Sommaire

Présidence de Mme Bariza Khiari

Secrétaires :

MM. Marc Daunis, Alain Dufaut.

1. Procès-verbal

2. Modification de l'ordre du jour

3. Création des zones d'exclusion pour les loups. – Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale : MM. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi ; Stéphane Mazars, rapporteur de la commission du développement durable ; Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

M. Michel Teston, Mme Évelyne Didier, MM. Jean-Paul Amoudry, Jean-Vincent Placé, Pierre Bernard-Reymond, Gérard Bailly, François Fortassin, Charles Revet, Ladislas Poniatowski.

Mme Delphine Batho, ministre.

Clôture de la discussion générale.

Article additionnel avant l'article unique

Amendement n° 2 rectifié de M. Charles Revet. – MM. Charles Revet, le rapporteur, Mme Delphine Batho, ministre ; M. Rémy Pointereau. – Retrait de l’amendement n°2 rectifié, ainsi que de l’amendement n° 3 rectifié portant sur l’intitulé de la proposition de loi

Article unique

Mme Chantal Jouanno, MM. Jean-Jacques Mirassou, Claude Domeizel, Rémy Pointereau, Gérard Bailly, François Fortassin, Michel Teston.

Amendement n° 1 rectifié de Mme Chantal Jouanno. – M. le rapporteur, Mme Delphine Batho, ministre ; M. Charles Revet. – Rejet par scrutin public.

M. Michel Teston, Mme Évelyne Didier.

Adoption, par scrutin public, de l’article unique de la proposition de loi.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

4. Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi

5. Débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle

MM. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, auteur de la demande ; Charles Guené, rapporteur de la mission commune d’information.

Mme Marie-France Beaufils, M. Pierre Jarlier.

Mme la présidente.

Renvoi de la suite du débat.

6. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Secrétaires :

M. Marc Daunis,

M. Alain Dufaut.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Modification de l'ordre du jour

Mme la présidente. Par lettre en date du 28 janvier 2013, le Gouvernement a demandé le retrait de l’ordre du jour du projet de loi autorisant l’approbation du protocole commun relatif à l’application de la convention de Vienne et de la convention de Paris, dont l’examen était prévu le mardi 5 février 2013.

Acte est donné de cette communication.

En conséquence, l’ordre du jour du mardi 5 février 2013 s’établit comme suit :

Mardi 5 février 2013

À 9 heures 30 :

1°) Questions orales

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

À 14 heures 30 :

2°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et l’Institut international des ressources phytogénétiques (IPGRI) relatif à l’établissement d’un bureau de l’IPGRI en France et à ses privilèges et immunités sur le territoire français (n° 582, 2011-2012) ;

3°) Projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 187 de l’Organisation internationale du travail relative au cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail (n° 375, 2011-2012) ;

4°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et l’Agence spatiale européenne relatif au Centre spatial guyanais et aux prestations associées (n° 451 rectifié, 2011-2012) ;

5°) Projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à la construction et à l’exploitation d’un laser européen à électrons libres dans le domaine des rayons X (n° 527, 2011-2012) ;

6°) Projet de loi autorisant l’approbation de la convention relative à la construction et à l’exploitation d’une infrastructure pour la recherche sur les antiprotons et les ions en Europe (n° 606, 2011-2012) ;

7°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française, le Gouvernement du Royaume de Belgique, le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg concernant la mise en place et l’exploitation d’un centre commun de coopération policière et douanière dans la zone frontalière commune (n° 665, 2011-2012) ;

8°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg relatif à la coopération dans leurs zones frontalières entre les autorités de police et les autorités douanières (n° 664, 2011-2012).

(Pour ces sept projets de loi, la conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée. Selon cette procédure, les projets de loi sont directement mis aux voix par le président de séance. Toutefois, un groupe politique peut demander, au plus tard le lundi 4 février, à dix-sept heures, qu’un projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle.)

9°) Suite éventuelle de la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale ;

10°) Projet de loi portant création du contrat de génération (n° 289, 2012-2013).

(La conférence des présidents a fixé :

- à deux heures trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 4 février, dix-sept heures ;

- au lundi 4 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements le mardi 5 février, à quatorze heures.)

De 18 heures 30 à 19 heures 30 :

11°) Débat, sous forme de questions-réponses, préalable à la réunion du Conseil européen des 7 et 8 février 2013.

(La conférence des présidents a décidé que les sénateurs pourront, pendant une heure, prendre la parole – deux minutes maximum – dans le cadre d’un débat spontané et interactif comprenant la possibilité d’une réponse du Gouvernement. La première question sera posée par le président de la commission des affaires européennes.)

À 21 heures 30 :

12°) Suite du projet de loi portant création du contrat de génération.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer des zones d'exclusion pour les loups
Discussion générale (suite)

Création des zones d'exclusion pour les loups

Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du RDSE, de la proposition de loi visant à créer des zones d’exclusion pour les loups, présentée par M. Alain Bertrand (proposition n° 54, texte de la commission n° 276 rectifié, rapport n° 275).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer des zones d'exclusion pour les loups
Article additionnel avant l'article unique

M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à créer des zones de protection renforcée contre le loup ; telle est la modification pertinente proposée par la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire.

Il ne s'agit pas bien sûr, comme je l’ai entendu, d’éradiquer le loup de nos territoires. Il s’agit, au contraire, d’une proposition de loi de bon sens et d’équilibre tendant à protéger le loup là où il doit vivre et l’agropastoralisme là où il doit subsister. C’est donc un texte de protection et même de double protection : du loup et de l’homme.

On peut aussi dire que cette proposition de loi permettra la présence du loup là où elle est souhaitable et acceptable, et la limitera fortement là où elle n’est pas souhaitable.

D’ailleurs, ce texte reprend complètement les possibilités précisées et décrites dans la convention de Berne, le traité sur l’Union européenne de 1992 et le code de l’environnement quand – et seulement dans ces cas-là – surviennent des dommages importants à l’élevage et qu’il n’existe pas de « solution satisfaisante » face à ces dommages.

Les dommages causés à l’élevage sont-ils ou non importants ? C’est la première question à se poser.

Si l’on en croit les derniers chiffres connus, notamment ceux de 2008, 2009, 2010 et 2011 émanant de la préfecture de région Rhône-Alpes, qui s’occupe du plan loup, les attaques indemnisées – et elles seules ! – sont passées, pour la France, de 736 en 2008 à 979 en 2009, puis à 1 090 en 2010, pour exploser à 1 415 en 2011, soit une augmentation de 92 % entre 2008 et 2011.

Les victimes de ces attaques sont essentiellement les ovins : brebis, moutons, béliers. Mais, parmi les victimes, on compte aussi des caprins, des bovins, des équins et même des chiens. Le loup n’épargne pas ses frères ! Le nombre des victimes des attaques de loup – les attaques officielles, cela s’entend – est ainsi passé de 2 680 en 2008 à 4 920 en 2011, soit une augmentation de 83 %.

Bien sûr, cette tendance n’est pas acceptable. Et elle ne reflète qu’une partie des dégâts !

En effet, il y a non seulement des bêtes tuées, dévorées totalement ou en partie le plus souvent, mais aussi des bêtes traumatisées, apeurées, déstabilisées à la vue du carnage et du loup, qui, plus tard, lors des agnelages notamment, perdront leur fécondité – seront vides, comme l’on dit à la campagne ! – ou donneront naissance à des agneaux non viables, faibles ou mal formés !

Je rappelle ici qu’un troupeau est la construction et la recherche, souvent étalées sur plusieurs dizaines d’années, d’une qualité d’animaux adaptés à leur terrain, à leur production par de subtils renouvellements et dosages ! Vingt ans de travail, parfois trente, peuvent ainsi s’envoler à la suite d’une seule attaque de loup !

Mes chers collègues, quel chef d’entreprise accepterait de voir légalement saccager son outil de travail au quotidien sans avoir le droit ni la possibilité de le protéger ? Aucun, bien sûr !

M. Alain Bertrand. C’est pourtant ce que subissent de nombreux agriculteurs, éleveurs ovins aujourd’hui.

Les dommages sont donc importants – les chiffres sont éloquents ! –, le nombre des attaques explose et, au surplus, selon les derniers chiffres du réseau loup – des chiffres officiels ! –, la population de loups s’élevait à 250 durant l’hiver 2011-2012, ce qui correspond à un accroissement en tendance de 17 % par rapport à l’hiver 2010-2011, le calcul résultant de formules mathématiques spécifiques et non d’un simple comptage des loups – on est beaucoup plus prudent ! Le réseau loup précise que, compte tenu de l’hiver peu neigeux et peu rigoureux, ces chiffres sont des minima. Autrement dit, ils sont certainement supérieurs !

Par ailleurs, les fameuses zones de présence permanente, les ZPP, là où le loup est établi en quelque sorte, augmentent, elles aussi, en nombre et en territoire.

Le constat est simple : une situation alarmante, amplifiée et, bien sûr, insupportable, avec une augmentation dramatique des dégâts subis par les agriculteurs et les éleveurs de nos départements.

Sachant qu’il n’est possible de déroger à la protection du loup que si les dommages sont importants – et ils le sont ! – et s’il n’y a pas d’autre solution satisfaisante pour protéger les éleveurs et les élevages, existe-t-il à l’heure actuelle une solution efficace pour protéger l’élevage ?

Si l’on en juge par l’accroissement des dommages, non !

Si l’on juge par la « saga médiatique » consistant à montrer, dans les Alpes ou les Pyrénées, des troupeaux ou des regroupements de troupeaux gardés, enclos temporairement et « armés » de chiens patous, on pourrait dire peut-être ! Malheureusement, ce scénario, sur lequel il y aurait beaucoup à dire, n’est pas reproductible hors des alpages d’altitude.

En effet, l’agropastoralisme extensif est caractéristique des zones de piémont ou de moyenne montagne, comprises entre 700 mètres et 1 500 mètres, c’est-à-dire des zones pauvres en nourriture. Il consiste en la gestion de plusieurs lots de brebis par exploitation, avec des sorties de nuit pour permettre aux bêtes de se nourrir en cas de fortes chaleurs diurnes. On a donc recours à plusieurs enclos avec une brebis à l’hectare, ce qui est très faible. On a affaire à des territoires étendus, à des petits troupeaux, et, corrélativement, à un agropastoralisme qui rend impossible la surveillance permanente des troupeaux. C’est donc tout le contraire de ce qui se passe dans les alpages d’altitude, caractérisés par un pacage d’été ponctuel, une nourriture abondante, des températures diurnes ne nécessitant pas le pacage nocturne, le regroupement de tout un troupeau ou, souvent, de plusieurs troupeaux.

Il n’existe donc pas de solution adaptée pour protéger l’élevage de nos moyennes montagnes et, madame la ministre, ce n’est pas le plan loup qui démontrera le contraire.

Le plan d’action national sur le loup 2008-2012 prévoyait l’abattage de onze loups en 2012. Cinq d’entre eux ont été abattus, mais les chiffres diffèrent : peut-être ne s’agit-il que de quatre d’entre eux, de trois, de deux, voire d’un seul ! Je ne ferai aucun commentaire sur ce point !

Par ailleurs, les agriculteurs et les éleveurs, ces hommes que nous évoquons ici, travaillent déjà douze heures par jour…

M. Charles Revet. Eh oui, et ils sont maltraités !

M. Alain Bertrand. … pour parvenir à la livraison de produits souvent bio et/ou transformés de grande qualité.

Dans ces conditions, le chimérique recours à un arsenal de clôtures, de murs, de tranchées, de chiens patous inadaptés au terrain nécessiterait qu’ils ne dorment plus, ni leurs épouses ni leurs enfants d’ailleurs.

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Tout à fait !

M. Alain Bertrand. Ces gens courageux, dans des territoires souvent peu habités, servent l’aménagement du territoire, l’économie locale et la vie de nos campagnes.

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Alain Bertrand. Ils ne souhaitent pas, parce qu’ils ont les pieds sur terre, que des sommes pharaoniques soient engagées du fait que l’arrivée du loup n’est pas contrôlée. Ils condamnent, par exemple, le fait que la Mutualité sociale agricole mette en place des suivis psychologiques pour les agriculteurs victimes du loup ; ils estiment que c’est aberrant, coûteux et inutile.

M. Jacques Mézard. Excellent !

M. Alain Bertrand. Les mesures actuelles sont donc non seulement inefficaces pour la zone de moyenne montagne, mais aussi coûteuses, inadaptées et traumatisantes pour les agriculteurs, qui, par ailleurs, les rejettent massivement.

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Alain Bertrand. La zone de protection renforcée est-elle une bonne réponse ?

Oui, il s’agit d’une réponse « territorialisée » différente du plan loup élaboré à l’échelle nationale, qui est nécessaire.

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. Très bien !

M. Alain Bertrand. Cette réponse territorialisée sera pilotée par le ministère de l’écologie et les préfets. Elle sera sécurisée, maîtrisée et adaptée par des arrêtés préfectoraux précis définissant le nombre d’animaux à éliminer, le périmètre de la zone concernée et les modalités de destruction.

Bien entendu, les zones de protection renforcée seront redéfinies annuellement ou après un tir ou des tirs survenus.

Les zones visées sont typiquement des zones de piémont, de moyenne montagne ou de basse montagne, autrement dit des zones de contact avec les zones d’altitude ou d’alpage, lesquelles sont le plus souvent également des zones de présence permanente du loup.

Du point de vue agricole, ces zones peu peuplées et aux sols pauvres se caractérisent par la présence d’un élevage extensif concourant largement à la livraison de produits de qualité.

Cet élevage, le plus souvent ovin, est organisé par la présence de « fermes » disposant de superficies importantes constituées, souvent, d’une succession de petites parcelles. Nous sommes loin des zones d’alpage élevées, où l’on peut regrouper des troupeaux. Aussi devons-nous fournir une réponse adaptée à ces espaces, en créant des zones de protection renforcée.

Pour déroger aux mesures de protection du loup, trois conditions doivent être réunies.

La zone de protection renforcée nuit-elle au « maintien, dans un état de conservation favorable, de cette espèce sur le territoire national » ? Tel est l’objet de l’alinéa 3 de l’article unique de la proposition de loi.

Non, si tel était le cas, nous ne la présenterions pas.

Tout d’abord, les zones de protection renforcée sont territorialisées. Elles regroupent des communes où les dommages et la perturbation de l’activité pastorale sont importants, en dépit des mesures prises dans le cadre général, et elles ne visent ni l’ensemble du territoire ni l’ensemble de la zone de répartition du loup. Le plan loup a une vocation nationale ; les zones de protection renforcée ont une vocation locale.

Ensuite, ces zones sont décidées, pilotées et précisées par arrêté préfectoral et sous le contrôle du ministère de l’écologie.

Par ailleurs, les destructions nécessaires sont contrôlées et donnent immédiatement lieu à une réadaptation des mesures en cours, si cela s’avère opportun.

Enfin, les zones de présence permanente du loup et les populations de loups sont en augmentation. Je vous ai donné les chiffres précédemment, ils sont connus, vérifiés et font l'objet d’un suivi.

Actuellement, le loup est présent de façon permanente dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Hautes-Alpes, des Alpes-Maritimes, du Doubs, de la Drôme, de l’Isère, du Jura, des Pyrénées-Orientales, de Haute-Savoie, de Savoie, du Var, du Vaucluse et des Vosges.

M. Jacques Mézard. Encore ! Encore !

M. Alain Bertrand. J’ai oublié la Lozère, la Haute-Loire, l’Ardèche, l’Aude, la Haute-Saône…

M. Alain Fauconnier. L’Aveyron !

M. Jacques Mézard. Le Cantal !

M. Alain Bertrand. … et le Cantal ! (Exclamations amusées.) Certains élus de ces départements m’ont d’ailleurs téléphoné tout à l’heure pour m’indiquer qu’ils suivaient attentivement nos travaux. Je leur ai répondu que le Sénat prenait des décisions de bon sens et les suivrait.

Bientôt, ce sont les Pyrénées, les Alpes, les Vosges et le Jura, dans leur ensemble, qui seront concernés, puis, avec une augmentation de la population de loups de 17 % par an, la moitié du territoire national ! Telle est la réalité.

D’aucun point de vue, les zones de protection renforcée ne mettent donc en cause la protection globale du loup.

Proposons-nous une bonne proposition de loi au bon moment ?

Vous le savez, certains mettent en avant le futur rapport qui sera élaboré sur le plan loup. Ce plan existe depuis de nombreuses années et perdurera encore, ce qui est très bien. Mais, nous, nous proposons de légiférer sur ce sujet !

Oui, ce texte est bon : quand la loi française, les règlements européens ou encore les conventions internationales ne sont pas bons, il faut les changer, et ce quel que soit le domaine concerné !

M. Charles Revet. C’est du bon sens !

M. Alain Bertrand. Oui, ce texte est bon parce que les dégâts causés et les populations de loups explosent.

Oui, ce texte est bon parce que, comme vient de le souligner notre collègue Charles Revet, il relève du bon sens.

Oui, ce texte est bon parce que les éleveurs sont traumatisés, fatigués, usés et même désespérés !

D’ailleurs, si, par-delà les consignes partisanes, auxquelles je ne crois pas, cette proposition de loi donnait lieu à un vote libre ou libéré, elle serait largement adoptée. Je ne désespère d’ailleurs pas qu’elle le soit !

En outre, madame la ministre, l’argument consistant à attendre de savoir ce que prévoira le nouveau plan loup, qui devrait bénéficier d’une « adaptation dans quelques jours », ne tient pas.

Adoptons cette proposition de loi dès aujourd’hui ! Elle sera ensuite examinée par l’Assemblée nationale, qui aura tout loisir – nous faisons confiance à nos collègues ! – de tenir compte des nouvelles tendances du plan loup.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Alain Bertrand. D’ailleurs, ce texte reviendra probablement en deuxième lecture au Sénat : nous aurons alors, nous aussi, la possibilité d’adapter nos propositions au plan loup ! Mais nous en tenons déjà largement compte dans le texte qui vous est aujourd’hui soumis, mes chers collègues.

M. Roland Courteau. Évidemment !

M. Alain Bertrand. On ne peut maintenir la situation actuelle. Avec l’accroissement annuel décrit par le réseau loup, nous aurons rapidement 500 loups en France, sachant que le décompte est déjà plus que modéré. Pour nos éleveurs, la situation deviendra intenable !

Même si je répugne à évoquer mon modeste département, rendez-vous compte, madame la ministre, mes chers collègues que, en Lozère, même les administrateurs du parc national des Cévennes, j’y insiste, ont voté à une écrasante majorité contre la présence du loup !

Permettez-moi de citer les propos tenus par le directeur général : « Le loup est une espèce dynamique qui va essayer de s’implanter, mais nous n’allons pas l’éradiquer avec la réglementation actuelle. C’est pourquoi nous demandons une révision de la législation. »

Le président du parc a, quant à lui, déclaré : « Nous voulons être reconnus comme une zone d’exclusion pour le loup », c'est-à-dire, pour reprendre les termes mêmes de la proposition de loi, une zone de protection renforcée.

Mes chers collègues, je crois que cette proposition de loi est un texte d’équilibre et de bons sens. Je suis persuadé que son examen intervient au bon moment : avant la guerre dans nos campagnes, si je puis dire, avant que le loup, son image et sa protection même n’en pâtissent.

Nous avons le devoir de protéger les biens et les personnes, de sécuriser les activités humaines, en l’occurrence l’élevage et l’agropastoralisme.

Au total, rien ne s’oppose, mes chers collègues, à l’adoption de cette proposition de loi.

Certains, peu nombreux, il est vrai, pensant défendre le loup, alors qu’ils pourraient bien plutôt faire son malheur, soutiennent un bien curieux argumentaire,…

M. Alain Bertrand. … en décalage total avec ma propre connaissance du problème. Mais sans doute ne puis-je pas tout comprendre !

Permettez-moi de citer quelques-uns de leurs arguments, sans essayer de les réfuter.

Ils affirment que l’impact du loup doit être relativisé, l’État prenant en charge les mesures de protection des troupeaux. L’impact du loup est faible et il ne sert qu’à masquer les difficultés de la profession. Comme je viens de le dire, je ne commenterai pas de tels propos.

Ils affirment que l’élevage est subventionné, à 60 %, précisent-ils, et que le bétail est indemnisé.

Ils affirment que les tueries effectuées par le loup s’ajoutent à d’autres : attaques de chiens, maladies, foudre, chutes, glissades. Le loup en tant que tel ne constitue donc pas une menace.

Ils affirment que la filière ovine connaît, depuis vingt ans déjà, une baisse de production ! Je ne commenterai pas plus…

Ils affirment que la brucellose tue beaucoup plus que le loup.

M. Roland Courteau. Ça, c’est vrai !

M. Alain Bertrand. Ils affirment qu’en moyenne une brebis est vendue à un prix inférieur à l’indemnité de 155 euros octroyée par animal tué par un loup. (Exclamations.) Je rappelle que les agriculteurs ne demandent pas à être indemnisés ; ils veulent simplement ne pas être « massacrés » par le loup.

Ils affirment que les chiens errants sont aussi responsables.

Sur ce point, je me permettrai de faire un commentaire. Les chiens errants ont, de tout temps, existé. Par définition, les agriculteurs ont des chiens de troupeaux. Or il arrive parfois qu’un chien de mauvaise nature ou de mauvaise éducation s’égare. Mais il sera très vite pris en main par le fermier, qui en fera son affaire. Lorsque les dommages augmentent de façon vertigineuse, celui-ci sait très bien reconnaître s’ils sont dus à la présence du loup ou à celle du chien errant.

Autre argument remarquable : ils affirment que, dans de nombreux pays, les éleveurs travaillent dans des conditions autrement plus difficiles, car ils sont confrontés au loup, au grizzli, au puma et au coyote. (Rires.) De quoi nous plaignons-nous ?

Ils affirment que le nombre d’attaques du loup n’augmente pas. Je ne commenterai pas là encore, mais je vous ai donné les chiffres !

Ils affirment que le patou est un chien admirable. J’ai d’ailleurs reçu de nombreuses lettres à ce sujet.

Ils affirment que, certes, la présence du loup augmente la charge de travail des éleveurs, mais que chaque métier a ses contraintes !

Ils affirment que, par rapport aux 11 milliards d’euros accordés aux céréaliers européens pour les soutenir, le loup ne coûte pas cher !

Ils affirment que le loup ne prolifère pas parce qu’un « superprédateur » ne prolifère pas ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Dufaut. C’est nouveau !

M. Alain Bertrand. Ils affirment que seules 26 % des attaques causent la mort de plus de trois ou quatre brebis.

Ils affirment – écoutez bien, mes chers collègues ! – que les brebis tuées par le loup ne souffrent pas et « meurent sur la pâture où elles vivaient ». (Rires.)

M. Pierre-Yves Collombat. C’est la chèvre de M. Seguin ! (Sourires.)

M. Alain Bertrand. Ils affirment que les éleveurs sont loin d’être les seules victimes de la mondialisation.

Voilà, mes chers collègues, ce que l’on peut lire sous la plume de ceux qui croient protéger le loup. Je livre ces arguments à votre réflexion.

Madame la ministre, mes chers collègues, notre République et la Haute Assemblée s’honoreraient à accorder aux éleveurs des zones de haute et moyenne montagne le bénéfice d’une loi permettant de cantonner plus fortement le loup à des territoires spécifiques, souvent d’altitude, peu habités ou inhabités, où sa présence ne remet pas radicalement en cause l’activité pastorale et ne sème pas le trouble et l’insécurité dans les campagnes.

Les éleveurs ne veulent pas de compensation financière ; ils aspirent à vivre en paix de leur métier. Force est de constater que l’arrivée d’un tel animal est un vecteur de discorde dans nos campagnes. La solitude de l’agriculteur est exacerbée par les attaques, car il se sent abandonné et oublié par la société. Les éleveurs n’ont pas vocation à racheter seuls la bonne conscience de la société moderne et de ses errements !

Bien sûr, nous sommes, tout comme vous, attachés à une présence raisonnable du loup. Bien sûr, nous aimons les animaux et la biodiversité ! Mais nous devons concilier conservation des espèces et maintien des activités humaines.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Alain Bertrand. La sécurité des biens est un dû. Là où les dommages causés aux élevages sont trop importants, là où il n’existe pas de solution plus satisfaisante, il faut, par dérogation et sans menacer le principe de l’état de conservation favorable de l’espèce sur le plan national, prendre des mesures. Tel est le sens de la convention de Berne, de la directive européenne de 1992 et du code de l’environnement. C’est pourquoi la création des zones de protection renforcée est une nécessité immédiate.

Enfin, pour conclure, je tiens à remercier notre excellent rapporteur, Stéphane Mazars. En Aveyronnais qui connaît le sujet, il a su convaincre les membres de la commission du développement durable d’adopter ce texte dans une version améliorée et juridiquement plus pertinente, sur la base d’arguments que je lui laisse le soin de développer.

Je souhaite également vous dire, mes chers collègues, que la situation me paraît très claire : soit nous intervenons en adoptant ce texte de gestion, de protection et de simplification, et le loup sera davantage cantonné à ses espaces naturels ; soit nous ne l’adoptons pas, et la situation, déjà alarmante, comme le montrent clairement les chiffres officiels, s’aggravera.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Alain Bertrand. Nous n’avons pas le droit d’infliger à la montagne et à ses éleveurs le maintien d’un handicap cruel et supplémentaire, spécialement lorsqu’il n’existe aucune raison à cela !

J’en appelle donc à votre sagesse, chers collègues des villes et des champs, pour donner un avenir juste et apaisé au loup, mais aussi aux éleveurs. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Stéphane Mazars, rapporteur de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a été déposé au Sénat le 16 octobre 2012, sur l’initiative de notre collègue Alain Bertrand, sénateur-maire de Mende et membre du groupe du RDSE. D’ailleurs, l’ensemble des membres de ce groupe ont cosigné cette proposition de loi.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. L’objectif de ce texte est simple : répondre de manière concrète et efficace à une problématique de plus en plus prégnante sur nos territoires, à savoir l’articulation entre la présence et la nécessaire protection du loup et l’activité agropastorale.

Cet objectif répond à un constat : face à des attaques de plus en plus nombreuses, les éleveurs ne disposent pas aujourd’hui de moyens suffisants pour protéger ce qui constitue leur outil de travail.

La commission du développement durable s’est saisie du texte de notre collègue et l’a examiné le 23 janvier dernier.

Avant de vous présenter les conclusions de son travail, je rappellerai tout d’abord quelques éléments de contexte, concernant tout d’abord la présence du loup sur notre territoire.

Historiquement, jusqu’à la fin du xviiisiècle, les loups étaient présents sur 90 % du territoire français, et ce malgré des tentatives de destruction, destinées à lutter contre les dégâts que cette espèce infligeait aux troupeaux domestiques et contre les peurs qu’elle suscitait dans les campagnes.

C’est pourquoi, dès le début du xixe siècle, l’espèce a systématiquement été détruite par l’homme, ce qui conduit à sa disparition totale du territoire dans les années trente.

Le loup est finalement revenu dans le massif du Mercantour, avec un premier repérage en 1992, probablement en provenance de la chaîne des Apennins, en Italie. Peu à peu, il a colonisé toutes les Alpes françaises et, comme l’a rappelé notre collègue Alain Bertrand, le nombre de spécimens présents sur le territoire n’a alors cessé d’augmenter.

Du fait de son pouvoir de dispersion, le loup a traversé le Rhône et a progressivement gagné d’autres régions et départements : le Massif central, les Pyrénées, l’Aude, la Lozère, le Jura ou encore l’Ain.

Comme pour toutes les espèces animales, les techniques de comptage sont imprécises, mais les services du ministère de l’écologie, que j’ai auditionnés, estiment qu’il y a aujourd’hui environ 250 loups sur le territoire national.

M. Gérard Le Cam. C’est trop ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Cette proposition de loi dite « loup » s’inscrit dans le cadre des dérogations possibles à la protection de l’espèce par le droit international et le droit français. En effet, le droit international et le droit européen encadrent strictement la protection du loup.

Ainsi, la convention de Berne du 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe classe le loup dans la liste des espèces de faune sauvage protégées : toute forme de capture, de détention ou de mise à mort intentionnelle du loup est interdite.

Sur le plan européen, ces engagements ont été retranscrits dans la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats, faune, flore » ou encore directive « Habitats ».

L’objectif de cette directive est de garantir le maintien de la diversité biologique ainsi que le maintien, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire. Le loup figure bien évidemment dans ses annexes.

En droit interne, la directive a été transposée aux articles L. 411–1 et suivants du code de l’environnement et l’arrêté ministériel du 23 avril 2007 a fixé la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire national et les modalités de leur protection. Le loup y est inscrit à l’article 2.

Le loup est donc aujourd’hui strictement protégé en droit interne, comme en droit international.

Enfin, la politique nationale relative au loup s’inscrit dans le cadre d’un plan quadriennal, négocié avec les parties prenantes au dossier, le fameux « plan loup ». Le prochain plan est actuellement en cours de négociation, et ses conclusions devraient être présentées dans quelques jours par le Gouvernement.

La question de l’articulation entre la présente proposition de loi et le plan loup en cours d’élaboration a fait l’objet de débats au sein de notre commission – comme elle fera certainement débat ici même.

Je rappelle que cette proposition de loi a été déposée voilà plusieurs mois. Nous ne sommes donc pas à l’origine du télescopage de calendrier.

D’aucuns pensent qu’il aurait été opportun de disposer des conclusions du groupe de travail national sur le loup pour alimenter nos débats. Cependant, j’estime qu’il est nécessaire que la Haute Assemblée, qui assure la représentation des collectivités territoriales, et donc des départements, délivre dès à présent un message clair. En outre, si nous votons cette proposition de loi, elle sera ensuite examinée par l’Assemblée nationale, avant de nous revenir en deuxième lecture.

M. Charles Revet. Bien sûr !

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Entre-temps, nous aurons pu nourrir notre réflexion des conclusions qui ont été rendues par le groupe de travail.

Des dérogations à la protection du loup sont donc possibles aujourd’hui : en droit international, la convention de Berne, comme la directive « Habitats, faune, flore », prévoit que, pour ce faire, trois conditions doivent être réunies.

Il est important de les rappeler, car la question se posera de savoir si les dispositions contenues dans la présente proposition de loi sont conformes aux règles internationales et à la directive européenne.

Une dérogation est possible quand, premièrement, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante – notamment quand les moyens de prévention mis en place se révèlent inefficaces sur le terrain – ; quand, deuxièmement, la dérogation ainsi mise en œuvre ne nuit pas à la survie de l’espèce sur le territoire ; et quand, troisièmement, sont constatés sur ledit territoire des dommages importants aux cultures ou à l’élevage.

La protection du loup n’est donc pas absolue, et le droit international lui-même offre une certaine souplesse dans le cadre d’une politique de gestion globale de l’espèce.

En droit français, l’article L. 411–2 du code de l’environnement retranscrit cette possibilité de dérogations. Un arrêté du 9 mai 2011 fixe les conditions dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction de loups sont accordées et prévoit qu’un arrêté ministériel fixe chaque année un plafond de tirs de prélèvement au niveau national.

L’éleveur ou le berger peut donc être autorisé à procéder à un effarouchement, puis, si besoin, à un tir de défense à proximité immédiate du troupeau et, si c’est insuffisant, le préfet peut ordonner la réalisation d’un tir de prélèvement du loup.

Ces possibilités de dérogation ne sont malheureusement pas satisfaisantes. Ce constat est dressé tant par nous que par le ministère de l’écologie et le ministère de l’agriculture.

Dès lors, la proposition de loi d’Alain Bertrand répond à cette situation d’échec et, partant, à la nécessité de protéger le loup.

Ainsi, comme l’a souligné notre collègue, 1 415 attaques ont été constatées en 2011, faisant 4 920 victimes, lesquelles ont donné lieu à indemnisation au profit des éleveurs ou des agriculteurs.

Le nombre des attaques sur troupeaux indemnisées en 2011 est très supérieur à celui de 2010, avec une hausse de près de 30 % environ, la plus forte augmentation étant constatée dans la région Provence–Alpes–Côte d’Azur. C’est pourquoi le plan loup a accordé onze prélèvements en 2012 au titre des dérogations destinées à réguler la population des loups et à protéger l’activité agropastorale.

Force est néanmoins de constater que, au 31 décembre 2012, seuls cinq loups ont pu être prélevés sur le territoire national, et, dans ce décompte, il faut relever que deux d’entre eux avaient été abattus dans le cadre du braconnage.

Ne nous méprenons pas, ces onze prélèvements constituent un plafond, et non un objectif, comme nous l’ont rappelé les services du ministère. Il s’agit donc non pas d’un moyen de régulation à proprement parler, mais bien d’une réponse très ponctuelle et, je le répète, insuffisante.

En outre, la présence des loups représente un coût croissant pour l’État, qui indemnise systématiquement les dégâts des grands prédateurs, qu’il s’agisse des loups, des ours ou encore des lynx.

Le système d’indemnisation des dégâts dus au loup, qui a été mis en place dès 1993, est financé par le ministère de l’écologie. Ainsi, après chaque attaque, un constat est dressé par un agent assermenté, dans un délai de quarante-huit heures, le doute profitant à l’éleveur. Sont ainsi indemnisées toutes les victimes de prédations pour lesquelles la responsabilité du loup n’est pas exclue. Les pertes directes et indirectes sont prises en compte.

En 2011, le montant des indemnisations des sinistres s’est élevé au total à 1 548 052 euros, contre 494 255 euros en 2004, ce qui représente plus du triple !

Par ailleurs, les aides à la protection des troupeaux, financées par le ministère de l’agriculture, ont représenté 8 millions d’euros en 2012. D’après les estimations qui m’ont été transmises lors des auditions, les projections sont à la hausse pour les années à venir, s’agissant tant des dépenses en amont que des indemnisations en aval.

Cette proposition de loi vise tout simplement à protéger, dans un cadre équilibré, l’agropastoralisme.

Comme l’a souligné notre collègue, l’agropastoralisme regroupe l’ensemble des activités d’élevage qui valorisent, par un pâturage extensif, les ressources fourragères des espaces naturels, pour assurer tout ou partie de l’alimentation des animaux. Cette activité pratiquée depuis des siècles sur nos territoires l’est de moins en moins aujourd’hui, pour des raisons économiques, certes, mais aussi du fait même de la prédation des loups. Or le maintien d’une activité pastorale permet l’entretien des paysages, contribue à l’attrait touristique des régions et à la conservation d’emplois locaux dans des zones, vous en conviendrez, mes chers collègues, peu industrialisées.

Il existe plusieurs types de pratiques agropastorales, et les mesures de protection contre les loups sont plus ou moins efficaces selon ces pratiques.

Ainsi, le système de protection des troupeaux face au loup a surtout montré son inefficacité dans les estives de moyenne montagne, qui accueillent des troupeaux diffus pour une longue durée. Dès lors, les protections telles que les clôtures, les regroupements de troupeaux, les chiens patous ou encore le recours au gardiennage sont soit impossibles à mettre en œuvre, soit inefficaces.

J’en viens au dispositif juridique de la proposition de loi.

C’est dans cet esprit et dans un contexte marqué par le désarroi profond de nos éleveurs, que notre collègue Alain Bertrand a rédigé sa proposition de loi. Ce texte vise à créer des zones dans lesquelles le prélèvement de loups serait autorisé dans la limite de seuils déterminés spécifiquement pour chaque zone, indépendamment du prélèvement existant déjà au niveau national.

Soyons clairs : il ne s’agit pas d’abattre tous les loups présents sur ladite zone !

Trois critères doivent être cumulés pour faire partie d’une zone d’exclusion pour les loups : le constat de dommages importants aux activités pastorales ; l’inefficacité des mesures de protection des troupeaux – en d’autres termes, l’absence de solutions satisfaisantes pour assurer cette protection – ; et le maintien de l’espèce dans un état de conservation favorable.

Ce sont les trois critères prévus tant par la convention de Berne que par la directive européenne « Habitats, faune, flore » et par le code de l’environnement pour accorder des dérogations à l’interdiction d’abattre des loups.

Les modalités d’application de l’article unique ne relevant pas du domaine législatif, elles sont renvoyées à un décret en Conseil d’État.

Ainsi que je l’ai dit au début de mon intervention, la commission du développement durable a examiné ce texte le 23 janvier dernier. Dans sa majorité, celle-ci a constaté la réalité du problème de l’articulation entre les activités d’élevage et la nécessaire préservation du loup, ainsi que l’insuffisance des solutions existantes et la nécessité d’apporter une réponse urgente.

Ce texte nous est apparu comme une proposition pragmatique, marquant la volonté de rétablir l’équilibre au profit des activités économiques et sociales, face à la détresse de nombre d’éleveurs dans les régions de haute et moyenne montagne. Il s’agit d’une proposition équilibrée, dont il conviendra en temps utile d’étudier l’articulation avec le plan loup en cours de négociation.

La commission du développement durable a adopté deux amendements visant à clarifier le contenu du texte, sans pour autant remettre en cause son économie générale.

Par amendement, elle a modifié l’intitulé de la proposition de loi, en remplaçant l’expression « zones d’exclusion pour les loups » par les termes « zones de protection renforcée contre le loup ».

Soyons, encore une fois, très clairs : il s’agit non pas d’abattre tous les loups dans une zone donnée, mais bien de permettre une protection renforcée et des prélèvements plus nombreux dans certaines zones, sous la supervision du préfet. C’est la territorialisation, la départementalisation de la problématique.

Par un autre amendement, la commission a précisé que les zones de protection renforcée seront délimitées par arrêté préfectoral. C’est le niveau le plus pertinent pour tracer les contours précis de ces zones et pour les redéfinir année après année en fonction de l’évolution des prédations.

Ainsi, la commission réaffirme fortement la nécessité de préserver la présence du loup en France, en reprenant la formulation utilisée dans la directive « Habitats, faune, flore » de 1992 : les zones de protection renforcée ne pourront « nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, de cette espèce ».

Avant de conclure, je tiens à remercier M. Vall, président de la commission du développement durable, de m’avoir, en mon absence, commis d’office aux fonctions de rapporteur de cette proposition de loi. (Sourires.)

Après avoir cru, dans un premier temps, qu’il s’agissait d’une forme de bizutage réservée au dernier parlementaire arrivé à la commission, je me suis pris de passion pour ce dossier. Je me suis efforcé d’apporter une réponse pragmatique, une « réponse de bon sens », pour reprendre l’expression d’Alain Bertrand, aux questions qui nous étaient posées. Il convenait de trouver un juste équilibre entre la nécessité de protéger le loup – comment faire autrement, d’ailleurs, d’un point de vue juridique ? – et la nécessité, non moins impérieuse, de sauvegarder les activités agropastorales. Je pense que le travail réalisé en commission a atteint cet objectif.

Le parlementaire pragmatique, responsable, que j’essaie de devenir, n’a pas trahi l’enfant que j’ai été, et qui, bien souvent, quittait son Aveyron natal pour aller en Lozère admirer les loups du parc du Gévaudan, créé par un grand monsieur de la cause animale et de la cause des loups, Gérard Ménatory.

En conclusion, cette proposition de loi est un texte de protection. Madame le ministre, il est des propos que l’on ne doit plus entendre dans nos territoires. Je pense notamment à la déclaration suivante : « Il faut savoir : veut-on qu’il y ait encore des paysans, des bergers ? […] Une fois, nous avons eu un loup sur le Larzac. Ça s’est terminé ainsi : on a retrouvé le squelette du loup sur un clapas. Personne ne sait ce qui s’est passé. C’est très bien comme ça. »

Ces propos ont été tenus par mon compatriote aveyronnais José Bové, député européen et éleveur sur le Larzac. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Henri de Raincourt. Éleveur ?...

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le loup, grand prédateur sauvage, fait partie de notre patrimoine naturel. Sa cohabitation avec l’homme est un défi.

Dès ma prise de fonctions, j’ai souhaité que ce sujet difficile soit traité avec méthode, constance et pragmatisme, en évitant les postures et les caricatures.

Dès le 22 juillet 2012, à Caille, dans les Alpes-Maritimes, à l’occasion de l’inauguration du parc naturel régional des Préalpes d’Azur, dont le sénateur Marc Daunis est le président, j’ai rencontré une délégation d’éleveurs confrontés à la récurrence des prédations, et j’ai bien mesuré leur détresse et leur exaspération.

Dans ce département où les attaques se concentrent, 2 302 victimes ont été recensées en 2012, soit près de 40 % du nombre total de victimes dénombrées en France. Ces chiffres sont en hausse de 65 % par rapport à 2011 !

Je l’ai dit à ces éleveurs, sans me dérober, mon devoir de ministre de l’écologie est d’assurer la protection de la biodiversité, dans une situation mondiale qui est celle d’une extinction rapide et massive des espèces du fait du développement humain ; il est aussi de veiller au respect par la France des engagements internationaux qu’elle a pris, le loup étant une espèce protégée.

Le loup est en effet une espèce « strictement protégée » par la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, ainsi que par la directive européenne du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats faune flore ».

Mais je leur ai aussi dit que, face à l’augmentation indiscutable du nombre des prédations, l’État ne les abandonnerait pas.

Mme Delphine Batho, ministre. Je leur ai dit que je me refusais à opposer l’élevage et l’écologie et que leur interpellation des pouvoirs publics exigeait des réponses et des solutions.

Nous voulons garder une montagne vivante. Personne ne peut donc être indifférent aux difficultés de l’agropastoralisme. Nous savons tous que les indemnisations ne remplacent pas, ne compensent pas, le préjudice et les dégâts subis lorsque l’on s’est investi avec passion et amour dans son métier.

Eux-mêmes m’ont dit – c’est un point important – qu’ils savaient très bien qu’il ne pouvait être question d’éradiquer le loup en France et que toute la question est l’organisation de la coexistence.

À la suite de cette rencontre, j’ai annoncé l’élaboration d’un nouveau plan loup pour la période 2013-2017.

J’ai d’abord souhaité disposer d’un état des lieux aussi exhaustif que possible de l’application du précédent plan et des résultats obtenus.

Le plan d’action couvrant la période 2008-2012 a donc fait l’objet d’une importante phase d’évaluation que j’ai tenu à renforcer, afin de disposer d’un examen approfondi de la situation. À la suite de cette évaluation, j’ai relancé le groupe national loup lors d’une réunion le 16 octobre dernier. Trois réunions nationales thématiques du groupe loup portant respectivement sur le suivi biologique, sur la gestion de l’espèce et sur la protection des troupeaux ont eu lieu.

J’ai commandé, en collaboration avec le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, M. Stéphane Le Foll, plusieurs rapports d’évaluation : un rapport portant sur l’accompagnement des filières d’élevage et les mesures de protection, rendu par Jean-Louis Joseph ; un rapport sur le suivi biologique de la population des loups, réalisé par un scientifique suédois, Olof Liberg ; un rapport sur la politique d’intervention sur les loups, commandé au Conseil général de l’environnement et du développement durable et au Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux ; enfin, un rapport sur les perspectives d’extension de la présence du loup, réalisé par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et par le Muséum national d’histoire naturelle.

L’évaluation du plan loup s’est aussi fondée sur des rapports internes, portant respectivement sur l’efficacité des mesures de protection – l’étude a été pilotée par le ministère de l’agriculture –, sur les mesures d’indemnisation, rapport élaboré par la direction de l’eau et de la biodiversité rattachée à mon ministère, et sur les effets des prélèvements sur les attaques, étude menée par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Rhône-Alpes.

M. Pierre-Yves Collombat. Que de rapports !

M. Rémy Pointereau. Tout cela ne sert à rien !

Mme Delphine Batho, ministre. Comme vous le savez, le loup est réapparu sur notre territoire il y a maintenant vingt ans.

L’État s’est progressivement doté d’outils destinés à concilier la présence et la protection de cette espèce avec le maintien d’activités humaines essentielles à la vitalité de nos territoires. Ces outils se sont déployés et adaptés en fonction de l’évolution des connaissances et des situations constatées.

Dès 1993, et pour une période de trois ans, il a été mis en place un « plan d’action » propre au parc national du Mercantour, où le loup est réapparu en 1992.

En application du droit communautaire, les plans d’action se sont développés au travers de deux programmes LIFE, financés par l’Union européenne entre 1997 et 2003, et étendus à l’ensemble des départements alpins. C’est en définitive au sein de plans d’action nationaux quadriennaux qu’ils sont consignés et régulièrement révisés depuis 2004.

Ces mesures reposent sur deux grands principes : l’organisation de la concertation, qui doit rassembler, à l’échelon local, toutes les parties concernées et un suivi rigoureux de l’évolution de l’espèce.

Chaque année, l’état de conservation de l’espèce est évalué afin de garantir le respect des critères définis à l’article 1er de la directive « Habitats », à savoir la viabilité à long terme de la population ainsi que le maintien ou l’accroissement de son aire de répartition naturelle.

On voit les limites de ce dispositif : 5 848 victimes ont été indemnisées en 2012, pour un coût total de l’ordre de 2 millions d’euros.

L’aire de répartition du loup augmente de 25 % par an et la population croît de façon régulière. Elle compte environ 250 spécimens sur notre territoire. Cette expansion concerne tous les pays européens où les loups se sont historiquement maintenus.

Les attaques des loups sont en constante augmentation, malgré les efforts de protection des troupeaux. En 2011, 4 913 victimes de prédation du loup ont été recensées, contre 2 680 en 2008. Leur nombre a encore augmenté cette année. On observe, en quatre ans, près d’un doublement des dégâts causés par le loup.

Dans certains territoires, ces attaques s’étalent quasiment toute l’année et posent la question des mesures de protection.

Les pouvoirs publics consacrent des moyens importants – 2 millions d’euros, je l’ai dit – à l’indemnisation, qui dépend du ministère de l’écologie, et à la protection, qui relève des attributions du ministère de l’agriculture, pour un budget avoisinant 7,5 millions d’euros.

Afin de protéger les troupeaux subissant ou étant susceptibles de subir des dommages, des mesures dérogatoires au statut de protection ont été instaurées. Leur mise en œuvre a un caractère progressif : tout d’abord, l’effarouchement, puis le tir de défense à proximité immédiate du troupeau et, enfin, le tir de prélèvement en cas de « dommages exceptionnels » ou en cas de « persistance de dommages importants » malgré la mise en œuvre de tirs de défense.

L’ensemble de ces opérations de défense et de prélèvement s’effectue dans la limite d’un plafond annuel, fixé à onze loups pour la période 2012-2013. En pratique, sur les onze tirs autorisés, trois d’entre eux ont été fructueux.

En ce qui concerne la pression de prédation, il faut également tenir compte des différences entre les territoires. Les caractéristiques du pastoralisme sont très différentes selon les massifs : les durées au pâturage, la nature des milieux, les conduites de troupeaux varient selon les territoires. Les modes de protection des troupeaux face à la prédation du loup doivent donc tenir compte précisément de ces éléments. Par exemple, les élevages transhumant l’été dans les Alpes sont regroupés et se prêtent à un gardiennage efficace, soutenu par la présence de chiens de protection et permettant la mise en place de parcs de regroupement du troupeau durant la nuit.

M. Rémy Pointereau. Qui va payer tout cela ?

Mme Delphine Batho, ministre. Les troupeaux qui résident une bonne partie de l’année dans des milieux naturels faiblement exploités, sur de longs parcours, avec un couvert forestier et arbustif morcelé sont plus exposés à la prédation du loup.

Il en est de même des exploitations conduisant les animaux en lots de taille moyenne, dispersés sur un territoire, rendant difficile la présence permanente de gardiens.

La prédation du loup s’exerce de manière différente en fonction de ces typologies d’élevage même si, dans chaque cas, des moyens de protection doivent être déployés dans l’intérêt des élevages.

Cette situation explique, par exemple, que certains massifs dans le sud des Alpes fassent l’objet de prédations plus importantes que dans les zones où les troupeaux sont transhumants l’été et gardés en bergerie le reste de l’année.

Le sujet est donc complexe, et le travail accompli ces derniers mois par les membres du groupe national loup montre l’ampleur de la tâche.

Face à cette situation, j’ai insisté, dans mon intervention lors de la relance du groupe national loup, le 16 octobre dernier, sur la nécessité de prévoir une gestion différenciée pour prévenir et limiter les prédations.

Les modalités d’intervention sur la population des loups doivent ainsi être adaptées au niveau des attaques et à la sensibilité particulière des systèmes d’élevage.

Des réponses adaptées à chaque type de situation, parallèlement à la protection physique des élevages, doivent être apportées afin, dans chaque cas, de réduire la prédation.

La baisse de la prédation relève nécessairement d’une gestion différenciée de la population de loups, alliée à l’impératif d’une protection physique sur la base des constats établis. C’est l’orientation principale sur laquelle travaille le groupe national loup.

Ainsi, dans les Alpes de Haute-Provence, dans la vallée de l’Ubaye, entre 2011 et 2012, la prédation a diminué de plus de 70 %,…

M. Claude Domeizel. Elle a augmenté ailleurs !

Mme Delphine Batho, ministre. … alors qu’elle a progressé de 40 % dans le Haut-Verdon et de 400 % dans la vallée de l’Asse. Voilà des exemples chiffrés des différences que nous rencontrons sur les territoires. Ne pas en tenir compte dans les réponses que nous devons apporter serait une erreur et, surtout, ce serait inefficace.

Le processus du nouveau plan loup 2013-2017 est en passe d’aboutir. Les conclusions du travail qui a été mené seront rendues le 5 février prochain, après plusieurs mois de concertation. Elles feront l’objet d’une consultation publique qui durera un mois, puis d’une consultation de la commission faune du Comité national de protection de la nature au début du mois d’avril.

Mon objectif est que le nouveau plan loup, qui entrera en vigueur avant l’estive, apporte une réponse comprise sur le terrain, afin de remédier aux situations les plus critiques.

Le groupe de travail élabore des solutions nouvelles avec tous les acteurs concernés. Deux parlementaires participent aux travaux, Christophe Castaner et Marc Daunis. Ce groupe est composé de représentants de la profession agricole, de la chasse, d’associations de protection de la nature, d’élus, de services de l’État et d’experts.

Face à un problème complexe, nous devons faire preuve d’intelligence collective, afin de préserver une ruralité et une montagne vivantes.

Je demande que l’on donne sa chance à cette méthode, à ce travail sérieux qui mise sur le dialogue, sur la confiance en tous les partenaires du groupe national loup.

Ce plan s’élabore depuis plusieurs mois, en tenant compte de toutes les expertises disponibles.

J’entends l’interpellation en provenance de nos territoires qu’exprime l’auteur de la présente proposition de loi. Pour autant, le Gouvernement ne peut que s’y opposer et y être défavorable. (Exclamations sur les travées du RDSE et de l'UMP, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)

Sur la forme, ce texte n’est pas respectueux du dialogue en cours, je l’ai dit, entre les parties prenantes au groupe national loup. (Exclamations sur les travées du RDSE et de l'UMP.) Or ce dialogue garantit la coexistence de l’espèce et le maintien de l’activité pastorale dans la durée.

MM. Jean-Louis Carrère et Alain Bertrand. Le Parlement passe après le groupe national loup !

Mme Delphine Batho, ministre. Sur le fond, son article unique contrevient à nos engagements européens et internationaux transposés en droit français aux articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement.

Le principe en droit français comme en droit international est la protection de l’espèce protégée que constitue le loup. La destruction du loup est interdite, mais certaines dérogations sont autorisées.

Les conditions de mise en œuvre de ces dérogations sont strictes. L’une d’entre elles exige que la destruction envisagée ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, de l’espèce protégée.

Cette formulation a été intelligemment reprise par M. le rapporteur dans ces amendements en commission, mais cet ajout ne suffit pas à rendre compatible le texte avec le principe d’interdiction de la destruction du loup.

La préservation du loup sur le territoire national n’est rendue possible qu’en fixant un plafond global, et non par zone, de prélèvement annuel.

Or la proposition de loi prévoit que « l’abattage de loups est autorisé dans des zones de protection renforcée délimitées […], indépendamment du prélèvement défini au niveau national ».

De plus, cette disposition créerait, de fait, une distorsion de concurrence entre les éleveurs des zones de protection renforcée et ceux des autres parties du territoire national concernées par la présence du loup. (M. Jean-Louis Carrère proteste.)

En pratique, ce dispositif serait contre-productif pour les éleveurs et créerait des zones de tension insupportables. D’ailleurs, lors de tous les entretiens que j’ai eus avec des associations d’éleveurs, ces derniers ont fermement désapprouvé cette distinction entre les territoires, selon qu’ils seraient protégés ou abandonnés.

M. Alain Bertrand. Nous n’avons pas rencontré les mêmes !

Mme Delphine Batho, ministre. C’est pourquoi la profession agricole ainsi que les associations de protection de la nature se sont opposées à ce type de zonage.

Cette proposition de loi affirme une volonté, et je comprends l’intention qui anime son auteur, mais, les dispositions prévues ne résolvent rien et n’apportent aucune efficacité supplémentaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais aujourd’hui à bien vous expliquer la démarche du Gouvernement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Vives exclamations sur les travées de l'UMP.)

Nous avons travaillé main dans la main avec Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, sur ce sujet. Il n’en a pas toujours été ainsi auparavant !

Mme Delphine Batho, ministre. Nous ne voulons pas entrer dans une logique qui consisterait, sur ce dossier ô combien difficile, à opposer les uns aux autres. Le soutien à la méthode que nous avons conduite est l’une des conditions de la réussite du plan loup sur le territoire et de la force, ainsi que de la légitimité, qu’il doit avoir dans son application.

M. Jackie Pierre. N’importe quoi !

Mme Delphine Batho, ministre. J’espère que cette approche pragmatique et sérieuse pourra tous nous rassembler. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

(M. Charles Guené remplace Mme Bariza Khiari au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Michel Teston. (Mme Gisèle Printz applaudit.)

M. Michel Teston. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les indices de présence du loup sur de nouveaux territoires en dehors de l’arc alpin se sont multipliés au cours des derniers mois. Plusieurs attaques de troupeaux, notamment dans le Massif central – en Lozère, dans le Cantal, dans la montagne ardéchoise – ont été reconnues avec « une responsabilité du loup non écartée », selon la prudente formule de l’administration.

Face à cette nouvelle situation, les éleveurs de ces territoires ont exprimé une compréhensible exaspération, conséquence des pertes subies et de la dégradation des conditions d’exercice de l’activité pastorale.

Pour de nombreuses raisons humaines, économiques et environnementales, les éleveurs ont besoin d’être soutenus et ils veulent que des réponses soient apportées à leurs légitimes inquiétudes.

Dans ce contexte, je comprends qu’Alain Bertrand se soit saisi de cette question. Néanmoins, des dispositions existent, contenues dans le plan d’action national sur le loup 2008-2012, et un nouveau plan loup pour la période 2013-2017 est en cours d’élaboration au terme d’un travail important.

Dès lors, la discussion de cette proposition de loi ne doit pas virer à la caricature. Il ne s’agit pas, mes chers collègues, d’un débat manichéen opposant ceux qui souhaiteraient une prolifération sans limite du loup et ceux qui ne penseraient qu’à l’élimination de cette espèce sur le territoire français.

M. Pierre Hérisson. Surtout dans cette enceinte ! (Sourires.)

M. Michel Teston. D’ailleurs, dans ce dossier, Mme la ministre vient de le rappeler, les ministres de l’agriculture et de l’écologie partagent la même position, preuve que des compromis peuvent être trouvés entre les conditions d’exercice des activités d’élevage et la conservation des espèces sauvages.

M. Jean-Louis Carrère. C’est déjà arrivé !

M. Michel Teston. Pour être efficaces et utiles, de nouvelles dispositions concernant le loup doivent non seulement être déclaratoires, mais aussi viser à rechercher un équilibre entre deux protections : celle des troupeaux et des activités d’élevage et celle du loup, conformément à la convention de Berne du 19 septembre 1979 ainsi qu’à la directive européenne « Habitats, faune, flore » du 21 mai 1992.

Les questions que l’on doit se poser à propos de ce texte sont les suivantes : cette proposition de loi apporte-t-elle des éléments supplémentaires utiles et efficaces pour répondre aux inquiétudes des éleveurs ? Est-elle conforme à la directive « Habitats » et à la jurisprudence ? Enfin, sa date d’examen est-elle opportune eu égard aux travaux menés pour l’élaboration du nouveau plan loup ?

Mes chers collègues, mon intime conviction est que tel n’est pas le cas, et ce pour trois principales raisons.

Première raison, les dispositions de ce texte ne paraissent pas en conformité avec la convention de Berne et la directive européenne « Habitats ».

M. Alain Bertrand. Nous avons démontré qu’elles l’étaient !

M. Michel Teston. En effet, ces deux textes qui fondent la protection du loup ne prévoient des dérogations qu’à titre exceptionnel et dans des conditions clairement déterminées.

Ces conditions ont été rappelées dans l’arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 14 juin 2007 : la chasse au loup ne peut intervenir qu’en l’absence de toute autre solution satisfaisante, après évaluation de l’état de conservation de l’espèce et en ayant identifié les loups causant les dommages.

En autorisant l’abattage des loups sans véritables conditions et indépendamment du niveau de prélèvement défini à l’échelon national, les « zones de protection renforcée contre le loup » qu’il nous est proposé de créer à la suite des modifications apportées en commission, sur la proposition du rapporteur, ne semblent pas plus conformes au droit international et au droit européen que les zones d’exclusion figurant dans le texte initial.

M. Jean-Vincent Placé. Tout à fait !

M. Michel Teston. Le niveau de prélèvement est déterminé à l’échelon national en fonction de nombreux critères techniques qui prennent en compte non seulement la population totale estimée de loups, mais aussi les caractéristiques locales de cette population – individus isolés ou meutes installées – et les évolutions de colonisation des territoires.

Au total, la gestion du loup est adaptative et différenciée, ce qui permet beaucoup de souplesse dans le respect du plafond de prélèvement fixé annuellement par arrêté ministériel après avis du groupe national loup.

Ensuite, même si je partage la volonté des auteurs du texte de permettre un exercice serein de l’activité pastorale, les termes adoptés en commission tels que « zones de protection renforcée contre les loups » me paraissent en contradiction avec l’objet même de la convention de Berne et de la directive « Habitats ».

En outre, envisager un tel zonage, c’est faire peu de cas de la mobilité du loup et risquer, en conséquence, une augmentation de la pression de prédation exercée sur les territoires non inclus dans ces zones. Ce serait donc simplement déplacer le problème et mettre les éleveurs situés hors des zones délimitées dans une situation bien plus difficile encore. Le dispositif proposé apparaît ainsi ingérable.

Deuxième raison de ma très grande réserve à l’égard de ce texte, les dispositions actuelles du plan loup répondent en partie aux inquiétudes des éleveurs.

Les dispositions actuelles issues du plan d’action national sur le loup 2008-2012 et des arrêtés ministériels annuels encadrant les dérogations permettent une gradation des interventions, qui, en définitive, peuvent aboutir à une autorisation de chasser le loup, dans des conditions conformes au droit.

En effet, par la mise en œuvre de mesures de protection des élevages et d’aide à la garde des troupeaux, puis, si nécessaire, par l’autorisation de tirs d’effarouchement, et enfin, si cela ne suffit pas, par l’autorisation de tirs de défense pouvant être létaux, le représentant de l’État a les moyens de lever graduellement la protection du loup, mais en agissant en conformité avec le droit international et européen, comme l’ont indiqué plusieurs arrêts du Conseil d’État, que je n’analyserai pas ici.

Ainsi, tout récemment, en Ardèche, un éleveur dont le troupeau a subi près de la moitié des attaques recensées, avec « une responsabilité du loup non écartée » – je reprends la formule de l’administration –, a été autorisé par le préfet à effectuer des tirs de défense létaux, les différentes mesures mises en œuvre n’ayant pas suffi à stopper les attaques.

M. Pierre Bernard-Reymond. Quel résultat concret ?

M. Michel Teston. Depuis, il n’y a plus d’attaque de loups !

Pourtant, l’Ardèche ne figure pas dans la liste des départements cités dans l’arrêté du 7 mai 2012, au sein desquels peuvent être délimitées les unités d’action – c’est-à-dire les zones d’intervention où les loups sont constitués en meute –, unités prévues par l’arrêté du 9 mai 2011 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup.

L’actuel plan loup permet donc de répondre de manière spécifique et graduelle aux évolutions du peuplement des territoires par le loup, même si les dispositions de ce plan doivent être adaptées aux nouveaux territoires de colonisation du loup, afin de réduire le plus possible ses conséquences sur les activités d’élevage.

Troisième, et dernière, raison, ce texte paraît inopportun au moment de l’aboutissement de la discussion en vue de l’élaboration du plan loup 2013-2017.

Ainsi que l’a rappelé Mme la ministre, les ministères de l’écologie et de l’agriculture travaillent avec le groupe national loup, composé notamment d’élus, de représentants des professions agricoles, des associations environnementales et des administrations concernées, à élaborer de nouvelles dispositions pour les quatre années à venir.

Il semble donc particulièrement inopportun que la représentation nationale adopte de nouvelles dispositions relatives au loup, alors que les conclusions de ce groupe national devraient être connues dans les tout prochains jours. Ce serait, pour le moins, nier le patient travail de l’ensemble des membres de ce groupe pour parvenir à un compromis.

Lors de la publication des conclusions de ce groupe de travail, nous serons plus à même de juger si les dispositions prévues répondent aux inquiétudes exprimées par les éleveurs. Nous pensons, en outre, que les représentants des organisations agricoles au sein du groupe national loup sont les mieux placés pour faire valoir les intérêts des éleveurs.

Toutefois, madame la ministre, vous avez clairement indiqué à propos du futur plan que, « pour être efficace, il faut tenir compte de situations très différentes selon les territoires ».

Si nous comprenons bien que vous ne puissiez nous donner « la primeur » des dispositions du plan d’action national sur le loup 2013-2017, nous vous demandons de nous confirmer – vous l’avez fait tout à l’heure, semble-t-il, lors de votre intervention – que les éleveurs confrontés à des prédations attribuées au loup et dont les pratiques agropastorales sont très différentes de celles des éleveurs de l’arc alpin, notamment ceux du Massif central, pourront, eux aussi, bénéficier de mesures spécifiques leur permettant d’assurer leur activité économique dans des conditions correctes.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Michel Teston. En conclusion, il est tout à fait compréhensible qu’Alain Bertrand se soit saisi de ce dossier et que le rapporteur, Stéphane Mazars, ait apporté sa contribution à la réflexion. Pour autant, nous considérons que cette proposition de loi n’apporte pas une réponse adaptée.

Outre le télescopage inopportun avec les prochaines annonces concernant le nouveau plan loup, ce texte, s’il était adopté, risquerait de créer une grande insécurité juridique sans, pour autant, améliorer véritablement la protection des activités d’élevage.

Par conséquent, dans sa grande majorité, le groupe socialiste votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà près de vingt-cinq ans, le loup entrait de nouveau en France après y avoir été exterminé entre le XIXsiècle et le début du XXe siècle, pour disparaître en 1939.

Aujourd’hui, il est de nouveau présent dans de nombreux territoires, notamment les Alpes, le Jura, le sud du Massif central, les Pyrénées orientales, les Vosges,…

M. Pierre Hérisson. La Haute Savoie !

Mme Évelyne Didier. … et j’en oublie sans doute !

C’est un prédateur sociable et intelligent qui se nourrit essentiellement d’espèces sauvages. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Celles-ci représentent environ les trois quarts de son régime alimentaire.

M. Jean-Louis Carrère. Et ces espèces ne sont pas menacées ?...

Mme Évelyne Didier. Certes, mes collègues ont cité les chiffres, le nombre d’attaques de troupeaux d’ovins augmente. Toutefois, ne nous y trompons pas, cette évolution est surtout due à l’extension de l’aire de présence du loup. Ce dernier prend simplement de plus en plus de place en France.

M. Alain Bertrand. Précisément !

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. Il faut donc la juguler !

Mme Évelyne Didier. Il s’agit donc non pas d’une densification, mais d’une présence de plus en plus étendue, d’un étalement de l’aire géographique des loups.

Mme Évelyne Didier. Cet accroissement de la population de loups n’a pas vocation à être infini, puisque le territoire est, de fait, limité.

M. Dominique Watrin. Soit, ils s’arrêteront à Brest ! (Sourires.)

Mme Évelyne Didier. Pour autant, nous sommes tout à fait conscients de la préoccupation des éleveurs qui perdent régulièrement des bêtes et voient ainsi une partie de leur travail anéanti. Même si le bénéfice du doute leur est toujours favorable, l’indemnisation parvient difficilement à compenser les préjudices subis et nécessite surtout des procédures très lourdes.

Ainsi, la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise prévoit d’établir un zonage au niveau de la commune, soit quelques dizaines de kilomètres carrés, pour une espèce dont le territoire est d’un tout autre ordre de grandeur. En effet, une meute de loups couvre un espace représentant, en moyenne, 200 à 300 kilomètres carrés.

De surcroît, ce zonage, changeant d’une année à l’autre, permettrait d’abattre des loups dans chacune de ces zones et dans des proportions déterminées selon des modalités que le présent texte ne définit pas. Il reste également à interpréter ce qu’est une « perturbation de grande ampleur aux activités pastorales ». Voilà une notion juridiquement peu claire !

La motivation de ce texte réside dans une volonté de contraindre les populations de loups à s’adapter aux activités humaines par une régulation plus adaptée.

Cependant, la France est tenue par ses engagements européens, avec la directive « Habitats » de 1992, et internationaux, avec la convention de Berne de 1979 : il faut protéger le loup.

Par ailleurs, notre pays s’est engagé dans une politique claire de protection de la biodiversité, que traduit la stratégie nationale pour la biodiversité et qui est désormais au cœur de la conférence environnementale.

C’est bien cette protection nationale et internationale qui a, de fait, permis l’expansion du loup depuis les Apennins italiens.

Le groupe CRC est profondément attaché à la stratégie de protection des espèces vulnérables, qui est nécessaire pour assurer l’équilibre des écosystèmes. C’est une nécessité légale et, surtout, une nécessité pour le bon fonctionnement de la nature.

De fait, le loup rend des services écosystémiques par la prédation d’animaux sauvages : la dispersion de certaines espèces évite des concentrations excessives dommageables à la flore comme à d’autres espèces animales. Le loup assure également l’élimination d’animaux faibles et malades. Il permet sans aucun doute à d’autres espèces moins connues de bénéficier également de ces moyens de protection. C’est ce qu’il est convenu d’appeler le principe de « l’espèce parapluie », qui vaut également pour le panda ou la baleine bleue.

Nous avons tendance à plaindre davantage les baleines bleues et les tigres,…

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Que les moutons !

Mme Évelyne Didier. … ce qui revient à sous-entendre que ce qui est très bien chez les autres ne l’est pas nécessairement chez nous. Prenons garde à ces contradictions !

La régulation de la population des loups se fait avant tout naturellement par la compétition pour les territoires que j’ai déjà évoquée. Néanmoins, la survenance de dommages importants causés sur les troupeaux d’ovins exige également que l’homme adopte des mesures supplémentaires de régulation, en prélevant un certain nombre d’individus (M. le président de la commission manifeste son scepticisme.), qui, en dépit des moyens de protection, causent des dommages répétés susceptibles de prendre une plus grande ampleur si rien n’est fait.

De telles dispositions sont prévues par l’article 9 de la convention de Berne, qui énumère un certain nombre de dérogations possibles, en particulier pour « prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts ». Telle est l’action qui est actuellement menée par l’État. Je relève, au passage, qu’un changement de gouvernement a eu lieu il y a quelques mois :…

MM. Jacques Mézard et Henri de Raincourt. Ah bon ? (Sourires.)

Mme Évelyne Didier. Le plan loup a été mis en place par un gouvernement de sensibilité politique différente. L’État agit conjointement avec l’aide de ses agents bénévoles, des louvetiers, et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS.

En vérité, ce texte révèle un tout autre malaise : celui du pastoralisme.

Les difficultés ne datent pas des années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix. La concurrence internationale est forte, par exemple face à la Nouvelle-Zélande. Les troupeaux sont de plus en plus grands et la main-d’œuvre de moins en moins nombreuse. La faible présence humaine n’est d’ailleurs sans doute pas étrangère au problème qui nous occupe aujourd’hui.

Pour autant, le secteur ne survit que grâce au soutien de l’État et de l’Union européenne : en moyenne, les deux tiers du revenu des éleveurs sont constitués de subventions publiques, sans compter les aides liées au loup, qui profitent également au pastoralisme, même s’il s’agit de traiter des dommages. Je pense aux subventions pour l’achat de matériels de protection, pour l’acquisition de chiens ou encore pour l’emploi de bergers et d’aides-bergers.

Cette politique de soutien doit être poursuivie, car le pastoralisme est une activité nécessaire et structurante pour nos territoires. La France est déjà très dépendante de l’étranger en matière de viande de mouton notamment. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous devons protéger l’élevage ovin.

De plus, la question de l’entretien des alpages est manifeste.

Le plan loup nous permet de dresser un état des lieux régulier de la situation, et son élaboration doit être l’occasion de mener une véritable concertation. Le plan d’action national sur le loup 2008-2012, engagé, je le répète, par un gouvernement de droite, arrive à son terme, et le plan 2013-2017 est en cours d’achèvement.

Il est indispensable que le ministère de l’écologie, qui mène ce travail avec ambition, aboutisse à des résultats en y intégrant toutes les parties prenantes. Les conclusions du groupe national loup seront d’ailleurs rendues publiques la semaine prochaine, et le plan sera dévoilé en avril. J’espère vivement qu’il tiendra compte de tout ce qui aura été dit aujourd’hui dans cet hémicycle, comme de tout ce qui s’est dit dans les différents territoires.

D’ici là, profitons de cette occasion pour dire ce qu’il y a à dire, afin que le nouveau plan loup puisse satisfaire tous les acteurs. Quelles que soient les conclusions de ce plan, les dispositifs d’accompagnement existent, ainsi que les mesures de défense et de régulation.

On peut estimer que l’accompagnement n’est pas satisfaisant, ni même suffisamment mobilisé. C’est pourquoi il est avant tout nécessaire d’encourager les pratiques innovantes, les retours d’expérience et les échanges entre éleveurs sur les pratiques pastorales pour les adapter.

M. Alain Bertrand. Des études ! Toujours des études !

Mme Évelyne Didier. Il convient donc d’anticiper en toute transparence l’expansion future de la population des loups, afin de préparer les évolutions à venir et de laisser le temps aux hommes de prendre la mesure des changements nécessaires.

Le loup a sa place en France, et une cohabitation avec les activités pastorales doit être possible. Elle doit être organisée ; il faut donc la préparer. Cependant, chaque région a ses spécificités culturales, pastorales et historiques : il est donc indispensable d’adapter les modalités d’action à chaque territoire.

En la matière, les déclarations de Mme la ministre me semblent aller dans le bon sens. Même si je comprends l’appel lancé par notre collègue Alain Bertrand, j’estime qu’il faut laisser le travail de long terme engagé par le ministère de l’écologie s’accomplir sereinement dans le cadre du nouveau plan loup, fondé sur la concertation avec tous les acteurs.

Croire qu’une loi peut résoudre une question aussi complexe ne me semble pas raisonnable.

M. Jacques Mézard. À quoi sert le législateur ?

M. Alain Bertrand. C’est cela, supprimons le Parlement !

Mme Évelyne Didier. Au contraire, cette démarche est de nature à créer un clivage sur ce débat, ainsi que nous pouvons le constater ici ; mais cela ne doit pas être.

C’est pourquoi, dans sa grande majorité, le groupe CRC n’est pas favorable à la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.

M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les auteurs de cette proposition de loi d’avoir permis d’élever au niveau du Parlement un débat qui, jusqu’à présent, était resté, pour l’essentiel, confiné à des échanges entre administrations locales et acteurs de terrain (M. le rapporteur acquiesce.), et limité à de fréquentes alertes adressées au Gouvernement pour appeler l’attention sur les difficultés grandissantes causées par l’arrivée, puis l’expansion du loup.

Au-delà de la question, souvent passionnelle, de la cohabitation entre le loup et l’agneau, le débat que nous engageons me semble mettre en évidence une contradiction assez forte entre deux grandes politiques : d’une part, celle qui a été voulue par les pouvoirs publics, en particulier depuis la loi de 1972 relative à la mise en valeur pastorale et, d’autre part, celle qui relève de la protection de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, formalisée par la convention de Berne et la directive « Habitats, faune, flore ».

La loi pastorale de 1972, dont nous avons fêté le quarantième anniversaire l’an dernier, a permis au pastoralisme de s’affirmer comme une opportunité inestimable dans les régions les moins propices à l’agriculture intensive, en particulier en montagne.

En effet, traditionnellement source de richesses et facteur de diversité biologique et paysagère, le pastoralisme vise non seulement à soutenir l’élevage et la production, mais aussi à garantir une gestion équilibrée des éléments naturels – telle la ressource en eau et la protection de la biodiversité –, tout en reconquérant des espaces pastoraux par le soutien aux élevages extensifs. J’emploie le verbe « reconquérir » à dessein, car il fut un temps où, dans ces territoires, l’abandon de l’agriculture était véritablement manifeste et très dommageable.

Ainsi, la réouverture des paysages, par la lutte contre la friche, la prévention des risques d’avalanche par l’entretien de sols – je pense notamment aux Alpes – et l’ouverture des espaces à un public de plus en plus nombreux sont autant de résultats à mettre à l’actif de l’agropastoralisme.

Dans le droit-fil de la loi pastorale précitée, cette politique de long terme a nécessité la mobilisation de financements publics nationaux, européens, régionaux et départementaux, en complément des moyens et des efforts consentis par les propriétaires, les agriculteurs, les communes et leurs groupements.

Les objectifs visés étaient nombreux : aménager des accès et des dessertes, opérer des restructurations foncières et organiser l’alimentation en énergies. Rappelons que les aides européennes accordées aux éleveurs de montagne tendent davantage à compenser un handicap qu’à concourir à l’enrichissement de ces professionnels.

Cependant, cette méritante action collective ne doit pas occulter la fragilité constante de l’activité pastorale, sujette aux aléas climatiques et affectée tant par les handicaps inhérents à la montagne que par le contexte économique défavorable concernant la détermination des niveaux de prix des produits.

De plus, comme si cela ne suffisait pas, la réapparition du canis lupus est venue resserrer d’un cran l’étau des handicaps qui pèsent sur l’activité pastorale.

Dès les premières réapparitions du loup en Haute-Savoie, nous avons exprimé nos plus vives inquiétudes quant à la menace que ce prédateur faisait courir aux élevages extensifs.

En 2002, la mission sénatoriale d’information chargée de dresser le bilan de la politique de la montagne, dont j’ai eu l’honneur de rapporter les travaux, avait relevé la gravité de cette question dans un rapport adopté à l’unanimité. (M. Alain Bertrand acquiesce.)

La situation actuelle et le vécu des montagnards depuis le début des années 2000 confirment la justesse de nos pronostics. Les chiffres cités tant par notre collègue Alain Bertrand que par M. le rapporteur et Mme la ministre en apportent l’illustration, et je n’y reviendrai pas.

À mon sens, on ne peut qu’être circonspect sur le sens et la finalité écologique que prétend servir la protection d’une espèce dont les besoins grandissants de subsistance nécessitent des prélèvements croissants sur la faune sauvage, qui vont à l’encontre d’une biodiversité équilibrée, et dont la présence engendre fatigue, stress et agressivité dans des espaces traditionnellement paisibles et ouverts à tous.

Au-delà des pertes d’animaux domestiques et du préjudice économique qui en résulte, prenons conscience du stress auquel sont soumis des troupeaux entiers d’ovins et du sort réservé aux éleveurs, chez qui les réflexes de veille, jour et nuit, sur les troupeaux entraînent fatigue et découragement, certains d’entre eux, que j’ai connus, abandonnant souvent leur activité et se livrant même parfois à des actes de désespoir.

Pouvons-nous accepter l’atteinte ainsi portée à la dignité d’un métier, de ces hommes et de ces femmes qui ont fait avec courage le choix de vivre dans un milieu aux conditions particulièrement difficiles ?

Les pouvoirs publics ont décidé de participer au financement de dispositifs de protection.

Néanmoins, comme les précédents orateurs l’ont déjà souligné, ces moyens de protection ne s’adaptent pas à tous les systèmes d’exploitation et se heurtent à des limites : le regroupement journalier des animaux peut dégrader les pâturages et ainsi favoriser les parasitoses, ce qui nuit à une gestion équilibrée des pelouses.

En outre, la présence de chiens de troupeau engendre aussi de réels problèmes pour la faune sauvage comme pour la fréquentation touristique des alpages, lieux de sérénité et de convivialité.

Au demeurant, est-il besoin d’ajouter que les tirs d’effarouchement sont d’une insigne inefficacité ?

Par ailleurs, en dépit de l’adhésion des éleveurs à ces moyens de protection, les attaques ne cessent d’augmenter, car le loup, animal remarquablement intelligent, s’adapte. Il craint de moins en moins l’homme, et s’approche de plus en plus des habitations – des preuves photographiques peuvent évidemment être fournies.

Enfin, le coût de la protection du loup peut-il être passé sous silence ? Le montant des indemnisations versées aux éleveurs dont les troupeaux ont été attaqués, conjugué au coût des moyens de protection – clôtures, chiens de protection, aides-bergers – s’élève, cela a déjà été dit, à 8 millions d’euros environ.

De surcroît, si l’on prend en compte la mobilisation des services de l’État qui se consacrent au dossier « loup », on estime que, au total, la protection de l’espèce en France entraîne une dépense de l’ordre de 20 millions d’euros par an.

Beaucoup de nos concitoyens s’interrogent, fort légitimement, sur les contradictions qui se font jour, d’une part, entre le soutien financier au pastoralisme et les crédits engagés pour la protection du loup et, d’autre part, entre l’objectif affiché de défense de la biodiversité par la protection de l’espèce et les atteintes causées par cette même espèce à la faune sauvage et, partant, à la biodiversité.

Nous pouvons aujourd’hui regretter que la France n’ait pas émis de réserves en ratifiant la convention de Berne, à l’instar d’autres pays signataires, tels que la Bulgarie, la République tchèque, la Finlande, la Lituanie, la Pologne, la Slovénie, l’Espagne et la Turquie.

De même, contrairement à certains État membres de la Communauté européenne, aucune réserve n’avait été formulée par notre pays sur l’article 12 de la directive « Habitats, faune, flore », qui impose l’instauration d’un système de protection stricte des espèces animales, parmi lesquelles figure le loup.

Ainsi, les populations de loups de certaines contrées d’Espagne, de Grèce ou de Finlande ne sont pas concernées par les dispositions de protection stricte de la directive. Il en est de même sur le territoire du peuple sami, au nord de la Suède, où l’élevage de rennes est roi.

Dans nos massifs français, la population de loups est en constante augmentation, malgré les dérogations à la protection des loups accordées par nos préfets et qui sont encadrées par des arrêtés ministériels fixant chaque année un plafond de tirs de prélèvement.

Ces mesures de régulation s’avèrent insuffisantes. Il convient donc d’envisager un dispositif mieux adapté aux zones où l’élevage extensif est trop gravement impacté.

Sans méconnaître la complexité inhérente au comportement biologique du loup, une définition géographique précise des territoires où la protection s’impose de façon plus efficace est véritablement souhaitable et me paraît possible.

Comme le propose notre rapporteur, il s’agit de territorialiser la problématique ainsi que les solutions apportées et de confier à l’autorité préfectorale le soin de fixer le point d’équilibre entre la préservation du loup, dont la survie n’est pas menacée, et l’agropastoralisme, qui doit rester la priorité sur les territoires.

Comme vous l’aurez compris, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe UDI-UC, dans sa grande majorité, votera cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur les travées du RDSE. ― MM. Jean-Louis Carrère et Claude Domeizel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé. (Exclamations sur les travées de l'UMP et du RDSE.  Des sénateurs imitent le hurlement du loup.)

M. Jean-Vincent Placé. J’entends déjà hurler les loups ! (Sourires.)

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’interviens sur ce sujet avec un grand intérêt, du fait de ma sensibilité d’écologiste bien sûr, mais aussi parce qu’il est très rare de débattre, dans cette enceinte, de la situation d’une espèce naturelle, qui plus est, d’une espèce quasiment mythique comme le loup. Une telle occasion est aussi rare que le loup lui-même !

Traquée et exterminée, cette espèce autrefois présente dans tout l’hémisphère nord, a fini par disparaître de notre territoire dans les années trente. Puis, protégé par la convention de Berne et par la directive européenne « Habitats, faune, flore », le loup est revenu naturellement dans notre pays en 1992. Sa population, estimée aujourd’hui à 250 individus, s’étend sur toutes les Alpes et commence à refaire son apparition dans la partie est des Pyrénées, dans le Massif central, le Jura et les Vosges.

M. Jean Desessard. Merci pour ce rappel !

M. Jean-Vincent Placé. Il n’est pas encore à Paris, mon cher collègue ! (Sourires.)

Oui, mes chers collègues, le loup est en phase de recolonisation naturelle, mais il n’est encore revenu que sur 0,5 % de son aire de répartition originelle. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Ce sont les statistiques !

Le retour du loup dans nos territoires est une bonne nouvelle : il reflète un enrichissement de la biodiversité, qui est une ressource vitale dont nous, humains, dépendons de multiples façons.

Le loup, prédateur naturel, qui capture ses proies naturelles, empêche, par exemple, la concentration des grands ongulés sauvages, qui compromettent la régénération naturelle de la forêt et les jeunes plantations, les chasseurs eux-mêmes le concèdent.

M. Jean-Louis Carrère. Pas dans les Landes !

M. Jean-Vincent Placé. Il élimine les individus faibles ou malades, empêchant la propagation des maladies, ainsi que les chiens errants. (Exclamations sur les travées de l'UMP. ― M. Alain Bertrand s’esclaffe.)

Conscients de la nécessité de préserver la diversité biologique ou, du moins, d’enrayer son érosion, nous nous sommes dotés aux niveaux international, européen et national de toute une batterie de textes.

Au niveau international, la protection de la biodiversité bénéficie aujourd’hui d’une véritable dynamique. Nous nous réjouissons, madame la ministre, que les services de votre ministère préparent une grande loi sur ce sujet.

M. Alain Bertrand. Elle ne l’a pas dit !

M. Jean-Vincent Placé. Les représentants des pays occidentaux sont toujours prompts à faire de grands discours généreux sur la protection des espèces dans les pays où existe encore une faune sauvage ― et dans lesquels on se rend pour faire des safaris-photos ! ―, mais ils sont les premiers à dire que de telles mesures sont trop difficiles à mettre en place chez nous !

La réponse que la France apportera à la problématique de la présence du loup sera analysée dans les négociations internationales en cours. Elle reflètera la manière dont est porté le discours sur la biodiversité. Il s’agit donc d’un sujet extrêmement important sur le fond.

La France n’est pas n’importe quel pays, aime à rappeler le Président de la République. C’est particulièrement vrai en matière de biodiversité !

Le loup est une sorte de Janus de nos montagnes.

D’un côté, il fascine, comme on peut le constater. Il constitue un vecteur d’image sur la qualité des milieux naturels, support d’un tourisme respectueux de la nature. N’oublions pas le poids économique du tourisme dans notre pays, ni le rôle essentiel qu’il joue pour l’activité des territoires de montagne !

De l’autre, ne nous voilons pas la face, le loup est l’objet de peurs ancestrales, alimentées par des récits terrifiants transmis de génération en génération.

M. Jean Desessard. La bête du Gévaudan !

M. Jean-Vincent Placé. La « peur du loup » de notre enfance – pour certains d’entre nous ! – s’est probablement transformée chez les adultes que nous sommes en une crainte disproportionnée, au regard du danger et des dégâts réels occasionnés par le loup.

M. Jean-Louis Carrère. N’est pas chaperon rouge qui veut ! (Sourires.)

M. Jean-Vincent Placé. Car, enfin, de quels dégâts parle-t-on ?

Sans minimiser les dégâts causés par le loup, reprenons les chiffres. Je vous ai écoutés, mes chers collègues, et je partage les propos du rapporteur et de notre collègue Alain Bertrand.

En 2012, ont été dénombrées 4 920 attaques imputées au loup ou, plutôt, pour lesquelles la responsabilité du loup…

M. Jean Desessard. N’est pas écartée !

M. Jean-Vincent Placé. … n’est pas exclue, en effet !

Cela signifie qu’un doute subsiste quant à la cause de certains de ces décès.

Le cheptel ovin s’élevait, en France, à 7,6 millions de têtes environ, dont 700 000 individus vivant dans les zones concernées par la présence des loups. Un décompte sans vidéosurveillance bien sûr ! (Sourires.)

Cela signifie que, en 2012, 0,6 % des ovins présents dans les zones de vie des loups sont peut-être morts du fait d’un loup, soit 0,06 % des ovins de France.

M. Alain Bertrand. La gestion des territoires, ce n’est pas des mathématiques !

M. Jean-Vincent Placé. Il est donc inutile de préciser que le loup est une cause infime de mortalité des bêtes et qu’il n’est pas le principal problème de la filière agropastorale dans notre pays.

M. Alain Bertrand. N’importe quoi !

M. Jean-Louis Carrère. Certes, il y a aussi l’ours !

M. Jean-Vincent Placé. Eu égard aux chiffres que je viens de citer, je considère que vous faites du loup un bouc émissaire des difficultés de la filière pastorale ! (Exclamations.)

M. Jean-Louis Carrère. D’autres font de même avec l’ortolan !

M. Jean-Vincent Placé. Or, vous le savez depuis L’Ecclésiaste, le bouc émissaire est innocent ! (Exclamations.)

Certes, il est plus facile de s’en prendre aux canidés qu’aux mécanismes du commerce international (Exclamations sur les travées de l'UMP.), qui, en trente ans, ont fait chuter de moitié les cours de la viande ovine (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.), ou aux mécanismes compensatoires de la PAC qui l’ont défavorisée par rapport aux autres productions d’élevage. Telle est la réalité ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Bertrand. Et le bon sens, cela existe !

M. Jean-Vincent Placé. La filière se porte très mal et les deux tiers du revenu des éleveurs proviennent…

Un sénateur du groupe UMP. C’est caricatural !

M. Jean-Vincent Placé. Je constate que le débat est passionné ! J’ai voulu qu’il en soit ainsi : qui sème le vent récolte la tempête !

M. Alain Bertrand. Il fallait écouter ce que nous avons dit auparavant ! Vous ne pouvez pas faire des effets de manche sans tenir compte de ce qu’ont déjà dit vos collègues !

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues, laissez M. Placé s’exprimer !

M. François Fortassin. Il confond politique et music-hall ! (Sourires.)

M. Jean-Vincent Placé. C’est un hommage du vice à la vertu !

La filière se porte très mal, disais-je, et les deux tiers du revenu des éleveurs proviennent des subventions publiques. Cette situation est insupportable et mérite d’être traitée en urgence.

Certes, il est indéniable que les éleveurs sont en difficulté, et je profite de l’occasion qui m’est ici donnée pour les assurer du soutien des écologistes. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Gérard Bailly. Ils n’ont aucune idée de ce qu’est un éleveur !

M. Jean-Vincent Placé. Mais c’est un leurre, voire un mensonge, de croire que nous résoudrons les difficultés de l’élevage en nous en prenant aux loups ! Le problème est bien plus vaste.

En réalité, cette proposition de loi n’apporte aucune réponse à ces problèmes complexes.

Pour améliorer la situation, il nous faut organiser la cohabitation entre les hommes, leurs activités et les loups. À proportion égale, les loups mangent deux fois plus de brebis en France qu’en Suisse !

M. Henri de Raincourt. Deux fois plus que les hommes ?...

M. Jean-Vincent Placé. Des solutions existent donc.

À cet égard, la concertation ouverte par Mme la ministre – je me félicite du discours très équilibré qu’elle a prononcé ! –, qui rendra ses conclusions, la semaine prochaine – peut-être aurions-nous pu différer notre débat de quelques jours ! –…

M. Alain Bertrand. Ce texte reviendra au Sénat en deuxième lecture !

M. Jean-Vincent Placé. … seront, j’en suis certain, éclairantes sur ce sujet.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, tirer sur les loups ne nous semble pas une solution optimale…

M. Alain Bertrand. Nous n’avons pas employé ce terme !

M. Jean-Vincent Placé. … pour protéger les activités agropastorales de notre pays.

Pour les raisons que j’ai exposées dans ce débat tout à la fois passionné, franc, sincère et, en réalité, plutôt calme, le groupe écologiste votera bien entendu contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond.

M. Pierre Bernard-Reymond. Madame la ministre, c’est avec une certaine gravité que je m’adresse à vous tant ce sujet révèle un véritable problème de société.

M. Jean-Louis Carrère. Au moins, on ne pourra pas soupçonner notre collègue d’être anti-européen !

M. Pierre Bernard-Reymond. Quelle conception se fait-on du travail des hommes ? Quel respect leur accorde-t-on ? Quelles relations notre nation est-elle capable d’établir entre des cultures et des modes de vie différents qui coexistent sur notre territoire ? Peut-on prendre le risque de voir s’agrandir encore la fracture entre le monde urbain et le monde rural ?

M. Pierre Bernard-Reymond. La présence de plus en plus nombreuse de loups dans les alpages confronte les éleveurs d’ovins, et parfois de bovins, à une situation de plus en plus insupportable.

Les attaques du loup occasionnent de nombreuses pertes et obligent les éleveurs à adopter des modes de garde très contraignants, tandis qu’ils s’inquiètent du danger potentiel que représentent les chiens de garde spécialisés, les fameux « patous », pour les touristes qui fréquentent les alpages.

Il faut avoir été le témoin de la détresse d’une famille d’éleveurs dont le troupeau vient d’être décimé par les loups pour comprendre que, au-delà du grave problème économique, se posent également des questions de dignité, d’affectivité, d’incompréhension, de révolte.

M. Claude Domeizel. Absolument !

M. Pierre Bernard-Reymond. Celui ou celle qui a choisi cette profession comme gagne-pain, mais aussi comme mode de vie, qui passe ses journées, et parfois ses nuits au moment de l’agnelage, au milieu du troupeau, qui suit chaque bête de la naissance à la mort, ne peut pas comprendre que lui soit refusé, pour son troupeau, le droit systématique à la légitime défense. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)

Comment, par ailleurs, parler de bien-être animal en acceptant par avance qu’en moins d’une heure des dizaines de moutons puissent être égorgés par des loups ? Le contraire ne s’est jamais produit, comme disait Jean de La Fontaine !

Il faut n’avoir vu le loup que sur les pages glacées des magazines ou ne le concevoir que comme sujet d’aimables conversations de salon dans les dîners en ville, pour ne pas rechercher un nouvel équilibre.

Si la présence du loup est généralement acceptable et souhaitable sur le territoire national,…

M. Jean-Louis Carrère. Elle est acceptable pour les bobos, surtout !

M. Pierre Bernard-Reymond. … sa cohabitation dans les alpages avec le mouton, l’agneau, voire le veau, est impossible.

Si la situation qui prévaut aujourd’hui devait perdurer, on assisterait progressivement à l’abandon de l’élevage en montagne et donc à la désertification des alpages.

M. Pierre Hérisson. Et l’écosystème, dans tout cela ?

M. Pierre Bernard-Reymond. Or le maintien d’une population aussi nombreuse que possible en montagne, et particulièrement d’agriculteurs et de pasteurs, est un objectif essentiel en matière d’aménagement et d’entretien du territoire.

Par ailleurs, la déprise agricole présente un bilan écologique négatif. En effet, l’entretien des alpages par les éleveurs est absolument essentiel en montagne. Il préserve de l’envahissement par les broussailles et de la fermeture du paysage par la forêt qui, par ailleurs, ne cesse de progresser.

M. Pierre Hérisson. Très bien !

M. Pierre Bernard-Reymond. Il prévient les feux de forêt, limite le danger des avalanches et maintient une certaine biodiversité. Il n’est que de voir au mois de juin la profusion florale qu’offrent, à nos yeux, ces terres d’altitude.

Il convient donc, après une phase d’expansion de la présence du loup, de trouver un nouvel équilibre.

La législation, qui a déjà évolué depuis la réapparition du loup en France, en 1992, ne se révèle plus efficiente. C’est ainsi que, en 2009, un seul loup a pu être abattu par les lieutenants de louveterie habilités à cet effet, alors que l’objectif était d’en prélever huit ; le même phénomène s’est reproduit chaque année depuis lors.

M. Pierre Hérisson. Exactement !

M. Pierre Bernard-Reymond. Dans ces conditions, le moment est venu, me semble-t-il, de passer, comme je le réclame depuis plusieurs années, d’une approche quantitative à une approche territoriale. Il s’agit de faire du loup un interdit de séjour dans les zones d’élevage,…

M. Pierre Hérisson. Très bien !

M. Pierre Bernard-Reymond. … en donnant aux pasteurs titulaires d’un permis de chasse un droit de légitime défense : le droit de tirer le loup dès lors qu’il se trouve dans des zones d’alpages bien identifiées, lesquelles doivent être sanctuarisées.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Pierre Bernard-Reymond. Je suis persuadé que le loup, animal très intelligent, apprendra assez vite à connaître les zones où un danger existe pour lui et qu’il les évitera.

Évidemment, cette pratique devrait être encadrée, la déclaration de tir effective auprès des autorités compétentes désignées étant obligatoire. Cette politique pourrait aussi être mise en œuvre pour une période d’essai de trois ans, à l’issue de laquelle un bilan serait établi.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, le temps de parole de notre collègue est épuisé !

M. Pierre Bernard-Reymond. Si cette mesure devait ne pas être prise, il nous faudrait en appeler à la solidarité nationale.

M. le président. Mon cher collègue, il vous faut conclure !

M. Pierre Bernard-Reymond. Je vais conclure, monsieur le président.

Je ne parle pas de solidarité financière, mais d’une solidarité de condition, d’une solidarité d’expérience. Autrement dit, il faudrait étendre la présence du loup aux lieux où il n’est perçu que de façon intellectuelle et théorique. À Paris, par exemple ! On pourrait lâcher quelques meutes au bois de Boulogne, au bois de Vincennes, …

M. le président. Mon cher collègue, vous avez doublé votre temps de parole !

M. Pierre Bernard-Reymond. … et – pourquoi pas ? – au jardin du Luxembourg, avant qu’ils ne s’égarent sur les Champs-Élysées… (Exclamations.) Mais je ne pense pas que la raison du plus fort soit toujours la meilleure, ni que nous serons obligés d’en arriver là sans autre forme de procès…

Toujours est-il que la proposition de loi de notre collègue Alain Bertrand va dans le bon sens et je la voterai. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE. – MM. Jean-Louis Carrère et Claude Domeizel applaudissent également.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que cette proposition de loi est examinée dans le cadre d’un espace réservé. Aussi, je demande à chacun de veiller au respect de son temps de parole. Il y va de l’intérêt de tous.

La parole est à M. Gérard Bailly.

M. Gérard Bailly. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, vous comprendrez sans peine que le président du groupe d’études de l’élevage que je suis veuille intervenir dans ce débat, et que sa position ne soit pas celle de Mme le ministre.

Si je me suis félicité de l’intitulé de la proposition de loi : « proposition de loi visant à créer des zones d’exclusion pour le loup », auquel j’étais très favorable, j’ai estimé, à la lecture de l’article unique, que les expressions « dommages importants » et « perturbation de grande ampleur » minimisaient la portée du texte.

Certes, on peut disserter longuement sur ces termes, et les interprétations peuvent varier beaucoup d’une personne à l’autre. Mon avis sera naturellement très différent de celui d’un sénateur écologiste ; de même, les éleveurs victimes de ces prédateurs n’auront pas la même appréciation que ceux qui privilégient le développement du loup.

Que l’on ne s’y méprenne pas : je ne suis pas hostile au maintien du loup ni à celui des autres prédateurs, tels que l’ours et le lynx. Mais à la condition qu’on en limite le nombre !

Comme de nombreux collègues l’ont souligné, les attaques du loup deviennent de plus en plus insupportables pour les éleveurs des zones de montagne. Bon nombre d’entre eux sont découragés, ce qui a des conséquences graves : l’abandon de pans entiers des alpages et des pâturages laisse place à des friches.

À cet égard, permettez-moi de répondre à nos collègues du groupe écologiste. S’il est vrai que la diminution du nombre des ovins dans notre pays n’est pas uniquement due au loup – il existe un problème économique –, il est évident que les conséquences morales des attaques contre les troupeaux, s’ajoutant aux difficultés économiques des exploitations, conduisent certains éleveurs à abandonner leur activité. Ce problème – important – se greffe à la mauvaise situation économique.

Le mécontentement s’élève de tous nos massifs, de la Méditerranée aux Vosges et des Pyrénées-Orientales au Massif central. Tous les éleveurs se sentent trahis : sous prétexte de biodiversité, on cherche à faire plaisir au mouvement écologique !

Je ne répéterai pas les chiffres des attaques. Mais vous croyez-vous crédible, madame la ministre, lorsque vous demandez aux éleveurs de veiller au bien-être des animaux dans leurs bergeries et leurs écuries, alors qu’on laisse dévorer 5 000 bêtes par an ? Comment parviendrez-vous à leur faire comprendre cela ?

Mme Delphine Batho, ministre. Monsieur le sénateur, vous n’avez pas dû écouter mon intervention !

M. Gérard Bailly. Avant vous déjà, les ministres successifs sont restés sourds, ne prenant aucune réelle décision. Faudra-t-il donc attendre qu’un enfant soit attaqué pour que les éleveurs soient enfin entendus ?

M. Jean Desessard. Ce sont les chiens qui attaquent les enfants !

M. Gérard Bailly. Mes chers collègues, j’en suis persuadé : un tel accident se produira !

Certains territoires subissent fréquemment les attaques d’autres prédateurs, comme le lynx. Or non seulement rien n’est fait pour diminuer les effectifs de cet animal, mais on vante même ses mérites, alors qu’il commet des dégâts considérables parmi les jeunes chamois et chevreuils !

Dans le rapport d’information que François Fortassin et moi-même avions rédigé en 2008 sur l’avenir de la filière ovine et que nous avions intitulé : « Revenons à nos moutons : un impératif pour nos territoires et notre pays » (Sourires.), nous avions alors déjà constaté l’étendue des dégâts, qui sont bien plus importants encore aujourd’hui.

Dans mon département, le Jura, j’ai vu pleurer une agricultrice en présence de M. le préfet devant les cadavres de ses quinze animaux morts et le spectacle de ses autres animaux blessés. Depuis, Claire Gadiolet, a vendu ses 240 brebis pour ne pas risquer de revivre un pareil cauchemar.

Voici le discours qu’elle tenait en pleurant, alors qu’on soignait ses bêtes blessées : « Nous sommes des paysans, des gens du pays, si fiers de leur lien avec la terre, cette terre que l’on a sculptée à la sueur de nos fronts et au fil des saisons, et nous sommes des éleveurs. La passion de l’élevage nous unit. Nous avons choisi d’y consacrer nos vies. L’élevage n’est, en effet, pas seulement un métier, mais bien un mode de vie, comme une petite flamme au fond de nos cœurs que l’on ressentait depuis toujours. On voulait être éleveur, alors, dès que l’âge nous l’a permis, on a repris une ferme et un troupeau, et vous voyez le résultat aujourd’hui ! »

Oui, madame le ministre, c’est à cette fille en pleurs, qui a vu ses bêtes mortes, blessées, effarouchées ou avortées, que je songe en cet instant, autant qu’aux loups de nos montagnes ! Ce sont des scènes que vous n’avez pas le droit de laisser se reproduire aussi souvent !

La présente proposition de loi ne doit pas être un faux-semblant, pour se donner bonne conscience en parlant de « perturbation de grande ampleur ». Il faut aller plus loin.

Je le répète, le nombre de loups doit absolument diminuer de manière significative sur nos territoires, ce qui, du reste, n’empêchera pas la conservation de l’espèce. Dans le Jura, si rien n’est fait, les mêmes problèmes se poseront avec le lynx, dont la présence progresse à grande allure.

Madame le ministre, j’aurai prochainement l’occasion de vous interroger sur le coût des prédateurs – un sujet que j’ai déjà abordé dans une question orale. À la vérité, ce coût est inestimable, car il faut prendre en compte, outre le personnel chargé de la protection des prédateurs et les indemnités versées, les conséquences de l’abandon de l’élevage dans certains secteurs de nos massifs : les moutons seront remplacés par l’herbe sèche, ce qui favorisera les incendies dans les régions du sud et les avalanches dans les zones de montagne.

Mes chers collègues, en tant que président du groupe d’études de l’élevage, je tiens à vous communiquer quelques chiffres pour vous alerter.

Alors qu’il y avait 12 840 000 têtes d’ovins dans notre pays en 1980, il n’y en avait plus que 8 490 000 en 2006 – les chiffres ont continué à diminuer de manière significative ! –, 7 959 000 en 2011, pour atteindre 7 600 000 en 2012. Nous perdons chaque année 300 000 ovins ! S’il existe bien une crise ovine, il faut aussi, je le répète, prendre en considération l’aspect moral de la question.

Est-il normal que nous importions environ 55 % de la viande ovine que nous consommons, alors que la France compte tant de pâtures et d’alpages ?

Il est incompréhensible qu’à la situation dégradée de la filière ovine s’ajoute le découragement des éleveurs, auxquels la nécessité de protéger les troupeaux impose un surcroît de travail important. En effet, de longs déplacements sont nécessaires pour mettre les moutons à l’abri le soir. Quant aux chiens patous, ils rendent des services, mais ils peuvent aussi provoquer des désagréments pour les promeneurs.

Je poursuivrai mon combat tant que des mesures plus coercitives ne seront pas prises à l’encontre de ces prédateurs. Dans le Jura, qu’a-t-on trouvé pour les lynx ? Des tirs d’effarouchement ? Un gadget ! Résultat, ils se déplacent ailleurs.

Madame le ministre, vous m’avez attristé en vous déclarant hostile, au nom du Gouvernement, à la proposition de loi. Quelle en est la raison ? Mettez-vous donc à la place des éleveurs !

Mme Delphine Batho, ministre. Les éleveurs ne veulent pas de cette proposition de loi !

M. Gérard Bailly. Un éleveur aime ses bêtes, sinon il n’en est pas un ! Il nourrit ses moutons, les soigne et aide à la naissance des agneaux ; en un mot, il les aime. Il souffre à la vue de leurs souffrances, celle, par exemple, qu’illustre cette photo de l’Association nationale des élus de la montagne. (M. Gérard Bailly brandit la photo.)

Mes chers collègues, songez que 5 000 moutons meurent chaque année dans des conditions déplorables ! Voulez-vous que cela continue ainsi ? Pour ma part, j’estime qu’un mouton a autant droit à la vie qu’un loup ; un agneau, je l’aime autant qu’un loup ! (M. Alain Bertrand acquiesce.) Je veux que vous le compreniez !

Mes chers collègues, pour éviter qu’un tel massacre de la production ovine ne perdure, votons cette proposition de loi, qui va dans le bon sens, dans l’espoir d’aller plus loin demain. Les éleveurs attendent votre décision : pourquoi nous priver d’une telle ambition ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer les propos enthousiastes, mesurés et frappés au coin du bon sens de mes excellents collègues Alain Bertrand et Stéphane Mazars.

De votre intervention, madame la ministre, outre votre un débit oratoire rapide, présentant quelque intérêt (Sourires.), j’ai retenu que vous aviez dit que le plan loup était très intelligent.

M. Pierre Hérisson. Il est inefficace !

M. Jean Desessard. C’est le loup qui est intelligent !

M. François Fortassin. Ce propos peut laisser penser que ceux qui n’y sont pas très favorables seraient beaucoup moins intelligents ! La République nous a parfois habitués à un peu plus de délicatesse mais, enfin, ce n’est pas très grave…

Je voterai cette proposition de loi, pour des raisons historiques d’abord.

En effet, il ne faut jamais oublier que des générations entières, dans nos campagnes, ont vécu pendant des siècles avec la peur au ventre…

M. Pierre Hérisson. Très bien !

M. François Fortassin. … et la crainte permanente du prédateur. À ce propos, permettez-moi de vous livrer deux témoignages.

Le premier, qui remonte à ma jeunesse, est celui d’un homme qui n’avait pas vingt ans au début du XXe siècle. S’étant trouvé aux prises avec une meute de loups qui jouaient autour de lui, il n’avait dû son salut qu’à la présence providentielle d’un âne qui, en se mettant à braire très bruyamment, avait effarouché les loups. Seulement, cet homme était resté enloubit, comme l’on dit en gascon, c’est-à-dire hanté par les loups.

Au soir de sa vie, il m’a confié qu’il avait beau avoir connu les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, notamment ceux de Verdun où il avait perdu un bras, ses traumatismes et ses cauchemars en relation avec le loup étaient beaucoup plus douloureux que ses souvenirs dramatiques de la Grande guerre. Méditons ce cas !

Mon second témoignage est beaucoup plus récent. Sur l’invitation de notre ancien collègue Thierry Repentin, actuellement ministre, le président Bailly et moi-même sommes allés en Savoie, où une meute de loups avait tué un chien patou et précipité dans un ravin 1 480 brebis, dont plus de la moitié avaient dû être euthanasiées dans des conditions très difficiles. Un tel drame ne peut pas être passé par pertes et profits !

M. Jean Desessard. Faudrait-il arrêter de conduire parce qu’il y a des accidents de la route ? (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

M. François Fortassin. Le deuxième motif qui me conduit à soutenir la proposition de loi tient à la défense du pastoralisme.

Pourquoi défendre le pastoralisme ? D’abord, pour des raisons économiques et sociales.

Le pastoralisme est, dans notre pays, le gagne-pain d’un certain nombre d’éleveurs, qui de surcroît produisent des denrées de qualité.

Ensuite, pour des raisons affectives.

S’occuper d’un troupeau, comme l’a très bien expliqué Alain Bertrand, prend du temps. Un lien affectif se crée entre l’éleveur et ses bêtes. Vous pouvez indemniser autant que vous voudrez, vous ne réparerez pas la perte affective de l’éleveur qui voit ses moutons massacrés ! (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.)

Mme Hélène Lipietz. Cela ne les gêne pas de les envoyer à l’abattoir !

M. François Fortassin. Enfin, il faut défendre le pastoralisme pour des raisons environnementales, car l’élevage ovin est le dernier rempart avant la friche.

M. François Fortassin. Si les éleveurs sont obligés de parquer les troupeaux ou de les enfermer, comme c’est le cas dans le Causse Méjean, par exemple,…

M. Jean-Louis Carrère. Nos camarades Verts iront nettoyer !

M. Jean Desessard. Oui, venez avec nous !

M. François Fortassin. … que j’ai traversé durant l’été et où je n’ai pas vu un seul troupeau en liberté – tous étaient dans les bergeries –, c’est l’ensemble du paysage qui se fermera du même coup, ce qui aura des conséquences environnementales dramatiques.

Je voterai donc ce texte avec beaucoup d’enthousiasme, car il vise à protéger l’activité humaine. D’autant que le loup n’est pas une espèce menacée : ce n’est pas parce que nous en prélevons quelques individus dans certaines zones que la population de loups se trouvera menacée pour autant dans notre pays.

M. Jean-Louis Carrère. J’ai voté pour la parité ! Je voterai ici pour 50 % d’hommes et pour 50 % de loups !

M. François Fortassin. Je suis favorable à la biodiversité, mais n’attendez pas de moi que je sois « l’agneau qui invite le loup à manger », pour reprendre les paroles d’une chanson à la mode ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Charles Revet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Desessard. Y aurait-il des loups au Havre, maintenant ?...

M. Charles Revet. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, peut-être pourriez-vous vous étonner d’entendre un élu normand intervenir à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi traitant du problème des loups,…

Mme Hélène Lipietz. Il y a aussi des loups de mer !

M. Charles Revet. … du développement rapide de la population de ce prédateur et des conséquences qui en découlent pour les propriétaires d’ovins et autres, amenés à constater que des milliers de bêtes sont égorgées par ces représentants de la faune sauvage. M. le rapporteur a indiqué que, pour 2011 ou pour 2012, il s’agit de près de 5 000 moutons.

Sans doute des indemnisations sont-elles versées à ceux qui subissent ces pertes, mais, par-delà l’aspect financier, on comprend le désarroi des éleveurs et leur sentiment d’être abandonnés par les responsables publiques.

Nombre de collègues dénoncent cette situation, comme l’a encore fait aujourd’hui Gérard Bailly avec sa fougue coutumière, et pour la énième fois.

Cela étant, je vous rassure, les loups ne sont pas encore présents sur les collines normandes. (Sourires.) Cela étant, des prédateurs d’autres espèces se sont multipliés de manière anarchique. Ils causent des dégâts considérables aux récoltes et constituent parfois un risque important pour les personnes, à coup sûr pour les animaux, sans parler de la sécurité sanitaire.

Est-il normal qu’aujourd’hui des renards viennent en périphérie de certaines grandes villes chercher de la nourriture dans les poubelles ?

M. Jean Desessard. Et alors ? Il y en a à Paris !

Mme Hélène Lipietz. Voilà, après le loup, le renard !

M. Charles Revet. Probablement la raréfaction du petit gibier n’est-elle pas étrangère à cette prolifération du renard et d’autres animaux nuisibles.

Il y a quelques années, on avait constaté une recrudescence de cas de rage, avec les risques que cela faisait courir aux habitants. Il en est de même des sangliers, qui se sont multipliés. Alors qu’il y a plusieurs années ils étaient cantonnés dans les forêts et les bois, aujourd’hui ils se sont répandus dans la plaine, occasionnant des dégâts importants aux différentes récoltes.

Je pourrais, de la même manière, citer des gibiers plus sympathiques – biches ou chevreuils – dont l’augmentation de la population peut aussi occasionner des dégâts aux récoltes.

M. Henri de Raincourt. Et des dégâts considérables !

M. Charles Revet. Autre exemple, nous avons en Seine-Maritime plusieurs forêts importantes, et de qualité. Les cerfs s’y sont développés en grand nombre. Est-ce le surnombre et les risques de maladies qui en découlent ? Après une attaque de tuberculose, M. le préfet à fait abattre les bêtes malades. Entre-temps, des cheptels bovins ont été contaminés. Pourtant, grâce à des campagnes de prophylaxie, nous avions pu éradiquer cette maladie contagieuse, et bien d’autres.

En citant ces exemples, madame le ministre, je ne veux pas laisser entendre qu’il faudrait supprimer tous ces animaux - certains ont été réimplantés sur le territoire national ces dix ou vingt dernières années -, mais il est manifestement nécessaire de mettre en place une meilleure régulation pour chaque espèce animale afin d’aboutir à l’équilibre entre la présence d’une faune sauvage sur le territoire et les différentes activités économiques développées, notamment dans le domaine agricole.

Cette régulation, indispensable, ne peut se faire dans des conditions satisfaisantes qu’avec la participation des différents acteurs présents sur le terrain, le préfet ayant pour mission, pour le compte de l’État, d’en assurer la coordination et la responsabilité.

Madame le ministre, ce n’est pas à Paris que les choses se jouent, c’est sur le terrain. C’est donc sur le terrain que les décisions doivent être prises. Au travers de toutes nos interventions, vous aurez compris que beaucoup de personnes responsables sont prêtes à apporter leur contribution. Il nous faut véritablement engager cette démarche sur l’ensemble du territoire.

C’est, me semble-t-il, ce qui ressort de la proposition de loi déposée par notre collègue Alain Bertrand et dont notre collègue Stéphane Mazars est le rapporteur.

Je suggère que cette démarche soit élargie à l’ensemble de la faune sauvage et à l’ensemble du territoire national. C’est le sens de mon intervention.

En conclusion, le groupe UMP apportera son soutien à la proposition de loi de notre collègue Alain Bertrand, amendé par notre rapporteur, Stéphane Mazars. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski.

M. Ladislas Poniatowski. Il n’est pas facile d’être le dernier orateur à intervenir dans une discussion générale, mais surtout aujourd’hui, car tout a déjà été dit, et fort bien dit !

J’aimerais néanmoins apporter ma touche personnelle à ce débat, en tentant d’éviter la répétition.

Mme Hélène Lipietz. Cela va être difficile !

M. Ladislas Poniatowski. Je voudrais tout d’abord remercier mes collègues Alain Bertrand et Stéphane Mazars, représentant respectivement la Lozère et l’Aveyron – ce n’est bien sûr pas un hasard –, d’avoir présenté et rapporté cette proposition de loi sur le magnifique animal qu’est le loup.

Comme souvent, la France, se caractérise par une approche assez dogmatique en la matière.

Mme Hélène Lipietz. C’est sûr !

M. Ladislas Poniatowski. Si l’on regarde hors de nos frontières, en Espagne comme en Suède, on constate que le loup peut, dans ces deux pays, faire l’objet d’une régulation en fonction de ses effectifs et des atteintes à la faune et aux troupeaux dont il est responsable.

En Suède, il existe de facto une espèce de plan de chasse. En Espagne, les chasseurs peuvent obtenir une licence de tir dans les zones où le loup a été constaté en surabondance, le produit de cette licence étant affecté à la compensation des dommages en faveur des éleveurs.

Je signale, par ailleurs, que la Fédération nationale des chasseurs, la FNC, dans le cadre du programme Médialoup, a analysé précisément le statut et les pratiques de gestion du loup en Europe. Ses préconisations seront bientôt présentées publiquement, le 7 février prochain. Dommage que nous n’ayons pas eu connaissance de ces éléments d’information, qui auraient pu enrichir utilement le débat d’aujourd’hui !

Pour ce qui me concerne, je pense que le statut d’espèce sauvage du loup ne saurait nous faire perdre de vue une évidence : dans nos pays fortement peuplés et abritant un élevage répandu jusqu’en moyenne montagne, le loup doit faire l’objet d’une gestion. Que cette gestion soit avisée, c’est évident, mais qu’elle soit refusée au nom d’une idéologie sans support scientifique, voilà ce que j’ai du mal à accepter.

Cette gestion et cette régulation du loup pourraient reposer sur quelques principes simples.

Il faut exprimer de façon concrète et explicite, dans un plan national d’action sur le loup, le ou les objectifs de la politique du loup en France. Combien de loups veut-on dans un pays aussi peuplé et aménagé que la France ? Où accepte-t-on le loup ? Quels sont les scénarios de recolonisation ?

Il faut prendre en compte la prédation sur les troupeaux, bien sûr, mais aussi sur d’autres espèces sauvages sensibles, telles que le chevreuil ou le mouflon. Ce dernier est en train de disparaître dans certains secteurs, car, contrairement au chamois, qui se sauve rapidement, le mouflon pense qu’il peut faire face au loup. Résultat : il disparaît totalement dans certains secteurs !

Il faut rechercher l’acceptation locale des éleveurs, des élus, des habitants, seul gage de pérennité des efforts entrepris, par tout un ensemble de mesures adaptées.

Il faut associer les chasseurs aux projets de conservation et de suivi du loup, INTERREG, LIFE, DREAL. C’est un gage d’efficacité. Néanmoins, à l’évidence, il ne faut pas remettre en question leur participation à l’indemnisation des dégâts.

Il faut définir, vous avez été plusieurs à le dire, des aires géographiques pertinentes, ce qu’envisagent les auteurs de la présente proposition de loi. Il faut intégrer, comme dans certains pays d’Europ, une gestion adaptative et différenciée de la population par grands massifs, et non globalement, au niveau national. Il faut fixer des objectifs et des quotas de prélèvements pour les Alpes du Nord, pour les Alpes du Sud, pour les Pyrénées, pour le Massif central et pour le massif jurassien-vosgien.

Il faut intégrer, enfin, dans le plan national d’action, les lignes directrices et les principes européens sur la gestion des grands prédateurs en Europe, tels qu’édictés par le Conseil de l’Europe, par exemple pour la compatibilité de la chasse – locale ou de tourisme – et du développement de l’espèce, comme dans d’autres pays d’Europe.

Mes chers collègues, il me semble tout à fait possible de donner une place au loup dans notre pays, je suis même tenté de dire toute sa place, mais rien que sa place. Cela exige simplement de refuser l’idéologie pour privilégier la recherche et le respect du « local ».

C’est dans cette perspective que la création de zones d’exclusion pour les loups trouve toute sa justification. C’est un instrument, un outil parmi d’autres, qui peut nous permettre de progresser. Je suis donc tout à fait prêt à voter cette proposition de loi pour manifester mon soutien aux principes qui l’animent.

Je me demande, toutefois, si, ce faisant, nous n’aurions pas traité qu’une partie du problème seulement. Le loup est un animal extraordinaire, fascinant à bien des égards, qui mérite peut-être plus et mieux. La suite des débats parlementaires et la prise en compte des préconisations à venir, notamment de la FNC, nous permettront sans nul doute de progresser sur cette voie.

Dans le même temps, nous aurons aussi à réfléchir sur le statut de l’animal, qu’il soit sauvage, domestique ou d’élevage. C’est un sujet considérable dont le Saint-Hubert Club de France, dans son colloque organisé lundi dernier ici même, au Sénat, nous a montré toutes les facettes avant de nous indiquer un certain nombre de pistes de réflexion. Peut-être aurons-nous le temps de revenir sur ce sujet ? C’est en tout cas ce que je souhaite.

Mes chers collègues, comme vient de le rappeler Charles Revet, le groupe UMP votera cette proposition de loi. Nous demanderons qu’elle soit mise aux voix par scrutin public, monsieur le président, car il faut que les positions de chacun soient claires ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Delphine Batho, ministre. Au terme de cette discussion générale, je souhaite réagir aux différentes interventions.

Je veux dire à Michel Teston qu’en effet la gestion différenciée est la question-clé de l’adaptation des réponses à apporter sur les différents territoires. Le point qui fait discussion par rapport au texte de cette proposition de loi est celui de l’articulation entre la gestion différenciée adaptée aux territoires et l’approche globale que nous devons garder sur le plan national par rapport à un plafond national de prélèvement. Le respect de ce plafond est une exigence liée à nos obligations et à nos engagements internationaux pour protéger l’espèce.

Je vous confirme que les différentes mesures prises seront adaptées à chaque territoire. Il en ira ainsi pour le Massif central.

Madame Didier, je vous remercie de votre intervention, en particulier de votre propos concernant la sérénité qui doit présider aux débats ainsi que l’écoute dont nous devons faire preuve les uns à l’égard des autres afin de prendre en compte la réalité du contenu des interventions.

Monsieur Amoudry, vous avez regretté que la France n’ait pas formulé de réserves sur la convention de Berne. Nous sommes en discussion permanente avec la Commission européenne, auprès de laquelle nous défendons une approche équilibrée. Aujourd’hui, on recense 250 loups en France, effectif qui, au stade actuel, ne garantit pas la non-disparition de l’espèce. Nous avons donc constamment à démontrer que le loup ne va pas disparaître dans notre pays.

Monsieur Placé, je vous remercie de votre propos concernant la future loi-cadre sur la biodiversité. Le processus d’élaboration de ce projet de loi-cadre est effectivement engagé. Le texte sera soumis au Conseil national de la transition écologique, le 12 février prochain, dans la perspective de discussions qui auront lieu dans les régions. La loi permettra notamment de créer l’Agence nationale de la biodiversité.

Je vous remercie également de votre propos sur le maintien de l’élevage et sur la nécessité de réorienter la politique agricole commune. C’est le travail qu’a engagé Stéphane Le Foll dans la perspective du « verdissement » de la PAC et d’un soutien plus important à l’élevage extensif.

Monsieur Bernard-Reymond, dans le cadre du plan loup actuellement en discussion, est envisagée l’extension des tirs de défense dans les endroits où cela sera nécessaire. (M. Alain Bertrand s’exclame.)

C’est l’une des dispositions qui seront discutées la semaine prochaine entre les parties prenantes.

M. Gérard Bailly a fait allusion à un propos que j’aurais prononcé concernant le bien-être animal. Or je ne crois pas avoir évoqué ce sujet.

Je précise également que les éleveurs ne soutiennent pas la proposition de loi, ce qui me paraît être un élément très important à verser aux débats. Mesdames, messieurs les sénateurs, les éleveurs ne sont pas favorables à la création de zones d’exclusion du loup.

M. Alain Bertrand. C’est faux !

Mme Delphine Batho, ministre. C’est absolument vrai ! J’ai moi-même rencontré les associations d’éleveurs : elles sont tout à fait opposées à des dispositions qui introduiraient une distorsion de concurrence entre les élevages.

Mme Delphine Batho, ministre. Monsieur Fortassin, je vous remercie de vos commentaires sur mon élocution, mais je crois, moi aussi, à la sagesse du Parlement. À aucun moment je n’ai mis en cause la légitimité du Parlement à débattre de ce sujet, bien au contraire. La discussion d’aujourd’hui est essentielle et je souhaite qu’à l’issue le Sénat, ayant été pleinement éclairé sur ce qui inspire aujourd’hui le Gouvernement, puisse soutenir sa démarche.

Monsieur Revet, vous avez souhaité étendre cette discussion aux espèces nuisibles. Sachez qu’il y a une grande différence entre les espèces nuisibles, pour lesquelles un certain nombre de mesures de gestion sont prévues, et les espèces protégées.

Enfin, monsieur Poniatowski, je souligne que votre intervention faisait écho à des propos que je n’ai pas tenus. Je ne crois pas avoir fait preuve d’idéologie dans l’approche de ces problèmes que j’ai défendue au nom du Gouvernement. J’ai bien mis en lumière à la fois la nécessité de respecter les engagements internationaux de la France en matière de biodiversité, notre devoir de préservation d’une espèce protégée, mais aussi la volonté déterminée qui est la mienne de répondre à la détresse des éleveurs. Je l’ai dit dès le départ, et c’est cette ligne de conduite qui sous-tend aujourd’hui mon action. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Mes chers collègues, j’insiste à nouveau sur la nécessité de respecter les temps de parole impartis. La durée de cette discussion a été fixée à quatre heures : par conséquent, le temps excédentaire qui sera consacré au loup le sera au détriment de la contribution économique territoriale.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer des zones d'exclusion pour les loups
Article unique (début)

Article additionnel avant l'article unique

M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Revet et Pointereau, est ainsi libellé :

Avant l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 411-2 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Dans chaque département, il appartient au préfet de prendre des dispositions pour réguler le développement de la population des animaux sauvages pouvant modifier un fonctionnement équilibré des espèces animales et avoir des conséquences sur les activités qui en dépendent. Celui-ci, chaque année, organise une réunion d’information des différents acteurs concernés. »

La parole est à M. Charles Revet.

M. Charles Revet. Cet amendement, que j’ai déposé avec mon collègue et ami Rémy Pointereau, va dans le sens de mon intervention liminaire : si l’on veut être efficace, il faut rapprocher la décision du terrain.

Dans chaque département, il convient de déterminer, à partir de l’observation du développement de certaines espèces, celles qui méritent d’être régulées. C’est à celles et ceux qui sont les représentants de l’État, donc aux préfets, qu’il appartient de décider, par arrêté, des mesures à prendre.

C’est dans cet esprit que j’ai déposé cet amendement visant à mettre en place une organisation dont le préfet serait le responsable, sans qu’il soit à chaque fois nécessaire de remonter à l’échelon national. On sait très bien que, dans ce domaine comme dans d’autres, neuf fois sur dix, cela n’aboutit à rien.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Monsieur Revet, votre amendement vise à étendre à toutes les espèces nuisibles les dispositions qui pourraient être prises aujourd’hui pour le loup. Il s’agirait pour le préfet de déterminer de façon pragmatique, dans chaque département et au cas par cas, les modalités à mettre en œuvre afin d’éviter les conséquences dommageables, notamment pour les cultures, du développement des animaux nuisibles.

Comme je vous l’ai indiqué ce matin en commission et comme l’a également souligné tout à l’heure Mme la ministre, le texte que nous examinons concerne spécifiquement le loup, qui est une espèce protégée, un animal sauvage, donc très particulier. Toute la difficulté – c’est le pari que nous avons fait et que nous sommes en train de relever au travers de ce texte – est d’arriver à un point d’équilibre entre la nécessaire protection de l’espèce et la non moins nécessaire protection de l’agropastoralisme.

Donc, il ne me paraît pas opportun d’introduire dans ce débat la faune nuisible.

Je précise, comme en commission, que les difficultés dont vous faites état semblent pouvoir être en partie levées par les dispositions du décret du 23 mars 2012 qui permet, dans chaque département, de prendre des mesures utiles concernant les espèces nuisibles.

Je comprends le souci qui est le vôtre : en tant qu’élu de terrain, vous êtes effectivement au plus près des préoccupations des éleveurs qui voient leurs récoltes régulièrement mises à mal par les animaux nuisibles. Mais, pour la clarté du débat et sur la base du décret que j’ai indiqué, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Delphine Batho, ministre. Le Gouvernement fait sien l’avis du rapporteur, monsieur le président.

Monsieur le sénateur, votre amendement soulève deux difficultés.

Premièrement, un parallèle est fait entre espèce nuisible et espèce protégée, alors que les dispositions concernant l’une et l’autre ne peuvent pas être similaires.

Deuxièmement, je rappelle que la réforme introduite par le précédent gouvernement a porté au niveau national les dispositions relatives aux espèces nuisibles. Il y a donc là une contradiction qu’a soulignée le rapporteur.

Je le rejoins sur sa demande de retrait de votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour explication de vote.

M. Rémy Pointereau. L’amendement que Charles Revet et moi-même avons déposé est un amendement d’appel. Nous en avons discuté ce matin en commission du développement durable, il est en effet souhaitable que les décisions nationales puissent être décentralisées à l’échelon des départements et que les préfets puissent prendre des dispositions afin de réguler certaines populations animales ; on parle du loup, mais cela vaut aussi pour les sangliers ou les cervidés, par exemple. C’est ce qui se fait dans les départements avec beaucoup d’efficacité et ces plans de chasse sont établis en fonction du développement des espèces.

C’est la raison pour laquelle Charles Revet et moi-même avons pensé qu’il était important d’évoquer ce problème à l’occasion de la discussion de cette proposition de loi.

La régulation nationale autorise l’élimination de 11 loups sur une population évaluée à 250 loups - mais l’effectif serait plus proche, semble-t-il, de 300 voire de 400. Donc, prélever 11 loups sur 300, c’est très peu, au regard des dégâts que ces prédateurs occasionnent dans l’ensemble des départements concernés.

Peut-être Charles Revet va-t-il accepter de retirer cet amendement. Il nous semblait en tout cas important d’évoquer à cet instant les problèmes que pose la faune sauvage en général.

M. le président. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.

M. Charles Revet. J’ai indiqué que nous voterions cette proposition de loi parce qu’il y a urgence. J’ai simplement voulu, avec Rémy Pointereau, élargir le problème. J’ai lu le décret en question, monsieur le rapporteur, et il n’apporte pas de réponse aux questions posées. Faire remonter à l’échelon national pratiquement toutes les décisions est une erreur : on est irresponsable, sur le terrain !

Mme Delphine Batho, ministre. C’est le précédent gouvernement qui a introduit cette réforme !

M. Charles Revet. Nous reviendrons en tout cas sur cette question.

Mme Delphine Batho, ministre. C’est un vrai sujet !

M. Charles Revet. Mais, ne voulant surtout pas perturber le débat et souhaitant que la proposition de loi soit votée, je retire cet amendement, ainsi que l'amendement n° 3 portant sur l’intitulé de la proposition de loi. (Très bien ! sur les travées du RDSE.)

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Merci !

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié est retiré, ainsi que l’amendement n° 3 rectifié, également présenté par MM. Revet et Pointereau et dont je rappelle les termes, pour la clarté des débats :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi visant à une meilleure régulation du développement de la faune sauvage sur le territoire national.

Article additionnel avant l'article unique
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer des zones d'exclusion pour les loups
Article unique (fin)

Article unique

L’abattage de loups est autorisé dans des zones de protection renforcée délimitées chaque année par arrêté préfectoral, indépendamment du prélèvement défini au niveau national. Un plafond de destruction spécifique est déterminé pour chaque zone.

Les zones de protection renforcée regroupent les communes dans lesquelles des dommages importants sont constatés, causant une perturbation de grande ampleur aux activités pastorales en dépit des mesures de protection susceptibles d’assurer un équilibre entre les intérêts économiques et sociaux et la protection de l’environnement.

Les zones de protection renforcée contre le loup ne peuvent nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, de cette espèce sur le territoire national.

Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application de cet article.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, sur l'article unique.

Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, cette intervention vaudra présentation de l’amendement n° 1 rectifié visant à supprimer l’article unique.

J’ai connu ce type de débats dans mes précédentes fonctions, auxquelles je conserve une certaine fidélité.

M. Rémy Pointereau. Par solidarité !

Mme Chantal Jouanno. Non, ce n’est pas de la solidarité ; je reste fidèle à mes convictions et aux idées que j’ai défendues dans d’autres fonctions.

Ce n’est pas la première fois que nous débattons de l’opportunité de créer des zones d’exclusion pour les loups et, à l’époque, nous avions également eu ce débat pour les ours.

Rivaliser avec les orateurs qui se sont exprimés, en termes souvent très affectifs, est malaisé quand on parle des loups. Il est difficile de placer sur le même plan la vie des éleveurs, les drames qu’ils peuvent connaître lorsque se produisent des attaques de loups, et la situation du loup, qui, s’il est un animal plutôt farouche, sait prélever aussi ses proies sur les troupeaux. Il est donc difficile, je le répète, de rivaliser sur ce terrain.

Le débat qui a lieu aujourd'hui, dans cet hémicycle, est néanmoins utile, car il permet de rappeler la nécessité d’un équilibre écosystémique et, à cet égard, rien n’est parfait, puisque la réapparition des loups a des conséquences négatives. Il permet aussi de rappeler, en particulier aux représentants des territoires d’élevage, la nécessité d’un soutien public à l’élevage, notamment au pastoralisme, qui contribue très largement au maintien des paysages, des territoires et de la biodiversité.

Si j’ai déposé cet amendement de suppression, c’est tout simplement parce que, cela a été dit, le dispositif de cette proposition de loi est illégal au regard de la directive Habitats. Celle-ci nous impose de préserver les territoires propices au développement des espèces protégées et, par définition, les zones d’exclusion se situeront sur ces territoires.

Par ailleurs, cette proposition de loi serait certainement inapplicable, car il est extrêmement difficile de repérer ces animaux pour effectuer des tirs de prélèvement, comme on a pu le constater lorsqu’on a eu à le faire. D’ailleurs, on trouve aujourd’hui des loups partout dans les zones d’expansion, mais jamais ils n’avaient été repérés lors de leurs déplacements.

Enfin, j’ai déposé cet amendement car le plan loup, qui permet la concertation entre toutes les parties prenantes, est une bonne méthode. Sans doute aurait-il été opportun de rapprocher beaucoup plus les mesures de soutien au pastoralisme du plan loup et de ne pas donner trop souvent le sentiment que les deux démarches étaient séparées. Mais on constatait déjà la même chose de mon temps, si je puis dire.

J’ajoute qu’il y a eu des évolutions puisque l’on a déconcentré la prise de décision. Nathalie Kosciusko-Morizet avait également ouvert la possibilité de tirs de défense et de tirs de prélèvements. Contrairement à l’époque où j’étais secrétaire d’État chargée de l’écologie, des tirs de prélèvements ont été effectués.

Une fois n'est pas coutume, nous devrions accorder une présomption de confiance à ce qui sera décidé dans le cadre du plan loup. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé un amendement de suppression de l’article unique, que mon collègue Christian Namy a cosigné. (Applaudissements sur certaines travées de l’UDI-UC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, sur l'article unique.

M. Jean-Jacques Mirassou. Madame la ministre, mes chers collègues, voilà un débat qui s’est révélé aussi passionnant que passionné, tout en restant – c’est bien l’habitude dans notre assemblée ! – calme et serein. Je voudrais à mon tour faire quelques remarques.

Certains se sont étonnés du calendrier suivi et ont même craint le fameux télescopage entre notre débat et le plan loup, qui a été annoncé à la suite d’un certain nombre de réunions de travail. D'autres, au contraire, ont estimé, et je suis d’accord avec eux, que cela nous offrait la chance de confronter les deux types de diagnostics.

En tout cas, si un constat doit être dressé, c’est bien sur le cri d'alarme lancé par bon nombre d'éleveurs de montagne, travaillant dans le piémont ou à plus haute altitude, qu’il doit s’appuyer. En effet, les chiffres le prouvent, ces éleveurs ont raison de s’alarmer et de s'insurger. Et même si j’ai confiance dans le travail effectué tant par le Gouvernement que par le Parlement, je m’interroge : comment pourrions-nous envisager des solutions d’avenir si nous faisons l'impasse sur ceux qui, par définition, sont au plus près du terrain, d’autant que certains de mes collègues sont chargés de relayer ici leur parole ?

À mon avis, rien n’est inconciliable. Je le redis, je me réjouis que cette coïncidence de dates nous permette, en quelque sorte, de « croiser » les diagnostics.

Je veux bien que l'on me parle de la convention de Berne de 1979 ou de la directive européenne sur les habitats naturels, mais le constat est unanime : les attaques de loups ont augmenté de façon peut-être pas exponentielle, mais à tout le moins très sensible entre 2010 et 2011, et rien ne permet de penser qu’elles vont diminuer dans les années à venir.

Madame la ministre, vous avez évoqué la fameuse loi-cadre sur la biodiversité ; nous en acceptons l'augure et formons le vœu qu’elle puisse prendre en compte le sort du pastoralisme. Notre collègue Jean-Vincent Placé a eu raison de dire qu’il y avait peut-être là aussi des choses à faire. Dans l'immédiat, la détresse de ces éleveurs nous oblige en quelque sorte à « zoomer » sur leur situation et à faire en sorte qu'ils puissent se sentir quelque peu rassurés.

En effet, l'entretien du piémont, qu'il soit pyrénéen, du Massif central, des Alpes ou de tout autre massif, représente un important travail au quotidien, et les éleveurs font là bien plus que du simple pastoralisme.

Quand les élus que nous sommes interviennent dans cet hémicycle, c’est avant tout pour défendre le pastoralisme et les territoires, et non pour s’intéresser au sort de ce quadrupède, il est vrai trop souvent relégué par l’imagerie populaire au rang de bouc émissaire et de « méchant ».

Pour autant, je tiens à le dire au nom des vingt-quatre sénateurs socialistes que je représente en cet instant, rien n'est incompatible et il faudra bien, à terme, envisager une sortie par le haut de l’agropastoralisme.

Mais je fais confiance à l’intelligence collective et j'ai d’ailleurs entendu des propos qui m'ont plu : on assisterait en quelque sorte à une évolution vers une « départementalisation » de la décision. Cela signifie que l’on pourrait concilier la préservation de l'espèce – en l’occurrence, le loup - et la variabilité des situations : le quota national pourrait être décliné au niveau départemental, car ce qui est vrai à un endroit une année ne le sera vraisemblablement plus l'année suivante.

Le travail qu'il nous reste à faire doit s’inscrire dans ce registre. L'ambition qui est la mienne aujourd'hui, c'est qu'un rapprochement puisse se faire entre les comités d'experts, qui sont quelque peu « hors-sol », les acteurs de terrain et ceux qui font l'interface, c'est-à-dire les élus locaux représentés ici par les sénatrices et les sénateurs que nous sommes.

Je le redis, la proposition de loi a pour vocation de « zoomer » sur les préoccupations des éleveurs. Les vingt-quatre élus socialistes au nom desquels j’interviens voteront ce texte sans état d'âme! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, sur l'article unique.

M. Claude Domeizel. Madame la ministre, mes chers collègues, j'aurais beaucoup à dire sur le sujet. La proposition de loi de notre collègue Alain Bertrand s’inscrit d’ailleurs dans le droit fil de tous les amendements et de toutes les propositions de loi que j'ai déposés sur cette question, comme l’attestent les comptes rendus des travaux du Sénat auxquels je vous invite à vous reporter.

J’ai souhaité intervenir, car je représente l’un des départements les plus touchés par le loup et les plus concernés par les dégâts qu’il occasionne. Si, comme l’a dit Mme la ministre, les attaques ont diminué à certains endroits, elles ont augmenté de 40 % dans mon département entre 2011 et 2012.

M. Jean Desessard. La zone d’exclusion, c’est tous les départements !

M. Claude Domeizel. Un tel accroissement est énorme : cela représente 1 000 victimes, je tenais à le dire.

Vous aurez beau faire, toutes les indemnités, tous les discours sur le respect de la loi, toutes les conventions de Berne ou d'ailleurs ne suffiront pas à compenser les pertes financières réelles des éleveurs ni le préjudice affectif qu’ils subissent, et dont je voudrais dire quelques mots.

Avec certains de mes collègues, nous avons rencontré des éleveurs. Je peux vous assurer qu’ils ont vraiment beaucoup souffert ; il est, en effet, très douloureux de voir disparaître une partie du troupeau qu'on a élevé, soigné et suivi pendant plusieurs mois.

Alors, non, les indemnisations, les discours sur la loi et les engagements internationaux de la France ne sont pas de nature à apaiser l'angoisse des bergers, leur colère et même leur exaspération. Je connais bien la question et je vous invite, mes chers collègues, à venir voir dans quelles conditions travaillent les bergers, tenez, l'été prochain, je vous y conduirai ! Vous verrez combien on peut être hanté par le loup, quand on doit vivre et dormir là-haut, à plus de 2 000 mètres d'altitude !

Mon collègue Jean-Jacques Mirassou a également évoqué le groupe national loup. Que notre collègue Marc Daunis et le député de mon département Christophe Castaner n'en soient pas affectés, mais je pense qu'il n'y a pas de contradiction entre les travaux réalisés par ce groupe et l'excellent travail que nous avons fait aujourd'hui.

Mes chers collègues, entre le loup, le pastoralisme, la défense des territoires et celle d’une profession, j'ai fait mon choix : je voterai la proposition de loi d'Alain Bertrand ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, sur l'article unique.

M. Jean Desessard. Il y a des loups dans le Cher aussi ?...

M. Rémy Pointereau. Mes chers collègues, je m'adresse à vous au nom des membres UMP de la commission du développement durable pour remercier Alain Bertrand et Stéphane Mazars de nous avoir permis une discussion intéressante et éclairante. Pour reprendre une expression courante, quand il y a du flou, il y a un loup. Et encore, s’il n’y a qu’un loup, ça va ; mais quand il y en a 250 ou 300, bonjour les dégâts ! (Sourires.)

Charles Revet évoquait les renards qui viennent jusque dans les villes ; il faut faire attention car, demain, les loups pourraient entrer dans Paris, comme le chantait Serge Reggiani !

Plus sérieusement, cette proposition de loi, de bon sens, est un texte équilibré. Or, en la matière, il ne saurait y avoir d'équilibre sans régulation, comme on l’a vu avec les plans de chasse des cervidés et des sangliers, que j’ai déjà évoqués : ils ont permis d’assurer à la fois une meilleure régulation et une plus grande biodiversité, chaque plan étant adapté à la population de l’espèce considérée.

En l’occurrence, sur les 300 loups vivant sur notre territoire, 11 seront prélevés. C’est, me semble-t-il, insuffisant, d’autant que le coût annuel d'un loup, calculé sur la base des prélèvements effectués et des dégâts causés, est estimé entre 5 000 et 6 000 euros. Il faut donc regarder les choses de plus près.

Les éleveurs, cela a été dit, sont fatigués et même désespérés de ces attaques répétées. Alors, bien sûr, on parle du bien-être et de la protection des animaux, mais il faut aussi penser aux hommes, aux éleveurs, à leurs difficultés et à leur détresse, si l’on veut qu’ils puissent vivre dignement de leur travail.

Comme le disait Claude Domeizel, entre les loups et les hommes, il faut choisir. Pour sa part, le groupe UMP a décidé de défendre les éleveurs. Il ne s'agit évidemment pas d’éradiquer les loups, mais, s’il est une espèce menacée en France, ce n’est pas le loup ou l’ours, mais bien le berger et, avec lui, le pastoralisme !

Mes chers collègues, l'économie de montagne est en danger, alors même qu’elle est le dernier rempart contre la désertification rurale. Dans ces conditions, nous devrions tous voter cette proposition de loi, qui me paraît aller dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, sur l'article unique.

M. Jean Desessard. Encore un intervenant ?

M. Gérard Bailly. Monsieur Desessard, un éleveur peut tout de même s'exprimer sur une proposition de loi concernant l'élevage ! Ne connaît-il pas un peu les problèmes ?...

Mes chers collègues, je souscris complètement aux propos de Claude Domeizel. Nous avons effectué avec François Fortassin une mission qui nous a notamment conduits, pour les ours, dans les Hautes-Pyrénées, mais aussi dans le sud des Alpes, principalement dans les Alpes-Maritimes, pour voir les problèmes posés par le loup.

Je vous incite à regarder les chiffres : vous verrez que la production ovine est en train de disparaître, avec toutes les conséquences que cela entraîne dans certains départements, notamment les Alpes-Maritimes.

Nous avons vu le travail effectué par ces éleveurs qui n’hésitent pas à parcourir une dizaine de kilomètres chaque soir pour aller en montagne mettre en sécurité leurs animaux. Et ils reviennent le lendemain matin.

Pour mettre leurs animaux à l’abri des attaques de loups, les éleveurs consentent donc des efforts considérables, pour des coûts importants, sans parler du temps de transport. Je ne sais pas si beaucoup d’autres accepteraient aujourd'hui de supporter les sacrifices qui leur sont demandés.

Ce midi, le ministre chargé de l'agroalimentaire nous disait – certains d'entre vous, mes chers collègues, étaient présents – qu’il craignait une « végétalisation » de la France. (Mme la ministre s’étonne.) Oui, madame la ministre, c’est bien ce qu’il nous a dit ! Il nous a également fait part de sa crainte que l'élevage ne soit en perdition. L'élevage bovin est principalement concerné, mais l'élevage ovin également.

Mes chers collègues, vous comprendrez bien que, en tant que responsable du groupe d'études de l’élevage, j'attire votre attention sur la disparition d’une filière importante en termes de production et de « pétrole vert ».

M. le ministre nous vantait aussi les avantages que représente notre industrie agroalimentaire. Précisément, nous ne pouvons pas nous désintéresser de l’avenir de la filière ovine. Certains éleveurs, qui hésitent déjà à poursuivre dans cette production, seront définitivement découragés s’ils doivent redouter des attaques de loup, et je les comprends. Je vous ai d’ailleurs déjà cité le cas, dans mon département, de Claire Gadiolet et de ses 240 brebis.

Les propos que Mme Jouanno a tenus tout à l'heure me rappellent ceux des trois ou quatre derniers ministres qui se sont succédé. Pour les agriculteurs que nous sommes, cela fait beaucoup de mots, toujours des mots et encore des mots. Sachez que les agriculteurs en ont assez de ces litanies qu’ils entendent depuis des années !

Permettez-moi de prendre l’exemple du lynx dans le département du Jura. À Mirebel, j’ai vu pleurer un éleveur, dont le troupeau avait subi treize attaques. Dans le même temps, on apprend qu’un lynx blessé a été transporté dans une clinique pour animaux puis, sur ordre du préfet du Jura, discrètement reconduit dans la forêt pour reprendre sa vie sauvage – je tiens à votre disposition les articles de presse. Comment voulez-vous que les éleveurs n’aient pas le cœur serré quand ces mêmes lynx attaquent ensuite leurs bêtes ? (Murmures sur différentes travées.)

Mais telle est notre réalité quotidienne, chers collègues ! Si mes propos sont aujourd'hui un peu virulents, ce dont je m’excuse, comprenez que de telles situations nous exaspèrent et que les agriculteurs ne comprennent plus toutes ces incohérences !

Tout à l'heure, j’ai regretté que nos collègues aient retiré leur amendement, qui concernait toute la faune sauvage : il faudra bien, un jour, régler le problème.

M. Charles Revet. Nous y reviendrons !

M. Gérard Bailly. Mes chers collègues, vous avez sans doute eu connaissance du cas de cet éleveur qui, pour avoir tué un loup, a été condamné par un tribunal…

M. Pierre Bernard-Reymond. À 5 000 euros !

M. Gérard Bailly. … à 5 000 euros d’amende ! Je tiens, là encore, les articles de presse à votre disposition! Dans les rues de Gap, 1 000 personnes se sont rassemblées pour le soutenir. Mais vous savez bien que tout éleveur qui agira en la matière sera condamné !

Vous le voyez, la situation dans laquelle nous sommes est bien difficile. C’est pourquoi je ne comprends pas que Mme Jouanno et son collègue demandent la suppression de l’article unique de la proposition de loi. Je voterai contre l’amendement et, bien sûr, comme je l’ai dit tout à l'heure, je voterai pour le texte, tout en souhaitant que l’on puisse bien vite en voir les applications.

J’estime que la population de loups augmente chaque année de 50 à 70 têtes. Dans ces conditions, si l’on n’a pas plus d’ambition que cette année, où l’on a décidé d’abattre 11 loups, pour n’en abattre effectivement que 5, la proposition de loi sera bien vite privée de toute efficacité ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Rémy Pointereau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Fortassin, sur l’article unique.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis généralement d’accord avec Mme Jouanno. En l’occurrence, je respecte son point de vue, mais je voterai contre son amendement, dont l’adoption signifierait, d’une part, que l’on abandonne cette proposition de loi et, d’autre part, que la discussion que nous avons eue tout l’après-midi n’avait aucun intérêt.

M. François Fortassin. Je veux maintenant évoquer un problème de cohérence.

Au-delà de nos sensibilités, nous sommes généralement des décentralisateurs et nous acceptons que les décisions soient déconcentrées. Or, subitement, avec ce texte, les décisions ne devraient plus être prises localement ! Où est la cohérence ? À moins, bien sûr, que l’on estime qu’il est plus facile qu’une décision soit prise au niveau national que par le préfet, dans la mesure où, comme je le pense, il est encore possible d’avoir un certain pouvoir sur les arbitrages rendus par le préfet…

Si nous ne traitons pas aujourd’hui de cette dimension du problème, nous devrons y venir tout de même un jour.

M. Charles Revet. Très bien !

M. François Fortassin. Mes chers collègues, les décisions doivent être prises à l’échelon local, car ce sont les « locaux » qui sont susceptibles de subir les préjudices ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Teston, sur l’article unique.

M. Michel Teston. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons nous prononcer sur l’amendement déposé par Chantal Jouanno, lequel vise à supprimer l’article unique de la présente proposition de loi.

Avant que vous ne tranchiez, mes chers collègues, je voudrais porter à votre connaissance la prise de position d’un membre du groupe national loup, qui participe à l’élaboration du troisième plan loup, dont l’annonce est prévue dans les prochaines semaines – je tiens moi aussi les articles de presse à votre disposition.

Cette personne juge totalement irréaliste et concrètement impossible la mise en œuvre d’une proposition de loi définissant des zones d’exclusion et des zones de protection renforcée contre le loup. Elle déclare ne pas y croire du tout, et affirme que ces zones poseront un problème aux autres territoires.

M. Alain Bertrand. Qu’en sait-il de plus que nous ?

M. Michel Teston. Monsieur Bertrand, j’ai le droit de m’exprimer, comme j’ai le droit de faire référence à ce représentant du monde agricole qui, du reste, a lui-même le droit d’accorder des entretiens à des journaux !

M. Alain Bertrand. Toujours des experts, des scientifiques !

M. Michel Teston. Au demeurant, il était normal que je vous en parle avant que nous nous prononcions sur la proposition de loi.

La majorité des membres du groupe socialiste votera cet amendement de suppression, qui lui paraît cohérent avec la position que nous avons prise – je vous renvoie aux propos que j’ai tenus lors de la discussion générale. Cependant, un certain nombre d’autres membres du groupe se positionneront différemment. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Jouanno et M. Namy, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

Cet amendement a été précédemment défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Je demande à Mme Jouanno de bien vouloir accepter de retirer son amendement.

Notre collègue nous a expliqué que le débat était utile. En effet, nous avons pu en juger, il a été très intéressant, très animé, passionné et passionnant ! Dès lors, autant qu’il aille jusqu’à son terme et que chacun puisse, sur cette base, se prononcer sur la proposition de loi d’Alain Bertrand.

Si Mme Jouanno maintient son amendement, la commission appellera bien évidemment à le rejeter, de manière à pouvoir valider l’article unique de la proposition de loi.

Monsieur Teston, je ne dispose d’aucune information concernant le groupe national loup. Pour votre part, vous relayez les indiscrétions de l’un de ses membres, mais on ignore s’il s’agit d’un fonctionnaire, d’un technicien ou encore d’un représentant de la profession agricole, puisque c’est une information que vous gardez par-devers vous !

Toujours est-il que, en notre qualité de membres de la Haute Assemblée, nous représentons tous des territoires. Cet après-midi, ces territoires se sont exprimés, parfois avec talent, parfois avec émotion. Je crois que rien ne remplacera la parole des territoires, la parole de ceux qui, sur le terrain, recueillent, le matin venu, la voix étranglée des éleveurs devant leurs moutons morts, égorgés !

Mes chers collègues, c’est à vous que ces éleveurs viennent demander des comptes, et non à ceux qui siègent dans les commissions et voudraient faire le travail à la place de la représentation parlementaire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Delphine Batho, ministre. Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, je tiens à préciser que sont membres du groupe national loup, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, la FNSEA de la Drôme, la Fédération nationale ovine des Alpes-de-Haute-Provence,…

Mme Delphine Batho, ministre. … les Jeunes agriculteurs de Savoie,…

Mme Delphine Batho, ministre. … l’association Éleveurs et montagnes, l’Association des bergers et vachers des Hautes-Alpes, l’Association nationale des élus de montagne,…

Mme Delphine Batho, ministre. … l’Association nationale des chasseurs de montagne, le sénateur Marc Daunis et le député Christophe Castaner. Je ne pense pas que l’on puisse dire de toutes ces personnes qu’elles soient coupées des réalités dont nous discutons aujourd'hui !

M. Jean Desessard. En voilà une belle réponse !

Mme Delphine Batho, ministre. D'ailleurs, nous comptons sur elles pour nous aider à construire les solutions qui se dégageront de nos travaux.

M. Jean Desessard. Bravo, madame la ministre !

Mme Delphine Batho, ministre. À ce sujet, je remercie Mme Jouanno de sa confiance dans le travail conduit à l’heure actuelle par le Gouvernement.

Pour répondre à un certain nombre d’interventions, je précise que le vote qui va intervenir ne porte ni sur la nécessité du présent débat ni sur une résolution parlementaire qui traduirait une volonté politique. Le vote porte sur une disposition législative, et ce n’est que de cela qu’il s’agit !

Le Gouvernement fait pleinement sienne la détresse des éleveurs, que beaucoup d’entre vous ont relayée.

M. Jean Desessard. Évidemment !

Mme Delphine Batho, ministre. Mais nous estimons que cette détresse mérite que l’on apporte au problème des réponses solides, et non des faux-semblants et des dispositions qui ne seraient pas juridiquement viables. Les éleveurs attendent des réponses concrètes.

M. Gérard Bailly. Ils demandent des actes !

Mme Delphine Batho, ministre. Dans le travail que nous avons engagé, et même entre les orateurs qui sont aujourd'hui intervenus, des consensus sont possibles. À cet égard, je redoute que le vote de cette proposition de loi ne fragilise ce que nous avons construit et ne contribue à tendre une situation, alors que nous travaillons depuis des mois à essayer d’élaborer des solutions pertinentes et que ce processus est en train d’aboutir.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai été sensible à votre interpellation et j’ai pleinement entendu la volonté politique que vous avez exprimée, mais, pour être franche, le vote de cette disposition législative me semble inutile et contraire à l’esprit dans lequel nous travaillons.

Par conséquent, le Gouvernement est favorable à l’amendement de suppression. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le vote sur l’amendement de suppression de l’article unique a valeur de vote sur cet article et, par voie de conséquence, sur l’ensemble de la proposition de loi. Si cet amendement de suppression est adopté, la proposition de loi sera considérée comme non adoptée ; s’il ne l’est pas, je mettrai aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.

Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié tendant à la suppression de l’article unique de la proposition de loi.

J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe du RDSE, l'autre, du groupe UDI-UC.

Je rappelle que la commission a demandé le retrait de l’amendement et que le Gouvernement a émis un avis favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

M. Charles Revet. Monsieur le président, pour qu’il n’y ait pas de confusion, pouvez-vous me confirmer que, le scrutin public portant sur l’amendement de suppression, celles et ceux qui sont favorables à la proposition de loi doivent voter contre l’amendement ?

M. le président. Je vous le confirme, mon cher collègue.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 88 :

Nombre de votants 348
Nombre de suffrages exprimés 341
Majorité absolue des suffrages exprimés 171
Pour l’adoption 133
Contre 208

Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du RDSE.  M. Gérard Bailly applaudit également.)

Mme Hélène Lipietz. C’est loupé !

M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Michel Teston, pour explication de vote. (Protestations sur différentes travées.)

M. Michel Teston. Monsieur le président, je me suis exprimé assez longuement au nom de la majorité socialiste lors de la discussion générale. Je ne vous infligerai donc pas une nouvelle intervention. (Marques de satisfaction sur les mêmes travées.)

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Je tiens à rassurer mes collègues : je serai brève.

On a beaucoup évoqué la détresse de celui qui voit son cheptel décimé par un loup. J’ai pourtant connu, dans bien d’autres situations, des éleveurs en grande difficulté, par exemple, lors de la crise de la vache folle.

M. Pierre Hérisson. La fièvre aphteuse…

Mme Évelyne Didier. C’est une réalité. Pour autant, ce n’est pas ce type de questions que nous réglons ici. En effet, que faisons-nous ? Nous nous conformons aux directives européennes…

M. Pierre Hérisson. Subsidiarité !

Mme Évelyne Didier. … et nous renouvelons le plan national loup. Or, ce me semble, ce plan a été géré par des majorités successives, Mme Jouanno s’en souvient et Mme Batho l’a rappelé. Oui, il y a quelques mois seulement, une autre majorité s’occupait du dossier.

J’aimerais donc que les propos soient un peu plus mesurés et reflètent la claire coresponsabilité qui existe dans la gestion de ce problème.

Mes chers collègues, il importe que nous sortions de ce débat par le haut - cela implique d’éviter les caricatures -, tout en répondant à nos obligations et en tentant de trouver ensemble les moyens d’une cohabitation harmonieuse des uns et des autres.

Mais restons sereins, et ne nous livrons pas à des démonstrations qui n’élèvent pas toujours nos débats ! (Protestations sur les travées du RDSE et de l’UMP.)

Mme Delphine Batho, ministre. Très bien !

M. Pierre Hérisson. Subsidiarité !

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique de la proposition de loi, dans le texte de la commission.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 89 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 339
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l’adoption 208
Contre 131

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC. – M. Claude Domeizel applaudit également.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer des zones d'exclusion pour les loups
 

4

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi

Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi portant prorogation du mandat des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, déposé sur le bureau du Sénat le 30 janvier 2013.

5

Débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe RDSE, le débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l’État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale (rapport d’information n° 611 [2011-2012].)

La parole est à M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE, auteur de la demande.

M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, auteur de la demande. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission commune d’information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l’État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale avait été constituée le 6 juillet 2011 à la demande du groupe RDSE, conformément au règlement du Sénat.

Après avoir présidé à la mise en place de cette mission d’information, j’avais rapidement cédé la place à notre ancienne collègue Anne-Marie Escoffier, qui a mené à bien cette mission avec Charles Guené, rapporteur.

Je tiens à souligner le très important travail réalisé par cette mission sur un dossier difficile et à remercier les collègues, nombreux, qui y ont participé, notamment Anne-Marie Escoffier et Charles Guené. Ils ont apporté un éclairage nouveau et ont constitué une contribution majeure au débat qui a suivi la très controversée réforme de la taxe professionnelle.

Notre Haute Assemblée remplit très clairement sa mission constitutionnelle en produisant de tels travaux, et plus encore en permettant aux représentants des territoires d’en débattre dans notre hémicycle avec le Gouvernement. C’est l’application de l’article 24 de la Constitution, le Sénat représentant, tant qu’il le pourra, les collectivités territoriales.

M. Alain Gournac. Pourvu que ça dure !

M. Jacques Mézard. En effet !

Nous regrettons d’avoir dû inscrire dans notre ordre du jour réservé ce débat sur les conclusions de la mission d’information, conclusions qui furent publiées le 26 juin 2012, car ce débat, qui avait toute sa place dans une semaine sénatoriale de contrôle, n’a jusque-là jamais pu être inscrit à ce titre, malgré nos demandes réitérées lors des conférences des présidents.

N’arrivant pas à obtenir satisfaction sur une demande pourtant tout à fait légitime, il ne nous semblait pas pour autant raisonnable d’attendre plus longtemps avant de débattre des conclusions de ce rapport. Au passage, je rappelle que ces conclusions avaient fait l’objet d’un report de quelques mois pour ne pas interférer avec la période électorale du printemps de 2012, mais aussi pour obtenir l’ensemble des données sur le produit des nouvelles impositions pour 2011, données que les membres de la mission n’avaient d’ailleurs pu se procurer dans leur intégralité, malgré ce délai supplémentaire.

Avant d’aborder les conclusions et les propositions du rapport, je reviendrai rapidement sur les conditions d’adoption de cette réforme de la fiscalité locale, ou du moins de ce qui nous avait été présenté comme telle, dont la mesure emblématique avait été la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale, prévus par l’article 2 du projet de loi de finances pour 2010.

Il y eut une longue discussion, parfois fastidieuse mais parfois passionnante, à l’Assemblée nationale et plus encore au Sénat, discussion toujours bien ancrée dans la mémoire de ceux qui l’ont vécue, voire pour certains « subie ». Il n’est néanmoins pas inutile, à mon sens, d’y revenir aujourd’hui. D’ailleurs, monsieur le ministre, j’ai relu ces débats ainsi que votre contribution personnelle très intéressante en première comme en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

Les membres de notre groupe, comme nombre de sénatrices et de sénateurs de tous bords, ont très majoritairement – mais pas unanimement, je salue à cet égard mon collègue Gilbert Barbier – porté un regard critique sur une réforme qui a été élaborée de manière trop précipitée, dans le flou et sans véritable concertation avec les élus locaux et les parlementaires.

D’ailleurs, le manque de clarté de cette réforme ainsi que de nombreuses erreurs et approximations avaient à l’époque conduit les rapporteurs généraux des deux chambres à récrire intégralement l’article 2 du projet de loi de finances pour 2010. Le Sénat avait consacré plus de treize heures en séance publique aux 514 alinéas d’un amendement resté célèbre de notre excellent collègue Philippe Marini, alors rapporteur général du budget.

À l’époque, des parlementaires de tous les groupes avaient regretté, selon leur degré de solidarité ou de non-solidarité avec le Gouvernement, l’absence totale ou quasi totale de simulations, en particulier concernant les effets de la réforme pour les collectivités territoriales, mais également pour l’État et les entreprises.

Cette réforme, adoptée sans qu’en soit évalué suffisamment l’impact, méritait donc, comme cela était d'ailleurs prévu dans le texte, d’être observée avec la plus grande attention une fois mise en œuvre. Les travaux de la mission ont permis d’en dresser un bilan au moins partiel.

Aujourd’hui, plus de trois ans après, force est de constater que les travaux des parlementaires de la mission commune d’information ont été rendus plus difficiles du fait de la non-communication des éléments chiffrés qui avaient été demandés.

Hélas, monsieur le ministre, je crains que l’absence de simulations, qui entrave de fait le travail des parlementaires et leur capacité à élaborer le droit de façon éclairée, n’appartienne pas uniquement au passé. Lors de l’examen de la loi de finances pour 2013, nous nous rappelons le vif émoi causé dans cet hémicycle par l’adoption à l’Assemblée nationale, sans que le Sénat puisse se prononcer – mais la faute n’en incombe pas au Gouvernement –, d’un certain nombre de modifications substantielles concernant les finances des collectivités territoriales. Je pense au passage du texte – rapide, puisqu’il n’y eut pas de débat ! – à l’Assemblée nationale, le 14 décembre dernier.

Ces modifications, et ce n’est pas sans rapport avec le travail de notre mission, concernaient notamment les fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et des droits de mutation à titre onéreux. Là aussi, nous ne pouvons que regretter la persistance d’une certaine politique d’absence de communication des simulations nécessaires.

M. Jacques Mézard. J’ai l’habitude de dire les mêmes choses, quel que soit le gouvernement.

M. Alain Gournac. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Je souhaite, au nom de mon groupe, monsieur le ministre, que le Gouvernement soit très vigilant sur ce point et ne reproduise pas des errements que ses propres membres avaient dénoncés par le passé, lorsqu’ils étaient parlementaires de l’opposition. Ce doit aussi être cela, le changement ; sinon, c’est la continuité aujourd’hui !

Lors du débat sur la réforme de la taxe professionnelle, le président du groupe socialiste de l’époque, M. Jean-Marc Ayrault, aujourd’hui Premier ministre, déclarait devant l’Assemblée nationale à l’attention de l’ancien gouvernement : « C’est donc une décision extrêmement lourde de conséquences que vous voulez prendre, et ce sans avoir réalisé les simulations nécessaires ». Il est donc permis d’espérer, monsieur le ministre, que l’alternance puisse s’accompagner de nouvelles pratiques. Mais, pour l’instant, nous attendons toujours un certain nombre de chiffres et de tableaux. Ce n’est pourtant pas faute de les réclamer !

À la lecture du travail très complet de la mission, on constate que la suppression de la taxe professionnelle avait un premier objectif : renforcer l’attractivité et la compétitivité de la France en allégeant la pression fiscale des entreprises.

La taxe professionnelle, je le rappelle, était un impôt considéré par certains comme « anti-économique », d’aucuns l’ayant même qualifié « d’imbécile ». Réformé soixante-huit fois en trente-trois ans, cet impôt était, certes, à bout de souffle et il était nécessaire de le faire évoluer vers un impôt plus lisible, plus juste et sans effet négatif sur l’économie. Cet objectif n’a malheureusement pas été atteint, bien au contraire.

Ne serait-ce qu’en termes de simplicité, il est délicat d’expliquer à nos concitoyens que nous avons remplacé une ligne de ressources par sept lignes différentes, dans nombre de collectivités. Il est donc difficile d’exposer les règles de fonctionnement sur le terrain.

Et a-t-on réellement renforcé la compétitivité des entreprises françaises,…

M. Claude Bérit-Débat. Ce n’est pas sûr du tout !

M. Jacques Mézard. … mis un frein à la désindustrialisation et aux délocalisations, depuis l’adoption de cette réforme ? Je crains que la fréquence avec laquelle ces sujets reviennent devant notre hémicycle ne démontre que la situation, loin de s’être améliorée, pourrait même avoir en partie empiré ces dernières années.

Trois ans plus tard, nous nous posons toujours les mêmes questions : comment renforcer la compétitivité et retrouver une croissance durable ? Dans son excellent rapport, remis en novembre dernier, Louis Gallois a d’ailleurs formulé des propositions fort intéressantes à ce sujet. Le Parlement s’est au demeurant prononcé sur certaines d’entre elles, positivement en ce qui nous concerne, monsieur le ministre. Je n’y reviens pas.

En tout cas, la réforme de la taxe professionnelle telle qu’elle a été conduite par la précédente majorité n’était certainement pas, pour la majorité d’entre nous, la panacée. Personne ne croyait d’ailleurs à l’époque, pas même les chefs d’entreprises, qu’en supprimant d’un « coup de baguette magique » la taxe professionnelle nous trouverions le remède miracle aux difficultés de notre économie et à notre déficit de compétitivité.

Comme on le souligne dans le rapport, la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale n’ont jamais compté au nombre des préoccupations centrales des entreprises. Les conclusions du rapport sénatorial sont tout à fait claires de ce point de vue : « Il apparaît clairement que la fiscalité, notamment locale, n’est pas déterminante pour les décisions d’implantation, à l’exception de cas bien spécifiques ».

Nous faisons toujours face aux mêmes défis, de manière amplifiée. La réforme a eu des effets positifs, en tout cas reconnus comme tels par les entreprises, mais ceux-ci sont contrastés, comme le souligne très objectivement le rapport de la mission commune d’information, selon les secteurs d’activité. Les entreprises de production semblent être les principales bénéficiaires, même si elles ne sont pas les seules.

Cependant, les allégements résultant du remplacement de la TP par la CET, elle-même composée de la cotisation foncière des entreprises, la CFE, et de la CVAE, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, sont contrebalancés par les impositions nouvelles qui ont été mises en place et par l’augmentation « mécanique » de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés du fait de la suppression de la TP qui réduisait l’assiette de ces impôts acquittés par les entreprises.

Enfin, et nous étions nombreux à le dire à l’époque, les auteurs du rapport ont constaté qu’il est « difficile d’affirmer que la réforme de la taxe professionnelle a davantage favorisé les entreprises soumises au risque de la délocalisation ».

Quelles ont été les conséquences pour l’État de cette réforme ? Tout d’abord, son coût, évalué à 4,5 milliards d’euros en rythme de croisière, serait, selon les auteurs du rapport, « conforme aux prévisions » et « comparable à celui des précédentes réformes ».

Cela ne les empêche pas de déplorer les possibilités très limitées de suivre les effets de la réforme, et de parvenir à des propositions qui constituent un aveu inquiétant sur les faiblesses de notre démocratie parlementaire, puisqu’ils demandent au Gouvernement de « fournir régulièrement au Parlement une série d’indicateurs précis permettant d’apprécier objectivement les effets de la réforme »…

Enfin, outre le renforcement de la compétitivité des entreprises, l’autre objectif principal de la réforme de la taxe professionnelle était de simplifier la fiscalité locale. Est-elle plus simple aujourd’hui ? Poser la question, c’est déjà malheureusement y répondre.

Les collectivités locales, et cela nous inquiète chaque jour davantage, monsieur le ministre, sont dans le plus grand flou quant aux conséquences de cette réforme, dont les différents éléments prennent effet progressivement. Il s’agit, pour nos collectivités locales, d’une véritable bombe à retardement.

Un exemple récent illustre le flou dans lequel les collectivités doivent prendre des décisions : il s’agit de la fixation de la cotisation minimale de CFE, la contribution foncière des entreprises. La mission d’information préconisait déjà dans son rapport que « l’État place au rang de priorité l’assistance des communes sur ce sujet difficile ». Cela a donné lieu à bien des errements, suscité des difficultés et obligé les collectivités à procéder à des votes successifs et contradictoires.

Les conseils municipaux et les instances délibérantes des établissements publics de coopération intercommunale ne disposaient d’aucune simulation lorsqu’ils ont délibéré pour fixer cette cotisation minimale au titre de 2012. Les montants ainsi adoptés ont pu conduire à des augmentations brutales d’imposition pour de nombreuses entreprises, TPE et PME.

Ce qui est certain, c’est que le principe de l’autonomie fiscale des collectivités a été très fortement dégradé par la réforme de la taxe professionnelle. Cette dégradation a pris des proportions différentes d’une collectivité à l’autre.

Outre l’atteinte portée à l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales, cette réforme a aussi conduit à une « re-centralisation » de fait, à travers un renforcement de la dépendance des collectivités à l’égard des dotations de l’État.

La principale conséquence pour les collectivités territoriales, monsieur le ministre, a été une très grande incertitude sur leurs ressources et une exposition plus importante aux aléas de la conjoncture. À titre d’exemple, selon le rapport, 87 % des ressources des régions évolueraient « selon une dynamique incertaine », car, d’une part, le produit de la CVAE risquait de stagner dans le contexte économique actuel – nous l’avions dit, nous le constatons – et, d’autre part, le produit des IFER, les impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux, était assis sur des assiettes non indexées sur l’inflation.

Cette indexation a été adoptée voilà moins d’un mois, en particulier grâce à la détermination de notre rapporteur général, François Marc.

Ces conséquences nous inquiètent particulièrement en tant que représentants des collectivités locales, monsieur le ministre, car la réforme de la taxe professionnelle a renforcé les inégalités entre les collectivités territoriales, sans être pour autant l’occasion de la mise en place de dispositifs de péréquation véritablement justes et efficaces pour compenser les effets qui se font aujourd’hui pleinement sentir.

Monsieur le ministre, les effets du mode de péréquation sur les inégalités territoriales sont décrits en page 83 du rapport. La constatation qui y est faite ne peut que nous inquiéter. Il apparaît que « la CVAE est concentrée, à hauteur de 32,8 % au sein de la région Île-de-France, alors que cette région représentait "seulement" 13,3 % de l’ancienne taxe professionnelle ».

« À compter de l’année 2011, la région Île-de-France bénéficiera pleinement de la croissance de 100 % du produit de CVAE présent sur son territoire. »

Un tel constat ne laisse pas de nous inquiéter, surtout en termes de péréquation.

Pour conclure, monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement sur les propositions faites par le rapporteur et par la mission commune d’information, en particulier sur les objectifs en matière de péréquation ?

La suppression de la taxe professionnelle a amplifié la demande de nos collectivités locales. À cet égard, mais il est inutile d’insister, les annonces récentes et les votes intervenus à l’Assemblée nationale nous inquiètent particulièrement.

J’aimerais donc connaître votre opinion, monsieur le ministre, sur le problème particulièrement prégnant soulevé à juste titre par le rapporteur et les membres de la mission commune d’information. Nos questions appellent des réponses de votre part. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Charles Guené, rapporteur de la mission commune d’information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l’État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de la taxe professionnelle n’est pas plus un épiphénomène qu’elle n’est anodine.

Je pense que, avant de s’interroger sur ses conséquences, il est primordial d’examiner sa genèse et de mesurer le cadre dans lequel elle s’inscrit, pour voir ensuite le bouleversement qu’elle entraîne, dans nos modes de pensée comme dans la réalité de la gestion de nos collectivités.

Dans un second temps, nous jugerons de ses conséquences immédiates, des insuffisances qu’elle porte, comme des ajustements et des corrections qu’il conviendrait d’apporter, pour apprécier ensuite ce qui a été fait et ce qu’il reste à faire.

En même temps, en tant que fiscaliste, j’aimerais vous convaincre, comme me l’a appris mon maître, Maurice Cozian, que la matière fiscale n’est pas qu’un outil technique et qu’elle reflète aussi les exigences de son temps.

Tout d’abord, je rappellerai le cadre de cette réforme majeure, qui visait à supprimer la taxe professionnelle instituée en 1975. Chacun se souvient du contexte de cette suppression, ou plutôt du « remplacement » d’un « impôt insensé et imbécile » qui pénalisait l’outil industriel, un impôt devenu illisible et dont la prise en charge par l’État devenait insupportable.

Pour mémoire, cette taxe avait déjà été sévèrement « impactée » par la suppression de la part salaires, intervenue en deux temps, en 1987 puis en 1999, pour le malheur des finances de l’État, puis par la réforme et la prise en compte de la valeur ajoutée lors de deux modifications, en 1979 puis en 2006. Ces mesures introduisaient les germes de la réforme.

Portée par les seuls investissements, la taxe, ainsi que l’avait déjà révélé le rapport Fouquet, était condamnée. Elle fut, au nom de la compétitivité industrielle, sacrifiée au profit de la cotisation économique territoriale par la loi de finances de 2010, qui s’appuyait notamment sur les travaux et les consultations de la mission Durieux -Subremon.

Elle a également fait l’objet, en 2010, d’un rapport au Premier ministre de l’époque, François Fillon, dans le cadre de la mission confiée à nos collègues sénateurs François-Noël Buffet, Alain Chatillon et Charles Guené ainsi qu’à trois de nos collègues députés, et, bien sûr, du rapport sénatorial que j’ai commis sous la présidence avisée d’Anne-Marie Escoffier, alors sénatrice et aujourd'hui ministre, avec le concours de plusieurs de nos collègues, dans le cadre d’une mission sénatoriale remarquée, et peut-être remarquable. (M. le ministre sourit.)

La loi a tout d’abord eu des conséquences sur les entreprises, qui en étaient la cible privilégiée et avouée : si le tableau des entreprises gagnantes et perdantes s’est révélé plus contrasté qu’attendu, il est indéniable que l’objectif de leur rendre de la marge et, par là même, de la compétitivité, a été largement atteint. Le gain pour elles fut de l’ordre de 8 milliards d’euros.

Si 20 % des entreprises furent perdantes et si 20 % ont connu une stabilité, 60 % ont été gagnantes, avec des réductions de 30 % à 80 % pour le secteur industriel, au détriment, certes, du secteur des services, et au prix de quelques désagréments pour l’intérim.

Une analyse plus fine montrerait les imperfections du ciblage des entreprises, mais, globalement, le MEDEF lui-même admet une réduction de cinq points du poids du seul impôt économique dans le total des prélèvements.

Je pense pouvoir affirmer que, indéniablement, l’effet réel comme le ressenti des entreprises font pencher pour une réussite de la réforme, malgré certains défauts d’adéquation.

La réforme a sans doute, lors de la première année de mise en œuvre, un peu désorienté les entreprises dans leurs formalités administratives, mais l’ancien praticien que je suis pense que, avec le recul, les comptables doivent se réjouir aujourd’hui des simplifications apportées par rapport à la taxe professionnelle, laquelle était devenue une véritable usine à gaz.

La mise en place du système progressif et l’abattement à la base imaginé par le Sénat ont effectivement permis d’adapter ce projet et de lui donner la souplesse et la pertinence nécessaires, même si cela n’en a pas accru la lisibilité, je le reconnais.

À cette époque, nous avions néanmoins attiré l’attention – c’était notre proposition n° 7, comme l’a rappelé Jacques Mézard – sur la nécessité d’expliciter par voie de circulaire le dispositif de la base minimum de CFE, dispositif dont nous relevions les carences, et de renforcer les possibilités de modulation pour la rendre utilisable.

Il est parfois dommage que les bons auteurs ne soient ni entendus ni lus ! Nous en reparlerons un peu plus loin.

Nous avons en outre souligné la difficulté de mesurer, en cette période d’atonie économique, les effets du système et de sa progressivité en régime de croisière.

Si les entreprises sont toujours très friandes d’optimisation fiscale, il semble que le législateur a pu, pour l’heure, verrouiller efficacement le système.

Au total, et pour conclure sur ce volet, nous pouvons dire que le monde économique se félicite globalement de cette réforme et se réjouit tout particulièrement d’être soumis désormais à un taux national sur les bases d’une assiette plus clairement définie, qui a amélioré sa compétitivité, même si beaucoup ont avoué, et encore à l’instant Jacques Mézard, que les facteurs essentiels étaient souvent ailleurs, comme le prix de l’énergie, l’existence du crédit d’impôt recherche, la présence de logements pour les salariés, ou une position stratégique dans l’Hexagone au regard des flux d’approvisionnement et du commerce international.

J’en viens maintenant aux effets et aux conséquences de cette réforme pour l’État, suivant en cela les distinctions opérées dans le rapport.

Il est incontestable que cette réforme a eu un coût pour l’État, et l’on peut le chiffrer aux alentours de 4,5 milliards d’euros en régime de croisière. Ce coût correspond au différentiel entre les charges supplémentaires de l’État, résultant du principe de compensation, et aux diverses compensations d’équilibre mises en place – compensation relais, dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle, DCRTP.

En revanche, l’État a bénéficié de la refonte des allégements liés à la taxe professionnelle et d’un surplus d’impôt sur les sociétés. Ce différentiel eût sans doute été moindre si le Conseil constitutionnel n’avait pas annulé le dispositif des bénéfices non commerciaux, les BNC. Pour mémoire, précisons que, lors de l’année de transition, en 2010, le surcoût fut environ du double.

En outre, l’État a stoppé l’hémorragie que lui imposaient les contreparties aux collectivités locales, et c’est là son gain essentiel. Il a payé pour solde de tout compte !

À cet instant, et avant d’aborder l’impact de la réforme sur les collectivités locales elles-mêmes, il est important d’analyser comment elle a affecté la relation entre les collectivités et l’État, et en quoi ce moment constitue l’aboutissement d’une transformation beaucoup plus profonde de la fiscalité locale, en gestation depuis plusieurs décennies.

Si nous ne prenons pas la mesure du phénomène, nous risquons d’entretenir les uns et les autres un quiproquo majeur entre les acteurs publics, ainsi que s’évertuent à nous en convaincre les universitaires et les chercheurs qui s’intéressent aux finances publiques et qui nous expliquent comment la crise actuelle pourrait bien accélérer un processus allant vers « une plus grande intégration des acteurs publics locaux, nationaux et européens ».

En réalité, nous avons déjà vécu une première crise des finances publiques.

Après la Première Guerre mondiale, nos gouvernants ont eu l’idée de transférer aux collectivités locales du pouvoir fiscal afin de leur permettre de faire face à leurs besoins de développement et de reconstruction et à ceux de nos concitoyens.

Dans un premier temps, l’État a dédié des parts de fiscalité, mais ce n’est qu’avec l’ordonnance de 1959 du général de Gaulle, durant les trente glorieuses, que naît l’idée de transférer aux collectivités le levier fiscal, dans le contexte d’une perspective d’opulence.

Les textes de mise en œuvre vont s’étaler de 1975 à 1983 pour aboutir aux lois de décentralisation Defferre, alors que nous venions tout juste de changer d’époque.

En effet, en 1974-1975, c’est le premier choc pétrolier et la fin des budgets en équilibre pour la nation. Alors que les collectivités se réjouissent de la liberté fiscale acquise, ailleurs, on réfléchit déjà à de nouvelles étapes.

L’État est déjà en période de contrainte et on va assister à un chassé-croisé de mesures contradictoires, donnant l’illusion d’une autonomie fiscale, mais de plus en plus financée par l’État, à travers des dégrèvements croissants.

Il faudra toutefois attendre la charnière 2002-2004, et l’inscription de l’article 72-2 dans la Constitution, pour que l’horizon bascule. Cependant, à ce moment, le monde élu n’a pas perçu la portée de la disposition : le Gouvernement et l’administration venaient d’imposer définitivement la norme de référence. Exit l’autonomie fiscale, l’autonomie financière était née !

La réforme de la taxe professionnelle, a priori à destination des entreprises, vient porter le coup de grâce en diminuant le poids de l’économie dans la ressource locale, en figeant les taux et en réaffectant les impôts par niveaux, et souvent sous forme de part d’impôt national.

Elle exige un second pilier, la péréquation horizontale, car, si la réforme de la taxe professionnelle a réduit le poids de la richesse économique dans la ressource, elle n’en a pas moins laissé subsister les inégalités territoriales accumulées.

En même temps, la réforme permet à l’État de substituer la péréquation horizontale à la péréquation verticale, dont il était comptable, dernier verrou posé sur le dispositif, avant que ne vienne s’ajouter la rationalisation des compétences. Mais ce sera une autre histoire !

J’en ai terminé pour cet aspect. Il était important, je crois, de souligner ce double mouvement contradictoire où les élus se sont heurtés, dans leur cheminement, à la radicalisation de l’administration et des gouvernements, et où ils ont accusé un temps de retard sur l’évolution et le mouvement de l’histoire fiscale. Cela ne signifie pas que ce mouvement soit inéluctable et ne puisse être inversé. Seulement, les circonstances l’imposent pour quelques décennies. Il importe d’en prendre acte, comme l’ont déjà fait nos collègues européens.

J’aborderai maintenant les aspects pratiques de la réforme pour les collectivités locales. Mon analyse sera volontairement brève parce que, d’une part, le rapport que nous avons remis reste tout à fait d’actualité – les angoisses en moins, car nous sommes maintenant dans la vraie vie –, et que, d’autre part, c’est le volet qui a été le plus particulièrement détaillé dans les interventions aujourd’hui.

Je crois que nous pouvons réduire à leur juste mesure les craintes relatives au bouleversement matériel et à l’exactitude de la compensation à l’euro près, car les seules variations que nous subissons résultent, en réalité, des modifications législatives que nous nous imposons au fil du temps. On peut s’accorder à dire que la conséquence majeure de la réforme est le « rebasage » de la ressource sur les ménages, notamment pour le bloc communal, et sur une part d’impôt économique considérablement diminuée, qui évolue désormais en fonction de l’évolution de la richesse nationale.

Cela induit une dynamique nouvelle, corrélée à l’évolution économique et aux capacités contributives des habitants.

Nous avons dû, à cet égard, considérablement affiner les critères pour parvenir à une plus grande adéquation avec les besoins réels des territoires, pour corriger les anomalies et tenir compte du poids de l’histoire. Je ne reviendrai pas sur ce travail fastidieux, mais je listerai simplement les résultats obtenus et les axes à poursuivre sur le plan des principes et des grands aspects techniques.

Les ajustements opérés par les deux dernières lois de finances ont permis de mieux prendre en compte les établissements industriels et leur spécificité, comme leurs effectifs, et d’adopter certaines mesures préconisées dans notre rapport, comme l’indexation des IFER.

La question reste posée de la poursuite de la mise en œuvre de la péréquation, corollaire essentiel du nouveau système mis en place, car le fondement de la ressource nouvelle des collectivités et son dynamisme asymétrique exigent une appréciation de la richesse en stock, mais aussi rapportée aux charges des collectivités. Ces ajustements de correction sont l’un des chantiers essentiels du Parlement.

La prise en compte de la richesse et des besoins sur des « territoires agrégés », en même temps que l’achèvement de l’intercommunalité, est une innovation majeure en matière de solidarité.

Il importe que la montée en puissance suive les étapes fixées, mais en prenant garde au contexte contraint que nous traversons et en mesurant la part de l’effort que permettent les flux annuels.

En cela, pour ce qui concerne le bloc communal, nous pouvons apprécier que le Gouvernement ait maintenu le cap en matière de progression du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC.

Comme la répartition sur la base du coefficient d’intégration fiscale à l’échelon intercommunal, l’introduction du revenu des habitants, qui vient modifier à hauteur de 20 % le prélèvement, constitue une correction utile, apportée par la loi de finances pour 2013 au profit de certains territoires urbains.

Le champ d’appréciation des charges de centralité reste aussi ouvert. Il convient sans doute d’introduire des correctifs, en déplafonnant progressivement le prélèvement du FPIC et du Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, le FSRIF. Les spécialistes que vous êtes, mes chers collègues, excuseront, j’en suis sûr, ce jargon !

Nous devons aussi attendre que l’Île-de-France puisse ajuster son propre système, en tenant compte des besoins spécifiques et différenciés de son territoire, qui n’a pas encore, rappelons-le, opéré sa mutation territoriale.

Il reste beaucoup plus de travail sur les mécanismes de solidarité des régions et des départements, qui y ont apporté beaucoup moins d’attention que le bloc communal. Même si nous devons convenir que les parts d’impôts affectées aux départements sont sans doute insuffisantes au regard des compétences exercées, tout particulièrement en temps de crise, où les recettes sont moins dynamiques, ces collectivités auraient sans doute intérêt à faire des propositions plus concrètes à cet égard.

Sur le plan technique, je veux insister, monsieur le ministre, sur les trois pierres d’achoppement qui subsistent, qu’il importe de surmonter au plus vite.

Je pense, tout d’abord, au dossier de la CFE minimale, dont j’ai parlé plus haut, que le Gouvernement n’a pas souhaité régler définitivement dans la dernière loi de finances. Nous avons proposé un plafonnement sur la valeur ajoutée, à l’instar de ce qui existe pour les autres contribuables. Il est indispensable de le décider pour 2014, en temps utile.

Outre les corrections ponctuelles effectuées, il faut permettre à ce marqueur de retrouver une utilisation plus effective, tout en restant dans le cadre constitutionnel. Le Premier ministre vient d’adresser un courrier allant en ce sens à Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France, en date du 21 janvier, dont je trouve le contenu encourageant mais insuffisamment opérationnel.

Nous devrons ensuite impérativement adapter la répartition de la CVAE, aux caractéristiques des groupes.

En effet, à l’heure actuelle, les décisions d’organisation juridique des groupes permettent de déterminer largement les lieux de répartition de la valeur ajoutée. Je ne reviendrai pas sur ce qu’a dit Jacques Mézard il y a un instant, à propos de la concentration de la CVAE sur un certain territoire...

Tant Valérie Pécresse que vous-même, monsieur le ministre, avez prétexté le besoin de simulations pour envisager d’en modifier l’approche. Je ne vois toujours rien venir, alors que nous avons parfaitement identifié le problème.

Enfin, il restera à se pencher sur la mesure des incidences de la revalorisation des valeurs locatives, dont le calendrier est désormais programmé.

Cette dernière révolution fiscale produira de nouvelles modifications sur la géographie fiscale locale. Il s’agit d’une réforme d’autant plus importante que la perte du levier fiscal impose la revalorisation permanente de la matière fiscale, de manière différenciée.

Outre les points en cours que je viens d’évoquer, je voudrais également indiquer que la mise en place d’une nouvelle fiscalité locale, qui ne s’appuie plus pour l’essentiel sur le levier fiscal, doit pouvoir bénéficier de renseignements, d’une expertise et de rapports permanents, qui ne soient pas soumis à la seule discrétion du Gouvernement.

Sans exiger d’être doté en moyens et en personnel comme le sénateur du Texas, je crois qu’il convient que le Parlement puisse disposer en permanence des simulations et des états nécessaires. À l’heure actuelle, nous devons nous en remettre à l’expertise de nos associations d’élus, qui nous fournissent des rapports de prospective. Ce n’est pas digne d’une démocratie de notre niveau, et je le dis sans remettre en cause la valeur des services administratifs du Sénat, qui réalisent un excellent travail.

Je terminerai mon intervention, moi aussi, par un peu de prospective. J’ai essayé de vous le démontrer, mes chers collègues, la réforme de la taxe professionnelle ne correspond pas seulement à une grande réforme fiscale technique. Elle doit aussi être comprise, selon la formule de Jean Bouvier, comme « le basculement tangible d’un monde quasi révolu, fondé sur une régulation par des États nationaux maîtres de leurs choix financiers, à un autre fondé sur des espaces supranationaux, intégrant des espaces territoriaux et fonctionnels à autonomie financière limitée ».

La crise que nous traversons accélère cette évolution, en poussant à une plus forte intégration des acteurs publics locaux, nationaux et européens, et à la mise en place d’outils nouveaux, comme le conseil des exécutifs hier, ou le haut conseil des territoires demain, auxquels nous devons donner force opérationnelle.

C’est l’équilibre de la société et du lien social qui est en jeu, avec une nouvelle forme de gouvernance qui intégrera démocratie, solidarité et liberté. Le seul risque que comporte l’exercice, c’est que cette intégration ne prenne la voie d’une recentralisation.

Aussi, ne nous contentons pas de considérer ce débat comme celui d’une réforme réalisée à la hâte ou souffrant d’improvisation, au prétexte que les uns ou les autres auraient failli, car, alors, le Sénat passerait à côté de l’histoire fiscale de nos collectivités.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la disparition de la taxe professionnelle, qui avait remplacé en 1976 la vieille patente, a été l’une des mesures emblématiques du quinquennat Sarkozy.

La suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale, la CET, ont constitué une bonne nouvelle pour la plus grande partie des entreprises, puisque leur contribution fiscale s’est trouvée réduite pour 60 % d’entre elles et stabilisée pour 20 % Les entreprises des 20 % restants ont vu leur contribution légèrement s’accroître.

Nous avons beaucoup entendu parler de cette dernière catégorie, composées notamment d’artisans ou de commerçants, employant peu de salariés ou sans salariés. Une mesure temporaire a dû être prise dans le cadre de la loi de finances pour 2013, visant à compenser les effets pervers d’une nouvelle fixation des bases. La cotisation minimale de CFE a été modifiée par les élus locaux, qui n’ont pas été en mesure d’estimer au préalable l’impact que leur décision pouvait avoir, confirmant ainsi la fragilité de dispositions prises sans les estimations nécessaires.

La nouvelle assiette de la CET nous était d’emblée apparue comme peu opératoire et peu pertinente. De fait, elle garde, de notre point de vue, ces défauts.

La cotisation foncière ressemble fortement à la patente et la taxation sur la valeur ajoutée, compte tenu de son assiette, n’est plus qu’un complément de TVA, dont le rendement est soumis aux choix de gestion, et parfois de domiciliation, des entreprises, qui peuvent fort bien s’exonérer de tout ou partie de cet impôt, grâce à quelques montages financiers subtils.

La plupart des entreprises ont donc constaté une baisse de la pression fiscale locale pesant sur leurs comptes, conduisant par là même à la progression relative de leur contribution au titre de l’impôt sur le revenu, pour les exploitants individuels, et de l’impôt sur les sociétés, pour les sociétés de capitaux.

Le deuxième effet de la réforme de la taxe professionnelle est également connu : je veux bien sûr parler de l’amoindrissement du pouvoir fiscal local.

De fait, il se limite à la variation des taux d’imposition sur la cotisation foncière, dont les bases, peu dynamiques, ne permettent pas de dégager des recettes susceptibles de répondre aux besoins des habitants de nos communes.

Évidemment, cette perte d’autonomie financière des collectivités territoriales est encore plus manifeste pour les régions et les départements qui ne disposent plus que de dotations, quand ces collectivités jouissaient, jadis, de ressources fiscales librement fixées, même en respectant l’encadrement de taux défini par le code général des impôts.

Mme Marie-France Beaufils. La progression limitée des bases d’imposition n’est pas sans conséquence pour les élus désireux de mener des politiques de développement économique. Une assemblée locale qui mène cette politique travaille, généralement, à améliorer la recette de CVAE des autres collectivités. De plus, les créations d’emplois ne bénéficient pas nécessairement à ses propres administrés.

La réalité montre que les bases d’imposition de la cotisation foncière, mis à part le cas spécifique des petites entreprises soumises à la cotisation minimale, n’ont pas le même dynamisme que les anciennes recettes de taxe professionnelle.

Par ailleurs, le faible produit de la CFE – 6,6 milliards d’euros en 2012 – augure pour les budgets locaux de difficultés durables. La taxe d’habitation rapporte aujourd’hui 19,4 milliards d’euros et la taxe foncière sur les propriétés bâties, 27,3 milliards d’euros. Dès lors, le produit de la CFE est juste un peu plus faible que celui de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères et de la redevance d’enlèvement réunies, qui rapportent aujourd’hui 6,7 milliards d’euros.

Il conviendra sans doute, le moment venu, de regarder à quoi ont conduit les dispositions de la loi de finances rectificative de 2012 sur la cotisation minimale pour mesurer avec encore plus de netteté les limites de la cotisation foncière.

Tout cela ne doit cependant pas nous faire oublier l’essentiel.

La fiscalité locale des entreprises n’est plus un outil permettant de mettre en place une juste péréquation des ressources, alors même que l’on nous abreuve assez régulièrement de déclarations d’intention en faveur de cette péréquation, qui serait à la fois légitime et nécessaire.

La cotisation sur la valeur ajoutée n’a nullement les vertus d’une cotisation péréquatrice, d’autant que l’on constate toujours le même phénomène de concentration de bases d’imposition. Il a même eu tendance à s’accroître, du fait des effets « sièges sociaux ». C’est une situation que l’on peut observer en Île-de-France, comme l’a signalé Jacques Mézard, puisque cette région concentre 33 % des bases de la CVAE, alors qu’elle n’accueillait que 21,5 % des bases de la taxe professionnelle.

La mise en place des fonds de péréquation régionaux et départementaux, dont le rendement attendu est proche de 25 millions d’euros pour les régions et de 50 millions d’euros pour les départements via un mécanisme de péréquation horizontale, ne corrige cette situation qu’à la marge.

Même si le dispositif est appelé à croître et à embellir dans les années à venir, il ne peut constituer une réponse tout à fait adaptée face à l’inégalité des ressources entre collectivités.

En revanche, s’il est un point sur lequel cette réforme a apporté la réponse attendue par le gouvernement de l’époque, c’est bien celui de la réduction de la prise en charge de la fiscalité par le budget de l’État.

Le taux de prise en charge est passé de plus de 26 % en 2008 et en 2009 à 16,1 % en 2011.

En outre, on ne peut manquer de souligner ici que la réforme de la fiscalité locale a échoué, concernant les entreprises, au regard de ce qui était annoncé comme sa finalité principale : la création d’emplois.

Alors même que les entreprises ont bénéficié, en 2010, en 2011 et en 2012, des effets immédiats de la disparition de la taxe professionnelle, qui leur permet de disposer de 5 milliards d’euros en régime de croisière, le nombre de personnes privées d’emploi – et encore ne s’agit-il là que des statistiques officielles ! – est passé de 2 660 400 à 3 132 900, soit près de 500 000 chômeurs de plus depuis l’entrée en vigueur pleine et entière de la mesure.

Le rapport remis au Comité des finances locales le 6 novembre dernier admet cette absence d’effet sur l’emploi, mais estime qu’il devrait en aller autrement à moyen terme… Si cette affirmation était étayée par des modifications dans les choix de gestion des entreprises, nous pourrions nous en réjouir, mais ce n’est malheureusement pas le cas.

D’une certaine manière, l’aggravation du déficit public de l’État liée à la nécessité de compenser la réforme s’est donc accompagnée d’un déficit en matière d’emploi, alors même que la population active de notre pays est soumise depuis 2005 à un renouvellement relativement important.

Le dernier effet collatéral de la disparition de la taxe professionnelle est la suppression des fonds écrêtés attribués par les départements aux communes défavorisées.

Tout montre que la position de notre groupe était pleinement fondée. Nous avions, je le rappelle, combattu la réforme de la taxe professionnelle. Il est temps, nous semble-t-il, de concevoir des outils de péréquation performants, adossés à un rendement important, pour remédier à la fois aux inégalités de ressources entre territoires et aux différences de traitement fiscal entre entreprises, tout aussi persistantes.

Dans ce contexte, la proposition, maintes fois formulée par les membres de mon groupe et moi-même, d’élargir l’assiette de la fiscalité économique locale aux actifs financiers trouve sa pleine justification.

La contribution économique territoriale semble bel et bien avoir échoué à relancer l’investissement, à favoriser la création d’emplois et à donner une compétitivité nouvelle à nos entreprises. Il est donc temps de faire d’autres choix.

La financiarisation de l’activité économique, afin d’obtenir le retour sur investissement le plus important et le plus rapide possible, la multiplication des plans sociaux, la poursuite du processus de délocalisation : tout cela fait une bonne fois pour toutes litière du discours, qui nous fut servi pendant trente-trois ans, selon lequel la taxe professionnelle serait un mauvais impôt, au regard tant de l’emploi que de l’investissement.

Nous devons aller vers une réforme réelle de la fiscalité locale, pleinement intégrée à la réforme plus générale de la fiscalité. Cela passe par une taxation des actifs financiers pénalisant la préemption financière dont souffre notre économie. Cette ressource dédiée au financement des collectivités locales serait d’un niveau permettant véritablement d’accompagner les collectivités en fonction de leurs ressources, aujourd'hui insuffisantes, et de leurs besoins. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jarlier.

M. Pierre Jarlier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer la qualité du travail approfondi mené par la mission d’information sur un sujet aussi sensible et complexe, qui touche non seulement à la compétitivité des entreprises, mais aussi à l’attractivité des territoires et aux capacités financières de nos collectivités.

Je me bornerai d’ailleurs à évoquer ici les effets de la réforme sur les collectivités, et plus particulièrement sur le bloc communal.

J’aborderai deux sujets : la modification du panier de ressources des communes et des EPCI à l’issue de la réforme ; les conséquences de la nouvelle fiscalité locale sur l’attractivité des territoires.

Quelques citations importantes tirées de notre rapport résument assez bien la situation : on constate une « compensation à l’euro près effective » qui « masque un fort accroissement pour l’avenir des inégalités territoriales » et « rend nécessaires de nouveaux mécanismes de péréquation ». Pourquoi cette dernière affirmation ?

En ce qui concerne la modification des recettes fiscales résultant de la réforme, force est de constater que si la compensation à l’euro près par l’État a été effective, la fiscalité locale économique, qui constituait près de 19 % des recettes de fonctionnement du bloc communal, s’est trouvée considérablement affaiblie. À titre d’exemple, la contribution économique territoriale ne représente plus que 33 % des ressources des EPCI à CET unique, contre 94 % avant la réforme.

Le transfert de la fiscalité locale économique vers la fiscalité des ménages est donc bien une réalité, et les marges de manœuvre de la plupart des intercommunalités dépendent désormais essentiellement de la capacité contributive des ménages, notamment dans les territoires où l’activité économique est faible. Il y a donc là un vrai problème d’équité territoriale ; j’y reviendrai.

Certes, des mécanismes de compensation et de péréquation ont été créés pour remédier à ces inégalités territoriales, mais le rapport montre très bien que ce sont les territoires les plus dynamiques qui tirent le mieux leur épingle du jeu : ils sont les grands gagnants du nouveau système fiscal. En effet, d’une part, ils bénéficient d’un dynamisme fort de leur CET, et, d’autre part, leurs versements au titre du Fonds national de garantie individuelle des ressources et de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle viennent en déduction de leurs potentiels financiers.

Une telle situation est, à mon sens, choquante, car ces déductions reposent sur des sommes virtuelles qui ne sont jamais rentrées dans les caisses des collectivités concernées. Par ailleurs, leur montant, qui peut être très important, provoque une baisse du potentiel financier de ces dernières, qui peuvent ainsi devenir éligibles au nouveau fonds de péréquation intercommunal et communal. Voilà donc un excellent moyen de reprendre d’une main ce qui a été donné de l’autre !

À l’inverse, les collectivités qui perçoivent des dotations de compensation au titre de la réforme – c’est le cas des territoires industrialisés et des zones rurales fragiles – sont pénalisées par un gel de ces compensations, qui peuvent représenter jusqu’à 30 % de leurs ressources propres. Le montant de ces dotations vient s’ajouter à leur potentiel financier, ce qui a parfois pour conséquence de les rendre contributrices au titre de la péréquation horizontale… Le potentiel financier entrant à hauteur de 80 % dans le calcul du prélèvement, la collectivité peut se retrouver prélevée au titre du FPIC, voire privée du bénéfice des fonds de péréquation de l’État ; le cas existe ! Où est donc l’équité territoriale de la réforme dans une telle situation ? Une double peine est de fait infligée aux territoires les plus fragiles : moins de dynamisme des bases et moins de péréquation !

En ce qui concerne maintenant les conséquences de la nouvelle fiscalité locale sur l’attractivité des territoires, la remarquable étude réalisée par l’Assemblée des communautés de France, l’AdCF, est particulièrement révélatrice. Elle montre clairement que les incidences de la réforme fiscale pour le bloc communal sont très inégales et qu’elles induisent des « devenirs territoriaux très contrastés » : cela rejoint exactement les conclusions de notre rapport.

Au-delà du cas de la région parisienne, les grands ensembles métropolitains et les territoires à la fois résidentiels et productifs, comme le Grand Ouest ou la région Rhône-Alpes, par exemple, peuvent miser sur des valeurs locatives attractives et sur un dynamisme économique fort. Ils tirent donc leur épingle du jeu de la réforme.

Mais, en dehors des régions littorales, tel n’est pas le cas pour les ensembles intercommunaux plutôt ruraux et éloignés des grands centres urbains, qui bénéficient certes de bases d’imposition élargies, mais reposant essentiellement sur les valeurs locatives des logements. Ils sont donc pénalisés par le manque de dynamisme du marché immobilier, conjugué à la faiblesse de l’activité économique.

Or on observe également que, sur ces mêmes espaces intercommunaux, le poids des dotations de l’État hors péréquation est considérable dans les ressources locales ; c’est un vrai sujet. Leur baisse programmée risque donc de faire subir une autre double peine aux territoires concernés : d’une part, la réforme fiscale leur est très défavorable ; d’autre part, il y a un risque de déstabilisation de leur budget.

Nous devons donc être particulièrement attentifs à la situation de ces territoires en perte de dynamisme socioéconomique, qui sont malheureusement très nombreux. En effet, dans le nouveau contexte, les mécanismes actuels de péréquation ne permettront pas d’empêcher l’accroissement des inégalités territoriales. Il faut bien le reconnaître, le nouveau fonds de péréquation intercommunal et communal n’y suffira pas, même au terme de sa montée en puissance jusqu’à 1 milliard d’euros, si du moins nous parvenons à atteindre ce montant !

C’est donc dans le cadre d’une réforme globale de la DGF et de l’ensemble des mécanismes de péréquation de l’État que les effets de cette réforme pourraient être corrigés et la fragilité de ces territoires mieux prise en compte.

C’est aussi à cette condition que le principe d’égalité des territoires pourra enfin réellement prévaloir et que nous serons en mesure de réduire véritablement les écarts de richesse entre les collectivités. Que comptez-vous faire en ce sens, monsieur le ministre ?

Mme la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’évidence, nous ne pourrons pas achever ce débat dans les temps impartis dans le cadre de l’ordre du jour réservé.

Afin de ne pas créer un précédent auquel certains pourraient se référer par la suite, ce qui nous serait collectivement préjudiciable, il me semble plus sage de reporter la suite de ce débat à une date que je laisse à la conférence des présidents et au groupe du RDSE le soin de fixer.

La suite du débat est renvoyée à une prochaine séance.

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Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 31 janvier 2013 :

De neuf heures à treize heures :

1. Suite de la proposition de loi visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels (n° 555, 2011-2012) ;

Rapport de Mme Isabelle Debré, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 181, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 182, 2012-2013).

2. Proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable (n° 682 rectifié, 2011-2012) ;

Rapport de M. Yvon Collin, fait au nom de la commission des finances (n° 287, 2012-2013) ;

Résultat des travaux de la commission (n° 288, 2012-2013) ;

Avis de M. Claude Domeizel, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 291, 2012-2013) ;

Avis de M. Bruno Retailleau, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 298, 2012-2013) ;

Avis de M. Yves Rome, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire (n° 299, 2012-2013).

À quinze heures :

3. Questions cribles thématiques sur le commerce extérieur

De seize heures à vingt heures :

4. Proposition de loi portant réforme de la biologie médicale (n° 243, 2012-2013) ;

Rapport de M. Jacky Le Menn, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 277, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 278, 2012-2013).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures quarante.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART