Sommaire

Présidence de M. Thierry Foucaud

Secrétaires :

M. Hubert Falco, Mme Catherine Procaccia.

1. Procès-verbal

2. Mise au point au sujet d'un vote

Mme Jacqueline Alquier, M. le président.

3. Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi

4. Dépôt d'un rapport

5. Débat sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement

Mmes Sophie Primas, présidente de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement ; Nicole Bonnefoy, rapporteur de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement ; Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

Mme Bernadette Bourzai, MM. Gérard Le Cam, Henri Tandonnet, Gilbert Barbier, Joël Labbé, Jean-François Husson, Mme Laurence Rossignol, M. Jean-Noël Cardoux, Mme Jacqueline Alquier, MM. Alain Houpert, Maurice Antiste, Mme Michelle Meunier.

Mme Marisol Touraine, ministre, M. Stéphane Le Foll, ministre.

Suspension et reprise de la séance

6. Débat sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes

Mme Fabienne Keller, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective ; M. Joël Bourdin, président de la délégation sénatoriale à la prospective.

Mme Isabelle Pasquet, MM. Hervé Marseille, Gilbert Barbier, Mmes Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Ronan Kerdraon.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.

7. Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'une proposition de loi

8. Communication d'avis sur des projets de nomination

9. Communication du Conseil constitutionnel

Suspension et reprise de la séance

10. Débat sur la place des petites et moyennes entreprises dans notre économie

M. André Reichardt, pour le groupe UMP.

Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Pierre Plancade, Joël Labbé, Philippe Darniche, Mme Natacha Bouchart, MM. Martial Bourquin, Gérard Le Cam, Francis Delattre, Yannick Vaugrenard, Antoine Lefèvre, Marc Daunis, Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique.

11. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Thierry Foucaud

vice-président

Secrétaires :

M. Hubert Falco,

Mme Catherine Procaccia.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mise au point au sujet d'un vote

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.

Mme Jacqueline Alquier. Monsieur le président, M. Jean-Claude Frécon, retenu à Strasbourg pour une session de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, m’a chargée de faire une mise au point au sujet d’un vote intervenu la semaine dernière.

Le 17 janvier dernier, lors du scrutin public n° 82 portant sur l’article 2 du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral, M. Jean-Claude Frécon, qui était également ce jour-là à Strasbourg, au Conseil de l’Europe, a été déclaré comme votant pour, alors qu’il souhaitait s’abstenir.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

3

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports, déposé sur le bureau du Sénat le 3 janvier 2013.

4

Dépôt d'un rapport

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Raphaël Hadas-Lebel, président de la commission dite « de la copie privée », le rapport d’activité pour les années 2010-2011 de cette commission, établi en application de l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, et est disponible au bureau de la distribution.

5

Débat sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement, organisé à la demande de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement (rapport d’information n° 42).

Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la mission commune d’information.

Mme Sophie Primas, présidente de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement. Monsieur le président, madame le rapporteur, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’utiliserai, pour mon intervention, l’ensemble du temps de parole qui m’a été accordé, soit dix minutes en ma qualité de présidente de la mission commune d’information et six minutes au nom de mon groupe.

En ce début de débat, il est du devoir de la présidente de la mission commune d’information de rappeler quelques dates, chiffres et événements concernant les travaux de la mission, mais aussi d’évoquer l’esprit qui a animé ses travaux. Vous me permettrez également d’exprimer, cette fois à titre individuel, les convictions que je me suis forgées au cours de ces six mois de présidence.

La mission a été créée à l’instigation de ma collègue Nicole Bonnefoy, en raison notamment de l’actualité qui a marqué son département.

Je souhaiterais adresser, au nom de la mission, mes plus sincères remerciements à M. Paul François ainsi qu’aux membres de son association, Phyto-victimes, et particulièrement à M. Jacky Ferrand – tous deux présents dans les tribunes aujourd'hui –, pour l’accueil qu’ils nous ont réservé en Charente et la grande sincérité de leurs propos. Je tiens à saluer leur dignité dans une épreuve pourtant très difficile. Je dois vous dire que leurs témoignages nous ont, certes, bouleversés, mais, surtout, conduits à traiter ce sujet en dehors de tout esprit partisan, en toute responsabilité et dans l’intérêt général.

Je dois souligner que notre mission a bénéficié, tout au long de ses travaux, de l’intérêt marqué des sénateurs, tous groupes politiques confondus. Je remercie mes collègues membres de la mission commune de leur travail de leur implication et me félicite de l’excellente ambiance qui a prévalu tout au long de ces mois.

La mission a débuté ses travaux en mars 2012 et a immédiatement décidé de limiter son champ d’investigation à l’impact des pesticides sur la santé des utilisateurs, qu’ils soient ou non professionnels, et de ceux qui se trouvent en amont de leur utilisation. Traiter des questions relatives à l’environnement ou à l’alimentation excédait le domaine auquel il était réaliste de consacrer nos investigations en quelques mois. Nous avons l’espoir que ce volet sera traité par une prochaine mission d’information.

Nous avons achevé notre mission en octobre 2012, au terme de six mois de travaux, après avoir procédé à 95 auditions au Sénat et en province, grâce aux visites effectuées dans cinq départements, à savoir la Charente, le Lot-et-Garonne, le Morbihan, le Rhône et, enfin, le Val-de-Marne, précisément à Maisons-Alfort, avec une journée de travail à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES – soit, au total, une centaine d’heures de dialogue avec plus de 200 personnes.

Notre mission s’est conclue avec l’adoption, à l’unanimité, d’un rapport comprenant plus d’une centaine de recommandations.

Cette unanimité, que tous les membres de la mission souhaitaient, était un signal fort adressé aux acteurs concernés : jardiniers du dimanche, distributeurs professionnels ou « grand public », industriels, agents des collectivités territoriales et, bien sûr, agriculteurs.

Les propositions de la mission sont d’importance naturellement très variable ; elles ont quelquefois suscité une adhésion plus ou moins marquée de chacun d’entre nous, selon nos sensibilités. Certains auraient souhaité aller plus loin, plus vite, d’autres avaient quelques appréhensions, mais nous souhaitions avoir une position commune forte pour faire entendre notre message unanime : la santé doit être au cœur de notre action.

Nos travaux ont été ponctués par une actualité souvent riche qui a souligné le caractère parfois polémique, j’irais jusqu’à dire passionnel, des thèmes abordés par la mission.

Ainsi, à titre d’exemple, au mois d’octobre 2012, la publication de travaux d’un universitaire consacrés aux effets des organismes génétiquement modifiés sur la santé, dont les médias se sont très largement fait l’écho, a conduit plusieurs membres de la mission à assister à l’audition commune de l’ANSES organisée par l'Assemblée nationale sur le sujet, controversé, de la nature des évaluations des dangers et des risques de ces produits pour la santé.

Ce thème de réflexion était connexe à celui de la mission et illustrait un schéma parfaitement identique à celui que l’on connaît pour la dangerosité des pesticides : d’une part, des travaux scientifiques par nature partiels et controversés ; d’autre part, un manque cruel d’informations dans les domaines de l’épidémiologie, la toxicologie et l’expologie rendant impossible une analyse globale et contradictoire. Dans ce cas, il est toujours difficile de distinguer le fondement scientifique réel de l’emballement partisan, par ailleurs non dénué d’intérêt. Cela laisse le champ libre à toutes les interprétations, des plus rassurantes aux plus alarmistes. C’est la fameuse fabrique du doute…

Avant de lui laisser la parole pour présenter le rapport et les recommandations de la mission, je souhaiterais remercier vivement et chaleureusement notre rapporteur, Mme Bonnefoy, pour le travail considérable qu’elle a fourni et l’esprit cordial et républicain avec lequel nous avons fait équipe.

Le bureau a adopté cinq constats, qui ont servi de socle à la centaine de recommandations proposées et votées.

Première constatation, les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont sous-évalués.

En effet, les maladies liées à l’utilisation de produits phytosanitaires sont de deux ordres.

Elles peuvent, d’une part, être la conséquence directe d’un accident. Dans ce cas, malgré l’actualité récente, la véritable difficulté est, pour celui qui en est victime, d’obtenir la reconnaissance qu’il s’agit d’une maladie professionnelle. Beaucoup, oui, beaucoup de progrès sont attendus sur le sujet.

Ces maladies peuvent, d’autre part, être chroniques. Elles apparaissent dix, vingt ou trente ans après l’exposition aux risques, voire sur les générations suivantes.

Dans ce cas – comme pour le tabagisme, en quelque sorte –, le risque est lointain, diffus et aléatoire pour l’utilisateur, donc plus difficile à cerner, plus difficile à admettre, plus difficile à dire et plus difficile à relier aux véritables causes.

Enfin, les maladies qui apparaissent en nombre aujourd’hui – Parkinson, Alzheimer, cancer de la prostate ou cancer du sein… – sont le résultat de nombreuses années de pratiques sans information réelle sur le risque, sans véritable protection à l’exposition de molécules aujourd’hui souvent retirées du marché et ne prenant pas en compte les progrès réalisés ces toutes dernières années seulement.

Aussi avons-nous l’ardente obligation de veiller, par des autorisations de mises sur le marché conformes aux risques et par la définition de conditions d’utilisation, à ce que les molécules d’aujourd’hui ne produisent pas de nouveaux effets sanitaires sur les personnes exposées ou sur leurs enfants.

Deuxième constatation, le suivi des pesticides après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels et l’effet des perturbateurs endocriniens est mal pris en compte.

Il est clair qu’un grand nombre d’effets sont aujourd’hui mal appréhendés. Je suis certaine que Mme la rapporteur y reviendra, mais je signale dès à présent l’impérieuse nécessité que l’Europe prenne ces problèmes à bras-le-corps. Je pense notamment à la définition et à la classification des perturbateurs endocriniens, pour les produits phytosanitaires comme pour bon nombre de produits de consommation plus courante, aux méthodes d’évaluation des « effets cocktail » et des faibles doses ou encore à la nécessité de retravailler les contrôles post-autorisation de mise sur le marché.

Troisième constatation, les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques. Mon collègue Alain Houpert interviendra sur cette question dans le débat. C’est un point essentiel du rapport, auquel il convient de donner des suites rapides et opérationnelles.

Quatrième constatation, les pratiques industrielles, agricoles et commerciales n’intègrent pas assez la préoccupation de l’innocuité pour la santé du recours aux pesticides. Les industries agroalimentaires, les distributeurs, mais aussi les consommateurs doivent être plus impliqués dans tout le processus conduisant à la diminution de l’utilisation de produits phytosanitaires. Taches sur les pommes, herbes sur les trottoirs, calibrage des légumes… : tout est aujourd'hui standardisé, normé, presque dévitalisé. Pouvons-nous imaginer de revenir en arrière, même raisonnablement ?

Enfin, cinquième constatation, le plan Écophyto 2018 doit être renforcé. Sur ce point, mes chers collègues, vous me permettrez de vous faire part de mes observations.

Si nous avons été confrontés à une grande diversité d’analyses et d’opinions, un dénominateur commun est apparu à l’ensemble des intervenants : la place centrale du dispositif Écophyto 2018, plan visant à diminuer le recours aux produits phytosanitaires tout en continuant à assurer un niveau de production élevé et de qualité.

En effet, malgré les alertes lancées par des membres de la communauté scientifique et des associations depuis de nombreuses années, en France, la véritable prise de conscience de masse s’est produite, en grande part, grâce au Grenelle de l’environnement et à sa transcription dans le plan Écophyto 2018.

La mobilisation impressionnante qui a suivi la mise en place de ce dispositif concerne l’ensemble des acteurs, et je veux ici saluer les efforts réalisés par tous.

En premier lieu, je citerai bien sûr les exploitants agricoles, qui, malgré des réticences bien compréhensibles et l’existence d’un modèle de production agricole encouragé et ancré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont peu à peu – peut-être insuffisamment encore – pris conscience des dangers liés à l’utilisation des produits phytosanitaires. La parole est en train de se libérer, notamment sur l’existence de maladies chroniques. Aujourd’hui, les exploitants, et notamment les jeunes, ce qui est très encourageant, affirment leur volonté de mieux se former, de mieux se protéger, de mieux s’acheminer vers une moindre utilisation de produits chimiques.

Bien sûr, il reste du chemin à parcourir, et la valeur d’exemple sur la durée est fondamentale. À ce titre, les fermes Dephy – Démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires –doivent absolument continuer leur développement.

Mais, monsieur le ministre, pour que cela fonctionne, nous devons également entendre l’anxiété des exploitants – et y répondre – lorsque des productions entières sont menacées de disparition sur notre territoire, faute de molécule agréée, de techniques alternatives ou encore de recherche suffisante. Je pense à cet agriculteur du Lot-et-Garonne déplorant la fin de la production de noisettes en France, alors que nous en étions les plus gros producteurs exportateurs il y a quelques années encore.

Nous devons aussi entendre l’anxiété des producteurs face à une fiscalité qui, sous couvert d’intentions louables, peut favoriser les importations parallèles, les fraudes, voire le grand banditisme, véritable fléau dans certaines régions et sur certaines productions. Madame la ministre, monsieur le ministre, ce que nous avons entendu à ce sujet est totalement effarant. À cet égard, je salue le travail des équipes de police et de gendarmerie, les douanes et la justice ainsi que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui, sur ce sujet, doivent être soutenues et écoutés.

Enfin, nous devons entendre la colère légitime des exploitants lorsque l’importation de pays européens les met en situation de concurrence déloyale, en faisant entrer sur notre territoire des fruits et des légumes traités avec des produits interdits en France.

Je veux également m’adresser aux industriels producteurs de produits phytosanitaires. Dans leur démarche et dans leur logique économique mondialisée, ces derniers ont intégré le risque de stigmatisation à court terme de leurs produits, voire de leur interdiction. Pour pérenniser leur activité, ils sont dans l’obligation absolue de modifier la nature de leur recherche et de leur production. Ainsi, une action notable a été menée sur les baisses de volume, sur les nouveaux modes de protection, sur le recyclage des déchets… Je salue, par exemple, l’initiative Adivalor, pour « Agriculteurs, distributeurs, industriels pour la valorisation des déchets agricoles ». Parallèlement, nombre d’entreprises du secteur choisissent d’orienter leurs recherches sur les techniques de biocontrôle et sur les évolutions de molécules actives.

Bien sûr, nous devons être encore plus exigeants, plus vigilants et ne faire preuve d’aucune naïveté. Néanmoins, nous devons travailler avec ces industries, et non contre elles ! Si l’actualité récente sur les néonicotinoïdes doit nous conduire à renforcer et notre vigilance et notre exigence, nous ne pouvons cependant pas fermer les yeux sur les efforts réalisés.

Je veux également saluer l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, son directeur, Marc Mortureux, et ses équipes, qui, dans des périodes difficiles de la révision générale des politiques publiques, ont su remettre en cause leur mode de fonctionnement, évoluer très significativement sur les questions de transparence et de lutte contre les conflits d’intérêt et prendre leurs responsabilités sur des sujets d’actualité - je pense aux épandages aériens ou au programme PERICLES sur les « effets cocktail ».

Cependant, l’ANSES doit encore progresser, et il faut pour cela lui donner des moyens, non pas budgétaires mais humains. À ce propos, je vous rappelle que, financièrement, les moyens de l’Agence sont supportés par les redevances payées par les industriels déposant des demandes d’autorisation de mise sur le marché.

Mais c’est probablement l’Agence européenne de sécurité des aliments qui doit évoluer le plus en profondeur et le plus vite, sur des sujets brûlants, de fond et de forme : reconnaissance des perturbateurs endocriniens – j’en ai parlé –, conflits d’intérêt, rémunérations des experts, réorganisation européenne des agréments, refonte des méthodes d’évaluation, pour sortir des modèles fondés sur les doses journalières admissibles et prendre en compte, par exemple, les effets dits « faibles doses ».

La véritable révolution est bien là, monsieur le ministre de l’agriculture, et je compte sur votre force de conviction pour en être un acteur majeur.

Il m’est impossible de ne pas aussi citer l’importance de la recherche dans son ensemble – recherche agronomique, recherche entomologique, recherche technique sur le matériel, recherche publique, recherche privée –, mobilisée pour développer des moyens de protection supplémentaire, de nouvelles techniques culturales, de nouvelles formulations, de nouvelles ergonomies pour les bidons, les flacons, les épandeurs, de nouvelles sélections variétales.

Sans doute le fléchage des fonds de la recherche publique doit-il être plus volontariste. Sans doute devons-nous aussi, collectivement, ne nous priver d’aucun domaine de recherche : pas de complaisance, mais pas d’obscurantisme non plus !

Enfin, je rends hommage aux collectivités territoriales, lesquelles sont de plus en plus nombreuses à renoncer à l’emploi de produits phytosanitaires ou, au moins, à réduire drastiquement leur utilisation. Nous les encouragerons à continuer dans ce sens.

Bien d’autres acteurs auraient pu être cités. Qu’ils me pardonnent de ne pas l’avoir fait : le temps me contraint…

Au regard des évolutions que j’ai évoquées et du chemin parcouru depuis trois ans, oui, j’affirme que le plan Écophyto 2018 est un succès qualitatif incontestable, de par la mobilisation qu’il a engendrée. Néanmoins, malgré cet élan national, force est de constater que les résultats quantitatifs obtenus en trois ans au titre de ce plan ne sont pas satisfaisants et que, pour tous les acteurs, de nombreux efforts restent à accomplir.

Cependant, soyons justes et assurons la pérennité des actions entreprises. Les mécanismes mis en place ne sont opérationnels que depuis peu de temps. Certains sont encore en cours de déploiement. Ainsi, un grand nombre de nos recommandations se retrouvent dans le plan Écophyto 2018. Toutefois, nous avons estimé de notre devoir de les réaffirmer avec force, afin, justement, que ces mesures soient pérennisées et aient une chance d’atteindre leurs objectifs.

Mes chers collègues, soyons ambitieux et exigeants, mais laissons-nous le temps de mesurer les résultats des actions entreprises. Les cycles de changement de modèle de production sont très longs. Trois ans, c’est un délai incroyablement court à l’aune des évolutions survenues au cours des cinquante dernières années !

Tous les membres de la mission ont souhaité que les propositions retenues puissent prendre vie, par exemple, au travers de propositions de loi ou d’amendements, au fur et à mesure des textes que le Sénat aura à examiner.

Nicole Bonnefoy et moi-même avons été reçues, le 3 décembre 2012, par vous, monsieur le ministre de l’agriculture, et, le 16 janvier 2012 dernier, par vous, madame la ministre de la santé. Nous avons également eu une séance de travail avec le cabinet de Mme Marylise Lebranchu, ministre chargée de la réforme de l’État. Soyez-en tous remerciés ! Ces entrevues nous ont permis de considérer avec vous les recommandations qui pouvaient être mises en œuvre.

Pour terminer, permettez-moi de vous dire, madame la ministre, monsieur le ministre, que les membres de la mission, le rapporteur et moi-même sommes particulièrement heureux de pouvoir dialoguer avec vous aujourd’hui sur les recommandations de la mission afin que tout soit mis en œuvre pour que, une fois de plus, la santé soit au cœur de notre action et de nos préoccupations. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur de la mission commune d’information.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, alertée par un agriculteur victime des pesticides, M. Paul François, j’ai sollicité du président du groupe socialiste du Sénat, au début de l’année 2012, la création d’une mission commune d’information consacrée aux impacts des pesticides sur la santé.

Le sujet n’était pas complètement nouveau pour le Sénat. Dès lors, pourquoi remettre l’ouvrage sur le métier ? Précisément parce que nous avions le sentiment d’être face à un problème complexe, nécessitant des investigations poussées, mais aussi parce que nous sentions une évolution de la sensibilité de nos concitoyens, et, d’abord, des premiers concernés, les agriculteurs, sur les risques que font courir les pesticides à ceux qui les manipulent et vivent au quotidien à leur contact.

Dès le début des travaux de la mission, au mois de mars 2012, l’étendue et la complexité du champ à explorer sont apparues imposantes. En effet, il nous fallait confronter les enseignements de plusieurs disciplines – agronomie, chimie, médecine, biologie, toxicologie, écotoxicologie, expologie, épidémiologie, droit… – et rencontrer des acteurs d’une grande diversité, aux modes de pensée spécifiques et aux intérêts parfois divergents.

Avec la présidente et l’ensemble des membres de la mission, nous avons décidé de centrer nos travaux sur les effets des pesticides sur la santé des utilisateurs directs, à savoir les personnels intervenant dans leur fabrication et leur application, les familles d’agriculteurs et les riverains des épandages, mettant de côté les investigations sur les effets de ces produits sur l’environnement et sur leur présence dans l’alimentation.

Pour mener nos travaux, nous ne sommes pas partis d’une feuille vierge. Nous avons pu nous appuyer sur des rapports parlementaires, en particulier ceux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPESCT. Je pense au rapport présenté, en 2010, par nos collègues Jean-Claude Étienne et Claude Gatignol, mais également à d’autres rapports, à l’instar de ceux qui furent respectivement présentés par nos collègues Gilbert Barbier – en 2011, sur les perturbateurs endocriniens –, Catherine Procaccia – en 2009, sur l’emploi du chlordécone aux Antilles –, et Marie-Christine Blandin – en 2008, sur l’expertise sanitaire des risques chimiques du quotidien.

Nous avons surtout eu le souci d’écouter très largement l’ensemble des protagonistes liés de près ou de loin à la question des pesticides, menant près d’une centaine d’auditions, et de dégager un consensus entre nous sur le sujet. À l’issue de sept mois de travail, la mission a adopté, à l’unanimité, plus d’une centaine de recommandations visant à réorienter la politique des pesticides en France et en Europe.

Si l’on a coutume de dire que le risque zéro n’existe pas, tendre vers cet objectif nous a paru devoir être le but des décideurs publics en la matière.

Je me réjouis qu’une telle orientation politique ait pu être partagée entre tous les groupes qui composaient la mission, lesquels, au départ, n’avaient ni nécessairement la même vision de la question ni nécessairement la même sensibilité. C’est la preuve qu’en écoutant les acteurs de chaque domaine concerné – économique, agricole, scientifique, sanitaire – et en débattant, on peut produire du consensus sur un problème qui concerne, au premier chef, la santé publique.

Je ne procéderai pas devant vous à la lente et fastidieuse énumération de toutes les recommandations de la mission : j’énoncerai simplement quelques axes forts de notre réflexion et profiterai de la présence des ministres pour poser quelques questions.

Premier axe de réflexion de la mission : la priorité à la santé. Cette priorité a constitué le fil rouge des investigations menées par la mission sénatoriale. Cela pourra en étonner certains mais, dans les faits, à tous les stades du cycle de vie d’un produit pesticide, la priorité à la santé est loin d’aller de soi.

Je prendrai trois exemples pour illustrer mon propos, en suivant le cycle de vie d’un produit phytopharmaceutique avant son autorisation de mise sur le marché, lors de la délivrance de cette autorisation et après celle-ci.

Avant tout engagement dans une procédure d’autorisation, lors des recherches tendant à l’élaboration d’une nouvelle molécule ou d’un nouveau produit, les considérations de santé sont secondaires. L’essentiel est de trouver un produit efficace sur les plantes, les insectes ou les champignons que l’on cherche à éradiquer. Ces recherches sont longues – dix ans de recherche en moyenne sur une nouvelle molécule – et coûteuses pour les industriels qui les mènent.

Ce n’est que dans un second temps, après avoir vérifié l’efficacité du produit, que sa toxicité pour les utilisateurs est examinée. Les recherches comprennent généralement des études toxicologiques, mais devraient aussi comprendre des études immunologiques. Au fond, la mission a estimé que l’évaluation des risques présentait trois lacunes majeures : elles ne sont pas menées sur la vie entière des animaux de laboratoire ni sur plusieurs générations de ces animaux, et les résultats de ces investigations relatives à la santé ne sont pas rendus publics.

Notons d’ailleurs que l’ANSES, dans son avis sur l’étude du professeur Séralini consacrée à la consommation combinée de maïs génétiquement modifié traité au Roundup, regrettait elle-même le manque d’études à long terme dans tous les processus d’évaluation.

L’autorisation de mise sur le marché est la deuxième occasion de constater que la priorité à la santé est insuffisamment prise en compte. La méthodologie suivie pour la délivrance d’une AMM définit une dose journalière admissible d’exposition de l’homme au produit, dose en deçà de laquelle on est censé ne courir aucun risque.

Or les avancées de la science ont montré qu’il est devenu précisément inadmissible de continuer à raisonner en fonction de cette notion de dose décrétée « admissible », puisqu’elle n’a aucune signification lorsqu’il s’agit de pesticides ayant comme propriété d’être des perturbateurs endocriniens.

En effet, la perturbation endocrinienne se manifeste en fonction du moment de l’exposition – par exemple, au cours de la septième semaine d’une grossesse – et non en fonction de la dose reçue. Cette perturbation peut même exister à une dose infime et ne pas apparaître à une forte dose.

Par ailleurs, quelles que soient les précautions et les limites propres à une substance ou à un produit, chaque individu peut être soumis à un cocktail de substances et de produits au cours d’une seule journée de sa vie. En réalité, ce sont les effets sur la santé de ce cocktail qu’il faudrait évaluer, même s’il faut bien convenir que cela peut se révéler difficile.

Sur ce point, le groupe scientifique de l’unité « pesticides » de l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, a émis, en 2008, un avis sur tous les types de toxicité combinée des pesticides. Elle a conclu que seuls les effets cumulés résultant d’une exposition simultanée à des substances ayant un mode d’action commun étaient préoccupants. Depuis 2009, le choix des pesticides devant être l’objet d’un examen conjoint est toujours en cours…

Enfin, le troisième et dernier moment où cette priorité accordée à la santé nous est apparue comme insuffisamment prise en compte correspond à la période d’utilisation effective des produits. Durant des années d’utilisation d’un pesticide, ni les conditions et l’ampleur de son utilisation, ni même les effets négatifs observés sur la santé ne font l’objet d’un suivi et donc ne sont réellement recensés et exploités.

Pourtant, les agriculteurs doivent tenir un registre retraçant leur utilisation de pesticides, mais ces innombrables sources ne sont pas exploitées.

Il existe des réseaux de vigilance censés recevoir des alertes sur les risques liés aux pesticides permettant de provoquer une nouvelle évaluation de ces produits et, potentiellement, de remettre en cause des AMM délivrées, mais un rapport administratif récent a pointé le manque de centralisation des informations ainsi collectées, et finalement les faiblesses de l’évaluation des risques en continu.

Face à cette situation, la mission commune d’information recommande notamment de renforcer les obligations de remontée et d’harmonisation des informations sanitaires de terrain par les réseaux existants et de centraliser les informations collectées en un lieu où les alertes puissent être données et les décisions prises, que ce soit à l’Institut de veille sanitaire, l’InVS, ou à l’ANSES.

Plus d’un siècle d’histoire des pesticides montre que c’est généralement plusieurs dizaines d’années après l’autorisation de mise sur le marché d’un produit devenu suspect pour la santé qu’est prise la décision d’interdiction de fabrication, de commercialisation et d’utilisation. Mais, même à ce stade plus que tardif, l’interdiction a tendance à laisser encore du temps au temps : une période de restriction de l’usage est prévue, d’abord dans la commercialisation puis dans l’utilisation, avant que le pesticide ne disparaisse tout à fait du commerce, tandis qu’il demeurera durant des dizaines et des dizaines d’années dans l’organisme humain ou dans l’environnement.

L’une des préoccupations majeures pour la santé publique résulte de la persistance des effets des pesticides dans le temps, et parfois dans le temps long. Je prends ici l’exemple du chlordécone aux Antilles, dont il est établi qu’il peut demeurer plus de sept cents ans dans l’environnement !

La difficulté à prendre les bonnes décisions vient aussi du fait que les effets de l’exposition aux produits ne se font sentir, parfois, que de nombreuses années après. Le lien entre le produit et la détérioration de la santé est ainsi distendu et n’apparaît pas immédiatement. La quantification de l’effet des pesticides est malaisée, mais le lien apparaît de plus en plus évident, ce qui permet de présumer leur responsabilité dans l’apparition de certaines pathologies.

Il en va ainsi de l’arsénite de soude, interdit depuis 2003, du fait de son rôle dans l’apparition de cancers, en particulier de cancers de la vessie. Nous saluons aussi la reconnaissance en 2012 de la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle des agriculteurs. Des liens ont en effet été établis entre l’utilisation d’insecticides aux propriétés neurotoxiques et cette pathologie, ce qui prouve qu’en la matière les mentalités évoluent.

La mission d’information dont j’ai été la rapporteur contribue sans doute à cette prise de conscience de la nécessité de mettre la santé avant toute autre préoccupation lorsque l’on parle de pesticides. La dangerosité de ces produits était encore il y a peu soit niée, soit minimisée. Leurs effets nocifs étaient trop souvent considérés comme le résultat d’une mauvaise utilisation, voire un mal nécessaire. Depuis quelques années, ce point de vue n’est plus acceptable. Je m’en réjouis et souhaite que nous améliorions encore le suivi sanitaire des effets des pesticides.

Ainsi, il conviendrait de généraliser les registres du cancer, qui n’existent aujourd’hui que dans treize départements. Ces instruments de suivi épidémiologique seraient d’ailleurs utiles bien au-delà du seul enjeu des pesticides.

Partant de cette priorité à la santé, la mission commune d’information a réinterrogé la réglementation des pesticides : c’est le deuxième axe de notre réflexion.

Cette réglementation n’est pas nouvelle et s’est même renforcée au fil du temps, avec désormais une forte dimension européenne aux termes de laquelle la mise sur le marché des produits s’organise en deux temps.

Un premier temps est consacré à l’évaluation des substances, qui aboutit à leur homologation. L’harmonisation européenne en la matière est forte, car le « paquet pesticides » de 2009, applicable depuis juin 2011, prévoit désormais une homologation de l’ensemble des substances au niveau de l’Union européenne, après un processus d’évaluation qui fait intervenir l’ensemble des organismes nationaux d’expertise, sous la houlette de l’EFSA. Le processus garantit ainsi une vision commune des États membres et nécessite qu’un dialogue permanent de la communauté scientifique s’instaure.

Une fois les substances inscrites sur la liste de celles qui sont autorisées dans l’Union européenne, encore faut-il autoriser les produits créés à partir de celles-ci : c’est le deuxième temps et c’est l’affaire des firmes, qui se retournent vers les autorités nationales. Le « paquet pesticides » a renforcé, là aussi, l’harmonisation en Europe en permettant des évaluations des produits par groupes de pays et en définissant trois grandes zones géographiques en Europe. La France fait un peu office de pays de référence pour les évaluations de la zone sud, en s’appuyant sur l’ANSES.

La mission ne remet nullement en cause le rôle et l’excellence technique de l’ANSES, mais force est de constater que le dispositif d’évaluation des risques liés aux pesticides souffre de plusieurs faiblesses.

D’abord, il est quasi impossible de s’appuyer sur une expertise totalement indépendante des firmes phytopharmaceutiques. Les experts totalement « hors sol » n’existent pas et la transparence exigée sur leurs liens avec l’industrie à travers les déclarations d’intérêts qu’ils doivent effectuer n’est qu’un pis-aller. Une nouvelle loi sur la prévention des conflits d’intérêt sera peut-être un jour nécessaire.

Ensuite, les données sur lesquelles travaillent les organismes d’évaluation sont fournies par les firmes elles-mêmes, qui ont financé et réalisé les études préalables. Toute une série de biais dans les études sont possibles, fragilisant les investigations sur l’évaluation des risques et transformant quelque peu l’évaluation publique en audit du processus d’évaluation du produit effectué par les firmes.

Certes, il semble difficile d’exiger des études indépendantes avant que les produits soient soumis à la procédure d’autorisation de mise sur le marché, mais la mission a recommandé que, pour les études complémentaires exigées après la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché, l’ANSES puisse choisir elle-même les laboratoires chargés de les effectuer, en toute indépendance. De même, la mission a recommandé qu’un réexamen complet de l’AMM puisse être effectué non plus au moment de son renouvellement décennal, mais à mi-parcours, pour prendre en compte les effets connus en situation réelle, in vivo, des produits autorisés

Enfin, les acteurs extérieurs à l’évaluation des produits sont insuffisamment associés au processus ainsi organisé. Or une bonne expertise résulte de la confrontation des points de vue. L’ANSES ne saurait détenir seule une vérité immuable.

La mission recommande une transparence accrue des évaluations, mais aussi un statut pour les donneurs d’alerte. Le Parlement pourrait se voir doté du droit de saisir directement l’ANSES de demandes d’évaluation ou de réévaluation des risques liés à certains produits ou à certaines substances, car ce qui hier pouvait paraître inoffensif peut demain se révéler dangereux.

Je consacrerai le troisième axe de mon propos aux utilisations des pesticides, car si la santé doit être au cœur de nos préoccupations, si l’évaluation doit être améliorée, il faut aussi et surtout agir pour maîtriser et réduire les usages.

Le secteur agricole est le principal utilisateur de pesticides, en France et dans le monde. Cela n’étonnera personne : c’est l’utilité de ces produits dans la protection des cultures contre leurs ravageurs qui a construit leur succès. En France, l’agriculture consomme plus de 90 % des doses commercialisées, toutes classes de produits confondues.

Le marché des pesticides, avec un chiffre d’affaires d’un peu moins de 2 milliards d’euros par an en France, est loin d’être négligeable. Ces pesticides sont fortement utilisés dans les cultures maraîchères et fruitières ou encore en viticulture, où les achats de produits peuvent représenter entre 5 % et 10 % du chiffre d’affaires des exploitations.

Certes, il existe aussi des usages non agricoles, mais ceux-ci sont modestes, sans être pour autant insignifiants. D’ailleurs, la mission recommande une stricte limitation des usages non agricoles qui ne répondent pas à une logique économique mais à une logique d’agrément, car c’est probablement sur ce segment qu’une révolution des mentalités serait la plus féconde.

Longtemps considérés comme les produits miracle de la révolution agricole, les produits phytopharmaceutiques, ainsi nommés dans la réglementation, commencent à être remis en cause – radicalement par l’agriculture biologique, qui décide de se passer de la chimie minérale et ne s’appuie que sur des traitements issus de préparations naturelles peu préoccupantes.

Sans aller jusqu’à cette contestation radicale, l’agriculture conventionnelle est aussi traversée par un mouvement de remise en cause du « tout pesticide ».

Les pouvoirs publics, à travers le plan Écophyto 2018 lancé en 2008, ont contribué à ce changement de mentalité. Notons que ce plan, malgré d’importants moyens dédiés issus d’une fraction de la redevance pour pollutions diffuses, a pour l’instant des résultats modestes. Si l’interdiction des trente substances les plus dangereuses en 2008 est très positive, la réduction des quantités globales utilisées n’est pas au rendez-vous.

Il faut donc, monsieur le ministre de l’agriculture, passer à la vitesse supérieure. Je salue au passage votre détermination à encourager les changements de pratiques agricoles. Le concept d’agroécologie, que vous avez mis en avant le 18 décembre dernier lors du grand colloque intitulé « Agricultures : produisons autrement », montre qu’on ne doit pas opposer performance et protection de l’environnement.

Les pesticides ne sont pas la seule voie vers la productivité. À long terme, leurs effets délétères sur l’eau ou encore la qualité des sols peuvent avoir un effet contraire à celui qui était recherché initialement, en faisant chuter les rendements. Notre mission ne dit pas autre chose.

Les nombreuses auditions réalisées de représentants du monde agricole nous ont convaincus que l’utilisation de pesticides relevait aussi d’habitudes prises, et elles ont la vie dure ! Il s’agit sans doute d’une pratique sécurisante, mais beaucoup prennent conscience qu’il existe aujourd’hui des alternatives.

Deux exemples montrent que le changement reste cependant un combat.

Le premier concerne les épandages aériens. Ils ne touchent que 0,3 % de la surface agricole, soit moins de 100 000 hectares, mais sont particulièrement symboliques. Les deux lois issues du Grenelle de l’environnement avaient interdit cette technique, tout en laissant subsister quelques exceptions. Or, au printemps 2012, la mission a été alertée sur le caractère pas si exceptionnel des exceptions… Nous avons été surpris de constater que, malgré l’exigence communautaire d’une évaluation spécifique des risques liés à cette technique, plusieurs produits pourraient être utilisés durant la campagne 2012 en épandage aérien, avant l’évaluation les concernant.

La mission a souhaité qu’il soit mis fin aux dérogations. Elle encourage l’adoption de techniques alternatives.

Le second exemple concerne les équipements de protection individuelle, communément appelés « EPI ». Là aussi, la persistance de mauvaises pratiques montre que la prise de conscience des effets nocifs des produits manipulés n’est pas encore totale. Il n’était pas rare, il y a quelques années, de voir des agriculteurs effectuer leurs mélanges sans gants et sans masques. Nous n’en sommes plus là, mais le port des équipements, le recyclage des tenues usagées ne sont pas encore des réflexes pour tous. Les équipements eux-mêmes sont-ils totalement adaptés, suffisamment résistants et protecteurs ?

Sur ce point, la mission a estimé que d’importants progrès pouvaient encore être faits.

L’obligation faite à tout agriculteur et, plus largement, à tout professionnel devant utiliser des pesticides de disposer d’un certificat délivré après une formation de deux jours, dénommé « Certiphyto », est un puissant facteur de modification des comportements. Mais il faut aussi travailler sur les circuits de distribution des produits.

La mission estime indispensable qu’il n’y ait aucune incitation économique à vendre plus de produits que nécessaire.

En ce qui concerne les jardiniers amateurs, la mission est favorable à une solution radicale: elle recommande de proscrire à terme la commercialisation à destination des non-professionnels des produits autres que ceux qui sont autorisés en agriculture biologique. Ce n’est pas l’abus de pesticides qui est dangereux pour la santé et l’environnement, comme le disait le slogan de la campagne « Jardiner autrement », ce sont les produits eux-mêmes qui posent problème. En attendant d’interdire leur utilisation dans les jardins des particuliers, la mission recommande d’en interdire la vente dans les commerces alimentaires et de garantir la présence permanente d’un conseiller-vendeur formé dans les rayons des magasins.

Pour terminer, je forme le vœu, c’est encore de saison, que la centaine de recommandations résultant des travaux de la mission, adoptées à l’unanimité des groupes politiques, entrent en vigueur le plus rapidement possible.

Madame le ministre, monsieur le ministre, votre présence conjointe aujourd’hui au Sénat témoigne de l’intérêt porté par le Gouvernement à la santé. Les premiers contacts pris par la présidente et par moi-même à l’occasion de la remise du rapport en vos ministères respectifs ont montré que vous aviez à cœur de faire entrer spontanément en vigueur de nombreuses recommandations de la mission. Je suis certaine que vous nous en direz un peu plus dans quelques instants.

Il appartiendra ensuite aux vingt-sept membres de la mission commune d’information, en tant que législateurs, d’agir pour que les recommandations restantes puissent être concrétisées.

C’est seulement ainsi, collectivement, que nous permettrons l’amélioration de la protection des fabricants et des utilisateurs de pesticides, tout en préservant les riverains et les familles des professionnels d’une exposition parfois dangereuse.

Pour terminer tout à fait, je tiens à adresser mes remerciements les plus chaleureux au président du Sénat, aux présidents des commissions, aux fonctionnaires qui nous ont accompagnés durant ces sept mois, ainsi qu’aux membres de la mission, particulièrement à ceux qui ont organisé des déplacements, très instructifs, dans leur département.

Nous devons tous avoir conscience que nous sommes également des acteurs d’une réduction de l’emploi des pesticides sur nos territoires, dans nos collectivités. Certaines d’entre elles ont déjà purement et simplement supprimé le recours à ces produits. Je formule le souhait que de tels comportements se généralisent rapidement.

Mes remerciements s’adressent également de nouveau aux ministres, ainsi qu’aux personnes entendues par la mission, à Paris et en province, dont certaines, venues de loin et en dépit de la neige, sont présentes aujourd’hui dans les tribunes. Nombre d’entre elles nous ont déjà fait part de leurs réactions, toujours constructives, face au rapport d’information, lequel, je le rappelle, constitue non un aboutissement, mais un point de départ. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier les membres de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement du travail tout à fait remarquable qu’ils ont effectué.

J’adresse mes salutations toutes particulières à Mme Sophie Primas, présidente de cette mission, et à Mme Nicole Bonnefoy, son rapporteur. Je les remercie d’avoir précisé leur position au cours de leurs interventions. Je me réjouis que nous ayons pu, en amont, engager un dialogue fructueux et jeter les bases d’un travail de qualité.

Votre rapport est extrêmement documenté et riche en informations. Il nous permettra, j’en suis certaine, de tirer de nombreux enseignements en matière de santé-environnement et d’approfondir notre réflexion dans ce domaine qui occupe aujourd'hui le cœur de l’actualité.

Vous avez choisi de placer les enjeux de santé au centre de votre réflexion et des propositions que vous faites, ce dont je me réjouis. Le Gouvernement va en effet lancer une stratégie nationale de santé, ce qui nous conduira à réfléchir à la manière précise dont notre politique de santé doit, mieux qu’elle ne le fait, répondre aux défis tels que la qualité de l’environnement. Jusqu’à il y a peu, ce sujet apparaissait comme secondaire, marginal, quand il n’était pas tout simplement ignoré.

La prise en compte de l’impact sanitaire des risques environnementaux est devenue un sujet majeur. Le Gouvernement a la ferme volonté d’apporter une réponse à la hauteur de l’enjeu. À cet égard, et j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer en ce sens lors des débats parlementaires sur le bisphénol A, la surexposition à des agents physiques ou à des substances nocives doit être traitée en priorité.

Votre mission a également fait le choix de mener une réflexion large, allant du fabricant à l’utilisateur. De fait, l’impact des pesticides sur la santé doit être abordé de façon globale, en tenant compte de l’ensemble des parties prenantes de la filière.

Vous avez aussi très justement élargi votre travail aux impacts sur la santé des familles de ces professionnels, ainsi que sur celle des riverains.

En tant qu’élue d’un territoire, l’Indre-et-Loire, où l’on rencontre les diverses catégories de personnes concernées par ces sujets, je ne peux que me réjouir de cette approche globale. Il s’agit à la fois de protéger nos agriculteurs – par définition, tel n’est pas le cas dans tous les départements –, les consommateurs et, de façon plus générale, nos concitoyens.

La France est le premier pays agricole de l’Union européenne. Par conséquent, elle est aussi l’un des premiers utilisateurs de pesticides. Je rappelle qu’entre 80 000 et 100 000 tonnes de ces produits sont employées chaque année. Il s’agit donc d’un enjeu majeur de santé publique.

Les études relatives aux effets des pesticides sur la santé sont actuellement synthétisées par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM. Cette expertise collective met en lumière l’existence de nombreux travaux épidémiologiques. Ceux-ci sont parfois contradictoires, car les liens de causalité entre l’exposition aux pesticides et l’émergence de certains cancers sont difficiles à établir. Pour autant, nous en savons assez pour agir et pour engager une politique favorisant une meilleure protection de nos concitoyens. Lorsqu’un doute existe et que la santé des Français est en jeu, nous ne pouvons hésiter.

Certains sujets font d’ores et déjà consensus, et plusieurs maladies sont reconnues en tant que maladies professionnelles. C’est ainsi le cas, par exemple, de la maladie de Parkinson, comme cela a été dit. Ce point, qui n’allait pas de soi au départ, ne prête plus à discussion aujourd'hui.

Vous avez effectué un travail approfondi, que je ne chercherai pas à résumer ici, préférant m’attacher à quelques constats méritant d’être soulignés, car ils sont au cœur des réponses que j’entends apporter, dans le cadre de mon ministère, en lien avec le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

Tout d’abord, nous devons approfondir la connaissance des risques sanitaires liés aux pesticides et poursuivre nos activités de recherche. La mission encourage des programmes de recherche qui soient coordonnés et pluridisciplinaires, dans différents domaines, notamment en épidémiologie, en toxicologie, en biologie, ou en génétique. L’objectif est de mieux comprendre les mécanismes d’action des pesticides et les liens de causalité entre l’exposition et les maladies.

Je serai particulièrement attentive aux efforts réalisés dans le champ de la recherche, notamment sur trois points : premièrement, l’expertise collective de l’INSERM sur les effets sanitaires des pesticides ; deuxièmement, les études épidémiologiques, dont l’étude AgriCan relative aux cancers chez les agriculteurs, particulièrement significative – le Plan cancer qui sera reconduit au cours de l’année devra prendre en compte les contextes environnementaux – ; enfin, troisièmement, les études de biosurveillance coordonnées par l’Institut de veille sanitaire, l’InVS, afin d’estimer les niveaux d’imprégnation de la population à certaines substances chimiques, dont les pesticides. Nous avons besoin de cette connaissance.

En ce qui concerne ensuite l’impact de certains pesticides comme perturbateurs endocriniens, la Conférence environnementale, ainsi que la loi visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A, rappellent à cet égard la détermination sans faille du Gouvernement en la matière.

Je me suis engagée à mettre en place un groupe de travail associant l’ensemble des parties prenantes. Ce groupe élaborera, d’ici au mois de juin 2013, une stratégie nationale qui nous permettra de coordonner efficacement des actions de recherche, d’expertise, d’information du public et de réflexion sur l’encadrement réglementaire.

Par ailleurs, vous avez rappelé que le système communautaire de mise sur le marché des pesticides repose sur la confiance accordée aux dossiers déposés par les fabricants. Ils échappent ainsi à des procédures d’évaluation des risques suffisamment étayées. Un tel cadre ne nous permet pas de nous assurer que ces produits répondent à des exigences de sécurité sanitaire, notamment selon les conditions d’utilisation par les agriculteurs.

Les instances européennes, en l’occurrence la Commission, ont pris conscience des failles du système tel qu’il est mis en place au niveau européen. Je pense donc que nous allons pouvoir avancer.

En relation avec le ministère de l’agriculture, qui est chargé des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires, nous travaillerons pour mieux encadrer ces autorisations et renforcer le suivi sanitaire de leur mise sur le marché. Les procédures d’autorisation de mise sur le marché doivent comporter un volet sanitaire plus développé.

Enfin, vous insistez sur l’importance d’une mise en cohérence des données existantes afin de mieux déterminer la connaissance des risques sanitaires liés aux pesticides. La mission a jugé prioritaire « la nécessité de mettre en place des outils de surveillance, de veille et d’épidémiologie concertés, uniques et efficaces sur l’ensemble du territoire ».

La question des vigilances, vous l’avez parfaitement énoncée, est une priorité de santé publique. Compte tenu des enjeux pour la sécurité sanitaire, une refonte du système des vigilances est en cours de réalisation, qui doit aboutir dès cette année.

Parmi ces vigilances, un projet de décret relatif à la toxicovigilance est en cours de finalisation. Il a pour objectifs d’améliorer l’organisation de la toxicovigilance sous le pilotage de l’Institut de veille sanitaire, de développer l’information aux autorités sanitaires et d’élargir les obligations de déclaration des industriels concernant la composition de leurs produits. Il sera fondamental de veiller à une bonne articulation entre les risques au travail et les risques environnementaux au travers des différents plans, par exemple le Plan national santé-environnement et le Plan de santé au travail.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je puis vous assurer de ma détermination. Vos recommandations nous inciteront davantage encore à mener des actions coordonnées entre les ministères. Il sera nécessaire de porter ces enjeux au niveau européen, en faisant preuve d’une forte volonté.

Par ailleurs, une charte précisera les modalités de choix des experts, le processus d’expertise et ses rapports avec le pouvoir de décision, ainsi que les cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d’intérêt.

À plusieurs reprises, j’ai rappelé ma volonté de faire de la prévention des risques sanitaires environnementaux un axe majeur de ma politique de santé. Le combat mené pour l’interdiction du bisphénol A dans les contenants alimentaires et mon engagement en ce sens en sont un exemple récent.

Je suis convaincue que, dans le champ des risques dits « émergents », il nous revient d’anticiper et de travailler en amont. La conférence environnementale a traduit cette ambition ; elle nous a notamment permis de fixer des objectifs clairs et d’établir une méthode pour faire face aux risques sanitaires environnementaux. La stratégie nationale de santé permettra de leur donner une traduction concrète dans notre politique de santé.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre engagement et de votre contribution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, tout d’abord, me féliciter de la qualité du travail fourni par la mission commune d’information.

Cette mission, qui fait suite à des travaux sur le même thème précédemment conduits par le Sénat, a été constituée à votre demande, madame la rapporteur, après que plusieurs cas d’intoxication d’agriculteurs ont été découverts dans le département dont vous êtes l’élue. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de rencontrer ces professionnels, victimes de l’utilisation de molécules ou de produits phytosanitaires. J’ai ainsi pu mesurer concrètement l’étendue de ce problème, auquel nous sommes tous confrontés, et constater la nécessité d’engager certes un travail de réflexion, mais surtout une action énergique.

En tant que ministre de l’agriculture, je ne reviendrai pas sur le volet sanitaire de la question, excellemment développé à l’instant par Marisol Touraine. Un certain consensus semble désormais se dégager pour admettre qu’il puisse y avoir une relation de cause à effet entre l’utilisation ou la consommation de produits phytosanitaires et l’apparition de cancers, mutagenèses entre autres problèmes de santé. Ces effets sont si importants qu’ils requièrent, de la part du ministère de l’agriculture, une réflexion sur les grandes orientations à prendre en la matière.

Au fond, le ministre de l’agriculture que je suis est confronté à trois grandes questions.

La première concerne les autorisations de mise sur le marché. Tout l’enjeu est de savoir comment mettre sur le marché des produits destinés à lutter contre de nombreuses maladies. Ce sujet fait débat. Parce qu’il dépend beaucoup des décisions européennes, il requiert également du gouvernement français qu’il puisse établir les contacts nécessaires à l’évolution des procédures applicables.

Ce sujet, vaste, touche aussi bien les produits phytosanitaires que les OGM. Les positions récemment prises par la France ont fait bouger l’Europe sur plusieurs dossiers, notamment en ce qui concerne les protocoles d’autorisation. Nous allons poursuivre dans ce sens. Il est important, en effet, que la mise sur le marché des produits en question puisse se faire en toute confiance, et que la séparation que vous avez évoquée, madame la présidente, madame le rapporteur, entre ceux qui proposent des produits à la vente et ceux qui sont chargés de l’évaluation des risques, soit plus claire. La collusion, ou le conflit, entre les responsables de ces deux mondes peut conduire à effectuer des mauvais choix. Sur ce sujet, nous nous devons donc d’être extrêmement vigilants.

Ce premier objectif – l’amélioration de l’AMM – a trouvé une traduction concrète très rapidement. J’en veux pour preuve la fameuse question des néonicotinoïdes.

La famille des néonicotinoïdes regroupe un certain nombre de substances actives, dont l’une est utilisée dans le traitement du colza. Elle est connue dans sa variante commerciale sous le nom de « Cruiser ». À la suite d’un rapport paru au début de l’année 2012, confirmé ensuite par un avis de l’ANSES, le ministère de l’agriculture a pris la décision d’interdire l’utilisation de ces produits sur le colza. Il a, en outre, demandé que les instances européennes étudient la dangerosité de l’ensemble de la famille.

Il y a quelques jours seulement, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, a répondu à cette demande. Elle s’est notamment penchée sur la relation malheureuse entre cette famille de molécules et la survie ainsi que le développement des colonies d’abeilles. Une décision doit être prise sur ce sujet le 31 janvier par le CPCASA, l’acronyme désignant non une nouvelle molécule phytosanitaire (Sourires.), mais le comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, où se tiennent les discussions et sont élaborées les propositions sur ce sujet à l’échelle européenne.

Lors du prochain CPCASA, donc, la France fera valoir la position qui est la sienne depuis le départ, selon laquelle l’existence d’un risque, surtout s’il est avéré, requiert une réaction rapide et claire de la part des autorités.

Si aucune décision ne devait être prise à l’échelon européen, nous en tirerions nous-mêmes les conclusions à l’échelon national.

Sur l’AMM, vous le voyez, la détermination du Gouvernement est sans faille.

La deuxième question à laquelle je suis confronté est aussi un enjeu majeur pour l’agriculture. Elle revient à se demander si l’on n’a pas trop utilisé ces produits. Je l’ai déjà dit, mais je le répète avec force en ces lieux, l’objectif du ministère de l’agriculture est bien de réduire de manière significative le recours à ces différents produits.

Cette résolution implique cependant que nous soyons capables de tirer les conclusions qui s’imposent. Le plan Écophyto 2018, qui fixait comme objectif de réduire de 50 % la consommation de produits phytosanitaires d’ici à 2018, a connu des résultats pour le moins contrastés.

Il a permis sur deux points un résultat positif, et même, pour le premier, extrêmement positif. D’une part, l’utilisation des molécules les plus dangereuses – les molécules mutagènes ou cancérogènes, notamment – a connu une baisse de l’ordre de 80 %. D’autre part, le plan Écophyto 2018 a permis la mise en place du Certiphyto, qui a lui-même eu deux effets positifs.

Premièrement, il concourt à une meilleure formation des agriculteurs, qui doivent mieux utiliser ces produits, et mieux savoir quand y avoir recours. L’expérience malheureuse vécue par certains agriculteurs il y a quelques années, et qui a résulté d’une mauvaise utilisation de ces produits, en démontre suffisamment l’importance.

Deuxièmement, grâce à Certiphyto, certaines exploitations promeuvent des démarches agricoles visant à réduire le recours à ce type de produits. C’est, ce me semble, très important.

Je tiens à insister sur ce point devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs : fixer des objectifs de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires sans réfléchir aux modèles de production eux-mêmes ne sert à rien. Ces derniers, en effet, ne peuvent se concevoir sans le recours à ces produits !

Vous l’avez indiqué, madame la présidente de la mission, vouloir diminuer de 50 % l’utilisation des produits phytosanitaires peut conduire à de véritables trous noirs, à des zones d’ombre, faute de disposer des molécules nécessaires pour lutter contre certains ravageurs. Or, parce que nous ne nous sommes pas suffisamment penchés sur le modèle de production pour limiter les risques que font peser maladies et ravageurs sur les récoltes, dès lors, nous nous retrouvons dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui, où l’objectif de réduire de 50 % l’utilisation des produits phytosanitaires, s’il a été atteint pour ce qui est des molécules les plus dangereuses, n’a pu l’être pour la consommation globale de produits phytosanitaires.

Bien au contraire, à son arrivée au pouvoir en 2012, le Gouvernement a constaté une augmentation de 2,5 % du recours à ces produits. Cette augmentation, d’ailleurs, est justifiée du point de vue des agriculteurs, car toutes les conditions étaient réunies, je pense notamment à l’humidité et aux récoltes difficiles des dernières années, pour qu’ils décident de recourir à ces produits de manière plus importante.

De la même manière, d’ailleurs, nous constatons que de plus en plus de productions d’élevage se transforment en productions céréalières, impliquant un recours accru aux produits phytosanitaires. Ce sujet, très important, n’est pas sans lien avec la question de la réforme de la politique agricole commune.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, un phénomène quantitatif peut en cacher un autre, qualitatif.

Pour le ministère de l’agriculture, l’enjeu est donc de faire évoluer les modèles de production. C’est pour cela que le plan Écophyto 2018 et le certificat Certiphyto m’intéressent autant : ils jettent les bases d’un changement en la matière, dont on peut s’inspirer. La conférence nationale « Agricultures : produisons autrement », qui s’est tenue le 18 décembre dernier, n’a pas dit autre chose. Elle a également affiché l’ambition, commune à nous tous, de placer l’agroécologie au cœur du système, afin de garantir la capacité de production de notre agriculture, tout en affirmant notre idéal écologique. Les deux ne peuvent pas être toujours opposés. Au contraire, il nous appartient d’enfin trouver la voie qui permettra de combiner performance économique et performance écologique.

À l’occasion d’un comité national d’orientation et de suivi du plan Écophyto, nous avons pris des décisions en ce sens. Tout d’abord, nous avons décidé de conforter le réseau Certiphyto, afin qu’il puisse continuer son travail. Nous avons également décidé de fixer des objectifs par filière et par région beaucoup plus précis. En effet, l’assignation d’objectifs nationaux, sans aucune déclinaison par région et par filière, finissait par nous priver des outils et des moyens pour mettre en œuvre la réduction de l’usage des produits phytosanitaires.

Nous avons également évoqué la question de la séparation entre le conseil aux agriculteurs et la vente des produits. Ce sujet très important fait l’objet d’une étude du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, mais également de l’Inspection générale de finances, pour ses dimensions relatives à la fiscalité.

Faut-il aller jusqu’à séparer complètement le conseil et la vente, ou bien imaginer des solutions intermédiaires, en actionnant, notamment, le levier de la fiscalité ? Cela pourrait peut-être permettre de limiter les abus – qu’il est facile d’imaginer quand on sait que les vendeurs sont payés en fonction des ventes et donc ont intérêt à vendre toujours plus, et non moins.

Si l’on veut changer cet état de fait, il faut inventer des mécanismes nouveaux. C’est tout l’objet de l’étude à venir.

Vous avez également évoqué, madame la présidente, madame la rapporteur, les pratiques relatives au recours aux produits phytosanitaires, en particulier les conditions de leur utilisation, notamment l’habillement. Sachez que nous avons repris vos propositions.

Je signale d’ailleurs que, sur une centaine de propositions, plus de soixante dépendent directement du ministère de l’agriculture. D’ores et déjà, treize de vos propositions sont mises en œuvre par le ministère. L’objectif, vous le savez, est d’aller le plus vite possible, et d’avancer sur la voie que vous avez tracée.

La troisième et dernière question à laquelle je suis confronté est relative à l’alimentation, sujet, lui aussi, ô combien important. Nous devons, par exemple, faire preuve d’une extrême vigilance en matière de traces de pesticides, présentes dans un certain nombre de productions.

Là encore, le ministère de l’agriculture a pris la mesure des enjeux. Par exemple, nous inscrivons la réduction de l’usage des produits phytosanitaires dans une perspective plus large, celle de la diminution de la présence de résidus dans l’alimentation. Nous pouvons atteindre cet objectif. Dans son esprit, il rejoint la politique menée en faveur de la lutte contre l’antibiorésistance. Ce sujet, lui aussi important, porte sur des molécules critiques, également utilisées dans le domaine de la santé humaine. Quelques résultats ont été obtenus, mais nous devons aller beaucoup plus loin. Là encore, nous avons fixé des objectifs très clairs.

Je tenais donc à vous dire ma satisfaction devant le travail que le Sénat a fourni pour produire ce rapport, qui a suscité le débat, engagé une réflexion et surtout conduit le Sénat à dégager une position qui me semble unanime. C’est très important pour pouvoir avancer et trouver les bonnes solutions, mesdames, messieurs les sénateurs.

Le champ couvert est large. Sont concernés la santé, à travers les AMM, Marisol Touraine l’a dit, mais aussi l’agriculture, avec l’objectif de réduction du recours aux produits phytosanitaires et les conséquences sur l’alimentation. Ce chantier a donc été ouvert. Je le répète, sur les cent propositions émises par le rapport, soixante-trois exactement concernent le ministère de l’agriculture et, outre la quinzaine qui sont d’ores et déjà mises en œuvre, nous espérons en concrétiser quinze autres le plus rapidement possible, sur tous les sujets : utilisation, protection, réduction, limitation, autorisation.

Voilà, je crois, qui constitue une première réponse aux questions que vous nous avez posées.

Encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer, pour vous en féliciter, la qualité du travail que vous avez accompli. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.

Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’introduction faite par la présidente et la rapporteur de la mission commune d’information, ainsi que les réponses apportées par les ministres, a déjà très largement permis d’aborder tous les sujets. Vous voudrez donc bien excuser, mes chers collègues, des redites éventuelles que pourrait contenir mon intervention, que je ferai la plus brève possible.

Quand notre mission d’information s’est constituée en février 2012, à l’initiative du groupe socialiste et à la demande de Nicole Bonnefoy, l’actualité récente nous avait alertés sur les dangers des pesticides pour la santé et sur les problèmes liés à l’utilisation de ces produits dits « phyto » dont l’agriculture française est une grande – trop grande ? –, consommatrice.

Nous savions qu’il y avait là un enjeu de santé majeur et qu’il fallait nous y consacrer pleinement. Pendant sept mois, nous avons pu mesurer toute l’ampleur du phénomène, parfois avec stupéfaction ; je pense à notre rencontre dans le Morbihan avec des personnes qui avaient été littéralement infestées par les pesticides.

Nous avons pu évaluer l’importance des risques et la dangerosité des pesticides sur la santé des agriculteurs, des consommateurs, des employés de coopératives, de leurs familles et des riverains, ainsi que sur l’environnement ; tout cela est largement sous-évalué. Comme si l’arbre sécurisant de l’autorisation de mise sur le marché, la fameuse AMM, des produits phytopharmaceutiques cachait la forêt des malades des pesticides…

Il est vrai, et mes collègues l’ont rappelé, que le Grenelle de l’environnement a lancé en 2009 le plan Écophyto 2018, piloté par le ministère de l’agriculture. L’objectif, ambitieux sur le papier, était de réduire de 50 % l’usage de ces produits avant 2018, « si possible », est-il ajouté prudemment. Ce plan a maintenant près de quatre ans. Je représente le Sénat à son comité consultatif de gouvernance et j’ai le regret de constater que les résultats sont décevants : depuis la mise en place du dispositif, non seulement la consommation de produits phytosanitaires n’a pas régressé, mais leur utilisation a même progressé, de 2,5 % en 2011.

En effet, le plan ne s’est pas traduit pas une baisse des ventes de produits « phyto ». D’après l’Union des industries de la protection des plantes, l’UIPP, ces ventes ont même augmenté de 1,3 % entre 2010 et 2011, et le chiffre d’affaires des producteurs a augmenté de 5 % en France.

De tels éléments donnent la mesure des progrès à réaliser pour parvenir à infléchir, et même à inverser – vous avez rappelé votre volonté en la matière, monsieur le ministre – la courbe ascendante du recours aux pesticides en France !

Pourtant, la réduction de l’utilisation des pesticides est indispensable pour la santé comme pour l’agriculture, et les travaux menés par la mission n’ont pu que nous conforter dans une telle certitude.

Le bilan décevant conduit à recommander non pas d’abandonner le plan Écophyto, mais plutôt de favoriser une mobilisation et une responsabilisation de tous les acteurs, de l’amont à l’aval, et de promouvoir de nouvelles orientations assorties de nouveaux moyens, en croisant toutes les disciplines et toutes les compétences, au niveau national comme au niveau régional.

C’est la raison pour laquelle il me paraît important de travailler simultanément sur les apports de la recherche scientifique, sur les réglementations et sur les réalités de terrain, où des solutions de substitution aux pesticides existent déjà depuis longtemps. Nous devons faire connaître ces réussites pour donner la priorité aux démarches vertueuses et respectueuses de l’environnement.

Comme le rappelait à juste titre notre rapporteur, Nicole Bonnefoy, il faut parfois plus d’un demi-siècle, voire plus d’un siècle pour évaluer les effets réels d’une nouvelle substance pesticide dangereuse pour la santé, un siècle pendant lequel les utilisateurs, les consommateurs, les riverains et l’environnement en subissent les conséquences nuisibles, et parfois dramatiques !

Par comparaison, n’est-il pas paradoxal que le recours aux préparations naturelles peu préoccupantes, les PNPP, pourtant utilisées depuis des siècles et ayant prouvé depuis tout ce temps leur efficacité autant que leur non-toxicité, ne soit pas davantage favorisé et soutenu ? Cela passe par l’adaptation de la procédure d’autorisation de mise sur le marché aux spécificités des PNPP, par exemple en en minorant la procédure et le coût, qui demeurent extrêmement lourds, pour des produits naturels que les industriels n’ont pas vraiment intérêt à voir autorisés.

Tout comme il est nécessaire d’encourager le recours aux PNPP, il est indispensable de réintroduire dans les pratiques agricoles les principes de base de l’agronomie incluant le respect, la connaissance et la préservation de la vie du sol, la rotation des cultures, la présence des haies, l’agroforesterie et en effet, monsieur le ministre, la recherche de nouveaux modèles de production.

Pour renouer avec de tels principes de base, il faut changer de modèle agricole et forestier et réorienter la recherche publique effectuée par l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, qui doit recevoir les moyens nécessaires à ses missions. Mais, compte tenu du constat effectué, ne serait-il pas aussi urgent qu’utile que les missions de cet institut soient recentrées d’abord sur la recherche biologique ?

Par exemple, pourquoi ne pas encourager la recherche dans ce qu’on appelle le « biocontrôle » pour l’utilisation des prédateurs naturels des insectes nuisibles aux cultures, au lieu de recourir à toujours plus de nouvelles substances pesticides chimiques, qui tuent indistinctement tous les insectes, nuisibles, utiles ou inoffensifs ? La surmortalité des abeilles en est un exemple criant.

Monsieur le ministre, je souhaitais vous poser une question à propos des trois avis rendus par l’EFSA. Vous y avez répondu par avance, et je vous en remercie. Je vous fais confiance pour la suite des opérations.

Je voudrais faire référence à une autre évolution des pratiques agricoles : l’indispensable développement de l’agriculture biologique, qui mérité qu’on lui fixe, pour 2020, des objectifs réalistes tout en restant ambitieux. Il est vraiment nécessaire de passer à la vitesse supérieure dans ce secteur.

Monsieur le ministre, le 18 décembre 2012, vous avez lancé la démarche « Agricultures : produisons autrement », qui a été accueillie avec beaucoup d’intérêt et a rencontré un certain succès. Vous avez suggéré des pistes pour stimuler la réflexion et inventer de nouveaux modèles qui concilieraient performance économique et environnementale. Votre projet agroécologique comporte un volet lié aux pesticides, ce dont je me réjouis.

Monsieur le ministre, je sais la vigueur de votre engagement et votre volonté de faire évoluer les pratiques. Je souhaite que nos travaux y contribuent pleinement. Vous avez indiqué comment vous aviez déjà fait vôtres un certain nombre des recommandations de notre mission d’information. J’ai également entendu avec plaisir Mme la ministre s’approprier certaines des propositions que nous avons formulées ; nous serons évidemment vigilants quant à leur mise en œuvre.

Puisque nous sommes désormais correctement informés, c’est à nous qu’il revient d’amplifier la prise de conscience, bien tardive, qui s’opère auprès de nos concitoyens et d’accompagner les changements qui s’imposent.

Madame la ministre, monsieur le ministre, nous devons réussir ensemble.

En conclusion, je tiens à féliciter outre la présidente, la rapporteur et nos collègues membres de la mission, les fonctionnaires de la Haute Assemblée qui ont participé et contribué activement à nos travaux et à l’élaboration du rapport. Nous aurons à cœur d’en voir appliquer les préconisations, qui, je le rappelle, ont été adoptées à l’unanimité. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le travail réalisé par la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement est colossal.

Notre présidente, Sophie Primas, et notre rapporteur, Nicole Bonnefoy, en ont fait une présentation très complète, en montrant l’ensemble des problématiques liées à l’usage des pesticides, en particulier leurs effets sur la santé des utilisateurs directs et des personnes proches exposées.

Devant l’ampleur du sujet, la mission a dû laisser de côté d’autres effets négatifs des pesticides, notamment la présence de résidus dans l’alimentation humaine ou les impacts sur l’environnement. Et, pour avoir lu différents avis et études, je pense tout particulièrement aux effets des insecticides sur les insectes pollinisateurs ; je sais combien ces questions sont étroitement liées. Je réitère ici notre souhait que les autres conséquences de l’usage des pesticides soient soigneusement prises en compte.

Je partage entièrement ce qui a été indiqué par notre rapporteur sur le volet « santé humaine », s’agissant tant des constats que des solutions avancées. Je reviendrai simplement sur quelques aspects de la lutte qui s’engage aujourd’hui, afin de concrétiser la centaine de propositions qui ont été unanimement portées par la mission.

Réduire l’usage des pesticides impose des changements dans les habitudes des exploitants agricoles et dans les modes de production. À ce titre, il est essentiel de réfléchir aux pratiques agronomiques. Des solutions existent. L’INRA a, par exemple, ouvert une expérimentation mettant en parallèle des parcelles cultivées selon des méthodes intensives et des parcelles cultivées sans recours aux herbicides. Elle est arrivée au constat que cultiver sans pesticides, ou presque, sans pour autant faire chuter les rendements n’était pas une fiction.

Ainsi, dans la station expérimentale d’Époisses, en Bourgogne, l’INRA a comparé sur dix ans une parcelle de référence conduite selon les méthodes intensives traditionnelles, travail des sols et traitements herbicides, et cinq autres parcelles cultivées selon différents protocoles de protection intégrée : sans labour, sans désherbage mécanique, etc.

L’expérience montre l’efficacité de la lutte intégrée par un travail raisonné du sol, une adaptation des dates de semis des cultures et une diversification de l’ensemencement des parcelles.

Cependant, le recours aux cultures alternatives pose un problème économique lié aux débouchés commerciaux, qui ne sont pas assurés pour les exploitants. Réduire la dépendance aux pesticides, c’est donc utiliser de nouvelles pratiques agronomiques ou en réutiliser d’anciennes, mais c’est aussi réorganiser les filières et les marchés, pour accompagner la diversification des cultures.

Les débats que nous avons eus ici sur les semences fermières prennent tout leur intérêt dans la volonté de mettre en place une agriculture plus respectueuse de la santé et de l’environnement. Comme vous le savez, en station mobile de semences de ferme, le mélange de variétés est aisé et pratiqué ; il permet de diminuer significativement le recours aux produits phytosanitaires. Grâce aux sélections et aux échanges qui existent depuis toujours entre les agriculteurs, on obtient des plantes mieux adaptées aux contraintes particulières de leur environnement.

On se rend compte ici de la valeur du patrimoine naturel et du savoir-faire de générations de paysans qui nous ont livré des trésors de connaissances agronomiques.

Pour réduire l’usage des pesticides, il faut également en faire une priorité de la politique agricole commune. Il est nécessaire que la PAC encourage plus fortement, par des soutiens ciblés, à la réduction des pesticides et aux pratiques agronomiques durables, ce qui est l’objectif.

En l’état actuel des discussions, la Commission propose, au titre du « verdissement » du premier pilier de la PAC, d’accorder un paiement additionnel représentant 30 % de l’enveloppe nationale en direction de l’agriculture biologique ou pour les agriculteurs qui respectent de bonnes pratiques : mettre en place 7 % de surfaces d’intérêt écologique dans les exploitations, y compris les haies, les bosquets, les talus, les mares, diversifier les cultures pour favoriser les rotations et maintenir les prairies permanentes.

Or ces exigences ont été assouplies par l’introduction de mesures équivalentes qui ne sont pas vraiment définies à l’heure actuelle. Peut-être pourrez-vous nous en dire davantage, monsieur le ministre. Nous sommes un peu inquiets : jusque-là, la PAC a favorisé une agriculture intensive forte consommatrice de traitements chimiques contre les bioagresseurs.

Réduire les pesticides, c’est se confronter aux intérêts mercantiles de l’industrie chimique. Cela fait déjà plus de quatre ans que le plan Écophyto 2018 est en place, avec un objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides. La réduction devrait porter à la fois sur les volumes et sur la toxicité des molécules.

Et pourtant, l’utilisation de produits phytosanitaires reste en hausse : plus 2,6 % en 2011. Les enjeux économiques sont considérables et freinent malheureusement les efforts pour atteindre les objectifs de protection de la santé et de l’environnement.

Je pense ici à l’avis récent de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, qui reconnaît les effets néfastes sur les abeilles de trois matières actives présentes dans des insecticides de la famille des fameux néonicotinoïdes.

Dans le même temps, une publication du Forum Humboldt pour l’alimentation et l’agriculture financée par Bayer CropScience et Syngenta, défend, quant à elle, les néonicotinoïdes. Je cite le rapport : « Sur une période de cinq ans, l’Union européenne pourrait perdre près de 17 milliards d’euros, 50 000 emplois dans l’ensemble de l’économie, et plus d’un million de personnes engagées dans la production arable en souffriraient. » On comprend bien pourquoi les grands groupes de l’agrobusiness tentent d’associer semences et traitements et d’interdire le droit de ressemer sa récolte.

Dans ce contexte, nous sommes particulièrement attachés aux propositions de la mission d’information visant à « éviter le brouillage provoqué par les conflits ou les liens d’intérêts » et à « organiser un contrôle public effectif de l’innocuité des pesticides autorisés ».

Il est essentiel de séparer la prescription et la vente de pesticides et d’assurer des expertises indépendantes, dépourvues de tout lien avec les intérêts privés concernés par les sujets traités. Il est fondamental d’organiser l’effectivité du contrôle public sur les pesticides autorisés et, bien sûr, d’encourager la recherche publique.

À titre d’exemple, la direction de l’environnement du conseil général des Côtes-d’Armor note dans son dernier numéro la présence de deux substances interdites dans nos cours d’eau : le diuron et l’atrazine.

Je voudrais maintenant aborder le volet social, notamment la prise en compte de la protection des travailleurs agricoles.

Premièrement, la reconnaissance des maladies professionnelles en agriculture a pris du retard.

Les maladies professionnelles liées aux pesticides qui sont reconnues dans le régime général devraient l’être dans le régime agricole. Sur ce point, le Gouvernement peut agir très vite : il s’agit simplement de compléter une liste. Peut-être pourrez-vous nous apporter des précisions sur ses intentions à ce sujet.

Deuxièmement, il est important d’accorder une attention particulière aux salariés agricoles qui, comme vous le savez, sont très souvent en situation de précarité.

L’exemple costarmoricain des salariés de Triskalia montre bien combien le parcours juridique des victimes d’intoxication est long et difficile.

Force est de constater que, pour 50 %, le travail salarié agricole est du travail saisonnier. Ces salariés sont particulièrement exposés aux pesticides du fait d’une sous-évaluation des risques liés à ces produits, à la non-conformité des machines servant notamment à l’épandage, ou à la vétusté des équipements de protection, quand ils existent. Ils interviennent souvent juste après l’épandage de pesticides, parfois même sous un épandage aérien. Or, comme cela a été souligné pendant les auditions, les études sur la dangerosité montrent que les personnes qui travaillent dans ces conditions sont les plus exposées.

Les salariés agricoles recrutés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration et maintenant, de plus en plus, par des sociétés étrangères d’intérim agricoles, sont encore plus fragilisés. D’abord, ils ne connaissent généralement pas leurs droits, car leur éloignement et les modalités d’embauche dans le cadre de l’intérim rendent difficiles les contrôles de l’inspection du travail. Cette pratique « du travail sans travailleur », qui se généralise au nom de la rentabilité, est particulièrement grave en termes d’impact sur la santé

Et comment protéger des salariés qui parfois ne savent pas lire ? C’est un challenge lorsque l’on connaît déjà les lacunes des salariés nationaux en matière d’information. Je pense, ici, par exemple, au document unique d’évaluation des risques pourtant obligatoire, mais souvent inexistant sur les exploitations agricoles !

De plus, comment suivre ces salariés sur le long terme, comment leur assurer une protection sociale ? De quelle prise en charge peuvent-ils bénéficier lorsqu’ils déclarent des années plus tard des maladies professionnelles ?

Enfin, troisièmement, je me réjouis de ce que je considère comme une évolution très positive, au regard des débats qui avaient eu lieu, ici, en décembre 2011, sur le périmètre de l’action de groupe.

En effet, les auteurs du rapport reconnaissent « l’intérêt d’un tel dispositif pour la protection de la santé face aux dangers des pesticides ». C’est pourquoi, forts de ce consensus, nous allons déposer sur ce sujet une proposition de loi qui reprendra le dispositif voté par le Sénat, sur proposition d’ailleurs de notre collègue Nicole Bonnefoy, mais en l’élargissant à des litiges autres que ceux du droit de la consommation ou de la concurrence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.

M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, les travaux de notre mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement ont été passionnants.

Je ne rappellerai pas les chiffres illustrant l’importance de notre travail, tout particulièrement celui de la rapporteur de notre mission commune, Nicole Bonnefoy, et de sa présidente, Sophie Primas.

Je tiens à saluer l’ambiance faite d’entente, d’écoute et d’échange dans laquelle nous avons mené nos travaux, qui ont été encadrés par une équipe administrative particulièrement motivée.

Pour les sénateurs de la mission commune d’information, il s’agissait de s’immerger dans un sujet extrêmement technique et vaste pour parvenir ensuite à une analyse partagée de la situation et à des préconisations utiles.

Nous avons donc orienté et concentré notre attention sur les personnes en contact direct avec les substances et produits pesticides, qu’ils soient riverains de l’industrie ou de l’agriculture, épandeurs professionnels, paysagistes, particuliers ou encore salariés des collectivités.

Dans cette intervention, mon but est non pas d’exposer l’ensemble des problèmes relevés ou des recommandations formulées, mais plutôt d’insister sur certains enjeux que j’ai jugés essentiels.

En premier lieu, sur le terrain, nous faisons le constat d’une dépendance aux pesticides encore forte.

Ensuite, nous relevons l’absence, pour le consommateur, de garanties sur la qualité des produits commercialisés et des distorsions de concurrence, intracommunautaire comme extracommunautaire.

Pour finir, il faut mettre en œuvre des outils de prévention : les lanceurs d’alerte et l’action collective.

Tout d’abord, je rappelle que le rapport est le résultat d’un travail engagé sous l’angle de la santé. Il ne fait aucun procès à l’agriculture et ne vise pas à formuler des préconisations sur ce qu’elle doit être.

Beaucoup d’efforts sont réalisés par les agriculteurs depuis plusieurs années pour réduire la dépendance aux pesticides, notamment à travers le plan Écophyto 2018 ou la formation Certiphyto, afin d’atteindre une agriculture toujours plus raisonnée.

Nous avons relevé une évolution vers plus d’agrobiologie soucieuse du soin de la plante et de la terre, et vers une moindre dépendance à l’égard du chimique.

Cet exercice vers la réduction des pesticides reste pourtant difficile ; leur usage est encore culturel !

Chez les consommateurs, des habitudes liées à l’apparence se sont installées ; nous ne souhaitons pas trouver de pucerons dans les salades ni de limaces dans les haricots verts. Il en va de même pour les taches sur les fruits, qui ne sont pas acceptées.

Quand on interroge les agriculteurs qui travaillent pour les grands groupes de transformation alimentaire, nous constatons que les exigences sont extrêmement précises pour la production industrialisée. Les auditions auxquelles nous avons procédé au titre de la mission commune d’information n’ont cessé de nous rappeler ces réalités.

Sur le terrain, les dangers de toutes origines menacent les récoltes. Un insecte ravageur, la drosophile suzukii, apparu l’an dernier, a durement touché les fruits rouges, notamment dans le Lot-et-Garonne, pour les fraises sous serre. Ceux qui ont abandonné le label biologique et sont passés à un traitement chimique ont sauvé leur production, mais, sans insecticide, il était impossible de lutter contre ce parasite émergent.

Autre exemple entendu durant nos travaux, un agriculteur travaillant pour une grande marque commerciale a été obligé d’importer des salades d’Espagne en pleine saison alors que, en matière de lutte contre le puceron de la salade, la réglementation française impose une distinction entre les différents types de salade – laitue, batavia, mâche, etc. –, le reste de l’Union européenne s’en tenant au terme générique de « salade ».

Ainsi, en 2011, la coopérative pour laquelle travaille cet agriculteur a perdu plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires faute d’autorisation d’utiliser des produits de lutte contre le puceron.

Les situations évoquées précédemment illustrent certaines réalités auxquelles font face les producteurs. La réduction des pesticides, vers laquelle nous essayons de tendre en France, est source d’importantes et d’inquiétantes distorsions de concurrence.

Surtout, les disparités dans les législations ne permettent pas, à ce jour, d’apporter des garanties et des informations claires aux consommateurs quant aux produits vendus.

À cet égard, il faut déjà distinguer les disparités que nous rencontrons.

Premièrement, il existe des disparités avec les pays extracommunautaires. Il est inacceptable, par exemple, que l’on puisse importer des légumes qui ont été traités avec des produits interdits dans notre pays et dans l’Union européenne depuis des années ! L’objectif d’interdiction de commercialisation de tels produits agricoles en France doit être fixé. Sans cela, la politique sanitaire nationale n’aura aucun effet et ne pourra pas être lisible.

Deuxièmement, il existe des disparités avec les États membres de l’Union européenne. Depuis l’adoption du « paquet pesticides », nous constatons une très nette amélioration et un encadrement de plus en plus strict au sein de l’Union – ce point a été évoqué par M. le ministre. Cependant, il demeure indispensable de réviser les modalités de coopération transfrontalière intra-européenne, car nos règles sont souvent plus restrictives que la directive et pénalisent donc les producteurs français.

En bref, aujourd’hui, des produits agricoles peuvent être commercialisés en France bien qu’ils aient été traités en amont dans d’autres pays avec des pesticides dont l’utilisation est interdite dans l’Hexagone !

Si rien ne change, on ne trouvera plus sur les étals que des cerises étrangères, parce que nos autorités tardent à homologuer telle ou telle molécule pourtant agréée au niveau européen.

Monsieur le ministre, vous avez été interpellé cet automne sur le problème de la conservation des pommes, qui sont traitées au Portugal avec des produits interdits en France. Or ces pommes se retrouvent sur les étals français. Il y a urgence à harmoniser les procédures d’autorisation de mise sur le marché !

De plus, les producteurs français ne peuvent tirer avantage de leur usage modéré de pesticides. En effet, quand ils font de la publicité collective, réalisée en partie ou en totalité avec des fonds européens, ils n’ont aucunement le droit de mettre en avant leur « label France » et la qualité qui en résulte.

Un autre aspect doit être également renforcé : la coopération transfrontalière en matière de fraude.

Comme il est indiqué dans le rapport, actuellement, « les services voient leur action gênée par la combinaison de deux facteurs distincts : le principe de libre circulation des marchandises au sein de l’Union européenne et l’atonie dont font preuves les autorités du pays où le produit a été fabriqué ».

Le système européen d’alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux, ou « système SARDANE », fondé sur le règlement (CE) n°178/2002 du Parlement européen, peut constituer un exemple à suivre puisqu’il a démontré son utilité en matière de fraudes alimentaires, avec des commissions rogatoires exécutées dans des délais records.

Ces modalités pourraient être appliquées à la lutte contre la fraude à la législation sur les pesticides. Cela nécessiterait, sans doute, l’élaboration d’un nouveau règlement.

Il est un dernier enjeu que j’évoquerai, le renforcement des actions d’encadrement, de régulation et de lutte contre les fraudes de l’usage des produits phytosanitaires grâce à des outils de prévention.

Nous devons veiller à ce que les lanceurs d’alerte, acteurs essentiels pour l’identification des atteintes à la santé, puissent bénéficier d’une protection juridique solide.

Cette protection est, certes, engagée sur le plan international comme en droit français, mais la logique doit désormais être poussée jusqu’à son terme. C’est ainsi que, dans les recommandations du rapport, nous avons préconisé l’adoption d’une loi qui viserait à appliquer à tous les cas d’alerte donnée de bonne foi le dispositif déjà introduit dans la loi relative à la lutte contre la corruption en 2007 et dans la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé en 2011.

Je vois un deuxième outil de prévention dans l’action collective dans le domaine de la santé afin d’obtenir réparation de préjudices matériels, corporels ou moraux.

Ce dispositif permettrait de faciliter l’accès aux actions judiciaires. Bon nombre de victimes hésitent le plus souvent à engager de telles procédures en raison de la complexité des faits à démontrer, du coût des expertises ou encore de la durée du contentieux. L’exemple de M. François illustre cette observation, car il a eu les plus grandes difficultés à apporter les preuves du danger auquel il a été exposé. Il a également eu du mal à prouver les conséquences de cette exposition sur sa santé.

L’action de groupe serait donc un bon outil de prévention. Elle inciterait les industriels à être plus rigoureux quant à l’évaluation et, surtout, au suivi des produits. Elle serait aussi efficace en termes de préconisation sur les modes d’utilisation ou de protection requis par ces substances.

Agissant telle une pression positive, l’action collective serait alors une sorte de « protection publique » qui produirait certainement davantage de résultats préventifs que de contentieux judiciaires.

Comme nous pouvons le constater, le travail effectué au cours de ces derniers mois est transversal. Il touche, entre autres, des problématiques agricoles, scientifiques ou encore juridiques. Mme la ministre a insisté sur ce point.

C’est pourquoi, afin d’établir une expertise complète et indépendante, nous avons appelé de nos vœux la mise en place d’un comité interministériel qui rendrait ses avis publiquement.

Plusieurs ministères sont concernés par le sujet ; il me semble, cependant, qu’en termes d’impact des pesticides le ministère de la santé devrait être le chef de file du dispositif de prévention afin d’impulser une politique plus responsable et plus globale. Comme vous le voyez, madame la ministre, le cœur de la mission penche pour vous ! (Sourires et applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la présidente de la mission commune d’information, madame la rapporteur, il se trouve qu’aujourd’hui, hasard du calendrier, l’Agence européenne pour l’environnement publie son rapport intitulé Signaux précoces et leçons tardives, qui relève les failles béantes du système de régulation, en Europe comme ailleurs. Les pesticides y sont abordés.

Ce sujet me tient particulièrement à cœur en tant que rapporteur de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les perturbateurs endocriniens, car de nombreux pesticides peuvent entrer dans cette catégorie.

Qu’il me soit permis de féliciter la présidente de la mission, ainsi que Mme la rapporteur, de l’excellent esprit qui a prévalu tout au long de nos travaux.

La question récurrente de l’utilisation des produits phytosanitaires, de leur dissémination dans l’environnement, de leurs effets sur la santé humaine, a pris une acuité particulière en septembre 2007, avec la révélation du désastre économique et sanitaire dans les Antilles françaises en raison de l’usage du chlordécone, un insecticide organochloré utilisé pendant une vingtaine d’années, entre 1972 et 1993, pour détruire les charançons du bananier.

Ce dossier avait provoqué de nombreuses inquiétudes dans l’opinion et suscité des réactions assez vives dans la classe politique. Cela étant, depuis de très nombreuses années déjà, des alertes étaient lancées par les membres de la communauté scientifique et par les associations, sur les dangers potentiels des produits phytosanitaires, alertes qui ont conduit à une véritable prise de conscience. Et je ne parle pas du fameux livre Silent Spring de l’Américaine Rachel Carson, publié en 1962.

En France, cela a été évoqué, le Grenelle de l’environnement, par le plan Écophyto 2018, prévoit de réduire de 50 % la quantité de pesticides utilisés en France. Ce plan, qui a été suffisamment évoqué par les orateurs précédents, place notre pays dans une dynamique vertueuse.

Il faut s’en féliciter, car la France, grand pays agricole, producteur de fruits et de légumes, avec de grandes surfaces de cultures céréalières, betteravières, d’oléagineux et de vignes, reste un grand consommateur de pesticides, se situant au troisième rang européen.

Le rapport est volontairement centré sur les effets des produits phytosanitaires sur la santé des fabricants, des utilisateurs, de leurs familles et des riverains.

Au-delà des constats et des analyses, il ne contient cependant pas moins d’une centaine de recommandations ; c’est beaucoup !

Quoi qu’il en soit, je tiens à féliciter nos collègues présidente et rapporteur de la mission pour leur travail approfondi. Je fais miens, bien entendu, les constats qui ont été dressés par la mission ; quant aux recommandations, si un certain nombre d’entre elles ont attiré plus particulièrement mon attention, d’autres appellent quelques réserves sur leur portée.

L’urgence absolue, c’est évidemment de mettre en place des outils de surveillance et de veille épidémiologique, ainsi que d’intensifier la recherche.

Il s’agit de disposer – c’est important, en ce domaine comme en d’autres – de données structurées sur des sujets aussi cruciaux que le recensement des maladies, les incidents liés à l’utilisation des produits phytosanitaires, comme cela se fait aujourd'hui pour certains médicaments, madame la ministre, ainsi que sur les alertes et les expositions des utilisateurs. Pour cela, il faut des registres aisément consultables et utilisables par la recherche ou par les agences d’évaluation, notamment en suivi post-autorisation de mise sur le marché.

Aujourd’hui, seuls les effets aigus sont bien cernés, grâce aux observations rapportées en milieu professionnel et aux relevés effectués par les centres antipoison, du moins lorsque les incidents sont signalés, ce qui n’est pas toujours le cas. Mais les effets croisés de plusieurs produits, qui peuvent être additionnels, multiplicateurs ou, le cas échéant, inverses, restent difficiles à évaluer en toxicologie.

Les effets retardés des pesticides sur la santé sont, eux, très mal connus, malgré des travaux scientifiques toujours plus nombreux. Or toute la réglementation repose sur le principe de Paracelse : « Rien n’est poison, tout est poison : seule la dose fait le poison », paradigme qui est largement remis en cause aujourd'hui sur des bases scientifiques avérées. À cet égard, des effets retardés non linéaires sont de plus en plus envisagés sans que des validations épidémiologiques, qui supposent notamment un temps prolongé, soient toujours possibles.

Les préoccupations pour la santé tournent plus particulièrement autour des effets des phytosanitaires comme perturbateurs endocriniens, que j’ai étudiés dans le cadre de l’OPECST, comme facteurs de troubles neurologiques – les agriculteurs exposés aux pesticides auraient un risque presque deux fois plus élevé de développer la maladie de Parkinson que ceux qui n’en utilisent pas – et dans l’étiologie du cancer.

Il faut donc renforcer la recherche épidémiologique, toxicologique et moléculaire, en soutenant les études sur les effets à long terme des expositions à faibles doses à des substances actives dont le caractère cancérogène, mutagène et reprotoxique est déjà connu à fortes doses, et même les effets d’expositions à de multiples produits phytopharmaceutiques : synergies, additivités, antagonismes.

Les auteurs du rapport soulignent également de manière très précise l’enjeu de la réduction de l’exposition périnatale de l’enfant et de la mère. C’est en effet la période la plus sensible, celle durant laquelle les conséquences d’une exposition à des perturbateurs endocriniens risquent d’être très importantes.

Bien d’autres recommandations sont intéressantes dans le rapport. Je voudrais évoquer la portée de plusieurs d’entre elles.

D’abord, cela a été dit, l’agriculture a franchi de grandes étapes ces dernières années. Les agriculteurs exercent une profession difficile, bien souvent mal comprise par l’opinion publique. L’image de l’agriculteur qui traite systématiquement son champ a la vie dure. Les agriculteurs ne sont pas des irresponsables ! Ils ont acquis un savoir-faire et beaucoup utilisent à bon escient les quantités les plus faibles possibles de produits phytopharmaceutiques nécessaires à la production de notre alimentation.

Il me semble que, globalement, l’agriculture conventionnelle tend à céder le pas à l’agriculture raisonnée. Une meilleure connaissance du risque parasitaire, un usage de techniques agroenvironnementales approfondies, et la nécessité de maîtriser les coûts de tous les intrants dans l’exploitation sont, alliés aux nouvelles réglementations, des facteurs déterminants et limitants. Il faut évidemment aller plus loin, comme M. le ministre l’a souligné, notamment sur la formation et l’information, comme le prévoit le rapport.

Ensuite, soyons conscients que les décisions qui vont être prises conditionneront l’avenir de l’agriculture française et européenne au cours des décennies à venir et influeront sur la capacité à relever le défi alimentaire. Mon collègue Yvon Collin a rendu un excellent rapport sur ce défi à l’horizon 2050 ; je vous invite à vous y reporter.

Avec une population mondiale qui devrait alors atteindre neuf milliards de personnes, un accroissement des capacités de production est nécessaire. Certains rêvent d’une agriculture 100 % biologique, mais si celle-ci doit être encouragée, elle ne peut, à elle seule, nourrir une population en croissance rapide. Son adoption dans les pays où elle représente un choix pourrait compliquer la résolution du problème alimentaire, du moins sur un plan strictement quantitatif.

Une politique de régulation des pesticides ne peut donc se limiter à la seule réduction de l’usage. La question de la substitution est un enjeu industriel, agricole, et une difficulté à prendre en compte. Le retrait de ces produits sans solution de rechange est parfois aussi grave pour la survie des exploitations.

Il faut évidemment encourager la recherche pour disposer d’un ensemble de produits phytosanitaires plus efficaces, plus ciblés, qui soient moins dangereux l’homme et qui répondent de façon adaptée et graduée aux attaques contre les cultures, en fonction du ravageur.

Je ferai une observation supplémentaire dépassant la seule question du couple « rendement-nuisance » pour souligner la contribution des produits phytopharmaceutiques à « l’agriculture de rendement ».

Enfin, il faudra bien un jour trancher la question des plantes génétiquement modifiées, qui divise toujours la communauté scientifique. La recherche scientifique doit être conduite sereinement pour ne pas risquer de priver la France d’un atout qui pourrait, dans les années à venir, se révéler majeur. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC, de l'UMP et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la présidente de la mission commune d’information, chère Sophie, madame la rapporteur, chère Nicole, chers collègues, on a voulu obtenir un consensus sur un texte fort, on l’a eu ; je fais partie de ceux qui auraient voulu aller plus vite et plus loin. Je vais donc m’efforcer d’être rapide, mais d’aller très loin ! (Sourires.)

Tout d’abord, je tiens à saluer la qualité des travaux de cette mission, ainsi que l’état d’esprit dans lequel elle s’est déroulée. J’en remercie Mme la présidente et Mme la rapporteur. J’ai aussi apprécié la qualité professionnelle de l’équipe des administrateurs.

C’était la première mission parlementaire à laquelle je participais, et, s’il n’est pas indécent de parler de plaisir en évoquant des sujets aussi graves, je tiens à vous dire que j’ai eu du plaisir à participer à ces six mois de travaux. Cette première mission m’aura définitivement marqué. Je ne serai jamais tout à fait tranquille tant que les recommandations majeures contenues dans ce rapport n’auront pas donné lieu à des mesures concrètes.

Pour autant, je ne tiens pas à dramatiser outre mesure la situation, et surtout pas à stigmatiser la profession agricole – s’il est des professions nobles, la profession d’agriculteur en est une – parce qu’il est avéré que les plus exposés, les premières victimes sont les agriculteurs eux-mêmes ainsi que leur famille et, parfois, leur voisinage.

Initialement, l’objectif de la mission était d’informer quant à l’impact des pesticides sur la santé et sur l’environnement. Le seul volet « santé », madame la ministre, était suffisamment dense et lourd de conséquences pour que l’on décide de reporter le traitement du volet « environnement » ; il faudra pourtant que ce dernier soit abordé très rapidement.

Si la procédure préalable à la mise en place d’une mission est un peu complexe, je l’ai bien compris, il va néanmoins falloir trouver le moyen d’en constituer une. Parlez-en à votre collègue ministre de l’environnement, qui est concernée. J’ai, pour ma part, proposé que cette mission prolonge son travail et se consacre à ce volet « environnement » : si personne n’est candidat, je veux bien en être le rapporteur ! (Mme la présidente de la mission et Mme la rapporteur sourient.)

Les conséquences néfastes sur l’environnement sont en effet nombreuses : pollution des sols, de l’eau, impact sur les produits alimentaires, atteinte à la biodiversité – les abeilles font aujourd'hui l’actualité. Je comptais vous interpeller de nouveau, monsieur le ministre, mais vous avez anticipé en évoquant la réunion du 31 janvier prochain. Hélas, pour la prochaine récolte, les semences sont déjà enrobées.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Elles sont achetées, c’est fait !

M. Joël Labbé. Les abeilles ont un rôle de pollinisateur, mais un être microscopique dont on parle peu, le plancton, qui est à la base de toute la chaîne alimentaire du milieu marin, est également en danger.

Cela dit, les recommandations issues de nos travaux représentent déjà un important travail pour l’évolution de nos politiques publiques. J’évoquerai celles qui me semblent majeures avant de parler de l’avenir du secteur agricole – la loi d’avenir – et l’avenir plus immédiat encore en vous annonçant le dépôt très prochainement d’une proposition de loi visant à encadrer strictement les utilisations non agricoles des pesticides. Je ne reviendrai pas sur les constats, il en a déjà été question.

Au titre des mesures à mon sens majeures préconisées dans le rapport, je citerai d’abord l’encadrement plus strict des autorisations de mises sur le marché. Il faut exiger des firmes qu’elles fassent des tests sur l’effet cocktail des produits qu’elles souhaitent commercialiser, et qu’elles engagent leurs responsabilités sur les équipements de protection individuelle adaptés spécifiquement à chaque produit.

Par ailleurs, il faut taxer lourdement les pesticides, à l’exemple de qui se fait au Danemark, car il convient de prendre en compte les externalités négatives des pesticides : dépenses de santé et dépenses liées à la réhabilitation de la qualité de l’eau notamment. Cette réhabilitation a été chiffrée : entre 54 milliards et 91 milliards d’euros pour une année, madame la ministre.

Également majeure m’apparaît la proposition qui est faite de lever les blocages sur les préparations naturelles peu préoccupantes non brevetées.

Il faut aussi se donner les moyens de relancer véritablement le plan Écophyto 2018. Je rappelle que, si ce plan avait au départ pour ambition de diminuer de 50 % l’usage des pesticides, on constate, ces deux dernières années, une augmentation de 2,4 %. C’est un constat d’échec, mais on peut se dire que cela aurait pu être pire s’il n’y avait pas eu le plan Écophyto. En d’autres termes, c’est déjà ça !

Le président de l’Union des industries de la protection des plantes a souligné, dans les bilans de 2010, outre l’augmentation de 2,4 % dont je parlais, un accroissement également du chiffre d’affaires de ces industries, ce qui, aux yeux du président de l’UIP, montrait bien l’utilité de ces produits pour la nation. C’était du moins le sens de ses propos.

Il me paraît en outre souhaitable de donner de réels moyens à la recherche publique, notamment en direction de l’agriculture biologique et de l’agroécologie dont je parlerai tout à l’heure, mais aussi plus globalement pour les pratiques agronomiques durables.

Enfin, il faut soutenir et accompagner la filière agricole biologique, qui, elle, joue un rôle de précurseur puisque pratiquant déjà l’agroécologie, nouvelle grande cause nationale. C’est moi qui le décrète ! (Sourires.)

Ce rapport, s’il n’est pas un réquisitoire à charge contre les pesticides, montre cependant objectivement les risques de ces produits pour la santé humaine, risques qui peuvent être meurtriers : cancers spécifiques, leucémie, maladies respiratoires, perturbations endocriniennes. On peut le dire : les pesticides sont des poisons !

Récemment, la maladie de Parkinson a été officiellement inscrite au tableau des maladies professionnelles dans le régime agricole de la sécurité sociale. Enfin, plusieurs avis convergent pour suspecter des liens entre l’utilisation des pesticides et la maladie d’Alzheimer. Les faits sont suffisamment graves pour que nous ayons pleinement conscience de notre propre responsabilité de parlementaires : nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !

Nous avons à travailler pour l’avenir : en 2013, il s’agira, monsieur le ministre, de la loi d’avenir agricole, que vous avez annoncée pour le second semestre.

J’ai pu constater votre engagement, monsieur le ministre, notamment lors de la journée organisée sous l’égide de votre ministère et intitulée « Agricultures : produisons autrement ». Vous exprimant après M. Philippe Barré, universitaire belge dont l’intervention était particulièrement pertinente, vous êtes allé dans le même sens que lui. La notion nouvelle d’agroécologie était très présente et vous avez déclaré vouloir faire de la France le leader européen de l’agroécologie.

On ne peut qu’applaudir à une telle déclaration, et nous vous soutiendrons avec force et conviction. Il en faudra, tant est bien organisé le lobby de l’agriculture agrochimique, avec sa capacité à fabriquer le doute, à produire rapidement des contre-études dès l’instant où une étude ne va pas dans le bon sens.

Mme Sophie Primas, présidente de la mission commune d’information. Dans un certain sens !

M. Joël Labbé. Cependant, ne nous méprenons pas, l’agroécologie n’est véritablement écologique que si elle diminue drastiquement l’utilisation des intrants, en particulier des pesticides, et, initialement, l’agroécologie n’en utilise pas.

Alors, oui à l’ambition de devenir le leader européen de l’agroécologie, mais, pour le moment, monsieur le ministre, nous sommes le leader européen de l’utilisation des pesticides !

C'est dire si nous partons de loin ! Malgré tout, si nous devenons, en 2013, le leader européen en termes de volonté d’opérer la transition, si nous avons la capacité de faire bouger l’Europe – nous vous faisons confiance pour cela –, nous serons sur la bonne voie. « Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait », disait Mark Twain : alors ensemble, nous allons le faire !

Nous parlons de la France, de l’Europe, mais de tels sujets ne peuvent être appréhendés qu’à l’échelle planétaire. Olivier de Schutter, rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies affirme que « dans les pays du Sud, l’agro-écologie peut doubler la production alimentaire de régions entières […] en réduisant la pauvreté rurale et en apportant des solutions aux changements climatiques ». J’ajouterai qu’elle peut apporter des solutions aux problèmes migratoires, en donnant aux populations des pays du Sud les moyens de bien vivre chez elles. C’est de l’utopie, mais je veux encore croire aux utopies… Mais, pour l’heure, nous Occidentaux accaparons les terres, promouvons la monoculture et la production d’agrocarburants, à grand renfort de pesticides.

Pour conclure, j’évoquerai un avenir plus immédiat en annonçant le prochain dépôt d’une proposition de loi. Elle s’appuiera sur les recommandations du rapport sur les usages non-agricoles des pesticides, ainsi que sur le constat que les pesticides sont des produits toxiques et dangereux. Considérant que les collectivités se doivent de montrer l'exemple, nous proposerons notamment d’interdire l'utilisation des pesticides dans tous les espaces publics, à partir de janvier 2018 afin de laisser le temps d’organiser les choses. L’exemple de certaines collectivités locales montre que c’est possible. Elles sont de plus en plus nombreuses à ne plus utiliser de produits phytosanitaires. Ainsi, ma commune de Saint-Nolff, dans le Morbihan, est dans ce cas depuis 2007, et je suis fier de pouvoir dire que nous avons reçu le prix national de la biodiversité pour 2012. C’est en faisant un gros effort de pédagogie auprès des enfants que l’on avancera.

Le second volet de cette proposition de loi tendra à interdire, à partir de 2018, la vente au détail de pesticides aux particuliers. Ces produits doivent être proscrits dans les jardins.

J'espère vivement que cette proposition de loi recevra l’appui du Gouvernement et rencontrera un écho favorable auprès d'une grande majorité d'entre vous, mes chers collègues. Après l’adoption à l’unanimité du rapport de la mission commune d’information, je suis très confiant ! L'un des pères de l'agro-écologie, Pierre Rabhi, disait que nous devons « prendre conscience de notre inconscience ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur, madame les ministres, mes chers collègues, je tiens d’abord à souligner l'ampleur du travail accompli par la mission commune d’information autour de ses présidente et rapporteur, Mmes Sophie Primas et Nicole Bonnefoy.

Je souhaite, par ailleurs, saluer le bon sens dont témoignent les recommandations émises par la mission. Comme c'est d’ailleurs souvent le cas au Sénat, c’est le bon sens qui a permis de fédérer l'ensemble des membres de notre assemblée, toutes sensibilités politiques confondues, autour d'une analyse convergente et partagée de la situation, ainsi que de l’ambition de donner aux préconisations du rapport, aussi rapidement que possible, une traduction concrète.

Cette vision commune tient certainement au fait que les membres de la mission ont partagé, avec lucidité et sans parti pris, plusieurs constats. J’en retiens principalement cinq.

En premier lieu, les dangers et les risques que représentent les pesticides pour la santé sont aujourd’hui sous-évalués.

En deuxième lieu, le suivi des produits après leur mise sur le marché, au regard de leurs incidences sanitaires réelles, n'est qu'imparfaitement assuré : ainsi, les effets des perturbateurs endocriniens sont insuffisamment pris en compte.

En troisième lieu, les équipements de protection contre les pesticides ne sont manifestement pas à la hauteur des risques encourus par ceux qui utilisent et manipulent ces produits.

En quatrième lieu, les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles n'intègrent pas suffisamment la question de l'innocuité des pesticides.

Enfin, le plan Écophyto 2018 doit faire l'objet d'une évaluation en vue de le conforter, voire de le renforcer.

Cela étant dit, il ne faut pas, à mon sens, voir dans ces constats, ni dans nos préconisations, le fruit du travail d'« empêcheurs de tourner en rond » qui seraient obsédés par le sacro-saint principe de précaution.

Notre volonté, dans l’esprit, d’ailleurs, du Grenelle de l'environnement, n'est pas de pointer un doigt accusateur sur les industriels ou de les fustiger ; simplement, il est de notre devoir, en responsabilité et en conscience, d'interpeller, de poser des questions et de soumettre au débat des pistes de réponse et des solutions.

Il y a certainement eu des excès en matière d'utilisation des pesticides et de l'imprudence dans certaines manipulations, voire des insuffisances concernant les aspects sanitaires ; je pense notamment à des phénomènes de pollution.

Je crois donc notre « interpellation » utile et salutaire. Il faudrait même, me semble-t-il, que nos industriels s’en saisissent pour amorcer une réflexion sur le devenir de leurs produits ou sur le formidable avantage compétitif que pourraient leur apporter des produits ou des techniques nouveaux, susceptibles de permettre de concilier la préservation de la santé publique et la protection de l'environnement.

Madame, monsieur les ministres, je pense, par exemple, à toutes les évolutions qui pourraient intervenir dans le domaine de la chimie « verte », plus respectueuse de la santé des femmes et des hommes, ainsi qu’à des innovations possibles en matière d’équipements de protection individuelle destinés aux personnes exposées aux pesticides.

Le Gouvernement a lui aussi, madame, monsieur les ministres, son rôle à jouer, en aidant à approfondir et à élargir les connaissances, grâce à des analyses et à des statistiques, en encourageant la recherche-développement, en soutenant les initiatives des entreprises qui innovent pour opérer les évolutions nécessaires. Je vous invite en conséquence, par exemple, à consacrer à ces actions une partie des fonds redéployés dans le cadre du Commissariat général à l'investissement. Oserez-vous faire ce choix ? Je le souhaite sincèrement.

Il est ici question de parvenir, grâce à une amélioration des connaissances, à une vision plus juste, fondée sur une appréciation à la fois objective et scientifique, des nécessaires adaptations à venir. Ce travail me paraît indispensable pour répondre, avec pragmatisme, aux préoccupations en matière d'écologie et de santé publique, dont la légitimité est telle que l'on ne doit surtout pas les laisser servir d'alibis à quelque dogmatisme que ce soit.

Aujourd'hui, si l'on veut concilier la protection de la santé publique et de l'environnement avec le développement agricole et industriel, il me semble que le sujet dont notre assemblée s'est emparée représente une véritable source d'espoir et d'ambition.

Tous ensemble, agriculteurs, industriels et pouvoirs publics, nous devons pouvoir, grâce à la réflexion de fond que nous conduisons, nous saisir concrètement de la problématique des pesticides pour en faire un sujet d'intérêt général et de santé publique à la fois.

Il s’agit d’amorcer le développement de nouveaux savoir-faire de « qualité française ». L’enjeu, ne nous y trompons pas, n'est pas national : tous nos voisins sont ou seront, tôt ou tard, confrontés à ces problématiques.

Faut-il rappeler que, d'après l'INRA, de 25 % à 75 % des pesticides appliqués se retrouvent dans l'atmosphère et que, l'air n'ayant pas de frontières, ces questions intéressent, par hypothèse, l’ensemble de notre planète et de ses habitants… À cet égard, je propose qu'une véritable stratégie nationale de suivi de la présence des pesticides dans l'air soit mise en place, à l'instar de ce qui est pratiqué pour le milieu aquatique, où plus de 100 000 prélèvements ont été opérés ces dernières années. Jusqu’à présent, les contrôles et les analyses sont trop rares. Dans ce domaine, les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air de nos régions me paraissent être des acteurs naturels, aptes à assumer cette mission d'intérêt public.

Madame, monsieur les ministres, je souhaiterais connaître lesquelles des recommandations du rapport de la mission commune d’information et des quelques propositions que je viens de formuler le Gouvernement serait prêt à mettre en œuvre dès à présent. Je vous remercie, enfin, de m'indiquer quelles actions vous entendez conduire à cet effet dans le cadre d'une nécessaire coordination interministérielle. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de saluer à mon tour le travail accompli par la mission commune d'information, sa présidente et sa rapporteur. Je dois souligner que nous devons à Mme Bonnefoy la création même de cette mission commune d’information.

L'unanimité que son rapport a suscitée confirme combien la situation est préoccupante. Les dangers liés à l'utilisation des pesticides – c'est le premier constat de la mission – ont été longtemps sous-évalués. J'ajouterai qu’ils l’ont d'abord été par inconscience et par ignorance, puis en toute conscience, pour protéger des intérêts économiques fort éloignés de ceux des agriculteurs et des consommateurs.

À cet instant, je voudrais rappeler que, à l'heure actuelle, les coûts induits par l'utilisation des pesticides sont très largement externalisés et assumés par la collectivité, en totale contradiction avec le principe pollueur-payeur, pourtant consacré depuis longtemps par notre législation.

L'incidence économique de l’utilisation des pesticides est en effet aujourd'hui principalement assumée par les contribuables et les ménages. Le rapport Sainteny a relevé que la concentration en pesticides dans l'ensemble des ressources en eau ne cesse de progresser et que, en 2009, toutes les eaux de surface d'Île-de-France devaient être traitées avant distribution pour respecter les normes de santé publique.

La question ne se limite pas, cependant, à sa dimension financière, encore que les sommes consacrées à la réparation des torts que nous causons à notre écosystème soient considérables. Le problème principal que pose l’utilisation toujours plus importante de pesticides, dans notre pays, par les agriculteurs, la SNCF, les sociétés d'autoroutes, les collectivités locales et les particuliers, est que ces produits, que l’on en fasse une bonne ou une mauvaise utilisation, affectent sévèrement la santé publique et la biodiversité à court, moyen et long terme, dans une mesure là encore longtemps sous-estimée.

J’ai bien entendu les propos tenus tout à l’heure par M. le ministre, qui insistait sur la nécessité de faire évoluer notre modèle agricole pour assurer la réussite du plan Écophyto, tant ce modèle est dépendant de l’utilisation des pesticides. Je constate les efforts consentis en ce sens par le Gouvernement, notamment par le ministère de l’agriculture. Cela étant, l’utilisation des pesticides par des non-agriculteurs est aujourd'hui également très importante et pourrait être réduite plus facilement que celle des agriculteurs.

Le Gouvernement, à la suite de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre derniers, a établi une feuille de route pour la transition écologique et annoncé un certain nombre de mesures qui, pour partie, ont anticipé sur celles qui sont préconisées par la mission commune d’information. Il prévoit notamment d’augmenter la redevance pour pollution diffuse et de mettre en place un groupe de travail sur les perturbateurs endocriniens, en vue d’établir une stratégie nationale en 2013.

L'augmentation de la redevance pour pollution diffuse est indispensable. C'est aussi une recommandation de la mission, et c’était l'objet d'un amendement que j’ai cosigné avec quelques collègues mais qui n'a malheureusement pu être débattu lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2013.

Cette augmentation, pour être véritablement efficace, doit être substantielle. Elle n’est cependant pas suffisante. Il est également indispensable d’interdire purement et simplement certains usages et certains produits. La mission commune d'information propose ainsi d’interdire la vente de produits phytosanitaires aux particuliers, à l’exception de ceux qui sont autorisés en agriculture biologique. C’est une mesure de bon sens. Alors que les professionnels ne respectent pas toujours les règles élémentaires de précaution, faute de formation ou d’information, il est assez peu probable que les particuliers fassent mieux, sachant qu’ils n’ont pas toujours conscience de la nocivité des produits qu’ils achètent.

Mes chers collègues, nos collectivités territoriales portent eux aussi une grande responsabilité. Joël Labbé l'a souligné, un certain nombre de villes sont d’ores et déjà engagées dans une démarche « zéro phyto ». Je crois que nous aurions tout à gagner à généraliser cette politique à toutes les collectivités. La mission commune d'information propose de retenir pour cela un délai de cinq ans, bien entendu contraignant.

S’agissant des perturbateurs endocriniens, je me réjouis de la mise en place d’un groupe de travail par le Gouvernement. La recherche sur les effets des perturbateurs endocriniens sur la santé humaine a mis en lumière depuis plusieurs années – cela a été rappelé dans le récent rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – des problématiques potentielles majeures pour la santé reproductive, la santé des enfants et le développement, pour les générations actuelles et surtout pour celles à venir. Pour mémoire, sont notamment recensés comme effets la réduction du nombre de spermatozoïdes et de la qualité du sperme, la diminution de la fécondité, des avortements spontanés, une modification du ratio des sexes, des anomalies du système reproducteur masculin, la puberté précoce, des altérations du système immunitaire, la survenance de cancers.

Il est donc urgent de se doter d’une réglementation adaptée. Les perturbateurs endocriniens sont en effet venus bouleverser les règles de la toxicologie moderne selon lesquelles la dose fait le poison : les perturbateurs endocriniens agissent à faible dose et ont parfois des effets non linéaires.

Je souhaite à ce propos interroger le Gouvernement : où en est la constitution du groupe de travail qu'il a annoncé ? Quelles mesures ont-elles été prises pour s’assurer qu’il ne subisse pas les mêmes critiques que le groupe de travail mis en place par l’Autorité européenne de sécurité des aliments, dont je rappelle, pour ceux qui n’auraient pas suivi l’affaire, que seuls quatre de ses dix-huit membres disposent d’une expérience scientifique en endocrinologie, outre que huit d’entre eux ont déclaré des liens d’intérêts récents avec des industriels de la chimie ?

En conclusion, j'insisterai sur l’efficacité sanitaire d’une fiscalité écologique bien comprise. Le Gouvernement a mis en place un comité national et pris des engagements calendaires, mais il est important que nous nous entendions sur le champ de la fiscalité écologique, qui ne saurait se réduire à la fiscalité carbone.

Ce matin, la commission des finances a organisé une table ronde sur ce sujet. Il est regrettable que l'accès en ait été refusé aux membres des autres commissions, en particulier à ceux de la commission du développement durable. J’avoue que voir certains de nos collègues, hier adversaires déclarés de l’écologie, se convertir aujourd’hui avec ferveur à la fiscalité écologique me laisse quelque peu perplexe.

La fiscalité écologique n’est ni une nouvelle manne pour les finances publiques ni une nouvelle occasion de faire supporter par les ménages un allégement de la fiscalité pesant sur les entreprises. Elle est un moyen de faire évoluer les comportements et de pénaliser, pour les faire disparaître, les activités néfastes à la préservation de l’environnement.

J'espère que l'unanimité que suscite aujourd'hui le rapport se manifestera de nouveau lorsque nous aborderons ensemble la question de la fiscalité écologique dans toutes ses dimensions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Henri Tandonnet applaudit également)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.

M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le très dense rapport d’information qui nous a été remis est le fruit d’un travail intense sur un sujet éminemment complexe : les travaux précédemment accomplis sur ce thème n’avaient pas permis d’aboutir à une synthèse aussi complète, assortie de telles préconisations.

Compte tenu de l’ampleur de la problématique, ce rapport d’information se borne à aborder le volet relatif à la santé humaine, dans ses dimensions préventive, curative et informative.

Néanmoins – M. le ministre l'a souligné –, il faut également envisager une démarche incitative visant à modifier les pratiques actuelles de culture afin de réduire le recours aux pesticides.

J'ai relevé, dans le rapport d’information, quelques éléments qui s’inscrivent dans une telle démarche. Je pense notamment au quatrième constat, particulièrement important à mon sens : les pratiques actuelles ont été conçues après la Seconde Guerre mondiale, à une époque de renouveau économique où il fallait produire davantage et donc accroître les rendements pour satisfaire la demande.

Le cinquième constat du rapport d’information porte sur le plan Écophyto, qui avait pour objet de réduire de 50 % l'utilisation des pesticides à l’horizon de 2018 mais dont les résultats sont pour le moins décevants, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre.

Devant ce constat, les recommandations nos 9 et 10 du rapport d’information portent sur le renforcement des mesures de formation et, surtout, la réorientation des aides publiques vers l'agriculture biologique, par le biais d’une augmentation de la redevance pour pollution diffuse, afin de structurer les filières. Nous sommes là au cœur du problème, car celui-ci est avant tout économique et financier, qu’on le veuille ou non. Il ne sera jamais possible de réduire significativement l'utilisation des pesticides sans donner de contreparties aux agriculteurs.

Sur ce point, deux doctrines s'opposent. Certains prônent l'augmentation de la redevance pour pollution diffuse. Pour ma part, j’estime qu’il conviendrait plutôt d’adapter la fiscalité actuelle afin de l'améliorer et de la rendre plus efficace. J'ignore ce qui est ressorti de la table ronde sur la fiscalité écologique organisée par la commission des finances ce matin, mais il serait à mon sens souhaitable de jouer sur deux leviers : la TVA et la redevance pour pollution diffuse.

En ce qui concerne la TVA, son taux est actuellement fixé à 7 % pour les produits phytopharmaceutiques utilisables en agriculture biologique et à 19,6 % pour les autres pesticides dangereux, à savoir les produits phytopharmaceutiques et biocides.

Lors du débat sur la TVA « antidélocalisations » qui a eu lieu voilà quelques mois, nous n’avons fait qu’effleurer la question de la mise en place d'une véritable TVA écologique. Nous ne pourrons cependant pas faire l'économie d'un débat sur cette question.

L’un de nos collègues vient de demander que l'utilisation de pesticides soit interdite aux jardiniers du dimanche et aux collectivités locales. Pour ma part, je pense qu'augmenter significativement le taux de TVA pour ces produits, en le portant par exemple à 25 %, serait une mesure moins brutale, mais néanmoins efficace dans le temps. En effet, les jardiniers du dimanche et les collectivités territoriales sont des consommateurs finaux, qui ne récupèrent pas la TVA, contrairement à la plupart des agriculteurs, pour qui ce relèvement du taux n’aurait donc que peu d'incidences. L’idée d’augmenter de façon ciblée les taux de TVA mérite d’être creusée.

En ce qui concerne la redevance pour pollution diffuse, ses modes de recouvrement et de répartition sont incroyablement complexes. Je rappelle qu’elle est acquittée par les négociants et représente de 1 euro à 5 euros par kilogramme de produit. J'ai essayé d'obtenir des chiffres plus précis, mais c’est la bouteille à l’encre !

Le produit de cette taxe est versé aux agences de l'eau, l'agence de l’eau Artois-Picardie le centralisant avant de le reverser à l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l’ONEMA, qui abonde le plan Écophyto… On mesure la simplicité du dispositif !

Il est vrai que c’est un sport typiquement français que de multiplier les étapes administratives, avec des déperditions liées aux coûts de fonctionnement et de gestion. Est-ce bien raisonnable ? En 2010, la Cour des comptes a mis en exergue ce problème. Monsieur le ministre, a-t-il été procédé à une évaluation de ces déperditions financières ? Le rapport d'information estime à 41 millions d'euros le versement de l’ONEMA au plan Écophyto 2018, alors que l'annexe au projet de loi de finances pour 2013 annonce un reversement de 34,2 millions d'euros, pour une collecte de 37,8 millions d'euros : comment expliquer ces écarts ? Je n’avais ni le temps ni les moyens d'approfondir cette question, mais je pense qu'une réflexion doit être menée sur ce sujet afin d’essayer de rendre plus efficace le système et, partant, l'utilisation des fonds publics. Il ne serait alors pas nécessaire d’augmenter la redevance pour pollution diffuse et peut-être pourrait-on envisager, dans le cadre du plan Écophyto 2018, une démarche pragmatique qui consisterait à reverser directement, dans des conditions à déterminer, son produit aux agriculteurs acceptant de jouer le jeu. Ainsi, les déperditions financières seraient moindres.

Un tel mécanisme serait peut-être complexe à mettre en œuvre, mais j’ai confiance en la capacité d’initiative de nos administrations. Il est temps de s'attaquer à ce problème, car, aujourd'hui, l’aspect économique et financier est incontournable. Nous disposons d’éléments pour travailler à l’élaboration d’une politique volontariste. Ce sera long et difficile, car il faudra convaincre, mais c'est la seule solution si nous voulons être efficaces et donner une traduction concrète aux préconisations du rapport d'information. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.

Mme Jacqueline Alquier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je souhaite saluer à mon tour l’initiative de Nicole Bonnefoy, qui s’est saisie de ce sujet avec pugnacité. Ce rapport d’information nous présente aujourd’hui des orientations dont chacun s’accorde à reconnaître la clarté et le courage. Félicitons aussi Sophie Primas d’avoir su animer le travail de cette mission commune d’information.

Il me semble important de souligner avant tout que le danger des pesticides pour leurs utilisateurs est largement sous-évalué ; nous risquons donc d’être confrontés à un problème de santé publique à long terme. La semaine dernière encore, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a publié un avis sévère sur trois pesticides parmi les plus utilisés au monde, qui affectent gravement les populations d’abeilles, ainsi que notre environnement.

L'ampleur de la tâche qu’elle avait à accomplir a empêché la mission commune d'information d’aborder ce volet. Comme l’a souligné Mme la rapporteur, ce n'est qu'un point de départ. Pour votre part, monsieur le ministre, vous avez montré votre détermination à prendre les mesures qui s'imposent.

Les agriculteurs et les salariés agricoles sont les premiers concernés par la manipulation des pesticides, or ils sont plus ou moins bien informés des risques liés à l’utilisation de ces produits. Il est reconnu que 20 % d’entre eux ne se protègent pas pour les manipuler. Il serait logique que les protections ad hoc soient fournies avec les produits !

Nombre d’accidents, comme des pertes de connaissance ou des malaises diffus, ne sont pas recensés, car ils passent inaperçus. Il n’existe pas de registre des produits utilisés et les études sur les effets des produits phytosanitaires sont insuffisantes.

On sait que certaines substances agissent pendant des dizaines d’années et que le lien n’est pas toujours établi entre des symptômes se déclarant tardivement et l’utilisation de ces produits. L’effet « cocktail » n’est pas non plus pris en compte, les études ne portant que sur un produit à la fois.

C’est pourquoi la mise en place d’un suivi post-fabrication sur le long terme, mené en toute indépendance, doit être l’une de nos priorités. En outre, les études en matière de santé doivent être étendues à tous les salariés saisonniers et aux personnes qui ne sont plus en activité. J’espère que cette recommandation figurera en bonne place dans le projet de loi qui nous est annoncé.

D’ores et déjà, certaines affections, telles que des dermatoses, des problèmes respiratoires, des troubles neurologiques et cognitifs, des cancers, apparaissent comme des effets de l’exposition aux pesticides. Toutefois, aujourd’hui, seulement une quarantaine de maladies chroniques liées à l’usage de ces produits sont reconnues comme maladies professionnelles.

La simplification de l’accès des victimes au système de réparation des maladies professionnelles est une urgence, de même que le contrôle scrupuleux des autorisations de mise sur le marché des pesticides.

Les agriculteurs ont fait beaucoup d’efforts, ces dernières années, pour réduire les apports en pesticides, mais comment tendre vers le risque zéro ? C’est peut-être trop demander dans le contexte actuel.

Outre la nécessité d’un véritable changement des mentalités, nos agriculteurs, qui subissent à la fois la pression de la concurrence économique et une forme de culpabilisation par rapport à des pratiques dont ils sont eux-mêmes victimes, se trouvent confrontés à une injonction paradoxale. Comment travailler autrement ? Vous l’avez souligné, des études explorant des solutions semblent avancer.

L’une des préconisations du rapport d’information est d’orienter les aides publiques vers l’agriculture biologique et de soutenir le développement de l’agro-écologie. C’est la proximité qui nous semble devoir être favorisée. Si le « bio » n’est pas toujours synonyme de qualité, surtout quand les produits sont importés, et si l’efficacité des systèmes de contrôle est souvent mise en cause, les règles qui s’appliquent en France à cette filière garantissent cependant un plus grand respect de l’environnement.

Bien sûr, des mesures doivent être prises rapidement en matière de protection des utilisateurs, de prévention des risques ou de gestion des déchets, mais il faut aussi entreprendre dès maintenant une réforme de structures. Ce changement prendra du temps, car nous devons tenir compte des contraintes des agriculteurs. Néanmoins, la mise en place des pôles régionaux de conversion à l’agriculture biologique peut constituer un premier pas. La modification des pratiques agricoles et agroalimentaires est urgente. Certaines mesures allant en ce sens n’entraînent aucune dépense pour l’État et peuvent donc être mises en œuvre rapidement.

Tous les problèmes soulevés par le rapport sont importants et méritent d’être pris en compte et traités par le biais d’actes forts ; nous avons aujourd’hui besoin de volontarisme et de transparence pour avancer !

Ce sont les mêmes constats, en termes de nécessité de renforcer la prévention et de modifier les pratiques actuelles, qui avaient motivé l’adoption du plan Écophyto 2018 lors du Grenelle de l’environnement.

Or, force est de constater que les résultats de ce plan sont encore largement insuffisants. Non seulement le recours aux produits chimiques n’a pas diminué, mais il a augmenté de 2,6 % pour les traitements foliaires et de 7 % pour les traitements directement réalisés sur les semences.

Des pistes réalistes nous sont ici proposées : agissons, en donnant à l’information, à la formation et à la recherche des moyens qui permettent enfin de dépasser le stade des constats et d’œuvrer ensemble dans l’intérêt de tous.

Vous nous avez assuré, monsieur le ministre, que ces propositions, dont soixante-trois relèvent de votre compétence, seraient prises en compte. Nous voulons que des actes soient posés dès 2013, avec l’adoption de mesures efficaces. Bien sûr, le temps de la concertation est nécessaire. À cet égard, la méthode du Gouvernement me semble être judicieuse, mais nous devons aussi tenir compte des attentes, qui se font chaque jour plus grandes. Notre majorité doit y répondre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Houpert.

M. Alain Houpert. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier la présidente de la mission commune d’information, Sophie Primas, et son rapporteur, Nicole Bonnefoy, de la qualité des travaux menés et de la richesse des propositions formulées.

Les questions environnementales sont aujourd’hui au cœur de nos débats. Voilà trente ou quarante ans, peu de monde, à part les associations de défense de l’environnement et quelques scientifiques ou décideurs politiques, prêtait attention aux nombreux indices témoignant des atteintes portées à notre environnement.

Aujourd’hui, au contraire, la prise de conscience de ce problème est collective et partagée. Elle débouche sur une réflexion comportant diverses dimensions : développement durable, biodiversité, gestion des déchets, énergies renouvelables, principe de précaution…

La question de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, de leur dissémination dans l’environnement, de leurs effets sur la santé humaine préoccupe beaucoup nos concitoyens. Il faut dire qu’elle est posée de façon récurrente par les médias, qui traitent abondamment du sujet en évoquant recherches scientifiques, publication de rapports, décisions de justice reconnaissant l’existence d’une relation de cause à effet entre exposition à un pesticide et survenue d’une maladie, pollutions du sol ou des eaux, dépassement des limites maximales en matière de résidus de pesticides…

Mais ce sujet dépasse le cadre purement scientifique. La décision des autorités compétentes, autorisant ou interdisant l’utilisation d’un pesticide, doit pouvoir s’appuyer sur une évaluation bénéfices-risques tenant compte de nombreux paramètres, tels que la santé, bien sûr, mais aussi l’environnement, la démographie, l’économie, l’éthique, la sécurité des approvisionnements alimentaires.

Il s’agit donc d’un domaine complexe, où interfèrent les réalités de la chimie biologique et la perception par le public des conséquences de l’usage des produits phytopharmaceutiques en agriculture.

On me permettra d’évoquer plus particulièrement, aujourd’hui, le cas des travailleurs exposés aux produits phytopharmaceutiques.

En effet, dans le cadre de l’évaluation des préparations phytopharmaceutiques, la réglementation prévoit notamment une évaluation des risques pour les utilisateurs.

Afin de permettre au gestionnaire du risque, en vue de la décision d’autorisation de mise sur le marché des produits, de préciser aux futurs utilisateurs quel type d’équipements employer, l’ANSES recommande, dans son avis du 29 octobre 2012, d’intégrer dans la réglementation l’exigence, pour le pétitionnaire, de fournir des résultats de tests d’équipements de protection individuelle permettant d’attester, sur la base d’essais normalisés et d’études d’exposition, le respect des objectifs de performance requis pour les équipements de protection concernant le produit en question. Cela me semble en effet indispensable.

Si les produits phytopharmaceutiques sont, par nature, des produits actifs pouvant se révéler nocifs pour l’environnement ou la santé, leurs modalités d’utilisation et d’évaluation sont très encadrées sur le plan législatif.

Depuis plusieurs années, ce cadre réglementaire, désormais européen, s’est considérablement resserré. Les préparations phytopharmaceutiques et les substances actives qui les composent sont régulièrement réévaluées, pour chacun de leurs usages, au regard de critères permettant d’assurer la sécurité d’une utilisation respectant les préconisations d’emploi.

Cependant, au regard des dangers présentés par ces produits, la question de leurs effets sanitaires, en particulier pour les travailleurs exposés, constitue un sujet essentiel, que n’a pas manqué de traiter la mission d’information.

Lors de l’évaluation des préparations phytopharmaceutiques par l’ANSES, la réglementation prévoit notamment une évaluation des risques pour les utilisateurs. Dans ce cadre, l’exposition des travailleurs agricoles est estimée en fonction de la pratique agricole, à l’aide de modèles qui permettent de mesurer l’exposition de l’applicateur du produit avec ou sans port d’équipements de protection. Ces modèles ont été élaborés à partir de données expérimentales issues d’études d’exposition en conditions réelles, jugées représentatives de la pratique.

Pour certaines préparations phytopharmaceutiques, le risque pour l’opérateur n’est acceptable, au sens de la réglementation en vigueur, qu’avec le port d’un équipement de protection individuelle ou EPI. L’agence le signale alors expressément au gestionnaire du risque et indique, dans l’avis rendu public, le niveau de performance attendu de l’équipement, en termes de protection ou de facteur d’abattement du niveau d’exposition au produit que l’EPI doit garantir.

Cependant, on me permettra de souligner que les données expérimentales sur lesquelles sont fondés les modèles d’exposition ne permettent pas toujours d’associer avec certitude la protection nécessaire à l’utilisation d’un type d’équipement de protection disponible sur le marché.

Pour permettre au gestionnaire du risque, dans le cadre de la décision d’autorisation de mise sur le marché, de préciser aux futurs utilisateurs du produit le type d’équipements de protection individuelle à recommander, il est nécessaire que l’ANSES puisse apporter des éléments plus précis sur les types d’EPI répondant aux objectifs de protection requis. Pour ce faire, l’agence a besoin de recueillir auprès du pétitionnaire des éléments d’informations complémentaires sur les EPI. À cette même fin, l’agence s’est autosaisie en 2011, afin d’inventorier les EPI disponibles sur le marché et d’évaluer leur performance selon un test normalisé.

Dans ce contexte, l’ANSES a été saisie par la direction générale de l’alimentation, le 13 septembre 2012, d’une demande d’informations complémentaires suite aux avis délivrés par l’agence concernant les caractéristiques des EPI.

En réponse à cette saisine, l’ANSES recommande à l’État d’intégrer dans la réglementation l’exigence, pour le pétitionnaire, de fournir des résultats de tests sur des EPI disponibles sur le marché, réalisés avec le produit phytopharmaceutique dont le dossier est soumis pour autorisation de mise sur le marché.

Permettez-moi de souligner que de tels tests permettraient d’attester, sur la base d’essais normalisés, le respect des objectifs de performance requis pour les équipements de protection contre le produit en question.

Il me semble indispensable qu’une norme harmonisée adaptée aux travailleurs agricoles exposés aux pesticides soit adoptée le plus rapidement possible dans le cadre de la directive européenne EPI, de façon à faciliter la mise à disposition d’équipements de protection individuelle certifiés bénéficiant du marquage « CE ».

Il ne faut pas oublier que ces EPI constituent souvent le dernier rempart entre l’utilisateur et les produits qu’il manipule pouvant occasionner des effets sur sa santé. Il s’agit, en effet, d’éviter l’inhalation de produits, l’exposition par voie cutanée ou l’ingestion.

L’usage des EPI est cependant au cœur de deux problématiques centrales.

Tout d’abord, ces équipements sont peu ou pas utilisés, très souvent en raison d’un manque de praticité.

Ensuite, le port de ces équipements renvoie une image peu valorisante de l’agriculture, notamment à l’égard du voisinage : en effet, ils véhiculent une idée de dangerosité.

Il faut donc améliorer l’efficacité et le confort des EPI pour surmonter les réticences des professionnels à les acheter et à les utiliser.

Il faut également renforcer le rôle de conseil des distributeurs et des coopératives en matière de choix de l’EPI adapté en cas de pulvérisation simultanée de plusieurs produits.

De plus, certains pesticides sont mis sur le marché sans que l’on soit assuré que des EPI adaptés existent. Il est donc nécessaire, madame, monsieur les ministres, de renforcer la coopération entre fabricants de pesticides et fabricants d’EPI, pour permettre, à terme, la conception conjointe du pesticide et de l’EPI correspondant.

Enfin, reste le problème du stockage, de la maintenance et de l’élimination de ces outils de protection, dont la durée de vie est très variable. La mention d’une date de péremption n’est pas toujours suffisante, car l’altération de l’EPI dépend du type d’utilisation qui en est fait.

Ainsi, beaucoup d’utilisateurs, faute de solutions organisées sur l’ensemble du territoire, déposent actuellement les EPI usagés en déchetterie ou même les jettent à la poubelle. Nous devons donc impérativement généraliser à l’ensemble du territoire les opérations de collecte des EPI usagés, en prévoyant une filière spécifique pour les combinaisons. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste.

M. Maurice Antiste. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, madame la présidente de la mission commune d’information, madame la rapporteur, mes chers collègues, ce débat sur les pesticides et leur incidence sur la santé et l’environnement est pour moi l’occasion de saluer le remarquable travail accompli par la mission commune, mais aussi de revenir sur la grève des marins-pêcheurs martiniquais du 20 décembre dernier, lors de laquelle ils ont exprimé leur détresse et leur colère. En effet, ils ont dénoncé les conséquences des nouvelles mesures d’interdiction de pêcher sur une importante partie du littoral atlantique martiniquais, prises en raison de la contamination des langoustes par un pesticide, le chlordécone.

Madame, monsieur les ministres, c’est une grande tragédie qui touche ces professionnels de la pêche, confrontés à une multitude de facteurs qu’ils ne maîtrisent pas et qui compromettent irrémédiablement l’exercice de leur profession. Non seulement ils ne sont aucunement responsables de l’usage de ce polluant, mais ils en sont eux-mêmes les victimes aujourd’hui.

Rappelons que les langoustes blanches et brésiliennes, dont la pêche a été interdite pour une durée indéterminée, sont des espèces dont la commercialisation est rémunératrice par excellence.

Madame, monsieur les ministres, je sais tout l’intérêt du Gouvernement pour ce dossier. Ne laissons pas sombrer un secteur d’activité déjà durement touché par la crise, par l’application de normes européennes de plus en plus contraignantes, par la hausse du prix des carburants et par la concurrence, pas toujours maîtrisée, des autres pays. Je lance donc un appel à la solidarité nationale et à la nécessaire prise de conscience des répercussions de l’utilisation de certains pesticides sur l’ensemble de nos biotopes et sur la santé humaine, ainsi que de ses conséquences sur notre économie.

L’interdiction de la pêche de toutes les espèces de la faune marine dans certaines zones maritimes de la Martinique est le révélateur d’un désastre économique, environnemental, sanitaire plus général, provoqué par le recours massif au chlordécone. L’utilisation de ce produit en outre-mer jusqu’en septembre 1993 – soit trois ans après son interdiction dans l’Hexagone – a eu pour conséquence un empoisonnement dangereux du sol et de l’eau, des fruits, des légumes racines et de certaines viandes. Il convient de noter que, entre 1972 et 1993, environ 6 000 tonnes de curlone, produit contenant 5 % de chlordécone, ont été vendues en Martinique. Ce sont ainsi de 8 000 à 12 000 hectares qui seraient contaminés dans cette île, soit un tiers de la surface agricole utile, et de 6 000 à 8 000 hectares en Guadeloupe, soit un cinquième de cette même surface. Cette contamination est d’autant plus préoccupante et dramatique que sa rémanence dans l’environnement est de l’ordre de 600 ans !

Il convient ici de faire mention, outre des deux plans d’action chlordécone mis en place par le Gouvernement, de la remarquable implication des acteurs locaux, notamment du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD, de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, de l’Institut de recherche pour le développement, l’IRD, de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, de l’université des Antilles et de la Guyane, du Pôle de recherche agro-environnemental de la Martinique et du Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM. Leur action, menée en collaboration avec des équipes nationales et internationales, a permis de réelles avancées en termes de prise de conscience du risque et de réponses scientifiques.

J’ai ainsi assisté aux « journées recherches », en octobre 2012, au cours desquelles a été dressé un bilan d’ensemble de l’application, à mi-parcours, du second plan chlordécone. Si je salue les progrès constatés, je ne perds pas de vue les vives inquiétudes exprimées par certains médecins, à la lumière de leur expérience de terrain, quant à la situation sanitaire. Ils relèvent de nombreux signaux inquiétants augurant d’un danger grave pour l’avenir, tout particulièrement en termes d’hérédité, de perturbations de la fertilité masculine, de baisse régulière du taux de la natalité, d’augmentation constante du nombre de cancers de la prostate, lesquels touchent des hommes de plus en plus jeunes.

Les Antillais paient un très lourd tribut à cette pollution, et le pire est probablement à venir.

M. Joël Labbé. C’est vrai !

M. Maurice Antiste. C’est d’ailleurs pour cela, monsieur le ministre, que je suis opposé à l’épandage aérien des pesticides. Je pense en effet qu’un élu politique doit tenir un discours de vérité. C’est une question de responsabilité. Il faut appliquer le principe de précaution tant que l’innocuité de ces produits ne sera pas démontrée.

Il faut donc trouver d’autres procédés. Je ne peux que vous exhorter à prendre en compte, sans plus tarder, des axes d’intervention prioritaires déjà recommandés dans les rapports parlementaires et les plans chlordécone.

Cependant, la réalisation de ces objectifs ne dispense pas de la recherche des responsabilités ni de la mise en application du principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention et de lutte contre la pollution doivent être supportés par les pollueurs. Les victimes de ce drame écologique, environnemental et économique ne comprendraient pas que ceux-ci soient, d’office, absous.

La Martinique sera, dans les prochaines décennies, un des départements les plus vieux. Aussi le corps médical craint-il de voir se greffer sur les difficultés de la vieillesse des pathologies émergentes au traitement de plus en plus coûteux, telles que le diabète de type 2, l’obésité, l’insuffisance rénale, l’hypertension artérielle et une pathologie cancéreuse multiforme dont l’incidence est régulièrement croissante depuis vingt ans : on dénombre 1 500 nouveaux cas de cancer chaque année, dont 500 cancers de la prostate et 100 cancers du côlon.

Comme vous pouvez le constater, les attentes sont encore fortes. Elles sont à la mesure des enjeux : garantir la sécurité sanitaire et alimentaire des populations, assurer la reconversion de bon nombre d’agriculteurs et de pêcheurs. Ayons à cœur de relever ces défis ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, chers collègues, je tiens à féliciter à mon tour Nicole Bonnefoy et Sophie Primas de leur ténacité et de leur engagement sans faille pour coordonner et animer les travaux de la mission d’information.

Nicole Bonnefoy l’a dit en début d’après-midi, nos travaux se sont concentrés sur l’incidence des pesticides sur la santé des professionnels et de leur entourage, notamment les familles et les riverains, en suivant toujours le même fil rouge : donner la priorité à la protection de la santé des Françaises et des Français contre les risques présentés par l’utilisation des pesticides.

Mal pris en compte jusqu’à présent, et souvent relégué au second plan derrière les considérations économiques, agricoles ou industrielles, l’impératif de santé publique doit désormais occuper la première place : c’est lui qui doit guider, orienter les politiques publiques conduites en la matière et structurer la réglementation juridique encadrant la production, la vente ou l’utilisation des pesticides.

Avant de présenter plus d’une centaine de recommandations, le rapport fait le point sur la dangerosité des produits phytosanitaires, les pesticides, et leurs effets sur la santé humaine. Cette dangerosité n’est plus depuis longtemps, hélas, une hypothèse, mais bien une réalité.

Dans ce contexte, nous avons été amenés à réfléchir sur l’incidence de l’utilisation des pesticides sur le développement de certaines maladies, dont les cancers. Il est encore difficile aujourd’hui d’évaluer la responsabilité exacte des pesticides dans la survenue des cancers, même si de nombreuses études, amples et sérieuses, permettent d’avoir une vue d’ensemble en la matière.

Nous pouvons partir de deux constats.

D’une part, le nombre de nouveaux cas de cancer est en hausse constante depuis les années quatre-vingt, jusqu’à avoir quasiment doublé entre 1980 et 2005. Cette hausse peut s’expliquer de différentes manières, sans rapport avec nos travaux, mais elle peut aussi être reliée à l’exposition croissante à des facteurs de risques, en particulier aux pesticides.

D’autre part, la prévention pourrait, selon le rapport, permettre d’éviter l’apparition de 50 % à 80 % des nouveaux cas de cancer. Cependant, son efficacité dépend de l’identification précise des facteurs de risques et du contrôle de l’exposition à ces derniers.

Afin de poursuivre les recherches actuelles et d’aller plus loin encore, il nous a semblé utile de préconiser la généralisation de la tenue de registres des cancers à l’ensemble des départements et la centralisation des données recueillies à l’échelon national. Une des recommandations de la mission va dans ce sens.

En effet, une douzaine seulement de tels registres locaux, dont celui de mon département, la Loire-Atlantique, permettent aujourd’hui de fournir des données précises et exhaustives en termes d’incidence du cancer. Ces registres sont indispensables pour évaluer l’efficacité des programmes de prévention, connaître la fréquence et l’évolution des cancers, ainsi que mieux identifier les causes ou facteurs de risques.

Cela étant, l’incidence des pesticides sur la santé des hommes et des femmes ne s’arrête pas à l’apparition de cancers. En effet, de nombreux pesticides sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens, n’agissant pas du tout comme les produits toxiques classiques et présentant des effets néfastes même à de très faibles doses.

Nous devons entreprendre, parallèlement au développement de la recherche, une démarche préventive passant par la limitation de l’usage des substances incriminées. Un pas significatif dans cette direction a été franchi en fin d’année dernière par le Sénat concernant le bisphénol A. Nous devons maintenant aller plus loin, s’agissant cette fois des pesticides !

La mission a recommandé, dans cette perspective, d’interdire l’emploi de femmes en âge de procréer sur les postes de travail exposés aux pesticides, les effets des perturbateurs endocriniens étant particulièrement sensibles en début de grossesse. Nous avons également proposé d’adopter rapidement une méthode d’évaluation des perturbateurs endocriniens.

Vous le voyez, le chemin est encore long. Nous devons poursuivre ce travail avec la volonté de faire passer la santé publique avant tout le reste, l’intérêt général avant les intérêts particuliers.

Le chemin est long, mais une étape importante vient d’être franchie : je me réjouis, ainsi que la plupart de mes collègues, qu’un nombre important de nos recommandations aient été saluées par M. le ministre de l’agriculture et Mme la ministre de la santé, qui se sont engagés à les mettre en application.

Le travail devra se poursuivre de manière transversale entre les ministères, entre les disciplines, entre les acteurs de la santé et ceux du monde agricole, l’objectif étant de changer les mentalités, les comportements et les habitudes, pour vivre bien, pour vivre mieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord vous remercier de la qualité de ce débat sur un sujet important, qui préoccupe l’ensemble des Français.

Mon collègue Stéphane Le Foll répondra aux interventions qui portaient plus particulièrement sur les questions agricoles. Je me contenterai d’aborder les questions concernant plus directement mon ministère.

M. Le Cam, Mme Alquier et M. Houpert ont évoqué l’enjeu de faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles liées à l’utilisation de pesticides, notamment en formalisant des procédures pour les personnes ayant cotisé à la fois au régime général et au régime agricole. Nous sommes en train d’y travailler avec le ministère de l’agriculture. En outre, il nous faut harmoniser les procédures de reconnaissance des maladies professionnelles au sein des commissions régionales. Il s'agit d’une question tout à fait importante.

Plusieurs interventions ont porté sur les perturbateurs endocriniens et, de façon plus générale, sur les diverses maladies liées aux pesticides, les cancers en particulier. Mme Meunier a évoqué ce point de façon plus spécifique, en regrettant qu’il n’existe pas davantage de registres des cancers. S’agit-il du meilleur outil pour recueillir les informations dans ce domaine ? Cette question fait débat. En tout cas, elle sera mise à l’étude dans le cadre de l’élaboration du prochain plan cancer, car nous devons progresser sur ce plan.

Par ailleurs, le débat sur les perturbateurs endocriniens a pris une grande importance au cours des dernières années. Mme Meunier, M. Barbier et Mme Rossignol ont évoqué ce sujet. Nous n’avons plus guère de doutes sur les effets de ces substances : ils sont désormais connus et parfaitement identifiés. Je ne reviendrai pas ici sur le travail qu’a accompli le Parlement sur le bisphénol A.

Nous sommes en train de définir une stratégie nationale interministérielle s’agissant des perturbateurs endocriniens. La mise en place d’un groupe d’experts devrait nous permettre d’avancer sur ce sujet.

Mme Rossignol et M. Labbé, notamment, se sont demandé comment nous allions garantir l’indépendance de l’expertise. Tout d’abord, nous allons instituer un comité de déontologie et une procédure interne comportant des règles précises en matière d’expertise. Nous élaborerons ensuite une charte de l’expertise. Un décret actuellement examiné par le Conseil d’État permettra de fixer des règles générales pour ce qui concerne les expertises relevant du champ sanitaire, en matière de modalités de choix des experts, de processus d’expertise, de relations entre les experts et le pouvoir de décision, de définition de la notion de liens d’intérêts, de traitement des éventuels conflits d’intérêts. Il s’agira, me semble-t-il, d’une avancée significative.

Monsieur Antiste, le chlordécone est un cas d’école parfaitement identifié. Voilà quelques jours, j’ai eu l’occasion d’évoquer avec mon collègue Victorin Lurel l’aspect sanitaire de cette question, qui recouvre également des enjeux financiers et agricoles tout à fait importants.

En lien avec l’InVS, le ministère des affaires sociales et de la santé s’est fortement impliqué dans l’évaluation et la prise en charge du problème. L’InVS a ainsi lancé cette année une étude, financée à hauteur de quelque 250 000 euros par mon ministère. En outre, des actions de prise en charge des personnes affectées par le chlordécone ont été mises en place, sachant que nous concentrons l’essentiel de nos efforts sur la prévention.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie une nouvelle fois de votre engagement et des travaux d’une importance décisive que vous avez menés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. –M. Henri Tandonnet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. À mon tour, je voudrais vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de la qualité de vos interventions. L’ensemble des sujets abordés dans le rapport de la mission commune d’information appellent des décisions.

Le cas de l’utilisation du chlordécone aux Antilles illustre parfaitement la nécessité de prendre la mesure des conséquences de moyen et long terme pouvant découler de l’emploi de produits phytosanitaires. C’est l’exemple-type, résultant d’un modèle de production mettant l’accent sur le seul rendement, de ce qu’il ne faut surtout plus jamais faire. Dans le cadre du plan « banane durable », nous serons très vigilants sur cette question, sachant que la production de bananes antillaise est l’une de celles qui recourent le moins aux insecticides et aux pesticides.

De ce point de vue, l’objectif est d’en finir avec les épandages aériens. Pour ce qui concerne la banane et le maïs, sur la période 2008-2012, les surfaces concernées par ce type d’épandage ont diminué de 75 % et de 90 % respectivement. Des progrès ont donc déjà été enregistrés, mais, je le répète, l’objectif du Gouvernement est de mettre fin à cette pratique.

En ce qui concerne les autorisations de mise sur le marché, je l’ai dit, assurer la clarté des protocoles d’évaluation et la prévention des conflits d’intérêts sera une priorité. Par ailleurs, en aval de la mise sur le marché, la phytovigilance est aussi un objectif prioritaire du plan Écophyto 2018, que le Gouvernement a souhaité renforcer, conformément à l’engagement que j’ai pris devant le comité national d’orientation et de suivi de ce plan.

En outre, toute autorisation de mise sur le marché nécessitera désormais un avis de l’ANSES, qui précisera l’EPI correspondant à la molécule ou au produit autorisé.

Concernant la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires, j’ai pris l’engagement, en ma qualité de ministre de l’agriculture, de maintenir l’objectif d’une diminution de 50 % à l’horizon 2018. Nous prendrons la mesure au fil du temps des progrès réalisés, ceux-ci dépendant d’abord de notre capacité à promouvoir de nouveaux modèles de production. Si l’on devait en rester aux itinéraires techniques actuels, il serait extrêmement difficile d’atteindre notre objectif de réduction de l’emploi des produits phytosanitaires. Nous devons être capables d’ouvrir de nouvelles perspectives, de faire en sorte que les agriculteurs prennent conscience que l’on peut produire autrement. Le développement de l’agro-écologie représente un enjeu essentiel.

L’adoption à l’unanimité du rapport de la mission commune d’information montre que le moment est propice pour franchir ce pas. En tout cas, je prends devant vous l’engagement d’orienter dans cette direction les mesures que nous devrons prendre, rapidement car cette question ne peut pas être laissée pendante. Nous devons prendre nos responsabilités, compte tenu des enjeux en cause en matière de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

6

Débat sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes, organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective (rapport d’information n° 638 [2011-2012]).

Dans le débat, la parole est à Mme la rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.

Mme Fabienne Keller, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai le plaisir de vous présenter un rapport sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes, dont la rédaction m’a été confiée par la délégation sénatoriale à la prospective, présidée par Joël Bourdin.

Ce travail fait suite à plusieurs autres rapports portant sur des sujets connexes. Je voudrais notamment citer le rapport d’Alain Milon sur l’utilisation des fonds mobilisés pour la lutte contre la grippe H1N1, intitulé « La gestion d’une crise sanitaire : la pandémie de grippe A », qui lui-même faisait suite à un rapport de la Cour des comptes sur le même thème. Je pense également au rapport de Marie-Christine Blandin et Jean-Pierre Door sur la mutation des virus et la gestion des pandémies, publié en 2010, ainsi qu’aux travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur la grippe H1N1 ou aux rapports de Nicole Bricq et du député Yves Bur sur les agences sanitaires.

À titre plus personnel, j’avais été sensibilisée au sujet des maladies infectieuses émergentes lorsque j’avais suivi le projet de création d’une unité de recherche et de formation à Kinshasa. Le bassin du Congo est en effet un territoire où apparaissent de nombreuses maladies.

J’ai effectué différents déplacements dans les pays du Sud et participé à un symposium organisé au Gabon. J’ai bien sûr eu l’occasion de rencontrer de très nombreux chercheurs et praticiens, tant européens qu’africains et asiatiques. J’ai consacré un certain temps à l’analyse de la tuberculose en Inde ; je reparlerai de cette maladie, puisqu’elle est en train de faire son retour en Europe.

À la fin du mois de mai dernier a été organisé au Sénat un atelier de prospective, retransmis par la chaîne Public Sénat, auquel ont participé, au côté de parlementaires, une centaine de représentants des grandes disciplines concernées : historiens, philosophes, ethnologues, communicants, épidémiologistes, microbiologistes cliniciens, géographes. Je veux les remercier ici de l’intérêt qu’ils ont porté à ce sujet sensible. Leurs regards croisés apportaient un éclairage absolument passionnant sur le sujet des maladies infectieuses.

La menace des maladies infectieuses est profondément ancrée dans la mémoire des populations. La dernière grande pandémie grippale de 1918 reste très présente dans les esprits, comme l’illustrent magnifiquement ces lignes du roman de Jérôme Ferrari intitulé Le Sermon sur la chute de Rome :

« Un vent fétide se levait et portait depuis la mer et les plaines insalubres les miasmes d’une grippe mortelle, balayant les villages et jetant par dizaines dans les fosses creusées à la hâte ceux qui avaient survécu à la guerre, sans que rien pût l’arrêter, comme la mouche venimeuse des légendes anciennes, cette mouche née de la putréfaction d’un crâne maléfique et qui avait surgi un matin du néant de ses orbites vides pour exhaler son haleine empoisonnée et se nourrir de la vie des hommes jusqu’à devenir si monstrueusement grosse, son ombre plongeant dans la nuit des vallées entières, que seule la lance de l’Archange pût enfin la terrasser. L’Archange avait depuis longtemps regagné son séjour céleste d’où il restait sourd aux prières et aux processions, il s’était détourné de ceux qui mouraient, à commencer par les plus faibles, les enfants, les vieillards, les femmes enceintes […]. »

Pour autant, on peut aujourd’hui se demander s’il faut encore attacher une attention particulière à des maladies qui ont disparu ou que l’on sait désormais traiter grâce aux progrès de la médecine depuis un siècle – la vaccination ou la découverte des antibiotiques, notamment – et à l’amélioration de la nutrition. Après tout, à l’exception du sida, qui a encore fait près de 2 millions de morts l’an dernier, les décès dus à ces maladies ne représentent plus, et c’est heureux, qu’un faible pourcentage de la totalité des décès, bien inférieur à celui des décès imputables aux accidents de la route, au diabète ou à l’alcoolisme.

Si l’on s’en tenait aux statistiques, la cause serait entendue et l’on pourrait imaginer que l’intérêt persistant pour ces maladies ne relève en définitive que de l’inconscient collectif, de ces peurs irraisonnées qui franchissent la barrière des générations et nous renvoient aux ténèbres de l’humanité.

Néanmoins, et c’est sur ce point que je veux insister, les spécialistes continuent de s’inquiéter. À l’occasion de la pandémie grippale H1N1 de 2009, l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, a lancé la première alerte sanitaire mondiale, et, en 2002, l’apparition du SRAS, qui a causé la mort de près de 500 personnes en quelques mois, a mis toute la communauté scientifique en émoi. Comme le disent si bien les chercheurs de l’Institut Pasteur, nous avons eu de la chance, parce qu’il s’agissait d’un virus très dangereux mais heureusement faiblement contagieux et à incubation lente. Il en aurait été tout autrement avec un virus non seulement très dangereux mais également très contagieux et à incubation rapide.

Ce qui frappe le plus quand on observe les pandémies, c’est à la fois la particularité de chaque type de maladie et la globalité des effets, désormais susceptibles d’atteindre l’ensemble de la population mondiale, dans le contexte actuel de multiplication des transports de personnes et des échanges de biens et de services. Je partage évidemment le point de vue du Président de la République,…

M. Roland Courteau. Voilà une bonne chose !

Mme Fabienne Keller, rapporteur. … qui observait le mois dernier, lors de l’inauguration du nouveau centre des maladies infectieuses émergentes de l’Institut Pasteur, à Paris, que les virus franchissaient les frontières sans présenter leurs papiers d’identité.

En effet, et c’est bien là le point central de notre sujet, les maladies infectieuses sont à l’origine d’au moins 14 millions de décès dans le monde chaque année, même en l’absence d’épidémies déclarées, 90 % de ces décès survenant dans les pays du Sud, où ils représentent 43 % des morts par maladie. Si la prévalence de ces maladies est nettement plus faible dans les pays du Nord, leur occurrence y a cependant progressé de 10 % au cours de ces quinze dernières années.

De même, le nombre de maladies émergentes est en progression, avec 335 nouvelles maladies découvertes entre 1940 et 2004, dont 60 % sont d’origine animale, les trois quarts de celles-ci provenant de la faune sauvage. Les virus les plus connus, tels le chikungunya, le monkeypox, l’orothovirus, Ébola ou celui de la fièvre de la vallée du Nil, n’ont été identifiés qu’à partir de la deuxième moitié du XXe siècle. Or l’efficacité des antibiotiques découverts au XXe siècle diminue parallèlement de manière drastique et il n’est pas anodin qu’aucune nouvelle classe d’antibiotiques n’ait été élaborée depuis trente ans.

Face à des épidémies majeures, nos sociétés pourraient ainsi se trouver fort dépourvues. L’espoir des chercheurs réside dans le séquençage à haut débit des nouveaux virus, bien plus que dans la mise au point de vaccins adaptés, qui demande de longs mois, parfois des années, avant leur exploitation. Ne seraient donc disponibles, pour faire face à la crise sanitaire, que des méthodes très traditionnelles de santé publique, comme la quarantaine, les mesures élémentaires d’hygiène, les changements de pratiques ou de comportements quotidiens.

Mais nos sociétés sont-elles prêtes à se soumettre à ce type de changements ? Pourrait-on appliquer ces mesures traditionnelles dans notre société du XXIe siècle, complexe, mobile, éclatée, parcellisée, en crise ? Jadis, dans le port de Marseille, on n’autorisait les navires à accoster qu’après de longs mois d’isolement, le temps que les personnes contaminées meurent à bord. Comment communiquer efficacement sur le risque et l’incertitude, étant donné le rôle que jouent les nouveaux médias, notamment Internet ? Comment garantir un accès équitable aux ressources en cas de crise dans des sociétés démocratiques ?

Ces questions justifient à tout le moins un début de réflexion et de mise en commun des expériences des uns et des autres, chercheurs, cliniciens, médecins, journalistes, transporteurs, responsables de la sécurité et, bien sûr, politiques.

Pour dessiner les évolutions possibles et identifier les principaux leviers d’action, mon travail a consisté à examiner les tendances des principaux facteurs ou variables propices à l’émergence de maladies infectieuses.

Le premier de ces facteurs est évidemment l’évolution de la population mondiale, qui dépasse aujourd’hui 6,5 milliards d’habitants et atteindra, d’ici à 2050, 9 milliards d’habitants, concentrés dans de vastes mégalopoles où les transmissions interhumaines de virus se trouvent facilitées.

Ensuite, des pratiques agricoles telles que la déforestation, les élevages intensifs, de porcs en particulier, ou les déplacements d’animaux entre les forêts et les villes modifient les écosystèmes et favorisent les contacts entre les hommes et la faune sauvage, notamment en Afrique et en Asie. Or j’indiquais tout à l’heure que près des deux tiers des maladies proviennent des animaux.

Il y a aussi la mondialisation des échanges, de personnes ou de biens, qui contribue à la diffusion de vecteurs épidémiques tels que les moustiques, à l’origine de l’apparition du chikungunya dans le sud de la France – en l’occurrence, il s’agit d’Aedes albopictus – ou du virus de la fièvre de la vallée du Nil aux États-Unis.

Signalons encore le facteur du changement climatique, qui explique le pullulement des bactéries borrélies, agents de transmission de la maladie de Lyme, dans le sud de l’Allemagne et dans l’est de la France, y compris aux portes mêmes de la capitale, en forêt de Sénart.

On peut évoquer par ailleurs les déplacements de populations, notamment en Afrique, soit qu’elles y soient obligées pour quitter un environnement devenu trop aride pour les troupeaux, soit qu’elles soient chassées de leur terre d’attache par des conflits ethniques, des guerres civiles ou, simplement, la pauvreté.

Je pense enfin à l’évolution défavorable de certains comportements, qu’il s’agisse d’un recours excessif aux antibiotiques, dont on sait pourtant qu’il accroît le phénomène de résistance, ou du rejet de la vaccination, dont on ne peut que déplorer la persistance, notamment quand il vient du milieu médical lui-même.

Les conséquences de l’action de ces principaux facteurs, nous les connaissons : on constate aujourd’hui la réapparition de maladies que l’on croyait oubliées, telles que la peste, le choléra – pensez à Haïti –, la tuberculose, notamment en région parisienne, la diphtérie, la rougeole, la coqueluche…

J’ai prêté une attention toute particulière aux exercices de prospective menés à l’étranger, notamment au Royaume-Uni ou en Asie, avec les travaux réalisés en Chine et par l’Organisation économique de la zone Asie-Pacifique à la suite de l’épidémie de SRAS. Ces pays se sont mobilisés pour être mieux préparés à la reproduction d’un événement de ce type.

J’ai conclu de ces travaux très approfondis qu’il est impossible d’identifier des scénarios globaux, tant les évolutions des maladies sont complexes en fonction de chaque facteur, selon les zones géographiques, le climat ou les choix politiques effectués sur des variables qui peuvent être volontaristes, satisfaisantes, tendancielles ou négatives. À cet égard, je vous invite à consulter le blog que nous avons créé sur ce sujet, dans lequel figure un petit jeu de simulation d’une pandémie qui est absolument effrayant. Il permet en particulier de mesurer les effets des choix politiques et de différents facteurs sur l’évolution et la diffusion de la maladie.

Mes chers collègues, il nous faut donc reconnaître notre ignorance quant à la nature du scénario auquel nous pourrions être un jour confrontés, comme l’écrivait déjà en 1922, de manière prophétique, le microbiologiste français Charles Nicolle :

« Il y aura donc des maladies nouvelles. C’est un fait fatal. Un autre fait, aussi fatal, est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine. Lorsque nous aurons notion de ces maladies, elles seront déjà toutes formées, adultes pourrait-on dire. Elles apparaîtront comme Athéna parut, sortant tout armée du cerveau de Zeus. Comment les reconnaîtrons-nous, ces maladies nouvelles, comment soupçonnerions-nous leur existence avant qu’elles n’aient revêtu leurs costumes de symptômes ? Il faut bien se résigner à l’ignorance des premiers cas évidents. Ils seront méconnus, confondus avec des maladies déjà existantes et ce n’est qu’après une longue période de tâtonnements que l’on dégagera le nouveau type pathologique du tableau des affections déjà classées. »

C’est la raison pour laquelle j’ai la conviction profonde que le seul scénario important auquel il y a lieu de se préparer par des exercices d’anticipation est le scénario catastrophe, c’est-à-dire celui de l’apparition d’une maladie jusqu’alors inconnue, à incubation rapide, à forte létalité, à transmission interhumaine par voie aérienne à distance plutôt courte, et pour laquelle on ne dispose d’aucun traitement.

On ne peut évidemment s’empêcher de penser à un acte de bioterrorisme associant, dans un triptyque infernal, le SRAS, la grippe pandémique et la dissémination de la variole contre laquelle, je le rappelle, la population mondiale n’est plus protégée.

C’est pourquoi nous avons dressé, dans le rapport de la délégation sénatoriale à la prospective, une liste de cinquante-trois propositions établies sur la base des recommandations faites par les spécialistes consultés, notamment ceux qui s’étaient penchés en 2011 sur les perspectives en matière de maladies infectieuses émergentes en santé humaine, sous l’égide du Haut Conseil de la santé publique.

Nous avons également identifié dix leviers d’action auxquels pourraient recourir les pouvoirs publics. Si je devais résumer en trois mots l’ensemble de nos propositions, ce seraient, et les journalistes l’ont bien noté, les suivants : informer, prévenir, coordonner.

M. Roland Courteau. Et ne pas affoler !

Mme Fabienne Keller, rapporteur. Pour ce qui concerne la préparation de la société, il est essentiel de tenir compte des contraintes des populations : si l’on souhaite promouvoir la prévention et la réaction, comment construire un modèle dynamique, interactif et flexible ? La réponse passe par le recours aux modes de communication offerts par les nouveaux outils de l’Internet. Sur ce point, mes chers collègues, tout reste à faire.

S’agissant des choix politiques, les actions à entreprendre sont nombreuses. Il convient d’adapter les systèmes de santé en concevant des outils d’alerte appropriés, en organisant, hors des périodes d’épidémie, la gouvernance que ces systèmes devront respecter pendant la crise sanitaire, en renforçant les soins, la recherche et la formation dans les pays du Sud,…

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Fabienne Keller, rapporteur. … en définissant les priorités de la recherche sur les maladies infectieuses, ces priorités ne pouvant relever de la seule décision des industriels de la santé. Sur ce point, par exemple, nous sommes très mal outillés pour lutter contre la tuberculose, parce que pendant longtemps cette maladie n’a plus concerné que les pays du Sud, et non les pays solvables ; nous avons ainsi pris plus de dix ans de retard en matière de prévention.

J’ai mené ce travail de réflexion et d’enquête avec une équipe restreinte, mais j’ai pu compter sur l’aide désintéressée et très efficace des chercheurs, des praticiens, des universitaires des principales disciplines concernées, à qui je renouvelle l’expression de ma gratitude. Je salue d’ailleurs la présence dans nos tribunes du professeur Catherine Leport, qui dirige un groupe de travail sur ce sujet au sein du Haut Conseil de la santé publique.

Je suis consciente que ce travail reste très en deçà de ce que pourrait être un exercice national de prospective mettant en relation tous les métiers et toutes les professions concernés avant que ne survienne une nouvelle pandémie.

C’est à ce type d’exercice que se sont livrés les Britanniques en 2002, avec l’appui d’environ trois cents spécialistes réunis autour d’une dizaine de thèmes centraux. C’est un exercice assez comparable que les États-Unis réalisent systématiquement chaque année. C’est pourquoi, madame la ministre, je me permets de plaider auprès de vous pour que notre pays s’engage dans la même voie.

Coordonnés par une équipe restreinte pluridisciplinaire, les représentants de toutes les professions concernées apprendraient d’abord à se connaître, voire à se respecter, à échanger leurs pratiques et à développer des réflexes communs. Je pense aux professions de la santé, bien sûr – non seulement publiques, mais aussi privées, à commencer par la médecine de ville –, ainsi qu’à celles de la sécurité, de la communication, des transports – de nombreux agents pathogènes voyagent avec les marchandises –, des collectivités territoriales, de l’enseignement, du tourisme.

Ces représentants des professions se concerteraient, au sein de plusieurs groupes de travail, sur quelques exercices de simulation, par exemple d’un retour du H1N1, avec peut-être des variantes en termes de létalité ou de gravité de la maladie, ou du développement du chikungunya dans le sud-ouest de la France. Ils pourraient également travailler sur des thématiques transversales, comme l’usage des réseaux sociaux en phase épidémique, les règles de la communication de crise, la médecine des voyages, notamment pour les destinations les plus à risques, l’interaction entre la santé humaine et la santé animale. À cet égard, je voudrais rendre hommage aux compétences existant aujourd’hui, notamment à l’INRA, en matière de santé animale.

Je forme le vœu que cette proposition d’instaurer un exercice de prospective, souhaité également, au mois de décembre dernier, en conclusion du séminaire du Val-de-Grâce, qui a été créé sur l’initiative de spécialistes des maladies infectieuses émergentes et regroupe les agences sanitaires françaises et de nombreux autres partenaires d’autres professions, reçoive un accueil favorable de la part du Gouvernement.

Les moyens à mettre en œuvre pour réaliser cet exercice sont modestes et ils permettraient sans doute d’éviter dans le futur des dépenses et, surtout, des dégâts humains qui risquent d’être considérables en l’absence d’anticipation d’un événement hélas prévisible.

Je ne doute pas que vous aurez à cœur, madame la ministre, de nous apporter, surtout d’apporter à nos concitoyens, des assurances sur ce point. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le président de la délégation sénatoriale à la prospective.

M. Joël Bourdin, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, chers collègues, je suis particulièrement heureux que, ce soir, pour la première fois depuis la création, en 2009, de la délégation sénatoriale à la prospective, l’un de ses rapports ait les honneurs d’un débat en séance publique.

Nous avions sollicité la tenue d’un tel débat auprès de la conférence des présidents, voilà plusieurs semaines, eu égard au sujet, éminemment sensible, exposé à l’instant avec le talent qu’on lui connaît par notre collègue Fabienne Keller.

La menace épidémique est évidemment un risque auquel tous nos concitoyens sont potentiellement exposés. Ils attendent du Gouvernement et de l’ensemble des pouvoirs publics les mesures de protection et de prévention qu’une situation aussi grave exigerait.

C’est pourquoi j’appuie avec beaucoup de détermination la demande de notre rapporteur que soit conduit un exercice de prospective « grandeur nature », pour que chacun soit préparé, sur le terrain et non pas simplement en théorie, à faire face à un tel événement. Nous attendons donc, avec grand intérêt, d’entendre la réponse que nous fera dans quelques instants, sur cette préconisation, Mme la ministre chargée de la santé.

Je profiterai du temps de parole que je dois à ma qualité de président de la délégation sénatoriale à la prospective pour vous donner quelques indications sur le travail, original, que nous effectuons.

Peut-être l’ignorez-vous, mais cette structure est une spécificité de notre assemblée au sein du Parlement, puisque l’Assemblée nationale n’en dispose pas, du moins pas encore. Je veux souligner l’importance de la prospective, c’est-à-dire la recherche approfondie, aussi scientifique que possible, grâce à la construction de scénarios, sur ce que pourraient être notre société, notre économie, notre population à un horizon très lointain, en tout cas plus lointain que celui de nos lois financières annuelles.

Cette importance, le Parlement finlandais, précurseur en la matière, l’a d’ailleurs parfaitement perçue, puisqu’il a déjà constitué, en son sein, une commission de l’avenir, à caractère permanent, qui se consacre intégralement à la prospective. Le Premier ministre finlandais, lorsqu’il prononce son discours programmatique annuel devant le Parlement, doit présenter une vision de la Finlande à l’échéance de quinze ans : c’est dire que la prospective fait vraiment partie de la culture du Parlement finlandais.

Nous n’en sommes pas encore là dans notre pays, même si j’observe que de plus en plus d’entreprises, de ministères, d’institutions se dotent désormais de cellules de réflexion à long terme. À l’inverse, nous parlementaires avons plutôt le sentiment de voter, le plus souvent dans l’urgence, des mesures de court terme qui brouillent une vision globale à échéance plus lointaine.

La suppression du Commissariat général du plan, en 2006, nous a probablement privés d’un outil précieux pour apprécier les enjeux de long terme. Certes, son mode de fonctionnement pouvait sembler dépassé dans le contexte de mondialisation et de globalisation économique ; certes, cet organisme avait quelque peu vieilli, mais peut-être aurait-on pu envisager de le réformer. Nous avons pris conscience de cet état de fait, notamment grâce au travail de sensibilisation de notre collègue Jean-Pierre Raffarin.

C’est la raison pour laquelle notre délégation vient de tenir, le 5 décembre dernier, une grande réunion sur le thème de l’avenir de la planification stratégique. Cette réunion de travail a été organisée conjointement avec le Conseil économique, social et environnemental, qui, une année après nous, a également créé en son sein une structure dédiée à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques. Nous publierons, d’ici à deux semaines, le compte rendu des débats très instructifs qui se sont tenus à cette occasion.

J’observe d’ailleurs, pour m’en féliciter, que le Gouvernement a établi un constat identique au nôtre. Avant l’été, le Premier ministre a fait état, lors de la grande conférence sociale, de la nécessité de disposer, au niveau national, d’une structure de réflexion prospective à même d’aider à la prise de décision politique. Il a confié le soin d’y réfléchir à une commission présidée par Mme Yannick Moreau. Sur le fondement de son rapport, rendu le mois dernier, un commissariat à la prospective et à la stratégie devrait donc être créé prochainement. Nous suivrons évidemment son installation et ses débuts avec la plus grande attention.

Pour conclure, je souhaite que cette première expérience de débat public sur les travaux de notre délégation soit renouvelée. Nous venons d’ailleurs d’adopter un rapport consacré à l’avenir des campagnes, sujet auquel je ne doute pas que mes collègues sénateurs soient tout particulièrement attachés : ce rapport pourrait utilement faire l’objet d’échanges au sein de notre hémicycle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet de ce débat, qui a fait l’objet d’un rapport d’information rédigé par notre collègue Fabienne Keller au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, est particulièrement intéressant.

Je me réjouis d’ailleurs que ce rapport, malgré une méthodologie qui aurait pu aboutir à des conclusions catastrophistes, fasse preuve, au contraire, d’une grande mesure dans son évaluation tant des causes que des risques possibles. Ce sujet fait depuis quelques années l’objet de nombreux travaux de nature scientifique, cités dans le rapport. Cet intérêt légitime résulte, sans doute, de la recrudescence de crises sanitaires durant les dernières années, liées précisément à des maladies infectieuses émergentes ou réémergentes. Je pense notamment au rapport rendu public en 2010 par le Haut Conseil de la santé publique, intitulé « Les maladies infectieuses émergentes : état de la situation et perspectives ». Les chercheurs n’ignorent rien de la situation et des différentes évolutions possibles.

Voulant éviter toute redondance avec ces études et afin de permettre aux parlementaires, ainsi qu’à l’ensemble des décideurs publics, de prendre les meilleures décisions, la rapporteur a fait le choix judicieux d’adopter une approche prospective non scientifique. Ce choix répond aux besoins de la France ; c’est d’ailleurs la voie empruntée récemment par d’autres pays voisins du nôtre, comme le Royaume-Uni.

Sur la base de ce travail, dont chacun s’accordera à reconnaître la qualité, notamment parce qu’il permet à toutes et tous de mesurer les enjeux liés aux maladies infectieuses émergentes, même en l’absence de connaissances médicales, la rapporteur formule dix propositions, auxquelles nous souscrivons. Pour autant, si elles sont pertinentes et reprennent une partie des préconisations formulées dans le passé par d’autres organismes, comme l’Organisation mondiale de la santé, nous regrettons que ces recommandations ne soient pas plus ambitieuses.

Nous considérons, pour notre part, que ces dix préconisations ne sauraient constituer le terme de la réflexion en la matière ; elles doivent, au contraire, servir de point de départ pour nous permettre de prendre toute la mesure de l’importance du sujet et pour nous inciter à élaborer des projets politiques susceptibles de réduire, à la fois, les risques et les facteurs facilitants ou déclenchants. Je citerai quelques exemples pour illustrer mon propos.

La deuxième préconisation du rapport est d’« agir sur tous les facteurs d’émergence et de propagation des maladies infectieuses » pour ralentir – ou, mieux, inverser – les grandes tendances observées. Nous ne pouvons que souscrire à cette proposition, même si nous craignons qu’elle ne reste qu’un vœu pieux, en l’absence de mesures concrètes relevant d’une autre politique économique, financière et de coopération.

Comment, par exemple, s’attaquer à la misère, qui constitue un facteur majeur de propagation des maladies émergentes infectieuses, sans rompre radicalement avec les politiques qui endettent les pays du Sud et les privent de toute capacité d’action ?

Le processus de réduction de la dette des pays les plus pauvres est notable, mais largement insuffisant. Les pays en développement ont passé des années à rembourser des milliards de dollars de dettes, ce qui les a privés de toute capacité d’action. La situation est telle que de nombreux pays ont fini par dépenser plus pour rembourser leurs anciennes dettes que pour investir dans la santé et l’éducation réunies. Le cas du Lesotho est frappant à cet égard : ce pays a payé 47 millions de dollars à ses créanciers en 2006, une somme qui correspond aux deux tiers de l’aide au développement qu’il reçoit chaque année.

La huitième proposition de notre collègue, « réguler les mouvements de praticiens de la santé des pays du Sud vers les pays du Nord », afin d’éviter que les premiers ne souffrent de l’apparition de déserts médicaux d’origine économique, est elle aussi pertinente. Pour lui donner une traduction concrète, il faudrait que la communauté internationale prenne des décisions ambitieuses. Tout doit être mis en œuvre pour soutenir le développement de structures sanitaires de proximité voulues, construites et dirigées par les populations locales. Or cette volonté est en totale contradiction avec les politiques menées conjointement par le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce et la Réserve fédérale américaine. Ces trois institutions ne consentent à aider financièrement les pays les plus pauvres qu’à la condition que leurs États opèrent des réductions budgétaires massives, qu’ils privatisent et ouvrent des secteurs jusque-là publics à des entreprises privées dont la plupart ne sont pas nationales. Les domaines de l’eau potable, de l’éducation et de la santé sont parmi les plus concernés.

Un article publié dans Marianne en 2010 relate comment ce mécanisme a joué aux Philippines et les conséquences qui en ont résulté pour la population. Dans ce pays, le système de santé public a longtemps été considéré comme performant, les pauvres y étaient bien soignés, et ce gratuitement. Dans les années quatre-vingt, le gouvernement, sous l’impulsion des institutions financières internationales, l’a privatisé. Depuis, les malades pauvres ne sont plus soignés, les salaires des personnels de santé n’ont plus évolué, la masse salariale a été limitée et les investissements matériels réduits au minimum.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Isabelle Pasquet. L’article conclut en ces termes : « Cette situation a provoqué une pénurie de personnel encore plus grave, car les étudiants en médecine partaient directement pour l’étranger dans l’espoir d’y trouver de meilleures conditions et un meilleur salaire. Sur une période de dix ans qui a suivi la privatisation, plus de 100 000 infirmiers et 5 000 médecins sont partis à l’étranger. De fait, de nombreux hôpitaux ont fermé ou ont réduit leurs activités par manque d’effectifs. »

Nous soutenons également l’idée qu’il faut, pour limiter les risques, repenser les politiques agricoles au plan mondial. La déforestation massive en Amazonie, en Indonésie, à Madagascar ou en Afrique tropicale, principalement justifiée par le besoin d’extension des surfaces agricoles destinées à la production d’agrocarburants ou d’huile de palme, est un facteur aggravant. Outre que cette pratique joue un rôle dans le développement des maladies infectieuses, qu’attendons-nous donc pour exiger de l’OMC et de l’OMS qu’elles interdisent la vente de produits dont tout le monde sait qu’ils sont dangereux pour la santé et abîment considérablement la planète ?

Mme Isabelle Pasquet. Qu’attendons-nous pour soutenir de manière massive les projets agricoles destinés, dans les pays du Sud, à redonner aux terres leur vocation initiale, celle de nourrir la population locale ? En 2010, au Ghana, la quasi-totalité de la production agricole était destinée à l’exportation, et le pays importait du riz d’Amérique, alors qu’il en exportait seulement dix ans auparavant. Ce système affame les peuples. La malnutrition, qui fragilise des populations déjà exposées aux maladies, est une conséquence de la transformation des matières premières en valeur spéculative, au nom d’une seule loi, celle des marchés.

Il faut également revenir à une agriculture plus raisonnable, favorisant les circuits courts, ainsi qu’une utilisation raisonnée des pesticides et, dans l’élevage, des antibiotiques. On ne peut pas regretter l’usure des sols, sur lesquels les maladies prospèrent, et dénoncer la diminution permanente de l’efficacité de l’antibiothérapie sur les humains, tout en continuant à soutenir économiquement et à favoriser les élevages en batterie, qui, pour faire face aux risques élevés de mort des animaux – et donc de pertes financières –, recourent massivement aux antibiotiques.

Faute de temps, je ne peux développer ici nos réflexions sur d’autres sujets, comme les conséquences du réchauffement climatique sur l’accroissement des risques infectieux, signalées à juste titre dans le rapport de notre collègue. Toutefois, chacun aura compris le sens de mon intervention : les propositions contenues dans le rapport sont judicieuses, mais elles ne peuvent être pertinentes et pleinement efficaces que dans le cadre d’un important changement de société, de repères et de priorités. Pour notre part, nous appelons ce changement de nos vœux. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat fait suite à la remise du rapport établi par notre collègue Fabienne Keller, dont je salue la qualité du travail, au nom de la délégation à la prospective. Certains pourront trouver ce rapport très préoccupant, nous préférons le considérer, au contraire, comme très encourageant.

Il est encourageant, d’abord, d’un point de vue formel. Comme vient de le dire le président de la délégation sénatoriale à la prospective, ce débat est une première et valide une démarche pertinente.

Au-delà de la forme, ce rapport est à nos yeux encourageant aussi pour des raisons de fond. La menace est réelle ; l’histoire des maladies infectieuses nous l’enseigne : régulièrement, un agent pathogène provoque une pandémie meurtrière. L’une des dernières en date, et des plus impressionnantes, celle de la grippe espagnole, a fait, je le rappelle, plus de morts que la Première Guerre mondiale, à peu près à la même époque.

La survenue d’une pandémie majeure est, comme celle d’une éruption volcanique géante ou la chute d’une météorite tueuse, l’une des grandes menaces naturelles pesant sur l’humanité. Le catastrophisme hollywoodien s’en est d’ailleurs régulièrement inspiré, et encore récemment, avec un très bon film, Contagion, qui rend parfaitement compte des mécanismes de propagation d’un agent pathogène dans le monde moderne.

En effet, et c’est là tout le paradoxe, à l’heure de l’hypertechnologie, grâce aux progrès accomplis dans la maîtrise de l’atome, en informatique, en génétique ou dans les biotechnologies, l’humanité pourrait se croire à l’abri, alors qu’elle est, au contraire, plus que jamais exposée. C’est précisément ce que démontre le rapport de Mme Keller, d’où sa dimension alarmante.

Tout d’abord, les épidémies actuelles de sida, de fièvre Ébola ou de paludisme sont bien là pour nous le rappeler. Les maladies infectieuses sont à l’origine de 14 millions de décès chaque année, principalement dans les pays du Sud. Mais l’incidence des maladies émergentes a aussi augmenté de 10 % à 20 % dans les pays du Nord ces quinze dernières années.

Ensuite, cela a été rappelé, les maladies infectieuses représenteraient en France 12 % des décès.

Sur les dix principaux facteurs favorisant l’émergence de pandémies majeures, listés par ordre d’importance dans le rapport, neuf sont liés à l’activité humaine, plus précisément à l’évolution des sociétés, qu’il s’agisse du changement d’usage des sols, de la démographie et de la concentration urbaine, de la précarité des conditions sanitaires ou hospitalières ou même, tout simplement, du réchauffement climatique.

C’est en cela que, sur le fond, le rapport nous apparaît encourageant. En effet, si l’humanité est responsable de l’essentiel de la menace, c’est qu’elle dispose aussi des moyens de la prévenir. Théoriquement, nous devrions pouvoir rester maîtres du jeu, à condition de nous en donner les moyens.

Cela conduit naturellement à l’aspect normatif et décisionnel du rapport, celui qui nous concerne plus directement, nous, législateur. Or, paradoxalement, c’est là que nous manifesterons le plus d’inquiétude. En effet, si nous pouvons agir, force est de le constater aujourd’hui, nous ne sommes pas prêts à affronter une pandémie meurtrière. C’est le constat à nos yeux le plus authentiquement alarmant du rapport de Fabienne Keller.

Lorsque je dis que nous ne sommes pas prêts, je ne parle même pas de contrer les facteurs pathogènes de moyen terme. Bien sûr, nous ne sommes pas prêts à lutter efficacement contre le réchauffement climatique, mais il s’agit là d’un autre débat… Je me concentre uniquement sur la capacité de notre système sanitaire à faire face à une telle menace. Pourrait-il réagir efficacement ? Manifestement, non ! Pas à l’échelon national, en tout cas.

Le rapport pointe au moins trois insuffisances majeures du système de surveillance sanitaire français : l’absence d’une base épidémiologique unique, contrairement à ce qui existe en Grande-Bretagne, alors que la France est concernée au premier chef, ne serait-ce qu’en raison de ses territoires ultramarins directement exposés aux maladies tropicales ; la multiplicité des acteurs – médecins, réseaux de surveillance et agences sanitaires – ; l’insuffisante identification et capacité d’action de chacun de ces intervenants.

En effet, la participation des médecins traitants à la veille sanitaire est embryonnaire. Les réseaux de surveillance et d’alerte mutualisés sont trop peu développés et l’architecture des agences sanitaires pourrait être archaïque. Concernant ces dernières, il serait envisageable de regrouper l’Institut de veille sanitaire et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé pour remettre en cause la séparation entre veille et prévention.

Dans ces conditions, madame la ministre, une question s’impose : la loi relative à la santé publique, qui, nous le savons, est en préparation, abordera-t-elle ces sujets ?

Sur le plan international, la situation n’est guère plus encourageante.

Les institutions de la coopération européenne en la matière sont en place, mais elles n’ont qu’un rôle subsidiaire. Vous le savez, les membres de mon groupe, l’UDI-UC, appellent de leurs vœux une relance de l’intégration communautaire. Pour nous, l’Europe de demain doit aussi avoir une dimension sanitaire.

Les pandémies font, hélas ! partie de notre histoire commune. Songeons seulement à la peste ! Ces pandémies font fi des frontières. Lorsqu’elles frappent, ce sont des continents qu’elles affectent. L’Europe est donc l’échelon pertinent pour une réponse efficace et coordonnée.

Dans la même logique, l’échelon mondial est, bien sûr, lui aussi une clef. Or lui non plus ne semble pas prêt.

L’un des enseignements les plus percutants du rapport de Fabienne Keller est de bien faire apparaître l’unicité du monde de la pandémie.

Unicité du monde des hommes, nous l’avons vu, le Nord étant de plus en plus vulnérable aux pandémies naissant dans le Sud et qui l’affectent prioritairement. Il n’y a pas de sanctuaire ! Heureusement, la coopération internationale s’est renforcée récemment avec le règlement sanitaire adopté dans le cadre de l’OMS et qui a force juridique pour la quasi-totalité des États.

Unicité au sein même du vivant dans la mesure où les principales menaces des maladies émergentes ou réémergentes tiennent à l’existence de zoonoses, d’où la nécessité de lier, à l’échelon mondial, médecine animale et humaine.

Encore une fois, madame la ministre, nous ne pouvons que nous tourner vers vous, vers le Gouvernement pour vous demander s’il est prévu que la France soutienne des programmes de cette nature.

Pour conclure, je dirai que la menace dont nous débattons aujourd’hui est d’autant plus brûlante que nos forces sont actuellement engagées dans un conflit armé au Mali.

Nous le savons, les guerres, notamment celles qui ont lieu dans des pays où règne la précarité, font le lit de pandémies et, souvent, comme cela a été dit, il faut garder à l’esprit qu’une attaque de terrorisme épidémiologique est théoriquement possible. Cette préoccupation, nous l’avons eue avec l’Irak, nous l’avons toujours avec l’Iran ou la Libye compte tenu de la situation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « Y a-t-il plus d’émergences maintenant qu’avant ? » C’est ainsi que s’interrogeait, en avril 2012, le docteur Hélène Fagherazzi-Pagel dans son dossier de synthèse pour l’Institut de l’information scientifique et technique, l’INIST, et le Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, sur les maladies émergentes et réémergentes chez l’homme.

C’est bien la question que vous évoquez, madame Keller, dans votre remarquable rapport. Vous avez balayé le très vaste champ de cette inquiétude permanente des pouvoirs publics sur les menaces qui, de tout temps, ont pesé sur l’humanité.

Longtemps, les maladies infectieuses ont représenté la première cause de mortalité. Le XXe siècle a connu un très net recul de ces maladies, sous l’influence des progrès de la médecine, du développement de la prévention et de l’amélioration générale du niveau de vie. Cette évolution a culminé avec l’éradication de la variole en 1977.

Mais, depuis lors, on a observé l’apparition de maladies nouvelles, souvent létales : Ébola, sida, SRAS, West Nile Virus, variante de la maladie de Creutzfeld-Jakob, chikungunya,... Dans le même temps, des maladies qui semblaient en déclin comme la dengue, la tuberculose, la rougeole ou encore la coqueluche ont réémergé en Europe.

En parallèle, malgré des progrès récents, les infections nosocomiales survenant à l’hôpital suscitent une inquiétude nouvelle.

S’agit-il de fausses émergences, d’une amplification médiatique ou bien encore d’un vrai risque d’émergence ?

Le concept d’émergence n’est pas nouveau. Lié à la naissance de l’épidémiologie moderne au XIXe siècle, discipline dont John Snow était le précurseur, il se serait cristallisé aux États-Unis avec la publication, en 1992, d’un rapport dans lequel Joshua Lederberg envisage les maladies émergentes sous ses aspects évolutionnistes, environnementaux, sociaux et politiques.

Les agents infectieux ont été, et resteront, les compagnons de route de l’humanité. Dans les années trente, Charles Nicolle énonçait : « Il y aura donc des maladies nouvelles. […] Elles apparaîtront comme Athéna parut, sortant toute armée du cerveau de Zeus. Comment les reconnaîtrons-nous, ces maladies nouvelles, comment soupçonnerions-nous leur existence avant qu’elles n’aient revêtu leurs costumes de symptômes ? »

Cette prédiction repose sur le dynamisme d’adaptation des agents pathogènes. Sans cesse émergent des variantes pour lesquelles nous ne disposons de traitements appropriés qu’avec un temps de retard. Les pandémies de grippe du XXe siècle sont, par exemple, dues à des modifications antigéniques de souches de l’influenzavirus A.

Cela étant, le rythme soutenu auquel apparaissent ces nouvelles maladies – une par an selon l’OMS –, l’amplitude géographique et la vitesse de diffusion, en quelques jours pour le virus du SRAS, qui s’est retrouvé sur cinq continents et a touché 8 000 personnes dans une vingtaine de pays, soulèvent des questions.

Votre rapport, madame Keller, qui s’appuie sur l’étude du Haut Conseil de la santé publique, conduite par Catherine Leport, analyse les facteurs d’émergence et les défis auxquels sont confrontées les autorités politiques.

Les facteurs d’émergence sont multiples : humains, car l’homme est effectivement l’ingénieur de sa propre circulation microbienne, environnementaux avec notamment le changement climatique et des conditions écologiques qui favorisent le passage de la barrière des espèces, médicaux avec les progrès techniques et le recours à des gestes de plus en plus invasifs.

Je ne vais pas y revenir, sinon sur deux sujets d’inquiétude : d’abord, l’apparition de bactéries multi-résistantes, extrêmement difficiles à traiter, due largement à la surconsommation d’antibiotiques ; celle-ci est toujours d’actualité en France, malgré les efforts entrepris avec la campagne « Les antibiotiques, c’est pas automatique ». Ensuite, la moindre vaccination ; l’insuffisance de vaccinations dans les pays en voie de développement est connue, mais force est de constater que, en Europe et en France, les vaccins n’ont plus la popularité d’antan, d’où la résurgence de la rougeole ou de la coqueluche.

Dans le rapport du HCSP, les anthropologues analysent les résistances des populations vis-à-vis de la prévention vaccinale et le chemin qu’elles parcourent jusqu’à l’acceptabilité sociale. On ne saurait se contenter d’asséner des affirmations sur la nécessité de se faire vacciner. Il vaut mieux comprendre les mécanismes du refus grâce à des recherches, notamment en sociologie. La France est très en retard dans ce domaine.

Mme Fabienne Keller, rapporteur. Oui, absolument ! C’est un vrai sujet !

M. Gilbert Barbier. Cette réflexion m’amène d’ailleurs à aborder l’un des trois défis pour l’avenir, celui de la recherche scientifique.

L’élu du pays de Pasteur que je suis ne peut oublier l’immense pas en avant que ce personnage a fait faire à la science avec cette méthodologie de l’observation à la base de tous ses travaux. Je n’oublie pas non plus, madame le rapporteur, que Louis Pasteur a pris femme à Strasbourg en la personne de la fille du recteur de l’université de votre ville. (Sourires.)

Aujourd’hui, rien qu’en ce qui concerne les trois principaux fléaux infectieux mondiaux, le paludisme, le sida et la tuberculose, nous sommes toujours en situation d’échec pour les deux premiers. Et, même pour la tuberculose, l’efficacité du BCG est atténuée par la mutation du bacille.

À l’ère des maladies émergentes, réémergentes et des résistances accrues aux traitements, le développement de nouveaux agents antimicrobiens et de nouveaux vaccins est un défi. Il faut aussi améliorer l’immunité, l’acceptabilité et la sécurité.

En France, nous disposons de centres de recherches importants, tels que l’Institut Pasteur, le biopôle à Lyon, et de quelques universités. Mais, de l’aveu même des acteurs, cette recherche souffre d’une trop grande fragmentation, d’un manque de visibilité, d’un financement peu satisfaisant.

« Nous devons faire de cette décennie la décennie des vaccins », a déclaré un célèbre donateur au forum économique de Davos en janvier 2010. Financer la recherche dans ce domaine doit être une priorité des priorités de l’OMS, même si la déception est réelle concernant la dengue ou le chikungunya.

Pour conclure sur ce volet scientifique, je voudrais insister sur le décloisonnement.

Les maladies infectieuses émergentes, les MIE, restent synonymes « de déficits de connaissances et causes d’importantes incertitudes », tant il est vrai que la complexité des interactions entre les agents pathogènes, leurs vecteurs et l’homme reste encore à décrypter. Seule une stratégie audacieuse de recherche interdisciplinaire, de la microbiologie fondamentale jusqu’aux sciences humaines et sociales, sans exclusivité, permettra d’avancer. Des recherches sur la dynamique des maladies infectieuses se font grâce aux modèles mathématiques toujours plus élaborés, en passant par la génétique et les satellites de surveillance, pour surveiller le climat, les points d’eau, les oiseaux migrateurs.

Approche interdisciplinaire, organisation innovante, voilà bien deux nécessités évidentes dans ce domaine. Comment s’en donner les moyens, madame la ministre ?

Autre défi à relever : le traitement des informations les plus alarmantes, parfois contradictoires, qui circulent très vite à travers la planète.

L’une des priorités de l’expertise est donc d’améliorer la communication avec le grand public. Des programmes sur ce sujet devraient être définis dans le champ de la recherche et de la formation.

Une approche plus pédagogique des décisions dans ce domaine lui permettrait de comprendre et d’accepter la complexité de ces réalités, complexité susceptible d’aboutir à des changements ou à des revirements de stratégie, à première vue inexplicables pour une grande majorité de la population, voire pour des professionnels de santé.

Enfin, dernier défi : l’accès équitable aux soins et à la prévention, notamment dans les rapports Nord-Sud.

Dans les pays du Sud, dont le pourcentage des maladies infectieuses a été évoqué, il est essentiel de détecter suffisamment tôt les flambées de maladies, d’éviter les épidémies ou l’endémisation de certaines maladies. Maintenir et développer la surveillance et les acteurs de terrain, les équipements et les laboratoires sont une condition du succès.

J’ai noté dans votre rapport, madame Keller, que vous relatez les travaux intéressants du docteur Didier Bompangue, chercheur à l’université de Besançon, fondateur de l’unité de recherche de Kinshasa en République démocratique du Congo. Ces exemples, il faut pouvoir les soutenir et les encourager. C’est à ce prix que nous pourrons lutter contre les maladies émergentes. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je voudrais moi aussi remercier les membres de la délégation sénatoriale à la prospective de l’excellent travail fourni sur l’enjeu technique et complexe, mais néanmoins crucial, que sont les maladies émergentes. Je pense bien sûr au rapport très documenté rédigé par Mme Fabienne Keller, à ses propositions pour informer, prévenir, coordonner et à l’ensemble des analyses sur lesquelles nous avons pu travailler.

Comme plusieurs de mes collègues l’ont rappelé avant moi, les maladies émergentes sont à l’origine, chaque année, de 14 millions de décès dans le monde. Ces maladies, parmi lesquelles les tristement célèbres VIH, SRAS, virus Ébola ou encore grippe H5N1, sont responsables de 43 % du total des décès constatés chaque année dans les pays du Sud. Leur incidence a augmenté de 10 % à 20 % ces dernières années dans les pays du Nord. Pour la France, ce chiffre est de 12 %.

Je voudrais rapidement mettre l’accent sur quelques caractéristiques de ces maladies émergentes.

En me documentant, j’ai constaté que des phénomènes que nous, écologistes, combattons depuis des années amplifient la rapidité du développement de ces maladies émergentes. C’est aujourd’hui une certitude scientifique : les atteintes à la biodiversité, le changement climatique, la déforestation ou encore l’agriculture et l’élevage intensifs favorisent l’apparition ou la réapparition de ces maladies.

Il est prouvé que la régression de la biodiversité et la disparition de certaines espèces animales « protectrices », comme des prédateurs de rongeurs, par exemple, libèrent des niches écologiques pour les espèces invasives, ce qui favorise, dans certains cas, l’éclosion et la propagation des maladies infectieuses. Plusieurs chercheurs, dont la zoologue Kate Jones, insistent d’ailleurs sur le fait que la biodiversité et sa gestion conservatoire et « restauratoire » sont des moyens de limiter le risque d’épidémie et de pandémie.

Outre la biodiversité, le changement climatique, avec les modifications des précipitations, de l’humidité et de la température qu’il entraîne, joue également un rôle majeur dans l’accroissement des maladies émergentes. Notons qu’il a aussi pour conséquence de perturber la composition des écosystèmes et les interactions des espèces entre elles. Comme on s’attend, dans les années à venir, à une augmentation significative de la température, il faut donc envisager parallèlement l’extension géographique de nombreuses maladies infectieuses, notamment celles transmises par des animaux vecteurs, comme le paludisme et la dengue.

Par ailleurs, l’urbanisation, la déforestation et la fragmentation des forêts, ainsi que l’intensification de l’agriculture et de l’élevage, favorisent également l’accroissement des maladies infectieuses émergentes. Par exemple, l’augmentation d’élevages intensifs, plus sensibles aux maladies, comme ceux de porcs ou de volailles, entraîne l’extension des zones où vivent des espèces vecteurs ou des réservoirs d’agents pathogènes. De même, la récente sélection génétique des plantes les rend plus sensibles à certains virus.

Des illustrations concrètes de ces phénomènes viennent étayer cette thèse, comme celle que nous fournit le virus Junin, responsable de la fièvre hémorragique d’Argentine, et dont la propagation a été accentuée par la transformation massive, dans ce pays, des terres de pampas, zones aux herbes hautes, en champs de maïs. Cela a eu pour effet de favoriser la pullulation de rongeurs qui servent de « réservoirs » à ce virus et qui étaient auparavant naturellement régulés par les autres espèces vivant dans les pampas. Or, depuis plus d’un siècle, la culture du maïs, amplifiée par l’utilisation d’herbicides, a entraîné la disparition progressive de ces zones naturelles. La fièvre hémorragique d’Argentine, jusque-là silencieuse, est donc devenue épidémique.

Avant de conclure, je rejoindrai ceux de nos collègues qui ont recommandé de ne pas oublier la résistance bactérienne, elle aussi en augmentation. Le cas des virus résistants aux médicaments, ou de leurs vecteurs résistants aux pesticides, représente environ 20 % des 335 maladies émergentes recensées en février 2008 dans l’étude mondiale sur les maladies émergentes humaines précédemment citée.

Un certain nombre de maladies émergentes sont en fait d’anciennes maladies devenues antibiorésistantes ; je pense, par exemple, à la tuberculose.

On estime aujourd’hui que 25 000 malades porteurs d’infections multi-résistantes meurent chaque année. Cette recrudescence s’explique par la généralisation des antibiotiques non seulement dans les soins vétérinaires et humains, mais aussi dans la nourriture animale. De ce point de vue, nous ne pouvons que regretter que la disposition de la loi Kouchner prévoyant un médecin responsable de la modération de l’usage des antibiotiques dans chaque hôpital n’ait finalement jamais été mise en œuvre.

Nous considérons que l’urgence en matière de lutte contre les maladies émergentes est d’instaurer une régulation très encadrée de l’antibiothérapie, d’assurer une protection accrue de la biodiversité, de lutter contre la déforestation et de prendre des mesures de modération de l’agriculture et de l’élevage intensifs. Malheureusement, les négociations internationales sur la biodiversité et le climat se traduisent souvent par des avancées insuffisantes au regard de l’urgence des enjeux. En témoignent les échecs relatifs des conférences d’Hyderabad et de Doha en octobre et novembre 2012.

Plus largement, et ce seront mes derniers mots, le bon état sanitaire d’une population étant le premier barrage à la maladie, les objectifs de la lutte contre la pauvreté et de l’accès aux soins des personnes précaires doivent rester, en toutes circonstances, une priorité en France et dans le monde, au-delà même du seul enjeu des maladies émergentes : on meurt encore dans des proportions inquiétantes, dans certains pays, de maladies non émergentes, telles que la rougeole, le paludisme dans sa forme simple, de maladies diarrhéiques liées à l’absence d’eau potable, ou même tout simplement de la faim. (M. le président de la délégation à la prospective et Mme la rapporteur applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à remercier notre collègue Fabienne Keller d’avoir produit, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, ce rapport d’information très complet sur les nouvelles menaces liées aux maladies infectieuses émergentes, qui contient cinquante-trois propositions établies à partir des recommandations de spécialistes et dix leviers d’action.

Le professeur Claude Chastel, dans son ouvrage Virus émergents. Vers de nouvelles pandémies ?, souligne que, parmi les multiples facteurs qui interviennent dans l’émergence ou la réémergence de ces maladies virales, l’homme est le principal responsable. Depuis le néolithique, il s’est approprié la planète, modifiant ou détruisant de nombreux écosystèmes, en façonnant d’autres entièrement artificiels.

La croissance exponentielle de la population n’a évidemment fait que renforcer cette influence de l’homme : 7 milliards d’humains sur terre, c’est une aubaine pour des virus entreprenants. Qui plus est, cette population plus nombreuse est également beaucoup plus mobile que par le passé : les personnes et les biens se déplacent à une fréquence et à une vitesse démultipliées. Ajoutées aux changements climatiques et à l’évolution spontanée des agents pathogènes, ces mutations entraînent l’émergence constante de nouvelles maladies et leur diffusion accélérée.

La surveillance de ces maladies et le partage des connaissances existent déjà à plusieurs niveaux.

Au niveau international, le GOARN, Global Outbreak Alert and Response Network, est placé sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé. Dans ce cadre, le nouveau règlement sanitaire international, le RSI, adopté en 2005 par la cinquante-huitième Assemblée mondiale de la santé, a marqué un progrès considérable puisqu’il prend en compte tous les types de menace épidémique, même celles qui sont encore mal définies, mais jugées préoccupantes. Le RSI permet donc un signalement rapide entre les États de toute menace sanitaire pouvant se propager au niveau international. Chaque État a désigné un interlocuteur unique ; pour la France, il s’agit de la Direction générale de la santé, qui doit être en relation vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec l’OMS.

Au niveau européen, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, l’ECDC, identifie et évalue la menace que constituent les maladies infectieuses.

Au niveau national enfin, l’Institut de veille sanitaire et, au niveau régional, les agences régionales de santé, par l’intermédiaire des cellules de veille et gestion des alertes sanitaires, les CVGAS, assurent une veille et une surveillance constantes.

De nombreux dispositifs de veille et d’alerte sanitaires contribuent donc, à l’échelle internationale et nationale, à la détection et à l’alerte des maladies émergentes. Ces outils doivent en permanence être évalués et adaptés pour nous permettre de prévenir les crises. En outre, d’après les diverses expertises sanitaires effectuées dans le monde, de nouvelles maladies infectieuses peuvent apparaître rapidement et se transformer en pandémies, à l’instar du SRAS, de la grippe aviaire ou de la grippe H1N1.

L’inquiétude porte aussi sur la résistance de certains virus aux antibiotiques, notamment en Asie. Il est scientifiquement démontré que la forte utilisation des antibiotiques a conduit à l’apparition accélérée de bactéries très résistantes. C’est pourquoi il faut encourager le développement de la recherche. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de la réalisation, au sein de l’Institut Pasteur de Paris, du nouveau centre François-Jacob dévolu aux recherches sur les maladies émergentes.

Nous connaissons l’implication des équipes de l’Institut Pasteur, qui ont été en première ligne lors des grandes épidémies, qu’il s’agisse du SRAS, de la pandémie grippale ou du chikungunya. Dès les premiers cas de chikungunya signalés à la Réunion en 2005, l’Institut a monté un projet de recherche qui a permis de comprendre l’ampleur inattendue de cette épidémie. Notre pays doit donc continuer à encourager ce type de projet.

Comme le rappelle Arnaud Fontanet, chef de l’unité d’épidémiologie des maladies émergentes de l’Institut, « les maladies émergentes sont toutes ces maladies qui apparaissent au sein des populations humaines. Ce sont aussi les maladies anciennes ou presque disparues qui réémergent ou colonisent de nouvelles zones géographiques. Elles sont le plus souvent infectieuses, c’est-à-dire qu’elles sont dues à des microorganismes comme les bactéries, virus, parasites, champignons. […] En plus des décès et douleurs qu’elles entraînent, ces pathologies ont des conséquences sur tous les pans de la société : ralentissement économique, entrave à la circulation des biens et des personnes, etc. ».

Enfin, je pense que nous devons mener une réflexion poussée en vue de définir des protocoles opérationnels pour une bonne utilisation d’internet et des réseaux sociaux en cas de crise sanitaire.

Internet est une formidable source d’information, mais aussi de désinformation et de fausses rumeurs. Il serait sûrement utile de nous inspirer de la stratégie des États-Unis, décrite par le député Jean-Pierre Door : « Au centre d’Atlanta, le centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), plus de 400 personnes surveillent les réseaux sociaux 24 heures sur 24, en répondant immédiatement à tous les messages. Les résultats sont au rendez-vous. Nous en sommes loin : chez nous, la Délégation interministérielle à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA) disposait de huit personnes. »

Nous devons impérativement renforcer ces moyens pour lutter efficacement contre les diffusions sur internet de toutes les rumeurs fantaisistes qui créent et entretiennent la panique. C’est pourquoi j’approuve totalement la proposition de Fabienne Keller d’expérimenter une situation de « potentielle crise » avec tous les acteurs concernés, ceux de la santé, bien sûr, médecins et chercheurs, mais aussi les représentants des différents services de l’État et des collectivités locales. Je partage son point de vue, notamment sur la nécessité d’anticiper un scénario catastrophe correspondant à la conjonction des pires hypothèses : une maladie inconnue, une incubation rapide à forte létalité, à la transmission incontrôlable et contre laquelle aucun traitement ne saurait être efficace.

La question des maladies infectieuses émergentes mérite donc toute notre attention et nous impose d’améliorer constamment la protection de la population afin d’éviter l’émergence d’une crise sanitaire de grande ampleur sur notre territoire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.

M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer la qualité du rapport très complet de notre collègue Fabienne Keller sur les maladies infectieuses émergentes.

Comme Mme la rapporteur l’a très bien démontré, ces maladies constituent de nos jours une menace réelle et permanente : elles touchent et mobilisent aussi bien les pays du Nord que ceux du Sud. La lutte contre ces maladies nécessite donc la mobilisation des puissances publiques. Recherche, information, coordination et prévention doivent être les maîtres mots en la matière.

Une maladie infectieuse émergente peut aujourd’hui se définir comme une entité clinique d’origine infectieuse nouvellement apparue et identifiée ou comme une maladie infectieuse connue dont les caractéristiques évoluent dans un espace ou au sein d’un groupe de population.

Les derniers travaux sur les causes de l’émergence montrent des interactions multiples et rapidement changeantes entre différents facteurs, comme l’hôte, l’agent infectieux, l’environnement, le tout sur fond de grandes diversités biologiques.

Face à ces risques infectieux, la surveillance des maladies évolue et doit s’orienter en amont, c’est-à-dire vers les signes cliniques, les agents infectieux, les vecteurs, le monde animal et l’environnement, afin d’anticiper l’apparition de situations à risque d’émergence ou de réémergence. C’est dans cette perspective que le renforcement de la collaboration avec les institutions et réseaux internationaux est indispensable, voire décisif.

Une approche globale apparaît alors nécessaire pour mieux comprendre ces multiples évolutions et y faire face. Nous devons combiner nos forces, celles des pays du Nord, disposant d’outils et de moyens, et celles des pays du Sud, zones plus propices à l’émergence.

Cette émergence s’effectue chez l’homme en deux étapes : par l’introduction surprise d’un nouvel agent pathogène et par la dissémination dans une population non immunologiquement préparée.

Notons, mes chers collègues, ainsi que l’a fait Fabienne Keller, que, entre 1940 et 2004, plus de 335 maladies infectieuses ont été découvertes. Les causes sont toujours les mêmes : baisse de la vigilance des systèmes de contrôle, acquisition de mécanismes de résistance aux médicaments anti-infectieux et modification de l’écosystème due à la déforestation, à la création de zones suburbaines ou au déplacement de populations.

Bien évidemment, d’autres éléments sont à prendre en compte : la mondialisation des échanges, l’augmentation du commerce international des aliments, l’essor de l’écotourisme, les contacts rapprochant l’animal de l’homme – les animaux sont à l’origine de ces infections dans plus de 70 % des cas ! –, l’utilisation de virus infectieux à des fins terroristes, comme cela a été dit précédemment, et les changements climatiques. Nous pourrions également citer, dans une moindre mesure, la dégradation des infrastructures de santé publique, devenues incapables de faire face aux besoins de certaines populations.

Face à cette situation, l’OMS a développé et coordonné en 2000 le réseau mondial d’alerte et d’action en cas d’épidémie, qui relie plusieurs réseaux de surveillance, et dont l’objectif est de détecter les maladies infectieuses émergentes, de déterminer leurs menaces potentielles pour la santé publique et d’établir des interventions efficaces.

Certains de ces réseaux sont spécifiquement conçus pour repérer des évènements inhabituels, qu’ils soient d’origine naturelle, accidentelle ou volontaire. Les épidémies les plus fréquemment notifiées ont été le choléra, la grippe, le SRAS, la méningite, les fièvres hémorragiques virales, la peste, la fièvre jaune et les encéphalites virales.

On peut se demander si les progrès dans le domaine de l’hygiène et de la santé publique peuvent faire espérer une diminution de la mortalité par maladies transmissibles dans les pays en voie de développement. Malheureusement, des résultats ne pourront être obtenus que si l’on n’assiste pas à l’émergence de nouvelles infections ou à la réémergence de maladies actuellement contrôlées et, surtout, si aucune résistance majeure aux antibiotiques et aux antiviraux ne s’installe.

Par ailleurs, l’explosion démographique et l’urbanisation anarchique provoquent de profonds bouleversements, qui sont à l’origine de pathologies transmissibles. Certains des nouveaux agents qui ont été détectés au cours des vingt-cinq dernières années posent désormais de sérieux problèmes de santé publique à l’échelle locale, régionale ou mondiale.

Nous sommes également confrontés à un autre problème de santé publique : l’augmentation rapide du nombre de bactéries qui deviennent résistantes à une gamme de plus en plus étendue d’antibiotiques.

Dans beaucoup de régions, les antibiotiques de première intention, peu coûteux, ont perdu leur efficacité, ce qui a un impact économique, puisque le coût et la durée du traitement de nombreuses maladies courantes, comme les maladies diarrhéiques épidémiques ou la pneumonie, sont accrus.

Il faut aussi évoquer les maladies infectieuses réémergentes ; elles se traduisent par la réapparition ou par une augmentation d’infections connues, mais devenues si rares qu’elles n’étaient plus considérées comme des problèmes de santé publique.

La mise en place des mesures de prévention contre les nouvelles maladies infectieuses nécessite une collaboration étroite entre les médecins, les chercheurs, les décideurs et l’ensemble de la population dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler une politique de santé publique. Une stratégie audacieuse de recherche et de formation pour une aide plus efficace à la gestion des situations d’émergence de maladies infectieuses et une organisation innovante devraient d’ailleurs figurer dans la future loi de santé publique.

En effet, la nature même des maladies infectieuses émergentes est synonyme de déficit de connaissances et entraîne d’importantes incertitudes. Il en ressort un besoin urgent d’acquisition et de partage des savoirs que seule peut satisfaire une étroite collaboration entre la recherche et l’enseignement et entre la recherche et l’action. C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, nous nous devons de nous retrouver, comme je viens de l’exposer, autour d’un but commun, dans un esprit transversal mêlant les approches médicale, écologique, économique, sociologique et politique. Dans cette optique, nous devons donner à notre recherche et à nos chercheurs les moyens nécessaires pour mener des analyses et faire des interprétations.

Il faut des moyens non seulement humains, mais aussi logistiques pour réussir à dégager de nouvelles propositions de recherches et d’actions et pour produire un bilan annuel sur l’état de la lutte contre ces maladies ainsi que sur l’état d’avancement de la mise en application des recommandations par les organisations et instances auxquelles elles sont destinées.

Enfin, la diffusion de ces travaux devrait contribuer à mieux sensibiliser les professionnels et les citoyens à ce type de risques.

Développer la recherche et la formation, c’est comprendre de façon plus approfondie le rôle des espèces hôtes et des vecteurs ; c’est aussi améliorer la connaissance de ces systèmes émergents, notamment dans les pays tropicaux, en stimulant une politique scientifique de coopération internationale.

En améliorant la capacité de notre recherche biomédicale, nous encouragerons la recherche portant sur le contexte économique, historique, social et culturel de la santé humaine et animale.

Une analyse politique fine des situations de crise devrait susciter une meilleure adhésion aux politiques mises en œuvre.

En élaborant un programme de recherche interdisciplinaire en collaboration avec les acteurs de terrain, nous soutiendrons et favoriserons les contributions des sciences humaines et sociales dans la formation des spécialistes des pays du Sud, que ce soit en master, en doctorat ou en post-doctorat, particulièrement en ce qui concerne la prise en compte des cultures et des savoirs locaux.

La préparation à la gestion des situations critiques devrait dépendre d’une coordination interministérielle permanente, l’impact des maladies infectieuses émergentes étant incomplètement prévisible. Pourquoi ne pas instaurer un fonds d’urgence pour renforcer les moyens indispensables à la recherche, à l’identification et à l’évaluation du risque ?

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devrions faire porter notre réflexion et nos moyens sur la recherche et l’enseignement, afin de donner à nos spécialistes les moyens nécessaires à la protection des populations face à ces maladies. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à vous remercier pour ce débat de qualité. Il nous a permis de mesurer toute l’importance de définir la façon dont nous entendons protéger notre société et, partant, chacun de nos concitoyens contre l’émergence ou la réémergence de certains risques, parmi lesquels figurent les maladies infectieuses.

Le principal constat du rapport d’information sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes rédigé, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, par Mme Keller est bien que nos sociétés restent fragiles, en dépit des immenses progrès réalisés par la recherche médicale.

Je tiens à remercier Mme la rapporteur et l’ensemble des membres de la délégation pour la qualité de leur travail : le contenu riche et documenté de ce rapport, assorti de propositions concrètes, nous permettra, j’en suis certaine, d’avancer dans ce domaine majeur pour la santé publique.

Les activités humaines ont souvent été à l’origine du développement et de l’implantation des maladies infectieuses. Nous savons par exemple que la variole, la rougeole et la grippe ont été introduites dans le Nouveau Monde par les colonisateurs espagnols. En retour, ces derniers ont été atteints par la fièvre jaune et ont diffusé le typhus en Europe.

Ces enjeux ne sont pas dépassés et n’appartiennent pas seulement à l’histoire ; vous avez d’ailleurs été nombreux à évoquer la grippe espagnole. Aujourd’hui encore, nombre de facteurs peuvent concourir à la diffusion et à l’émergence, parfois brutale, de maladies infectieuses. Je pense notamment à l’accélération et à la mondialisation des échanges, à la concentration de plus en plus intense de populations dans des mégalopoles ou à la modification du climat. En parallèle, on peut constater que les agents pathogènes ont révélé leurs exceptionnelles capacités d’adaptation. Nous devons donc être très vigilants.

Vous avez évoqué, mesdames, messieurs les sénateurs, la résurgence de maladies qui paraissaient disparues ou, en tout cas, contenues. Certaines sont particulièrement préoccupantes, d’autres sont moins graves ; je pense à la gale que l’on croyait réservée à des populations en situation de précarité ou défavorisées, alors qu’elle touche en réalité des collectivités de personnes. J’ai saisi d’ailleurs de cette question le Haut Conseil de la santé publique afin qu’il évalue la situation et formule des recommandations. Cette maladie n’est pas grave, mais elle pose des problèmes concrets et quotidiens extrêmement désagréables.

Pour préparer l’avenir, nous devons anticiper et agir autour de quatre axes majeurs : la prévention, la détection, la coopération et la préparation de la population.

Le Président de la République l’a rappelé dans son discours de clôture du quarantième congrès de la Mutualité française à Nice, l’enjeu majeur de notre politique de santé publique est bien d’abord la question de la prévention.

Cela a été souligné, mieux prévenir, c’est d’abord améliorer la couverture vaccinale en mettant en place une stratégie nationale pour les cinq prochaines années. Ce programme doit tirer les enseignements des échecs passés ; je pense en particulier aux écueils que nous avons rencontrés lors des campagnes de vaccination contre la pandémie grippale et contre l’épidémie actuelle de rougeole.

Je suis préoccupée de constater que, face à une maladie aussi courante que la grippe, le taux de vaccination des personnes identifiées « à risque » est en diminution depuis l’année dernière et que seule une petite minorité des personnels soignants des établissements de santé se fait vacciner. Il y a là, me semble-t-il, un enjeu important. Qui plus est, vous l’avez évoqué, il existe des résistances à la vaccination plus importantes dans notre pays que dans d’autres. Il conviendrait de mieux les cerner, même si nous atteignons globalement des résultats satisfaisants.

Vous avez été un certain nombre à le souligner : mieux prévenir, c’est aussi mieux contrôler l’usage des antibiotiques si nous voulons maîtriser l’apparition de résistances aux antibiotiques. J’ai bien entendu le regret exprimé par Mme Archimbaud concernant le prolongement de la loi Kouchner du 4 mars 2002. Je souhaite que, dans chaque établissement de santé, on puisse recourir à un référent en antibiothérapie. Nous devrions avancer sur cette question dans les prochaines semaines.

Il nous faudra également engager une réflexion sur l’utilisation des antibiotiques chez les animaux, en favorisant un rapprochement des spécialistes en santé animale et en santé humaine, inspirée du concept one health, « une seule santé », qui doit aussi pouvoir prospérer dans notre pays.

Le deuxième axe est celui du renforcement de nos capacités de détection, d’alerte et de réponse aux signaux. Notre action devra passer par une amélioration de la gouvernance régionale et nationale.

À l’origine, la sécurité sanitaire était définie comme « la sécurité des personnes contre les risques liés au fonctionnement du système de santé ». Ce concept est aujourd’hui beaucoup plus large : il s’étend aux risques liés au fonctionnement de la société, c’est-à-dire aux risques alimentaires, environnementaux et médicaux. C’est d’ailleurs sous le signe de la sécurité sanitaire qu’ont été placés les dispositifs de lutte contre les menaces épidémiques.

Le système de veille sanitaire est assurément perfectible, et nous devons aujourd’hui améliorer ses capacités de détection, d’alerte et de réponse.

En premier lieu, nous devons inciter les professionnels de santé à la déclaration des vigilances. Des épisodes non seulement récents mais aussi en cours nous en ont montré la nécessité. Cette question sera une priorité de la stratégie nationale de santé à laquelle je travaille. Une refonte du système des vigilances est en cours de réalisation et aboutira cette année.

En second lieu, il s’agit de valoriser la veille sanitaire régionale en déployant des réseaux en santé publique avec la médecine générale. Il faut considérer les médecins généralistes comme de véritables « vigies de santé publique ». Lors des événements récents, nous ne nous sommes pas suffisamment appuyés sur les professionnels de santé, en particulier les médecins généralistes. C’est l’une des raisons, me semble-t-il, qui expliquent l’échec de la prise en charge de la menace de pandémie grippale H1N1.

Le troisième axe de notre action doit être celui du renforcement de la coopération internationale, notamment – mais pas uniquement – en direction des pays émergents.

Le règlement sanitaire international, adopté par 194 États lors de l’Assemblée mondiale de la santé le 23 mai 2005, renforce les contrôles sanitaires dans les lieux d’échange. Il vise à améliorer la coordination internationale, en instaurant un réseau mondial unique de gestion des alertes sanitaires.

Ce règlement ne pouvait être appliqué dans notre pays, faute de traduction concrète. Cette dernière est intervenue avec la publication, au Journal officiel du 11 janvier 2013, du décret relatif à sa mise en œuvre.

Par ailleurs, lors des déplacements que j’ai pu effectuer dans différents pays européens au cours des derniers mois, j’ai pu observer la nécessité de rationaliser et de renforcer les capacités et les structures de l’Union européenne pour faire face à l’émergence des maladies infectieuses. Par principe, les menaces sanitaires ne connaissent pas les frontières. Nous devons donc jeter les bases d’une approche élargie et coordonnée au niveau de l’Union européenne. C’est à cette condition que nous pourrons approfondir la coopération avec les pays du Sud, qui restent aujourd'hui les premières victimes de ces maladies.

Enfin, quatrième axe, nous devons tirer des enseignements de la pandémie grippale H1N1, notamment en termes de perception des risques et de comportements de la population.

Pour être efficaces, les mesures préventives mises en place par les autorités sanitaires doivent être compréhensibles pour nos concitoyens.

La qualité de la communication est déterminante, vous avez eu raison de le souligner, madame Keller, si nous voulons partager une culture commune sur les risques émergents, anticiper et dissiper les rumeurs infondées. Il est de notre responsabilité de relayer des messages factuels, informatifs, cohérents et précis au plus près de la population et des acteurs locaux. Nous devons donc trouver le juste équilibre entre l’exigence de ne pas inquiéter outre mesure tout en informant et en permettant la mise en place d’une protection de qualité.

Il y a quelques mois à peine, un centre de crise a été inauguré au ministère des affaires sociales et de la santé. Ce centre nous permet désormais de réaliser des exercices d’anticipation plus efficaces pour tester nos capacités de réponse. À titre d’exemple, les capacités de mobilisation et d’organisation des médecins, des hôpitaux, des agences régionales de santé et des différents acteurs nationaux ont été testées dans le domaine des pathologies vectorielles, comme le chikungunya, et de la réponse antivectorielle.

Madame la sénatrice, vous plaidez pour que nous allions plus loin, avec des « exercices d’anticipation politique » qui réuniraient plusieurs ministères, au-delà du seul ministère de la santé.

Mme Fabienne Keller, rapporteur. Absolument !

Mme Marisol Touraine, ministre. L’idée d’un exercice national de prospective, qui mettrait en relation non seulement les ministères, mais aussi l’ensemble des professions concernées avant que ne survienne une nouvelle pandémie, est séduisante. Au reste, vous avez œuvré dans ce sens, en organisant, en mai dernier, un atelier de prospective. Je souhaite que nous puissions poursuivre la réflexion à laquelle vous avez ainsi ouvert la voie.

En ma qualité de ministre de la santé, il ne m’appartient pas de définir une stratégie au niveau interministériel.

Mme Fabienne Keller, rapporteur. Il vous appartient de la proposer et de la porter !

Mme Marisol Touraine, ministre. En tout cas, je souhaite que nous puissions engager la réflexion avec les acteurs non institutionnels, sociologues ou acteurs de la société civile, sur la manière de gérer ces événements lorsqu’ils se produisent. Je verrai avec mes collègues ministres comment nous pouvons avancer en ce sens.

La stratégie nationale de santé accordera une place majeure à la gestion des nouvelles menaces en général et de celles relatives aux maladies infectieuses émergentes en particulier. Notre principal objectif est bien de protéger la population en anticipant et en travaillant en amont avec l’ensemble des acteurs. Dans ce but, il nous faut conduire une politique volontariste de prévention, améliorer les mécanismes de surveillance sanitaire et marquer la confiance que nous devons avoir envers les médecins de proximité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un travail important et lourd, et je vous remercie de nous permettre de le mener dans de bonnes conditions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes.

7

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'une proposition de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative à la prorogation du mécanisme de l’éco-participation répercutée à l’identique et affichée pour les équipements électriques et électroniques ménagers, déposée sur le bureau du Sénat le 22 janvier 2013.

8

Communication d'avis sur des projets de nomination

M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, lors des réunions du mercredi 23 janvier 2013 :

- la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a émis un vote favorable (nombre de votants : 29 ; 2 abstentions ; 1 vote nul ; 15 voix pour et 11 voix contre) sur le projet de nomination de M. Olivier Schrameck à la présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel ;

- et la commission des finances a émis un vote favorable (nombre de votants : 21 ; 7 votes blancs ; 14 voix pour et 0 voix contre) sur le projet de nomination de M. Nicolas Dufourcq, en qualité de directeur général de la société anonyme BPI-Groupe.

Acte est donné de ces communications.

9

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 23 janvier 2013, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881, résultant de la loi du 9 mars 2004 (délai de prescription des délits) (2013-302 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt et une heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

10

Débat sur la place des petites et moyennes entreprises dans notre économie

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la place des petites et moyennes entreprises dans notre économie, organisé à la demande du groupe UMP.

La parole est à M. André Reichardt, pour le groupe UMP.

M. André Reichardt. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat de ce soir, organisé sur l’initiative du groupe UMP, est relatif à la place des petites et moyennes entreprises dans notre économie. Permettez-moi d’exprimer ma satisfaction qu’il puisse avoir lieu, tant est important le rôle que ces entreprises jouent et pourraient jouer à l’avenir dans notre pays.

Au moment où, nous le savons tous, la préoccupation essentielle des Français porte sur l’emploi, alors que pour le dix-neuvième mois consécutif, en novembre 2012, d’après les derniers chiffres connus, le chômage a augmenté avec 1 250 demandeurs d’emploi de plus par jour, les regards se tournent souvent vers les grands groupes, dont les plans sociaux sont très médiatisés tant le nombre d’emplois qu’ils concernent interpellent les journaux et, bien entendu, leurs lecteurs. Or sait-on assez que, sur 60 450 défaillances d’entreprises recensées par la Banque de France entre octobre 2011 et octobre 2012, pas moins de 56 000 d’entre elles, soit 93 %, ont concerné les PME, autrement dit, selon le critère de l’Union européenne, des entreprises de moins de 250 salariés ?

À côté des PSA, ArcelorMittal, Virgin et autres Sanofi, qui ne sont en fait que les arbres qui cachent la forêt, figurent toutes les difficultés de petites et moyennes entreprises dont les plans sociaux, trop silencieux à l’échelon national, participent douloureusement à la casse de nos emplois. Aussi est-il utile, pour ne pas dire indispensable, de regarder de très près ce qui occasionne ces difficultés et de tenter d’y mettre fin. Accordons-nous en premier lieu, si vous le voulez bien, sur le constat de la situation économique actuelle.

Les défaillances d’entreprises repartent en nette hausse. Elles ont augmenté de 12,5 % au quatrième trimestre de 2012. Un tel rythme n’avait pas été observé depuis les pires moments de la crise et, malheureusement, la quasi-totalité des secteurs est touchée.

La production industrielle corrigée des variations saisonnières a nettement reculé en décembre, selon la dernière enquête de conjoncture de la Banque de France. Selon celle-ci, le recul de la production, accentué tout particulièrement le dernier mois de l’année 2012, confirme la tendance baissière amorcée il y a plusieurs mois. La demande, elle aussi, ne montre malheureusement aucun signe de redressement, tant sur le marché domestique qu’à l’export.

Dans le secteur des services marchands, la Banque de France note que « l’activité apparaît un peu moins déprimée en décembre, même si les perspectives ne laissent entrevoir aucun rebond significatif à court terme ».

Quant au bâtiment, secteur important s’il en est, l’activité y a été à peu près correcte, nous dit-on, mais la visibilité est réduite et les prix restent à un niveau très bas.

Dès lors, le climat des affaires, mal orienté depuis le début de l’année 2012, conjugué à la stagnation du taux de marge à son niveau le plus bas depuis trente ans, pèse sur les décisions d’investissement de nos entreprises. Sur l’ensemble de l’année 2012, il y a un ralentissement de l’investissement des entreprises – moins 0,2 % en 2012, contre plus 5,1 % en 2011 – et, d’ores et déjà, les industriels prévoient un recul de 2 % de leurs investissements pour 2013.

Face à une telle conjoncture, quelles difficultés nos PME rencontrent-elles et quelles actions y a-t-il lieu de mettre en œuvre pour les aider à les surmonter ?

La première difficulté recensée, et ce n’est naturellement pas un scoop tant on en a parlé, notamment ces deux derniers mois, concerne la compétitivité insuffisante de nos entreprises. Pour fonctionner, se développer, créer de l’emploi, une entreprise doit de l’activité, « du boulot », comme on dit. Pour avoir ce travail, elle doit bien entendu avoir des clients et donc remporter des marchés. Et pour remporter des marchés, elle doit être compétitive !

Dans son rapport sur la compétitivité rendu au début du mois de novembre dernier, M. Louis Gallois a ainsi préconisé un véritable « choc de compétitivité » passant par diverses mesures, dont un transfert de charges de 30 milliards d’euros sur un ou deux ans, une stabilité fiscale, un effort drastique sur la formation en alternance, un accès facilité au financement, la sanctuarisation des budgets de la recherche publique et du soutien à l’innovation, ainsi que les aides aux pôles de compétitivité, et enfin – j’y reviendrai – un véritable pacte pour les PME.

Si l’on peut tous globalement s’accorder sur ces propositions, qu’en est-il vraiment de ces diverses préconisations et que peut-on faire de plus, le cas échéant ?

Sur le plan de ce qu’on appelle la « compétitivité-coût », le Gouvernement n’a pas souhaité s’engager dans l’allégement des cotisations sociales payées par les entreprises – prévu à hauteur de 20 milliards d'euros – et par les salariés, à hauteur de 10 milliards d'euros ; il a préféré mettre en place un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, adopté dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2012, le 19 décembre dernier, par un ultime vote à l’Assemblée nationale.

Ce crédit d’impôt sera égal à 4 %, au titre de 2013, puis à 6 %, à partir de 2014, de la masse salariale brute supportée au cours de l’année pour les rémunérations inférieures ou égales à 2,5 SMIC. Son application se fera donc, au titre de l’année 2013, en 2014.

Certes, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi pouvait être une opportunité de créer un choc de confiance, d’abaisser le coût du travail pour améliorer la compétitivité des entreprises en les incitant à investir et à embaucher. Son application dès 2013, pensions-nous, pouvait soulager la trésorerie des PME au bord de l’asphyxie. Il pouvait apporter aux entreprises un ballon d’oxygène pour investir et innover au service de leur compétitivité hors coût. Mais, pour cela, le crédit d’impôt devait être simple, lisible, ouvert à toutes les entreprises et s’appliquer immédiatement « en mesures sonnantes et trébuchantes », si vous me passez l’expression, pour nos entreprises.

Or tel n’est pas le cas. Le dispositif retenu est en définitive complexe, à telle enseigne que 74 % des dirigeants de PME jugent que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ne permettra pas d’alléger le coût du travail. Ce sentiment atteint même 81 % dans le BTP. Sans compter que les travailleurs indépendants sont interdits de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Le Gouvernement a en effet écarté les travailleurs indépendants du bénéfice du crédit d’impôt. À entendre le ministre du travail, c’est l’absence de salaire qui empêcherait les travailleurs indépendants de bénéficier de la mesure à titre personnel. Pourtant, me disent-ils, quand il s’agit de prélever les cotisations sociales, les travailleurs indépendants ne sont pas exonérés au motif qu’ils ne perçoivent pas de salaire.

Les artisans et les commerçants ne comprennent pas cette mise à l’écart au seul motif qu’ils n’ont pas choisi la forme sociétale et le statut de chef d’entreprise salarié. Ils ont préféré l’indépendance, l’engagement, le risque et contribuent au moins autant que les autres acteurs économiques à la production de richesses. La mise à l’écart des travailleurs non salariés est, à notre sens, une erreur qu’il faudrait corriger très vite.

Par contre, l’autre proposition du rapport Gallois suggérant de relever les taux normal et réduit de TVA a bien été retenue. Dans le bâtiment particulièrement, où au 1er janvier 2014 le taux de TVA applicable aux travaux de rénovation des logements va passer de 7 % à 10 %, soit un quasi-doublement en deux ans par rapport au taux initial de 5,5 %, cette augmentation va engendrer une baisse d’activité pour les nombreux travailleurs indépendants qui exercent dans ces secteurs du bâtiment et un surcroît de concurrence déloyale, parce qu’il faut bien l’appeler ainsi, à l’égard des auto-entrepreneurs, qui ne sont pas assujettis à la TVA.

Il est dès lors fort à craindre que nos PME aient encore à connaître de fortes déconvenues dans la compétition qu’elles seront amenées à livrer avec leurs concurrentes, tant sur le plan domestique qu’à l’exportation, en 2013 particulièrement, mais aussi en 2014.

S’agissant des éléments de compétitivité hors coût, les PME plus encore que les grandes entreprises réclament une plus grande flexibilité dans les relations du travail. Le rapport de M. Louis Gallois avait à cet égard relevé que « le dialogue social est insuffisamment productif » dans notre pays ; « un climat de méfiance s’installe trop souvent et interdit la recherche en commun de solutions aux problèmes de l’entreprise ».

À cet égard, il faut certainement saluer l’accord interprofessionnel du 11 janvier dernier, même s’il ne constitue, à notre avis, qu’une première étape vers la plus grande souplesse souhaitée par les entreprises. Quant à savoir s’il va servir et sécuriser l’emploi, notamment avec sa mesure phare, dont on nous a beaucoup parlé, de taxation des CDD, vous me permettrez de dire que je n’en suis pas sûr, quand je lis qu’au ministère du travail on affirme que « ce n’est pas une révolution et que les recrutements en CDD ne seront certainement pas divisés par deux ».

En tout état de cause, l’accord conclu entre les partenaires sociaux doit maintenant être transposé dans une loi. Le groupe UMP ne manquera pas d’être particulièrement attentif à ce que celle-ci ne soit pas vidée de ses articles donnant notamment plus de flexibilité aux entreprises.

Deux autres éléments de compétitivité hors coût méritent incontestablement d’être particulièrement soutenus dans nos PME : l’innovation et la formation vers une bonne qualification professionnelle.

Il est absolument nécessaire de faire progresser le nombre de démarches d’innovation au sein de nos entreprises. Dans notre pays, on confond encore trop souvent la recherche fondamentale et académique avec l’innovation. Par innovation, il ne faut d’ailleurs pas seulement entendre l’innovation technologique, mais bien toutes les démarches innovantes susceptibles de produire de la plus-value par rapport aux concurrents. Dès lors, le développement de l’innovation au sein des PME passe incontestablement, d’une part, par un écosystème de l’innovation lisible au service des entreprises et capable de diffuser l’innovation au plus grand nombre et, d’autre part, par une culture de l’innovation largement diffusée sur le terrain.

Cet écosystème trouve, à notre avis, légitimement à s’organiser dans les régions. En Alsace, dont je suis sénateur, nous avons initié la création d’Alsace Innovation, qui est une structure régionale d’accueil et d’ingénierie dédiée exclusivement à l’accompagnement et au financement des projets d’innovation déployés au sein des entreprises de la région. Elle est la porte d’entrée privilégiée des entreprises qui souhaitent innover et s’appuie sur un réseau d’acteurs régionaux aux compétences pluridisciplinaires. Ses missions sont d’accompagner et de financer les projets d’innovation des entreprises alsaciennes de tous secteurs économiques et de toutes tailles, ainsi que d’aider au développement d’une innovation compétitive au profit des entreprises d’Alsace et au bénéfice de l’attractivité économique du territoire. Son budget est financé pour un tiers par la région, pour un tiers par la chambre de commerce et d’industrie de la région, et le reste par des fonds du FEDER, le Fonds européen de développement régional, et des fonds d’État.

Madame la ministre, il est bien entendu souhaitable que l’État reste un partenaire fort des régions, même si, en la matière, son action en faveur des entreprises innovantes par le moyen du crédit d’impôt recherche doit rester essentielle. De même, il est indispensable que l’État continue d’aider les pôles de compétitivité, après avoir, le cas échéant, tiré les conclusions des récentes évaluations. La région Alsace a elle-même refondé récemment sa politique d’accompagnement à leur égard, ainsi qu’à celui des clusters et des grappes d’activité, afin de placer au cœur des objectifs de ceux-ci la croissance de nos PME. Elle a donc invité ces structures – les pôles, les clusters et les grappes d’activité – à être incitateurs et diffuseurs d’innovations au plus près de leurs entreprises membres, et le plus concrètement possible. Cette démarche gagnerait à être accompagnée et dupliquée afin de permettre à chaque région d’identifier les secteurs qui seront demain les moteurs de la croissance, grâce notamment aux PME.

Le deuxième élément de compétitivité hors coût mentionné, à savoir la formation professionnelle, me conduit à vous dire que l’ajustement de l’offre et de la demande de compétences est une condition essentielle du développement de nos PME, lesquelles sont le premier creuset d’employabilité et d’évolution de carrière.

La France compte désormais plus de 3 millions de demandeurs d’emplois sans activité, 4,733 millions au total en incluant ceux qui ont une activité réduite. Ces chiffres vous sont bien sûr connus. Les jeunes sont malheureusement parmi les premières victimes de cette situation.

Or les PME représentaient, en 2010, 8,7 millions d’emplois. En outre, sur les 2,8 millions d’emplois créés en France ces vingt dernières années, 2,3 millions l’ont été par des PME.

Dans le contexte économique actuel, le rôle des PME en matière de lutte contre le chômage est donc capital, dans la mesure où la formation professionnelle continue joue correctement son rôle de régulation entre les besoins du marché et les expertises disponibles.

Il convient assurément de soutenir au maximum la formation en alternance dans ces entreprises, et en premier lieu l’apprentissage, notamment grâce à des incitations financières d’autant plus nécessaires que la conjoncture est difficile. Il faut également permettre à ces entreprises de trouver les bons candidats à l’apprentissage – j’y insiste –, qu’elles recherchent souvent en vain. À cet égard, l’acte III de la décentralisation doit donner lieu à une réforme profonde des systèmes d’orientation dans ce pays afin de permettre aux régions qui le souhaitent de mettre en place un véritable service public régional de l’orientation, avec tous les acteurs impliqués dans cette difficile question.

En fait, comme l’a préconisé Louis Gallois dans son rapport, c’est d’un véritable pacte pour les PME dont ont besoin ces entreprises. Par comparaison avec l’Allemagne, notre pays compte trop peu de PME et a fortiori trop peu d’entreprises de taille intermédiaire, précisément parce que les PME ne parviennent pas à grandir.

Ces entreprises ont également d’autres difficultés : elles manquent de fonds propres ; elles ne reçoivent pas assez de soutien de la part des grands donneurs d’ordres ; elles redoutent la commande publique, que souvent d’ailleurs elles évitent ; enfin, elles sont trop peu présentes à l’exportation.

En matière de financement et d’accès au crédit, il est clair que les difficultés se sont accrues pour les PME en 2012, comme en atteste le baromètre KPMG-CGPME. Le financement par le secteur bancaire, avec des frais élevés ou à des montants plus faibles que souhaités, est la principale difficulté ressentie par 43 % des PME.

Dans ce contexte, la loi du 31 décembre 2012 a créé la Banque publique d’investissement, la BPI, qui constitue pour le Gouvernement « une plateforme de l’expansion des entreprises, en particulier des très petites entreprises, des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire ». Cependant, la BPI ne fonctionnera qu’en mode virtuel jusqu’en mai-juin, selon son nouveau directeur général, Nicolas Dufourq.

Pour l’opérationnel, il faudra donc attendre l’été prochain. Cependant, dans les six prochains mois, un tiers des PME – excusez du peu ! – prévoient une dégradation, si l’on en croit la dernière enquête de conjoncture publiée par OSEO le 22 janvier dernier. En outre, la BPI, chargée d’apporter un soutien financier aux petites et moyennes entreprises françaises, réunira dans chaque région, sous un guichet unique, les services du Fonds stratégique d’investissement, le FSI, de la banque publique des PME et de l’innovation, OSEO, et de CDC Entreprises, filiale de la Caisse des dépôts et consignations.

Comme nous l’avons déjà dit, nous pensons déjà être capables de réaliser le diagnostic des besoins des entreprises sans la BPI. Nous sommes capables d’identifier les produits d’OSEO – les entreprises nous le disent –, les produits du capital d’investissement régional ou national et d’accompagner les entreprises à l’export. C’est là, et cela reste, la plus-value des agents des régions, des agences de développement économiques – elles sont nombreuses – et des chambres de commerce et d’industrie par exemple.

Si la BPI se résume à ce guichet unique, elle ne changera à notre avis pas grand-chose à la situation actuelle. Pis, on peut penser que si les équipes d’OSEO deviennent les interlocuteurs des entreprises, elles perdront en efficacité, car une part importante de leur temps sera passé à analyser des dossiers, en lieu et place d’autres acteurs qui le font déjà, au détriment du financement.

De même, le peu d’appétence dont font preuve nos entreprises pour la commande publique mériterait d’être mieux pris en compte. Une action forte et concertée s’impose, alors que, mes chers collègues – le saviez-vous ? –, un tiers du PIB mondial est le fait de marchés publics.

En Alsace – pardon de vous parler encore de ma région –, nous avons mis en place un service spécifique à cet égard, qui n’a pas son pareil, appelé AMPIE – accès aux marchés publics internationaux et européens –, et qui fonctionne à la satisfaction de toutes les entreprises adhérentes.

Pour faire véritablement œuvre utile dans tous ces domaines, il n’est certainement pas sot de réfléchir globalement aux besoins spécifiques de nos PME et de constituer enfin ce Small Business Act à la française dont on nous rebat les oreilles depuis si longtemps. Le moment est venu de donner plus de cohérence aux différents dispositifs existants et de mettre en place un environnement permettant à nos PME de jouer pleinement leur rôle de levier de la croissance et de l’emploi.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si l’on accepte de sécuriser l’environnement des PME en traçant, y compris sur le coût du travail, de véritables perspectives à moyen et long terme, de rééquilibrer les relations entre grandes et petites entreprises, d’encourager l’innovation, la formation et l’export, alors notre pays pourra vraiment s’appuyer sur la richesse de son tissu économique et compter sur le dynamisme de ses entrepreneurs, comme l’indiquait voilà environ huit mois le rapport intitulé Réindustrialisons nos territoires d’Alain Chatillon. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Marc Daunis. Et de Martial Bourquin !

M. Daniel Raoul. C’est petit bras !

M. André Reichardt. C’est d’autant plus d’actualité aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en tant que membre de la commission des affaires étrangères, ayant également été vice-présidente de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, dont je salue le président, Martial Bourquin (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.), il n’y a rien de surprenant à ce que je sois particulièrement attentive à la place de nos PME-PMI à l’international.

Chaque année, avec régularité et obstination, j’évoque des pistes pour améliorer notre dispositif lors de l’examen des budgets des ministères en charge des PME-PMI et du commerce extérieur. La configuration politique de cette année m’ayant privée de cet exercice, je profite de ce débat particulièrement opportun, dont je remercie l’UMP (Ah ! sur les travées de l'UMP.) – une fois n’est pas coutume ! –, pour faire quelques observations, en espérant bénéficier d’une écoute plus attentive que les années précédentes.

Vous aurez donc droit à la version actualisée de mon texte, qui, vous l’aurez compris, est centré sur la place de nos PME-PMI à l’international, car le sujet proposé par nos collègues de l’UMP sur la place des petites et moyennes entreprises dans notre économie ne me limite pas aux frontières de la France.

Alors que nos ambassadeurs devraient être les chefs de file incontestés des dispositifs économiques, il n’est pas rare que l’équipe France marche en ordre dispersé, parfois même avec des joueurs qui marquent contre leur camp, et je vais vous en fournir quelques exemples.

L’attractivité de nos territoires, dont vous avez la charge, madame la ministre, commence à la porte de nos consulats. Que dire de cette politique absurde des visas, dénoncée dix fois par notre ancien collègue Adrien Gouteyron ? Alors que la demande de visas est en forte croissance – 2,5 millions de visas ont été accordés cette année –, nous sommes un modèle de décalage entre l’étendue de notre réseau diplomatique et consulaire et nos moindres performances en termes de diplomatie économique.

Notre réseau, qui compte 92 consulats et consulats généraux, et 135 sections consulaires d’ambassades, est sous tension : cet été, le consulat de Shanghai a tiré la sonnette d’alarme. Face à une demande de visas qui explose, dans une circonscription qui représente le quart du PIB chinois, nos capacités trop étroites créent un goulot d’étranglement. Notre consulat ne compte en effet que seize agents ; il faut huit semaines pour avoir un rendez-vous et 10 000 demandes sont rejetées avant examen, faute de capacité à les traiter. Tous les autres pays se renforcent dans la compétition afin d’attirer des touristes, lesquels dépensent en moyenne 1 200 euros par voyage. Les Américains, et désormais les Britanniques, sont à soixante-dix personnes. Même les Italiens font mieux que nous !

C’est là un manque à gagner considérable. En effet, les touristes chinois contribuent pour un tiers au chiffre d’affaires des grands magasins parisiens. On estime le coût d’opportunité d’un emploi non créé au consulat à 340 000 euros de recettes perdues chaque année pour le budget de l’État et à 8 millions d’euros pour l’économie française. Il en est de même à Moscou, en Australie, aux Émirats arabes Unis ou au Qatar. À cet égard, je vous renvoie au rapport budgétaire que nous n’avons pas pu examiner en séance.

Une fois franchi le seuil de nos ambassades, il y a les missions économiques. Vaste sujet ! On y trouve peu d’agents parlant la langue du pays. Ces missions, qui facturent des prestations et bénéficient de financements publics, n’ont aucune obligation de résultat.

Les missions Ubifrance, que nous avons dénoncées à plusieurs reprises, ne sont souvent absolument pas compétentes. En tout cas, leurs résultats ne sont jamais mesurés. Un outil d’évaluation et un contrôle externe puissant font ici incontestablement défaut.

Comment doit-on comprendre le budget d’Ubifrance ? Ce budget s’élève à 104,2 millions d’euros au titre de l’action n° 7 du programme 134, auxquels s’ajoutent 216 millions d’euros de ressources propres, soit plus de 320 millions d’euros. Si l’on y ajoute les fortes augmentations de frais de personnel, lesquels sont passés de 70 millions d’euros à plus de 83 millions d’euros, on arrive à un ratio de cinq entreprises aidées par agent. Encore faut-il se donner la peine de faire la division…

Les bureaux d’Ubifrance sont installés non pas là où il faudrait aider les entreprises à être présentes à long terme, mais là où des prestations peuvent être vendues rapidement. En voulant vendre au maximum son expertise, Ubifrance communique plus sur ses services que sur l’intérêt des marchés. Cette attitude n’aide pas les entreprises à avoir une démarche réfléchie sur leurs priorités à l’international, comme le soulignait notre collègue Jean-Yves Leconte l’année dernière.

Mais nous avons noté les annonces du Gouvernement, notamment les propositions 14 et 15 du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi du 6 novembre 2012.

Les acteurs, notamment les plus parisiens d’entre eux, doivent se rendre accessibles sur le terrain et ne pas attendre d’être sollicités. C’est à Ubifrance d’aller à la rencontre des acteurs de terrain, si préoccupés par leur quotidien que l’exportation leur fait peur.

Je vous le dis depuis des années : il faut des outils de proximité qui viennent à eux afin de les encourager à faire ce chemin, d’autant que la culture entrepreneuriale en France ne conduit pas spontanément les PME à se projeter à l’international. À cet égard, je vous renvoie au très bon rapport du Conseil économique, social et environnemental.

À ce stade, plusieurs impératifs s’imposent.

Tout membre d’une mission économique ou d’Ubifrance et de ses déclinaisons devrait obligatoirement avoir une très bonne connaissance de l’anglais et de la langue du pays dans lequel il est implanté. Vous allez sourire, madame la ministre, mais c’est un minimum ! Savez-vous que moins de la moitié de nos ambassadeurs dans les vingt-deux pays de la Ligue arabe parlent l’arabe ? C’est juste un constat.

Je vous suggère également d’instaurer une obligation de résultat. Il est absolument inconcevable que des agents chargés de notre développement économique ne soient pas soumis à ces obligations, telles qu’elles existent dans les ambassades allemandes ou italiennes.

Il faut en outre aider les investissements et les prises de participation dans nos entreprises, car il n’est pas douteux qu’une partie de leur croissance ne peut se faire qu’à l’international.

Optimiser le suivi des réseaux des étudiants, mais aussi des personnes ayant réalisé des stages ou ayant fait un apprentissage en France, est un objectif qu’il conviendrait de se fixer. Cela ne peut vous laisser insensible, madame la ministre, vous qui êtes aussi chargée de l’économie numérique, d’autant que les mesures que je suggère ne coûtent rien, ce qui, en cette période de disette budgétaire, est plutôt intéressant.

Une fois qu’ils ont étudié en France, les jeunes ne font pas l’objet de suivi. Comment, dès lors, constituer ou animer un réseau ? Aujourd’hui, personne en France n’a d’idée précise du nombre ni de la qualité des stagiaires qui sont venus étudier dans notre pays.

M. Marc Daunis. C’est vrai !

Mme Nathalie Goulet. Quand un industriel français veut se rendre à l’étranger, il ne dispose même pas de la liste des personnes qui, dans son secteur d’activité, ont travaillé ou ont été formées en France, bien souvent d’ailleurs grâce à des bourses ou des programmes d’échanges. Les ambassades ne disposent pas non plus de ces listes. La valeur ajoutée créée par la France n’a ainsi aucun effet sur son économie.

Nos partenaires anglais et allemands parviennent, quant à eux, à rester en contact, via une adresse électronique, avec 70 % de leurs anciens stagiaires. Le taux de suivi, chez nous, est d’un peu moins de 10 %. Il est effectué sur la base du volontariat et par courrier postal. Je pense que, en la matière, la marge de progrès est relativement importante.

J’en viens à la coopération décentralisée. Sur ce sujet, de nombreuses régions devraient s’inspirer de l’Alsace ! (M. André Reichardt sourit.)

Au total, 4 754 collectivités territoriales françaises mènent près de 12 000 projets dans 139 pays. Je dirais qu’il s’agit, pour le moins, d’une légère dispersion de notre action ! La région Basse-Normandie a une coopération avec le Fujian, qui compte 38 millions d’habitants. Les responsables de cette région chinoise semblent avoir du mal à comprendre pourquoi la Haute-Normandie, elle, mène une coopération avec le Zhejiang, qui en compte 51 millions. Nous retrouvons à l’international les aberrations de notre système local. Il est vrai, cependant, que les régions sont pressenties pour être associées à part entière et de plein exercice au nouveau dispositif pour favoriser l’exportation. Un partenariat État-région allant en ce sens a d’ailleurs été signé le 18 septembre dernier. C’est une bonne nouvelle.

Je veux maintenant dire un mot de la diplomatie parlementaire, sujet qui m’est cher.

Contrairement à ce qui se passe au Royaume-Uni, en Allemagne, en Turquie et dans les pays de culture anglo-saxonne, les parlementaires ne sont pas assez utilisés pour appuyer et soutenir le développement à l’international de nos entreprises.

Les parlementaires en mission sont regardés par les administrations comme des touristes qui voyagent sur argent public. Une suspicion de principe prévaut. Bien entendu, les règles déontologiques doivent s’appliquer à eux. J’ai également conscience des risques de conflits d’intérêts que leur implication pourrait entraîner. Cependant, en tant que parlementaires, nous connaissons mieux que personne notre terrain industriel ou artisanal. Nous pouvons le défendre et assurer sa promotion dans des conditions claires et transparentes.

De ce point de vue, les annonces faites par Laurent Fabius, portant sur la diplomatie économique, font naître l’espoir de voir notre ambassadeur être le vrai chef d’orchestre du réseau France, assisté des parlementaires, des élus des collectivités locales, au premier rang desquelles les régions, des réseaux consulaires et des chambres de métiers.

Madame la ministre, je conclurai mon intervention par une dernière proposition, partant du principe que, finalement, on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Ainsi, je vous annonce que je suis candidate à toute mission que vous pourriez me confier, afin d’étudier dans quelles conditions les parlementaires peuvent venir à l’appui de nos entreprises dans les opérations internationales. (Marques d’amusement sur diverses travées.) Nous sommes quasiment entre nous ce soir, nous pouvons donc nous parler. (Sourires.)

Vous n’aurez pas trop de cinq ans, avec vos collègues du Gouvernement, dont notre ancienne collègue Nicole Bricq, dont chacun ici connaît les compétences, la volonté et l’expérience, pour mettre bon ordre dans ce secteur d’activité. Les premières mesures annoncées vont dans le bon sens. Néanmoins, le travail est important. Les mauvaises habitudes sont tenaces et le manque d’outils d’évaluation fiable, à ce jour, constitue un handicap qu’il faudra surmonter.

Nous sommes très nombreux sur ces travées – je pense que c’est le cas de la totalité des parlementaires présents ce soir – à souhaiter que l’équipe France gagne, dans l’intérêt de nos territoires, que nous sommes, au Sénat, bien décidés à défendre. Dans cette entreprise, vous pourrez compter sur mon entier soutien. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur Reichardt, si le rapport que vous mentionnez a été de grande qualité, il me semble que c’est aussi parce que Martial Bourquin y a largement participé, et je tenais à lui rendre hommage. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade. M. Chatillon, certes, y a travaillé, mais, parmi tous ses auteurs, vous ne citez que lui ! Cette façon d’agir ne correspond pas à ma conception de la démocratie et du débat parlementaire.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’était pas volontaire !

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous discutons aujourd’hui de la place des petites et moyennes entreprises dans notre économie. C’est un sujet important. Je suis, avec mes collègues du RDSE comme avec beaucoup d’autres, de ceux qui pensent que les PME doivent occuper une place centrale dans le développement économique de notre pays.

Le Gouvernement a d’ores et déjà engagé ou annoncé un certain nombre d’actions en faveur des PME. Je pense essentiellement à la Banque publique d’investissement, qui est en train de se mettre en place.

Outre le projet de loi portant création de la BPI, le Gouvernement a également présenté un pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, dont la quasi-totalité des mesures concerne les PME. Certaines sont même spécialement ciblées sur ces entreprises. C’est une bonne chose. Nous sommes de ceux, au sein de la majorité, qui les approuvent. Nous vous invitons même, madame la ministre, à mettre rapidement en œuvre toutes ces mesures et à les compléter par d’autres. L’activité, vous le savez, est malheureusement au plus bas. Le moral des dirigeants d’entreprises, en particulier des plus petites, n’est pas florissant.

Il est urgent de relancer la croissance pour redonner confiance aux entrepreneurs et leur permettre d’investir, d’innover et d’exporter. Cela passera non seulement par une relance de la consommation intérieure, à travers une hausse du pouvoir d’achat des Français, mais aussi, nous le savons tous, par la capacité de nos entreprises à conquérir de nouveaux marchés à l’international. Il est donc urgent d’agir, et je sais, madame la ministre, que vous vous y évertuez.

Le Mittelstand allemand est souvent cité en exemple. Il est vrai que l’Allemagne a réussi, en dix ans, une incroyable relance de son économie, qui repose essentiellement sur son solide tissu de petites et moyennes entreprises. Certes, le succès des PME allemandes est en grande partie lié à des facteurs historiques et institutionnels et n’est donc pas entièrement transposable, mais les réformes courageuses conduites au cours de la dernière décennie, notamment celle du marché du travail, ont également joué un rôle important dans son rebond économique.

Le succès actuel de l’industrie allemande repose sur l’orientation fortement internationale de ses petites et moyennes entreprises, sur une structure industrielle adaptée aux besoins des marchés, notamment émergents, et sur le positionnement haut de gamme des produits. Le secteur automobile en est une bonne illustration.

L’excellent rapport remis au Premier ministre en novembre dernier par le commissaire général à l’investissement Louis Gallois soulignait le caractère indispensable de la « montée en gamme » de l’industrie française. C’est la clef du renforcement de notre compétitivité.

Contrairement à certaines idées reçues, l’envie d’entreprendre et la création d’entreprise se portent plutôt bien dans notre pays, et même mieux que chez certains de nos voisins. Depuis dix ans, la création d’entreprise a même fortement progressé : de 210 000 entreprises créées par an en 2000, nous sommes passés à 550 000 en 2011.

Même s’il existe un écart préoccupant entre les intentions de création d’entreprise et les entreprises effectivement créées, qui révèle la persistance de freins à la création, c’est surtout le développement des TPE et PME qui pose problème dans notre pays.

En Allemagne, 340 000 PME ayant un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros réalisent 20 % du total des exportations allemandes. Les 4 400 « grandes PME », avec un chiffre d’affaires compris entre 50 millions d’euros et 3 milliards d’euros, exportent 40 % de leur fabrication. Elles sont souvent des leaders mondiaux sur ce qu’on appelle des marchés de niches. Mais elles exportent et gagnent de l’argent.

L’analyse des résultats des PME françaises en 2012 montre également que seules les entreprises fortement exportatrices tirent leur épingle du jeu ; ces dernières estiment en moyenne la hausse de leur chiffre d’affaires à 3,9 %, tandis que celles qui n’exportent pas constatent une baisse de 1 % de leur activité. Les résultats sont également plus florissants pour les PME les plus innovantes. Ce sont aussi ces entreprises qui créent des emplois.

Il est donc indispensable de favoriser l’innovation et de faciliter l’exportation. Pour cela, le rapport Gallois préconisait notamment de « créer un mécanisme d’orientation de la commande publique vers des innovations et des prototypes élaborés par des PME », avec pour objectif d’atteindre 2 % des achats courants de l’État. Il s’agit, à mon sens, d’une mesure nécessaire et simple à mettre en œuvre.

Une autre des difficultés françaises concerne les relations interentreprises, notamment entre grands groupes et PME. Une des propositions du rapport Gallois consistait à « conditionner les soutiens de l’État aux actions des grandes entreprises à leur capacité à y associer leurs fournisseurs et sous-traitants ». Il s’agit là d’une piste intéressante, qui mérite, me semble-t-il, d’être creusée.

Quoi qu’il en soit, nous devons agir d’urgence et faire de nos PME une priorité dans toutes nos politiques publiques. L’une des actions proposées par le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi est de mettre en place un test mesurant l’impact des réformes, y compris fiscales, sur les PME. C’est un outil qu’il est en effet urgent de mettre en place, tant l’inquiétude des chefs d’entreprise est grande à l’égard de nombre de mesures prises par le Gouvernement, en particulier dans les différentes lois de finances. Il faudra sûrement, madame la ministre, faire un effort de grande pédagogie et de proximité.

Ce climat d’anxiété, lié à l’instabilité réglementaire et législative, que nous percevons sur le terrain, est néfaste pour le développement des PME et donc pour la croissance française. Simplifier et stabiliser la réglementation et la fiscalité est donc un levier majeur pour que nos PME puissent se développer en toute tranquillité. Elles ont besoin de savoir où elles vont et ce qui les attend sur le plan fiscal. Dans ce domaine, un effort considérable reste à fournir.

La formation est également un enjeu essentiel. Là encore, l’exemple allemand le prouve : la formation professionnelle en alternance, centrée sur l’apprentissage, devrait être l’épine dorsale des PME et des TPE. C’est pourquoi nous soutenons avec force le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. Le Gouvernement s’est engagé à favoriser l’embauche des jeunes en apprentissage dans les PME, avec un objectif de 500 000 apprentis en 2017. Nous ferons tout pour qu’il y arrive. Sans une adaptation de la formation aux besoins de nos PME, le rôle moteur de celles-ci dans la croissance est impossible.

Enfin, l’accès au financement reste l’un des principaux problèmes rencontrés par nos PME. La BPI devrait, je l’espère, améliorer la situation. Les entreprises, en particulier les plus petites, rencontrent de grandes difficultés de trésorerie, liées au ralentissement de l’économie et à l’allongement des délais de paiement : 40 % des PME disent avoir rencontré des difficultés de trésorerie ces six derniers mois ; l’accès aux crédits de trésorerie a posé problème pour 23 % d’entre elles en 2012.

Dans le cadre de la discussion du projet de loi sur la création de la BPI, j’avais appelé l’attention de M. le ministre de l’économie sur la nécessité de trouver des solutions adaptées aux difficultés spécifiques des TPE et TPI. J’ai pris note de son engagement à agir sur ce point.

Grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, mis en place dans le dernier collectif budgétaire pour 2012, les PME qui le demandent pourront bénéficier de la mesure sous forme d’avance de trésorerie, et ce dès 2013.

OSEO, filiale de la BPI, vient de lancer un dispositif de garantie de 500 millions d’euros pour soutenir la trésorerie des TPE et PME. Le ministre de l’économie a également confié à Jean-Michel Charpin, inspecteur général des finances, une mission sur cette question. J’espère que les conclusions de cette mission seront rapidement connues et mises en œuvre. En outre, des mesures pour réduire les délais de paiement sont également attendues.

Madame la ministre, mes chers collègues, vous l’avez compris, l’ensemble du groupe du RDSE, très sensible à l’inquiétude réelle des chefs d’entreprises, invite le Gouvernement à poursuivre et à accentuer ses efforts à destination des PME, pour qu’elles deviennent les véritables fers de lance de notre économie. Il vous assure aussi, madame la ministre, de son entier soutien. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il faut prendre conscience du fait que le mythe du retour durable de la croissance, qui mettrait fin à la crise, est illusoire, voire dangereux. Ce mythe nous empêche en effet d’élaborer des solutions de sortie de crise permettant l’émergence d’une économie moins carbonée.

On évoque souvent l’« exemple allemand ». Certes, il y a des expériences intéressantes chez nos voisins, mais, globalement, l’Allemagne n’est pas forcément un modèle à imiter pour la France ; il suffit de comparer les taux de pauvreté dans les deux pays. Essayons plutôt de travailler à un nouveau modèle français, en prenant en compte notre potentiel et nos capacités.

Cela suppose, dans un premier temps, de s’accorder sur le constat que la crise est multiple pour, dans un second temps, y apporter des réponses, qui doivent de notre point de vue passer par une véritable transition durable de notre économie.

À ce titre, les petites et moyennes entreprises et industries, les PME et PMI, qui sont à la fois créatrices d’emplois, innovantes et ancrées dans leur territoire, sont les forces vives qui permettront la nécessaire transition de notre économie, tant pour multiplier les emplois d’avenir que pour proposer des transitions aux emplois aujourd’hui menacés. Nous devons saisir toutes les possibilités qu’offre cette mutation.

En effet, la crise que nous traversons actuellement est multiple : crise de la dérégulation financière, explosion des inégalités, qui en est le corollaire, et grave crise écologique.

Cette année encore, et cet état de fait va perdurer, la consommation est restée globalement faible, les ménages ayant plutôt adopté des stratégies d’accumulation d’une épargne de précaution. Par ailleurs, les exportations, notamment vers les pays émergents, étaient encore trop faibles pour tirer l’activité globale. Si nous devons avoir des objectifs en termes d’exportation, il faut aussi aborder la question de la consommation locale et y apporter des réponses. J’y reviendrai dans quelques instants.

Quant aux solutions keynésiennes classiques de relance, à supposer qu’elles puissent être mises en œuvre, elles se heurteraient aux défis environnementaux, en particulier la hausse du prix des matières et de l’énergie, à laquelle nous ne couperons pas.

Réindustrialiser nos territoires dans le respect de l’homme et de l’environnement, produire local et rapprocher le producteur du consommateur, soutenir les PME innovantes, investir dans la recherche pour développer les technologies vertes, voilà où réside une part de notre avenir.

Il faut aller vers une économie plus sobre et, en matière agricole et agroalimentaire, vers une agroécologie qui réoriente les modes de production.

Prenons l’exemple du désastre, car c’en est un, de la société Doux – j’évoque la Bretagne, puisque je suis moi-même élu de cette région –, qui a profité des aides européennes pour exporter du poulet bas de gamme alors que la France importe le tiers des poulets qu’elle consomme. Nous avons les outils de transformation et le savoir-faire ; essayons donc d’apporter des réponses en termes de consommation locale et nationale.

Il faut développer un aménagement du territoire qui se donne comme priorité une relocalisation de l’économie et une proximité des emplois, des services et des logements.

De même, nous devons développer des emplois verts non délocalisables dans des secteurs d’avenir. Je pense évidemment au bâtiment, aux énergies renouvelables, comme l’éolien ou le solaire, qu’il soit thermique ou photovoltaïque, aux transports et aux diverses nouvelles technologies.

Les PME et PMI peuvent être, je l’ai indiqué précédemment, les forces vives qui nous permettront d’organiser la nécessaire transition de notre économie vers une économie moins carbonée. Il est primordial de faciliter réellement l’émergence et le développement de celles qui, tout en innovant, respectent des impératifs sociaux et environnementaux.

Concrètement, les mesures à prendre sont, selon nous, multiples.

Premièrement : orienter les crédits de recherche vers les PME innovantes plutôt que vers les grands groupes, qui peuvent en profiter puis délocaliser.

Deuxièmement : favoriser l’accès à la commande publique pour les PME et PMI, qui souffrent, plutôt que pour ces mêmes grands groupes.

Troisièmement : alléger l’imposition des structures de l’économie sociale et solidaire.

Quatrièmement : investir sur la formation. C’est évidemment primordial. Outre la formation initiale, chacune et chacun devraient à terme pouvoir bénéficier d’un crédit d’un certain nombre d’années de formation tout au long de la vie.

M. le ministre du redressement productif a souligné à plusieurs reprises que nombre de nos PME et PMI étaient des pépites technologiques. Nous souscrivons à cette idée, et nous réaffirmons la nécessité de soutenir davantage celles qui innovent dans des secteurs d’avenir, créent des emplois non délocalisables et participent à l’aménagement et au développement de nos territoires.

J’ai eu quelques contacts avec des chefs d’entreprise dans le train. L’un d’eux, qui travaille dans le domaine de l’acier, m’a indiqué que tout son matériel provenait du Japon ; apparemment, ce pays est à la pointe en la matière, ce que j’ignorais. L’acier, nous en avons. Ne pourrions-nous pas nous aussi investir dans ce domaine ? Selon un autre, qui travaille dans la conception de bateaux, les pays nordiques sont beaucoup plus en avance que nous sur l’utilisation éolienne en complément de l’énergie des moteurs sur des bateaux de taille moyenne.

Cet après-midi, nous avons évoqué les travaux de la mission commune d’information sur les pesticides. Il est question de faire en sorte que ces produits ne soient plus utilisés sur les espaces publics communaux. Pour cela, nous avons besoin de matériel de désherbage mécanique. Or, aujourd'hui, en agriculture comme dans les espaces communaux, nous importons ce matériel d’Autriche. Pourtant, nous avons le savoir-faire. Nous devons pouvoir le mettre en œuvre et répondre aux demandes en termes de proximité.

Voilà quelques exemples sur lesquels je souhaitais appeler votre attention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.

M. Philippe Darniche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la vitalité de nos PME dans notre économie n’est plus à démontrer. La France compte 2 550 000 PME, qui représentent aujourd'hui 97,4 % des entreprises. Les PME emploient près de 7 millions de personnes, soit presque la moitié des salariés de notre pays. Elles réalisent 34 % du chiffre d’affaires et 42 % de la valeur ajoutée.

Permettez-moi d’évoquer les PME de Vendée, qui tiennent une place tout à fait unique. Sur les 53 000 entreprises vendéennes, dont 11 000 sont artisanales, 91 % d’entre elles comptent moins de neuf salariés, contre 84 % sur le plan national. Ancrées dans notre territoire, ce sont des entreprises qui réalisent leur chiffre d’affaires non pas sur du capitalisme financier, mais sur la vente de services et de leurs produits. Il y a un vrai maillage d’entreprises locales.

Les Vendéens travaillent souvent en famille. Cela donne une force toute spéciale à un travail, qui, parce que familial, sert aussi de lien entre les générations. Ainsi, les PME savent regarder à long terme en investissant dans ce qui ne produira peut-être pas de bénéfices à court terme, mais qui portera certainement ses fruits plus tard. Les PME vendéennes ont compris qu’elles devaient être dynamiques à l’exportation, mais pas seulement. Elles font montre d’une véritable stratégie locale. En Vendée, la proportion de sièges sociaux restés dans le département est, je le rappelle, deux fois supérieure à la moyenne nationale.

Je veux m’appuyer sur ces exemples pour tenter de vous démontrer que l’une des réponses à nos maux sociaux réside sûrement dans ce secteur, mes chers collègues.

Oui, le modèle de nos PME est une réponse à la crise ! Les structures familiales résistent mieux, car le facteur humain est essentiel. Les structures locales résistent mieux, car elles ne sont pas sujettes à la compétition mondiale effrénée. Les conditions de leur vitalité sont simples, mais il faut une fiscalité allégée qui ne plombe pas les trésoreries et un accès au financement de la part des établissements bancaires.

À l’heure où beaucoup de grands groupes industriels licencient, c’est sûrement vers les PME qu’il faut se tourner pour avoir les meilleures réponses au chômage. Mais encore faut-il que les objectifs du Gouvernement aillent en ce sens. Or, avec la hausse de la TVA, ce sont, je le crains, les PME que l’on pénalise : la baisse du taux réduit de 5,5 % à 5 % sur les produits de première nécessité ne compense pas les flambées de l’autre taux réduit, qui passera de 7 % à 10 %, et du taux normal, qui passera de 19,6 % à 20 %. Je pourrais évoquer le tourisme, la restauration, le bâtiment, tant de secteurs pour lesquels la hausse de la TVA est synonyme d’effets économiques contre-productifs. Cela portera un coup sévère à la capacité d’investissement et d’embauche de nos PME, sans compter les risques de destructions d’emplois.

Nous avons donc des réels motifs d’inquiétude si nous ne renforçons pas la compétitivité des PME, notamment en allégeant leurs charges sociales.

Mes chers collègues, pour reprendre la formule de Sully, je dirais que nos PME sont l’une des « mamelles de la France ». Nous devons axer nos efforts sur leur préservation et leur développement. Cœur de notre économie, elles sont un modèle fiable de créativité et d’ancrage territorial, qui doit être mieux soutenu. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Natacha Bouchart.

Mme Natacha Bouchart. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la séance de ce soir a pour objet un débat sur l’avenir des PME en France. Permettez-moi d’introduire mon intervention par quelques observations sur l’intitulé de notre discussion. Elles seront de nature à éclairer la suite de mon propos.

L’avenir des PME en France, c’est tout simplement une part essentielle de l’avenir de la France. Dans un pays si prompt à se diviser au moindre sujet de controverse, il n’est pas inutile de pouvoir constater avec satisfaction que la place des petites et moyennes entreprises est considérée par tous comme capitale pour la prospérité et l’équilibre de notre société.

Cela a déjà été dit, non seulement aujourd’hui, mais à de nombreuses reprises par le passé, les PME sont le premier vivier d’emplois de notre économie. Cette dernière serait évidemment comme une ossature dépourvue de vitalité sans le tissu des PME à côté des grandes entreprises et des administrations. Du point de vue social, la PME, en plus d’être un lieu de travail, est un lieu de sociabilité professionnelle qui diffère avantageusement des standards parfois déshumanisés de certains grands groupes.

Je pourrais poursuivre longtemps ces éloges sur les PME. Surtout, nous pourrions les entendre sur toutes les travées de la Haute Assemblée. Il y a effectivement un vrai consensus national pour juger qu’il est primordial pour l’avenir de la France de se préoccuper de l’avenir des PME.

Devant une telle unanimité, comment expliquer que les PME se sentent les « mal-aimées » de la société française ? Cette question doit nous interpeller, nous, les politiques. Il faut croire que, si l’importance de l’avenir des PME ne fait pas débat, il y a des divergences sur les réponses à mettre en œuvre. Mais est-ce si certain ? Les bonnes réponses sont, pour la plupart, connues. Elles ne demandent souvent qu’à être appliquées.

Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !

Mme Natacha Bouchart. La vérité, c’est que les choix qu’impose aux responsables politiques la mise en place des bonnes solutions doivent tout simplement être assumés. À défaut, le consensus sur les PME ne serait qu’une illusion, et notre débat de ce soir pourrait de nouveau se tenir dans des termes quasiment identiques dans cinq ou dix ans. Refuser ces choix serait une erreur économique et une faute à l’égard des créateurs des PME et de tous les salariés qui y travaillent.

Puisqu’il m’est impossible d’être exhaustive dans le temps qui m’est imparti, je voudrais avant tout faire part des points sur lesquels les PME ont besoin de gestes de confiance. Je me fonde sur les retours du terrain que j’ai pu avoir auprès des chefs d’entreprise en tant que vice-présidente à l’économie d’une communauté d’agglomération et présidente d’une agence de développement économique, où j’ai la chance de pouvoir côtoyer au plus près les petites et moyennes entreprises.

Parmi les réponses connues, mais qui restent encore à mettre en œuvre complètement, il y a la réduction des délais de paiement.

Le précédent gouvernement, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy et avec Mme la ministre Christine Lagarde, a permis, grâce à la loi de modernisation de l’économie, ou LME, de ramener les délais de paiement à quarante-cinq jours fin de mois.

Les PME, face aux banques et aux grandes entreprises, sont nettement plus sensibles aux problèmes de trésorerie, qui peuvent causer de graves difficultés. Il n’est malheureusement pas rare de voir des PME qui ont tout pour réussir mais qui ne peuvent répondre à un surcroît d’activité faute de trésorerie. Pour bien prendre conscience de ce phénomène, rappelons un seul chiffre : le crédit interentreprises représente globalement 500 milliards d’euros par an.

Pour les PME, être en attente de paiement, c’est devoir trouver des financements complémentaires pour répondre aux exigences du marché et maintenir leur rang, alors qu’elles ont besoin de se développer pour faire face à la concurrence internationale. La suite est logique : le chef d’entreprise prend rendez-vous auprès de son banquier pour obtenir un crédit de trésorerie, qui nuira à l’augmentation des fonds propres et au financement des investissements.

La mesure structurelle, qui doit permettre de changer la donne, a été prise sur l’initiative du gouvernement Fillon, mais il nous reste à garantir sa bonne application.

Le calcul des quarante-cinq jours fin de mois reste complexe : fin de mois à échéance de la facture ou à sa date d’émission ? Il nous faut, dans un premier temps, c’est d’ailleurs une revendication officielle des représentants des PME, clarifier cet aspect de la loi pour assurer un meilleur respect des délais de paiement.

Dans un second temps, notre objectif doit être tout simplement l’alignement sur les délais allemands, c'est-à-dire sur les paiements à trente jours. Pourquoi cette réforme, qui paraît de pur bon sens, nécessite-t-elle encore d’être finalisée ? Parce qu’elle nous demande, à nous responsables politiques, de passer outre les récriminations d’un certain nombre d’acteurs : certaines grandes entreprises qui sous-traitent, certaines sociétés de la grande distribution et certaines banques.

Je veux croire qu’il est possible de trouver les moyens d’avancer sur ce sujet, car les délais de paiement sont un enjeu important pour nos PME. Ne serait-il pas normal que ces dernières, comme n’importe quel salarié d’une entreprise, soient payées à trente jours ?

La question des délais de paiement est révélatrice, mais elle n’est qu’un pan de l’enjeu du financement des PME en France. Le dernier dispositif en date qui pourrait améliorer ce point est le nouveau crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.

Il faut malheureusement constater que de nombreux patrons de PME se plaignent de la complexité du dispositif. Celui-ci étant calculé sur la base d’un pourcentage de la masse salariale jusqu’à 2,5 SMIC, son principe peut paraître transparent. Toutefois, en réalité, le croisement avec d’autres mesures antérieures, la prise en compte des heures supplémentaires, des temps partiels ou des arrêts momentanés d’activité font de ce crédit d’impôt une machinerie complexe.

Les grandes sociétés s’y retrouveront, puisqu’elles disposent des ressources juridiques et administratives pour ce faire, mais pas les PME. D’où les sondages révélant la perplexité de leurs dirigeants : 56 % des chefs d’entreprise indiquent ne pas avoir l’intention d’utiliser le nouveau crédit d’impôt.

En réalité, l’échec annoncé du système est la preuve que l’on ne pourra pas différer longtemps la question de l’allégement des charges. Une véritable initiative en faveur de la compétitivité des PME s’impose. Face à la concurrence internationale, et pour redresser notre commerce extérieur, la première réflexion devrait porter sur les moyens permettant d’aider prioritairement les PME exportatrices.

Dans un climat fiscal qui n’est pas fait pour encourager les créateurs de PME et qui n’est pas non plus de nature à doper leur moral – 88 % d’entre eux sont inquiets pour l’économie française –, il est temps d’aborder de front la question de la compétitivité des PME françaises à l’export.

En dehors des questions de compétitivité et de financement des PME, une autre réflexion mérite d’être menée, celle de la revalorisation des actifs. Face aux banques, pour asseoir la crédibilité des PME, une réévaluation des actifs de ces dernières pourrait être facilitée. Cette mesure se heurte malheureusement, on y revient, à l’obstacle de la fiscalité, qui nuit à la bonne prise en compte des actifs des PME françaises.

Avant d’en arriver à ma conclusion, je souhaite aborder un autre point, celui de la place des PME dans la commande publique. La nécessité d’un Small Business Act européen approfondi, sur le modèle de celui qu’avait proposé Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle de 2012,…

Mme Nathalie Goulet. Ça ne lui a pas réussi ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Daniel Raoul. Il ne suffit pas d’en parler !

Mme Natacha Bouchart. … se fait véritablement sentir sur le terrain.

J’en veux pour preuve les difficultés qu’a rencontrées dernièrement l’entreprise La Calaisienne, une PME de cent personnes confectionnant à Calais les uniformes de sortie et de cérémonie des armées françaises de terre et de l’air, au moment où le ministère de la défense avait lancé un appel d’offres dont l’allotissement favorisait les délocalisations.

Au-delà de toutes ces observations, il me semble important de rappeler de nouveau que les PME françaises ont besoin de gestes de confiance. La fiscalité, les avantages dont bénéficient les plus grandes structures, ainsi que certaines mentalités font que nos PME ne se sentent pas soutenues.

Puisque nous sommes tous convaincus qu’il est urgent de les appuyer, écoutons-les et donnons-leur la seule chose qui compte, en politique comme en tout autre domaine : les preuves de la confiance de la société. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.

M. Martial Bourquin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sortons d’une très longue période pendant laquelle les PME et les TPE ont été trop souvent les parents pauvres des politiques économiques et fiscales qui se sont succédé.

Je citerai quelques exemples. Je pense à la fiscalité. Rappelez-vous, lorsque la focale a été mise sur la fiscalité des grands groupes et sur celle des PME et des TPE : 33 % d’un côté contre 8 % en moyenne de l’autre ! Je pense aussi à la réforme de la taxe professionnelle. Tout le monde s’accorde à dire que les PME-TPE n’ont pas été les grandes gagnantes de cette réforme,…

M. Marc Daunis. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Martial Bourquin. … qui a été bâclée. Je pense également au crédit d’impôt recherche, qui privilégie les grands groupes et parfois les banques. Je pense enfin aux restrictions prises à l’encontre des jeunes entreprises innovantes, qui ont été souvent considérées comme des variables d’ajustement budgétaires.

Nous sortons d’une longue période – croyez-moi, en matière économique, dix ans, c’est long ! – au cours de laquelle ont été avancées des propositions parfois incohérentes, qui n’ont jamais réussi à mettre fin à une exception française : notre pays compte un nombre très insuffisant d’ETI. Elles n’ont surtout pas réussi à freiner la désindustrialisation massive qui touche la France. L’industrie manufacturière représente 14 % de notre PIB. C’est un décrochage impressionnant par rapport à la moyenne européenne, qui est de 22 % ou de 24 %.

Nous sortons, enfin, d’une période où les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants, entre les grandes entreprises et leurs fournisseurs, malgré la loi de modernisation de l’économie, continuent d’être régies par la loi du plus fort.

Depuis maintenant un peu plus de six mois, le Gouvernement et la majorité à laquelle j’appartiens ont fait de la lutte en faveur de la réindustrialisation et contre le chômage une priorité. La tâche est immense. Il faudra sans doute du temps pour retrouver le chemin de la croissance et de la compétitivité. Néanmoins, il nous faudra obtenir des résultats rapidement, dans une économie européenne qui peine à retrouver la croissance.

Dans cette reconquête de l’emploi et de la réindustrialisation, les PME, les TPE, ainsi que l’artisanat doivent être enfin considérés comme des partenaires naturels de premier plan.

De ce point de vue, nous avons bien sûr tout lieu d’être fiers de la vitalité de nos quarante grands groupes, car ils ont toute leur place dans l’économie nationale. Cependant, nous ne pouvons plus, comme nous l’avons dénoncé à maintes reprises, notamment dans le cadre de la mission sur la réindustrialisation, faire comme si ces quarante grands groupes étaient les seuls acteurs de notre économie. Nous bénéficions également de l’apport de milliers de PME et de TPE, qui représentent des millions de salariés. Il s’agit là d’une richesse incomparable. Voilà pourquoi nous devons les aider à se développer, à exporter, à embaucher, à investir et à créer de la valeur.

La volonté de soutenir l’emploi se joue ici, comme la bataille en faveur de l’investissement et de l’exportation. À ce titre, on sait très bien que la question de l’innovation est fondamentale.

Sans les PME, je le dis tout net, il n’y aura pas de résultat sur le front du chômage, pas plus que sur le terrain du commerce extérieur, dont il convient de combler le déficit. Ce sont certainement les PME qui permettront de gagner la bataille de la production française, bassin de production après bassin de production, bassin d’emploi après bassin d’emploi.

Le contrat de génération, qui sera prochainement mis en place, permettra de régénérer la pyramide des âges dans de nombreuses entreprises, afin de favoriser le transfert de compétences. De la sorte, le savoir-faire des aînés sera transmis aux nouvelles générations.

Nous mettrons également en œuvre une politique d’alternance concernant l’apprentissage, très près des entreprises, afin que les apprentis soient placés en situation de travail. Voilà les réponses concrètes qu’apportent aujourd’hui le Gouvernement et la majorité aux problèmes des PME-TPE.

En quelques mois, des mesures structurelles cohérentes ont été prises. Elles devraient permettre de répondre aux préoccupations premières des chefs d’entreprise et de déclencher une dynamique d’investissement et de réindustrialisation. C’est maintenant qu’il fallait prendre ces mesures, au plus fort de la crise, pour que nous puissions aborder la reprise économique dans les meilleures conditions. Ainsi, l’emploi, l’innovation et l’industrie ne manqueront pas le rendez-vous de la croissance lorsque celle-ci reprendra en Europe.

Premièrement, le nerf de la guerre, bien entendu, c’est le financement. J’ai reçu ce matin, dans le cadre du groupe d’études sur l’industrie, les membres de la direction de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME. Ils m’ont confirmé leurs difficultés d’accès aux financements privés, la frilosité des banques, l’indigence, parfois, du capital-risque en France.

À ce titre, chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, la création de la Banque publique d’investissement et son accessibilité privilégiée pour les PME doit nous paraître une excellente chose !

M. Francis Delattre. Quand fonctionnera-t-elle ?

M. Martial Bourquin. Cela arrive, cher collègue !

M. Marc Daunis. Vous avez perdu dix ans, vous pouvez bien attendre encore un peu ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Daniel Raoul. C’est la vérité !

M. Martial Bourquin. Nous avons évoqué cette question il y a quelques semaines. Vous avez dirigé le pays pendant dix ans !

M. Francis Delattre. OSEO fonctionnait !

M. Martial Bourquin. Nous ne sommes pas au pouvoir depuis longtemps. Le projet de loi a été voté au Sénat il y a quelques semaines. La BPI arrive !

M. Francis Delattre. Vous avez perdu un an. Pouvions-nous nous le permettre ?

M. Martial Bourquin. Quoi qu’il en soit, la future Banque publique d’investissement sera aux côtés des PME et des TPE.

Le deuxième point, c’est la compétitivité. Les PME pourront dès cette année bénéficier du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. J’ai entendu tout à l’heure parler de certains sondages... Bien sûr que les chefs d’entreprise auront accès à ce dispositif ! Ce crédit est fait pour eux ! Il représente un allégement de 4 % des cotisations sociales, ce qui n’est pas négligeable dans un contexte de trésoreries fragilisées par des commandes raréfiées.

Troisième point, je sais que le Gouvernement travaille en concertation avec les partenaires sociaux pour simplifier les démarches administratives. C’est une priorité. Nombreuses sont les PME qui se noient dans des procédures parfois ubuesques : c’est un temps précieux qu’elles ne consacrent pas à monter des dossiers de développement, d’exportation et d’innovation. Je me permets, madame la ministre, d’insister sur une nécessaire réforme du régime social des indépendants, le RSI.

Mon quatrième point, et non des moindres, portera sur le brevet unique européen.

M. Marc Daunis. Eh oui, il faut en parler !

M. Martial Bourquin. Ce dispositif est tout récent, chers collègues de l’opposition, puisqu’il a vu le jour lors du conseil des ministres européens de l’industrie en décembre dernier. Dès le 1er mai prochain, des milliers de PME n’auront plus besoin de traductions financières onéreuses pour déposer leurs brevets.

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Martial Bourquin. Les grandes déclarations de cœur, c’est bien beau, mais, comme chacun sait, en amour, seules les preuves comptent. Voilà bien la preuve que le Gouvernement et la majorité sont aux côtés des PME.

Reconnaissez, mes chers collègues, que cela fait beaucoup en peu de temps. Nous sommes dans le concret. D’autres pistes mériteraient d’être explorées.

Je souhaite dire quelques mots sur les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants, un sujet crucial pour l’avenir de notre industrie et de notre tissu économique. La mission d’information commune que nous avons menée en 2010 et en 2011 au Sénat, certains s’en souviennent, avait montré que ces relations étaient déséquilibrées. L’Allemagne et l’Italie ont pris des dispositions pour protéger les petites entreprises qui innovent ; pas nous !

Combien avons-nous d’exemples d’entreprises innovantes que leurs donneurs d’ordre ont laissé couler pour se constituer de la trésorerie, ou, pire, pour récupérer des brevets et embaucher les meilleurs éléments que ces PME auront formés ? Trop, beaucoup trop ! Et cette situation, dont nous semblons nous accommoder, n’est plus acceptable.

La masse du crédit interentreprises atteint 600 milliards d'euros.

M. Daniel Raoul. C’est grave !

M. Martial Bourquin. Une telle masse monétaire, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, est un frein majeur à la compétitivité, à l’investissement et à l’emploi. Elle est bien évidemment révélatrice de la difficulté des entreprises, notamment petites et moyennes, d’obtenir des délais de paiement acceptables. Ce laisser-faire, qui pourrait être criminel – « ces PME qu’on assassine », avait dit M. Volot – révèle également un manque d’attention majeur envers ces petites et moyennes entreprises.

J’ai été chargé de mener à bien un inventaire des problèmes rencontrés par ces PME, notamment dans le secteur industriel, et de rendre, dans quelques semaines, au ministère des finances et du redressement productif un rapport préconisant des mesures simples et, je l’espère, efficaces pour réguler et pacifier les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants ; la santé et la vitalité de beaucoup de PME en dépendent.

Dernier point, mais je laisserai mon ami Marc Daunis en parler plus longuement, j’attends des mesures structurelles pour promouvoir la mise en réseau systématique de nos PME.

Nous avons besoin d’écosystèmes industriels intelligents, cohérents, qui fonctionnent entre eux, afin de favoriser le partage de l’information et de l’innovation et de permettre l’instauration d’une véritable solidarité entre les territoires et entre les entreprises. (M. Daniel Raoul acquiesce.) En Allemagne, dans les districts italiens, cela existe. Cela commence à se faire chez nous. J’ai rencontré les acteurs de ces écosystèmes dans le Nord, notamment à Sochaux qui « clustérise » son territoire, à Sofia-Antipolis et dans plusieurs autres secteurs.

C’est là, à mon sens, une orientation très importante pour notre industrie. Ces écosystèmes lui permettent de fonctionner de façon intelligente. Ils favorisent entre nos grands groupes, nos champions de l’industrie et nos PME des rapports de solidarité, de complémentarité, et non de soumission. Tel est le gage du succès. Si nous savons les développer, nous saurons gagner la bataille de l’industrie et permettre à notre économie de retrouver tout son dynamisme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les petites et moyennes entreprises englobent un monde très varié selon les domaines d’activité et, bien sûr, la taille de l’entreprise, qui va de vingt salariés à plusieurs centaines. C’est dire combien la thématique du débat que nous avons aujourd’hui est large et combien les questions peuvent être diverses.

Les PME sont un moteur incontestable de la création d’emplois en France. Plus de 600 000 emplois nets ont été créés ces dix dernières années par les entreprises de moins de 500 salariés, répartis à peu près à égalité entre les sociétés de moins de 20 salariés et celles qui en comptent de 20 à 499.

Il apparaît donc essentiel de « sécuriser l’environnement des PME », en leur garantissant de la stabilité et de l’activité. C’est dans ce sens qu’il faut mener la réflexion pour rééquilibrer les relations entre grandes et petites entreprises, encourager l’innovation, l’export et la formation.

Interroger la place des PME dans l’économie, c’est donc poser la question de la politique économique que nous trouvons la plus pertinente pour pérenniser et encourager le développement de ce tissu économique et être aux côtés des entrepreneurs et des salariés.

Face à l’hétérogénéité des PME, une certaine homogénéité des difficultés s’affirme, notamment en termes de capacité à investir. Les PME n’investissent plus. En 2010, le taux d’investissement des PME était de 13 %, contre 18,7 % pour l’ensemble des entreprises. Comme le rappellent les dirigeants des PME, il s’agit du taux le plus bas depuis 1996. L’un des obstacles majeurs réside dans les difficultés de trésorerie et d’accès au crédit. Ce sera le premier point de mon intervention.

L’accès au financement des PME est difficile. En 2012, selon la CGPME, 69,5 % des dirigeants de PME ont subi au moins une mesure de restriction sur leurs conditions de financement ; ils étaient 71 % en 2011. De même, si, d’après les enquêtes de la Banque de France, les critères d’octroi des crédits aux entreprises n’ont pas changé durant l’année, ils n’ont pas non plus été assouplis. Dans ce contexte, la création de la Banque publique d’investissement suscite beaucoup d’espoirs.

Cependant, comme nous avons pu l’expliquer lors des débats sur le projet de loi relatif à sa création, la BPI ne nous semble pas complètement en mesure de répondre aux besoins de liquidités et de trésorerie immédiate des entreprises. Cet instrument est très loin du pôle financier public que nous proposons pour faire décoller le financement de l’activité économique.

Tout d’abord, la BPI n’est pas suffisamment dotée et, surtout, elle n’est pas un véritable établissement de crédit. Comme vous le savez, mes chers collègues, elle n’a pas la possibilité de se refinancer auprès de la Banque centrale européenne. Nous avions demandé que ce soit le cas. Cela n’a pas été accepté et, aujourd’hui, nous inscrivons les PME dans un contexte financier similaire à celui d’hier, ce qui implique la répétition des mêmes obstacles pour ces entreprises. Aux niveaux européen et national, des réformes ambitieuses doivent être engagées.

Je rappelle que, entre décembre 2011 et février 2012, la Banque centrale européenne, la BCE, a prêté aux banques, au taux de 1 %, quelque 1 000 milliards d’euros, et cela sans aucune condition d’utilisation. Les banques privées n’ont pas réinjecté tout l’argent dont elles ont bénéficié dans l’économie réelle. Des entreprises rentables ont été et sont asphyxiées pour de simples problèmes de trésorerie.

Pour donner une réponse aux problèmes récurrents d’accès au crédit des PME, il est nécessaire, à l’échelon européen, de porter une réforme de la BCE. Ainsi, nous estimons que le refinancement des crédits bancaires devrait être différent selon qu’il s’agit de financer de l’économie réelle ou des opérations financières. La BCE devrait également être autorisée à prêter aux États membres.

En interdisant à la BPI de se refinancer auprès de la BCE, on lui impose d’emprunter aux banques privées aux taux auxquels ces dernières voudront bien lui prêter. Cela ne nous rassure pas sur la capacité de la BPI à répondre aux enjeux en présence. Toutefois, comme l’a dit mon collègue Éric Bocquet il y a quelques semaines ici même, nous attendons de voir comment sera utilisée la BPI.

Un autre instrument mis en place par le Gouvernement, qui ne rompt absolument pas avec les politiques menées encore voilà peu, est censé relancer l’activité économique : il s’agit du crédit d’impôt pour la croissance et l’emploi, le CICE. Nous avons vivement dénoncé ce crédit d’impôt de 20 milliards d’euros pour les entreprises et la modification des taux de TVA qui doit permettre de le financer.

D’une part, ce crédit accordé sans conditionnalité constitue un véritable chèque en blanc et ne garantit pas la création d’emplois ou la relance de la politique d’investissements des PME. De plus, à ceux qui lui reconnaîtraient des vertus, il faut rappeler que le CICE ne bénéficie qu’aux PME constituées en sociétés anonymes ou en sociétés à responsabilité limitée. Il est donc vecteur de distorsion entre les PME et, de manière contradictoire, il alimentera plus la trésorerie des donneurs d’ordre.

D’autre part, la hausse de la TVA aura des conséquences lourdes sur le pouvoir d’achat des ménages, et elle entraînera bien plus d’effets récessifs que le crédit d’impôt n’emportera d’effets positifs.

Ensuite, je voudrais insister sur la nécessité de changer radicalement de cap dans la politique économique et industrielle de notre pays.

En effet, les PME sont étroitement liées à la bonne santé du secteur industriel. Je pense ici à l’industrie automobile, qui constitue l’une des grandes filières industrielles de notre pays. Au total, 800 000 salariés au moins travaillent en lien avec le secteur automobile, compte tenu de ses effets induits. Aider les PME, c’est aussi leur garantir des débouchés en lien avec l’industrie nationale, et c’est donc se donner les moyens de pérenniser cette activité. Au contraire, les délocalisations, les fermetures de sites continuent, sous la pression de la financiarisation de l’économie.

Après PSA, les chiffres calamiteux de l’industrie automobile française vont faire d’autres victimes collatérales. Renault, qui se trouve pourtant en meilleure santé que son principal concurrent dans l’Hexagone, a annoncé la suppression de 7 500 postes en France, l’un des pires « plans sociaux » de son histoire. Aujourd’hui, l’entreprise menace de fermer deux sites si aucun accord de compétitivité n’est trouvé. Ce chantage est inadmissible et l’État doit être aux côtés des salariés du groupe pour défendre l’ensemble du bassin d’activité qui en dépend.

Lors du débat que nous avions engagé il y a un an sur l’industrie automobile, Renault inaugurait à Tanger une usine dont une partie des véhicules a vocation à être réimportée en France. Il nous semble que des mesures pourraient être rapidement prises pour éviter de tels comportements, à commencer par l’interdiction des licenciements boursiers ou l’instauration d’une taxe sur la réimportation des productions délocalisées. Il y va de la survie de nombreuses entreprises.

Il est important d’évoquer ici les liens entre les donneurs d’ordre – pour la plupart de grandes entreprises – et les sous-traitants. Dans le secteur automobile, mais cela est vrai dans bien d’autres, je pense en particulier à l’agroalimentaire, les sous-traitants sont considérés non pas comme des partenaires, mais comme un réservoir de productivité à exploiter pour conforter unilatéralement les marges des donneurs d’ordre.

Nombreuses sont les pratiques illégales dénoncées par le médiateur de la sous-traitance : désengagement brutal du donneur d’ordre, exploitation de brevet ou de savoir-faire sans l’accord du sous-traitant, baisse de prix imposée unilatéralement sur des programmes pluriannuels, travail non rémunéré, incitation à la délocalisation. Il est urgent de prendre des mesures pour rétablir un équilibre dans ces relations commerciales, surtout quand la PME n’a qu’un seul client.

Je voudrais maintenant évoquer l’un des secteurs que j’affectionne.

Lors des débats sur la loi de modernisation de l’agriculture, nous avions évoqué l’intérêt de développer les circuits courts pour donner un nouveau souffle entrepreneurial dans l’agriculture. Certains partenariats sont mis en place entre la grande distribution et des producteurs et entreprises locales. Nous pensons qu’il serait utile de revenir sur la question des relations commerciales entre PME, centrales d’achat et grande distribution. Si certains efforts ont été consentis en termes de délais de paiement, le déséquilibre dans les relations entre certains fournisseurs et distributeurs est toujours d’actualité. Résoudre ce problème est aussi une condition au développement des PME dans ce secteur d’activité.

Enfin, est-il possible de parler des PME sans évoquer celles et ceux qui y travaillent, le rapport de l’homme au travail, les discriminations salariales hommes-femmes, les méthodes de management qui mériteraient une sérieuse évolution pour que chacun se sente bien dans l’entreprise ?

Le projet d’entreprise ne doit plus être seulement l’affaire du patron ou des actionnaires : tout le monde doit y trouver sa place. Les sociétés coopératives et participatives, les SCOP, sont une illustration de ce vers quoi peut évoluer une entreprise mais, quel que soit le statut des entreprises, il me semble impératif qu’elles évoluent dans le domaine de l’humain. Tout le monde y gagnera ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.

M. Francis Delattre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, s’intéresser aujourd’hui aux difficultés, aux attentes, aux inquiétudes des PME relève, eu égard à la situation du chômage, de l’esprit civique.

Les PME emploient près de 7 millions de personnes en France, soit pratiquement 50 % des salariés du secteur privé. Cela fait longtemps que l’on entend dire qu’il faut favoriser, renforcer, accompagner les PME, qu’elles sont l’arme la plus fiable pour lutter contre le chômage.

En réalité, nous sommes toujours très doués, toutes tendances confondues, pour établir des diagnostics ; nous sommes un peu plus en difficulté lorsqu’il s’agit de trouver des solutions concrètes !

M. Francis Delattre. Aussi, on crée des commissions. Nous nous souvenons de la commission présidée par M. de Virville, directeur chez Renault, qui visait à simplifier le code du travail. Nous avons eu ensuite la commission présidée par M. Attali, qui avait formulé 300 propositions. On n’en a retenu qu’une seule, celle qui concerne la rupture conventionnelle du contrat de travail. En réalité, on réforme souvent a minima.

Le soutien aux PME était l'un des engagements de campagne du Président de la République, mais, depuis lors, le vent s'est levé, l'ambiance s'est tendue, la grogne des « Pigeons » est passée par là. Le Gouvernement marche sur un fil et sans filet,…

M. Yannick Vaugrenard. C’est courageux, tout de même ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Francis Delattre. … sous la pression de sa majorité plurielle, en réalité souvent versatile, qui lui rappelle sans cesse ses engagements électoraux. Aujourd'hui, après six mois de présidence – je n’évoquerai pas les dix ou quinze années passées –, quelle est la situation ?

Nous constatons que l'économie française a perdu 63 800 emplois, dont environ 80 % concernent effectivement les PME. Ces destructions d'emplois affectent toutes les régions et toutes les catégories socioprofessionnelles. Chacun peut constater une perte globale d’effectifs dans l’industrie, où nous avions cinq millions de salariés dans les années quatre-vingt, alors qu’il n’en reste plus qu’environ trois millions.

Nous avons un autre critère : les pertes de parts de marché, qui sont considérables à l’exportation. Elles sont passées de 12,7 % en 2000 à 9,3 % aujourd'hui. La perte de compétitivité est donc le problème central de ce pays. Le rapport Gallois l’a fait apparaître au grand jour, et ce constat est aujourd’hui largement partagé.

Ce rapport préconisait des réformes structurelles et un choc de compétitivité consistant à réduire les cotisations sociales de 30 milliards d'euros sur un an ou deux ans au maximum. C’eût été une bonne mesure, qui aurait permis de rendre assez rapidement de l’oxygène et de la confiance aux entreprises.

La difficulté est qu’aujourd’hui, mes chers collègues, nous ne disposons pas d’un dispositif tout à fait opérationnel. Pour 2013, je suis impatient qu’on m’explique comment le pacte de compétitivité va fonctionner… En réalité, ce plan ne commencera à fonctionner qu’en 2014, 2015 et 2016. La vraie difficulté, le véritable problème est de savoir si nous pouvons encore attendre, alors que le chômage s’emballe.

À vrai dire, madame la ministre, nous aurions préféré que vous conserviez le dispositif dit « de TVA sociale », qui était en place – même s’il était tardif – et qui, dès 2013, aurait produit les effets visés par l’analyse du rapport Gallois. (M. Marc Daunis s’exclame.)

Par ailleurs, quelle vision de nos entrepreneurs véhiculons-nous ? C’est aussi un problème important, car on confond régulièrement spéculation et initiative entrepreneuriale. Je parle des entrepreneurs tels que nous les connaissons et les côtoyons dans nos départements, dans nos villes. Un dirigeant de PME apporte son expertise, un métier, son sens créatif, son temps – il est très loin, en général, des 35 heures –, souvent son argent et même, parfois, sa santé. Il mériterait, de notre point de vue, une considération plus affirmée dans la communication gouvernementale, notamment.

En général, la richesse de l’entrepreneur prend la forme de brevets, de bâtiments ou de machines. Elle est fragile, au regard du nombre croissant des concurrents à travers le monde. Enfin, cette richesse fournit du travail à nos compatriotes, qui n'attendent d'ailleurs pas grand-chose d'un État surendetté, incapable de s'adapter aux défis d’une mondialisation qui constitue leur quotidien. De cela, vous ne portez pas, seuls, la responsabilité ; je veux bien croire que nous puissions la partager s'agissant de ces dernières années.

M. Daniel Raoul. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Francis Delattre. Seules, les entreprises créent des biens et des emplois durables. Elles suscitent des flux fiscaux et sociaux significatifs pour l'État, qui devrait les respecter en ne changeant pas la réglementation, notamment fiscale, tous les quatre matins, car les PME ont surtout besoin de visibilité et de stabilité.

Maxime Aïach, président d'Acadomia, disait dans la presse il y a un mois : « Quand j'entends Michel Sapin, le ministre du travail, expliquer qu'il va veiller à ce que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi ne soit pas utilisé par les patrons pour s'acheter une Jaguar, je le prends comme une insulte. Quel mépris ! ». Maxime Aïach a raison, ce type de petite phrase, prononcée par un ministre de la République, n'est pas responsable.

Les résultats de cette politique, accompagnée par de telles diatribes, sont inquiétants. Il y a peu, M. Frassa, sénateur des Français de l'étranger, expliquait dans la presse que le nombre d'exilés fiscaux avait été multiplié par cinq ; ce sont des chefs d'entreprises, des cadres supérieurs et des jeunes diplômés.

Jadis, les Huguenots avaient quitté la France après la révocation de l'Édit de Nantes. Ils ont apporté leur savoir-faire dans tous les pays du nord de l’Europe, aujourd'hui prospères. Trois cents ans plus tard, on vit des phénomènes migratoires assez semblables, dont les conséquences sont tout à fait prévisibles.

M. Marc Daunis. Ce n’est pas sérieux !

M. Francis Delattre. Les chefs d'entreprises, mes chers collègues, sont tout aussi conscients que n'importe quel ministre des efforts financiers nécessaires pour soutenir l'économie de notre pays face à une crise qui se révèle exceptionnellement grave. Ils sont prêts à y apporter toute leur contribution et le meilleur d’eux-mêmes. C'est d'abord en pensant à eux que M. Schäuble, ministre de l'économie allemand, disait il y a quarante-huit heures : « La France est un grand pays qui assurera son redressement. ». Et c’est par ses entreprises qu’elle le fera.

Pour cela, il est urgent d'oublier la bible des promesses inconsidérées du candidat Hollande pour y substituer les mesures aujourd'hui reconnues comme indispensables afin de recouvrer la compétitivité de notre économie.

Par rapport au diagnostic du rapport Gallois, que, pour l’essentiel, nous partageons dans cet hémicycle, le dispositif dit « de TVA sociale » amorçait sérieusement et immédiatement le choc de compétitivité préconisé, pour que nos entreprises renflouent leur trésorerie et puissent reprendre des investissements en chute libre.

Néanmoins, l’obsession du détricotage du travail des prédécesseurs, par essence injuste, vous conduit aujourd'hui à enregistrer tous les mois, mes chers collègues, des milliers de chômeurs supplémentaires, et cela va durer. Est-il bien sérieux d’attendre 2014 pour engager des mesures fortes pour améliorer la situation de nos PME, alors que l’Allemagne elle-même vient de réviser fortement à la baisse ses prévisions de croissance et que le FMI a annoncé, aujourd’hui même, qu’il prévoyait une récession dans la zone euro pour la deuxième année consécutive ?

Pourtant, parmi les pays de la zone euro, certains ont engagé des réformes structurelles d’importance. Ainsi en va-t-il de l’Espagne et de l’Italie ; or, ce sont en réalité, aujourd'hui, ces deux pays qui nous prennent des parts de marché en Europe.

Sur les vingt mesures du rapport Gallois, une seule a fait l'objet d'un vote des assemblées avec, au surplus, des effets différés dans le temps. Quid des autres propositions de réformes structurelles susceptibles d'améliorer l'environnement économique des PME et des PMI ?

En revanche, les mesures fiscales touchant les entreprises se trouvent, elles, fort nombreuses dans les dernières lois de finances. Mes chers collègues, si je ne devais citer qu’une seule de ces dispositions, sur laquelle il faudrait revenir le plus vite possible, j’évoquerai la non-déductibilité des charges financières sur les intérêts d’emprunts destinés aux investissements. Nous sommes la seule économie du monde à oser une telle mesure. Que les entreprises qui investissent ne puissent pas déduire les intérêts des emprunts pour ces investissements constitue un véritable non-sens économique !

Quant à l'imposition des revenus du capital au même niveau que ceux du travail – magnifique slogan, vanté comme étant l'avant-garde de la réforme fiscale ! –, en réalité, elle aura surtout un impact sur les détenteurs d'entreprises, avec des effets de double peine. Au final, le capital entrepreneurial sera plus taxé que le travail.

En 2008, nous comptions, mes chers collègues, à peu près 7 millions de personnes qui avaient une épargne placée dans l’économie réelle, c'est-à-dire celle qui est exposée. Nous n’en sommes plus aujourd’hui qu’à 4 millions, alors que, nous le savons tous, le principal problème des entreprises françaises est d’accéder aux fonds propres. Cette stratégie du « tout fiscal », sans mesure de soutien à l’économie, est incohérente et ne peut que fragiliser les entreprises, dont une grande majorité de PME.

Dans ce climat défavorable pour les entreprises, les experts s'attendent à une destruction de 200 000 à 300 000 emplois, et je reprendrai les propos de M. Yvon Gattaz, dont personne ne conteste l’expertise en la matière : « Pour créer des emplois, la meilleure solution était encore de créer des employeurs ». Au lieu de décourager, il faudrait faciliter la création d'entreprise et l'accès au financement bancaire, tous les intervenants ayant, ici, signalé des difficultés.

Pour terminer, je voudrais rappeler que nombre de Français entrepreneurs, cadres dirigeants, artisans, qui travaillent dur, au-delà des 35 heures, sans statut, en ont assez de voir s’empiler les taxes et prélèvements. Ils en ont assez de jongler avec les normes et des règlements toujours plus confus. Ils en ont assez de l’instabilité fiscale. Ils sont au bord de l’asphyxie et de la révolte. Tous, ici, nous les connaissons. Et c’est aussi cela, le monde des PME ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai mon intervention par un constat : la crise mondiale sans précédent que nous connaissons dure et elle met à rude épreuve nos entreprises. En 2012, les tribunaux de commerce ont prononcé – soyons précis – 59 780 procédures de redressement judiciaire et de liquidation directe, soit une hausse de 2,7 % par rapport à 2011.

Ces défaillances sont d’abord dues, pour de nombreuses petites et moyennes entreprises, à des difficultés de financement, qui entravent leur capacité à innover, à exporter, à se développer, voire menacent leur survie. Les crédits de trésorerie reculent en effet de 3,5 % depuis un an.

Le Gouvernement a donc décidé, rapidement, de prendre ce problème à bras-le-corps – il y va, en effet, de la survie de notre économie. Vous le savez, le Premier ministre a demandé à Louis Gallois, en juillet dernier, de lui faire des propositions sur la compétitivité, la croissance et l'emploi. Ces propositions ont été reprises et adoptées par le Gouvernement dès le mois de novembre dernier.

Nous n’avons donc pas perdu de temps. Monsieur Delattre, vous disiez toute à l’heure que vous étiez d’accord avec le diagnostic du rapport Gallois. Toutefois, ce diagnostic n’est ni plus ni moins que le constat de l’échec cuisant d’une politique qui était menée depuis dix ans par la majorité précédente.

M. Pierre Hérisson. Ce n’est pas écrit dans le rapport !

M. Yannick Vaugrenard. Un arsenal complet de mesures, combinant des actions d'urgence et d'autres à plus long terme, a déjà commencé d’être mis en place et va continuer à l’être jusqu'en 2017. Je voudrais insister, d'une part, sur le rôle de la Banque publique d'investissement, outil de financement indispensable, et, d'autre part, sur les délais de paiement – ils ont déjà été évoqués et j’y reviendrai –, qui restent un problème majeur pour les PME.

La décision n° 4 du pacte pour la compétitivité porte, en effet, sur la création de la BPI, afin d'offrir aux entreprises un service de financement de proximité, à l'aide d'une palette élargie d'instruments financiers et de conseils, pour intervenir à toutes les phases du développement de l'entreprise.

En effet, l'accès au crédit est en général, nous le savons tous, particulièrement difficile pour les PME, et la crise financière de 2008 a encore accentué les difficultés de financement que rencontraient déjà, traditionnellement, les petites entreprises.

Depuis le début de l'année 2011, on observe un durcissement supplémentaire de l'octroi des crédits aux PME, dans la mesure où certains dossiers acceptés dans les années antérieures sont désormais considérés par les mêmes banques comme trop risqués. Or le principal mode de financement des PME, nous le savons, est le crédit bancaire.

La création de la BPI va donc permettre d'apporter un soutien aux PME, en particulier durant cette période de crise financière où la raréfaction du crédit pourrait devenir la règle.

La capacité d'intervention de la BPI dépassera 40 milliards d'euros, avec un effet de levier extrêmement important.

Les PME auront également un meilleur accès aux ressources du programme des investissements d'avenir. Enfin, pour répondre aux besoins en fonds propres des entreprises tout en respectant leur choix de gouvernance, la BPI développera une activité de capital-risque et pourra intervenir à travers des titres de capital, sans droit de vote, bénéficiant en contrepartie d'une rémunération privilégiée.

L'action de la BPI devra être particulièrement décentralisée, pour une meilleure efficacité, au plus près des entreprises, grâce à l'appui constant des conseils régionaux.

Néanmoins, la BPI a également pour mission d'apporter son soutien aux entreprises, afin que celles-ci puissent croître davantage. La France se caractérise, en effet, par un nombre insuffisant d'entreprises de taille intermédiaire – je pense que nous sommes tous d’accord sur ce constat. Or ces dernières ont généralement moins de difficultés en matière d'accès aux financements.

Pourtant, on le sait, notre pays peine à développer ce type d'entreprises : on en compte 4 600 sur notre territoire, contre plus de 12 000 chez nos voisins allemands.

Du reste, un rapport sénatorial de 2010, Les Entreprises de taille intermédiaire au cœur d'une nouvelle dynamique de croissance, est éclairant sur ce point, car il montre comment les grandes entreprises veillent elles-mêmes à ne pas laisser prospérer d’entreprises suffisamment fortes pour leur faire concurrence… Ainsi, le processus d'absorption par des groupes est particulièrement fréquent, puisque moins de 5 % des entreprises de plus de 500 salariés seraient totalement indépendantes.

La Banque publique d’investissement devra donc intervenir afin d’enrayer ce phénomène et de soutenir nos PME dans leur développement. Elle leur apportera également une aide pour qu’elles deviennent des entreprises de taille intermédiaire, généralement plus dynamiques en termes d’emplois et susceptibles de constituer un levier pour nos exportations. C’est d’ailleurs l’un des objectifs fixés à l’article 1er de la loi relative à la création de cette institution.

J’évoquerai à présent une difficulté à laquelle se heurtent de très nombreuses entreprises, à savoir l’épineux problème des délais de paiement. Les défaillances des entreprises y sont en effet étroitement corrélées : celles qui retardent leurs règlements fournisseurs de plus de 30 jours présentent une probabilité de défaillance multipliée par six. Ces retards sont préjudiciables à la compétitivité et à la rentabilité des entreprises créancières.

Certes, la LME a globalement réduit le niveau de risque dans la sphère des PME, en limitant la transmission des difficultés de trésorerie d’une entreprise à l’autre. Entrée en application au 1er janvier 2009, cette loi a en effet imposé un délai maximal de paiement entre entreprises de 45 jours fin de mois, ou de 60 jours nets, à compter de la date d’émission de la facture. En l’absence de convention entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé à 30 jours, date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation.

Si, dans un premier temps, la LME a permis une réduction des délais de paiement, il apparaît aujourd’hui que seul un tiers des entreprises règle dans les délais et qu’un quart des créances des PME demeure en attente d’encaissement au-delà de 60 jours.

La LME n’a donc pas permis de mettre un terme aux difficultés liées aux délais de paiement. C’est pourquoi le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a repris en main ce dossier ; c’était indispensable. Tel est l’objet de la décision n° 3 du levier 2 du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, « Établir un plan d’actions pour lutter contre l’allongement des délais de paiement ». Les PME pourront désormais s’appuyer sur l’administration, qui sera dotée d’un pouvoir de sanction efficace, afin d’obtenir le respect des délais de paiement légaux. Cette mesure devrait être adoptée cette année. Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer à quel moment le dispositif sera mis en œuvre ?

Pour montrer l’exemple, l’État s’engage, quant à lui, à réduire ses propres délais de paiement sur le quinquennat, afin de parvenir à un maximum de 20 jours en 2017.

À l’échelon européen, la Commission a adopté deux directives visant à réduire les délais de paiement dans les transactions commerciales au sein de l’Union européenne ; cela concerne aussi nos entreprises.

La première directive, datée de 2000, a instauré un droit à intérêts 30 jours après la date de la facture, à moins qu’un autre délai n’ait été négocié dans le contrat.

La seconde directive, adoptée en 2011, est plus contraignante, puisque, tout en instaurant le même délai de règlement, elle impose au-delà de 60 jours des intérêts de retard. Cette directive a été transposée en droit français, notamment par un décret publié au début du mois d’octobre 2012, qui est entré en vigueur le 1er janvier dernier. Souhaitons qu’il ouvre la voie à des procédures de recouvrement beaucoup plus nombreuses.

Nos PME ont soif de croissance. Renforcées grâce à une croissance externe, encouragées par la puissance publique, conduites vers un développement plus rapide et soutenues par des mesures législatives adaptées, elles pourraient être plus nombreuses, plus créatrices d’emplois, plus exportatrices encore, et contribueraient ainsi durablement et efficacement à la régénération du tissu économique français.

Pour conclure, je suis convaincu que le soutien de notre économie, par conséquent le soutien à l’emploi, passe par une attention accrue aux PME et aux ETI. Leur réactivité et leur inventivité doivent être accompagnées, car elles sont un maillon essentiel de notre chaîne économique. Les grandes entreprises doivent mieux comprendre qu’il est de leur intérêt d’aider, sans domination, à la croissance mais aussi à la diversification des entreprises sous-traitantes. C’est en effet cela qui peut permettre une saine émulation et un meilleur effort dans la recherche et l’innovation.

Dans cette période économique délicate que traverse, avec d’autres, notre pays, c’est d’esprit d’équipe et de solidarité que la France a besoin. Les petites et moyennes entreprises doivent bénéficier de cet indispensable sens du collectif et de cette nécessaire attention nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat de ce soir s’ouvre alors même que les plans sociaux dans les PME se multiplient. En effet, sur les 60 450 défaillances d’entreprises recensées par la Banque de France entre octobre 2011 et octobre 2012, 56 600 ont concerné des PME de moins de 250 salariés, soit 93 %.

Je ciblerai mon propos sur deux secteurs qui me tiennent particulièrement à cœur, le secteur du bâtiment et celui de l’hôtellerie-restauration. Le premier a d’ailleurs organisé une journée d’action nationale, vendredi 18 janvier dernier.

Voila bien deux domaines qui contribuent à l’aménagement du territoire, à l’activité économique des régions et à l’emploi non délocalisable. Or les dispositions fiscales votées à la fin du mois de décembre dernier par le biais de la dernière loi de finances rectificative pour 2012 sont extrêmement préoccupantes pour leur pérennité.

Les enjeux économiques dans ces secteurs d’activité sont très importants, en termes d’emplois et de santé des entreprises, dans le contexte de crise économique que nous connaissons depuis près de quatre ans maintenant.

Vous le savez, madame la ministre, l’hôtellerie-restauration est un secteur de PME à forte intensité de main-d’œuvre : on y compte plus de 200 000 entreprises partout en France, dont 96 % emploient moins de 10 salariés. Cela représente donc plus 700 000 salariés, qui, je le répète, sont autant d’emplois non délocalisables.

Un quart de ces salariés ont moins de 26 ans, un tiers moins de 30 ans ; 80 % des contrats de travail sont à durée indéterminée, auxquels il faut ajouter 91 000 jeunes en formation professionnelle initiale en 2011.

Or, en dépit de la crise économique, ce secteur a créé plus de 50 000 emplois sur la période comprise entre juillet 2009 et juillet 2011. Il est l’un des premiers secteurs créateurs d’emploi, avec un chiffre d’affaires de 58,5 millions d’euros.

Les métiers de l’hôtellerie-restauration sont par ailleurs un moteur essentiel pour notre activité touristique, très importante dans la balance commerciale, même si l’on constate la disparition de 25 % du parc hôtelier indépendant depuis une quinzaine d’années.

Les chiffres sont parlants : 1 700 hôtels indépendants ont définitivement disparu en huit ans, soit une moyenne de 212 établissements par an. En outre, ces disparitions, en fonction de leur implantation, montrent la fragilité de l’hôtellerie hors secteur urbain. Or le potentiel touristique se trouve aussi dans nos provinces françaises ! Des mesures de protection du parc hôtelier de la France touristique s’imposent avant que nous ne soyons confrontés à une totale désertification.

Enfin, toute une batterie de charges supplémentaires, validées à la fin de l’année 2012 par le Gouvernement, devront être supportées par ces professionnels. Je pense notamment à l’augmentation de la TVA, à celle de la taxe sur les bières, à la taxe sur les sodas, à la hausse de la taxe « éco emballage », à l’impact des nouvelles bases d’imposition de la contribution économique territoriale.

À cela s’ajoute un alourdissement des coûts de fonctionnement : renchérissement particulièrement important des prix de gros alimentaires, hausse sans précédent des coûts des matières premières – le prix de la viande bovine a par exemple augmenté de 24 % sur dix ans, celui du sucre de 47 %, celui des céréales de 42 % ; le coût de l’électricité a crû de près de 30 %, en trois ans –, majoration successive des loyers commerciaux, de l’énergie ou encore – et ce n’est pas rien ! – mises aux normes coûteuses des bâtiments.

J’en viens au secteur du bâtiment, dont les responsables ont manifesté à la fin de la semaine dernière.

Alors que ce secteur a créé 32 300 emplois entre 2009 et 2011, ce sont bien plus des liquidations directes que des redressements qui sont actuellement prononcés par les tribunaux de commerce. Les carnets de commande, qui permettaient une projection de six à douze mois, sont rétrécis à deux ou trois mois.

Dans mon seul département de l’Aisne, ce sont près de 1 800 emplois qui ont été perdus ces deux dernières années. Sur tout notre territoire, près de 35 000 emplois ont été supprimés en fin d’année.

Rappelez-vous que ce secteur a subi un relèvement de 5,5 % à 7 %, puis à 10 % de la TVA, que le crédit d’impôt compétitivité emploi ne s’applique pas aux travailleurs indépendants – plus de 200 000 artisans se voient donc exclus du dispositif –, que les délais de paiement sont intenables et les trésoreries exsangues, que l’accompagnement bancaire demeure plutôt frileux. En outre, l’instabilité réglementaire récurrente concerne également les aides entrant dans le cadre du Grenelle de l’environnement.

L’ensemble de ces mesures plonge les artisans dans une situation très précaire, d’autant qu’ils sont confrontés à une concurrence déloyale résultant de la création du régime de l’auto-entrepreneur. Beaucoup a déjà été dit sur le sujet.

À ces constats s’ajoutent d’autres difficultés pour les PME, plus généralement celles qu’elles rencontrent pour accéder à la commande publique – Natacha Bouchart l’a souligné –, le faible soutien à l’exportation et à l’expansion à l’étranger, la fiscalité lors de la transmission de l’outil de travail, l’accès difficile au crédit pour les collectivités territoriales et les particuliers.

Madame la ministre, les responsables du secteur de l’artisanat et du bâtiment ont des propositions sur lesquelles nous souhaiterions recueillir vos commentaires. Il s’agit, par exemple, de la prolongation de l’éco-prêt, de la bonification du crédit d’impôt développement durable, le CIDD, de la création d’un prêt énergie rénovation des logements, de la sécurisation des délais de paiement fournisseurs, d’une limitation du régime d’auto-entrepreneur dans le temps avec une évolution programmée vers une micro-entreprise.

La situation de nos PME dans ces deux secteurs n’appelle que des constats alarmants. Il en est de même pour d’autres domaines. Je pense, par exemple, aux opticiens indépendants. Voila une profession particulièrement dynamique, qui touche à l’innovation, mais qui est aussi actrice à part entière de la santé. Le métier a profondément évolué pour pallier le manque patent d’ophtalmologistes. Les opticiens peuvent désormais assurer des examens de vue et délivrer les équipements – lunettes ou lentilles – avec une correction adaptée. Or l’avenir de ces PME innovantes est étroitement lié à la préservation du dynamisme des opticiens.

En réformant le code de la mutualité pour autoriser les mutuelles à pratiquer des remboursements différenciés, la proposition de loi relative au fonctionnement des réseaux de soins autorisera les plateformes de santé à imposer aux opticiens des critères tarifaires stricts et à promettre aux assurés des baisses de tarifs en optique de l’ordre de 30 % à 40 %.

Or, pour respecter ces nouveaux tarifs forcés, les opticiens, qui réalisent en moyenne un excédent brut d’exploitation de 23,4 %, seront contraints de descendre en gamme, ce qui les conduira inévitablement à importer leurs produits depuis des filières low cost étrangères, au détriment de la filière française.

Par conséquent, au-delà des suppressions de postes chez les opticiens, les entreprises innovantes françaises de fabrication de produits d’optique seront aussi mises à mal.

Ainsi, ce texte, s’il était adopté, coûterait cher à une filière ainsi qu’à des PME françaises jusqu’à présent relativement préservées par la crise.

En conclusion, je rappelle que les PME ont avant tout besoin de modération et de stabilité fiscale pour continuer à créer des emplois et être des moteurs de croissance. Sachons garder vivace le dynamisme de nos entrepreneurs ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Marc Daunis.

M. Marc Daunis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on pourrait certes s’interroger sur l’opportunité, aujourd’hui, à cette heure, d’un débat sur la place des PME dans notre économie. Retrouvons-nous dans un grand élan consensuel pour admettre qu’il n’est jamais inutile de débattre des PME et des TPE ! (Sourires.)

Cela a déjà été souligné, les PME représentent le premier employeur national, constituent un pilier de notre économie, s’articulent avec l’intelligence de nos territoires.

Permettez-moi de livrer un sentiment plus personnel. Je suis particulièrement sensible à ce sujet, ayant l’honneur de représenter dans cette enceinte un territoire fort d’un écosystème singulier. Je pense évidemment à la technopole de Sophia-Antipolis qui, avec ses 1 500 entreprises et ses 31 500 emplois, est une terre d’innovation technologique, lieu de fertilisation croisée entre l’industrie, la recherche et le monde académique, et matrice des autres technopoles que compte notre pays.

Je dis d’ailleurs très courtoisement à notre collègue Francis Delattre, maire de Franconville-la-Garenne, qu’il n’y a pas dans cet hémicycle, d’un côté ceux qui aiment les créateurs et les entrepreneurs et, de l’autre, des obscurantistes nostalgiques de l’émigration des Huguenots ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Soyons sérieux ! Dans un débat de ce type, nous sommes tous mobilisés pour notre pays et nous essayons de trouver des solutions dans un contexte particulièrement difficile.

Dois-je rappeler que, depuis dix ans, nous nous heurtons à une dette publique colossale – performance qui mérite d’être saluée, sans humilité aucune, bravo ! –, ...

M. Francis Delattre. Quelle envolée ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Marc Daunis. ... à un déficit commercial qui s’est creusé de 42 milliards d'euros, à une industrie qui a perdu 750 000 emplois ?

Cher collègue de l’opposition, comment pouvez-vous parler d’immobilisme et d’attentisme s’agissant de ces six derniers mois et, pour illustrer votre propos, évoquer la TVA sociale, qui allait entrer en application en 2013 et aurait, selon vous, porté ses fruits, alors qu’elle a été votée en 2011, c'est-à-dire en fin de mandat ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est sûr, la supprimer a été une grosse erreur !

M. Francis Delattre. Vous êtes plus adroit que cela, d’habitude !

M. Marc Daunis. Chers collègues, je vous en prie, ayons un débat digne et évitons ce genre d’attitude, qui n’est guère utile pour l’avenir de notre pays.

Je me permettrai d’aborder cinq points : premièrement, le contexte économique, qui n’épargne pas nos PME ; deuxièmement, le constat partagé de leurs difficultés, une base commune sur laquelle nous pourrions peut-être nous appuyer ; troisièmement, la nécessité de les consolider, qui semble, là encore, faire consensus ; quatrièmement, les mesures importantes prises par le Gouvernement depuis quelques mois, que vous devriez apprécier à leur juste mesure, chers collègues ; enfin, cinquièmement, quelques pistes pour mettre en perspective la nécessaire adaptation des PME au monde de demain.

Le contexte économique, précédemment décrit, s’impose à nous. La majorité présidentielle et le Gouvernement ne sont pas dans une situation où ils pourraient refuser l’héritage, jugeant le passif trop lourd : ils se doivent de faire face à la situation de notre pays.

En l’occurrence, au cœur de la crise, alors que les grands groupes licenciaient massivement sous la pression de la bourse ou pour satisfaire la voracité de quelques actionnaires, les TPE et les PME, elles, ont conservé l’essentiel de leur personnel et de leur savoir-faire, souvent au détriment de l’investissement ! En conséquence, les marges bénéficiaires des entreprises sont aujourd’hui au plus bas. D’où la nécessité absolue du pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi.

Incidemment, on ne peut pas dire que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi est inefficace et, dans le même mouvement, en demander l’extension aux artisans. S’il est inefficace, à quoi bon l’étendre aux artisans et aux professions libérales ? Voilà une contradiction supplémentaire de nos collègues de l’opposition sur laquelle je ne m’appesantirai pas davantage.

M. Daniel Raoul. Très bon tacle !

M. Francis Delattre. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Marc Daunis. Vous relirez vos propos dans le compte rendu de la séance, cher collègue.

M. Francis Delattre. J’ai déploré qu’aucune mesure n’ait été prévue pour 2013 !

M. Marc Daunis. Le constat que nous faisons sur les difficultés de nos PME est partagé. Accès de plus en plus difficile au financement, contraction de l’accès au crédit, hausse fulgurante des taux d’intérêts : plusieurs orateurs, de toutes sensibilités politiques, ont rappelé ces problèmes.

En conséquence, les entreprises ont des difficultés pour grandir et accéder à de nouveaux marchés. Elles ont par ailleurs un besoin d’accompagnement tout au long de leur vie, et pas simplement lors de leur création.

La faiblesse de notre tissu de TPE et PME constitue un lourd handicap, de même que la difficulté pour nos TPE de croître et de devenir des PME ayant une taille suffisante. Or l’enjeu est très important. Notre collègue Martial Bourquin dirait que c’est grave, très grave même.

M. Daniel Raoul. Très juste !

M. Marc Daunis. Ces difficultés doivent être résolues, car le développement de ces entreprises conditionne le redémarrage de la croissance économique et le retour des créations d’emplois.

Il est de notre devoir de consolider nos PME. Je me réjouis que ce point fasse consensus, de même que j’ai entendu avec plaisir les orateurs défendre la nécessité d’un Small Business Act à la française, qui devrait être, bien entendu, en cohérence avec l’échelon européen et qui permettrait de développer un environnement favorable aux PME innovantes.

Nous devinons quels pourraient être les piliers fondamentaux d’un tel Small Business Act : une fiscalité et une législation adaptées pour les PME et TPE, un accès facilité aux marchés publics, un accompagnement important à l’accès au marché européen et international ; enfin, un accès facilité et simplifié aux financements. On pourra, s’il le faut, corriger telle ou telle mesure, mais les éléments essentiels sont là.

D’ores et déjà, le Gouvernement a pris, dans le cadre du pacte de croissance, de compétitivité et d’emploi, des mesures qui vont dans le sens du redressement de notre économie et qui sont favorables à nos PME.

Pour ne citer que quelques mesures, je rappellerai à mon tour la création de la Banque publique d’investissement. J’ai certes entendu les critiques sur l’insuffisance des sommes engagées. Naturellement, ce n’est jamais assez, mais nous surmontons déjà ce premier défi !

La mise en place du crédit d’impôt compétitivité emploi aura pour conséquence l’injection de 20 milliards d’euros. Excusez-moi du peu, mais, dans la situation que connaît notre pays, cela représente un effort colossal.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En 2014 seulement !

M. Francis Delattre. Et vous venez de leur reprendre 30 milliards d’euros !

M. Marc Daunis. Je reviendrai ultérieurement sur les implications de cette mesure et le risque que ces efforts réalisés en direction des entreprises suscitent des réticences dans le corps social, qui n’en comprendrait pas ou n’en mesurerait pas l’efficacité, la pertinence et la justice.

Enfin, 2,2 milliards d’euros d’investissements d’avenir seront réorientés vers les PME innovantes et le numérique, là encore élément stratégique pour l’avenir, et nous avancerons vers la création d’un brevet unique européen.

Comme l’a rappelé notre collègue Martial Bourquin, ce problème est majeur, quand on sait que les entreprises françaises déposent trois fois moins de brevets que leurs consœurs allemandes, que, en 2011, moins de 20 % des dépôts de brevets ont été réalisés par des PME, et qu’un dépôt, en Europe, coûte aujourd’hui près de dix-huit fois plus cher qu’aux États-Unis.

Bientôt, nous discuterons également du contrat de génération, qui vient d’être adopté par l’Assemblée nationale. Ce dispositif favorisera la solidarité au sein de nos entreprises et de notre société, mais surtout garantira la transmission des savoirs essentiels pour la compétitivité des entreprises. Notre collègue Martial Bourquin l’a rappelé fort justement tout à l’heure.

Nous devons aussi adapter nos PME au monde de demain ! Nous le savons : dans une économie financiarisée, dans un monde en mutation, où l’on sent qu’un système est en train d’agoniser sans qu’un autre ait encore pu prendre sa place, nos PME sont soumises à une concurrence internationale très agressive.

Plusieurs chantiers sont devant nous : la nécessité d’un cadre d’action clair, stable et pérenne ; une meilleure information et accompagnement – en cela, la banque publique constitue une première étape et dépasse très largement les dispositifs précédents auxquels vous faisiez allusion, comme OSEO ; une stabilité et une clarté juridique – actuellement, quelque 7 000 dispositifs de financement public et 20 % des articles du code général des impôts sont modifiés chaque année.

N’oublions jamais cela ! Certains d’entre vous ont soulevé ce problème tout à l’heure, mes chers collègues, mais nous ne devons jamais l’oublier dans nos travaux parlementaires. Il est facile de déplorer l’inflation normative alors que nous sommes très souvent à l’origine de ces dispositifs – et vous l’étiez prioritairement ces dernières années, chers collègues de l’opposition, puisque vous étiez aux affaires.

Mes chers collègues, j’espère que l’actuelle majorité sera beaucoup plus responsable en la matière que ne l’a été la précédente.

Le pacte de compétitivité prévoit de simplifier les démarches administratives. Il a été estimé par le Gouvernement qu’une réduction des charges administratives de 25 % permettrait une augmentation de près de 1,5 point du produit intérieur brut européen ! Là encore, les guichets uniques de la BPI sont un excellent premier pas.

M. Marc Daunis. Je conclurai mon propos en soulignant quatre points.

Premièrement – cela a été rappelé –, il convient d’améliorer les rapports entre les PME et les grands groupes, notamment dans le cadre des rapports de sous-traitance. Saluons à cet égard le travail de Martial Bourquin. Nous attendons beaucoup de la mission d’information qui lui a été confiée par le Gouvernement.

Deuxièmement, il faut améliorer la cohésion de nos entreprises au sein des territoires et développer les initiatives innovantes, plus précisément un écosystème d’innovations au plus près des territoires. Cela a été rappelé par notre collègue André Reichardt tout à l’heure, et je partage son point de vue sur la nécessité de soutenir ces écosystèmes autour des chaînes de l’innovation. L’exemple italien, de même que différents autres au niveau européen, sont éclairants à cet égard.

Troisièmement, au-delà du développement des initiatives solidaires, il faut restaurer un cadre de confiance. Pour cela, nous devons tous prendre nos responsabilités.

M. Marc Daunis. Les pouvoirs publics doivent faire confiance au dialogue social, ce que fait le Président de la République, et travailler ardemment, collectivement, pour faciliter le développement des PME.

M. Marc Daunis. Quatrièmement, et enfin, j’aborderai le problème de la relation entre les PME et les grands groupes. Dès lors que des entreprises bénéficient d’argent public pour leur développement, qu’il s’agisse du crédit d’impôt recherche ou du CICE, il est nécessaire que, à un moment donné, elles puissent rendre des comptes, y compris en assurant une traçabilité de l’argent public investi. Se posera alors le problème de la récupération des sommes investies par la puissance publique pour soutenir des entreprises qui ne respecteraient pas les engagements pris avec la Nation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous permettrez tout d’abord à la sénatrice des Français de l’étranger que je suis de faire part à ceux qui n’en auraient pas encore été informés d’une excellente nouvelle, à savoir la libération, après sept ans de détention au Mexique, de notre compatriote Florence Cassez. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est bien de le souligner !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je remercie mes collègues à la droite de cet hémicycle de ces applaudissements, qui montrent le soutien que le Sénat a apporté et apporte encore à cette jeune femme. Mes remerciements s’adressent aussi à la Cour suprême du Mexique.

Pour en revenir à notre débat sur la place des PME dans notre économie, nous avons déjà largement évoqué les facteurs qui handicapent leur développement en France. Je souhaiterais quant à moi insister sur l’enjeu de leur internationalisation, véritable levier de croissance, encore trop négligé par nos entreprises et notre administration, mais indispensable pourtant à l’essor et à la compétitivité de notre pays.

En 2012, la France comptait 95 000 PME exportatrices, et l’Allemagne 350 000 ! Un quart des PME allemandes réalise 20 à 30 % de leur chiffre d’affaires auprès de clients étrangers, quand seulement 8 % des PME françaises ont une activité, même minime, à l’export. Plus inquiétant encore, le nombre de PME exportatrices françaises a chuté de 20 % en dix ans, et la crise internationale ne suffit certainement pas à expliquer ce recul.

Face à ce défi, quelle a pour l’instant été la réponse du Gouvernement ? Le regroupement d’OSEO, du Fonds stratégique d’investissement, le FSI, et d’une filiale de la Caisse des dépôts et consignation en une pharaonique Banque publique d’investissement, officiellement en vigueur depuis le 1er janvier dernier. Celle-ci est censée offrir aux PME un guichet unique dans chaque région française, y compris en matière d’aide à l’export.

Toutefois, de quel guichet unique parle-t-on ? Apparemment, d’une simple centralisation des instruments de financement, alors même que l’accès au crédit n’est pas, loin de là, le principal obstacle au développement des PME à l’international.

Les principaux freins à l’export sont liés à nos traditions bureaucratiques pénalisantes, à une fiscalité dissuasive, à la complexité des procédures administratives et douanières, mais aussi, et surtout, à la difficulté de développer rapidement une connaissance du marché convoité. Risque d’impayés ou de contrefaçons, instabilité politique ou, tout simplement, compréhension des comportements de consommation, de l’état de la concurrence et du cadre juridique local sont autant de paramètres difficiles à évaluer depuis la France.

Ce manque d’accès à de telles informations stratégiques explique d’ailleurs largement la propension de nos PME exportatrices à ne se risquer que dans un seul pays étranger et à se concentrer sur les États européens au détriment des pays émergents, pourtant principaux réservoirs de croissance en cette période de crise. C’est donc moins de financements que d’accompagnement et de retour d’expérience et d’expertise qu’ont besoin nos PME.

La ministre du commerce extérieur a annoncé que la BPI « assurerait un rôle de conseil auprès des entreprises qui souhaitent exporter ». Outre que ce n’est pas le métier d’une banque, le projet de doter la BPI d’équipes de « développeurs à l’international » issus des effectifs d’Ubifrance ne me semble pas – pardonnez-moi – constituer un progrès significatif par rapport au dispositif de « l’équipe de France de l’export » lancé par Anne-Marie Idrac voilà cinq ans.

Mme Nathalie Goulet. Avec quel résultat !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Les modalités concrètes du rapprochement entre les différents opérateurs de l’appui à l’export me semblent encore bien floues, et je vous serais reconnaissante, madame la ministre, si vous pouviez nous apporter quelques clarifications à cet égard.

Oui, nous avons besoin de mettre en place des synergies. Toutefois, cela passe peut-être moins par la constitution d’une entité administrative tentaculaire que par la mise en cohérence et en réseau des multiples intervenants, comme le préconise d’ailleurs un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental, le CESE.

Surtout, ne faudrait-il pas mieux mobiliser l’expertise des entrepreneurs français déjà présents sur le marché local ? Le concept de diplomatie économique est un serpent de mer, vieux de plus de vingt ans. Pour donner du corps à ce slogan, la seule option consiste à véritablement mobiliser les réseaux et les acteurs économiques français sur le terrain. Laurent Fabius avait annoncé, en août dernier, la création de conseils économiques dans les ambassades. Où en sommes-nous ? Qui en fera partie ? Les conseillers du commerce extérieur, les élus de l’Assemblée des Français de l’étranger, tous les entrepreneurs français souhaitant y être associés ? Et comment évaluer les résultats, en particulier ceux de cette BPI ?

On oublie trop souvent que les PME créées par des Français à l’étranger contribuent aussi à la mise en valeur des produits et du savoir-faire de la France et constituent une ressource pour les entreprises françaises, en matière tant de compréhension du marché que d’entretien d’un réseau local.

Sur ces questions – les Allemands l’ont bien compris –, nous avons besoin de suivi, de continuité. La relation de confiance ne se décrète pas, elle se construit sur le long terme. Il s'agit de l’un des facteurs essentiels de la réussite de nos amis allemands.

Nos PME, souvent de statut juridique et fiscal local, sont trop largement ignorées par les autorités françaises, mais aussi pénalisées. Mes chers collègues, je vous en donnerai un seul exemple. Nous ne cessons d’appeler à l’implantation d’entreprises dans des pays comme l’Algérie – très bien ! –, mais alors, comment accepter que le fils d’une famille ayant créé une entreprise, l’ayant développée, l’ayant fait prospérer au service du pays d’accueil, se voie maintenant, alors qu’il était appelé à reprendre cette entreprise, refuser un contrat de travail et contraint à l’expatriation ?

En contrepartie de leur contribution à l’enrichissement du tissu industriel français à l’étranger, il pourrait être pertinent de collaborer avec les pays d’accueil afin de mettre en place une véritable sécurité juridique et de garantir à ces entrepreneurs le bénéfice d’une protection en cas de crise, par exemple via la création d’un fonds d’indemnisation français ou européen.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Après les printemps arabes, l’actuelle guerre au Mali donne une nouvelle actualité à cet enjeu.

Pour conclure, je voudrais souligner que le défi de l’internationalisation des PME est aussi celui de la réduction de notre chômage et celui du recrutement. À cet égard, je ne peux que me réjouir de la volonté du Gouvernement de renforcer et d’élargir le dispositif du volontariat en entreprise.

Toutefois, au-delà de ce système, il est essentiel de favoriser la coopération universitaire et les passerelles entreprises-écoles à l’international. Les potentialités sont immenses. Nous devons aussi penser à la question de la reprise des sociétés, qui constitue un gros problème pour nos PME en France. Là encore, nous pourrions solliciter des investisseurs étrangers.

Tout récemment, lors d’un déplacement au Mexique, j’ai pu constater le dynamisme d’un programme de coopération entre écoles d’ingénieurs françaises et mexicaines, et celui de partenariats entre entreprises françaises et programmes locaux de formation professionnelle.

Les facteurs concourant à la réussite de nos PME à l’international sont nombreux ; il est essentiel de n’en négliger aucun ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier Mme Garriaud-Maylam d’avoir pris le temps de se féliciter de la décision de la Cour suprême du Mexique et du retour prochain de notre compatriote Florence Cassez. Nous ne pouvons tous que nous en réjouir.

Je me réjouis que vous ayez pu inscrire à l’ordre du jour de votre assemblée ce débat sur un sujet aussi important que la place des PME dans l’économie française, même s’il s’est tenu à une heure tardive.

Ce n’est pas un sujet, nous en sommes tous convaincus, que l’on peut prendre à la légère. L’immense majorité du tissu productif de la France, vous l’avez d’ailleurs rappelé, est composé de PME : on en dénombre 2,7 millions, qui emploient 7,4 millions de personnes, soit plus de 60 % des effectifs salariés de notre pays.

C’est dire à quel point notre sort de grande nation de l’économie mondiale est tributaire de ces entreprises, dont la vitalité est si sensible aux aléas conjoncturels.

Je le sais, nos PME sont riches de la formidable énergie qui anime tant de dirigeants et de salariés, capables de donner à leur entreprise un souffle, une espérance, un horizon qui les conduit bien souvent à prospérer, innover et, pour un peu plus de 100 000 d’entre elles, à exporter.

Les 2,5 millions de micro-entreprises et les 130 000 entreprises de plus de dix salariés que compte notre pays font partie de notre patrimoine national. Elles représentent pour la France autant de chances, autant de sources d’espoir et d’émancipation pour ces hommes et ces femmes qui, au travers de l’entreprise, contribuent à développer les richesses de leur pays et se réalisent en tant qu’individus.

Chacun doit bien en mesurer toute la portée : la croissance des PME est aussi vitale pour notre économie que pour notre cohésion sociale.

Je le dirai sans détour, pour moi, la grande mobilisation nationale engagée par le Gouvernement en faveur des PME depuis mai dernier illustre la priorité absolue de 2013 en faveur de l’emploi.

En effet, depuis plusieurs années, chacun a pu constater que les PME françaises étaient handicapées dans leur développement, pour des raisons tenant à leur modèle de création et de croissance. Ces fragilités structurelles se sont encore aggravées depuis la crise de 2008-2009.

Parmi les principaux motifs d’inquiétude que vous avez d’ailleurs rappelés, je retiens une addition de faits qui sont autant d’éléments d’explication des difficultés de croissance de nos PME. Un très petit nombre d’entre elles seulement parvient à se transformer en entreprises de taille moyenne ou intermédiaire : on ne recense aujourd’hui que 4 600 entreprises de taille intermédiaire en France, ainsi que l’a rappelé M. Vaugrenard.

Premièrement, les conditions de naissance des PME sont souvent difficiles. C’est ainsi que 94 % des créations sont réalisées sans aucun salarié et que près de la moitié se constitue avec un capital inférieur à 8 000 euros.

Deuxièmement, les conditions de financement des PME sont presque toujours délicates. Leurs ressources proviennent encore à 92 % du financement bancaire, et le sous-accompagnement de leurs dirigeants est parfois à l’origine d’une mortalité prématurée : la moitié des entreprises disparaissent dans les cinq ans qui suivent leur création.

Troisièmement, nous constatons un sous-investissement relatif des PME françaises. Ce phénomène est à rapprocher également de leur trajectoire d’innovation : elles ne représentent que 21 % des dépenses intérieures de recherche et développement en entreprise, les DIRDE, contre 62 % pour les groupes de plus de 1 000 salariés.

Quatrièmement, l’accès des PME à la commande privée et publique reste limité. Elles n’obtiennent, par exemple, que 28 % du montant des marchés publics alors qu’elles représentent 44 % de la valeur ajoutée.

Cinquièmement, enfin, le nombre de PME parvenant à se projeter à l’international stagne depuis dix ans. La France peut s’appuyer sur environ 117 000 entreprises exportatrices, alors que l’Allemagne en compte près de trois fois plus.

J’ajoute que, lorsqu’une PME parvient à déjouer ces statistiques de croissance et à prendre son envol malgré cet ensemble de contraintes, il n’est pas rare qu’elle perde son indépendance. Chaque année, en moyenne, ce sont 14 % des entreprises de 100 à 249 salariés qui sont absorbées par un grand groupe. Pour les entreprises comprises entre 250 et 499 salariés, ce taux monte à 16,5 %.

L’ensemble de ces fragilités, que ce soit au moment de leur naissance ou dans leurs années de développement, sont d’autant plus pénalisantes pour les PME que, plus que toutes autres, ces entreprises subissent de plein fouet les effets de la crise : 93 % des PME restent aujourd’hui confrontées à des retards de paiement. Le baromètre KPMG-CGPME, publié le 14 janvier dernier, fait également état des craintes légitimes des dirigeants de PME. Un tiers d’entre eux redoute que la situation économique ait des impacts négatifs sur les conditions d’accès au crédit.

Face à ces constats, je puis vous dire que le Gouvernement n’a pas ménagé sa peine, tout au long de l’année dernière, afin de renverser la tendance et d’inscrire durablement les PME dans une trajectoire de croissance. Je vais y revenir en détail.

Auparavant, je veux simplement rappeler que, pour cette nouvelle année, le Président de la République a fixé un cap on ne peut plus clair : stimuler la compétitivité de nos entreprises et tout mettre en œuvre afin de gagner la bataille pour l’emploi.

Or, chacun l’aura compris, nous ne pourrons remporter cette bataille sans le redressement productif et commercial de celles qui représentent 99 % du tissu productif national, c’est-à-dire les PME. C’est ma conviction et c’est aussi celle qui préside au pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi annoncé par le Gouvernement le 6 novembre dernier.

Pourquoi revenir ce soir sur le pacte ? Pour rappeler une simple réalité : plus de la moitié des trente-cinq décisions qui y figurent concernent directement les PME. Je ne peux que m’en réjouir.

Qu’il s’agisse du pacte de compétitivité, de la loi de finances ou de l’ensemble des initiatives que nous avons prises en faveur des PME entre mai 2012 et janvier 2013, quelles directions principales avons-nous choisies ?

Je vois se dégager trois lignes de force permanentes dans notre action d’appui aux petites et moyennes entreprises : répondre à l’urgence et permettre aux PME de poursuivre leur développement malgré la crise ; simplifier et faciliter la vie des entreprises à chaque étape de leur développement ; stimuler l’esprit d’entreprise et de conquête économique chez les Français.

Notre première ambition a été et demeure, dans un environnement macro-économique comportant encore de fortes incertitudes, de répondre à l’urgence et de permettre aux PME de poursuivre leur développement malgré la crise.

Je l’ai rappelé tout à l’heure : de façon générale, la trésorerie des PME est sous tension. Cette situation résulte d’un redoutable effet de ciseau : première lame, les délais de paiement se tendent ; deuxième lame, les crédits de trésorerie sont en baisse de 3,5 % depuis un an.

Si cette situation devait perdurer, il y a tout lieu de croire qu’elle déboucherait sur un credit crunch. Il s'agit d’un scénario d’autant moins improbable que, chacun l’aura observé, les nouvelles règles prudentielles risquent de peser sur le crédit dans notre pays.

Sans attendre, le Gouvernement a instauré un dispositif d’aide aux PME et aux ETI pour leur permettre de renforcer leur trésorerie. Ce dispositif de garantie des crédits de trésorerie, via la banque publique d’investissement, la BPI, est d’ores et déjà en place. Il doit permettre de dégager 500 millions d’euros pour les PME.

Afin de soulager les entreprises en matière de trésorerie, nous avons également décidé d’un plan d’action sur les délais de paiement. Il a été présenté en conseil des ministres par mon collègue Pierre Moscovici en novembre dernier. L’orientation est très claire : nous proposerons que le non-respect des délais de paiement légaux puisse être sanctionné directement par l’administration, c’est-à-dire par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, sans que le fournisseur soit obligé poursuivre son donneur d’ordre en justice.

L’État se doit évidemment d’être exemplaire. C’est pourquoi un plan d’amélioration de ses propres délais de paiement sera mis en place au cours du quinquennat. Il s'agit d’une question importante, qui vise à éviter de pénaliser le développement des PME.

L’action sur les conditions de financement des entreprises ne saurait se limiter à une intervention sur le crédit interentreprises, aussi bénéfique soit-elle. Nous devons aussi orienter, de manière structurelle, l’offre de financement en endettement et en fonds propres vers les PME.

Il ne faut pas se voiler la face : le postulat selon lequel le financement des entreprises se maintient en France est vrai globalement, mais faux dans le détail.

Prenons l’exemple du financement bancaire : l’observatoire du financement des entreprises nous dit clairement que la hausse des encours de crédits aux TPE-PME indépendantes ralentit « nettement » depuis la mi-2011. Si l’on creuse un peu, la situation reste contrastée : les PME de l’industrie manufacturière souffrent d’un ralentissement depuis le début de l’année 2012.

J’entends aussi parfois que les PME françaises ont renforcé leurs fonds propres sur les dix dernières années. Ne sur-interprétons pas ce constat, car il résulte non pas d’un fort taux d’investissement, mais d’une progression du poids de la trésorerie des entreprises, qui ont adopté un comportement de précaution. Le fait que les PME aient renforcé leurs fonds propres n’induit pas qu’elles n’ont pas des difficultés à financer leurs investissements...

Si l’on observe les levées de capitaux pour les PME et les ETI en France sur le segment du capital-risque, le léger rebond observé au quatrième trimestre de 2012 ne doit pas faire oublier la contraction de 27 % entre 2010 et 2011. Les capitaux levés par le biais des fonds d’investissement de proximité, les FIP, et des fonds communs de placement dans l’innovation, les FCPI, ont diminué de 400 millions d’euros en 2011 par rapport à 2008. À cette date, les levées atteignaient un montant de 1,1 milliard d’euros. Or je rappelle que les FIP et les FCPI représentent près du tiers du capital-risque en France.

Au-delà de nos difficultés actuelles à financer notre économie, il nous faut réfléchir à de nouveaux instruments pour faire face aux besoins de demain.

La BPI constitue une première réponse, très importante, à ces défis. Il s’agissait du premier engagement du Président de la République. Vous venez d’en voter la création, mesdames, messieurs les sénateurs. Il revient maintenant à cette institution de faire ses preuves.

J’ai déjà évoqué le dispositif de 500 millions d’euros de crédits de trésorerie pour les TPE et PME. La BPI assurera également le préfinancement du crédit d’impôt recherche, le CIR, et surtout le préfinancement du crédit d’impôt compétitivité emploi, le CICE, qui sera, lui aussi, directement opérationnel pour les entreprises en 2013, contrairement à ce qu’a affirmé M. Delattre.

Cette année doit donc être celle du démarrage à plein régime de la BPI, porte-avions de la compétitivité. Toutefois, afin de financer nos entreprises, nous devons également mieux mobiliser l’épargne. Vous le savez, nous souffrons spécifiquement d’un problème non pas de volume de collecte – relativement, la France épargne plus que ses voisins –, mais d’orientation de l’épargne. Il s’agit de veiller à mieux diriger l’épargne des Français vers les entreprises et, singulièrement, vers les PME, dont certaines souffrent d’un manque évident de fonds propres.

Le rapport Duquesne a formulé des propositions sur l’épargne réglementée, dont la principale était que les fonds d’épargne prêtent à la BPI. D’ores et déjà, le Gouvernement a annoncé que 10 milliards d’euros de lignes de prêts seraient ouvertes à la BPI sur les fonds d’épargne.

Par ailleurs, se profile devant nous la réforme de la fiscalité de l’épargne financière. Karine Berger et Dominique Lefebvre doivent remettre prochainement leurs conclusions au ministre de l’économie et des finances. L’enjeu est double : mieux orienter l’épargne des Français vers le financement de long terme en actions et rééquilibrer les bilans bancaires afin d’éviter un resserrement du crédit dans les années à venir. Ce second objectif, pourtant majeur pour les PME de notre pays, est trop souvent oublié.

Enfin, s’agissant du financement des entreprises, je veux formuler quelques remarques sur l’accès des PME aux marchés financiers.

Vous le savez, du fait du resserrement du crédit bancaire et de l’impact des nouvelles normes prudentielles, nous devons aider nos PME à diversifier leurs sources de financement. C’est pour cette raison que le pacte de compétitivité a mis sur les rails le projet d’un nouveau segment de marché relatif aux PME et aux ETI et destiné à faciliter l’accès de ces entreprises aux marchés de capitaux, tant en actions qu’en obligations.

Vous l’aurez constaté, au mois de décembre dernier, NYSE Euronext, l’opérateur historique de la Bourse de Paris, a formulé de premières propositions pour une nouvelle filière dédiée aux PME. Les discussions se poursuivent, car le Gouvernement estime que ce projet ne va pas assez loin et ne répond pas suffisamment aux attentes des entreprises.

Deuxième ligne de force de notre action au service des PME depuis neuf mois : simplifier la vie de leurs dirigeants aux différentes étapes du développement de leur société.

Depuis mon arrivée au Gouvernement, j’ai pris pleinement conscience que, derrière les difficultés d’accès au financement, qui doivent être traitées, se cache un problème tout aussi pénalisant pour les entrepreneurs : l’environnement dans lequel ils évoluent n’a généralement pas été pensé pour les PME. Le plus souvent, les règles s’imposent à elles plus qu’elles n’ont été pensées pour elles, ou même avec leur concours.

M. Marc Daunis. C’est vrai !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Le plus souvent également, les relations que les administrations et les grands groupes entretiennent avec les PME ont été envisagées non pas sur un mode coopératif, mais selon une logique de domination.

Par conséquent, c’est dans les deux directions suivantes que j’ai orienté mon intervention pour faire bouger les lignes : accélérer le mouvement de réduction des charges administratives auxquelles les TPE-PME font face et inciter les grands groupes à adopter des comportements plus vertueux et plus coopératifs dans leurs relations avec les PME.

J’ai mis toute mon énergie pour qu’émerge du pacte de compétitivité un plan de simplification administrative qui réponde vraiment aux besoins prioritaires des entreprises. Cinq chantiers de simplification ont été retenus au mois de novembre dernier. Trois d’entre eux me paraissent très représentatifs de notre volonté de réduire les contraintes des entrepreneurs, d’alléger leur fardeau administratif.

Tout d’abord, le « test PME ». Il permettra de mieux évaluer en amont et en concertation avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, les effets des mesures envisagées par les administrations sur l’activité et le fonctionnement des petites et moyennes entreprises. Il sera opérationnel dès ce trimestre et se traduira par une expérimentation dans plusieurs textes.

Ensuite, la dématérialisation accrue des procédures déclaratives, fiscales et sociales. Elle concourra aussi nettement à simplifier la vie des PME.

Enfin, je n’oublie pas un autre sujet sur lequel Arnaud Montebourg et moi-même sommes très mobilisés : la lutte contre la sur-réglementation à l’occasion de la transposition des directives européennes, à laquelle nous nous attellerons sans relâche dès cette année. Il n’est pas normal que nos PME continuent d’affronter la concurrence internationale avec des boulets aux pieds alors qu’on attend d’elles toujours plus de compétitivité !

D’autres chantiers complémentaires seront ouverts avec l’appui des représentants des entreprises que Marylise Lebranchu et moi-même avons réunis le 7 janvier dernier.

Disposer d’un environnement réglementaire simplifié, c’est important. Disposer d’un environnement fiscal stabilisé pour faciliter la prise de décision de l’entrepreneur dans un contexte macro-économique déjà incertain, c’est tout aussi précieux.

Vous le savez, je n’ai pas ménagé mes efforts – ils n’ont d’ailleurs pas été vains – à l’occasion du débat budgétaire de l’année dernière pour progresser résolument dans cette direction.

Tout d’abord, le pacte de compétitivité affiche une résolution claire dans sa décision n° 26 : « Stabiliser sur la durée du quinquennat cinq dispositifs fiscaux clés pour l’investissement et la vie des entreprises » : le crédit d’impôt recherche, les dispositifs favorisant la détention et la transmission d’entreprises, les jeunes entreprises innovantes, les incitations aux investissements dans les PME, enfin, la contribution économique territoriale.

À très court terme, déjà, plusieurs engagements de stabilité ont été traduits dans la loi de finances initiale pour 2013. Je songe aux outils d’incitation à l’investissement dans les PME – les dispositifs ISF-PME, Madelin, FIP et FCPI –, qui sont intégralement préservés.

À l’occasion de l’effort budgétaire courageux et sans précédent qu’a accompli le Gouvernement, nous avons mis en œuvre tout ce qui pouvait l’être pour préserver, mais aussi accompagner le développement des PME. Alors que 30 % seulement des PME françaises innovent aujourd’hui, nous avons créé le crédit d’impôt innovation, qui étend le crédit d’impôt recherche aux dépenses d’innovation. L’idée était dans l’air du temps depuis plusieurs années. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault l’a concrétisée.

Par ailleurs, il faut également changer l’environnement réglementaire et fiscal des entreprises, pour gagner encore en stabilité. Nous nous y employons. Rien ne remplacera cependant un travail de fond pour faire évoluer les comportements à l’égard des PME. Chacun doit prendre sa part à ce défi, qui s’adresse tout autant à l’État et aux collectivités locales qu’aux grands groupes.

Dès mon arrivée au Gouvernement, j’ai constaté, que, au cours des dernières années, la part du montant des marchés publics en valeur obtenu par les PME françaises avait été bien inférieure – 27 % – à leur poids réel dans l’économie – 46 % de la valeur ajoutée marchande.

Plusieurs mesures importantes ont été prises par le Gouvernement pour rectifier le tir. Le pacte de compétitivité prévoit, par exemple, que la part de l’innovation dans les achats publics réalisés par l’État, les opérateurs et les hôpitaux devra atteindre un objectif de 2 % en volume à l’horizon 2020. Pour progresser vers cet objectif, une conférence de « l’achat public innovant » se réunira au mois de mars prochain.

D’ores et déjà, une charte a été signée par plusieurs entreprises dont l’État est actionnaire pour promouvoir l’achat innovant et exemplaire en faveur des PME.

S’agissant de la commande publique, un sujet qui nous tient à cœur, nous avons traduit en acte la promesse de campagne du Président de la République de nommer un médiateur des marchés publics, chargé de faciliter la relation entre les entreprises et les donneurs d’ordre publics.

L’État doit se montrer exemplaire à l’égard des PME. De même, les entreprises doivent être vertueuses. Elles doivent pouvoir définir des stratégies de partenariats durables au sein des filières. Pour prévenir ou corriger certains conflits qui peuvent naître, les PME peuvent déjà compter sur la médiation des relations interentreprises, qui est venue en aide à plus de 220 000 entreprises à ce jour. C’est sous son égide qu’est placée la charte des relations interentreprises à laquelle ont déjà adhéré 341 opérateurs publics et privés.

Toutefois, il fallait aller encore plus loin et s’assurer que les engagements de bonnes pratiques attenants à la charte soient respectés dans les faits. Ainsi, au mois de décembre dernier, j’ai remis à quatre entreprises le label « Relations fournisseurs responsables », qui les engage à mesurer effectivement leur conformité aux bonnes pratiques.

La troisième et dernière ligne de force de mon action de promotion et de développement des PME françaises consiste à stimuler l’esprit d’entreprendre et de conquête économique de nos entreprises.

Tout le travail effectué pour briser les plafonds de verre auxquels se heurtent les PME, pour leur offrir un environnement plus coopératif et plus favorable à la croissance et à l’emploi, n’a de sens que si notre pays est capable de faire naître une véritable mobilisation entrepreneuriale.

Constatant que le nombre annuel de créations d’entreprises n’a cessé de croître en France entre 2000 et 2010, nous pourrions avoir la tentation de nous reposer sur nos lauriers. Néanmoins, force est de le constater, nos entreprises ont du mal à grandir et la moitié d’entre elles disparaît dans les cinq ans suivant leur constitution ! Par ailleurs, en France, l’âge moyen auquel les dirigeants créent leur entreprise – entre trente-huit et trente-neuf ans – est très tardif par rapport aux autres pays occidentaux.

Ces signaux caractérisent-ils un pays mobilisé pour la création et le développement des entreprises ? Permettez-moi d’en douter. Mes doutes portent non pas sur le désir d’entreprendre du plus grand nombre, bien sûr, mais sur la capacité collective de notre pays à faciliter la tâche de celles et ceux qui passent à l’acte de création.

Lorsque l’on donne un coup de pouce à l’entrepreneur, le plus souvent, il saisit cette chance et réussit. La preuve est simple : les études montrent que, sur cinq ans, le taux de pérennité d’une entreprise est supérieur de 14 % quand celle-ci bénéficie d’un accompagnement.

L’ambition entrepreneuriale d’un pays, ce n’est pas une somme de mots mis bout à bout pour dire qu’on y croit. Ce sont des actes, dans la durée.

C’est toute la conviction qui m’anime pour conduire les Assises de l’entrepreneuriat, que j’ai ouvertes le 14 janvier dernier, à la demande du Premier ministre.

Dégager des propositions concrètes qui doivent notamment permettre de bâtir un programme d’action pour soutenir l’objectif de doubler le nombre de créations d’entreprises de croissance en cinq ans fixé par le pacte de compétitivité : tel est notre cap.

Depuis une semaine, j’ai réuni plus de 300 entrepreneurs au sein de neuf groupes de travail pour dessiner les contours de cette ambition entrepreneuriale, que je nourris pour la France, avec le Gouvernement.

Dix-huit parlementaires appartenant tant à la majorité qu’à l’opposition seront d’ailleurs conviés dans quelques jours à participer à ces réflexions, qui feront ensuite l’objet d’annonces par le Gouvernement dans le courant du mois d’avril prochain.

L’esprit d’entreprendre et l’esprit de conquête économique sont intimement liés. Nous voulons stimuler l’un et l’autre pour gagner la double bataille de la croissance et de l’emploi.

Le pacte de compétitivité, j’y reviens, qui connaîtra une montée en charge progressive sur trois ans, permettra, via le CICE, d’alléger de 20 milliards d’euros par an les coûts supportés par les entreprises. Il s'agit d’un signal très fort adressé aux entrepreneurs, d’autant qu’il aura dès 2013 des conséquences sur la trésorerie des entreprises, par le biais de l’instauration d’un dispositif de préfinancement spécifiquement destiné aux PME.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux maintenant vous faire part d’une profonde conviction : selon moi, le redressement de la compétitivité de notre économie passe par une action plus large sur tous les leviers rangés souvent, faute de mieux, sous le vocable « hors prix ».

Vous le savez, dès 2012, malgré les très fortes contraintes budgétaires, le Gouvernement a donné la priorité à l’innovation. Le pacte de compétitivité en a fait le principal levier de la stratégie de montée en gamme de notre économie. Ainsi avons-nous garanti la stabilité non seulement du crédit d’impôt recherche sur cinq ans – je l’ai dit –, mais aussi des budgets des pôles de compétitivité.

Parallèlement, nous avons créé le crédit d’impôt innovation destiné aux PME. Grâce à ce dispositif, les dépenses de prototypage sont désormais soutenues à hauteur de 20 %. Ce sont donc jusqu’à 400 000 euros qui peuvent être économisés dans le développement d’un nouveau produit.

Nombre de progrès ont déjà été faits, vous le constatez, mais, je dois vous l’avouer, nous n’en sommes qu’au commencement. La mission que j’ai confiée, en accord avec Arnaud Montebourg et Geneviève Fioraso, à Jean-Luc Beylat et Pierre Tambourin remettra ses conclusions au mois de mars prochain. Nous serons alors en mesure d’entamer une vaste et ambitieuse réforme de notre système d’innovation, dans le sens d’un rapprochement entre les différentes institutions, les grandes entreprises et les PME. J’en reparlerai le moment venu.

Vous l’aurez compris au terme de cette présentation : nous avons, une à une, posé les pierres qui doivent permettre aux PME françaises de reposer sur des fondations plus solides, grâce auxquelles elles pourront mieux supporter les aléas conjoncturels et poursuivre leur développement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l’échange très approfondi que j’ai eu avec vous ce soir. Il en appelle, je l’espère, beaucoup d’autres. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la place des petites et moyennes entreprises dans notre économie.

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Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 24 janvier 2013 :

À dix heures :

1. Débat sur la police municipale.

À quinze heures :

2. Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures quinze :

3. Débat sur l’avenir du service public ferroviaire.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 24 janvier 2013, à zéro heure dix.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART