilière et par la disparition des rares activités productrices, nos îles métropolitaines ou ultramarines, lesquelles connaissent parfois la « double insularité », doivent faire face à des tensions extrêmes, qui menacent très directement leur attractivité, le caractère soutenable de leur développement et donc, tout simplement, leur survie.

Les plus petites de nos îles, autrefois habitées, sont désormais vides d’habitants. Pour elles, c’est déjà trop tard ! Mais, pour les plus grandes, celles qui ont encore une population, l’inquiétude est grande.

Pour reprendre la typologie de Philippe Perrier-Cornet et Bertrand Hervieu, le retrait de la puissance publique, le départ des jeunes ménages et les multiples inquiétudes des entrepreneurs pourraient, à plus ou moins long terme, réduire les territoires insulaires à n’être plus que cette « campagne nature » ou à cette « campagne cadre de vie », qui ne vit que pendant la période estivale et les vacances scolaires.

Les dangers de cet appauvrissement fonctionnel des îles sont bien identifiés par les acteurs locaux et entraînent d’ores et déjà des ruptures majeures dans la continuité de service et d’animation : infrastructures de santé insuffisantes ou inadaptées, à Belle-Île comme à Marie-Galante, renchérissement des coûts de tous les approvisionnements, pressions résidentielles sur des espaces particulièrement sensibles et difficultés à assurer ce que l’on appelle la « continuité territoriale ».

Monsieur le ministre, il appartient donc à la puissance publique de s’engager rapidement pour encourager les dynamiques économiques et productives, notamment à travers le maintien et l’installation de producteurs écoresponsables dans les secteurs de la pêche et de l’agriculture. Il lui appartient également de soutenir les entreprises et les industries innovantes qui créent des emplois insulaires – je pense particulièrement à l’exemple des conserveries de Groix, dont les produits ont été récompensés lors du dernier SIAL –, à l’origine de l’implantation de nouveaux ménages avec enfants et donc du maintien de la population et des écoles.

Par conséquent, il faudra absolument adapter nos réglementations métropolitaines aux spécificités de ces territoires, notamment pour ce qui est des dotations, de la santé ou du tourisme.

Si les futures décisions nationales doivent bien évidemment s’inscrire dans le cadre de la politique de cohésion de l’Union européenne, elles devront être déclinées beaucoup plus finement dans les contrats de projets État-régions.

Monsieur le ministre, tels sont les nouveaux défis des territoires insulaires, qui, comme tous les autres territoires ruraux, entendent bien contribuer pleinement au dynamisme et donc au redressement de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)