3

Demandes d’avis sur des projets de nomination au Conseil constitutionnel

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date du 12 février 2013, M. le Premier ministre a porté à ma connaissance que M. le Président de la République envisage de nommer aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel Mme Nicole Maestracci, en remplacement de M. Pierre Steinmetz.

Conformément à l’article 56 de la Constitution, la procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution est applicable à cette nomination.

En conséquence, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée.

La demande d’avis a été transmise à la commission des lois, qui procédera à l’audition publique de Mme Nicole Maestracci.

Conformément aux mêmes dispositions, j’ai saisi la commission des lois pour qu’elle procède à l’audition et émette un avis sur la nomination de Mme Nicole Belloubet que j’envisage de nommer aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel, en remplacement de Mme Jacqueline de Guillenschmidt.

Acte est donné de cette communication.

4

Demande de création d’une commission d’enquête

M. le président. Par lettre en date du 12 février 2013, M. François Rebsamen, président du groupe socialiste et apparentés, a fait connaître que son groupe exercera son droit de tirage, en application de l’article 6 bis du règlement, pour la création d’une commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage.

La conférence des présidents prendra acte de cette création lors de sa réunion du 20 février prochain.

5

Demande de création d’une mission commune d’information

M. le président. Par lettre en date du 12 février 2013, M. Jean Vincent Placé, président du groupe écologiste, a fait connaître que son groupe exercera son droit de tirage, en application de l’article 6 bis du règlement, pour la création d’une mission commune d’information sur l’action extérieure de la France en matière de recherche et de développement.

La conférence des présidents prendra acte de cette création lors de sa réunion du 20 février prochain.

6

Renvoi pour avis

M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi (n° 349, 2012-2013) ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des affaires sociales.

7

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes
Discussion générale (suite)

Système énergétique sobre, tarification de l’eau et éoliennes

Discussion d'une proposition de loi en nouvelle lecture

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes (proposition n° 270, résultat des travaux de la commission n° 337, rapport n° 336 et avis n° 333).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes
Article 1er A

Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis que le Sénat puisse aujourd'hui débattre de cette proposition de loi, dont la discussion avait été abrégée en première lecture.

La nouvelle version de ce texte, qui vous est présentée aujourd'hui, prend en compte un certain nombre de remarques qui, malgré un débat écourté, avaient été formulées au Sénat ; je pense, notamment, au travail accompli par M. Roland Courteau.

Sans attendre les conclusions du débat national sur la transition énergétique, qui doit nous permettre de programmer, bien au-delà de ce quinquennat, les orientations fondamentales de la politique de l’énergie – avec deux piliers : les économies d’ énergie et le développement des énergies renouvelables –, le Gouvernement a souhaité soutenir cette proposition de loi, qui comporte des mesures de justice sociale et d’efficacité écologique, pour réagir à l’explosion de la précarité énergétique, qui touche 8 millions de Français.

Le texte qui vous est présenté garde le même objectif fondamental, à savoir inciter à la réalisation d’économie d’énergies et à des comportements plus vertueux, mais il est substantiellement différent pour ce qui concerne les modalités techniques du bonus-malus, afin de tenir compte d’un certain nombre de remarques.

À la demande des présidents de commission, François Brottes et Daniel Raoul, j'ai d'abord souhaité que le Conseil d'État soit saisi des modalités du bonus-malus. Un avis du Conseil d'État a ainsi été rendu le 6 décembre dernier. Je l'ai immédiatement transmis aux présidents de commission. J'ai aussi souhaité rendre public cet avis, qui figurera dans le rapport annuel du Conseil d'État.

Le Gouvernement a largement apporté son concours aux modifications portées au titre Ier, qui instaure le bonus-malus, lors de l'examen en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale le 17 janvier dernier. Plusieurs modifications importantes améliorent le texte. J’ajoute que cette nouvelle version du titre Ier prend également en compte certaines propositions du Sénat.

Le bonus-malus a ainsi gagné, en premier lieu, une dimension pédagogique, en permettant à chaque consommateur de mieux connaître l’état de sa consommation pour l’inciter à la maîtriser.

Dans le texte qui vous est soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, le bonus-malus reste bien entendu fidèle à ses principes fondateurs : il s’appliquera d’abord aux énergies de réseau, c'est-à-dire l'électricité, le gaz et la chaleur ; il tiendra compte du nombre de personnes occupant le logement et du climat de la commune où il se situe. Cette adaptation ne remet pas en cause la tarification unique du kilowattheure et le prix de l'énergie restera ainsi le même pour tous, partout en France. C’est seulement le bonus-malus qui sera adapté au nombre de personnes dans le logement, au mode de chauffage utilisé à titre principal et à la commune où vit le ménage.

Les modifications apportées au mécanisme de bonus-malus concernent, en premier lieu, l'entrée en vigueur de ce dispositif, qui est reportée au 1er janvier 2015. Ainsi, le plan de rénovation thermique des logements pour lutter contre les « passoires énergétiques » sera largement déployé. L’année 2013 sera consacrée à l’adoption des textes réglementaires et l’année 2014 à la mise en place du processus de collecte des données et au calage des niveaux de bonus-malus.

Deuxième évolution majeure, le bonus a été revu afin de le calculer non plus en fonction de la notion – qui avait été largement débattue – de besoins essentiels, mais en fonction de la consommation moyenne des Français les plus sobres. Ainsi, le volume de base qui ouvrira droit au bonus correspond à la consommation des 25 % de Français ayant une consommation raisonnable d'énergie.

Pour les consommations inférieures à ce volume de base, le bonus s'appliquera ; ces consommations seront donc facturées moins cher. Concrètement, ce sont 75 % des ménages qui verront leur facture baisser en application du bonus-malus. (M. Jean-Claude Lenoir s’exclame.) Pour trois Français sur quatre, il y aura donc un bonus net à la mise en place du dispositif,…

M. Jean-Claude Lenoir. Trois Français sur quatre !...

Mme Delphine Batho, ministre. … avec un effet social redistributif important, car, selon les premières simulations réalisées, parmi les ménages les moins aisés, 87 % constateront un gain net sur leur facture, contre 66 % des ménages les plus aisés.

À l'inverse, pour les factures qui augmenteront en application du malus renforcé, le surcoût sera deux fois plus important pour les ménages les plus aisés que pour les moins aisés d’entre eux.

Troisième évolution notable, le malus sera d'abord pédagogique – comme le souhaitait M. Roland Courteau – lors de l'entrée en application du dispositif. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Ce malus pédagogique, qui répond au souhait, exprimé par les sénateurs, que les ménages ne se trouvent pas pénalisés parce qu’ils vivent dans une passoire énergétique, pourra être ensuite ajusté chaque année, afin d'organiser la montée en puissance du dispositif à mesure que les autres politiques de sobriété énergétique porteront leurs fruits ; je pense, en particulier, au plan de rénovation énergétique.

Le législateur sera pleinement associé à l'évolution du bonus-malus qui, certes, sera fixé par la voie réglementaire, mais qui pourra être discuté, chaque année, lors de l’examen du projet de loi de finances.

Autre évolution importante, pour les ménages éligibles aux tarifs sociaux – tout particulièrement ceux qui sont logés dans des passoires énergétiques –, le malus pourra être réduit à un euro symbolique, afin de ne pas obérer un pouvoir d’achat déjà fragile. Cette modification correspond à la volonté d’un certain nombre de parlementaires.

Quatrième évolution, le malus pédagogique est complété par un deuxième niveau, le malus dissuasif, qui frappera les consommations extravagantes. Ce dispositif sera réservé aux consommations excessives et sanctionnera donc les gaspillages. Ces consommations sont définies comme étant celles qui sont au moins trois fois supérieures aux consommations raisonnables correspondant au volume de base.

Cinquième évolution, la collecte des données pour calculer le bonus-malus sera confiée à un organisme public désigné par l'État. Ce n'est plus à l'administration fiscale que reviendra cette tâche, mais à un organisme à maîtrise publique, et l’on pense en particulier à Électricité réseau distribution France, ERDF.

Les adresses des logements et le nombre de personnes composant chaque ménage sont des données déjà connues. Il ne restera qu’à les compléter par le mode de chauffage principal utilisé dans le logement. Je tiens à le préciser très clairement, cette collecte ne provoquera pas de recrutements massifs, ni de coût exorbitant. Elle sera d'ailleurs financée par le dispositif lui-même.

D'autres modifications ont été apportées pour tenir compte de l'avis du Conseil d'État.

Les résidences secondaires seront soumises à un régime adapté, comme le Conseil d’État l’a suggéré, pour éviter que les résidences secondaires ne bénéficient d’une sorte de bonus. Pour les immeubles d'habitation à chauffage collectif, l’adoption d’un amendement en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale a permis d'avancer la date de la généralisation des compteurs individuels.

Cette proposition de loi, outre le mécanisme du bonus-malus, comprend d’autres dispositions utiles et attendues.

Tout d’abord, en ce qui concerne le service public de la performance énergétique, elle remédie au défaut d’opérateur pour accompagner les Français dans le cadre de la réhabilitation de leur logement, qu'il soit collectif ou individuel. Ce dispositif sera l’un des piliers du plan de rénovation thermique, qui concernera 500 000 logements anciens par an.

Ensuite, la proposition de loi étend le bénéfice des tarifs sociaux. Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a pris, en décembre dernier, un arrêté en ce sens. Je souhaite d'ailleurs revenir un instant sur les dispositions de ce texte et sur celles de la proposition de loi.

L'arrêté augmente le plafond de ressources pour les tarifs sociaux de l'électricité et du gaz. Auparavant fixé au niveau de celui qui ouvre droit à la couverture maladie universelle complémentaire, ce plafond est porté au niveau de celui qui ouvre droit à l'aide au paiement d'une assurance complémentaire de santé. Concrètement, pour une personne seule, le plafond pour bénéficier des tarifs sociaux de l’électricité et du gaz passe ainsi de 661 euros par mois à 893 euros par mois.

Pour un ménage se chauffant au gaz, cela représente, pour une consommation moyenne, un gain de pouvoir d’achat d’environ 200 euros par an, ce qui est tout à fait substantiel.

Le nombre de foyers bénéficiaires des tarifs sociaux se trouve ainsi porté de 1,2 million à 1,7 million. Ce dernier chiffre a pu être atteint en agissant par la voie règlementaire, mais il reste très en deçà de l'objectif qui avait été fixé par le Président de la République, à savoir toucher 4 millions de foyers.

Pour atteindre cet objectif, la loi est indispensable. En effet, il faut disposer de critères de revenus connus des services fiscaux pour toucher les 2,3 millions de foyers restants. Or la Commission nationale de l’informatique et des libertés impose une base législative pour croiser les données fiscales avec les données des organismes d'assurance maladie.

Par ailleurs, l'extension des tarifs sociaux à 4 millions de foyers, soit environ 8 millions de bénéficiaires, nécessite de conforter juridiquement le tarif social de l'électricité en permettant à tous les fournisseurs de le proposer. Voilà pourquoi le vote de la disposition législative concernée, qui figure dans la proposition qui vous est soumise, est indispensable.

Une troisième disposition, très attendue, est celle qui porte sur l’effacement industriel, avec la possibilité ouverte pour RTE, le Réseau de transport d'électricité, de lancer des appels d’offres, et sur l’effacement diffus. Vous le savez, le 19 décembre dernier, j'ai pris un décret sur la mise en place du mécanisme de capacité, et ces dispositions sur l’effacement, qui permettent de valoriser les économies d’énergie réalisées soit par les industriels, soit dans le cadre de l’effacement diffus, sont très attendues.

J’en viens aux mesures d’urgence pour l’éolien, dont dépend directement l’avenir de 11 000 emplois en France, compte tenu de l’effondrement des projets d’implantation d’éoliennes au cours de l’année 2012. Vous le savez, des mesures d’urgence de relance de l’ensemble des filières d’énergie renouvelable sont très attendues. Je rappelle par ailleurs que l’éolien terrestre figure aujourd’hui parmi les énergies renouvelables les plus compétitives.

Le texte prévoit enfin l’expérimentation de la tarification progressive de l’eau.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’ambition de lier de façon indissociable la question sociale et la question écologique est au cœur de cette proposition de loi. C’est pourquoi le Gouvernement a voulu associer l’extension des tarifs sociaux de l’énergie – 8 millions de Français seront concernés – à un message de responsabilisation vertueux en matière de maîtrise de la consommation et d’économies d’énergie.

Les inégalités en matière de besoins énergétiques pour chauffer son logement ou pour se déplacer sont criantes selon son lieu et son type d’habitation. Il s’agit en quelque sorte d’une double précarité énergétique liée au logement et à la mobilité. Cette précarité énergétique touche aujourd’hui 13 % des ménages, soit 8 millions de personnes. Elle est le symptôme le plus évident des inégalités environnementales dans l’accès à l’énergie, mais elle s’ajoute aux inégalités liées aux déplacements ou à l’accès aux transports collectifs.

Développer cette approche, celle de la « social-écologie » (Exclamations sur les travées de l'UMP.), consiste à identifier dans l’analyse le caractère inextricablement lié des enjeux sociaux et des défis environnementaux ; c’est reconnaître les enjeux écologiques de la question sociale et relever les enjeux sociaux des questions écologiques.

Une politique social-écologique consiste à articuler enjeux sociaux et défis environnementaux pour permettre un progrès dans l’une et l’autre des dimensions simultanément. Voilà pourquoi le Gouvernement souhaite que soient votées dans la même proposition de loi l’extension des tarifs sociaux de l’énergie et la mise en place du mécanisme de bonus-malus.

L’introduction d’un tel mécanisme dans la facture d’électricité ou de gaz représente, j’en conviens, une véritable innovation. C’est une évolution conceptuelle, un tournant qui, comme tout changement, suscite des critiques et des réticences. Il y a des obstacles, mais j’ai la conviction que nous sommes sur la bonne voie.

J’ai profondément confiance dans la valeur de cette idée nouvelle, selon laquelle la plus grande marge de manœuvre que nous ayons pour améliorer le pouvoir d’achat des familles face à l’explosion des factures d’électricité et de gaz, ce sont les économies d’énergie, bien sûr à niveau de confort égal – c’est là un point extrêmement important.

Cette idée que les économies d’énergie doivent désormais être une priorité pour notre nation est consensuelle. Elle nous rassemble. Elle figure d’ailleurs déjà dans les engagements que la France a pris à l’échelle européenne dans le cadre du paquet énergie-climat, puisque notre pays a promis de réduire de 20 % sa consommation d’énergie d’ici à 2020.

Toutefois, le problème aujourd’hui réside non pas dans l’objectif, mais dans les moyens de l’atteindre. Force est de constater que sur ces 20 % d’économies d’énergie auxquels nous nous sommes engagés, seuls trois points ont été réalisés, ce qui signifie que quelque 85 % du chemin restent à faire.

Pis, nous avons enregistré un recul en 2012, en raison d’un hiver rigoureux, mais aussi du recours plus important aux centrales à charbon du fait de l’augmentation de la pointe électrique. Cette situation devrait nous faire réfléchir. La part du charbon dans la production d’électricité en France est passée en 2012 de 2,5 % à 3,3 %, soit une hausse de 35 %.

Cette hausse est liée à la pointe électrique, mais aussi au prix du CO2, sur lequel nous reviendrons sans doute dans le débat, puisque les enchères carbone doivent alimenter notre programme national de rénovation des logements.

Je voulais donc insister sur l’enjeu de traiter la pointe électrique et sur l’effort vigoureux auquel nous devons nous atteler en matière d’économies d’énergie, faute de voir augmenter – c’est un comble – la part du charbon dans la production d’électricité en France.

Nous sommes, j’en suis convaincue, sur la bonne voie. Dans un sondage, 71 % des Français interrogés se sont déclarés favorables à la mise en place d’un mécanisme de bonus-malus qui les inciterait davantage à prêter attention à leur consommation énergétique. Plusieurs autres enquêtes le confirment. Selon un sondage du médiateur national de l’énergie, 61 % des foyers jugent que le bonus-malus les inciterait à diminuer leur consommation.

Ne soyons donc pas en retard sur cette idée qui est en train de s’imposer dans la société française. Les citoyens sont prêts à la mise en place de ce mécanisme. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Claude Lenoir. C’est beaucoup dire !

Mme Delphine Batho, ministre. Si les Français y sont favorables, c’est parce que c’est une mesure de bon sens et j’espère que le Sénat, dans sa sagesse, fera preuve du même bon sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes au terme d’un long parcours concernant la proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes. Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir reconnu le travail réalisé par notre collègue Roland Courteau, qui ne peut être parmi nous aujourd'hui pour des raisons personnelles et pour lequel j’ai une pensée particulière en entamant cette intervention.

Le Sénat a rejeté une première fois le texte le 30 octobre 2012 dans la version adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, en adoptant une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

La commission mixte paritaire, réunie le 19 décembre dernier, n’a pas eu beaucoup d’efforts à faire pour ne pas établir un texte commun. La proposition de loi a donc été examinée en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, qui l’a adoptée le 17 janvier 2013. Ce texte, Mme la ministre l’a souligné, a subi de nombreuses modifications et améliorations ; il a en tout cas pris en compte un certain nombre de remarques que nous avions formulées en première lecture.

J’insiste sur le fait que nous sommes en train d’examiner le texte non pas en deuxième lecture, mais en nouvelle lecture. Il est donc soumis à la règle dite « de l’entonnoir », et même « de la seringue », en l’espèce, puisqu’elle est encore plus stricte, c’est-à-dire qu’aucun amendement ne pourra plus être déposé par les députés ou par le Gouvernement lors de la lecture finale à l’Assemblée nationale. L’extrémité de l’entonnoir devient une tête d’épingle ! (Sourires.)

Veuillez m’excuser d’employer ce néologisme, mais cette règle est une nouveauté. Tout le monde ne partage pas cette analyse de la Constitution, mais, par prudence, nous nous en sommes tenus à cette interprétation retenue par l’Assemblée nationale. Je crois que c’était la sagesse, car je présume que certains d’entre nous – je me tourne vers notre collègue Jean-Claude Lenoir – souhaiteront transmettre ce texte à une autorité compétente en la matière…

M. Jean-Claude Lenoir. Je n’ai rien dit !

M. Daniel Raoul, rapporteur. Pas encore ! (Sourires.) Ce texte, comme nous le verrons, a beaucoup évolué au cours de la nouvelle lecture. Je souhaite saluer le travail des députés et de leur rapporteur, ainsi que, madame la ministre, l’implication du Gouvernement, qui ont permis d’améliorer le texte en prenant en compte certaines préconisations que nous avions faites en première lecture.

La commission des affaires économiques, tout en notant les évolutions intervenues, a jugé celles-ci insuffisantes et a de nouveau rejeté l’ensemble du texte lors de sa réunion du mercredi 6 février. Elle avait d’ailleurs adopté un certain nombre d’articles, mais rejeté l’article 1er.

C’est donc du texte adopté par l’Assemblée nationale le 17 janvier dernier que nous allons débattre et non du texte de la commission, comme le prévoit la Constitution. C’est également ce texte, et non celui qui aurait pu être éventuellement adopté par le Sénat, qui sera transmis à l’Assemblée nationale pour une lecture définitive.

Je souhaite toutefois rappeler que la procédure de la lecture définitive ne signifie pas que le Sénat reste impuissant face au texte de l’Assemblée nationale. Bien au contraire, il est le dernier lieu où l’on peut encore faire évoluer les choses : l’Assemblée nationale, conformément à l’article 45 de la Constitution, aura la possibilité, en lecture définitive, de retenir des amendements adoptés par le Sénat, mais pas d’en adopter de nouveaux. C’est vrai pour les députés comme pour le Gouvernement.

C’est donc devant notre assemblée, aujourd’hui, que peuvent être apportées les ultimes améliorations au texte, que les députés seront libres de conserver ou non. Toutefois, si le Sénat rejette le texte final, aucune modification ne pourra plus être apportée. Autrement dit, l’Assemblée nationale reprendra son texte et l’adoptera tel quel l’avait adopté en nouvelle lecture.

M. Daniel Raoul, rapporteur. À moins qu’elle ne décide, hypothèse fort improbable, de le rejeter entièrement.

M. Ladislas Poniatowski. Vous m’avez bien compris. (Sourires.)

M. Daniel Raoul, rapporteur. Vos désirs, monsieur Poniatowski, ne seront pas forcément réalisés.

Rappelons par ailleurs que la procédure de l’entonnoir est particulièrement stricte en nouvelle lecture : conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les seuls amendements susceptibles d’être adoptés à ce stade de la procédure, je le répète, doivent être en relation directe avec une disposition du texte en discussion ou consister en de simples coordinations juridiques.

Ce matin, en commission, j’ai eu la faiblesse de vous laisser présenter un amendement qui aurait dû être déclaré irrecevable selon la théorie de la seringue, monsieur Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Ne le dites pas publiquement, monsieur le président de la commission !

M. Daniel Raoul, rapporteur. En effet, celle-ci est plus contraignante que la règle de l’entonnoir.

En tout cas, je pourrais résumer l’esprit de ce texte en disant qu’il s’inscrit dans la redéfinition des objectifs de la politique énergétique, sans pour autant présumer des conclusions du débat national qui aura lieu sur la transition énergétique, dont les ateliers sont en cours. Certains affirment que les mesures proposées auraient dû attendre la fin de ce débat, mais pourquoi attendre pour étendre les tarifs sociaux ou pour relancer le secteur éolien ?

Quant au bonus-malus, il s’inscrit dans la politique d’économies d’énergie, qui fait aujourd’hui consensus malgré les arrière-pensées des uns ou des autres. Nous savons en effet que nous ne pourrons pas continuer indéfiniment à épuiser chaque année un peu plus les sources d’énergie dont nous disposons. Nous devons donc considérer les économies d’énergie comme une ressource en soi, autrement dit comme un gisement qu’il s’agit d’exploiter partout où il se trouve.

Le défi le plus important aujourd’hui réside sans aucun doute dans le secteur du bâtiment et tout particulièrement dans le logement. Celui-ci représente 32,2 % de la consommation finale énergétique dans notre pays, et c’est là que se trouve le gisement d’économies d’énergie le plus important. À cet égard, mes chers collègues, je vous renvoie aux deux derniers rapports du Conseil économique, social et environnemental sur le sujet, qui accordent la priorité à la performance énergétique des bâtiments.

Nous devons donc commencer par le logement pour conduire sans attendre une politique de maîtrise de la consommation d’énergie très ambitieuse, comme s’y est engagé le Président de la République. En effet, les techniques sont maîtrisées et le stock de bâtiments à traiter est considérable : 75 % du parc des logements qui seront encore utilisés en 2050 sont déjà construits.

Un effort important doit cependant porter sur la formation professionnelle et le diagnostic de performance énergétique, le DPE, sur lequel a enquêté l’association UFC-Que Choisir. Je suis sûr que nous en reparlerons, en particulier lors de la table ronde du 27 février prochain. Celle-ci réunira ces frères ennemis, si j’ose dire, que sont la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB, et la Fédération française du bâtiment, la FFB. Ces deux organismes ont des positions quelque peu divergentes... (Sourires.) En tout cas, nous souhaitons les entendre.

L’enjeu est tout autant social qu’environnemental : consommer moins, c’est aussi « habiter mieux » – je vous sais sensible à cette expression, monsieur Merceron – et dépenser moins. La présente proposition de loi contribue à la définition de cette politique en créant, à l’article 6, le service public de la performance énergétique de l’habitat.

C’est aussi dans ce cadre que s’inscrit la mesure emblématique de la proposition de loi : le fameux bonus-malus sur les consommations domestiques d’énergies de réseau, mis en œuvre par l’article 1er. C’est une version profondément transformée, et améliorée, de ce dispositif qu’il nous revient aujourd'hui d’analyser. Mme la ministre a rappelé les différentes évolutions de ce texte, en particulier sur le traitement des fichiers. Je n’y reviens pas.

Je rappellerai en quelques mots le fond de ce texte. Trois tranches de consommation sont définies pour la consommation d’électricité, de gaz et de chaleur en réseau. Les limites dépendent du nombre d’occupants du logement, du mode de chauffage et de la localisation géographique. Un bonus est appliqué sur la partie de la consommation comprise dans la première tranche, un malus modéré sur la partie de la consommation comprise dans la deuxième tranche et un malus plus important dans la troisième tranche. Le malus est minoré par arrêté, vous l’avez rappelé, madame la ministre, pour les personnes bénéficiant des tarifs sociaux.

Un mécanisme particulier est mis en place dans les immeubles collectifs avec chauffage commun. Il prévoit en particulier l’installation, d’ici au 1er janvier 2015, de dispositifs permettant de compter l’énergie de chauffage consommée dans chaque logement, ce qui suppose la mise en place de compteurs individuels.

Or ces compteurs, déjà prévus dans une loi datant de 1974, n’ont jamais été opérationnels. Il faudra pourtant mesurer en 2015 les consommations qui serviront au calcul des premiers bonus versés et des premiers malus collectés en 2016.

La collecte des données personnelles sera organisée par un organisme désigné à cet effet.

Enfin, le montant total des bonus versés devra être équilibré par le montant total des malus collectés, de sorte que le dispositif soit autofinancé et finance aussi la collecte des données, comme l’a rappelé tout à l’heure Mme la ministre. Un compte sera ouvert à cet effet auprès de la Caisse des dépôts et consignations.

S’il reprend l’esprit du dispositif déjà adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, le bonus-malus, tel qu’il a été réécrit en nouvelle lecture par les députés, apporte certaines réponses aux reproches qui lui avaient été adressés : le croisement des données des fournisseurs avec celles de l’administration fiscale a été abandonné ; les critères de calcul des volumes de base ont été quelque peu simplifiés ; le dispositif relatif aux relations entre locataires et propriétaires a été retiré ; un délai plus réaliste de mise en œuvre est défini, puisque les premiers bonus et malus seront appliqués en 2016 sur la consommation de 2015. La précision que vous avez apportée concernant les dates est importante, madame la ministre.

Certains principes proposés par notre rapporteur en première lecture ont été repris par les députés. Malgré cela, la commission des affaires économiques a considéré que le mécanisme demeurait trop complexe et qu’il était porteur d’injustices pour certaines catégories de consommateurs, notamment les ménages à faibles revenus ou les personnes âgées. C’est pourquoi elle a rejeté l’article 1er lors de sa réunion du 6 février dernier.

Avant ce rejet, la commission avait adopté certains amendements que j’avais déposés, en remplacement de Roland Courteau, conscient de la nécessité d’améliorer encore le texte.

J’avais notamment proposé, en reprenant une idée déjà avancée en première lecture, que les sommes dégagées par le malus soient entièrement consacrées à la politique d’amélioration de la performance énergétique des logements, en visant en priorité les habitations occupées par des ménages à faibles revenus, lesquels vivent souvent dans des passoires thermiques. L’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH, les services sociaux, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, aideraient à identifier les logements ayant véritablement besoin d’un coup de pouce pour leur rénovation.

Le Conseil économique, social et environnemental préconisait de dégager en priorité des recettes pour ce type d’opération. Compte tenu des contraintes budgétaires que connaît notre pays, lesquelles ont été rappelées par le Premier président de la Cour des comptes tout à l’heure, l’affectation du produit du malus à cette priorité me paraît la solution la plus simple et la plus juste.

La commission a également adopté un autre amendement tendant à réduire considérablement le champ du mécanisme de collecte des données. Il tend à supprimer le bonus de la première tranche – désolé, madame la ministre ! – et le malus de la deuxième tranche, de sorte que des formulaires ne seraient envoyés qu’à 25 % des abonnés.

Le deuxième axe majeur de ce texte est la justice sociale. Il faut prendre en compte les plus précaires.

Tout d’abord, l’article 1er A fait de la lutte contre la précarité énergétique l’un des grands objectifs de la politique énergétique.

Ensuite, l’article 3 étend le champ des bénéficiaires du tarif de première nécessité pour l’électricité afin d’y intégrer les 4 millions de ménages concernés par la précarité énergétique.

Le médiateur national de l’énergie lance des signaux d’alerte : 19 % des dossiers traités en 2012 concernent des consommateurs en difficulté de paiement, contre 15 % en 2011. Plus inquiétant encore : 42 % des foyers en France ont restreint leur chauffage par crainte d’avoir à régler des factures trop élevées. Nous le savons, dans nos territoires, les centres communaux d’action sociale constatent aujourd’hui que les difficultés quotidiennes liées au paiement du loyer ou des factures d’énergie sont devenues le premier élément déclencheur des nouvelles demandes d’aides qui leur sont adressées.

Madame la ministre, vous avez pris les mesures réglementaires qui s’imposaient : grâce à l’arrêté du 21 décembre 2012, les tarifs sociaux de l’électricité et du gaz bénéficient désormais aux ménages ayant droit à l’aide au paiement d’une assurance complémentaire de santé, soit 400 000 foyers supplémentaires.

Comme vous l’avez souligné, il est nécessaire d’aller plus loin, par voie législative. Tel est l’objet de l’article 3. En effet, le passage par la loi est nécessaire, quoi qu’en pensent certains, afin de porter à 4 millions de ménages le nombre de bénéficiaires effectifs des tarifs sociaux.

Enfin, l’article 8 interdit aux fournisseurs de couper l’approvisionnement en énergie pendant les mois d’hiver. Les députés ont complété fort logiquement cette mesure par une interdiction de résilier l’abonnement.

Cette trêve hivernale permettra d’éviter de nombreux drames. On sait très bien en effet que les accidents de la vie sont de plus en plus nombreux. Il ne suffit pas que la trêve s’applique aux bénéficiaires des tarifs sociaux, d’une part, parce qu’on peut se situer juste au-delà des limites de revenus permettant de bénéficier desdits tarifs et avoir des difficultés temporaires pour payer sa facture d’énergie ; d’autre part, parce que l’énergie est aujourd’hui un bien essentiel, qui justifie des mesures de protection particulières.

Par ailleurs, si certains opérateurs ne respectaient pas cette loi, EDF serait l’opérateur de dernier recours, comme ses responsables nous l’ont eux-mêmes confirmé lors de leur audition. Si un opérateur – je ne citerai pas de nom – résiliait un contrat la veille du début de la trêve hivernale, EDF prendrait cet abonné en charge, quelle que soit sa dette éventuelle vis-à-vis de l’opérateur antérieur. EDF a pris un engagement très ferme à cet égard, lequel m’a d’ailleurs surpris.