M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Article 44 (début)
Dossier législatif : projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière
 

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Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date de ce jour, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du II de l’article 6 de la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée (Validation législative des rémunérations perçues) (2012-287 QPC).

Acte est donné de cette communication.

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Élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modification du calendrier électoral

Discussion d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

 
 
 

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral (projet n° 166 rectifié, texte de la commission n° 252, rapport n° 250), ainsi que du projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux (projet n° 165 rectifié, texte de la commission n° 251, rapport n° 250).

Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un tournant, ambitieux, de l’histoire de la démocratie locale que nous abordons aujourd’hui.

La démocratie ne saurait être un modèle abouti, figé. Elle doit pouvoir se réformer, se moderniser, s’approfondir, pour renforcer le lien essentiel, si particulier, qui unit les citoyens à leurs représentants. Ce lien constitutif de notre histoire et de notre nation, qui est au cœur de notre pacte républicain, est garant de notre cohésion.

Nous entamons aujourd’hui une phase exigeante, nécessaire et longue de réformes électorales, qui doivent nous amener à donner un nouvel élan à notre démocratie dans les territoires. Ce mouvement a plusieurs sources.

Tout d’abord, voilà un peu plus d’un an, a été adoptée au Sénat une proposition de loi portée par les élus socialistes, radicaux, écologistes et communistes visant à abroger le conseiller territorial. Je veux saluer cette initiative parlementaire utile, qui s’est prolongée, il y a quelques semaines, à l’Assemblée nationale.

Ensuite, le Président de la République a voulu et défini ce nouvel élan.

Lors de son discours de candidat à la présidence de la République à Dijon, puis de son intervention, en octobre dernier, aux états généraux de la démocratie territoriale, qui doivent tant au Sénat, il a fixé de grandes orientations, autour de quatre principes : confiance, clarté, cohérence et démocratie. Ce sont ces grandes orientations, qui sont le fruit d’une consultation large avec les élus, que le Gouvernement entend mettre en œuvre, notamment au travers des deux projets de loi que j’ai l’honneur de vous présenter, mesdames, messieurs les sénateurs.

Dans nos collectivités locales, dans les régions, les départements, les communes, au rythme des lois de décentralisation et des transferts de compétences, une culture démocratique s’est affirmée, fondée sur la proximité, l’écoute et le dialogue, qui a permis de rapprocher les décisions publiques des citoyens. Cette culture s’appuie sur des élus qui, quelle que soit leur sensibilité politique, ont à cœur de travailler au développement de leur collectivité et de rassembler les énergies autour d’un projet commun et solidaire.

Pour autant, force est de constater que nous ne sommes pas allés jusqu’au bout. Dans les départements, les communes, les intercommunalités, des progrès peuvent, et doivent, encore être accomplis.

Il convenait au préalable de revenir sur la création du conseiller territorial, qui confondait deux échelons : le département et la région. Or ces deux échelons n’ont pas les mêmes logiques de fonctionnement, ni les mêmes perspectives d’action. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Ce conseiller territorial, à la fois conseiller régional et général, était donc source d’inefficacité et de confusion.

M. Manuel Valls, ministre. Or la démocratie demande transparence et lisibilité dans la prise de décision.

La démocratie consiste à garantir la possibilité de porter, à échéances régulières, un jugement rétrospectif sur les actions menées. En d’autres termes, c’est la liberté de désapprouver ou d’encourager. Pour exercer pleinement ce droit, les citoyens doivent savoir qui fait quoi, qui décide de quoi.

Par ailleurs, le conseiller territorial était voué à des allers-retours permanents entre sa circonscription d’élection, le chef-lieu de département et le chef-lieu de région (Exclamations sur les travées de l'UMP.), ce qui ne pouvait que nuire à la proximité entre l’élu et ses concitoyens.

Mme Catherine Troendle. La proximité, parlons-en !

M. Manuel Valls, ministre. Or l’élu local se doit d’être au cœur des réalités du terrain pour en percevoir toutes les implications.

Nos concitoyens attendent également que leurs élus soient à l’image de la société. Or le mode de scrutin retenu alors était très défavorable au pluralisme et, surtout, à la parité.

Enfin, l’argument économique, brandi à maintes reprises pour justifier la création du conseiller territorial, n’a jamais démontré sa pertinence.

M. Rémy Pointereau. Il n’en a pas eu le temps !

M. Manuel Valls, ministre. Les synergies qui devaient exister entre les structures régionale et départementale n’avaient aucun fondement, pas plus que le thème des économies réalisées sur les indemnités des élus : dans les faits, il aurait fallu indemniser les remplaçants, c’est-à-dire les super-suppléants inventés pour l’occasion ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Didier Guillaume. Bien sûr !

M. Manuel Valls, ministre. En résumé, pour parler trivialement, le conseiller territorial relevait de l’usine à gaz. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Rémy Pointereau. Vous faites la même chose !

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. Il compliquait là où il fallait simplifier ; il complexifiait là où il fallait clarifier. Élu local moi-même, j’ai entendu ces critiques de la part de nombreux élus de gauche, mais l’honnêteté m’oblige à dire qu’elles émanaient aussi de certains élus de droite. (Mêmes mouvements.)

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. Manuel Valls, ministre. Cette réforme était en fait – peut-être est-ce là le plus grave ! – l’expression d’une défiance à l’endroit de la démocratie locale et des élus qui la font vivre.

M. Rémy Pointereau. C’est faux !

M. Manuel Valls, ministre. On a voulu faire des économies sur la démocratie locale, au détriment de son efficacité et de sa légitimité.

M. Rémy Pointereau. Pas du tout !

M. Manuel Valls, ministre. Le Président de la République l’a rappelé lors des états généraux de la démocratie territoriale, les libertés locales sont une conquête républicaine et leur progrès, c’est tout simplement le progrès de la République.

Dans cette conquête de la démocratie territoriale, le département a une place importante, particulière.

M. Rémy Pointereau. C’est de moins en moins le cas !

M. Manuel Valls, ministre. En 1790, le découpage départemental est le symbole d’une conception moderne, rationnelle et déjà républicaine de l’administration de notre pays. La loi de 1871 relative aux conseils généraux est l’une des grandes avancées démocratiques de la IIIe République naissante. En 1982, la fin de la tutelle est l’un des actes forts des lois de décentralisation.

Je l’ai dit, la démocratie ne peut se concevoir comme un modèle figé. Elle doit accompagner les évolutions que connaissent les territoires. Nous entrons dans une nouvelle phase de décentralisation, qui doit se traduire par une nouvelle phase de la démocratie locale.

Fusionner les mandats de conseiller régional et de conseiller général relevait d’une volonté d’affaiblir tout à la fois le département et la région.

M. Rémy Pointereau. Pas du tout !

M. Manuel Valls, ministre. Certains continuent de croire que moderniser la vie politique locale, c’est supprimer un échelon. Toutefois, on n’améliore pas l’efficacité des politiques publiques en éloignant les citoyens des décisions. Le département est un échelon de proximité essentiel, un échelon républicain par excellence. À ce titre, il conserve toute sa pertinence.

Affirmer cela, ce n’est en rien plaider pour le statu quo. Pour demeurer pertinent, l’échelon départemental doit effectivement entamer sa modernisation, celle des compétences et des politiques. Ce sera l’un des aspects du futur projet de loi porté par la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.

Il faudra également moderniser le mode de scrutin. Chacun ici est conscient, me semble-t-il, des lacunes du régime de scrutin actuel. Tout d’abord, un mode de scrutin doit représenter équitablement la population et les territoires. Or trois cinquièmes des cantons sont les mêmes que lors du premier découpage cantonal réalisé il y a plus de deux siècles !

Depuis 1801, les territoires ont évolué, la répartition de la population française aussi. Dans l’Hérault, par exemple, le rapport entre le canton le plus peuplé et le canton le moins peuplé est de 1 pour 47. Ce ratio est supérieur à 1 pour 20 dans dix-huit autres départements et, de manière plus consolidée, il est supérieur à 1 pour 5 dans quatre-vingt-huit départements. Qui pourrait prétendre que le principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant le suffrage est respecté ? Non, nous ne pouvons plus nous satisfaire de cette situation ! Il y va, à terme, de la légitimité même de l’institution départementale.

De même, la sous-représentation – le mot est faible ! – des femmes dans les assemblées départementales est devenue insupportable. Progressivement, difficilement, la parité a partout progressé : dans les régions, dans les communes, au Parlement, même si certains ont fait davantage d’efforts que d’autres. Il reste bien sûr des progrès à accomplir. Mais nulle part la situation n’est comparable à celle des départements.

Aujourd’hui, les femmes ne représentent que 13,5 % de l’ensemble des conseillers généraux.

M. Manuel Valls, ministre. Les différentes mesures mises en œuvre n’y ont rien fait. Certes, candidat et suppléant doivent être de sexe différent, mais les femmes ne représentaient, en 2011, que 23 % de l’ensemble des candidats.

Les dernières élections cantonales l’ont montré, le mode de scrutin actuel ne permettra pas de remédier à ce problème.

Lors du renouvellement partiel de 2011, quatorze départements n’ont élu aucune femme. Fait notable, et regrettable, dans trois départements, l’assemblée départementale reste exclusivement masculine.

Mme Éliane Assassi. C’est inacceptable !

M. Manuel Valls, ministre. En matière de parité, comme en matière de représentation démographique, il ne doit plus exister d’exception départementale. C’est une condition de la légitimité de cette institution.

Nous ne ferons pas cette réforme de la démocratie dans les départements au détriment de l’identité de ce territoire. Démocratiser, moderniser, ce n’est pas dénaturer. La stabilité de l’institution départementale dans l’histoire montre une qualité essentielle du scrutin majoritaire : celui-ci garantit un lien fort entre l’élu et son territoire, une proximité réelle entre l’électeur et son représentant – des valeurs que le Gouvernement souhaite préserver.

Proximité et parité : ces deux impératifs, ces deux objectifs rappelés par le Président de la République ont guidé la rédaction de ce projet de loi.

J’ai consulté les différentes formations politiques représentées au Parlement ainsi que les associations d’élus concernées. À cet égard, je tiens à souligner l’écoute et le respect mutuel qui ont caractérisé nos échanges.

J’ai entendu les projets de réforme proposés par les uns et les autres. Certains suggéraient un scrutin de liste au niveau départemental, calqué sur le modèle régional. Cette proposition répondait au problème de la parité, mais conduisait à renoncer à la proximité. Pour d’autres, le nouveau scrutin aurait dû se tenir au niveau de l’arrondissement ou dans un cadre intercommunal.

Aucune de ces solutions n’était pertinente. L’arrondissement est une échelle administrative, sans signification particulière pour nos concitoyens. Quant à l’intercommunalité, institution encore très jeune, sa carte reste inachevée, mouvante. Surtout, elle doit à mon sens rester un espace commun, un espace de compromis, de projets. Cette vision disparaîtrait si elle était elle-même érigée en circonscription infra-départementale.

Le canton reste un espace électoral bien identifié et légitime pour beaucoup de nos compatriotes. Nous avons donc fait le choix de le conserver. Toutefois, il s'agit d’un canton renouvelé et remodelé – j’y reviendrai.

Un scrutin moderne, paritaire : tel est l’objectif du scrutin binominal majoritaire proposé à votre examen, mesdames, messieurs les sénateurs. Il est issu du travail mené notamment par l’une de vos collègues, Mme Michèle André. Dans chaque canton seront élus, solidairement, deux candidats de sexe différent. C’est le gage d’une parité enfin respectée dans les assemblées départementales. La parité des candidats s’appliquera également aux remplaçants.

Cette parité de l’assemblée délibérante, nous voulons qu’elle s’applique tout autant à l’exécutif du département. Là encore, les disparités de représentation sont criantes : 95 % des présidents et 85 % des vice-présidents de conseils généraux sont des hommes. Je vous proposerai donc d’appliquer à la commission permanente du département et aux vice-présidents les règles applicables aux régions depuis 2007. Ils seront donc élus au scrutin de liste paritaire.

La parité est un gage de représentativité, mais elle ne suffit pas. Comme je l’ai souligné, les cantons actuels ne représentent plus la réalité de la répartition de la population française. Nous devons donc procéder à une refonte globale de la carte cantonale. Le nombre de cantons sera fixé de manière à conserver un nombre d’élus proche de celui que nous connaissons aujourd’hui.

Il fallait fixer dans la loi un critère clair. Le présent projet prévoit que l’écart de population d’un canton par rapport à la moyenne départementale ne dépasse pas 20 %.

M. Bruno Sido. Catastrophe !

M. Manuel Valls, ministre. Ce chiffre n’a rien d’arbitraire, mesdames, messieurs les sénateurs. En effet, parallèlement à la rédaction de ce texte, j’ai saisi le Conseil d’État afin de déterminer une règle simple, et c’est l’avis de cette instance qui nous a conduits à opter pour cette limite de 20 %. Elle est celle qui est appliquée par le Conseil constitutionnel, je vous le rappelle, en matière de redécoupage des circonscriptions législatives. (Protestations sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Bruno Sido. Non, c’est faux !

M. Manuel Valls, ministre. Je le sais, certains, sur toutes les travées, seront tentés d’assouplir cette limite,…

M. Éric Doligé. Ils auront raison !

M. Manuel Valls, ministre. … de lui apporter de multiples amendements afin de tenir compte des spécificités de leur territoire.

M. Gérard Bailly. Heureusement !

M. Manuel Valls, ministre. Or ce serait priver la règle de son sens, et je refuse pour ma part que les inégalités actuelles perdurent.

M. Bruno Sido. C’est autre chose !

M. Manuel Valls, ministre. Je tiens en même temps à vous rassurer : cette règle, telle qu’elle est énoncée dans le projet de loi, prévoit déjà des exceptions fondées sur des motifs géographiques ou des considérations d’intérêt général.

M. Éric Doligé. La couleur politique du département !

M. Manuel Valls, ministre. Je pense, en particulier, aux îles et à la montagne. Toutefois, ces exceptions devront être spécialement justifiées.

Renforcer la démocratie départementale, c’est doter le département d’un mode de scrutin qui soit – j’y insiste – représentatif et paritaire,…

M. Gérard Le Cam. Bipartiste !

M. Manuel Valls, ministre. … tout en conservant la proximité. C’est aussi améliorer la lisibilité de cette élection. Ce projet de loi vise donc à substituer aux termes « conseil général » et « conseiller général », devenus peut-être peu explicites pour les électeurs, ceux de « conseil départemental » et de « conseiller départemental ». Le département doit rester un échelon territorial à part entière ; son nom doit donc apparaître plus clairement.

Autre facteur d’une meilleure lisibilité : les conseils généraux seront renouvelés dans leur totalité.

M. Bruno Sido. Le Sénat aussi ?

M. Manuel Valls, ministre. Rien ne justifie plus le renouvellement par moitié. Au contraire, il faut rendre ce scrutin plus compréhensible pour les citoyens et donner à l’institution départementale une majorité claire pour le temps d’un mandat.

Enfin, revivifier la démocratie locale, c’est créer toutes les conditions d’une participation satisfaisante aux élections, même si d’autres facteurs, bien évidemment, y contribuent. En l’état actuel du droit, quatre scrutins doivent se tenir en 2014 : les élections municipales et territoriales en mars, les élections européennes en juin et les élections sénatoriales en septembre.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cinq élections !

M. Manuel Valls, ministre. La restauration du double scrutin régional et départemental ajouterait une cinquième élection, vous avez raison, monsieur le président de la commission des lois.

Cinq élections, soit neuf tours de scrutin, en l’espace de six mois : ce calendrier électoral engorgé est difficilement praticable et conduirait à coup sûr – nous pouvons au moins nous accorder sur ce point – à une faible participation des électeurs. C’est pourquoi je vous propose de reporter à 2015 l’organisation des élections départementales et régionales.

Ces deux scrutins auront lieu, bien sûr, le même jour. L’expérience l’a montré, en 1992 par exemple, la concomitance des élections régionales et cantonales peut avoir des effets bénéfiques sur la participation électorale. Lors de son abandon en 1994, l’abstention était remontée de dix points.

Je connais les objections que certains soulèveront durant les débats. Je rappellerai simplement que c’est le précédent gouvernement qui avait raccourci la durée des mandats pour créer le conseiller territorial.

En 2015, les élus auront effectué des mandats d’une durée proche du mandat normal de six ans : cinq ans pour les conseillers régionaux, quatre ou sept ans pour les conseillers généraux. Ce report n’aura qu’un impact marginal sur le collège sénatorial. D’ailleurs, nous ne faisons que rétablir ce qui avait été défait par la précédente majorité.

Cette entreprise de modernisation et d’approfondissement de la démocratie locale ne doit pas, si vous me permettez l’expression, se cantonner au seul département.

Le fait intercommunal est devenu concret pour nos concitoyens. Ceux-ci constatent, chaque jour, que les communautés de communes, d’agglomération ou les communautés urbaines assument toujours davantage de responsabilités et de politiques publiques.

Cette réalité des politiques doit s’affirmer comme une réalité démocratique. Là encore, le chef de l’État a arrêté un principe lors des rencontres de la Sorbonne. Les délégués communautaires seront élus au scrutin universel direct, « le même jour et par un même vote » que les conseillers municipaux.

C’est, à ce stade, la meilleure option pour donner à l’intercommunalité la légitimité démocratique nécessaire à son développement. Dans le même temps, l’échelon municipal doit être préservé. Je sais combien les Français sont attachés à la figure du maire, pour avoir exercé cette fonction pendant douze ans, et à la commune.

M. Jacques Legendre. C’est vrai.

M. Manuel Valls, ministre. La commune, c’est l’élément de base, le fondement de la démocratie locale. Chaque jour, par leur travail, leur engagement, leur abnégation, les élus municipaux sont les premiers représentants de la République devant les Français.

Le texte initial prévoyait que les délégués communautaires soient signalés parmi les premiers de chaque liste en concurrence. Votre commission des lois a estimé, à juste titre, qu’il fallait préserver une liberté dans l’établissement des listes.

Sur le principe, je suis en plein accord avec cette logique – je tiens d’ailleurs à saluer le travail que vous avez conduit, mesdames, messieurs les sénateurs, sous l’impulsion de Michel Delebarre. Je crois cependant que le texte établi par la commission, si vous me permettez cette remarque, pâtit encore, à ce stade, d’une trop grande complexité. Nous devons tout faire pour que, là aussi, la simplicité et la lisibilité l’emportent.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. Démocratiser l’intercommunalité, c’est aussi étendre l’élection par fléchage des délégués communautaires au plus grand nombre de communes. Pour cela, il convient d’abaisser de 3 500 à 1 000 habitants le seuil de population au-delà duquel les conseillers municipaux seront élus au scrutin de liste.

Cet abaissement du seuil répond également à l’impératif de rendre le scrutin municipal plus paritaire. Aujourd’hui, l’objectif de parité est quasiment atteint dans les communes de plus de 3 500 habitants, c’est-à-dire précisément là où s’applique l’obligation de constituer les listes paritaires. Dans les communes les plus petites, en revanche, la part des conseillères municipales est de 32 %. C’est bien la démonstration que, lorsque la parité n’est pas obligatoire, les travers de notre société politique l’emportent.

Abaisser le seuil, c’est enfin simplifier, rendre plus transparente l’élection municipale. Le panachage, s’il est adapté aux communes les moins peuplées, complexifie l’élection. De même, rien ne justifie plus que des règles de transparence élémentaires, comme l’obligation de dépôt de candidature, ne s’appliquent pas dans les communes de plus de 1 000 habitants. Votre commission a d’ailleurs tenu à étendre cette obligation à toutes les communes.

Je le sais, le seuil de 1 000 habitants au-delà duquel devra s’appliquer le mode de scrutin qui vaut actuellement pour les communes de plus de 3 500 habitants ne fait pas l’unanimité : certains proposent plutôt de fixer ce seuil à 1 500 habitants – c’est, je crois, la position de l’Association des maires de France –, d’autres à 2 000 habitants ; d’autres encore souhaitent que l’élection proportionnelle soit généralisée à toutes les communes. Le seuil de 1 000 habitants est un compromis dont nous pourrons débattre.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Excellent compromis !

M. Manuel Valls, ministre. Je suis évidemment ouvert à toutes les propositions.

L’élargissement de l’élection proportionnelle sera, quoi qu’il en soit, significatif. Pour autant, il ne doit pas se faire au détriment du pluralisme. Dans les communes les plus petites, nous le savons, il est souvent difficile de constituer des listes complètes. C’est ce qui justifie le maintien d’un seuil. C’est également pourquoi le Gouvernement est favorable à l’abaissement du nombre de conseillers municipaux adopté par votre commission pour les premières strates de la population.

Comme vous l’avez constaté, nous débattons conjointement d’un projet de loi ordinaire et d’un projet de loi organique. Ce dernier est principalement lié à la question du vote des ressortissants communautaires aux élections municipales.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, aborder une réforme des modes de scrutin n’est jamais chose aisée. C’est pour cela que nous avons souhaité en débattre d’abord au Sénat, où ces questions sont connues, étudiées. Je ne doute pas qu’elles seront plus faciles à aborder qu’ailleurs. Le Président de la République a fixé, dans la sérénité et dans un souci de dialogue, de grandes orientations pour notre démocratie locale. Ce projet de loi en est, je vous le disais, l’une des traductions.

Veillons donc, par nos échanges, à renforcer la démocratie dans nos territoires et à donner un exemple de démocratie. Le contraire ne ferait qu’alimenter le sentiment de défiance malheureusement déjà présent chez nos concitoyens. L’étude récente qui vient d’être publiée par le CEVIPOF, le Centre de recherches politiques de Sciences Po, montre que la défiance à l’égard de l’ensemble des institutions, mais aussi des collectivités territoriales, ne cesse de s’accroître, et cela doit nous faire collectivement réfléchir. Il est de notre responsabilité collective d’y apporter une réponse.

Nous allons avoir des débats, des oppositions ; des points de vue divergents vont s’exprimer. C’est normal, c’est la discussion démocratique. Toutefois, je vous invite tous, sur toutes les travées, à mener ces débats, auxquels le Gouvernement prendra évidemment toute sa part, en gardant deux impératifs à l’esprit : le renforcement de notre démocratie et le souci de l’intérêt général.

Je vous le disais en introduction : c’est un tournant que nous abordons aujourd’hui. Prenons le temps de bien le négocier. C’est important pour notre démocratie locale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Jacqueline Gourault et M. Pierre Jarlier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Delebarre, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est aujourd’hui saisi de deux projets destinés essentiellement, dans le contexte d’une modernisation du scrutin départemental, à renforcer la parité en politique, introduite il y a plus de dix ans par le constituant au rang des fondements de notre République, puis à concrétiser le principe, adopté en 2010, de l’élection directe par les citoyens des délégués communautaires.

Une plus grande féminisation des assemblées délibérantes locales est donc l’un des objectifs de la réforme soumise à l’examen de la Haute Assemblée.

Cette volonté est confortée par le texte adopté par la commission des lois. La gestion des affaires départementales et intercommunales, compétences de proximité par excellence, sera désormais placée sous le regard croisé d’élus de l’un et de l’autre sexe. La mixité progressera également au sein des conseils municipaux et, parallèlement, se diffusera dans les intercommunalités. C’est un atout pour la démocratie locale. En reflétant mieux la diversité de la société civile, la parité politique enrichit et équilibre le choix et la mise en œuvre des politiques publiques pour mieux répondre aux besoins et aux attentes des administrés.

La coopération intercommunale, encore balbutiante il y a deux décennies, s’est affermie tout au long de ces dernières années. Elle regroupera dans quelques mois l’ensemble des 36 700 communes de France, hormis Paris, pour conduire des projets communs dans l’intérêt d’une meilleure administration des territoires. La démocratisation des instances intercommunales est l’aboutissement nécessaire de l’élargissement de leurs attributions par le transfert d’un plus grand nombre de compétences communales, de l’augmentation de leur poids financier, de leur plus grande intégration.

Les citoyens éliront désormais, en même temps que leurs conseillers municipaux, les membres des organes délibérants des communautés de communes, des communautés d’agglomération, des communautés urbaines et des métropoles. Cette élection au suffrage universel direct leur permettra ainsi de choisir ceux des élus qui se consacrent en plus aux compétences exercées en commun par les collectivités regroupées.

Le législateur est donc appelé à fixer les principes qui régiront demain l’élection des élus municipaux, intercommunaux et départementaux pour régler l’administration des collectivités et des services publics locaux.

La commission des lois, réunie le 19 décembre dernier, s’est attachée à clarifier et à conforter les dispositions des présents projets de loi.

Elle a tout d’abord adopté l’article 1er, qui prévoit de substituer les appellations de « conseil départemental » et de « conseiller départemental » à celles, très anciennes, de « conseil général » et de « conseiller général ». Cette disposition, certes symbolique, permettra de clarifier le lien entre l’élu du département et la collectivité départementale qu’il représente, sur le modèle du conseiller régional. Cette clarification est simple, mais indispensable.

La commission a approuvé, sous réserve de modifications ponctuelles, le principe d’un binôme de candidats de sexes différents au sein de cantons redélimités dans le cadre d’une nouvelle carte cantonale.

Cette mesure permettra non seulement de moderniser la circonscription cantonale, qui, depuis deux cents ans, a connu peu de modifications, mais également de favoriser la parité dans une collectivité trop souvent considérée, à juste titre, comme insuffisamment ouverte aux femmes. Ainsi, les articles 2 à 13 mettent fin au scrutin majoritaire uninominal à deux tours au profit d’un nouveau mode de scrutin, dont les résultats mériteront d’être examinés.

Le renouvellement triennal par moitié serait remplacé par un renouvellement intégral tous les six ans, dont on peut se féliciter : en effet, le renouvellement par moitié ne permet pas toujours au conseil général d’assumer ses compétences dans la durée. C’est pourquoi la commission a adopté l’article 4, qui instaure ce renouvellement intégral, à l’unanimité. Il favorisera la continuité de l’action départementale, gage de politiques locales plus ambitieuses et plus cohérentes.

Le texte adopté par la commission pour l’article 5 prévoit que l’élection serait acquise au binôme comportant le candidat le plus jeune, ce qui représente, vous en conviendrez, monsieur le ministre, une innovation électorale majeure ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Marques d’ironie sur les travées de l'UMP.) Je le souligne, car la commission n’a pas tout à fait suivi son rapporteur sur cette question. Certains de ses membres, cédant tardivement à l’appel de leurs artères, ont choisi le candidat le plus jeune.

L’article 8 prévoit que la déclaration de candidature devra comporter la signature des deux candidats titulaires, les informations les concernant, ainsi que les signatures de leurs suppléants de même sexe et les informations à leur sujet, afin de préserver la parité en cas de recours au remplaçant.

Le recours au suppléant serait, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les conseils généraux, possible pour toutes les causes autres que l’annulation de l’élection ou la démission d’office par le représentant de l’État. Dans ces deux cas, l’article 9 prévoit l’organisation d’une élection partielle si les deux sièges sont vacants.

La question de la vacance d’un siège de conseiller départemental méritera d’être abordée, monsieur le ministre, notamment dans les cas où la majorité au sein des conseils départementaux serait faible. À ce stade de notre réflexion, il nous est apparu qu’aucune solution n’est exempte de tout risque, pour éviter le maintien d’un siège vacant.